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Première séance du jeudi 21 octobre 2004

23e séance de la session ordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE MME PAULETTE GUINCHARD-KUNSTLER,

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

    1

LOI DE FINANCES POUR 2005

Suite de la discussion d'un projet de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2005 (nos 1800, 1863).

Rappel au règlement

M. Augustin Bonrepaux. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Mme la présidente. La parole est à M. Augustin Bonrepaux, pour un rappel au règlement.

M. Augustin Bonrepaux. Je souhaite, madame la présidente, que nous puissions travailler dans de bonnes conditions.

Nous disposons du rapport du rapporteur général, que j'ai lu, mais le Gouvernement ne nous fourni aucun document sur la question très importante de la réforme des collectivités locales. Nous nous retrouvons dans la même situation que lors de la présentation du projet de loi de finances en commission - présentation qui a consisté en un long exposé magistral qu'aucun document n'est venu étayer. Ne voulant pas me trouver contraint de retarder les débats quand nous en arriverons aux articles en question, je préfère demander les documents dès à présent.

Monsieur le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire, je n'ai trouvé nulle part, dans les documents fournis, les simulations indispensables permettant d'apprécier les variations du potentiel financier par rapport au potentiel fiscal. Or si, comme on en a l'impression, les différences se resserrent, cela interdit la péréquation.

Par ailleurs, on opère une distinction entre départements urbains et départements ruraux, mais jamais les critères ne sont explicités. Pourquoi considérez-vous que la Haute-Savoie, avec ses massifs et ses glaciers, est un département urbain, et que la Savoie est un département rural ?

M. Michel Bouvard. Parce que la Haute-Savoie est deux fois plus peuplée !

M. Augustin Bonrepaux. Il est indispensable que nous sachions quels sont les critères.

Mme la présidente. Tenez-vous-en à votre rappel au règlement, monsieur Bonrepaux. Vous aurez l'occasion de vous exprimer sur le fond plus tard.

M. Augustin Bonrepaux. Mon souci, madame la présidente, est de ne pas retarder les débats en demandant, lorsque nous aborderons les articles concernés, une suspension de séance pour pouvoir prendre connaissance des documents.

M. Jean-Claude Sandrier. M. Bonrepaux a raison.

M. Augustin Bonrepaux. Je relève également que le rapport ne donne aucune explication sur le mode de calcul de la dotation de fonctionnement minimale des départements. Quelle est la base de calcul ? Quels sont les critères ? Doit-on estimer que la justice est respectée parce que le Gouvernement dit qu'il en est ainsi, alors que, précisément, c'est l'injustice qui s'installe ?

Nous voulons argumenter sur des documents. Le Gouvernement, qui a prétendu hier que j'exagérais, devra montrer que sa réforme permet une véritable péréquation, car, en l'état, il s'agit plutôt d'une anti-péréquation.

M. Guy Geoffroy. Ce n'est pas un rappel au règlement, madame la présidente !

Mme la présidente. Je pense que le Gouvernement vous a entendu, monsieur Bonrepaux.

La parole est à M. Didier Migaud.

M. Didier Migaud. Je souhaitais également faire un rappel un règlement, ayant constaté l'absence du rapporteur général de la commission des finances, mais j'y renonce car celui-ci vient d'arriver.

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. Dominique Strauss-Kahn.

M. Dominique Strauss-Kahn. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire, mes chers collègues, pourquoi plaider le renvoi en commission ? J'y vois quatre raisons : ce projet de budget est économiquement inopérant, socialement inquiétant, budgétairement déficient et politiquement imprévoyant.

Commençons par la politique.

Depuis deux ans ce gouvernement mène une politique économique erratique, camouflée derrière l'argument éculé de l'héritage. Je voudrais donc, pour commencer, faire litière de cet argument. Il est certes très classique : tout le monde l'a employé et nous-mêmes y avons eu recours. L'exemple le plus frappant nous a été fourni par Alain Juppé qui, en 1995, disait de la politique budgétaire et financière de ses prédécesseurs qu'elle avait été « calamiteuse ». Je cherche d'ailleurs, sans le retrouver, le nom du ministre du budget qui était ainsi cloué au pilori. Peut-être, monsieur le secrétaire d'État, me rafraîchirez-vous la mémoire...

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Vous n'en avez pas besoin, monsieur Strauss-Kahn. (Sourires.)

M. Dominique Strauss-Kahn. Mais, même si ce plat est classique, il ne peut être réchauffé trop longtemps. Si le Président de la République a dissous l'Assemblée en 1997, c'était au motif que le projet de budget pour 1998 lui paraissait impossible à construire et qu'il lui fallait, pour tenir, une majorité renouvelée. C'est dire si l'héritage, évalué par un tel expert, était lourd ! Nous nous sommes bien sûr servi de cet argument, mais nous avons également pris des mesures, de telle sorte qu'à la fin de 1997 ce budget réputé impossible à faire était bouclé, et nous étions dans les clous : la France était qualifiée pour l'euro. Je me souviens avoir alors annoncé ici même que la période de l'héritage était révolue et que j'assumais la suite.

Vous-même, monsieur le secrétaire d'État, et le ministre des finances ne manquez pas une occasion de souligner combien les socialistes sont médiocres : vous devez alors considérer que votre majorité est bien indigente pour resservir encore, deux ans et demi après son arrivée au pouvoir, cet argument ! Nicolas Sarkozy est en place depuis six mois, et il doit pouvoir accepter l'idée que c'est sa politique qui est à l'œuvre et que ses fautes lui incombent.

Il voulait le temps : il l'a eu, et il l'a encore. Il voulait agir sans blocage : vous avez tous les pouvoirs. Il voulait la stabilité : le peuple et la Constitution la lui ont donnée, même si le peuple a sanctionné cette politique et est tenu en lisière de vos indécisions. Il voulait être libre : vous gouvernez sans entrave, et l'Élysée, qui sait lire les sondages, s'abstient de le gêner, l'UDF le ménage, le MEDEF l'encourage. Bref, c'est son budget.

Et s'il a été la référence de la première partie de cette législature, dans un rôle-titre qui fut celui de la sécurité - avec un succès que l'on qualifiera, au vu des résultats annoncés par le nouveau ministre de l'intérieur, de mitigé -, il est le phare de la seconde. Son credo est ouvertement libéral. Cela sera-t-il un succès ? Nous verrons. Mais une chose est sûre : ce qui vient de lui engage tout son camp.

Lisant ce budget qui est le sien, donc, je cherche en vain les défis, je scrute en vain pour trouver le dessein que la majorité prétend avoir. Sans défis ni dessein, ce budget ne prépare pas l'avenir.

La France a certes besoin d'habileté, et M. Sarkozy n'en manque pas, mais elle a aussi besoin d'une détermination au service d'un projet collectif, pour une France plus juste, une France plus sûre et des Français plus forts : en d'autres termes, pour une cohésion sociale. Mais il ne peut y avoir de cohésion sans cohérence, et sans cohérence, il n'y a pas de confiance. Telle est la situation dans laquelle nous sommes. Ne cherchez pas plus loin les raisons de vos hésitations, ordres et contre-ordres, reculades de toutes sortes. Ce gouvernement est inconstant, c'est sa logique, car il essaie de faire passer une politique libérale qui ne passe pas dans le pays.

Pendant deux ans, vous avez appliqué - non pas avec un succès mitigé, cette fois-ci, mais avec des résultats désastreux - la politique du Président de la République. Cette politique a été quatre fois sanctionnée par les urnes. Fallait-il poursuivre ? Vous avez hésité, puis vous vous êtes résignés, estimant qu'en présentant les choses autrement, vous devriez y arriver. On a donc fait fond sur la communication. On s'est rué sur les annonces du nouveau ministre des finances. On a voulu y voir une césure. À mon sens, il n'y en a pas. Ce projet de budget est dans la continuité des précédents.

Certes, on s'est paré de belles références. On a appelé à la rescousse Antoine Pinay et sa « gestion de bon père de famille prudent et avisé ». On a été chercher Poincaré, « défenseur des propriétaires privés contre la dette publique ». Même Edgar Faure a été mobilisé, avec l'image de « l'expansion dans la stabilité ».

Ma conviction est que cette césure est trop artificielle pour ne pas être virtuelle et que les choix que vous faites pour 2005 ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Il est un danger sur lequel je me permets, très amicalement, d'appeler l'attention de mes collègues de la majorité : plus le ministre des finances est populaire, et plus on en attend de lui des merveilles.

M. Michel Bouvard. On a connu cela dans le passé !

M. Dominique Strauss-Kahn. Or chacun sait que l'on est le plus souvent amené à reparcourir des itinéraires rebattus.

La raison en est que, lorsque la situation est tendue et que l'on veut rester populaire, il n'y a guère d'autre recours que « l'art de cacher aux hommes ce qui leur déplaît ». La formule est de Necker, qui était un expert : comme vous le savez, il a financé la guerre des Amériques par l'emprunt, provoquant un endettement si gigantesque qu'on l'a qualifié de « fossoyeur de la monarchie ». La formule est sans doute excessive, et je ne souhaite pas à l'actuel ministre des finances d'être le fossoyeur de quoi que ce soit. (Sourires.)

Reste que cette façon d'essayer de passer entre les gouttes interdit la rupture avec un passé difficile, et ce projet de budget est dans la droite ligne de ceux que Francis Mer nous a présentés.

On constate tout de même deux nouveautés : l'année dernière, il n'y avait pas de marges alors qu'aujourd'hui on les sacrifie ; l'année dernière, on disait grosso modo la vérité alors que, cette année, on la masque, si bien que le Gouvernement a fait de son discours un refuge. Je souhaite donc, en revenant aux faits, vous montrer comment ce projet de budget est à la fois économiquement inopérant et socialement injuste.

Pourquoi est-il inopérant ? D'abord parce que c'est un budget sans présent. Où est le volontarisme ? J'allais dire : mais où est donc passé Nicolas Sarkozy ? N'y voyez aucune allusion, monsieur le secrétaire d'État, à son absence ce matin...

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Il va arriver d'un moment à l'autre.

M. Dominique Strauss-Kahn. Je ne sens plus sa marque. Il voulait montrer qu'il était avant tout dans l'action : or on ne trouve aucune trace d'action dans ce projet. Il manque de vraies lignes de force, une stratégie économique qui guide les choix. Vous attendez beaucoup de la croissance mondiale. Vous attendez que les entreprises investissent. Mais il n'y a pas les éléments pour cela. À part quelques réminiscences des budgets américains, comme les cadeaux aux privilégiés ou l'accent mis sur les dépenses militaires, ce budget est celui de toutes les absences.

Première absence, celle du pouvoir d'achat, qui est assez largement oublié : 0,3 % en 2003 et 1,5 % seulement en 2004. Il n'est pas besoin d'entrer dans la polémique qui oppose le ministre à Michel-Édouard Leclerc pour constater que le pouvoir d'achat fait du surplace : c'est la hausse des prélèvements sociaux obligatoires qui vient le rogner. En 2005, ce sont plus de 6 milliards d'euros de prélèvements supplémentaires qui seront nécessaires, dont 900 millions au titre de l'élargissement de l'assiette de la CSG sur les salaires. Cela pèsera sur la consommation.

Au total, la progression de pouvoir d'achat, estimée à 2,2 % en 2005, est totalement illusoire.

Déjà, en 2004, la hausse du pouvoir d'achat que vous aviez prévue a été reniée parce l'inflation, elle-même prévue à 1,8 %, est montée à 2,2 %. Comment croire à votre prévision de 1,8 % d'inflation pour 2005, quand on lit que cette prévision est établie en tenant compte des baisses de prix attendues dans la grande distribution ? Chacun a vu, au cours de ces dernières semaines, ce qu'il fallait en penser.

Deuxième oubli : l'emploi. Votre politique de l'emploi est sans boussole.

Vous avez supprimé les emplois-jeunes et une grande partie des contrats aidés. Les gouvernements de droite sont toujours convaincus que c'est par la baisse des impôts et des cotisations qu'on obtient la relance. Aujourd'hui, vous revenez dans une certaine mesure sur ce choix. Il n'y a plus de baisses massives d'impôts. Mais quelle est alors votre politique, votre ligne, votre stratégie ?

Pareillement, vous n'avez pas de politique européenne. Le Gouvernement appelle de ses vœux la coordination des politiques économiques - et je l'approuve. Mais comment peut-on chercher et espérer obtenir une telle coordination, quand on fait son budget dans son coin ? À quel moment y a-t-il eu, avec nos partenaires allemands, hollandais, espagnols, italiens, par exemple, concertation sur les choix fiscaux ? Vous n'êtes pas allés au-delà des discours.

Si changement il y a par rapport aux budgets précédents, c'est qu'il n'y a plus de stratégie.

Je ne suis pas favorable à la baisse des impôts. Mais c'est une stratégie. Or elle a été annulée par la hausse des taxes. Quant au détricotage systématique de ce que la gauche a pu faire, ce peut être une obsession, mais ce n'est pas une politique, et c'est encore moins une stratégie.

En vingt-quatre mois, vous êtes passés d'un libéralisme débonnaire à un libéralisme sans repères. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Votre politique n'a plus de visibilité.

Très sincèrement, je crois que vous n'avez pas pris la mesure du manque de confiance de l'opinion. Ainsi, le cercle vicieux est engagé : pas de confiance, crainte renouvelée par les prélèvements, par le chômage ; donc pas de consommation ; pas de consommation, pas d'emploi ; pas d'emploi, pas de croissance suffisante.

S'il ne pèse pas sur le présent, votre budget a aussi tendance à sacrifier l'avenir.

Vous avez voulu prendre de l'altitude, lâcher du lest ? Mais ce que vous avez passé par-dessus bord, c'est l'avenir.

La première déception concerne la recherche et l'enseignement supérieur.

On a annoncé la création de 1 000 postes pour la recherche ! Malheureusement, il ne s'agit que de la reprise de la promesse non tenue de 2004. On prévoit un milliard d'euros supplémentaires pour la recherche ! Malheureusement, à la lecture des documents budgétaires, on ne retrouve que 386 millions supplémentaires dans la loi de finances initiale. Quant au prêt, à taux bonifié, accordé aux étudiants pour l'achat d'un ordinateur, c'est une opération heureuse qui masque mal ce que vivent ceux-ci : les bourses augmentent moins que l'inflation alors que les frais d'inscription augmentent de 4 %, soit plus que l'inflation.

La deuxième déception concerne l'éducation.

Le 14 juillet dernier, le Président de la République en avait fait une priorité. Je constate aujourd'hui que l'éducation nationale n'est prioritaire que pour les suppressions de postes ,...

M. Guy Geoffroy. Ce n'est pas vrai !

M. Dominique Strauss-Kahn. ...5 000 dans les collèges et dans les lycées, qui s'ajoutent au non-renouvellement de 6 000 contrats d'aide éducateur. Il y a bien 700 postes de plus dans le primaire, à rapprocher des 55 000 élèves de plus attendus à la rentrée prochaine.

Pourtant, vous disposiez de marges de manœuvre, à la différence de ce qui s'est passé précédemment. J'ai bien entendu, à l'occasion des lois de finances précédentes, le Gouvernement déplorer l'absence de marges. Je n'entre pas dans la polémique de savoir à qui en imputer la faute. Mais il est exact qu'il n'y avait pas beaucoup de marges de manœuvre. Le peu qui existait était utilisé à la baisse d'impôts. Était-ce une bonne politique ? C'est une autre question.

Aujourd'hui, grâce à la conjoncture, l'État touchera, en 2004, 5 milliards de recettes supplémentaires, ce qui vous permettra de tenir votre engagement de limiter à 3,6 % le niveau de notre déficit. Le ministre de l'économie et des finances a annoncé mardi, et il l'a confirmé depuis, qu'une commission allait être mise en place pour traiter de l'excédent de recettes venant de la TIPP.

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. De l'ensemble « TIPP-TVA » !

M. Dominique Strauss-Kahn. En effet, monsieur le secrétaire d'État. Merci de cette précision : il s'agit bien de l'ensemble « TIPP-TVA » sur les produits énergétiques.

À partir du moment où vous avez opté pour cette logique, pourquoi la commission en question ne traiterait pas de l'ensemble de l'excédent de recettes dont dispose le budget par rapport à la prévision initiale ? Pourquoi limiter cette commission au seul traitement de l'excédent de recettes qui vient des produits énergétiques ?

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Nous consacrons les recettes à la baisse des dettes !

M. Dominique Strauss-Kahn. Certes, et ce choix n'est pas forcément critiquable. Mais dès lors que vous entrez dans cette logique, que je ne veux pas croire démagogique et qui reflète une véritable volonté de construire une démocratie participative, pourquoi la limiter aux seuls excédents qui viennent des produits pétroliers ?

Ce qui est sûr, c'est qu'en 2005 vous disposerez de 20 milliards d'euros de recettes supplémentaires. Vous en mettez 10 sur les déficits. Comme je viens de le dire, je ne vous désapprouve pas sur ce point. Rassurez-vous, monsieur le secrétaire d'État, c'est le seul accessit que je vous décernerai ! (Sourires.) Mais que faire du reste ? Vous n'explicitez pas vos choix. Encore une fois, votre stratégie n'apparaît pas.

Après la recherche, après l'éducation, la troisième déception concerne l'inflexion sociale. On en a beaucoup parlé, à commencer par le Président de la République lui-même. Or votre politique sociale, c'est « le poids des maux malgré le choc Borloo » ! (Sourires.)

Le plan Borloo se borne à réitérer l'objectif de 500 000 apprentis, déjà affiché par la loi Dutreil. S'agissant du logement, le Gouvernement a inventé une forme de traitement rhétorique de la question sociale.

C'est devenu comme un rituel : il y a un projet, présenté par un ministre, puis un autre, et les effets d'annonce s'enchaînent. Mais à l'arrivée, il n'y a plus grand-chose. On retire un projet, on retire le suivant, on ne sait plus bien lequel est encore valable. L'opinion a le sentiment qu'il y a des projets sociaux. Mais qu'y a-t-il à l'arrivée ? Le plan Borloo !

Vous le savez sur tous les bancs, mes chers collègues, la principale caractéristique de ce plan est qu'il n'est pas financé. On l'a estimé à 13 milliard d'euros. C'est une somme ! Pour l'année qui vient, 1,1 milliard est prévu. C'est moins, mais c'est normal. Là où le bât blesse, c'est que ce 1,1 milliard sera presque intégralement obtenu par redéploiement des autres crédits de l'emploi ! Rien de neuf, donc. Et quand on constate que, cette année, vous avez gelé 650 millions, précisément sur les crédits de l'emploi, on ne peut pas être rassuré sur la pérennité du financement du plan Borloo.

Peut-être voulez-vous financer ce plan grâce aux crédits que vous pourriez obtenir en remettant en cause les 35 heures et en réduisant les allégements de cotisations ? C'est une politique que je n'approuverais pas. Si c'est le cas, il faut le dire. Si ce n'est pas le cas, comment ce plan sera-t-il financé ? Nous ne le savons toujours pas.

Ce plan a une originalité : il marque le recul de la politique de l'emploi. Les exemples en sont très nombreux, à commencer par le transfert des charges du RMI et du RMA sur les collectivités locales, avec un financement qui est plus dynamique que ne l'est la dépense. Chacun, sur ces bancs, à droite comme à gauche, s'il a des responsabilités locales, s'en inquiète.

M. Didier Migaud. Bien sûr !

M. Guy Geoffroy. Mais vous ne l'aviez pas prévu non plus !

M. Dominique Strauss-Kahn. Autre exemple : la disparition des emplois-jeunes, qui ne seront pas remplacés par les contrats liés au RMA, ni par aucun autre d'ailleurs.

Augustin Bonrepaux m'a parlé d'un collège de sa circonscription, où 2 ou 3 emplois-jeunes font encore de l'accueil. On lui a dit qu'ils ne seraient plus là à la rentrée parce qu'on n'avait pas les postes pour les remplacer. Il n'y aura donc plus d'accueil.

M. Guy Geoffroy. Vous n'aviez rien prévu non plus !

M. Didier Migaud. Ce n'est pas exact, cher collègue !

M. Dominique Strauss-Kahn. Inutile d'entrer dans cette polémique. Les emplois-jeunes étaient prévus pour cinq ans, et faites-moi au moins confiance sur ce point : si les électeurs l'avaient souhaité, et je reconnais que cela ne fut pas le cas, les emplois-jeunes auraient été pérennisés.

Autres exemples encore : l'amputation des crédits pour l'insertion des publics en difficulté, dont les chômeurs de longue durée, et celle des crédits concernant le reclassement des travailleurs handicapés - 50 millions par ci, 100 millions par là. Certes, ce n'est pas la totalité de la politique de l'État. Mais pourquoi retirer 53 millions aux crédits de reclassement des travailleurs handicapés ? Parce qu'il faut faire les fonds de tiroirs. Car aucun d'entre vous, pas même le ministre, ne dira qu'il y a trop d'argent pour l'insertion des travailleurs handicapés.

Mais le plus grave n'est pas là. Le plus grave, c'est la baisse de l'enveloppe des cotisations, qui va faire peser sur le coût du travail non qualifié une charge d'environ 1,2 milliard d'euros, en particulier sur les plus bas salaires, ceux des personnes les plus exposées au chômage.

En baissant les fonds qui permettent d'avoir des cotisations faibles, nous revenons en arrière, nous revenons sur une politique menée ces dernières années par tous les gouvernements.

Le plan Borloo a le mérite de la clarté sur un point : il remet en cause tout ce que M. Fillon a fait. C'est particulièrement vrai pour les contrats jeunes : 21,5 % des jeunes de moins de vingt-cinq ans sont pourtant au chômage et le ministre a reconnu lui-même que deux tiers des contrats qu'il avait créés relevaient d'un simple effet d'aubaine.

Finalement, la seule mesure révélatrice de votre politique pour l'emploi et que vous prenez à votre compte - j'ai constaté hier que vous l'applaudissiez - est l'allégement des cotisations sur l'hôtellerie et la restauration. Elle fait suite à une promesse concernant la TVA, promesse qui ne pouvait pas être retenue pour d'évidentes raisons « européennes », et qu'il a bien fallu transformer.

À elle seule, cette mesure coûtera 600 millions d'euros, soit l'équivalent de la hausse de l'ensemble du budget de l'emploi. Honnêtement, qu'on soit pour ou contre, on ne peut pas dire qu'une mesure sectorielle de cette nature ne saurait tenir lieu de politique de l'emploi.

La réalité est simple, mes chers collègues : ce gouvernement ne croit pas à la politique de l'emploi qui, depuis 2002, fait figure de parent pauvre. Or c'est bien dommage, parce que la politique de l'emploi, ça marche !

Le rapport de M. Camdessus, célébré devant nous il y a quelques jours, évoque de nombreux points. L'un d'entre eux a retenu mon attention : le nombre d'heures travaillées en France par l'ensemble de ceux qui travaillent pendant une année ne serait pas suffisant. Je crois qu'il a raison.

M. Michel Piron. Nous aussi !

M. Dominique Strauss-Kahn. J'ai donc fait faire quelques petits calculs, qui sont maintenant disponibles et qui seront publiés. Vous pourrez les vérifier.

Le nombre total d'heures travaillées dans notre pays - par les Français et les étrangers - est de 37 milliards par an. Je me suis demandé comment ce nombre avait évolué. J'ai appris que, de 1993 à 1997, le nombre d'heures travaillées a baissé de 0,1 % par an. Depuis 1997, la situation s'est aggravée, puisque ce nombre a baissé de 0,25 % par an. On travaille donc 200 millions d'heures de moins aujourd'hui qu'en 2002...

M. Éric Besson. Qu'en 1997 !

M. Dominique Strauss-Kahn. Excusez-moi. Quel lapsus terrible !

M. Michel Piron. Cela nous paraissait intéressant, pour une fois !

M. Michel Bouvard. Cela prouve qu'il y en a qui suivent !

M. Dominique Strauss-Kahn. En effet.

Je reprends donc mon raisonnement, que j'ai mal construit : de 1993 à 1997, le nombre d'heures travaillées a baissé de 0,1 % par an ; de 2002 à aujourd'hui, il a baissé de 0,25 % par an.

Il est légitime que vous me demandiez ce qui s'est passé de 1997 à 2002. Eh bien, le nombre d'heures travaillées a augmenté de 0,5 % par an !

Si nous regardons la réalité en face, en parlementaires raisonnables, au-delà des clivages politiques, nous constatons que ce nombre d'heures travaillées, dont M. Camdessus remarque avec raison que c'est le bon indicateur - car il tient compte du taux de chômage et des taux d'activité -, a baissé de 1993 à 1997, augmenté de 1997 à 2002, rebaissé depuis 2002.

Vous me rétorquerez qu'il faut tenir compte de la croissance.

M. Michel Piron. Eh oui !

M. Dominique Strauss-Kahn. Mais aujourd'hui, la croissance est là.

La conjoncture économique actuelle est peu différente de celle de la période 1997-2002. Vous prévoyez en effet 2,5 % de croissance pour 2005, contre 3 % de croissance pour la période 1997-2002.

Nous devrions donc voir, dès l'année prochaine, le nombre d'heures travaillées réaugmenter. Je vous donne rendez-vous dans un an, mes chers collègues, tout en pensant que ce ne sera pas le cas. En effet, il ne suffit pas que la croissance soit là pour qu'il y ait de l'emploi. Il faut que la croissance soit transformée en emploi. Et pour que la croissance soit transformée en emploi, il faut une politique de soutien de la demande et une politique de l'emploi.

À croissance équivalente, quand Lionel Jospin était Premier ministre et Bill Clinton Président des États-Unis, il y avait de la croissance et il y avait de l'emploi. Aujourd'hui, Jean-Pierre Raffarin est Premier ministre et George Bush est Président des États-Unis, il y a de la croissance, mais il n'y a pas d'emploi.

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Je ne vois pas de lien évident !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Il est très ténu !

M. Dominique Strauss-Kahn. Le lien entre M. Bush et M. Raffarin est peut-être ténu, mais je suppose que ce n'est pas l'autre que vous critiquiez.

En tout cas, ce qui est sûr, c'est que la croissance ne suffit pas. J'entendais hier des orateurs dire qu'il n'y avait pas d'emploi sans croissance. Mais ce n'est pas parce qu'il y a de la croissance qu'il y a de l'emploi. La croissance demande à être transformée en emploi. Il faut que la politique du Gouvernement fasse que les excédents aillent vers l'emploi. Si ce n'est pas fait, il se passera ce que nous constatons cette année, en 2004 et probablement, malheureusement - je le dis sans joie - en 2005 : nous aurons de la croissance mais nous n'aurons pas d'emploi.

Voilà pourquoi je considère votre budget comme inopérant : il ne répond pas à ce qui est notre principale préoccupation, c'est-à-dire l'emploi.

Le deuxième point, beaucoup l'ont dit avant moi, est que ce budget est socialement inquiétant. Dans le déséquilibre perpétuel entre les annonces et les réalisations, c'est toujours la solidarité qui fait les frais d'une sorte de redistribution à l'envers. Votre baisse des impôts a été particulièrement injuste : la baisse de 10 % du barème de l'impôt sur le revenu n'a concentré ses effets que sur 1 % de la population. Ce n'était pas une bonne méthode.

Pour 2005, vous en changez : finies les mesures générales de baisse de l'impôt sur le revenu, place aux exonérations, aux réductions ciblées, ponctuelles. Mais l'objectif reste le même. Vous avez commencé avec la loi Dutreil, qui, sans le dire, a tenté de modifier l'assiette de l'ISF. Vous avez poursuivi avec la mesure d'incitation aux donations, qui a bénéficié à 55 000 personnes. Aujourd'hui, vous proposez d'alléger les droits de succession. C'est très emblématique. Quel Français ne souscrirait à votre discours : « Une vie de travail doit pouvoir être transmise sans droits » ? C'est oublier que moins de 25 % des successions donnent lieu à paiement de droits : 90 % des successions entre époux et 80 % des successions en ligne directe sont exonérés. En réalité, les 600 millions affectés à cette mesure visent une petite partie de la population, celle qui, effectivement, paie des droits de succession.

M. Gérard Bapt. Voilà la réalité !

M. Dominique Strauss-Kahn. De nouveau, vous proposez le même genre de mesures fiscales, concentrées sur une partie limitée de la population.

La même logique guide votre volonté de remonter le plafond de la réduction d'impôt pour les emplois à domicile. Nicolas Sarkozy a dit que ce financement fiscal des emplois à domicile devait être une bonne mesure puisqu'elle avait été mise en œuvre par les socialistes. C'est la première fois que je l'entends s'exprimer ainsi et je le salue. Mais, plus qu'à la lettre, il faut s'attacher à l'esprit de la mesure. Aujourd'hui, 7 % des foyers qui en bénéficient atteignent le plafond de la déduction maximale. Le relever, ce n'est servir que ces 7 % là. De nouveau, nous avons l'exemple d'une mesure fiscale ciblée sur une partie limitée de la population. Qu'elles en touchent 1 %, 5 %, 10 % ou 15 %, c'est toujours au haut de la hiérarchie des revenus que ces mesures bénéficient.

Et que penser du débat de la majorité sur l'ISF ? Je vous le dis sans emphase, je le trouve quelque peu indécent. Vous avez le droit de considérer que l'ISF est un sujet important, qu'il est une cause de délocalisations. En ce qui me concerne, je ne le crois pas, les rapports de la direction des impôts montrant qu'il ne joue que très peu. Mais vous êtes libres d'avoir un avis différent. En revanche, que la majorité focalise le débat parlementaire sur la loi de finances pour 2005 sur ce problème n'est pas raisonnable. Le plus libéral d'entre vous ne peut pas croire que l'ISF soit la seule faille de la politique économique de ce gouvernement.

M. Jean-Claude Sandrier. C'est symbolique !

M. Dominique Strauss-Kahn. Pour ma part, je le trouve bien tel qu'il est. J'admets que vous vouliez le changer, mais ne parlez pas uniquement de cela. Les Français ont d'autres préoccupations que le relèvement du plafond de l'ISF !

Les « bonnes nouvelles » sont donc concentrées sur les revenus élevés. Et s'il y en a une aussi pour les bénéficiaires de la prime pour l'emploi, elle sera plus limitée : 1,50 euro par mois d'augmentation de la PPE ! Honnêtement, est-il raisonnable de présenter aujourd'hui un budget si favorable au haut de la hiérarchie des fortunes et des revenus quand la prime pour l'emploi augmente de 1,50 euro par mois ?

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Et le SMIC ? Vous n'en parlez pas !

M. Dominique Strauss-Kahn. Le SMIC, ce n'est pas vous qui le payez, ce sont les entreprises.

M. Michel Bouvard. C'est le budget qui le paie à travers le FOREC !

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. C'est l'État, à cause de vous !

M. Dominique Strauss-Kahn. J'en parlerai plus tard, car, justement, l'exonération de charges, que vous mettez à mal, est sans doute l'une des initiatives les plus critiquables dans votre budget.

Les prélèvements sociaux augmenteront en 2005, Jean-Marie Le Guen l'a expliqué hier avec clarté, y compris pour les non imposables, en particulier au travers de la CSG et de la CRDS, sans oublier « l'euro Raffarin » exigible à chaque consultation médicale.

Quand on dresse le bilan social de ce budget, on voit bien que la politique sociale - celle de M. Borloo - n'est pas financée, la politique de l'emploi est absente parce que vous n'y croyez pas malgré ses résultats passés, la politique fiscale se concentre sur les plus riches et laisse quelques miettes pour ceux, les plus nombreux dans notre pays, qui ont besoin d'être soutenus.

Ce budget invertébré, qui n'a pas de dessein de politique économique, qui cultive les inégalités, est aussi techniquement condamnable. J'y ai relevé trois faux-semblants.

Premier faux-semblant : pour la première fois, vous allez pouvoir satisfaire à nos obligations européennes en affichant un déficit public de 2,9 % du PIB. Mais chacun sait ici que cela est possible grâce à la soulte versée par EDF. Nicolas Sarkozy s'est livré, mardi, à un exercice assez amusant, jurant la main sur le cœur que la soulte n'avait pas d'effet sur le déficit de l'État. Bien sûr ! Mais vous nous prenez pour des enfants. Si la soulte n'a pas d'effet sur le déficit de l'État, elle en a un - massif - sur le déficit public. Et en comptabilité maastrichtienne, c'est bien le déficit public qui est pris en considération. Ces règles budgétaires ne sont pas faites pour ennuyer le monde, elles ont un sens économique. En termes réels, sans la soulte, le déficit est de 3,3 %.

Quant à la réduction de 10 milliards du déficit de l'État, elle est très discutable. D'un point de vue comptable, elle existe d'une loi de finances initiale à l'autre. Mais votre véritable effort provient d'une plus-value de 5 milliards en exécution du budget de 2004. Ce n'est certes pas négligeable, mais ce n'est que 5 milliards.

Puisque vous raffolez des comparaisons, monsieur le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, je veux saluer votre arrivée en vous en proposant une.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Excusez-moi, j'étais à Luxembourg !

M. Dominique Strauss-Kahn. Je sais les obligations qui sont les vôtres.

Vous avez indiqué à maintes reprises que cette baisse était peut-être la plus importante jamais atteinte. Je voudrais comparer la situation du budget de 1999 par rapport à 1998 - le dernier que j'aie eu l'honneur de présenter - avec celle du budget de 2005 par rapport à 2004, lequel, si j'en crois les gazettes, est aussi le dernier que vous présentez devant nous.

En 1999 par rapport à 1998, le déficit public avait baissé de 0,9 point de PIB ; cette année, il baissera de 0,3 point. Celui de l'État avait baissé de 0,4 point de PIB, contre 0,2 point cette année. Vous m'opposerez que la conjoncture économique n'est pas la même. On peut en discuter et j'y reviendrai. En tout état de cause, cela interdit de dire que jamais un effort de cette nature n'a été fait. Vous devez à la vérité de reconnaître que le gouvernement de Lionel Jospin, à l'année que je cite, a fait bien mieux que ce que vous faites cette année. Vous pourrez aussi expliquer que les circonstances étaient plus favorables, mais vous ne pouvez pas dire que jamais un tel effort n'a été réalisé.

M. Didier Migaud. C'est vrai !

M. Gérard Bapt. Très bien !

M. Dominique Strauss-Kahn. Le deuxième faux-semblant est celui de la maîtrise des dépenses. Il faut maîtriser la dépense publique, mais pas en façade, pas en en transformant une partie des dépenses en crédits d'impôt. Le prêt à taux zéro illustre parfaitement le procédé, de même que l'apprentissage, dont une part des charges sous-évaluées est transférée aux régions.

La transformation d'une subvention, dépense budgétaire, en allégement d'impôt, dépense fiscale, a trois conséquences. La première, c'est l'affichage en trompe-l'œil. C'est une fausse vertu. On fait semblant de limiter la hausse de la dépense publique, voire de l'annuler, alors qu'en fait on change simplement de méthode. La deuxième conséquence est de prendre un gage très sérieux sur l'avenir : on tire une traite fiscale sur l'avenir. Le montant total des allégements pour 2005 avoisine les 2 milliards d'euros, auxquels il faudra rajouter l'effet de la prolongation de l'allégement de la taxe professionnelle, qui devait prendre fin le 30 juin, annoncée par le Président de la République. Le cumul de tout cela donnera des sommes considérables après 2007.

M. Gérard Bapt. Comme pour la CADES !

M. Dominique Strauss-Kahn. Pourquoi 2007 ? Je l'ignore.

M. Didier Migaud. Les municipales, peut-être... ? (Sourires.)

M. Dominique Strauss-Kahn. C'est visiblement la date butoir que le Gouvernement a choisie.

La troisième conséquence des crédits d'impôt est un effet redistributif. Remplacer des subventions par des avantages fiscaux n'est pas neutre. Il n'est que de se souvenir de la réaction des associations familiales lorsqu'il a été question de supprimer le prêt à taux zéro. L'effet de levier qu'il jouait n'opérerait plus avec une mesure fiscale dont l'effet serait différé. Pour les plus modestes, cela n'a pas les mêmes conséquences et ne répond plus à l'objectif poursuivi de permettre aux plus démunis de se loger. Il y a donc tromperie. Ce ne sont pas de bonnes mesures.

M. Michel Piron. C'est spécieux !

M. Dominique Strauss-Kahn. Le troisième faux-semblant est que, parallèlement à l'effort important de maîtrise du déficit de l'État - moins important toutefois que ce qui est annoncé -, vous laissez filer les déficits sociaux et ceux des collectivités locales.

En loi de finances initiale pour 2004, vous annonciez un déficit de 0,5 point de PIB, sous réserve de mesures d'économies. Vous n'avez pas dû être très capables de les mettre en œuvre puisque, à l'arrivée, le déficit est de 0,8 point. Le régime général de sécurité sociale voit son déficit augmenter de 11,5 milliards, atteignant le niveau de 2002 multiplié par trois ! Selon la Cour des comptes, peu suspecte de tentations socialisantes, « il s'agit de la plus forte dégradation financière de l'histoire de la sécurité sociale ».

M. Didier Migaud. Cela, ils ne l'entendent pas !

M. Dominique Strauss-Kahn. Voilà pourquoi les prélèvements obligatoires augmenteront forcément en 2005, pour atteindre le niveau record de 6 milliards. Qui plus est, ces 6 milliards ne garantiront pas la résorption du déficit. Il faut bien reconnaître que le Gouvernement a échoué dans sa politique de maîtrise des dépenses sociales, à laquelle même votre administration ne croit pas. Vous-mêmes, messieurs les ministres, êtes si discrets que vous partagez sans doute ce sentiment. Si vous étiez convaincus de l'efficacité de ce plan de maîtrise des dépenses sociales, vous le clameriez haut et fort. Vous ne voulez pas vous ridiculiser : vous avez raison. Mais cela montre, malheureusement, où nous en sommes.

L'État a aussi échoué sur le problème des collectivités locales en se défaussant sur celles-ci, dans le désordre, de ses charges et de ses déficits. L'exemple du RMA ne laisse pas d'inquiéter, y compris parmi vos amis, monsieur le ministre. Le président du Sénat, que sa nature et sa fonction inclinent pourtant au calme, s'est fâché tout rouge, au point de créer un observatoire des collectivités locales,...

M. Michel Bouvard. C'est pour surveiller les régions !

M. Dominique Strauss-Kahn. ...en constatant que, pour la première fois, le budget présentait un compte des collectivités locales dégradé de 0,2 point de PIB.

Que dire des contrats État-régions, qui sont en panne parce que l'État n'apporte pas les ressources qu'il s'est engagé à apporter ? Nous avons tous, dans nos régions, des exemples de travaux de routes inachevés, de trains qui roulent moins vite parce que les travaux de sécurisation n'ont pas pu être effectués.

Le meilleur indicateur du trompe-l'œil de la maîtrise des finances publiques se trouve sans doute dans la progression de la dette : plus de 60 % du PIB en 2003, 64,8 % en 2004, 65 % en 2005, soit 6 points de plus qu'en 2002.

Finalement, dans aucun domaine ce budget ne se montre à la hauteur. Il saute d'un sujet à l'autre avec comme seule méthode l'artifice et comme seul viatique le libéralisme. Il protège la rente contre la production, les héritiers contre les salariés. Il favorise les riches, fragilise les classes moyennes et ignore les pauvres. C'est le budget d'une France en panne et d'un dessein en berne. C'est pourquoi il faut le rejeter.

Il existe pourtant une autre voie, qui nécessite de reposer un diagnostic clair. La réalité de la situation c'est que, depuis deux ans, il y a 200 000 chômeurs de plus, soit - puisque vous aimez les images - une ville de la taille de Caen rayée de la carte de l'emploi. Et ce n'est pas à cause d'une météo défavorable, d'une fatalité internationale, quoi qu'en pensent ceux qui voient la croissance française comme le lointain écho d'une croissance mondiale mystérieuse. Ce n'est pas le résultat d'une action extérieure mais celui de votre politique.

Le diagnostic, c'est d'abord que notre pays souffre d'une faiblesse des revenus du travail, de la stagnation du pouvoir d'achat. En 2003, pour la première fois depuis les années Juppé, les salaires nets ont baissé. Notre pays souffre de la destruction des emplois. Le Gouvernement s'est révélé incapable de s'attaquer au chômage. De septembre 2003 à juin 2004, 12 000 emplois marchands seulement ont été créés, alors qu'il en avait promis 115 000 pour 2004 - j'espère, mais je n'y crois guère, que le second semestre sera particulièrement brillant - et 190 000 pour 2005. À conjoncture économique équivalente, le gouvernement Jospin avait contribué à la création de 360 000 emplois par an !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. On se demande pourquoi les Français n'en ont plus voulu !

M. Richard Mallié. Cela le laisse de marbre !

M. Dominique Strauss-Kahn. Notre pays souffre aussi de la faiblesse de la croissance, qui a pris du retard. En témoignent la lenteur du retournement conjoncturel et la difficulté que nous avons à suivre le mouvement de l'ensemble de la planète.

Certains dans cette assemblée ont un tropisme qui les pousse à regarder vers l'ouest dès que quelque chose ne va pas et à se référer à ce qui se passe aux États-Unis.

M. Marc Laffineur. Et c'est lui qui dit cela !

M. Dominique Strauss-Kahn. Eh bien, malgré les performances médiocres de Bush en matière de croissance, il faut bien reconnaître que la France fait moins bien que les États-Unis alors que la France de Lionel Jospin faisait aussi bien que celle de Clinton.

M. Hervé Mariton. Bush serait-il meilleur que Clinton ?

M. Dominique Strauss-Kahn. Attendez et écoutez, mon cher collègue !

Soyons précis : de juin 1997 à mars 2002, la croissance française a été de 15 % et celle des États-Unis de 15,3 %, soit une progression pour la France de 3 % par an en moyenne.

Vous aimez le football, monsieur le ministre ?

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Exact !

M. Dominique Strauss-Kahn. Eh bien, c'était France 3 - États-Unis 3. La France était championne du monde.

Depuis, la France prend du retard.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. À cause de Jospin !

M. Dominique Strauss-Kahn. Depuis 2002, la croissance américaine est de 7 %,...

M. Hervé Mariton. Les Américains devraient voter Bush !

M. Dominique Strauss-Kahn. ...celle de la France, de 2,5 %. France 1 - États-Unis 3 ! La France a été éliminée au premier tour de la Coupe du monde à l'été 2002.

M. Jean-Christophe Cambadélis. À cause de Raffarin !

M. Dominique Strauss-Kahn. Je vois que ma comparaison avec les États-Unis vous paraît éloignée mais elle vaut aussi avec le Royaume-Uni.

M. Michel Piron. Étonnant !

M. Dominique Strauss-Kahn. La France de Lionel Jospin croissait plus vite que l'Angleterre de Tony Blair. Celle de Jean-Pierre Raffarin regarde les autres prendre de l'avance.

M. Didier Migaud. Les comparaisons gênent la majorité !

M. Dominique Strauss-Kahn. Le constat est le même vis-à-vis de la zone euro. De 1997 à 2002, la croissance française a été de trois points supérieure à celle de la zone euro. Aujourd'hui, elle est au même niveau.

Je sais, monsieur le ministre, que vous espérez qu'en 2004 nous serons devant, et je le souhaite. Nous verrons. Mais je n'en suis pas sûr parce que je crains que l'embellie ne soit un leurre.

Depuis l'été 2003, la croissance s'accélère partout, tirée en particulier par la Chine. Selon le FMI, la croissance mondiale devrait atteindre 5 % cette année, la meilleure depuis trente ans ! Ne venez donc pas nous dire que l'environnement international n'est pas à la hauteur.

M. Michel Piron. Nous ne le disons pas !

M. Dominique Strauss-Kahn. L'effet sur l'économie française est évidemment positif, même s'il est limité par la faiblesse du dollar. Mais le deuxième trimestre est moins bon que le premier et le troisième s'annonce moins bon que le deuxième. Où va-t-on ?

Un grand quotidien économique n'hésitait pas à se demander, il y a quelques mois, s'il n'y avait pas un « effet Sarkozy ». Je l'ignore...

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il est déjà important que la question soit posée !

M. Dominique Strauss-Kahn. ...mais ce que je sais, c'est que, s'il y en a eu un, il a été peu durable.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Peut-être, mais la question se pose puisque vous l'avez posée, ce qui est d'ailleurs assez sympathique.

M. Dominique Strauss-Kahn. Le ralentissement est encore plus prononcé sur la consommation des ménages : selon l'INSEE, son rythme de croissance sera divisé par trois entre le premier trimestre et le troisième, passant de 1 % à 0,3 %. Tout ralentit. En septembre, les grandes surfaces étaient désertes, les consommateurs sont restés chez eux. Le taux d'épargne, pourtant déjà élevé, a augmenté. Voilà pourquoi je crains que l'embellie ne soit qu'un leurre.

Là-dessus, vient le pétrole. Bien sûr, c'est un aléa. Personne ne peut savoir ce qu'il va advenir. Mais tout le monde sait que la probabilité que le cours du baril reste à 36 dollars pendant l'année 2005 est quasi nulle.

Vous avez le droit d'être volontariste et de fixer, en dépit de tout, un cap. Je ne vous le reproche pas. J'ai moi-même - pardonnez-moi de me citer - user de la même formule en 1999. Alors que tout le monde annonçait une croissance en berne, j'ai vu un « trou d'air » appelant à sa suite une forte croissance. Et c'est ce qui s'est passé.

Je vous reconnais donc parfaitement le droit d'être volontariste. Mais, ce faisant, vous prenez un risque pour le pays, comme je l'avais pris moi-même, et il est donc légitime que vous preniez aussi un risque pour vous-même. Vous devez dire à la représentation nationale que vous serez le seul responsable si, d'aventure, le pétrole étant plus cher et la croissance n'étant pas au rendez-vous, le budget se soldait par un gigantesque déficit. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Bien sûr !

M. Jean-Christophe Cambadélis. Il n'a pas envie de se suicider !

M. Dominique Strauss-Kahn. Eh oui, monsieur le ministre, la politique ne se résume pas à des questions et à des articles dans les journaux : c'est aussi prendre ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je serais le seul responsable de l'augmentation du prix du pétrole ?

M. Hervé Mariton. Ne vous prenez pas pour un chevalier de l'Apocalypse, monsieur Strauss-Kahn. Vous valez mieux !

M. Richard Mallié. En matière de responsabilité, vous n'avez pas de leçons à donner !

M. Dominique Strauss-Kahn. Continuons le diagnostic. La France n'a pas vraiment confiance. Or, on le sait tous, une France qui doute est une France qui régresse.

M. Hervé Mariton. Elle n'a plus confiance en vous ! C'est une certitude !

M. Dominique Strauss-Kahn. Pourtant, le potentiel de croissance est élevé. La France reste attractive aux investissements étrangers. La productivité est une des plus fortes au monde. Le niveau d'éducation, malgré un budget que je considère, je l'ai dit, comme un peu sinistré, est également élevé.

Je ne suis pas un adepte de la thèse du déclin de la France. Je suis, comme beaucoup d'entre vous sans doute, réaliste, mais pas du tout pessimiste.

M. Michel Bouvard. C'est bien !

M. Dominique Strauss-Kahn. Je veux, avec tous ceux qui le souhaiteront, refuser ce dénigrement un peu jubilatoire qui est aussi faux qu'il est vain et qui ne fait qu'entraîner le pays dans la difficulté. La France a des atouts, les Français ont des qualités, le pays a un destin.

M. Hervé Mariton. Voilà une heure que vous dites le contraire !

M. Dominique Strauss-Kahn. Ce qui manque à la France, c'est une autre politique. En particulier, c'est l'absence d'une politique de la demande qui aujourd'hui vous pénalise.

Dans la même conjoncture, on peut mener des politiques très différentes. Celle que nous avions choisie avait été de ponctionner la trésorerie des entreprises pour relancer la consommation. Qu'on me comprenne bien. Je ne suis pas favorable à une hausse permanente de la fiscalité. Je dis simplement que celle-ci doit être un instrument au service de la politique économique.

Vous avez choisi d'autres voies, mais le problème, c'est qu'elles ne relancent pas la consommation. Si votre politique avait des effets injustes, je la combattrais au titre de la justice tout en relevant ses effets économiques. Le malheur, c'est que vos mesures fiscales cumulent injustice sociale et absence d'effet sur la consommation.

Dans le même temps où vous ne soutenez pas la croissance, vous restez les bras ballants devant le retour de la machine inégalitaire. La faiblesse de la croissance a un effet inquiétant que nous constatons tous dans nos permanences : le retour des inégalités. Pour la première fois depuis 1945, les revenus avant impôt divergent. On constate une segmentation en trois groupes : celui des cadres et des salariés les mieux lotis qui voient leurs revenus progresser, celui des salariés les moins qualifiés dont les revenus n'augmentent pas et restent souvent calés autour du SMIC...

M. Michel Bouvard. À cause du gel des rémunérations lié aux 35 heures !

M. Dominique Strauss-Kahn. ...et celui des exclus qui sont en dehors du marché du travail.

Notre société a toujours su maîtriser les inégalités. Pour la première fois depuis la Libération, elle ne les jugule plus.

Il ne faut pas chercher à ignorer cette situation pour éviter d'y répondre car, à terme, c'est la survie même de notre modèle de société qui est en cause.

Depuis 1945, la France s'est construite autour de l'État-providence, de son action volontariste en faveur des classes moyennes et populaires. Ce modèle fut porté par le souvenir d'anciennes inégalités progressivement vaincues, d'injustices progressivement conjurées.

Or, aujourd'hui, ce modèle, nous le savons tous, est menacé. Ce n'est pas seulement l'effet de la conjoncture ni de votre politique de démantèlement social : c'est parce que le capitalisme change. Il fut industriel, il est financier. Il a été matériel, il est immatériel. Il fut national, il est mondialisé.

Le nouveau capitalisme secrète des inégalités beaucoup plus importantes que le capitalisme classique. Les marchés ont pris le pas sur les technostructures. Les actionnaires ont pris le pouvoir sur les cadres dirigeants. Le développement de l'entreprise compte moins que le rachat des concurrents. L'investissement à long terme importe moins que le profit à court terme. La part du capital dans la valeur ajoutée augmente au détriment des salaires. Résultat : le risque économique, qui était la contrepartie du profit pour les actionnaires, est en train de glisser vers les salariés, où il n'a pas de contrepartie.

Les conventions sociales et, notamment, la discussion des conventions salariales se dissolvent au profit d'une négociation individuelle. Bref, la force de travail est en train de se renégocier à nouveau comme une marchandise, comme dirait un philosophe que vous n'aimez pas, monsieur le ministre.

Il faudrait du temps pour parler plus longuement de la mondialisation mais tous les arguments, vous le savez car vous les partagez pour beaucoup d'entre vous, iraient dans le même sens. Le capitalisme a changé. Sa régulation traditionnelle est bousculée. Nous vivons une nouvelle phase de la mondialisation, plus dure que les précédentes, aussi dure que celle du début du xxsiècle dans laquelle Jaurès voyait, comme il l'écrivait dans L'Armée Nouvelle en 1911, « la fougue révolutionnaire du profit, sa mobilité ardente et brutale ». C'est la même chose aujourd'hui, avec les mêmes conséquences. C'est tout notre modèle d'organisation de la société qui est en cause et c'est pourquoi le budget qui nous est présenté ne répond pas aux défis qui nous sont lancés.

L'État-providence est fortement sollicité alors même qu'il est l'objet d'une triple attaque : idéologique, d'abord, par ceux, nombreux dans vos rangs, qui en critiquent le principe même ; démographique, ensuite, car le vieillissement, évidemment, lui porte tort ; économique, enfin, car il fonctionne bien quand la croissance est forte, difficilement quand elle est faible. Il est plus sollicité car les inégalités rebondissent alors qu'il est moins puissant que par le passé.

Le risque est celui d'un emballement des inégalités et c'est bien toute notre société qui est en cause.

La France n'est pas un marché. La République n'est pas une entreprise, comme le croit M. Berlusconi. Elle ne peut pas supporter la redistribution à l'envers.

Une société, c'est un « vivre ensemble ». Il lui faut des règles, des moyens, de l'espoir. Or, les règles, le libéralisme les remet en cause. Les moyens, vous les raréfiez au profit de quelques-uns. Quand à l'espoir, on ne peut pas dire qu'il hante nos banlieues.

Pour faire renaître cet espoir, il faut une politique alternative. Elle existe. C'est une politique de la croissance, de l'emploi et des finances publiques - je ne sépare pas ces trois volets car ils sont intimement liés. Il n'y a pas de croissance sans finances publiques et il n'y a pas d'emploi sans croissance, même si, comme je vous l'ai montré tout à l'heure, celle-ci ne suffit pas à créer l'emploi.

À cela, vous avez donné des réponses à la fois partielles et éphémères.

Concernant la croissance, il faut mettre définitivement et massivement l'accent sur l'enseignement supérieur et la recherche. Hier, la croissance endogène, comme disent les économistes, reposait sur les efforts réalisés pour les infrastructures et les grands projets. Aujourd'hui, c'est de l'économie de la connaissance qu'elle dépend : la recherche, l'éducation supérieure. Il faut sauver nos universités pendant qu'il est encore temps. Il faut que, dans dix ans, parmi la quinzaine d'universités européennes capables de rivaliser avec les autres du monde entier, il y en ait trois ou quatre en France. Honnêtement, cela n'est pas gagné. C'est même assez mal parti.

M. Didier Migaud. En effet !

M. Dominique Strauss-Kahn. Concernant l'emploi, nous avons une réserve de croissance. C'est évidemment le sous-emploi massif dans notre pays.

Il faut, d'abord, cesser de s'en prendre aux politiques qui ont réussi. Si la majorité d'aujourd'hui avait consacré à une politique active de l'emploi le quart du temps qu'elle a utilisé pour s'en prendre aux 35 heures, peut-être aurait-elle obtenu des résultats.

M. Jean Le Garrec. Ça, c'est sûr !

M. Dominique Strauss-Kahn. Il faut, ensuite, pérenniser le barème des cotisations sociales que le projet de budget fragilise. Abaisser à 1,6 SMIC le seuil des allégements bas salaires permet sans doute de boucler le budget, mais cela envoie aux entreprises un très mauvais signal, à savoir que cette baisse n'est pas pérenne et qu'elle sera soumise chaque année au scalpel de la direction du budget. Elles ne peuvent donc pas fixer une politique à long terme sur la base de ce coût du travail non qualifié.

Pourtant, ces allégements de charges ont été initiés par Édouard Balladur, étendus par Alain Juppé, généralisés par Lionel Jospin, amplifiés par Jean-Pierre Raffarin. C'est un des rares sujets à recueillir le consensus de tous les économistes et à avoir été préservé des aléas de la vie politique. Mais c'était sans compter, monsieur le ministre, avec votre infatigable activisme. Cette politique, qui était suivie depuis M. Balladur et avait traversé cinq gouvernements, à savoir la réduction du coût des bas salaires, du coût du travail non qualifié, est aujourd'hui mise à mal.

Développer l'emploi suppose aussi de travailler sur l'indemnisation, l'accompagnement et la formation des demandeurs d'emploi. Côté indemnisation, c'est, malheureusement, la logique comptable qui l'emporte. Côté formation, les promesses restent verbales.

Puisque vous avez, l'autre jour, lancé un appel aux bonnes idées, monsieur le ministre, encore qu'une politique n'est pas un concours Lépine ni une succession de bonnes idées, j'ai voulu, pour vous être agréable, tenter d'y répondre.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En toute modestie !

M. Dominique Strauss-Kahn. Je vous fais sept propositions.

La première est de réorienter les recettes fiscales vers le soutien de l'activité, notamment en doublant la prime pour l'emploi.

La deuxième est de mettre en place une véritable sécurisation des parcours professionnels, quelque chose qui mutualise le risque auquel sont confrontés quelques salariés, nombreux malheureusement face aux mutations du capitalisme.

La troisième : renforcer la lutte contre la précarité et favoriser le reclassement des salariés victimes de licenciements collectifs.

La quatrième : construire une véritable deuxième chance, en donnant corps aux propositions unanimement avancées par les partenaires sociaux en matière de formation professionnelle.

La cinquième : mettre en place un véritable contrat d'insertion, notamment en direction des chômeurs de longue durée, très différent du RMA, un contrat qui permette l'insertion des centaines de milliers de Français.

La sixième - vous allez hurler, mais cela a fait ses preuves - consiste à favoriser la création de 100 000 emplois d'utilité sociale au niveau régional, pour des travaux dont nous avons besoin, en direction des personnes âgées, malades. Il s'agit de nombreux secteurs qui ne sont pas solvables, mais dont la société a besoin.

La septième consiste à favoriser la recherche, l'innovation et l'éducation, c'est-à-dire l'économie de la connaissance.

Vous me direz, monsieur le ministre, dans votre réponse, si vous me faites l'honneur de me répondre : « Et la réforme de l'État dans tout cela ? Les socialistes ne veulent pas réformer l'État ! » (« C'est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Quel aveu !

M. Dominique Strauss-Kahn. Il faut réformer l'État, mais pas pour qu'il y ait moins d'État ; il faut réformer l'État pour qu'il fonctionne mieux. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Le Garrec. Absolument !

M. Dominique Strauss-Kahn. Je suis heureux que vous m'applaudissiez. Cela vous empêchera d'applaudir vos propres ministres, car ils disent le contraire.

M. Guy Geoffroy. Mais non ! Justement !

M. Dominique Strauss-Kahn. Réformer l'État pour qu'il fonctionne mieux, c'est faire en sorte que les services publics soient plus présents sur le terrain. C'est faire en sorte que partout où la collectivité se rend un service à elle-même, où l'on fait passer par les services collectifs ce qui pourrait être une demande individuelle, ...

M. Guy Geoffroy. Cela se dégrade déjà !

M. Dominique Strauss-Kahn. ...l'État doit être présent.

M. Guy Geoffroy. Toujours plus !

M. Dominique Strauss-Kahn. Mille exemples ont été donnés.

Le parti socialiste a récemment fait campagne sur La Poste. Ce n'était qu'un exemple parmi d'autres, mais il est intéressant. Il y a bien d'autres sujets sur lesquels il faut réformer l'État, non pour avoir un État croupion, un État réduit - l'État, dont beaucoup de libéraux, sur ces bancs, rêvent -, mais pour avoir un État plus efficace, c'est-à-dire qui intervienne davantage.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. C'est plutôt l'État Leviathan.

M. Dominique Strauss-Kahn. En même temps, il faut s'occuper de la solidarité.

M. Michel Piron. Caricatural !

M. Dominique Strauss-Kahn. Nous avons une machine qui redistribue beaucoup : la moitié du PIB. Pourtant, nous savons que l'efficacité de notre machine est très faible. Les prélèvements sont pratiquement identiques selon les niveaux de revenus. Il est très frappant dans notre pays de voir que les déciles inférieurs de la distribution du revenu paient, en pourcentage, presque autant de prélèvements que les déciles supérieurs. Pourquoi ? Notre fiscalité a une prétention redistributive, mais elle ne le redistribue pas, notamment à cause de l'empilement de mesures que vous êtes ici, sur tous les bancs, prompts à critiquer. La fiscalité est tellement complexe que l'on ne peut pas modifier quelque chose sans trouver des mesures compensatoires. En touchant à une pierre de l'édifice, tout se met à trembler.

L'impôt sur le revenu en est souvent le meilleur exemple. Il est apparemment redistributif. J'ai même entendu sur ces bancs, à d'autres moments, qu'il était confiscatoire avec son taux marginal de près de 50 %. Nous savons tous ici - vous êtes des experts - que ce taux ne s'applique qu'à une partie du revenu, pas aux charges sociales, aux abattements, pas à toutes les niches.

Lorsque les calculs sont effectués selon des standards internationaux, par l'OCDE par exemple, on constate que le taux marginal effectif dans notre pays est de 25 % : un des plus bas du monde occidental.

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui ! Il fallait que cela fût dit !

M. Dominique Strauss-Kahn. Les chiffres macroéconomiques sont là pour le prouver. Combien rapporte l'impôt sur le revenu par rapport au PIB ? 7 % ! Combien rapporte-t-il en moyenne dans les pays de l'OCDE ? 11 % ! Nous sommes derrière les États-Unis, derrière le Royaume-Uni.

Il faut revoir notre système fiscal. Ne me dites pas : « Pourquoi ne l'avez-vous fait ? » Ce qui compte, c'est ce qui doit être fait maintenant. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. C'est pas mal !

M. Dominique Strauss-Kahn. Mes chers collègues, je vous ai dit tout à l'heure ce que je pensais de l'héritage.

M. Michel Bouvard. M. Strauss-Kahn n'est pas resté assez longtemps et M. Fabius l'a remplacé !

M. Dominique Strauss-Kahn. Malheureusement, M. Sarkozy n'était pas encore parmi nous, mais je suis sûr qu'on lui a rapporté mes propos.

Nous ne sommes plus, deux ans et demi après l'arrivée au pouvoir d'une majorité, dans la période de l'« héritage », ou alors c'est qu'on se considère soi-même comme ayant une politique infantile. Vous êtes maître de cette politique. Alors menez-la !

Faites la critique de vos prédécesseurs - nous y sommes habitués, cela n'a pas d'importance. Mais menez votre politique !

M. Jean-Pierre Brard. Ils ne s'en privent pas !

M. Dominique Strauss-Kahn. Il faut effectivement changer cette politique fiscale, et non pas seulement - je conclurai sur ce point - prévoir un « filet » pour les plus pauvres.

M. Jean-Pierre Brard. C'est un filet à trous !

M. Dominique Strauss-Kahn. La redistribution doit profiter à bien d'autres. Elle doit profiter également aux classes moyennes et populaires. Ce sont celles qui sont les plus inquiètes pour l'avenir. Vous les rencontrez régulièrement, mes chers collègues, dans vos permanences...

M. Jean-Pierre Brard. À Sarcelles, comme à Montreuil !

M. Dominique Strauss-Kahn. Oui, monsieur Brard, à Sarcelles comme à Montreuil. Elles sont tiraillées entre des promesses d'ascension sociale non tenues et des risques toujours présents de relégation.

Nous devons aider ces couches-là de la société, pour que la cohésion sociale demeure, ce qui est au centre de notre modèle de société et qui constitue le cœur de notre République.

Je ne voudrais pas terminer mon intervention sans aborder les délocalisations. Cette question a été remise au goût du jour par M. le ministre d'État, il y a quelques semaines. Ce sujet est grave. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent qu'il est sans importance.

De nombreux salariés se retrouvent au chômage à cause des délocalisations. Ils sont confrontés à la précarité. Ils retrouvent souvent un emploi déqualifié. Toute leur vie bascule parce qu'une entreprise, sur un site donné, ferme. Néanmoins, je pense qu'il ne faut pas ajouter la confusion aux inquiétudes.

Les pays en développement ou en transition ont une aspiration légitime : prendre leur part de la croissance mondiale. Cela doit se dérouler dans un cadre loyal. Nous devons aussi nous occuper de nos salariés. Mais il serait absurde de dénier à ces pays le droit de se développer.

M. Michel Piron. Exact !

M. Dominique Strauss-Kahn. La plus grande part des délocalisations se fait vers des pays de l'OCDE. Les éléments de concurrence déloyale posent des problèmes. M. Sarkozy,j'en suis certain, connaît cela par cœur : les docks de Dublin, le régime des plus-values aux Pays-Bas ou le régime des « impatriés » au Royaume-Uni, par exemple.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. On a dit la même chose de la Pologne !

M. Dominique Strauss-Kahn. Il faut donc avancer vers une harmonisation de la fiscalité entre les pays riches pour la part la plus importante de ces délocalisations. Mais, pour pousser nos voisins à l'harmonisation, il faut avoir un certain leadership. Et nous ne l'avons plus. Car lorsqu'on est les moins bons élèves de la classe européenne, on éprouve quelques difficultés à les entraîner dans son sillage.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est techniquement faux !

M. Dominique Strauss-Kahn. Une deuxième partie des délocalisations va vers les pays lointains : la Chine, l'Inde et d'autres encore ! Les mesures fiscales que nous pourrions prendre sont dérisoires, quand la différence du coût du travail est de un à dix, voire de un à vingt. Ce n'est évidemment pas parce que l'on change de quelques points l'impôt que les choses évolueront. Il faut donc que notre territoire, qui est plus cher, fournisse plus de services et soit plus attractif.

Je me souviens de l'inauguration d'une usine représentant un investissement américain de plusieurs milliards de dollars. À ma question : « Pourquoi avez-vous choisi d'investir en France ? Vous hésitiez entre la Pologne et notre pays », le directeur américain répondit : « Je ne suis pas venu chez vous parce que vos impôts sont moins élevés,... » - je le savais - «...ni parce que votre bureaucratie est moins prenante » - je le savais aussi. Il m'a répondu : « Je suis venu, malgré tout cela, parce que vos services publics sont meilleurs, parce que les gens sont mieux formés, parce qu'ils seront plus capables ensuite de suivre les futurs programmes de formation. Mes cadres préfèrent venir en France car le ramassage scolaire, par exemple, est mieux assuré qu'ailleurs. »

Le directeur américain voulait dire, en un mot, qu'il venait investir chez nous parce que les services publics étaient à la disposition de la croissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Brard. Il faut être fier d'être Français !

M. Dominique Strauss-Kahn. Il ne s'agit pas de baisser l'impôt pour concurrencer les implantations en Chine, en Inde ou ailleurs. Mais nous devons faire en sorte que l'impôt soit utilisé pour le service public, au service du public et, par là même, au service des entreprises.

Restent les délocalisations vers les États nouvellement entrés dans l'Union.

M. Jean-Pierre Brard. Ceux qui achètent des avions américains !

M. Dominique Strauss-Kahn. Il ne s'agit que d'une petite partie des délocalisations.

J'ai bien écouté, monsieur le ministre d'État, la proposition que vous avez faite mardi à propos des fonds structurels. Elle relève, je crois, d'un sophisme : « S'ils ont assez d'argent pour baisser leurs impôts, nous n'avons pas besoin de leur en donner autant. » Je caricature un peu.

M. Jean-Pierre Brard. Exactement ! Descartes en aurait dit autant !

M. Dominique Strauss-Kahn. La stratégie de développement seule compte.

Voulons-nous, oui ou non, que ces pays se développent ? La réponse est oui. Nous le voulons pour des raisons démocratiques, car nous savons que la croissance économique garantit la démocratie. Comme cela fut le cas en Espagne, au Portugal ou en Grèce après les dictatures. La stabilisation de la démocratie passe par le développement économique des pays entrés dans l'Union après la chute du mur de Berlin. Ils en ont besoin. C'est notre devoir. Nous en avons besoin aussi.

Nous voulons également qu'ils se développent pour des raisons purement économiques, car ce sont des marchés potentiels. L'exemple de l'Espagne est probant. Souvenez-vous de tout ce que nous avons entendu lorsque l'Espagne est entrée dans l'Union européenne ! Ceux qui se plaignent aujourd'hui de l'entrée de la Pologne, de la Tchéquie, de la Hongrie disaient aussi que l'entrée de l'Espagne serait une catastrophe. Or cela a été une richesse pour l'Union. La croissance espagnole soutient aujourd'hui la croissance européenne. Dans ces conditions, nous voulons que ces pays se développent.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Ce n'est pas faux !

M. Dominique Strauss-Kahn. Le problème n'est pas de « punir » ces pays en leur donnant moins de fonds structurels s'ils baissent leurs impôts.

Si nous voulons qu'ils se développent, tous les moyens sont bons, mais ceux-ci doivent être coordonnés. Il faut construire avec eux une stratégie de développement. Nous devons travailler ensemble, car leurs actions ne doivent pas entraîner des destructions en France.

Nous devons négocier. Il faut réguler ce capitalisme. C'est donc le contraire des menaces que j'ai entendues l'autre jour.

M. Richard Mallié. Vous dites tout et son contraire !

M. Dominique Strauss-Kahn. Il y a même un paradoxe : plus ces pays baissent leurs impôts pour attirer les investissements - cela ne me semble pas très efficace, mais ils le croient -, plus ils accomplissent une partie du chemin, et moins nous aurons besoin de leur donner de l'argent. Ils auront, en effet, fait une partie du chemin du développement en attirant des investissements par un autre canal.

On ne doit pas les critiquer de procéder de la sorte. Il faut examiner, avec eux, le plan qui présidera à leur développement.

L'Union européenne, ce n'est pas la guerre avec les États membres et la menace brandie contre les autres. C'est la coopération, c'est l'union. Si je me laissais un peu aller, je dirais que puisque c'est la négociation, l'Union européenne c'est beaucoup la social-démocratie, mais cela nous entraînerait vers un autre sujet.

M. Jean-Pierre Brard. C'est un sujet glissant !

M. Dominique Strauss-Kahn. Sans doute n'est-il pas illégitime que ces pays se développent, et nous devons les y aider. Mais, en cas de délocalisations, nous devons nous préoccuper des salariés, car ces délocalisations posent localement de très nombreux problèmes. Une intervention publique est alors nécessaire.

Je ne prolongerai pas mon propos au-delà du temps qui m'est imparti et je ne détaillerai pas mes propositions. D'autant qu'elles figurent dans un texte que j'ai rédigé...

M. Jean-Pierre Brard. Chez quel éditeur ?

M. Dominique Strauss-Kahn. À la Fondation Jean-Jaurès. Je sais que vous lisez régulièrement les textes publiés par celle-ci. Je suis donc sûr que cet ouvrage ne vous aura pas échappé. Je peux cependant vous l'envoyer broché, sur papier vélin, si vous le souhaitez.

M. Jean-Pierre Brard. Et dédicacé !

M. Dominique Strauss-Kahn. Bien sûr !

Il est clair que nous devons nous occuper des salariés et que la puissance publique doit intervenir. Le marché ne peut pas suffire.

Nous devons intervenir pour réinvestir sur place, pour aider les entreprises, lorsqu'elles ne sont pas encore parties, et surtout en direction des salariés. On retrouve l'idée de la sécurisation des parcours professionnels.

Il est nécessaire de mettre en place un instrument nouveau, comme a été créée, au lendemain de la guerre, la sécurité sociale pour le risque maladie, comme a été instaurée l'assurance vieillesse pour lutter contre l'absence de ressources des personnes âgées.

Les salariés courent aujourd'hui de nouveaux risques : la mutation industrielle et la mondialisation. Il n'est pas juste que les victimes se trouvent dans une entreprise ou un secteur voués à la disparition. Ce risque doit être réparti sur l'ensemble de la collectivité.

La mutualisation des conséquences de la mutation économique doit être mise en œuvre. Certains la nomment la « sécurité sociale professionnelle »,  d'autres : la « sécurisation des parcours professionnels ». Quelle que soit l'expression utilisée, il est de notre devoir de mettre en œuvre cette nouvelle branche de la protection collective. Cette action sera efficace.

Je conclus.

Vous l'avez compris, mes chers collègues : pour moi, ce budget n'est pas celui dont notre pays a besoin. C'est, au mieux, celui de l'habileté. Je n'y trouve ni diagnostic satisfaisant, allant suffisamment au fond dans l'analyse de la grave situation que connaît notre pays, ni politique cohérente.

Vous avez bâti, monsieur le ministre d'État, ce que Pierre Mendès France appelait un « budget Potemkine ». Je vous rassure, il ne parlait pas du cuirassé, ce qui vous aurait plutôt fait plaisir, mais de ces villages agricoles qui n'étaient que des vitrines factices et où l'on promenait les visiteurs pour leur montrer comme tout allait bien.

Malheureusement, les budgets Potemkine sont des pièges, autant pour les victimes, autrement dit les Français, que pour ceux qui en sont les auteurs : en dissimulant à l'opinion la connaissance de la situation véritable, c'est aussi à vous-mêmes que vous la dérobez. La politique que vous menez aujourd'hui, je crains fort que vous ne la regrettiez demain. Après avoir raclé tous les fonds de tiroir, usé de tous les expédients, vous vous retrouverez sans marge de manœuvre face à des revendications que vous aurez vous-mêmes inspirées et face à des attentes que vous serez obligés de décevoir après les avoir suscitées. Ce jour-là, vous paierez le prix de vos escamotages.

M. Didier Migaud. Eh oui !

M. Dominique Strauss-Kahn. Ce jour-là, certains parmi vous se retourneront contre l'actuel ministre des finances. Vous l'accablerez pour la politique que vous vous apprêtez à applaudir aujourd'hui. Ne vous récriez pas : vous l'avez déjà fait en 1995 lorsque, après avoir applaudi M. Sarkozy pendant deux ans, vous avez soudainement approuvé Alain Juppé qui trouvait la politique financière d'Édouard Balladur pour le moins désinvolte.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je croyais que l'on ne devait pas parler d'héritage !

M. Dominique Strauss-Kahn. Ce n'est pas l'héritage, c'est l'histoire !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ah bon ?

M. Richard Mallié. Quand c'est nous qui en parlons, c'est l'héritage, mais quand c'est lui, c'est l'histoire !

M. Dominique Strauss-Kahn. Ce budget est le même que celui de 1994.

M. Guy Geoffroy. Cela n'a rien à voir !

M. Dominique Strauss-Kahn. Même espoir de retournement conjoncturel, même optimisme dans les prévisions de recettes, même dissimulation dans les prévisions de dépenses, même satisfaction dans les principes affichés. Le résultat en 1994, ce fut 6 % de déficit public et l'explosion de la dette. À ce petit jeu, vous n'aurez pas été les premiers. C'est toute l'histoire de nos difficultés financières. C'est le prix de la complaisance et de la facilité.

Ce texte qui refuse de faire des choix - ou plutôt, dont les seuls choix sont ceux qu'il dissimule -, qui ne fait pas face aux défis de la croissance, de l'emploi, de la lutte contre les inégalités, fait sienne cette maxime de la IVe République selon laquelle « il n'y pas de problème qu'une absence de décision ne puisse résoudre ». Ce budget injuste et inefficace est aussi un budget irresponsable, et c'est pourquoi il faut le renvoyer en commission.

Je lis dans les gazettes qu'il pourrait bientôt y avoir un remaniement ministériel. Il paraîtrait, monsieur le ministre d'État, mais je ne sais si c'est vrai, que vous pourriez aller occuper d'autres fonctions à la tête du parti majoritaire. Dans ces conditions, nous aurions trois semaines pour aller en commission, travailler sur un nouveau budget qui prenne en compte les difficultés du pays. (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ces trois semaines suffiraient à réunir un budget et un nouveau ministre, un projet et un auteur, une promesse et quelqu'un qui sera censé être là pour la tenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Strauss-Kahn, je vous demande d'abord de bien vouloir pardonner mon retard : le conseil ECOFIN et la réunion de l'Eurogroupe m'ont obligé à rentrer très tardivement hier soir. Je profite de l'occasion pour prier les orateurs des divers groupes de m'excuser de n'avoir pu les écouter hier, même si le secrétaire d'État Dominique Bussereau a fort bien représenté le Gouvernement sur son banc. N'y voyez aucune marque de mépris ou d'arrogance de ma part, mais seulement, hélas ! l'extrême difficulté à concilier l'inconciliable.

Je ne veux pas polémiquer, monsieur Strauss-Kahn ; mais si je ne vous répondais pas, je sais que vous en seriez déçu. Vous vous êtes donné beaucoup de mal pour préparer ce petit discours (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.)...

M. Jean-Pierre Brard. Pas arrogant, seulement comme d'habitude !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...et je vous connais : les maigres applaudissements de vos amis ne vous suffiraient pas. Il faut que j'y aille de mon petit compliment ! Sinon, tout ça pour ça, me diriez-vous, et ce serait trop peu !

Pour commencer, nous avons des points d'accords.

Il ne faut pas trop parler d'héritage, et vous avez raison. Les Français qui nous ont élus nous demandent de travailler pour l'avenir, pas pour le passé. Je ne vous chercherai donc pas querelle sur l'héritage. Convenez simplement que, lorsque vous étiez ministre des finances, vous avez comme les autres, vous avez présenté un budget en grave déficit. Je ne vous en fais pas le reproche : je me borne à le constater. Ne venez pas trop faire le vertueux aujourd'hui : vous aviez constaté, lorsque vous fûtes ministre des finances, que la France dépensait grosso modo 20 % de plus qu'elle n'avait de recettes. Vous ne l'avez pas rappelé, je le regrette. Je ne vous le sers pas méchamment : j'aurais fait la même chose avec un autre que vous. Cela signifie tout simplement que, à gauche comme à droite, nous avons une responsabilité commune dans l'inflation des dépenses de la France. Dire cela, ce n'est pas chercher querelle sur l'héritage, c'est dire une vérité.

Cela dit, je m'étonne qu'un homme de votre compétence ait pu commettre quelques erreurs techniques à mes yeux préoccupantes.

« Nous sommes les mauvais élèves de la classe européenne », avez-vous dit. Je ne caricature rien : c'est l'expression que vous avez utilisée. Il se trouve que j'étais hier en compagnie de quelqu'un que vous connaissez, M. Almunia, actuel commissaire européen au budget, ancien secrétaire général du parti socialiste espagnol - le prédécesseur de M. Zapatero. « Je reconnais bien volontiers que, malgré les doutes que l'on pouvait avoir, la France est au rendez-vous des promesses qu'elle avait faites sur le déficit, a-t-il déclaré : 3,6 % en 2004 »...

M. Jean-Louis Dumont. Au prix de quelles manipulations !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vous donne des faits. Ne protestez pas dès que cela fait mal, sinon vous allez protester beaucoup. Ce sont les chiffres de la Commission ; ils ne devraient pas être sujets à polémique.

« 3,6 % en 2004, ajoutait M. Almunia, et moins de 3 % pour 2005. »

Ensuite, le vice-président grec de la Banque centrale européenne a pris la parole...

M. Jean-Louis Dumont. Un expert !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je ne le cite pas parce qu'il est grec, mais parce qu'il est vice-président de la Banque et qu'il nous a présenté à ce titre l'analyse de la BCE : « La France sera au rendez-vous. » Voilà ce qu'il a dit, voilà pour les faits.

Mieux : ils ont aussi parlé de l'Allemagne, dirigée par vos amis socialistes. Pour ces deux institutions, l'Allemagne, pour des raisons qui tiennent à sa croissance, ne sera malheureusement pas au rendez-vous. L'Italie non plus. Les Pays-Bas non plus. Comment un homme aussi compétent et brillant que vous peut-il affaiblir la force de son discours en commettant de telles erreurs techniques ? Je suis certain que cela vous dissuadera de recommencer.

M. Dominique Strauss-Kahn. Cela n'a rien de technique !

M. Marc Laffineur. C'est pire alors !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Autre élément, qui ne manque pas de sel, car cela pourrait être un point d'accord.

« Il faut discuter, faire des compromis », avez-vous expliqué. Quand on voit l'état du parti socialiste, dont une moitié veut dire non à l'Europe, le conseil d'un grand leader socialiste sur la meilleure façon de se faire comprendre en Europe prêterait à sourire si la situation n'était aussi dramatique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) On a beau essayer d'être gentil, de comprendre que les autres ne partagent pas forcément votre idée, mais on s'étonne qu'un des dirigeants emblématique du parti socialiste vienne expliquer au Gouvernement comment il faut négocier en Europe quand on sait à quel point son parti est divisé sur cette question, quand on sait l'invraisemblable responsabilité que prend M. Fabius d'isoler la France en appelant à voter « non »...

M. Didier Migaud. Mais non !

M. Jean-Jacques Descamps. Migaud aussi !

M. Philippe Auberger. Et d'autres !

M. Jérôme Lambert. Mais non ! Vous déformez tout !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais il y a mieux.

Nous avons parlé hier - ce qui explique que la réunion de l'Eurogroupe ait duré si tard - de la fiscalité pétrolière. Savez-vous ce qui a rendu le débat si difficile ? Les socialistes allemands et les socialistes espagnols m'ont reproché de faire comme M. Fabius,...

M. Jean-Marie Le Guen. Absence de coordination...

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...autrement dit de prendre le risque de casser l'Europe en parlant de la fiscalité européenne - ce que M. Fabius avait fait sans pour autant décider quoi que ce soit.

M. Didier Migaud. Caricatural !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. « Il ne faut pas toucher à la fiscalité pétrolière », ont dit les socialistes espagnols et les socialistes allemands...

M. Michel Bouvard. Cochet disait pareil, d'ailleurs !

M. Jean-Marie Le Guen. Ce n'est pas ce qu'ils ont dit !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous n'assistiez pas à la réunion, monsieur Le Guen !

...alors même que les socialistes français veulent baisser la fiscalité sur le pétrole !

Voilà très exactement ce que j'ai vécu hier : vos amis socialistes en Europe sont en totale opposition avec ce que vous proposez. Et c'est M. Strauss-Kahn qui me conseille de faire des compromis et de coordonner nos politiques !

M. Patrick Bloche. On vous a connu meilleur !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Pour ce qui touche à la réforme de l'État, il y avait un grand absent dans votre discours, monsieur Strauss-Kahn : à aucun moment vous n'abordez le sujet de la dépense publique. Ce n'est pourtant pas une question de gauche ou de droite ; c'est simplement le constat que la dépense publique fait peser un poids considérable sur la France et son économie. Vous n'en avez dit mot.

M. Jean-Marie Le Guen. Si, mais vous n'avez pas écouté !

M. Philippe Auberger. Ils ne savent que distribuer !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Du reste, cela ne m'étonne pas : il n'est qu'à voir ce qui s'est passé avec la vignette. C'est vous qui aviez proposé, il fut un temps, de la supprimer. Et vous aviez raison. Mais vous avez gardé en l'état le service qui la gérait ! Des centaines de fonctionnaires qui n'avaient plus d'utilité !

M. Philippe Auberger. Eh oui ! 1 200 personnes !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Si c'est cela, votre réforme de l'État !

M. Jean-Marie Le Guen. Et vous, qu'allez-vous faire avec la redevance télé ?

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Sur la redevance, je vais faire exactement le contraire. Nous avons reçu, avec M. Bussereau, l'ensemble des syndicats. Tous les fonctionnaires de la redevance se verront affectés à d'autres tâches. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Vous aviez supprimé la vignette et conservé le service ; nous, nous changeons la redevance, mais en réaffectant les fonctionnaires à d'autres missions. C'est cela, me semble-t-il, la véritable réforme de l'État.

Vous avez parlé du pouvoir d'achat. Autre erreur technique ! « Les salariés les plus modestes sont brimés », avez-vous déclaré. J'ai les chiffres et nous pourrons les confronter aux vôtres : depuis 2002, en intégrant la prime pour l'emploi, le salarié au SMIC moyen se retrouve avec 1 300 euros de pouvoir d'achat en plus chaque année. Comparez avec ce que vous avez fait, monsieur Strauss-Kahn : vous verrez que nous n'avons pas à en rougir - ou plutôt que vous, vous n'avez pas de leçon à donner !

S'agissant du déficit, ne nous lançons pas de chiffres à la tête, avez-vous dit. J'ai repris ceux de 2000 : vous l'aviez réduit de 3,5 milliards, mais avec 27 milliards de recettes supplémentaires.

M. Dominique Strauss-Kahn. Parlez-nous de 1995 !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Pour 2005, je vous propose 10 milliards de déficit en moins pour 17 milliards de recettes fiscales en plus !

M. Guy Geoffroy. On voit la différence !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Dix milliards, c'est plus que trois et demi... Ce simple chiffre aurait dû nous permettre de vider la querelle entre nous !

La soulte enfin. « M. Strauss-Kahn, me disais-je, je le connais et je l'apprécie. Il va faire attention, il n'osera pas parler d'EDF... » Eh bien non ! Lorsque j'ai présenté la réforme d'EDF, vous avez dit le contraire de ce que vous avez écrit dans vos livres, vous vous êtes renié de la façon la plus invraisemblable qui soit !

M. Michel Bouvard. C'est sûr !

M. Philippe Auberger. Les écrits parlent, même si les paroles s'envolent !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous n'étiez pas le seul : M. Fabius n'a pas fait mieux ! Lorsque vous étiez en situation de responsabilité, vous aviez fait preuve de courage et je veux vous en rendre hommage. Vous aviez prévenu vos camarades : attention, on ne peut pas garder cette entreprise avec la même structure, car elle évolue désormais dans un contexte concurrentiel. Mais dès qu'il m'est revenu de mettre en œuvre la réforme, le courage a disparu, car il ne s'agissait plus de convaincre vos amis, mais de convaincre les Français ! Tout le monde, jusqu'aux syndicalistes, a été stupéfait de vous entendre dire le contraire de ce que vous aviez écrit ! Mieux vaut que vous restiez discret sur la soulte...

Mais après tout, que nous reproche-t-on ? Où est le problème ?

M. Jean-Marie Le Guen. Le problème, c'est que vous piquez l'argent des retraites !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. EDF est devenu une société anonyme. EDF portait et finançait les retraites de ses agents. Désormais, c'est la Caisse qui les financera. Logiquement, nous affectons la soulte d'EDF au financement des retraites. Que vouliez-vous que nous fassions d'autre ? Où est le scandale ? Où est le problème ?

M. Jean-Marie Le Guen. Au passage, il manque 2 milliards d'euros !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il n'y a aucun problème car nous ne faisons pas ce que vous, vous aviez fait à l'époque : financer des dépenses habituelles avec de l'argent one shot. Nous faisons exactement le contraire. Quelle est la difficulté ? En quoi cette soulte devrait-elle être un drame ? La Commission elle-même a bien voulu considérer qu'elle venait en réduction des déficits.

Nous aurons d'autres débats sur le sujet, monsieur Strauss-Kahn. Bon nombre de vos réflexions m'ont intéressé, notamment sur les délocalisations. Ce que vous avez déclaré à cet égard en Pologne m'a semblé courageux et utile ; cela rejoignait du reste, en partie, ce que M. Migaud remarquait avec une grande justesse. Pour tout dire, je me sens beaucoup plus proche de votre analyse que de celle - qu'il me pardonne - de M. Besson !

M. Éric Besson. Cela faisait longtemps !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Que voulez-vous, chacun a le droit d'avoir ses préférés... (Rires.) Vous au moins, monsieur Strauss-Kahn, vous reconnaissez que les délocalisations posaient une question difficile ! Pour ma part, j'ai proposé une règle - il peut y en avoir d'autres et débattons-en.

Qu'est-ce qu'une concurrence loyale ? Il est plus facile d'en parler que de trouver une réponse juste, vous-même l'avez reconnu avec beaucoup de modération.

Enfin, permettez-moi un petit plaisir. Franchement, je ne m'attendais pas à vous entendre vous demander à la tribune de l'Assemblée nationale, avec toute l'autorité qu'on vous reconnaît - ce n'est pas rien - : « Y a-t-il un effet Sarkozy ? » Le seul fait que vous posiez la question, c'est pour moi l'amorce d'une réponse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. La motion de renvoi en commission ne répond pas aux deux questions fondamentales posées par M. Strauss-Kahn : la France prend du retard et vous ne transformez pas la croissance en emplois.

Ces questions se posent à tous les partis. En effet, depuis vingt ans, nous avons pris du retard en pouvoir d'achat, en emplois et pour ce qui est de la richesse de nos régions par rapport aux autres régions européennes. Tous les partis ont leur part de responsabilité - et je souhaiterais que les arbitrages se fassent à l'intérieur des partis plutôt qu'en commission -, et chacun devrait y réfléchir, d'autant plus que la croissance française est cette année plus importante que la croissance moyenne des pays européens.

Au reproche que vous nous adressez de ne pas transformer la croissance en emplois, je répondrai que vous oubliez un peu vite les 17 milliards consacrés à l'allégement des charges sociales,...

M. Michel Bouvard. Absolument !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. ... dont je rappelle qu'il est le moyen le plus efficace pour créer de l'emploi.

M. Jean-Marie Le Guen. La preuve ! ...

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. En deux ans, cher collègue, nous sommes passés de 13 milliards à 17 milliards d'allégement de cotisations sociales !

Par ailleurs, permettez-moi de relever deux petites erreurs. S'agissant des personnes handicapées, je vous rappelle que 250 millions supplémentaires ont été mobilisés en leur faveur.

M. Dominique Strauss-Kahn. Je parlais de l'insertion des travailleurs handicapés ! Vous n'avez pas écouté !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. La politique en faveur des personnes handicapées est, monsieur Strauss-Kahn, en augmentation de 250 millions d'euros !

M. Jean-Marie Le Guen. Il n'y a qu'à voir ce qui se passe au Sénat.

M. Philippe Auberger. Vous n'avez pas voté le texte.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Vous prétendez aussi que nous avons consacré trop de temps au débat sur l'ISF en commission.

Je puis vous assurer que les débats à ce sujet n'ont pas excédé 10 % du temps de travail global !

M. Jean-Marie Le Guen. 20 % des amendements de l'UMP y sont consacrés !

M. Jean-Jacques Descamps. Et alors ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Il faut démythifier ce débat. À cet égard, permettez-moi de vous rappeler les conclusions d'un de mes prédécesseurs, M. Richard, qui, en 1989, estimait qu'il était vital de ramener le plafonnement global à 70 % ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yves Jego. Les écrits restent !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Ce sont les conclusions du rapport de 1989, chers collègues. Et nous aurons l'occasion d'y revenir. Mais, de grâce, ne faisons pas de cette controverse, l'alpha et l'oméga du présent débat budgétaire.

Pour l'ensemble de ces raisons, le renvoi en commission ne me paraît pas opportun. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Dans les explication de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Michel Bouvard, pour le groupe UMP.

M. Michel Bouvard. Les motions de procédure sont souvent détournées de leur objet par les groupes de l'opposition - c'est presque la loi du genre - et servent davantage à exposer leurs arguments politiques.

Nous avons écouté M. Dominique Strauss-Kahn avec beaucoup d'intérêt, d'autant que nous ne l'avions pas entendu à cette tribune depuis longtemps. Il a fait remarquer que lorsqu'un ministre était trop populaire, on attendait de lui des miracles ! Sans doute parle-t-il d'expérience, et la majorité qui le soutenait à l'époque attendait-elle de lui qu'il trouve les moyens de financer durablement les 35 heures sans perte de pouvoir d'achat pour les bas salaires, alors que, dans le même temps, on supprimait les heures supplémentaires, ou de maîtriser la dépense tout en cédant à l'inflation des créations de dizaines de milliers d'emplois publics, dont le coût et la charge ont été dénoncés à plusieurs reprises par la Cour des comptes.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ce budget prévoit - et c'est tout à l'honneur de la majorité et du Gouvernement - le relèvement de 4 % de la prime pour l'emploi et une hausse de 5 % du SMIC pour un million de nos concitoyens.

Vous avez, monsieur Strauss-Kahn, dénoncé l'absence de défi ou de grand dessein dans ce budget. Pour nous, le défi est clair. Il s'agit de réduire le déficit et de mettre un terme à la spirale de l'endettement. Quand l'annuité de la dette - 15 % - dépasse le budget consacré à l'emploi, il y a un véritable problème. Il faut réduire l'endettement car la dette mange les investissements. S'il faut, aujourd'hui, ralentir les trains sur certaines voies, c'est parce que, pendant des décennies, les budgets d'investissement civil n'ont pas augmenté et parce que le patrimoine de l'État s'est dégradé.

M. Didier Migaud. Vous contribuez à aggraver la situation.

M. Michel Bouvard. Quant à notre prétendue absence de dessein, notre volonté, là aussi, est simple : après avoir restauré les finances publiques, réussir la réforme de l'État, sans renoncer aux priorités du Gouvernement.

Je ne prendrai qu'un exemple, pour respecter mon temps de parole, celui de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur lequel vous avez insisté. Vous aviez raison, car il s'agit d'une véritable priorité pour le pays si nous voulons créer de l'emploi, demain, et si nous voulons maintenir un bon niveau de formation.

Les dépenses en matière d'enseignement supérieur et de recherche sont inférieures à celles de nos voisins, alors que, dans le second cycle, où vous nous reprochez de réduire les emplois, elles sont nettement supérieures.

M. Jean-Marie Le Guen. Vous voulez déshabiller Pierre pour habiller Paul alors ?

M. Michel Bouvard. Si nous ne redéployons pas les moyens, si nous augmentons les dépenses dans tous les secteurs, sans fixer de priorités, nous passerons à côté de la réforme de l'État. Comment ferons-nous face aux défis qui nous attendent si nous ne touchons pas à la carte universitaire ? Sous la législature précédente, on a multiplié les promesses de création de départements de recherche, d'IUT dans toutes les sous-préfectures...

M. Jean-Marie Le Guen. Le problème, ce ne sont pas les IUT.

M. Michel Bouvard. Comment, sans redéploiements, ferons-nous pour doter les grandes universités de pôles de recherche suffisamment attractifs au plan européen, créer des emplois, déposer des brevets ?

Le défi à relever est bien la réforme de l'État !

M. Jean-Marie Le Guen. Vous ne l'avez pas entreprise.

M. Michel Bouvard. Or vous ne l'avez que peu évoquée dans votre intervention, monsieur Strauss-Kahn.

Nous voulons la réforme de l'État et le projet de budget nous donne les moyens de la mener à bien. Il n'est donc que temps de passer à son examen et de rejeter la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Sandrier, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jean-Claude Sandrier. Nous avons toutes les raisons de voter cette motion de renvoi en commission, les mêmes du reste que celles qui nous ont conduits à voter la question préalable, car ce projet de budget n'est pas conforme aux objectifs affichés.

On nous parle de croissance, mais pour qui et pourquoi ? La vérité c'est que, comme aux États-unis, la croissance ne profite pas à l'emploi, mais aux actionnaires ; les entreprises dégagent des marges supplémentaires pour les entreprises, ce qui permet de distribuer des dividendes.

Quant au déficit, le Gouvernement se livre à une véritable mystification, en ne disant rien des recettes supplémentaires. Il ne montre que la partie visible de l'iceberg, en oubliant la partie immergée.

En outre, ce budget ne répond pas aux attentes des Français, en matière d'emploi, de pouvoir d'achat et de justice.

Vous mettez en oeuvre votre dogme selon lequel enrichir les riches les incitera à créer des emplois. Or chacun sait que cela n'a jamais marché.

Les Français constatent que leur pouvoir d'achat a baissé et qu'il baissera encore en raison des hausses de prix, de taxes, de prélèvements sociaux. Ou, tout au moins, il stagnera.

Quant à la justice sociale, elle est contredite par votre politique d'injustices fiscales. Le résultat est là : ce qui, en deux ans et demi, a augmenté, ce n'est pas le pouvoir d'achat, mais le chômage, la précarité, les inégalités, le nombre de RMIstes et de surendettés, mais aussi la part des dividendes servie aux actionnaires dans la valeur ajoutée.

Ce budget est dangereux socialement et politiquement. C'est la raison pour laquelle nous voterons la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Migaud, pour le groupe socialiste.

M. Didier Migaud. L'intervention de Dominique Strauss-Kahn n'était pas simplement « intéressante ». Je note qu'elle a fait mouche. J'en veux pour preuve que vous avez, monsieur le ministre d'État, préféré la polémique à la réponse aux questions de fond qui vous avaient été posées.

M. Jean-Pierre Brard. Comme d'habitude !

M. Didier Migaud. Nous sommes convaincus, les uns et les autres, que plus le temps passe, plus le bilan du gouvernement précédent se trouve rehaussé au regard de vos propres résultats.

M. Hervé Mariton. C'est la méthode Coué !

M. Didier Migaud. Non, c'est une analyse objective. (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il suffit de comparer 1999, année où Dominique Strauss-Kahn était ministre de l'économie et des finances, et 2004, où vous avez, monsieur le ministre d'État, la responsabilité de nos finances.

Tous les indicateurs étaient mieux orientés. L'année 1999 a été beaucoup plus positive que l'année 2004.

M. Franck Gilard. Le contexte n'était pas le même !

M. Didier Migaud. Alors, monsieur le ministre d'État, je vous retourne le compliment que vous avez adressé à Dominique Strauss-Kahn : comment quelqu'un d'aussi compétent et d'aussi brillant que vous peut-il proférer autant de contrevérités ?

Comment, monsieur le ministre, d'État, quelqu'un d'aussi compétent et d'aussi brillant que vous, ...

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'aime à entendre cela ! (Sourires.)

M. Richard Mallié. Flagorneur !

M. Didier Migaud. ...peut-il oublier que, malgré une croissance retrouvée, il n'y ait aucun impact sur l'emploi et le pouvoir d'achat de nos concitoyens ?

Comment expliquer que le déficit reste au niveau de 3,6 % du PIB ? Ce sont des questions que M. Strauss-Kahn vous a posées, mais vous n'y avez pas répondu.

Vous aviez commandé un audit sur le bilan du gouvernement Jospin ; celui-ci a attesté que nous avions laissé le déficit à 2,6 %. Vous l'avez porté à 4,1. Et, aujourd'hui, nous sommes à 3,6.

M. Franck Gilard. Que faites-vous du niveau de la croissance ?

M. Didier Migaud. Vous nous dites qu'en 2005, vous serez à 2,9, mais sans dire que c'est grâce à une recette tout à fait exceptionnelle qui correspond à 0,4 % de PIB. En fait, vous êtes à 3,6 %, car il s'agit d'une recette exceptionnelle. Si, en affichage, vous montrez que nous pouvons être en dessous des 3 %, en réalité, nous ne le sommes pas.

M. Augustin Bonrepaux. Eh non !

M. Didier Migaud. Comment expliquez-vous que nous soyons passés d'un déficit de 2,6 à 4,1 ? Jamais vous ne répondez à cette question.

On voit bien la fragilité de la croissance, ...

M. Franck Gilard et M. Jean-Yves Besselat. Mais oui !

M. Didier Migaud. ...les chiffres de la consommation le démontrent une nouvelle fois. Pour le mois de septembre, la consommation a baissé de 0,6 % et dans le commerce, nous en sommes à une baisse de 1,6. Cela montre bien à quel point la croissance est fragile. Les résultats en matière d'emploi et de soutien du pouvoir d'achat ne correspondent pas à la présentation que vous en avez faite, d'autant que l'inflation n'est pas du tout maîtrisée.

Votre budget est dangereux en ce qu'il tend à renforcer - et même à organiser - les inégalités. Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours du débat.

Vous dites ne pas vouloir parler de l'ISF, monsieur le président de la commission des finances. Soit, mais alors, pourquoi présenter autant d'amendements à ce sujet ? Pourquoi y consacrer autant de temps ? C'est bien parce que vous avez des idées derrière la tête. Peut-être allez-vous reculer sur quelques points ? La discussion budgétaire n'est pas la plus discrète qui soit au regard de l'opinion publique. Mieux vaut légiférer en catimini et remettre en cause l'impôt de solidarité sur la fortune - conformément à votre souhait - à l'occasion de débats moins médiatiques ! Quel manque de courage politique !

M. Philippe Auberger. On n'a pas de leçons à recevoir !

M. Didier Migaud. Vous parlez beaucoup de réforme de l'État, ...

M. Marc Laffineur. Respectez votre temps de parole. Les cinq minutes sont écoulées !

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Migaud.

M. Augustin Bonrepaux. Madame la présidente...

Mme la présidente. Tous les orateurs ont respecté leur temps de parole, monsieur Bonrepaux.

M. Didier Migaud. Je conclus, madame la présidente.

Vous parlez enfin beaucoup de la réforme de l'État, mais dans votre esprit, réformer l'État, c'est l'affaiblir en remettant en cause toutes les politiques publiques. Nous sommes, nous, favorables à la réforme de l'État afin qu'il soit plus efficace. J'ai beaucoup apprécié le travail d'Alain Lambert au niveau du Sénat, et je le dis à chaque fois que cela est nécessaire, mais c'est nous qui avons pris l'initiative de doter l'État d'un outil performant. Car la question qui est posée, ce n'est pas de réduire à tout prix la dépense publique,...

M. Michel Bouvard. Mais il faut aussi la réduire pour payer la dette !

M. Didier Migaud. ...c'est de faire en sorte que l'État soit efficace.

Voilà autant de questions qui ont été posées par Dominique Strauss-Kahn et auxquelles il n'a pas été répondu.

C'est la raison pour laquelle nous voterons pour le renvoi en commission, afin de débattre de tous ces sujets. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)

Rappels au règlement

M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Brard. Madame la présidente, ce rappel au règlement concerne le déroulement de nos débats et se fonde sur l'article 58, alinéa 2, du règlement, que je respecterai scrupuleusement.

Je profite de la présence de M. le ministre d'État, absent hier pour des raisons tout à fait légitimes, pour revenir aux propos qu'il a tenus mardi soir. Dans la réponse qu'il m'a adressée à la suite de la question préalable que j'ai exposée, il m'a agressé, à défaut de formuler des arguments sur le fond. Il s'est fondé sur la citation que j'avais faite à la tribune des propos d'une haute fonctionnaire de l'administration des finances, interviewée dans Les Échos, pour m'accuser de mettre en cause les fonctionnaires dans leur ensemble. Or, bien évidemment, il ne s'agit pas pour moi d'attaquer les fonctionnaires ; c'est bien plutôt vous qui le faites en réduisant leurs effectifs. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mais je demande à M. le ministre d'État de prendre les mesures qui s'imposent quand un haut fonctionnaire manque ainsi à son devoir de réserve et fait de la propagande...

M. Yves Jego. Vous en êtes un grand spécialiste !

M. Jean-Pierre Brard. ...dans un organe de presse, pour soutenir son ministre.

Soutenir le ministre sous l'autorité de laquelle on est placé, c'est simplement faire son travail, ce n'est certainement pas prendre parti publiquement.

Par ailleurs, monsieur le ministre d'État, à plusieurs reprises, je vous ai posé une question sur des propos qui vous ont été prêtés. Pour l'instant, vous ne les avez ni infirmés, ni confirmés, ni expliqués. Vous m'avez promis de me répondre. Maintenant que vous êtes là, j'espère que vous voudrez bien tenir votre engagement.

M. Augustin Bonrepaux. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Mme la présidente. La parole est à M. Augustin Bonrepaux, pour un rappel au règlement.

M. Augustin Bonrepaux. Madame la présidente, la motion de renvoi en commission vient d'être rejetée. J'ai demandé ce matin des documents qui ne nous ont toujours pas été fournis et je souhaiterais que la commission, dont c'est le rôle, puisse les rassembler pour engager le débat. En attendant, je demande une suspension de séance d'un quart d'heure afin de réunir le groupe socialiste.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures vingt, est reprise à onze heures trente.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Rappel au règlement

M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Brard. M. le ministre d'État m'a promis une réponse. Je ne l'ai pas. Je demande donc une suspension de séance.

M. Marc Le Fur. Encore ?

M. Jean-Pierre Brard. Elle est de droit.

Mme la présidente. Monsieur Brard, le Gouvernement n'est pas obligé de répondre aux questions.

M. Jean-Pierre Brard. Mais je n'accepte pas qu'il ne réponde pas !

Mme la présidente. Je vais vous accorder une suspension de séance de cinq minutes.

M. Jean-Pierre Brard. Et j'en demanderai une autre, puis une autre encore, jusqu'à ce qu'il me réponde !

Mme la présidente. Non, monsieur Brard. À la reprise de la séance, nous passerons à l'examen des articles.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures trente-cinq, est reprise à onze heures quarante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Discussion des articles de la première partie

Mme la présidente. J'appelle maintenant, dans le texte du Gouvernement, les articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2005.

PREMIÈRE PARTIE

Article 1er

Mme la présidente. L'article 1er ne fait l'objet d'aucun amendement.

Je le mets aux voix.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2

Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l'article 2.

La parole est à M. Didier Migaud.

M. Didier Migaud. L'article 2 concerne le barème de l'impôt sur le revenu.

Le rapporteur général observe, dans son rapport, que le présent article marque une pause dans la politique de baisse des taux de l'impôt sur le revenu engagée depuis trois ans par le Gouvernement. Cela illustre bien la navigation à vue du Gouvernement en ce qui concerne la politique fiscale conduite depuis juin 2002.

Alors que la croissance était modérée les années précédentes, le Gouvernement et l'UMP ont considéré que des marges de manœuvre existaient pour baisser l'impôt sur le revenu. Alors qu'aujourd'hui la croissance est plus élevée, le Gouvernement estime qu'il n'a pas les marges de manœuvre nécessaires pour poursuivre la baisse de l'impôt sur le revenu. Nous ne nous en plaindrons pas car nous y étions défavorables. Toutefois, nous notons la contradiction. Nous souhaiterions savoir s'il s'agit d'une pause ou si cela reste un objectif pour les années qui viennent, compte tenu des engagements qui avaient été pris par le Président de la République au cours de sa campagne.

Selon un récent rapport du Conseil des impôts, la France est le pays où l'impôt sur le revenu acquitté est le moins élevé. Partagez-vous ce point de vue, messieurs les ministres ? Quelle est votre doctrine en matière fiscale ? Pourquoi poursuivez-vous, d'une certaine façon, la réduction de l'impôt sur le revenu en la ciblant encore davantage que les années précédentes sur quelques milliers de familles ? À cet égard, on aura l'occasion de revenir sur la mesure concernant l'emploi d'un salarié à domicile. Cette année, 30 000 familles au maximum bénéficieront d'une réduction importante de leur impôt sur le revenu. Pour eux, ce n'est pas une pause, mais bien une opportunité formidable, ce que l'on appelle un cadeau fiscal.

M. Philippe Auberger. Il n'a rien compris ! La mesure n'entrera en vigueur qu'en 2006.

M. Michel Bouvard. Elle n'est pas rétroactive !

M. Didier Migaud. J'aimerais entendre le ministre - nous ne l'avons toujours pas entendu - sur les observations faites par le Conseil des impôts en ce qui concerne le niveau de la fiscalité dans notre pays, et notamment sur l'impôt sur le revenu. Lorsque l'on s'intéresse à l'impôt réellement payé, et pas seulement aux taux qui sont affichés, on s'aperçoit que la France est l'un des pays, voire le pays, où l'impôt sur le revenu acquitté est parmi les moins élevés, que ce soit par rapport à l'Allemagne, aux États-Unis, au Royaume-Uni, à la Belgique ou aux Pays-Bas.

M. Philippe Auberger. Vous oubliez la CSG !

Mme la présidente. La parole est à M. Augustin Bonrepaux.

M. Augustin Bonrepaux. Le Gouvernement prétend réduire la pression fiscale, mais, en réalité, nous constatons une augmentation qui se traduit par un accroissement des inégalités.

La Tribune publie aujourd'hui une excellente analyse des pays de l'OCDE.

M. Philippe Auberger. On n'a pas besoin de lire la presse !

M. Augustin Bonrepaux. Cette étude montre, contrairement à vos affirmations, que les impôts ont augmenté en France depuis 2002 alors que les autres pays les réduisent. D'ailleurs, dans le rapport que vous nous présentez, il y a effectivement une augmentation. Seulement, comme les baisses sont toujours pour les mêmes - ISF, emplois à domicile -, les augmentations seront pour tous les autres. Comme les augmentations concernent la CSG, elles touchent tous les Français.

Vous poursuivez l'aggravation des inégalités par la baisse de l'impôt sur le revenu, celui qui est le plus juste, tandis que vous augmentez les impôts indirects.

Aujourd'hui, et c'est paradoxal, l'impôt sur le revenu rapporté au PIB est moins élevé en France qu'en Suisse ou au Danemark. En revanche, tous les autres impôts augmentent, notamment les impôts locaux. Certes, vous dites compenser les transferts à l'euro près, mais vos compensations sont statiques alors que les charges de personnels que vous transférez vont augmenter de 3,5 % par an.

Les faits sont en contradiction avec vos discours. À vous entendre, l'impôt doit être réparti entre tous les Français. Pourtant, vous augmentez tous les impôts indirects et transférez le plus de charges possible vers les collectivités locales en même temps que vers les impôts indirects, par exemple la TIPP.

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Pour les collectivités, c'est une ressource !

M. Augustin Bonrepaux. Mais les possibilités d'évolution sont extrêmement limitées.

Alors, certes, l'impôt sur le revenu diminue chaque année, mais, comme la pression fiscale augmente, cela signifie bien qu'il y a alourdissement des impôts indirects, qui sont les plus injustes, et des impôts locaux.

Nous ne pouvons pas accepter de telles orientations, tout particulièrement les cadeaux fiscaux excessifs, et même inacceptables dans la période difficile que connaît notre pays. Vous n'avez pas les moyens d'investir et vous ne vous privez pas de faire des cadeaux qui ne serviront à rien ! Vous prétextez agir pour l'emploi, mais vos cadeaux sont sans effet sur le chômage. Telle sera notre ligne de conduite au cours de la semaine.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Tout un chacun, dès lors qu'il est de gauche, adhère aux propos qui viennent d'être tenus.

Monsieur le ministre d'État, monsieur le secrétaire d'État, traditionnellement, l'article 2 du projet de loi de finances fixe le barème de l'impôt sur le revenu. Cette année, il est maintenu, au grand dam de la frange la plus libérale de votre majorité, mais n'oublions pas que les trois exercices précédents ont consacré une baisse de 10 % des taux. Cette décision sonne comme un vrai choix politique. Elle est la marque que le Gouvernement veut avant tout contenter les privilégiés.

En France, l'impôt sur le revenu a la particularité - peut-être faudrait-il maintenant utiliser l'imparfait - d'être progressif. Il a été conçu comme un instrument de réduction des inégalités, comme je l'ai rappelé avant-hier en citant Jean Jaurès. C'est pourquoi notre groupe préconise une structure fiscale axée sur l'accroissement de l'imposition directe, qui est non seulement la plus transparente mais la plus juste, et sur la réduction de l'imposition indirecte, qui, proportionnellement, pèse davantage sur les plus pauvres. Il en va de la justice fiscale et sociale.

En effet, l'évolution des prélèvements s'est traduite par une diminution de la part de l'impôt sur le revenu dans le produit intérieur brut de 5 % à 3,5 %. C'est donc la preuve concrète que vous contribuez à creuser les inégalités, d'autant plus que la diminution de recettes induite par la baisse des impôts des plus riches conduit à réduire les dépenses publiques et les services utiles au plus grand nombre. Ce sont ceux qui ne bénéficient pas des baisses d'impôt et qui subissent toutes les hausses - TIPP, CSG, tarifs publics - qui sont finalement les plus pénalisés.

L'article 2 consacre donc la philosophie qui vous guide depuis que vous êtes revenus au pouvoir et qui consiste à faire le bonheur de quelques privilégiés qui, d'ailleurs, ne demandaient pas grand-chose, et le malheur d'une très large majorité de nos concitoyens.

J'entends déjà notre bon M. Mariton nous dire, comme il l'a fait il y a quelques jours, que nous voulons opposer les Français les uns aux autres.

M. Hervé Mariton. Je suis heureux de vous avoir convaincu ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Je vous ai seulement écouté, ce qui est très différent, et vos propos m'ont conforté dans la conviction que vous avez tort !

Vos prises de position sont à l'inverse des valeurs universalistes de la Révolution française qui rayonnent dans le monde entier. Il ne m'a pas échappé, monsieur Warsmann, que l'évocation de la Révolution vous donne le grand frisson.

M. Jean-Luc Warsmann. Je vous en prie, cher collègue.

M. Jean-Pierre Brard. Je vous ai vu !

M. Michel Bouvard. Notre collègue frissonnait positivement.

M. Jean-Pierre Brard. Je vous comprends car vous êtes en contradiction totale avec les textes et les principes qui ont fondé l'engagement de nos grands ancêtres.

M. Jean-Luc Warsmann. C'est vous qui l'êtes !

M. Jean-Pierre Brard. Et, pour reprendre la formule utilisée par plusieurs orateurs, vous proposez des mesures « de classe ». (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Encore faudrait-il se mettre d'accord sur ce qu'il faut entendre par là aujourd'hui. Et c'est la raison pour laquelle je ne l'ai pas faite mienne, ayant une conception scientifique de l'usage des mots. Mais la formule a l'avantage d'être claire : vous beurrez la tartine des privilégiés en mettant à la diète les plus pauvres.

M. Hervé Mariton. C'est faux !

M. Jean-Pierre Brard. Notre bon M. Mariton réécrit à sa manière la parabole du bon Samaritain, c'est-à-dire qu'il prend le misérable morceau d'étoffe qui protège le pauvre de tous les aléas météorologiques et des vicissitudes de la vie quotidienne pour le donner à celui qui est emmitouflé dans une chaude pelisse.

M. Michel Piron. Votre plaidoyer est plus poétique que scientifique !

M. Jean-Pierre Brard. La poésie n'exclut pas la science ! Monsieur Piron, vous qui êtes un des lettrés de cette assemblée,...

Mme la présidente. Monsieur Brard, vous avez largement utilisé le temps qui vous était imparti.

M. Michel Bouvard. Peut-être l'a-t-il même dépassé ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Avant de conclure, je rappelle cet adage bien connu de tous les lettrés : « Science sans conscience...

M. Michel Piron. ...n'est que ruine de l'âme ».

M. Jean-Pierre Brard. La conscience ne relève pas de la démarche scientifique, mais, si la première n'éclaire pas la seconde, on risque fort d'aller dans le mur !

Vous avez donc abandonné la progressivité. Nous ne pouvons donc pas vous suivre et voter l'article 2 du projet de loi de finances.

Je conclus en rappelant que M. le ministre d'État n'a toujours pas répondu aux deux questions que j'ai posées et en vous indiquant, madame la présidente, vous qui m'avez objecté tout à l'heure que la suspension de séance n'était pas de droit, que cette règle ne vaut pas quand le député a reçu délégation du président de groupe. Je vous renvoie à l'alinéa 3 de l'article 58 de notre Règlement.

Mme la présidente. Nous en venons aux amendements.

Je suis saisie d'un amendement n° 366.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le soutenir.

M. Jean-Pierre Brard. Cet amendement vise à augmenter le taux des deux plus hautes tranches du barème de l'imposition sur le revenu.

Pour les besoins de la propagande du Gouvernement, vous ne mettez en avant que le taux marginal. Or, notre collègue Dominique Strauss-Kahn vient de le démontrer, si ce taux vous est utile pour essayer de convaincre que l'impôt est lourd, ce dernier ne l'est pas tant que ça si l'on compare avec ce qui se fait ailleurs, tant s'en faut !

Le récent rapport du Conseil des impôts a montré, si besoin en était, que l'imposition directe était loin de représenter le repoussoir que vous décrivez. Au contraire ! Dans notre pays, les plus riches se font un plaisir de courir de niche fiscale en niche fiscale. C'est un véritable sport national au sein des classes aisées, voire moyennes supérieures. Nous avons démontré l'iniquité de telles réductions, déductions ou autres crédits d'impôt. Le Syndicat national unifié des impôts a d'ailleurs chiffré que les 10 % des ménages les plus aisés bénéficiaient de près de 86 % des réductions d'impôt. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'optimisation fiscale confine à un véritable détournement de recettes pour l'État.

Notre amendement vise donc à rendre la fiscalité un peu plus juste. Augmenter les taux des deux plus hautes tranches, comme nous le proposons, permettrait de récupérer 2 à 2,5 milliards d'euros qui pourraient être utilisés à financer des infrastructures publiques victimes des nombreux gels et annulations de crédits, et à compenser en partie des dispositifs comme l'allocation personnalisée d'autonomie. Ce sont des choix fondamentaux de politique budgétaire. La baisse de l'impôt sur le revenu, c'est la solidarité à l'envers qui consiste, comme le suggère le bon M. Mariton, à faire payer les pauvres, qui sont bien les plus nombreux, pour les riches, qui n'ont que l'infortune de l'être !

C'est pourquoi nous vous proposons cet amendement de justice sociale qui permettrait une politique redistributive ô combien plus ambitieuse que celle que vous nous imposez.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 366.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. La commission a rejeté cet amendement parce qu'il vise à augmenter les différents taux du barème de l'impôt sur le revenu. La baisse des taux a été engagée en 2000 - et notre collègue Brard doit s'en souvenir puisqu'il appartenait à la majorité de l'époque, laquelle a approuvé les mesures de baisse des taux, dites « mesures Fabius ».

M. Jean-Pierre Brard. Non, j'ai voté contre !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Depuis, les taux ont été réduits et nous sommes parvenus à baisser le taux marginal en dessous de 50 %, car, au-delà, il avait un caractère confiscatoire, d'où le départ de nombreux talents, que ce soit dans le domaine du sport, de l'entreprise, de la recherche ou de la culture. Il existait d'ailleurs un consensus général pour le faire baisser et il ne faut pas y revenir.

J'en profite pour répondre aux propos de Didier Migaud, qui connaît bien le sujet. Il a présenté les choses sous un aspect en omettant délibérément les autres. Il est vrai que la France se situe au bas de la fourchette, si l'on rapporte l'impôt sur le revenu au PIB, mais Didier Migaud a sciemment oublié d'ajouter que notre pays bat tous les records de concentration de l'impôt sur le revenu puisque seule la moitié des ménages le paie. C'est ce qui explique son caractère confiscatoire dans certaines configurations. Si nous nous distinguons par rapport à nos voisins européens, ce n'est pas tant à cause du poids de l'IRPP dans la richesse nationale que de sa très forte concentration.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire, pour donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 366.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Le Gouvernement partage l'avis du rapporteur général.

Dans le projet de budget, nous n'avons pas poursuivi le mouvement de baisse parce que nous avions des objectifs de désendettement et voulions agir davantage au service de l'emploi. Nous avons donc seulement indexé le barème sur l'inflation, soit 1,7 %. Mais tout alourdissement du barème irait à l'encontre de la volonté politique du Gouvernement et de la majorité.

Je vous invite donc à repousser cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Migaud.

M. Didier Migaud. Monsieur le secrétaire d'État, merci pour ce formidable réquisitoire contre la politique fiscale du Gouvernement ces deux dernières années ! Vous venez de reconnaître que la politique fiscale ne privilégiait pas le désendettement et qu'elle n'avait pas été mise au service de l'emploi...

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. N'importe quoi !

M. Didier Migaud. Vous avez dit que vous abandonniez aujourd'hui la politique de réduction de l'impôt sur le revenu.

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Je n'ai pas utilisé le verbe « abandonner » !

M. Didier Migaud. En fait, vous ne l'abandonnez pas totalement, mais vous avez dit vouloir privilégier le désendettement et l'emploi.

Si cela n'est pas l'aveu que le Gouvernement a fait le contraire les années précédentes, je ne comprends plus rien à rien et je ne sais plus dans quelle langue je devrai dorénavant m'exprimer !

M. Jean-Louis Dumont. Dans la langue de M. Raffarin !

M. Didier Migaud. Je vous remercie de faire ainsi l'autocritique d'un gouvernement, monsieur Bussereau, auquel vous apparteniez déjà, mais dans le cadre d'un autre ministère.

Quant à vous, monsieur le rapporteur général, il est tout de même surprenant que chaque fois que le Gouvernement propose une mesure, ce dernier ou vous-même éprouviez le besoin de faire référence à des gouvernements ou à des ministres socialistes, comme si vous n'étiez pas capables d'assumer vos propres décisions.

M. Hervé Mariton. Nous cherchons à faire mieux que vous !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Nous assumons nos décisions !

M. Didier Migaud. Non, monsieur Carrez ! La politique relative à l'impôt sur le revenu conduite en 2000 par le gouvernement de Lionel Jospin n'a strictement rien à voir avec celle que vous avez menée par la suite. La baisse de l'impôt sur le revenu opérée en 2000 était une baisse différenciée qui concernait tous les Français, tandis que celle que vous pratiquez privilégie une toute petite partie de la population.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. C'est une contre-vérité.

M. Didier Migaud. Quant aux mesures que nous avions prises concernant les tranches supérieures, elles étaient autofinancées par la suppression parallèle de niches fiscales. Votre politique et la nôtre n'ont donc strictement rien à voir ! Il n'est pas convenable, je le répète, de faire des comparaisons totalement fausses !

De plus, lorsque vous rappelez que la moitié des Français ne paient pas l'impôt sur le revenu, vous laissez supposer que cette même moitié ne paie pas d'impôts du tout. Vous savez très bien que c'est faux. En France - c'est une des caractéristiques de notre fiscalité - le poids des prélèvements directs est moins lourd que celui des prélèvements indirects. Or chacun sait que la fiscalité indirecte est la plus injuste. C'est cependant celle que vous augmentez systématiquement. En outre, depuis la mise en place de la CSG, tous les Français paient d'une certaine façon un impôt.

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. C'est vous qui avez inventé la CSG !

M. Didier Migaud. Effectivement, mais c'est un impôt plus juste !

Nous sommes prêts à réformer la fiscalité pour aller vers plus de justice, mais à la seule condition de remettre à plat le chantier de la fiscalité directe dans son ensemble. Pourquoi ne pas proposer la fusion entre l'impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée ou ne pas instaurer le prélèvement à la source ? Différentes propositions visant à rendre plus juste notre fiscalité peuvent être avancées,...

M. Michel Piron. Vous n'avez pas le monopole de la justice !

M. Hervé Mariton. La suppression de la vignette était-elle une mesure de justice fiscale ?

M. Didier Migaud. ...mais vous ne vous engagez absolument pas dans cette voie. Au contraire, d'autres l'ont dit avant moi, vous accentuez les inégalités. La discussion nous offrira encore de nombreuses occasions de le démontrer.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Madame la présidente, je souhaiterais faire observer à notre excellent rapporteur général, dont on connaît à la fois la compétence et les idées de droite,...

M. Hervé Mariton. Ce n'est pas incompatible !

M. Patrice Martin-Lalande. Au contraire ! Ceci explique cela !

M. Jean-Pierre Brard. ...qu'il a cependant des trous de mémoire ! Je n'ai jamais voté le barème auquel il a fait référence pour la simple raison que j'étais contre un tel barème.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Vous reconnaissez donc que le gouvernement de Lionel Jospin l'a mis en œuvre et que cela a constitué une erreur !

M. Jean-Pierre Brard. Je reconnais ce qui est écrit au Journal Officiel. J'étais contre et je n'ai pas changé d'avis.

Si j'ai bien compris, il y a consensus entre vous, monsieur le rapporteur général, et vous, monsieur le secrétaire d'État au budget, quant au caractère confiscatoire de l'impôt sur le revenu. Je vous conseille de vous faire offrir un Petit Robert à Noël ! Que signifie « confisquer », en effet ? Rappelez-vous, lorsque vous étiez petits et que vos parents vous offraient une voiture de pompiers, par exemple,...

M. Michel Piron. Quelle argumentation !

M. Michel Bouvard. Le SDIS coûtait moins cher à l'époque !

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Je préférais les trains électriques.

M. Jean-Pierre Brard. ...ou un train électrique - lequel ouvrirait d'autres possibilités - que se passait-il lorsque vous leur cassiez trop les pieds ? Ils confisquaient votre jolie voiture de pompiers. Et ils ne prenaient pas seulement l'échelle. Non, ils prenaient toute la voiture ! « Confisquer », cela signifie « tout prendre ». Comment dès lors peut-on prétendre que, dans notre pays, l'impôt sur le revenu est confiscatoire ? C'est de la propagande ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Vous essayez d'abuser nos concitoyens en usant de mots qui font peur, alors que vous savez pertinemment vous-mêmes qu'ils sont faux ! Introduire à ce point la fausseté dans le débat politique renseigne sur la faiblesse de vos arguments !

Hélas, ce qui me frappe, c'est qu'il a toujours existé, dans l'histoire de notre pays, des Français pour trahir l'intérêt national. Hier, ils allaient se réfugier à Coblence.

M. Édouard Landrain. Et à Moscou !

M. Marc Le Fur et M. Éric Raoult. Comme Thorez !

M. Jean-Pierre Brard. Aujourd'hui, ils vont à Bruxelles, à Zurich ou à Londres ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Alors que vous devriez les dénoncer et les stigmatiser, parce qu'ils se soustraient à leurs devoirs de solidarité vis-à-vis des plus pauvres, vous leur faites la courte échelle et vous leur donnez l'absolution ! Si vous vous regardiez dans un miroir,...

M. Édouard Landrain. C'est vous qui devriez le faire !

M. Jean-Pierre Brard. ...vous devriez y voir votre front envahi par la rougeur qui, normalement, accompagne les mauvaises actions lorsque l'on en prend conscience. Et cela vaut pour vous, monsieur le ministre d'État, comme pour vous, monsieur le secrétaire d'État !

Lorsque, pour légitimer la baisse de la progressivité de l'impôt sur le revenu, je vous entends faire référence au fait que la moitié de nos concitoyens n'acquittent pas cet impôt, je crois rêver ! Pourquoi, en effet, ne le paient-ils pas - je ne parle évidemment pas des plus riches, qui se débrouillent ! Tout simplement parce qu'ils sont trop pauvres ! Il n'est pas légitime, en revanche, que des personnes qui peuvent le payer ne le paient pas.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, en ayant des revenus très corrects, il est possible, vous le savez, d'échapper aujourd'hui à l'impôt sur le revenu. Pour illustrer une telle anomalie, je prendrai un exemple qui m'est parfaitement connu, puisqu'il s'agit du mien.

J'ai apporté ici même mon avis d'imposition : je vous le montre. Chacun pourra vérifier. Mon épouse et moi-même déclarons en salaires et assimilés 61 275 euros.

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Par mois ?

M. Jean-Pierre Brard. Non, car je suis un gagne-petit, moi, monsieur le secrétaire d'État.

Déductions faites des 10 % et des 20 %, notre revenu imposable est de 44 907 euros pour deux parts et demie, ce qui entraîne une cotisation théorique de 5 791 euros. Mais il convient de déduire de cette somme les réductions d'impôt suivantes : 133 euros de dons aux personnes en difficulté, 3 218 euros pour l'emploi d'un salarié à domicile (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.), 76 euros de cotisation syndicale et 2 364 euros de dons aux œuvres.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Vous ne craignez pas un contrôle fiscal ?

M. Jean-Pierre Brard. Non, monsieur le rapporteur général, je ne crains pas le contrôle fiscal. Je parle sous le contrôle de Jean-Yves Cousin, qui n'ignore pas que les fonctionnaires obéissent le plus souvent...

M. Édouard Landrain. Toujours !

M. Jean-Pierre Brard. ...aux règles de l'État et ne sont pas comme certaine fonctionnaire que j'ai évoquée l'autre jour.

Toutes ces déductions ramènent l'impôt à zéro ! Est-il juste que je ne paie pas d'impôt sous prétexte de dons à des œuvres caritatives ou de cotisations syndicales ? On voit bien là...

Mme la présidente. Je vous prie de conclure, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. ...les effets pervers des réductions d'impôt pour emploi à domicile, dont vous voulez relever le plafond, ce qui permettra à l'évasion fiscale de s'accroître encore au bénéfice des gros contribuables.

Il est vrai que, pour part, je n'envisage d'engager ni un jardinier ni un valet de chambre, dont votre système permettrait de faire supporter une partie des salaires aux autres contribuables, notamment à ceux qui sont assujettis à la TVA, c'est-à-dire les plus modestes.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Besson.

M. Éric Besson. Je souhaiterais, moi aussi, revenir sur l'usage de l'adjectif « confiscatoire » que font le plus souvent M. le président de la commission des finances, M. le rapporteur général, M. le ministre d'État et M. le secrétaire d'État. Didier Migaud les y a invités à l'instant : c'est pour eux l'occasion de nous faire part du rôle qu'ils continuent d'attribuer à l'impôt comme de leur philosophie ou de leur doctrine en matière fiscale.

Nous avons vécu durant plus de deux siècles sur l'idée qu'il existait un impôt républicain, auquel nous assignons deux tâches : celle de financer les « charges communes » - nous préférons parler aujourd'hui de services publics - et celle de contribuer à la réduction des inégalités et à la redistribution, selon le bon vieux principe républicain : « chacun participe aux charges communes à proportion de ses capacités contributives ».

Aujourd'hui, nous en sommes à une étape particulière de notre évolution économique, celle de l'instauration d'un capitalisme financier - Dominique Strauss-Kahn l'a rappelé. Ce capitalisme crée mécaniquement davantage de richesses, mais, tout aussi mécaniquement, il accroît les inégalités de revenus et de patrimoines.

C'est la raison pour laquelle les réponses que le Gouvernement apportera aux questions suivantes ne seront pas neutres. Quelle est sa conception de la fiscalité ? Quelle réponse apporte-t-il à l'accroissement mécanique des inégalités ? À partir de quel barème un impôt, à ses yeux, devient-il confiscatoire ? Enfin, croit-il encore à l'impôt républicain ?

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 366.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Rappel au règlement

M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Brard. Aux termes de l'article 58, alinéa 3, du règlement de l'Assemblée nationale, « les demandes de suspension de séance sont soumises à la décision de l'Assemblée sauf quand elles sont formulées par le Gouvernement, par le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond ou, personnellement et pour une réunion de groupe, par le président d'un groupe ou son délégué dont il a préalablement notifié le nom au président. Toute nouvelle délégation annule la précédente. »

En vertu de cet alinéa, je demande une suspension de séance, madame la présidente.

Mme la présidente. Monsieur Brard, je souhaite remettre les choses au point : si vous lisez attentivement l'article, la suspension n'est de droit que si elle est destinée à réunir le groupe.

M. Jean-Pierre Brard. Vous avez tout à fait raison, madame la présidente, et c'est dans ce cadre que je demande une suspension de séance.

M. Louis Giscard d'Estaing. Cela suffit !

M. Jean-Pierre Brard. Le ministre n'ayant pas répondu à mes deux questions, je me vois contraint de réunir mon groupe pour évaluer la situation. (Sourires.)

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. À deux, cela va aller assez vite !

Mme la présidente. Je vous accorde trois minutes de suspension, monsieur Brard.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures douze, est reprise à douze heures quinze.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

La parole est à M. le rapporteur général.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Madame la présidente, compte tenu des interruptions successives qui se sont produites, l'heure a avancé et nous avons besoin de réunir la commission des finances. Nous souhaiterions donc nous en tenir là parce que la commission a beaucoup d'amendements à examiner. Il serait préférable de ne pas reprendre.

Mme la présidente. Monsieur le rapporteur général, il serait plus simple d'examiner l'amendement n° 149 avant de lever la séance.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Entendu !

Mme la présidente. Nous en venons à l'amendement n° 149.

La parole est à M. Denis Merville, pour le soutenir.

M. Denis Merville. Cet amendement vise à mieux soutenir les familles qui ont des enfants étudiants vivant hors de leur domicile. En effet, quelle est la situation actuellement ? Les parents ayant un enfant étudiant âgé de dix-huit à vingt-cinq ans ont le choix entre son rattachement au foyer fiscal des parents, qui donne une demi-part supplémentaire, et un abattement forfaitaire actuellement fixé à 4 410 euros. En réalité, les ménages qui ont des revenus élevés choisissent la première option, qui leur apporte un avantage fiscal nettement supérieur à 4 410 euros ; les catégories moyennes doivent se contenter de cet abattement, lequel est loin de couvrir les charges - logement, transport, restauration - engendrées par les études. Nous proposons donc de majorer l'abattement à 5 000 euros, soit sensiblement au niveau retenu dans les années 1995-1997. Cet amendement a été cosigné par beaucoup de collègues.

M. Patrice Martin-Lalande. C'est une question de justice !

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. S'agissant du rattachement fiscal de l'enfant âgé de moins de vingt-cinq ans qui est étudiant, il y a trois possibilités : soit il est rattaché au foyer fiscal familial et bénéficie donc de la demi-part au titre du quotient avec le plafonnement à 2 100 euros ; soit il est marié et a éventuellement des enfants, auquel cas l'abattement dans le cadre du rattachement au foyer fiscal est proportionnel au nombre de personnes ; soit, enfin, l'étudiant vit seul sans être rattaché au foyer fiscal, mais celui de ses parents bénéficie d'une déduction au titre de l'aide qu'ils lui apportent. C'est ce dernier cas, monsieur Merville, que vous visez.

Mais il est évident que ces trois situations sont traitées de façon cohérente, avec des plafonds qui correspondent les uns avec les autres. On ne peut donc pas traiter indépendamment le troisième cas en rehaussant le plafond, car cela créerait une distorsion par rapport aux deux autres cas, notamment au détriment du quotient familial pour l'étudiant rattaché au foyer de ses parents.

C'est pourquoi la commission a été obligée de donner un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Je comprends parfaitement les motivations de M. Merville et je vois bien les exemples précis qu'il doit avoir en tête. Mais la démonstration de M. le rapporteur général est imparable. Si on remettait en cause l'organisation actuelle de ce dispositif, l'ensemble du système en serait déséquilibré. Pour toutes ces raisons, il ne serait pas sage d'adopter cet amendement, qui finalement, à l'usage, aurait plus d'inconvénients pour les familles que la situation actuelle.

Mme la présidente. La parole est à M. Denis Merville.

M. Denis Merville. J'ai bien entendu les arguments contre mon amendement, mais la disposition qu'il propose existait précédemment. Quand M. le rapporteur général dit que cela créerait une inégalité, cela revient, pour des salariés qui ont le choix entre un abattement forfaitaire de 10 % et demander à l'administration de prendre en compte leurs frais réels, à limiter ceux-ci à 10 %. Or, si un salarié opte pour les frais réels, c'est justement parce qu'il estime que ses frais sont supérieurs au forfait de 10 %. Pour beaucoup de familles de province, je vous assure qu'un enfant étudiant coûte plus que 4 410 euros ! Nous voulions nous rapprocher de la réalité, d'autant plus que, dans le système actuel, les familles qui ont de très gros revenus sont gagnantes. En effet, elles rattachent leur enfant au foyer, ce qui les fait bénéficier d'une demi-part et d'un abattement supérieur à 4 410 euros. Refuser cet amendement reviendrait à nier à un salarié le droit de déduire ses frais réels.

Mme la présidente. La parole est à M. Augustin Bonrepaux.

M. Augustin Bonrepaux. Nous sommes contre cet amendement parce que la réduction de l'impôt sur le revenu a été suffisamment importante l'année dernière encore, après l'année précédente, et il ne faut pas en rajouter !

Par ailleurs, je n'entends pas parler des problèmes des familles qui ont des étudiants et qui ne payent pas l'impôt sur le revenu. La moitié des Français ne sont pas assujettis à cet impôt, et vous ne vous en occupez pas ! Vous vous intéressez toujours aux privilégiés (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), à ceux qui ont la chance de payer l'impôt sur le revenu. Et vous le baissez chaque année !

Cet amendement tend à élargir un dégrèvement alors que notre objectif, dans cet hémicycle, est tout de même d'obtenir un peu plus de justice, un peu plus d'égalité, et de penser à tous les Français. Je constate que toutes vos démarches sont orientées vers une seule catégorie de Français.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 149.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. Augustin Bonrepaux. Heureusement que la gauche était là !

Rappel au règlement

M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Brard. Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 58, alinéa 1. Il est très important, pour le bon déroulement de nos débats, que la sérénité règne. Encore faut-il que le Gouvernement ne se défile pas.

Je constate, madame la présidente, que le ministre d'État est parti sans répondre à mes deux questions. Il en est une très importante, parce que les propos qui lui sont prêtés - et je ne prétends pas qu'il les ait tenus - sont les suivants : « La France admire les USA. Je me sens étranger dans mon propre pays. Il nous manque un Powell en France. Le monde admire et respecte les USA. » J'ai demandé avant-hier si ces propos rapportés par des agences de presse avaient été effectivement tenus. Car si tel était le cas, ce serait extrêmement grave qu'un ministre de la République française dise des choses pareilles et qu'il se sente étranger dans son propre pays. Je demande donc, monsieur le secrétaire d'État, que le ministre d'État réponde à ma question et que, par ailleurs, il nous dise s'il entend rappeler à leur obligation de réserve les hauts fonctionnaires qui s'expriment dans les médias.

Mme la présidente. Le Gouvernement peut décider de répondre ou non.

M. Jean-Pierre Brard. Je reviendrai à la charge inlassablement, imperturbablement !

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Monsieur. Brard, il existe une règle dans la République : un haut fonctionnaire s'exprime après avoir demandé l'autorisation à son ministre. Mme Lepetit a parlé après autorisation. Elle a donc bien parlé.

M. Jean-Pierre Brard. Voilà, c'est clair ! Elle a fait sa propagande ! Vous avez avoué !

Mme la présidente. La suite de la discussion des articles de la première partie du projet de loi de finances est renvoyée à la prochaine séance.

    2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

Mme la présidente. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2005, n° 1800 :

Rapport, n° 1863, de M. Gilles Carrez, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures vingt-cinq.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot