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Première séance du jeudi 25 novembre 2004

72e séance de la session ordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

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ÉVOLUTION DES PRIX

Discussion d'une proposition de résolution tendant à la création
d'une commission d'enquête

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Henri Emmanuelli et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête visant à analyser le niveau et le mode de formation des marges et des prix dans le secteur de la grande distribution, et les conséquences de l'évolution des prix sur le pouvoir d'achat des ménages (nos 1871, 1874).

La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

M. Jean Gaubert, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, mes chers collègues, il me revient de rapporter devant notre assemblée la présente proposition de résolution.

La création d'une commission d'enquête doit répondre à plusieurs critères.

En premier lieu, elle doit porter sur des faits déterminés, suffisamment précis. C'est le cas de la détermination du niveau réel des prix pratiqués dans la grande distribution. En France, les associations de consommateurs pointent en effet des prix supérieurs de 5 % à 13 % à ceux de beaucoup d'autres pays européens et une hausse des prix de référence pouvant atteindre le double de l'inflation officielle.

En outre, le consensus n'est pas complet sur les effets de l'accord du 17 juin 2004, même si la situation s'est un peu améliorée. Chacun sait que les entreprises, notamment dans le secteur de la distribution, ont eu tendance à faire remonter vers les fournisseurs les efforts qui leur avaient été demandés.

Enfin, les prix à la consommation ont réellement augmenté. Depuis 2001, les ménages perçoivent en effet une inflation supérieure d'au moins 1 % à celle de l'indice de l'INSEE, ce dont aucune explication ne peut rendre compte de manière satisfaisante et définitive.

En second lieu, pour être recevable, la création d'une commission d'enquête doit s'intéresser à des faits qui ne font l'objet d'aucune poursuite judiciaire. À cet égard, nous avons été pleinement rassurés par les informations qu'a pu fournir le garde des sceaux.

La question de l'augmentation du pouvoir d'achat est récurrente, ce qui est normal. De tout temps, les consommateurs s'en sont préoccupés et elle a souvent fait l'objet de débats, voire de polémiques. Les pouvoirs publics ont deux leviers à leur disposition : l'augmentation des moyens de consommation et la baisse des prix.

Nous le voyons depuis deux ans et demi : l'augmentation des moyens de consommation, notamment des ménages et des familles à faible revenu, n'a pas été une priorité du Gouvernement. À gauche, nous avons souvent dénoncé les cadeaux fiscaux très ciblés du Gouvernement en lui demandant d'inverser sa politique. Récemment encore, notre collègue Didier Migaud a plaidé à plusieurs reprises pour une remise au goût du jour de la TIPP flottante. Chaque fois, le Gouvernement y a répondu en proposant des avantages catégoriels qui n'étaient pas toujours destinés à ceux qui subissaient une amputation de leur pouvoir d'achat.

M. Didier Migaud. Dommage !

M. Jean Gaubert, rapporteur. Cette politique s'oppose à celle que mena le gouvernement Jospin entre 1997 et 2002. Quand Lionel Jospin arriva au pouvoir, en 1997, la situation économique de notre pays était difficile. L'interrogation la plus forte portait sur sa capacité à répondre aux critères de Maastricht et à participer au premier tour de la mise en place de l'euro.

Il a opté pour la baisse du taux normal de la TVA, la fixation d'un taux réduit pour de nombreuses activités, l'allègement des impôts locaux, la création de la prime pour l'emploi et la suppression de la CRDS pour les chômeurs et les retraités non imposables. Par ailleurs, une stimulation de l'emploi par une politique adaptée a permis d'augmenter la création d'emplois de 1,8 % par an entre 1997 et 2001, alors que celle-ci n'avait progressé que de 0,3 % au cours des années précédentes.

Cette baisse du chômage, jointe à la réduction du temps de travail tant décriée sur les bancs de la droite, a produit une hausse du volume d'heures travaillées dans notre pays. On a souvent eu l'impression que nous n'avions raisonné que de manière individuelle. Mais ce qui est important n'est pas que les gens travaillent moins individuellement, mais que le pays travaille plus collectivement. Or c'est bien ce qui s'est passé.

D'autres mesures ont été prises pour soutenir le pouvoir d'achat des plus modestes, notamment la prime pour l'emploi. Mais, alors qu'une augmentation de 50 % était prévue en 2003, nous en sommes à une évolution comparable à celle de l'inflation.

Depuis plusieurs années, une politique d'indexation systématique sur l'inflation officielle tend à se préciser. Il est d'autant plus important de s'intéresser au taux réel de l'inflation. Depuis 2001, sans doute même auparavant, les consommateurs avaient le sentiment qu'il était supérieur au chiffre officiel. Début 2004, le groupe Leclerc a relancé le débat pour des raisons que nous connaissons bien, mais sans doute celui-ci mérite-t-il d'être ouvert.

L'indice des prix est une moyenne qui s'établit à l'avantage de ceux qui consomment tous les produits figurant dans le panel considéré. Or les ménages modestes ont recours aux seuls produits de première nécessité, qui, nul ne le conteste, ont augmenté plus vite que l'indice moyen, corrigé par la baisse des prix dans le secteur des nouvelles technologies. Les prix des ordinateurs ou des téléphones ont en effet tendance à baisser. Les consommateurs de ce type de produits sont donc plutôt gratifiés par cet indice, alors que ceux qui ne consomment que des produits de première nécessité se trouvent lésés.

M. François Brottes. Très juste !

M. Jean Gaubert, rapporteur. C'est là un point sur lequel une commission d'enquête devrait pouvoir travailler, puisqu'il ne s'agit pas d'un sujet polémique mais d'une simple question de justice. En effet, l'indice de l'INSEE n'est pas seulement un sujet dont on parle une fois par mois, au moment de sa parution. Il sert également à l'indexation d'un certain nombre de prestations sociales ou de contrats de droit privé. Si l'on n'intervient pas, un décalage croissant risque d'apparaître entre les chiffres officiels et la réalité, créant pour nos concitoyens des difficultés de plus en plus grandes.

Il est un autre point qu'il est intéressant d'étudier et qui fait l'objet d'un débat très vif : les relations commerciales entre les consommateurs, les fournisseurs et la grande distribution, insatisfaisantes pour tous.

Il y a sûrement quelque chose à faire pour trouver un équilibre entre les uns et les autres. La guerre des prix peut sans doute être une solution, mais elle comporte également des risques considérables. On connaît les effets du système Wal-Mart, qui s'applique aux États-Unis et tend à s'installer chez nous. On ne peut le considérer comme un modèle ni socialement ni en matière de consommation. Il repose en effet sur la standardisation à l'américaine de la consommation et sur la disparition progressive de l'ensemble des fournisseurs, au moins en tant que marques.

Plus près de nous, la violente baisse des prix provoquée dans certains pays a eu de lourdes conséquences. Ainsi, 17 000 postes de travail, dont 10 000 emplois permanents, ont été supprimés aux Pays-Bas.

On ne peut donc que s'interroger sur les conséquences d'une guerre des prix. D'autant que les GMS ont tendance à reporter en amont les efforts qui leur sont demandés. Ainsi, depuis les réunions que vous avez organisées au mois de juin dernier, monsieur le ministre - et c'était un bon début -, des secteurs qui jusqu'alors n'étaient pas soumis au référencement le sont devenus, notamment le secteur des légumes. L'inégalité entre fournisseurs et distributeurs est donc flagrante.

Bien entendu, la grande distribution assure qu'elle n'exerce pas de pressions, et nous n'avons pas de preuves du contraire. La question de l'établissement des preuves est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles nous souhaitons que soit créée une commission d'enquête plutôt qu'une mission d'information. En effet, dans certains cas, l'omerta règne, car la pression est telle que celui qui souhaite parler sait qu'il risque d'être déférencé dès la semaine suivante. Ce sont donc ceux qui se sont retirés du secteur qui nous expliquent comment les choses se passent. Très souvent, les fournisseurs sont convoqués, on leur dit à quelles conditions ils seront retenus et, une fois, rentrés chez eux, ils proposent leurs meilleurs prix pour les six mois qui viennent, prix qui ont été en réalité fixés par la grande surface.

Il nous faut donc comprendre la manière dont fonctionne ce secteur avant d'agir. Je pourrais citer beaucoup d'autres exemples, mais le temps me manque et je souhaiterais évoquer la connaissance réelle du pouvoir d'achat résiduel des consommateurs, son évolution et les relations dans la grande distribution.

On commence déjà à appliquer, en France, les méthodes employées par Wal-Mart. Chacun sait, par exemple, comment fonctionnent les marques de distributeurs. Les petits entrepreneurs mettent un doigt dans l'engrenage puis, quand le bras est pris, on leur dit qu'ils ont deux solutions : soit ils le laissent et on serre, soit ils cherchent à le retirer et on l'arrache.

M. Jean-Paul Charié. Très juste !

M. Jean Gaubert, rapporteur. Nous ne pouvons pas continuer de laisser s'installer les marques de distributeurs car le tissu des PME françaises en pâtit et, s'il disparaît, non seulement ces entreprises ne fourniront plus les distributeurs, mais elles ne seront plus un vecteur de développement de notre commerce extérieur.

Nous avons donc proposé la création d'une commission d'enquête, dont les prérogatives sont plus étendues que celles d'une mission d'information, qui peut notamment inviter des gens à venir s'exprimer mais ne peut pas les y obliger. En outre, la commission d'enquête présente l'avantage de pouvoir travailler à huis clos, ce qui permettrait d'obtenir des petits fournisseurs des informations qu'ils ne donneraient pas autrement.

Bien entendu, je n'ai pas les réponses à ces problèmes, mais j'aimerais vous dissuader de suivre les mauvaises pistes. J'entends dire, par exemple, qu'il suffit de réformer la loi Galland, la loi Raffarin ou la loi Royer. Cela ne dérange pas l'élu de gauche que je suis, car les auteurs de ces lois sont tous issus de vos rangs. Mais, avant de proposer une nouvelle loi, comme c'est le cas dans notre pays chaque fois qu'un problème se pose, il convient de vérifier que les textes existants sont correctement appliqués.

On nous dit également - autre chimère - que les gens consomment moins parce que les commerces ne sont pas ouverts assez longtemps. Mais auront-ils plus d'argent si, comme cela vous a été demandé, monsieur le ministre, on étend les autorisations d'ouverture le dimanche ? Pour en avoir discuté avec nos concitoyens, je sais que le problème de la consommation dépend davantage des moyens des consommateurs que des horaires d'ouverture des commerces. En outre, nous sommes nombreux à être conscients des problèmes posés par le travail dominical. En effet, l'emploi du temps des salariés est décalé, et cela a des conséquences sur leur vie de famille, notamment pour les femmes qui, dans notre pays, sont les premières concernées.

Certains évoquent des problèmes de surface. Or je n'ai jamais vu les gens se bousculer au point qu'il faudrait agrandir les magasins. Du reste, les surfaces commerciales sont plutôt plus nombreuses dans notre pays qu'ailleurs.

Comme vous le savez, je n'ai pas été suivi par la commission. Je le regrette d'autant plus que nos collègues de l'UMP ont approuvé tous mes arguments, avant de conclure qu'une mission d'information était suffisante. Il me semble que leur position s'explique surtout par la discipline de groupe. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Vanneste. C'est un procès d'intention !

M. Jean-Marc Lefranc. Relisez plutôt l'exposé des motifs !

M. Jean Gaubert, rapporteur. Je sais que vous êtes un peu gênés par le fait que l'on évoque les réussites de la politique de M. Jospin. Or c'est un constat, mes chers collègues - les chiffres sont là pour l'attester -, même si, dans d'autres domaines, nous avons sans doute connu des échecs qui expliquent que nous ne soyons plus majoritaires.

Puisque j'ai épuisé mon temps de parole, monsieur le président,...

M. le président. Vous l'avez même dépassé depuis un certain temps.

M. Jean Gaubert, rapporteur. ... je terminerai en disant à mes collègues de l'UMP que nous leur offrons aujourd'hui la possibilité de se racheter. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Charles Cova. Le mot est mal choisi !

M. Jean Gaubert. J'espère que notre discussion les conduira à changer de position. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Proriol, vice-président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, suppléant M. Patrick Ollier, président de la commission.

M. Jean Proriol, vice-président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, suppléant M. Patrick Ollier, président de la commission. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, je remplace en effet le président Ollier, qui accompagne le Président de la République en Libye.

Nous sommes saisis d'une proposition de résolution du groupe socialiste qui lui sert d'alibi pour critiquer l'action du Gouvernement.

M. Jean Gaubert, rapporteur. Si peu !

M. Didier Migaudg. Nous n'avons pas besoin d'alibi pour cela !

M. François Brottes. Parlez plutôt du fond !

M. Jean Proriolg, vice-président de la commission. Il n'est que de regarder l'exposé des motifs et la première partie du rapport de M. Gaubert, par ailleurs fin connaisseur de ce système, pour s'en convaincre. On ne peut que regretter cette méthode, qui nous a choqués. Du reste, vous vous en êtes aperçus, puisque Mme Lebranchu notamment a proposé, au cours d'une réunion de la commission, de supprimer les deux premiers paragraphes de l'exposé des motifs. Quel aveu ! (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le problème des prix et des marges arrière dans la grande distribution est trop grave pour qu'on le traite de cette façon. La commission des affaires économiques s'y intéresse depuis longtemps. Ainsi, Jean-Paul Charié - dont je salue la qualité des travaux, ainsi que ceux, plus récents, de Luc-Marie Chatel - a présidé, en 2000, une mission d'information dont le rapporteur était M. Le Déaut. Nous connaissons donc parfaitement les techniques d'influence et de pression, parfois perverses, qui conduisent les producteurs à faire des propositions toujours plus intéressantes aux distributeurs.

Face à la persistance des pratiques illégales et à l'ampleur du problème des marges arrière, malgré les mesures prises par le Gouvernement pour interdire les pratiques abusives - je pense à la circulaire Dutreil du 16 mai 2003 -, le Président Ollier a proposé, le 25 février dernier, la création d'une mission d'information sur les marges arrière pratiquées dans la grande distribution. Compte tenu de l'action engagée par le ministre de l'économie et des finances, Nicolas Sarkozy, une formule plus souple a finalement été retenue. Un groupe de travail sur les pratiques commerciales de la grande distribution a ainsi été mis en place le 1er juin 2004. Celui-ci a œuvré en partenariat avec le ministère et tous les groupes politiques y ont été représentés. M. Jean Gaubert, rapporteur de la proposition de résolution examinée aujourd'hui, en faisait d'ailleurs partie.

Ce groupe de travail, présidé par Luc-Marie Chatel et dont Jean-Paul Charié et Michel Raison sont les corapporteurs, a mené plus d'une quarantaine d'auditions et rendu, le 16 juin 2004, un rapport d'étape comportant des propositions qui visent à améliorer les relations entre producteurs, fournisseurs et distributeurs, et à redonner du pouvoir d'achat au consommateur. Un certain nombre de ces propositions ont été prises en compte par le Gouvernement et nous nous en félicitons.

Lors de la constitution de ce groupe de travail, il avait été convenu que celui-ci se transformerait en mission d'information s'il apparaissait nécessaire de poursuivre la réflexion. Or le ministre de l'économie a souhaité compléter l'action engagée par la présentation d'un projet de loi. Dans cette perspective, la commission des affaires économiques a donc décidé, lors de sa réunion du 16 novembre dernier, et sur proposition de son président, Patrick Ollier, de poursuivre son travail dans le cadre d'une mission d'information sur les relations commerciales. Cette mission, dont le président est Luc-Marie Chatel, les rapporteurs Jean-Paul Charié, Michel Raison et Jean Dionis du Séjour, et le secrétaire Jean Gaubert, a été mise en place hier. Elle devra permettre d'aboutir à des propositions d'ici à la fin janvier, dans la perspective de l'examen du projet de loi préparé par Nicolas Sarkozy. Le Gouvernement a en effet accepté, à la demande du président de la commission des affaires économiques, que la discussion de ce texte n'intervienne qu'à l'issue des travaux de la mission, ce dont nous vous remercions, monsieur le ministre.

Aucune raison ne justifie donc la création d'une commission d'enquête. Bien au contraire, celle-ci paraît inutile et inopportune. La commission d'enquête est destinée, comme son nom l'indique, à enquêter. Or, sur le sujet qui nous intéresse, la priorité n'est pas d'établir des faits dont nous connaissons l'existence depuis longtemps, mais de trouver des solutions concrètes aux problèmes des marges arrière et des prix dans la grande distribution.

L'autorité publique se trouve face à un nœud gordien, puisqu'elle doit mettre en œuvre une réglementation de nature à concilier des objectifs et des intérêts sinon contradictoires, du moins divergents, en préservant l'intérêt des consommateurs et la juste rémunération des producteurs et des fournisseurs.

C'est peut-être la quadrature du cercle.

Si le besoin s'en faisait toutefois sentir, rien n'empêcherait la mission d'information de bénéficier des prérogatives d'une commission d'enquête, notamment celle de pouvoir travailler à huis clos, afin de protéger les fournisseurs d'éventuelles représailles sous forme de déréférencement.

Le débat parlementaire qui va avoir lieu prochainement sur la base du projet préparé par le ministre de l'économie permettra à chacun de s'exprimer et de faire des propositions concrètes.

Pour toutes ces raisons, la commission des affaires économiques s'est opposée, le 16 novembre dernier, à la demande de commission d'enquête que nous examinons aujourd'hui et a rejeté la proposition de résolution de M. Emmanuelli (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. François Brottes. Ce n'est pas très courageux !

M. le président. La parole est à M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, les prix des biens de consommation courante sont-ils trop élevés en France aujourd'hui ? La réponse est clairement oui.

Depuis 1997, ces biens ont augmenté chaque année de 2,3 % en moyenne, contre 1,5 % pour l'inflation générale. Il faut dire les choses telles qu'elles sont : les Français paient ces biens 15 % plus cher qu'en Allemagne, 7 % plus cher qu'en Belgique et en Espagne, 4 % plus cher qu'en Italie, 3 % plus cher qu'aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, pour les mêmes produits et des mêmes marques. Je précise que je ne parle pas de la notion d'inflation, une notion un peu abstraite qui passionne les économistes et dont ils débattent sans fin, mais des biens de consommation courante, c'est-à-dire des articles que les gens mettent dans leur caddie quand ils font leurs courses. C'est le devoir des politiques de s'occuper des aspects pratiques de la vie, et pas seulement de la théorie.

Cette situation-là n'est ni de gauche ni de droite, c'est une situation qu'il convient de regarder en face et à laquelle il faut essayer de trouver des solutions.

M. Augustin Bonrepaux. C'est la réalité !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'admets bien volontiers que le processus de formation des prix est extrêmement complexe. Cela étant - et j'en appelle à M. Charié et à M. Chatel, qui connaissent très bien ces questions -, les chiffres que je viens de citer ne paraissent pas pouvoir être contestés.

M. Jean-Paul Charié. C'est vrai !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Une fois ce constat établi, une deuxième question s'impose : pourquoi en est-il ainsi ?

Le passage à la monnaie unique a constitué une phase particulièrement aiguë - n'en déplaise aux soi-disant spécialistes qui se sont exprimés sur l'évolution de l'inflation à ce moment-là - de la dérive des prix. Comme je l'avais demandé, l'INSEE a mis en place un indice spécifique des prix dans la grande distribution afin de tenir compte du fait que les deux tiers des Français font leurs courses dans les supermarchés et les hyper ; que cela plaise ou non, c'est un fait. Les conclusions de cette étude sont les suivantes : entre janvier et octobre 2001, les prix des biens de consommation courante ont tout simplement flambé. Vous me connaissez : je ne dis pas cela pour accabler le gouvernement de Lionel Jospin, qui était alors aux affaires,...

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Non, bien sûr !

M. Christian Vanneste. C'est quand même dommage pour lui !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...je le dis simplement parce que c'est la vérité, et qu'il est quand même utile de le rappeler.

Quand j'ai pris mes fonctions de ministre des finances, il y a huit mois, le grand débat était de savoir si le taux d'inflation reflétait fidèlement la réalité des prix. Ayant été frappé de constater que la grande majorité des responsables, y compris politiques, soutenaient que les prix n'augmentaient pas, j'ai eu la curiosité de me préoccuper de cette question, ne me contentant pas de faire aux Français la réponse convenue qu'aurait faite tout autre ministre des finances. C'est à partir de ce moment que le débat sur les prix s'est ouvert.

M. Guy Geoffroy. Tout à fait !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Le passage à l'euro n'est pas le seul responsable de la dérive des prix dans notre pays. Celle-ci est aussi la conséquence d'un dispositif juridique qui permet aux industriels de fixer eux-mêmes le prix de vente de leurs produits et interdit aux distributeurs de répercuter dans les prix le fruit de leurs négociations avec leurs fournisseurs. C'est ce qu'on appelle, d'un côté, la non-négociabilité des tarifs, et de l'autre, les marges arrière. Cette question des marges arrière a été occultée pendant des années, au motif qu'elle était trop technique. Quelques-uns, comme M. Charié, ont eu le mérite d'en parler.

M. Jean-Paul Charié. C'est vrai !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais allez donc dans les supermarchés pour demander aux consommateurs s'ils savent ce que sont les marges arrière ! Je ne doute pas que les parlementaires ici présents aient compris le système. Pour ma part, j'avoue que cela m'a demandé plusieurs semaines.

M. le président. En ce qui me concerne, je n'ai pas encore tout compris ! (Rires.)

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je reconnais là votre honnêteté, monsieur le président.

En simplifiant un peu, la marge arrière, c'est la partie du prix qui ne figure pas sur la facture : on impose à un fournisseur de payer pour que ses produits soient vendus. Les marges arrière ont pris des proportions considérables depuis 1997, atteignant aujourd'hui une moyenne de 32 %, soit un tiers du prix. Or ce tiers ne profite pas au consommateur puisqu'il n'existe que dans les rapports entre le producteur et le distributeur.

M. Jean-Paul Charié. À qui profite-t-il, alors ?

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. La seule chose dont on soit certain, c'est qu'il ne profite pas au consommateur. Si vous voulez mon avis, il profite à la distribution et aux grands industriels (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) selon un partage de l'ordre de deux tiers, un tiers. Et si la pratique des marges arrière perdure, c'est qu'un certain nombre de personnes doivent y trouver leur compte.

M. Jean-Paul Charié. Bravo d'oser le dire !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'ai donc commandé le rapport que vous connaissez à M. Canivet, Premier président de la Cour de cassation, et je dois dire que j'ai rarement vu un rapport de cette qualité. J'invite les parlementaires à le lire, car il est passionnant et explique de manière implacable le déroulement du processus depuis 1997. C'est un travail vraiment exceptionnel.

M. Didier Migaud. Il n'y a que Raffarin à ne pas en être convaincu !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Sur cette base, j'ai voulu mettre en place un système efficace de sanctions. En effet, la réglementation extrêmement précise dont nous disposons est formidable pour empêcher la baisse des prix, mais non leur augmentation.

Par ailleurs, j'ai proposé que les primo-infractions soient punies d'une sanction administrative, afin d'éviter d'encombrer le juge pénal, qui a déjà fort à faire. La pénalisation du droit des affaires est en effet une absurdité spécifiquement française.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est vrai !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En revanche, je propose que les infractions répétées deviennent pénales. Comme l'explique le rapport Canivet, mieux contrôler la coopération commerciale abusive ne suffit pas pour enrayer durablement la dérive des prix. Dans la dérive des prix des marges arrière, je me suis toujours refusé à désigner un coupable. Je pense que les distributeurs aiment les marges arrière car ce sont des marges garanties qui leur permettent de stabiliser leur cours de bourse et de financer leur développement international.

M. Didier Migaud. Et la publicité !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ainsi, un groupe français comme Carrefour, numéro deux mondial dans son secteur d'activité, a-t-il partiellement financé son développement international grâce à l'augmentation des marges arrière.

Les industriels acceptent les marges arrière parce qu'elles leur permettent d'acheter le confort d'un prix de vente uniforme sur tout le territoire, ou - pour les grandes marques - d'augmenter leurs tarifs. Une grande marque française que je ne citerai pas a ainsi augmenté ses prix de 26 % sur les cinq dernières années.

M. Jean-Paul Charié. Ce n'est pas la seule !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je pense aussi à une autre grande marque, dont les produits sont achetés par certains grands magasins en Italie, où ils sont moins chers. Est-il normal que la législation conduise à ce qu'un même produit soit vendu moins cher dans les mêmes magasins de l'autre côté de la frontière ?

M. Jean-Paul Charié. Il faudrait déjà faire appliquer la législation !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. L'un des éléments de complexité de ce dossier, c'est la difficulté, voire l'impossibilité, de distinguer, parmi les industriels, ceux qui sont les victimes du système de ceux qui en profitent très largement. Je ne conteste pas l'existence des premiers, mais je n'hésite pas non plus à dire que certaines grandes marques de notoriété mondiale ont profité de la loi du 1er juillet 1996, dite loi Galland, pour augmenter leurs prix et leurs profits aux dépens des consommateurs.

Quant à certaines PME, elles ont trouvé un intérêt provisoire à la dérive des marges arrière grâce au développement des fameuses MDD, les marques de distributeurs. Qu'on ne s'y trompe pas pour autant : sur 7 000 PME environ qui travaillent avec la grande distribution, 700 seulement fabriquent des produits sous marque de distributeurs. Dans un système où les prix étaient tirés vers le haut, les distributeurs ont proposé des produits premier prix sous marque distributeur, en pressurant les prix au moyen d'accords avec les PME. Ce système n'offre toutefois aucune garantie de pérennité aux PME, dont les produits sont vendus sous la marque du distributeur.

Ce qui a changé aussi, c'est que tous les acteurs sont aujourd'hui convaincus que cette dérive ne peut plus durer. Il y a des craintes bien sûr, liées aux incertitudes qui se créent chaque fois que l'on s'apprête à changer de système : on sait ce qu'on perd, on ne sait pas ce qu'on trouve. Mais je crois vraiment que le système actuel conduit à un risque de récession majeure dans ce secteur d'activité.

M. Didier Migaud. Vous avez raison !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En effet, le consommateur est le principal perdant du système actuel.

M. Charles Cova. Comme toujours !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. D'ailleurs - et vous ne pouvez manquer de l'avoir constaté, monsieur le président, vous qui êtes soucieux que les débats parlementaires passionnent les gens -, il suffit de voir le nombre d'articles et d'émissions consacrés à ce sujet.

M. Jean Lassalle. Tout à fait !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Les gens ne s'y trompent pas : ils savent bien que c'est d'un problème de vie quotidienne qu'il est question, et non de théorie. Quand ils nous voient parler d'inflation, ils se disent que les hommes politiques ne connaissent pas la vie, mais quand ils nous voient parler des marges arrière, des prix dans les grandes surfaces et du problème du hard discount, ils sont sans peine convaincus qu'ils s'agit de questions qui les concernent au quotidien. Le sujet les passionne, si l'on se réfère au nombre d'émissions et aux kilomètres d'articles qui ont été produits sur ce thème.

M. Guy Geoffroy. C'est vrai !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il me paraît donc utile d'en discuter...

M. François Loncle. Oui, il faut un débat !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...et c'est la raison pour laquelle je suis très heureux de participer à ce débat.

Je voudrais appeler l'attention de l'Assemblée sur un point important dont nous n'avons pas encore parlé : le développement des parts de marché du hard discount. Celui-ci représentait en effet 1,6 % de part de marché en 1992 contre près de 15 % aujourd'hui. Ces chiffres montrent que des prix trop élevés dans les hyper ou les super favorisent l'arrivée du hard discount et ne bénéficient pas au commerce de proximité. C'est une réalité. Et comme la surface de ces magasins fait moins de 300 mètres carrés, ils s'implantent en centre-ville sans avoir besoin de demander une autorisation.

Mme Chantal Brunel. Très juste !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Cela étant, car j'essaie d'être équilibré dans la description du phénomène - monsieur Charié, nous sommes suffisamment amis pour que vous le sachiez - le hard discount n'est pas que négatif. Tout n'est pas blanc ou noir et c'est bien pour cela que le dossier est complexe. D'abord, le hard discount a permis à une population déshéritée de trouver des prix moins chers. Ensuite, il a souvent constitué un facteur d'animation provisoire. (« C'est vrai ! » sur divers bancs.)

Mais, et je crois que nous pouvons tous être d'accord sur ce point, comme le hard discount ne vend aucun produit de marque, son développement à un tel niveau est destructeur de valeur. Sans marque, on ne pourra pas sauver, en effet, les entreprises françaises. En outre, la diversité de l'offre est pauvre dans le hard discount : à surface comparable, 1 400 références en moyenne contre 5 000 à 7 000 dans un magasin traditionnel. Comment aider les PME s'il y a moins de produits référencés ? Par ailleurs, et c'est important pour les élus que nous sommes, le hard discount crée moins d'emploi : les consommateurs prennent leurs produits dans des colis éventrés et simplement posés sur des palettes. C'est pourtant bien dans le secteur de la distribution, et donc dans les hyper et les super, que des jeunes qui n'auraient aucune chance d'être sociabilisés trouvent des emplois. Enfin, le hard discount vient directement de l'Est.

M. Jean-Paul Charié. D'Allemagne !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je n'ai pas observé que l'Allemagne était à l'ouest.

M. le président. Il n'est pas en notre pouvoir de changer la géographie !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Les pays qui changent d'adresse sont assez rares !

En tout état de cause, les démarches qualité et les engagements passés avec les agriculteurs sont déjà insuffisants, à l'Est, au niveau des hyper et des super. Je vous laisse imaginer ce qu'il en est avec le hard discount.

Au-delà de la question du dynamisme du secteur d'activité des biens de grande consommation, il y a un second phénomène qui mérite une attention particulière : c'est la captation par quelques intérêts des bénéfices importants que représentent les marges arrière et qui ne sont pas investis dans l'économie.

Pendant plus de trente ans, du début des années 60 au début des années 90, la grande distribution a été un acteur majeur du dynamisme de l'économie. Elle a joué un rôle essentiel pour contenir les prix. Elle a créé de la consommation et donc de la croissance. De ce point de vue, elle a conduit à la création de nombreuses PME.

M. Jean-Paul Charié. C'est vrai !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Rappelons au passage que la grande distribution s'est développée sous la pression d'un phénomène incontournable : le désir des femmes de concilier vie familiale et vie professionnelle.

Mme Claude Greff. C'est normal !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En effet. Cette évolution va d'ailleurs s'accentuer. Qui, ici, parmi ceux qui ont des enfants, pourrait imaginer se préoccuper moins de l'avenir professionnel de sa fille que de son fils ? Or faire ses courses en choisissant ses commerçants et en prenant son temps n'est plus de mise pour les femmes dès lors qu'elles exercent une activité professionnelle comme les hommes.

C'est dans ce contexte qu'ont été prises des mesures visant à protéger le commerce de proximité. Malgré la législation actuelle, les chiffres sont pourtant accablants : entre 1994 et 2004, le nombre de charcuteries a baissé de 40 %, celui des boucheries de 20 %, celui des poissonneries de 31 %, celui des crémeries de 38 % et celui des horlogeries-bijouteries de 19 %.

M. Jean Lassalle. Et voilà !

M. Jean-Paul Charié. Et le nombre de pompes à essence a baissé de 50 % !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ces chiffres aveuglants montrent que cette législation, qui pousse à l'augmentation des prix, n'empêche nullement la disparition du commerce de proximité. J'en tire la conclusion que l'immobilisme est la pire des solutions, dans ce domaine comme dans les autres.

À ce stade de la réflexion, je crois important de souligner que la réduction des marges arrière ne peut pas intervenir dans des proportions significatives sans réformer la loi. J'entends souvent dire : « Si M. Leclerc veut baisser ses prix, il n'a qu'à réduire ses marges arrière ». Le problème, c'est qu'il ne le peut pas. Si M. Leclerc, ou un autre distributeur, allait voir quelques industriels en leur disant : « Faisons un accord gagnant-gagnant. Je baisse de 15 points mes marges arrière, ce qui vous permet de baisser de 15 % vos prix de vente et de reconquérir des parts de marché », il s'entendrait répondre : « J'aimerais bien, mais je ne peux pas le faire, parce que mes tarifs doivent être les mêmes pour tous les distributeurs ». C'est le problème de la non-négociabilité des conditions générales de vente.

Si l'on veut réduire les marges arrière, et surtout mettre un terme à la dérive inflationniste actuelle, il faut soit réformer la loi, soit obtenir l'accord de tous les participants. J'ai obtenu cet accord juin, pour quelques pour cents. Et je reconnais bien volontiers que...

M. François Loncle. Ça ne marche pas !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est absurde de dire cela, monsieur Loncle ! L'INSEE vient d'annoncer que les prix ont baissé de 1,67 % sur 14 000 produits. On peut considérer que ce n'est pas assez mais il est faux de dire que ça ne marche pas !

Ce n'est un secret pour personne : il y a au moins un distributeur en France qui ne veut pas s'engager dans un processus de baisse des prix parce qu'il préfère se positionner sur le créneau du hard discount, auquel la législation actuelle offre un boulevard. En outre - je le précise car je suis venu ce matin pour aborder tous les points -, pour un certain nombre de groupes français qui ont choisi d'investir massivement dans le hard discount, il n'est pas gênant que les prix augmentent dans les hyper et les super. Le problème, c'est que le hard discount, français ou pas, ne crée pas d'emploi et va toujours chercher ses produits dans les pays de l'Est.

Ce phénomène est aggravé par la législation sur l'urbanisme commercial, qui crée une barrière quasiment infranchissable à l'arrivée de nouveaux entrants sur le marché de la grande distribution. Cette restriction à l'entrée renforce le phénomène de concentration des distributeurs, donc renforce la faiblesse des PME qui ne peuvent pas négocier avec beaucoup de distributeurs, puisque ceux-ci ne peuvent croître qu'en rachetant des magasins ou des centrales d'achat existants. La puissance d'achat des distributeurs en est accrue, ce qui déséquilibre encore un peu plus les relations commerciales.

Du reste, vous le constatez tous lorsque vous dites : « Chez moi, c'est tout Leclerc ! » ou « Chez moi, c'est tout Carrefour ! » etc. Il y a bel et bien un partage du marché et la concurrence ne joue plus. Cela a renforcé la grande distribution, diminué l'effet de la concurrence et affaibli les PME, qui se trouvent finalement face à cinq acteurs avec lesquels il est de plus en plus difficile de discuter.

Mme Chantal Brunel. C'est vrai !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Pas moins de quatre contributions majeures ont été publiées sur ce sujet qui constitue la difficulté du moment.

Contrairement à ce que l'on entend dire, ce n'est pas la baisse des prix et la réforme de la loi Galland qui risquent de détruire des emplois. C'est l'immobilisme qui empêche d'en créer. Et ce constat dépasse, me semble-t-il, tous les clivages partisans.

Dans ces conditions, faut-il créer une commission d'enquête ou une mission d'information ?

Plusieurs députés du groupe socialiste. Oui, que faire ?

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Finalement, il n'y a que ça qui vous intéresse dans mon propos ! Eh bien, le Gouvernement considère qu'il appartient à l'Assemblée d'organiser son travail et que la décision qu'elle prendra sera la bonne !

Mme Martine Lignières-Cassou. Merci !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Au nom de quoi le Gouvernement devrait-il intervenir dans ce choix ? Ce que le Parlement décidera sera bien décidé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Grâce à l'accord du 17 juin, monsieur Loncle, les 4 000 produits les plus vendus ont baissé de 3,6 % depuis le 1er septembre. Et les 18 000 produits de marque ont baissé de 1,67 %. Nous ne sommes donc pas encore tout à fait aux 2 % sur lesquels je m'étais engagé. C'est cependant la première fois depuis soixante ans qu'on s'interroge sur le niveau non pas de la hausse, mais de la baisse des prix à la rentrée. Comme dit le proverbe : « quand je me regarde je me désole, quand je me compare je me console ». Je regarderai avec intérêt comment les choses vont évoluer. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Le 18 novembre dernier, j'ai réuni les distributeurs, les PME et les industriels. Nous nous sommes mis d'accord sur trois principes. Les parlementaires interviendront sur le texte à venir et en feront ce qu'ils voudront.

M. Jean-Paul Charié. Ou ce qu'ils pourront.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il était normal en tout cas de parvenir à une forme de consensus avec nos partenaires. Premier principe : il faut réformer la loi et le faire rapidement. Deuxième principe : il faut permettre aux distributeurs de traduire dans les prix les fruits de leurs négociations avec les industriels, ce qui signifie que la coopération commerciale doit être prise en compte, en tout ou partie, dans le calcul du seuil de revente à perte. Troisième principe, enfin : il faut créer un espace de négociation des conditions de vente des industriels.

M. Didier Migaud. Quatrième principe : il faut changer Raffarin !

M. le président. Monsieur Migaud, ce n'est pas le sujet. Nous traitons de la grande distribution.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, ce propos pourrait être interprété ; je ne sais si c'est volontaire... En tout cas, moi je demande à l'Assemblée de noter que je n'ai rien dit.

Sans trop allonger le débat, je voudrais faire deux remarques.

Tout d'abord, je considère que cet accord ne doit pas concerner le prix des produits agricoles. La situation de nos agriculteurs est tellement fragile que l'on ne peut leur imposer les règles qui s'appliquent aux autres secteurs de production.

Plusieurs députés du groupe UMP. C'est vrai !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Comme vous le savez, les agriculteurs ne peuvent répercuter sur leurs produits la hausse du prix du carburant. M. Méhaignerie peut en témoigner, j'ai essayé de les convaincre qu'ils ont besoin de la grande distribution pour diffuser leurs produits auprès du plus grand nombre de consommateurs. Il se trouve que, dans notre pays, la grande distribution est trop concentrée et que nos agriculteurs ne sont pas assez rassemblés pour pouvoir discuter. Mais, en tout état de cause, nous sommes tous d'accord sur un point : les règles qui s'appliquent aux autres secteurs ne doivent pas s'appliquer aux agriculteurs et aux prix agricoles.

Ensuite, je pense que nous devons aider les PME, sachant que c'est très difficile. En effet, qu'est-ce qu'une PME ? Certaines grandes marques sont des PME, comme le pain Jacquet.

Comment faire en sorte que les PME soient plus présentes dans les bacs des supermarchés et des hypermarchés ? Tout d'abord, en interdisant les accords de gamme. En effet, une marque internationale qui a dix produits vedettes peut, grâce à un accord de gamme, en placer 200 dans les rayons d'un supermarché, au détriment des produits issus des PME. Pour éviter cela, nous devons interdire les accords de gamme.

Pour permettre aux produits des PME d'avoir accès aux linéaires, ne pourrait-on conditionner l'augmentation de la superficie ou la modernisation d'une enseigne par la présence dans ses rayons de produits des PME, notamment régionales ?

M. Antoine Herth. C'est vital, en effet !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais, me dira-t-on, comment le contrôler ? Je répondrai devant Guillaume Cerruti, le nouveau directeur de la DGCCRF, qui a réalisé un travail remarquable, que si on croit qu'on ne peut rien contrôler, ce n'est pas la peine de faire la loi ! Je pense pour ma part qu'échanger des mètres carrés supplémentaires ou des travaux de modernisation contre la présence de produits issus des PME dans les linéaires serait une expérience intéressante. Si nous ne le faisons pas, les PME resteront absentes des linéaires.

Je vais conclure, monsieur le président, bien qu'il reste beaucoup à dire sur un sujet d'une telle importance. Mais je voudrais auparavant rassurer les parlementaires : vous ne devez pas craindre la complexité de ce dossier, ni écouter ceux qui vous demandent de rester immobiles. Vous perdriez du temps et, pendant ce temps, le commerce de proximité se meurt,...

M. Jean-Paul Charié. Très juste !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...la concurrence ne peut s'exercer dans de bonnes conditions, et certaines PME n'ont accès à la grande distribution que sous la marque des distributeurs.

M. Pierre-Louis Fagniez. C'est un point très important !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce n'est pas rien, en effet ! D'ailleurs, un seul pays d'Europe a le même système que nous. Peut-être avez-vous vu récemment à la télévision un reportage sur les ravages que provoque la pratique de prix plus bas à nos frontières. Cette pratique capte une partie du pouvoir d'achat de nos compatriotes alors que notre consommation n'est déjà pas assez élevée.

M. Didier Migaud. Bien sûr !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce n'est pas, je le répète, une question de gauche ou de droite, mais de volontarisme pour moderniser l'économie française. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Marc Ayrault. Mon intervention sera très brève. Je voulais simplement souligner l'utilité de cet échange suscité par le groupe socialiste sur la base du rapport de M. Jean Gaubert. Il montre que les séances d'initiative parlementaire font progresser nos débats, et vous y êtes comme nous, monsieur le président, très attaché.

Cette discussion révèle que de véritables questions se posent. M. le ministre en convient parfaitement. Il les a d'ailleurs évoquées en détail et en a souligné à juste titre la complexité.

Ne nous résignons pas à la situation existante et à l'immobilisme, ce serait une faute. Faire évoluer les choses, c'est faire de la politique et c'est ce qui nous a conduits à proposer à l'Assemblée nationale la création d'une commission d'enquête.

Á l'Assemblée nationale de décider, dites-vous, monsieur le ministre. C'est en général l'attitude qu'adopte le Gouvernement devant les textes d'origine parlementaire. Mais dans quelques jours, monsieur Sarkozy, vous allez changer de casquette et devenir président de l'UMP. D'ailleurs, vous avez déjà été élu. Vous savez fort bien que si le groupe UMP, ce matin, s'oppose à l'initiative du groupe socialiste de demander une commission d'enquête pour faire évoluer les choses dans un domaine aussi passionnant que complexe, cette commission d'enquête ne sera pas créée. Nous ne pourrons que le regretter.

Puisque vous avez appelé à une modification de la loi, tout en disant que ce n'est pas simple et qu'il faudrait peut-être recourir à une expérimentation, je vous demanderai ainsi qu'au groupe UMP et au président de la commission des finances, de faire preuve d'esprit d'ouverture et de nous suivre en créant une commission d'enquête. Naturellement, nous accepterons que cette proposition de résolution soit amendée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Luc-Marie Chatel. Ce n'est pas un rappel au règlement !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Geneviève Perrin-Gaillard.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'instar de M. Jean-Marc Ayrault, je partage le constat du ministre d'État, bientôt président de l'UMP. J'ai compris qu'il n'était pas défavorable à la création d'une commission d'enquête et je crois que, sur un sujet d'une telle importance, la majorité devrait suivre le mouvement qui nous anime et aller plus loin.

Au début de cette année, rappelons-nous, l'enseigne Leclerc a lancé une grande campagne d'affichage relative à l'évolution réelle des prix. Son message publicitaire était éloquent : l'indice INSEE est réducteur et l'inflation réelle est bien plus élevée que ce que l'on admet habituellement.

Force est de constater aujourd'hui que le message n'a cessé depuis d'avoir des répercussions sur le monde de la distribution et pour nous, les élus, qui nous intéressons de près à la vie quotidienne de nos concitoyens. Le sujet est important. Si nous comptabilisons les questions posées par les députés sur les marges arrière depuis le début de la présente législature, nous en comptabilisons 136 ! À 136 reprises, les députés ont saisi le Gouvernement de cette question. N'est-ce pas la preuve qu'il s'agit d'un problème important, qui mérite d'être étudié avec tous les moyens que nous offre le règlement de notre assemblée ?

Depuis quelques années, nous entendons dire autour de nous, dans nos circonscriptions, que les prix ont subi une envolée immodérée, qui grève de plus en plus un pouvoir d'achat qui ne cesse de diminuer. Le talent publicitaire d'une grande enseigne a été de s'emparer de ce mal-être pour faire avancer l'idée selon laquelle seule la concurrence libre serait bénéfique aux consommateurs.

Quelle demande claire se cache derrière cette campagne ? Elle est sans ambiguïté : il faut revenir sur la loi Galland ainsi que sur la loi Raffarin. La première interdit la revente à perte et définit des seuils en deçà desquels un produit ne peut être vendu ; la seconde a pour objectif de limiter la croissance des surfaces de vente pour permettre la survie des petits commerces. Il faut remercier les auteurs de ces deux lois de 1996 et admettre qu'elles ont permis de limiter la concentration des points de vente sur notre territoire. Le Bureau international du travail l'admet aussi : ces deux lois ont permis de préserver nombre de petits commerces et par là même, sans doute, de l'emploi. Cela est vrai, pourquoi ne pas le dire ?

Ce sont ces outils de régulation qui ont servi de monnaie d'échange dans l'accord du 17 juin dernier, comme l'admet la fédération du commerce de distribution : contre un assouplissement de la réglementation, la baisse des prix, sur le papier, devait atteindre « 2 % en moyenne sur les produits de marque des grands industriels ». Aujourd'hui, le résultat est bien maigre !

Contre cet assouplissement des lois Galland et Raffarin, nous avons tous reçu des courriers émanant de membres de l'UPA ou de l'union des commerces de centre ville, inquiets des répercussions désastreuses que pourraient avoir de telles réformes. Vous en êtes tellement conscient, monsieur le ministre, que votre ministère a mis en place cette semaine un groupe de réflexion. Je vous rappelle que M. Jacob a exprimé son désaccord après la remise du rapport Canivet.

En réalité, nous savons tous que ce n'est pas à l'État de fixer les prix. Les prix doivent être fixés en tenant compte au plus juste des intérêts des producteurs, des distributeurs et des consommateurs. Or, aujourd'hui, nous sommes tous d'accord sur ce point, le consommateur est oublié, j'allais dire sacrifié, dans le processus de fabrication du prix. Dans la loi sur les nouvelles régulations économiques, le gouvernement Jospin avait mis en place des mécanismes de régulation des prix et des pratiques commerciales. Où en est l'application de ce texte ?

Le consommateur est oublié à double titre. Il est sacrifié lorsqu'il passe à la caisse : les prix, le ministère de l'économie lui-même le reconnaît, ont progressé depuis trois ans, parfois de 22 %. Il est sacrifié aussi en tant qu'employé de la production, puisque la politique toujours plus forte de compression des coûts salariaux interdit une évolution du niveau des salaires qui suivrait celle des prix.

L'évolution des prix, voilà bien un sujet qui mérite que nous nous y arrêtions quelque temps dans cette enceinte et que nous utilisions tous les moyens d'investigation que nous offre le règlement. De quelle évolution parlons-nous ? Est-ce celle annoncée trimestriellement, voire mensuellement, par l'INSEE ? Est-ce celle perçue par tous nos concitoyens ? Je viens de l'indiquer : ceux-ci ne cessent de nous dire leur incompréhension devant des chiffres qu'il jugent erronés. Il est vrai que selon l'UFC - Que choisir, l'indice réel traduirait une augmentation des prix trois à quatre fois plus rapide !

Pourquoi une telle différence ? Parce que ce ne sont pas les mêmes produits qui sont pris en compte. Or la réalité de la consommation est très évolutive. Lorsque nous allons faire des courses avec nos enfants, il est fréquent que nous cédions à l'attrait de la nouveauté. Cette nouveauté, qui très souvent est plus chère, augmente le prix de notre chariot global. Or cette augmentation, que les spécialistes nomment l'inflation cachée, n'est pas prise en compte. Les changements de conditionnement des produits génèrent aussi de l'inflation cachée, qui devrait être mesurée. Notre commission d'enquête pourrait étudier la réalité de ce phénomène.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard. Je termine, monsieur le président. Si l'évolution des prix est un point essentiel, sur lequel mes collègues reviendront, les relations entre les producteurs et les distributeurs sont tout aussi fondamentales.

Devant un constat lucide partagé par tous et qui justifie que notre assemblée utilise tous les moyens dont elle dispose, le groupe socialiste ne comprend pas pourquoi la majorité se contente d'une mission d'information. Le groupe UDF, lui aussi, avait en son temps demandé la création d'une commission d'enquête, mais son opportunité a été constatée. Pour nous, créer une mission d'information n'est pas suffisant pour analyser à fond les constats que nous faisons aujourd'hui.

C'est pourquoi nous demandons la création d'une commission d'enquête qui aurait pour but d'analyser le niveau des marges, leur formation et les prix dans le secteur de la grande distribution, ainsi que les conséquences de l'évolution des prix sur le pouvoir d'achat des ménages. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, je voudrais avant tout rendre hommage à M. le ministre de mener depuis quelques mois un débat sur ces questions, car cela n'avait jamais été fait jusqu'à présent. J'ai personnellement beaucoup apprécié son exposé, qui présente aussi bien ce qu'il a obtenu et réalisé que ce qu'il n'a pu obtenir.

Depuis l'initiative du 17 juin de réunir l'ensemble des acteurs de ce secteur, une chose a fonctionné : ceux-ci se sont approprié la démarche. Avant cette réunion, ils jouaient à cache-cache, chacun essayant dans son coin de pousser les autres à la faute, tout en veillant à ne pas s'engager. Tous les partenaires ont compris qu'ils appartenaient à une même logique et à une même cohérence dont il est difficile de sortir.

Cela étant, la baisse des prix, notamment pour les ménages, n'a pas été suffisamment sensible pour être perçue par nos concitoyens ; vous l'avez vous-même reconnu, monsieur le ministre.

Personnellement, j'apprécie les initiatives qui tendent à faire bouger les lignes et à changer le cours des choses. Dans ce domaine, il était vraiment utile d'en prendre.

Notre groupe avait proposé - je pense qu'il a été le premier à le faire - la mise en place d'une commission parlementaire sur ce sujet. Nous avons vaillamment défendu cette idée, sans la voir aboutir.

M. Augustin Bonrepaux. Et vous avez changé d'avis ?

M. Jean Lassalle. Le 17 juin a donc été lancée cette initiative à laquelle il m'a semblé, mon cher collègue des Pyrénées, que tout le monde se ralliait : il s'agissait d'essayer de mettre l'ensemble des acteurs autour de la table pour faire progresser les choses. Or, depuis le mois d'octobre, nous nous sommes rendu compte que les espoirs n'avaient peut-être pas été à la hauteur de ce que nous avions affiché. Nous nous sommes alors engagés dans une autre voie, consistant à mettre en place une mission d'enquête dont mon excellent collègue Jean Dionis du Séjour est l'un des rapporteurs. Nous avons été étroitement associés à cette démarche.

Le groupe UDF ne peut pas changer d'avis ni d'attitude tous les jours. Il faut un minimum de cohérence, et j'ai beaucoup apprécié l'ouverture faite par le ministre, que vous avez vous-même saluée à l'instant, chers collègues de gauche. Pour ma part, je suis obligé de vous dire que je ne peux pas changer d'attitude par rapport à celle que j'ai eue, que mon groupe a eue il y a quinze jours ; sinon, nous allons être un véritable courant d'air !

Mme Martine Lignières-Cassou. Non, une girouette !

M. Jean Lassalle. Bien entendu, je reste très attentif à ce qui va être mis en place. Nous allons beaucoup nous impliquer dans cette mission d'enquête et faire en sorte d'obtenir les meilleurs résultats pour les divers partenaires.

M. Augustin Bonrepaux. Cela ne servira à rien !

M. Jean Lassalle. En outre, sur un sujet aussi difficile, je ne suis pas sûr qu'une commission d'enquête - alors que nous avons été les premiers à la proposer - soit la meilleure solution pour faire évoluer les choses. Car on figerait chacun dans son rôle.

M. Jean Proriol, vice-président de la commission. Très bien !

M. Augustin Bonrepaux. Mais non !

M. Jean Lassalle. Nous apparaîtrions comme des censeurs qui interrogent et chacune des parties nous enverrait ses meilleurs avocats pour répondre aux questions, sans que nous arrivions à faire évoluer les choses d'un pouce !

Et nous aurions un magnifique rapport de plus ! J'ai participé à trois commissions d'enquête, au temps où j'étais jeune député stagiaire, et j'en attendais beaucoup. Certes, on a fait des rapports d'enquête formidables, mais ils sont restés dans les tiroirs !

M. le président. Mon cher collègue, qu'est-ce qu'un député stagiaire ?

M. François Loncle. Ça n'existe pas !

M. Jean Lassalle. Un député qui apprend son métier.

M. le président. Nous apprenons tous notre métier !

M. Jean Lassalle. Merci, monsieur le président ! Moi, j'apprends mon métier avec beaucoup d'humilité, mais aussi de détermination !

Selon moi, ce qui peut le mieux faire évoluer les choses aujourd'hui, c'est de se placer dans une démarche interactive, permettant à tous les acteurs d'évoluer ensemble, et non pas dans une démarche figée risquant de bloquer les lignes.

Je ne vais pas vous parler des marges arrière, parce que vous savez tous que je sais ce que c'est.

M. le président. Vous n'êtes donc plus stagiaire !

M. Jean Lassalle. Dans ce domaine-là, un peu moins. (Sourires.)

M. le président. Parfait !

M. Jean Lassalle. Notre président ayant lui-même confié qu'il avait encore quelques progrès à faire, et M. le ministre d'État ayant confessé à l'Assemblée qu'il a beaucoup appris mais qu'il a encore à apprendre un peu sur ce sujet, comprenez que le député des Basques et des Béarnais que je suis ait encore quelques petites marges de progression ! (Rires.)

M. le président. Vous n'êtes pas en train de suggérer que le ministre est un ministre stagiaire et le président un président stagiaire ? (Rires.)

M. Jean Lassalle. Absolument pas ! M. Sarkozy est un ministre confirmé, qui s'apprête malheureusement à quitter ses fonctions pour en prendre d'autres.

Ce qui est très préoccupant, c'est la vente discount. Il s'agit d'un problème qui nous échappe à tous et, malheureusement, tout le monde y a sombré. Là aussi, nous lutterons en mobilisant l'ensemble des partenaires et en acceptant de reconnaître que, si notre pays en est réduit à avoir des relations commerciales aussi pauvres que celles induites par la vente discount, c'est que nous sommes vraiment tombés très bas ! Nous ne pouvons remonter le courant qu'en faisant appel à l'intelligence, à la participation de chacun, en ouvrant au grand jour ce débat. Nous y sommes engagés, aux côtés du Gouvernement, dans le cadre de la mission qui vient de prendre son envol. C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, nous ne voterons pas la proposition de résolution qui nous est proposée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner le texte d'une proposition de résolution dont nous approuvons à la fois les motifs et les objectifs, et qui me semble appeler, dans le prolongement des propos du rapporteur, un certain nombre de remarques.

Une majorité de nos concitoyens est confrontée à la dégradation de son pouvoir d'achat. Dégradation qui tient à la fois, monsieur le ministre, à l'augmentation des prix, mais aussi au refus du Gouvernement de conduire une authentique politique de soutien au pouvoir d'achat.

Le Gouvernement s'est en effet limité en la matière à l'affichage d'une seule mesure : le fameux accord signé en juin dernier par vous-même, monsieur le ministre, visant à la baisse moyenne de 2 % des prix des produits des marques des grands distributeurs, dont les effets ont été - bien que vous les ayez quantifiés tout à l'heure - quasiment invisibles pour les consommateurs, à en juger par ce qu'ils nous disent.

Cette mesure ne fait bien sûr pas illusion. Elle masque difficilement l'échec de l'ensemble de la politique gouvernementale en termes d'amélioration de la qualité de vie de nos concitoyens.

Alors que la période 1997-2002 avait été marquée par une baisse du chômage de 24 %, soit 900 000 chômeurs de moins, le gouvernement actuel est confronté au plus fort taux de chômage depuis dix ans.

Alors que la période 1997-2002 avait été marquée par une revalorisation du SMIC et de la prime pour l'emploi équivalente à un treizième et un quatorzième mois pour les familles modestes, le SMIC est appelé à ne plus progresser aujourd'hui que dans les limites de l'inflation. Il en est de même pour la prime pour l'emploi ou les pensions de retraite.

Le Gouvernement a fait le choix d'une politique d'indexation sur l'inflation de l'ensemble des rémunérations. Ainsi, il condamne nombre de nos concitoyens, et parmi eux les plus démunis, à ne plus voir progresser leur pouvoir d'achat, au risque, s'il était possible, de les fragiliser encore davantage.

De fait, les chiffres fournis par le Gouvernement permettent de constater le ralentissement global des gains de pouvoir d'achat. Dans ce contexte, les affirmations relatives à la progression attendue du pouvoir d'achat de 1,5 % cette année, et de 2,2 % l'an prochain, relèvent davantage de l'incantation que de pronostics raisonnables. Ces chiffres sont le témoin impartial de l'impasse dans laquelle s'est engagé le Gouvernement, de son refus de soutenir la demande, et, monsieur le ministre, j'y insiste, d'un attachement dogmatique à une politique de l'offre, à une politique monétariste qui, une fois de plus, apporte la preuve concrète de son inefficacité économique et sociale !

Toutes les politiques monétaristes menées dans le monde ont conduit, partout, au chômage, à l'accroissement des inégalités, à l'accroissement de la dette publique ! Nous pouvons faire le même constat en France !

Outre ce constat d'échec, il nous faut évidemment évoquer, à titre de facteur aggravant pour les conditions de vie de nos concitoyens, la question de l'augmentation des prix.

Le problème est double. Il y a d'abord la difficile question de la pertinence de l'indice des prix à la consommation mesuré par l'INSEE. Je ne reviendrai pas sur le décalage entre l'indicateur officiel de l'INSEE et les chiffres avancés par certains acteurs de la grande distribution. Je voudrais en revanche insister sur une autre difficulté : la mesure du pouvoir d'achat n'est pas seulement dépendante de l'évolution de l'indice des prix à la consommation, mais elle dépend aussi de l'évolution des différents types de revenus et donc des inégalités qui existent en ce domaine entre les différentes catégories sociales. Je m'étonne d'ailleurs que l'INSEE, qui s'appliquait autrefois à connaître l'évolution du pouvoir d'achat selon les différentes catégories socioprofessionnelles, n'intègre plus cette donnée, pourtant essentielle.

Nous partageons bien évidemment le constat de l'insuffisance manifeste des outils statistiques disponibles. Ce point pourrait d'ailleurs à lui seul motiver la création d'une commission d'enquête parlementaire.

Mais c'est évidemment vers l'autre question, celle des prix pratiqués et des marges réalisées par et dans la grande distribution, que nous tournerons notre regard pour voir toute l'utilité et la pertinence d'un travail d'investigation parlementaire.

La détermination de la réalité des marges dans la grande distribution nous semble être un premier aspect essentiel. À l'évidence en effet, et vous l'avez brillamment démontré monsieur le ministre, une certaine opacité, pour ne pas dire une opacité certaine, règne sur les marges arrière négociées entre les distributeurs et les fournisseurs. Tout au plus savons-nous, de l'aveu même des fournisseurs, que la dispersion est importante et que les marques des PME, vous l'avez souligné également, monsieur le ministre, sont de toute évidence les plus pénalisées. Ces éléments n'ont déjà rien de précisément rassurant pour notre économie.

Nous savons en outre, ainsi que le démontrent de nombreux rapports, et notamment celui du Conseil de la concurrence, que les marges de la grande distribution reposent sur des pratiques pudiquement qualifiées de contestables, pour ne pas dire déloyales. Dès lors, il est utile que la représentation nationale se penche un peu plus sur la question, afin notamment d'interpréter les informations abondantes mais contradictoires relatives aux pratiques de la grande distribution, mais encore de contribuer à la recherche de solutions adaptées, compte tenu notamment des insuffisances de la loi relative aux nouvelles régulations économiques.

Il y a une absolue nécessité de faire toute la lumière sur la réalité des pratiques commerciales de la grande distribution, souvent dénoncées par les organisations de consommateurs, et de briser la loi du silence qui protège des pratiques non seulement douteuses, mais aussi dangereuses pour les exploitants agricoles comme pour l'ensemble de notre tissu économique.

Vous avez annoncé, monsieur le ministre, l'objectif de réformer la loi Galland. Je dois dire que, quand on en mesure les effets pervers et qu'on en voit l'origine, cela ne m'ennuierait pas du tout qu'elle le soit. Mais elle ne peut pas être réformée n'importe comment. J'ai également entendu le Premier ministre rappeler - peut-être à sa majorité -, voilà quelques jours : « Si, pour avoir des prix toujours plus bas, il faut importer toujours davantage de produits et ainsi supprimer des emplois en France, on n'est pas gagnant ». Il y a donc bien nécessité d'investiguer pour décider. Monsieur le ministre, vous avez raison d'affirmer que l'immobilisme est destructeur. Raison de plus pour créer une commission d'enquête parlementaire qui nous permettra peut-être de trouver des solutions, en tout cas de mener une investigation en profondeur.

J'ajouterai que nous ne serons pas non plus gagnants si nous nous désintéressons de la situation de plus en plus difficile des producteurs dans leurs relations avec les acteurs de la grande distribution, ni gagnants si nous ne nous penchons pas avec sérieux sur la formation des prix.

Les marchandages avec les grands distributeurs pour négocier des baisses conjoncturelles de prix sur des produits ciblés n'y feront rien. Seule une politique d'augmentation du revenu et de soutien à la consommation permettra de répondre aux attentes de nos concitoyens en matière de pouvoir d'achat.

Même si nous en mesurons les limites, nous sommes favorables à la proposition de résolution qui nous est présentée. Nous sommes tout à fait favorables à la création d'une commission d'enquête parlementaire. Et je me tourne vers nos collègues de la majorité pour leur rappeler qu'une commission d'enquête n'a rien à voir avec une mission d'enquête parlementaire.

M. François Brottes. Très bien !

M. Jacques Brunhes. Elle est différente sur le fond, à la fois dans les moyens d'investigation, dans le sérieux de cette investigation - puisque ceux qui sont entendus doivent prêter serment - et dans les solutions que nous proposons.

Une mission présente un caractère nettement moins contraignant. Or le sujet est tellement important − M. le ministre l'a bien souligné − que nous devons aller jusqu'au bout et, quelle que soit notre bonne volonté, ne pas nous contenter d'effets d'annonce. Je me félicite que M. le ministre n'ait pas fait pression sur l'Assemblée nationale pour lui dicter son choix. C'est à nous − à vous, chers collègues de la majorité − qu'il appartient de décider. Puisse ce choix être raisonnable et constructif, pour nous permettre de voter la proposition de résolution à l'unanimité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Luc-Marie Chatel.

M. François Brottes. Un peu d'audace, monsieur Chatel !

M. Luc-Marie Chatel. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, j'avais regretté, en commission, que le ton du rapport tranche sur celui des débats que, depuis des mois, nous avions sur ce dossier au sein du groupe de travail créé au sein de la commission des affaires économiques. Je retrouve, ce matin, une ambiance plus sereine : le sujet l'exige et, le ministre d'État l'a dit, la question est suffisamment grave pour que nous transcendions nos clivages. Au-delà du pouvoir d'achat et des marges arrière, elle touche en effet à la consommation.

Depuis quelques mois, le Gouvernement a pris des mesures que le Parlement a soutenues et qui ont déjà eu des effets bénéfiques sur la consommation. En 2003, le PIB avait augmenté de 0,5 %, mais le poids de la consommation des ménages était de 0,8 %. Si celle-ci n'avait pas augmenté sensiblement cette année-là, la croissance aurait donc été négative. La loi de soutien à la consommation et à l'investissement que nous avons adoptée cet été a déjà eu un impact sur la consommation, permettant de réinjecter des capitaux dans l'économie. La France avait battu des records européens en matière de taux d'épargne. Grâce à différentes mesures incitatives, les ménages ont vidé un peu leurs bas de laine, le taux d'épargne est passé de 17 à 15 % et la consommation s'en est trouvée relancée. De même, les mesures sur les donations exceptionnelles, les réductions d'impôts sur les crédits à la consommation ou le déblocage anticipé de la participation ont eu un impact direct sur l'économie et la consommation.

Le sujet dont nous traitons ce matin concerne la vie quotidienne de nos concitoyens. Je voudrais féliciter le Gouvernement qui a été assez courageux et déterminé pour s'attaquer à ce dossier avec volontarisme. Vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur le ministre, les Français paient trop cher les produits de grande marque : en moyenne entre 5 et 13 % de plus, pour un même produit − qu'il s'agisse de bouteilles de Coca-Cola, de déodorants L'Oréal ou de yaourts Danone −, que chez nos voisins européens. Il suffit d'ailleurs d'être soi-même consommateur pour le constater, et chacun sait que le caddie à 1 000 francs d'avant l'euro est, aujourd'hui, un caddie à 200 euros. Cette inflation n'est pas virtuelle, mais vient bel et bien rogner le pouvoir d'achat de nos concitoyens.

Nous devons également aborder une question qui, depuis des années, pollue les relations commerciales. Certes, les marges arrière ne sont pas nées avec la loi Galland : depuis que le commerce existe, on négocie des ristournes de fin d'année. Mais la conjugaison des deux phénomènes − l'euro, d'une part, la loi Galland et les pratiques commerciales qui en découlent, avec la bonne entente des industriels et des distributeurs, ou la conjugaison de leurs intérêts, d'autre part − a eu pour conséquence de gonfler artificiellement les marges arrière. Au bout du compte, c'est le consommateur qui a fait les frais de l'opération, en voyant les prix augmenter dans des proportions considérables. Nous avons aujourd'hui atteint des sommets, et ce n'est plus acceptable. Notre groupe de travail a eu l'occasion d'auditionner des responsables du secteur de la charcuterie : les marges arrière y atteignent 70 %. Le prix de vente de l'industriel au distributeur est donc une pure fiction, puisque 70 % en sont reversés au distributeur. Cette dérive a contribué à jeter la suspicion sur l'ensemble des relations commerciales. Il était urgent de s'en préoccuper.

Je voudrais rendre hommage à l'action qui a été menée par le ministre d'État, qui a su rassembler tous les acteurs autour d'une même table, qui a fait se rencontrer des gens qui ne se parlaient plus. J'évoquais à l'instant la suspicion qui existait − et subsiste parfois − entre les différents partenaires, industriels, distributeurs, représentants de petits commerces, des consommateurs, des producteurs. Monsieur le ministre, vous les avez tous réunis. Quand on voit Michel-Édouard Leclerc et Jean-Michel Lemétayer sortir d'une réunion sans se taper dessus, on se dit qu'on est sur la bonne voie. (Sourires.) Votre volontarisme a donc permis de renouer le dialogue.

On peut certes considérer que les premiers résultats que vous avez obtenus sont insuffisants, mais les prix ont baissé de 1,57 %, ce chiffre est une donnée objective, réelle. Il suffit d'aller faire ses courses le samedi...

M. Jean-Paul Charié. Même les autres jours !

M. Luc-Marie Chatel. ...pour constater que tous les magasins mettent en avant des baisses de prix sur les différentes références qui composent leurs rayons.

Quoi qu'il en soit, il faut aller plus loin et, très tôt, notre assemblée s'est saisie de ce dossier. Le vice-président Proriol l'a rappelé au début de la présente séance, nous avons, dès le mois de mai, proposé à Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, la création d'un groupe de travail au sein duquel seraient représentées toutes les sensibilités. Depuis, nous avons accompli un travail important, auditionnant plus de quarante-cinq intervenants du secteur, et nous avons remis un rapport d'étape avant l'été. Nos propositions portaient sur une meilleure application des textes en vigueur et sur le renforcement des moyens de contrôle, sur le maintien du seuil de revente à perte, sur la question des accords de gamme. Nous avons également évoqué les questions d'urbanisme et les enchères inversées. Les accords de Bercy, signés le 17 juin, ont tenu compte de certaines de nos contributions.

Dès le mois de mai, le président Ollier avait indiqué que, si cela s'avérait nécessaire, notre groupe de travail − qui, par définition, était informel − se transformerait en mission d'information. Cela fait partie des prérogatives de l'Assemblée, afin de lui permettre de mieux exprimer sa volonté sur un sujet donné, d'accroître ses moyens, de conduire des enquêtes rigoureuses et de formuler des propositions. Nous avons considéré il y a quelques jours que ce moment était venu.

Mme Chantal Brunel. Très bien !

M. Luc-Marie Chatel. Pourquoi préférons-nous une mission d'information à une commission d'enquête ? On nous dit que la mission ne permettra pas de savoir ce qui se passe réellement. Mais le rapporteur et les membres du groupe de travail que j'ai eu l'honneur de présider peuvent témoigner que nous avons appris beaucoup et que nous savons tout ce qui se passe : il nous a suffi d'interroger les acteurs, sans avoir besoin de prononcer le huis clos, d'aller dans les magasins, d'interroger le directeur de la DGCCRF, qui a recensé les pratiques ayant cours.

On nous dit aussi − comme l'autre jour, au cours d'une réunion de la commission des affaires économiques − que la mission ne peut pas réunir de preuves. Mais nous ne sommes pas des juges et n'avons pas besoin de preuves pour légiférer. Ce qui compte, c'est que nous nous fassions l'opinion la plus objective, la mieux informée, que nous confrontions les points de vue, que nous permettions à toutes les sensibilités de s'exprimer, et que nous décidions de faire des propositions, que nous travaillions à modifier la loi, à des aménagements réglementaires ou conventionnels.

On nous dit encore qu'une commission d'enquête a des pouvoirs plus importants. Je rappelle, sous le contrôle du président Debré, que, si cela s'avère nécessaire, une mission d'information peut demander à bénéficier ponctuellement, au titre de l'article 145-1 de notre règlement, des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête. Nous n'hésiterons pas à utiliser cette possibilité en cas de besoin.

Mais il est un argument plus important. J'ai rappelé, monsieur le ministre, que vous aviez réussi à rassembler l'ensemble des partenaires autour de la table. Ce n'est donc pas le moment de jeter à nouveau la suspicion sur eux. Je crois au contraire qu'il convient de les auditionner, de les réunir, de travailler avec eux sur tous les sujets qui figurent dans ce dossier complexe de la consommation, des prix et des marges arrière.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP a fait le choix de proposer et de voter la création d'une mission d'information.

M. Didier Migaud. Ce n'est pas du tout pareil !

M. Luc-Marie Chatel. Nous avons souhaité que cette mission, qui s'est installée il y a quelques jours, soit élargie à l'ensemble des sensibilités.

M. Augustin Bonrepaux. Encore heureux !

M. Luc-Marie Chatel. Son bureau comprend des députés de tous les groupes et il pourra œuvrer dans l'esprit constructif qui a animé le groupe de travail. Notre objectif est d'évaluer l'impact que les évolutions législatives, réglementaires ou conventionnelles qui s'imposent...

M. Augustin Bonrepaux. Votre mission d'information ne pourra rien faire !

M. Luc-Marie Chatel. ...auront sur le pouvoir d'achat, sur le consommateur, sur l'emploi, sur l'équilibre entre différentes formes de commerce, sur les petits fournisseurs, PME ou petits producteurs.

M. Didier Migaud. Vivement que l'UMP soit dirigée !

M. Luc-Marie Chatel. Chers collègues, ne comptez pas sur nous...

M. Didier Migaud. Ça, on l'avait compris !

M. Luc-Marie Chatel. ...pour enterrer ce dossier.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Très bien !

M. Luc-Marie Chatel. Les travaux de ces derniers mois ont montré qu'il fallait évoluer et que le statu quo n'était pas tenable. La mission d'information fera des propositions pour que nous puissions légiférer dans la bonne direction.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx et M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Augustin Bonrepaux. Vous ne vous en donnez pas les moyens !

M. Luc-Marie Chatel. L'Assemblée nationale travaillera dans le cadre des prérogatives de cette mission d'information. Le Premier ministre s'est engagé à ce que la lutte contre la vie chère soit une priorité pour 2005. Nous œuvrerons dans cette direction.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera contre la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Paul Charié. Je constate avec regret le départ de M. le ministre d'État.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vous prie de bien vouloir m'excuser : je dois me rendre au Sénat.

M. le président. Monsieur Charié, il n'y a pas lieu de commenter les mouvements des ministres.

La parole est à Mme Martine Lignières-Cassou.

Mme Martine Lignières-Cassou. Monsieur le président, mes chers collègues, à mon tour, je voudrais vous convaincre de la nécessité de créer une commission d'enquête parlementaire pour comprendre ce qui se passe dans ce domaine et essayer de trouver ce qui s'y cache.

Nous avons tous le sentiment, cela a été souligné par tous les orateurs, que l'opacité des prix de vente aux consommateurs est devenue la règle et que les prix ont très fortement augmenté depuis quatre ans. Mais, ensuite, les appréciations divergent. Pour certains, les prix ont augmenté de près de 15 % entre janvier 2000 et janvier 2004, soit le double de l'inflation. Pour d'autres, des associations de consommateurs comme l'UFC-Que choisir, l'augmentation des prix est trois à quatre fois plus rapide que de rythme de l'inflation mesuré par l'INSEE.

Le Gouvernement a tenté de faire baisser les prix grâce à l'accord du 17 juin dernier avec les distributeurs en échange de promesses implicites : les produits de marque des grands distributeurs devaient baisser de 2 % en échange d'une réforme de la loi Galland, qui interdit les ventes à perte, et d'un assouplissement des règles d'agrandissement des grandes surfaces. Rien que cela.

Mais, dès le mois de septembre, l'accord du 17 juin est apparu comme une opération marketing de la part des grandes enseignes et comme un affichage politique sans grand effet sur la consommation.

En effet, si le bilan d'étape effectué par l'INSEE, que M. le ministre a rappelé, montre que la baisse des produits, calculée d'ailleurs de façon fort complexe, serait de 1,67 % depuis l'accord du 17 juin, les consommateurs n'ont pas cette impression.

Dans son éditorial de septembre, Que choisir estime : « À quoi bon claironner des rabais sur les rasoirs jusqu'à 40 %, si, dans le même temps, la mousse à raser voit son prix augmenter ? » Quant à la Confédération du logement et du cadre de vie, qui, elle, a approuvé l'accord du 17 juin, elle jugeait au mois de septembre que le compte n'y était pas.

La baisse des produits n'a pas été uniforme et ce type d'opération a jeté le discrédit sur les pratiques commerciales et la vérité des prix. Les promotions brouillent les repères des consommateurs, qui ignorent le prix réel de l'article acheté. Elles freinent en outre la baisse des prix en venant gonfler les marges arrière des distributeurs, cause directe de la spirale inflationniste ainsi que l'a confirmé le rapport Canivet.

Il convient donc de s'interroger à la fois sur les pratiques de fixation des prix et sur les instruments statistiques de l'INSEE car nous mesurons combien l'écart entre l'inflation mesurée et l'inflation perçue est grand.

L'évolution et le renouvellement des produits seraient une cause de l'augmentation de près de 10 % de la moyenne des prix. Or, cela, l'INSEE l'ignore puisqu'il compare les prix d'une année sur l'autre sur les produits existants.

Enfin, il ne faut pas oublier non plus que l'augmentation du coût de la vie ne se limite pas à celle des produits de grande consommation. Les achats auprès de la grande distribution représentent en effet 30 % des dépenses.

C'est cette réalité que l'ensemble des associations de consommateurs a exprimée lors de la rencontre qu'elle a eue avec le Premier ministre il y a quelques jours. Les familles se heurtent à des difficultés majeures devant l'augmentation des loyers, des charges locatives, des assurances, des prix de l'essence, de l'énergie et des services, notamment financiers.

L'appréhension du pouvoir d'achat des familles doit prendre en compte l'ensemble de ces facteurs. C'est la raison pour laquelle l'association Familles rurales compte mettre en place un observatoire des prix, dans une démarche comparable à celle adoptée par l'UNAF, l'Union nationale des associations familiales, avec ses budgets types familiaux.

Un autre objectif de notre proposition, c'est d'analyser la qualité de l'information dont dispose le consommateur. Mon collègue Jean Lassalle demandait tout à l'heure : « à quoi bon une commission d'enquête ? Nous allons figer les positions. » Je crois que, dans cette affaire, les consommateurs sont au centre et que leurs associations ont un rôle clé à jouer. Cela passe par leur reconnaissance et leur valorisation.

En effet, quoi qu'ait dit l'orateur précédent, la suspicion est là : j'en veux pour preuve les derniers chiffres du mois de septembre-octobre sur la baisse de la consommation. La confiance des consommateurs est une condition de la reprise de la consommation. C'est une des raisons pour lesquelles nous demandons la création d'une commission d'enquête. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Raison.

M. Michel Raison. Monsieur le président, monsieur le rapporteur - je ne peux pas m'adresser à M. le ministre puisqu'il est parti, mais peut-être nous entend-il encore -, mes chers collègues, le dossier qui nous préoccupe aujourd'hui est récurrent, il n'est pas apparu comme par miracle le 17 juin 2002, je le fais très gentiment remarquer à nos amis du groupe socialiste.

M. Jean Gaubert, rapporteur. Nous sommes d'accord !

M. Michel Raison. D'ailleurs, vous le savez bien puisque vous avez souligné que différents gouvernements de droite avaient déjà pris ce dossier à bras-le-corps, citant la loi Royer, la loi Raffarin et la loi Galland.

Malgré ces initiatives, nous constatons que personne n'est satisfait. Les producteurs considèrent qu'ils sont massacrés au niveau des prix et surtout dans la façon dont on les traite dans les relations commerciales, avec les centrales d'achat en particulier. Les transformateurs et les PME nous font la même remarque. Les petits commerces se sentent massacrés par la grande distribution. La grande distribution elle-même n'est pas contente parce qu'elle considère à juste titre, et cela explique qu'on ait beaucoup parlé de ce dossier ces temps-ci, qu'elle a perdu 15 % de parts de marché au profit du hard discount et qu'elle a du mal à négocier les prix. Quant aux consommateurs, ils trouvent qu'ils paient trop cher les produits.

Bref, ce n'est pas toujours aussi simple que cela en a l'air. Le hard discount ne vend pas que des produits étrangers, pas plus que la grande distribution classique ne vend que des produits français. Si les magasins de hard discount arrivent à proposer des prix très bas, c'est, outre le fait qu'ils n'emploient pas beaucoup de monde, parce qu'ils appliquent une méthode de distribution simple et très sobre, comme le père de Michel-Édouard Leclerc l'a fait au démarrage des magasins Leclerc.

Ce dossier touche tous les Français, peut-être plus que tout autre dossier ; parce que, si le dossier des retraites touche tous les Français, on ne pense pas beaucoup à la retraite quand on a vingt ans, et il en est de même avec la sécurité sociale : ceux qui paient moins que d'autres ou qui ont l'impression d'être en bonne santé ne s'en préoccupent pas beaucoup. Mais tout le monde consomme.

Conscients de la gravité de la situation, nous avions décidé, avec Luc-Marie Chatel, de mettre en place, avant même le printemps, une mission d'information. Le ministre d'État s'étant saisi du dossier, nous avons décidé d'aller plus vite et de créer un groupe de travail provisoire, avec la perspective de pouvoir le transformer, si nécessaire, en mission d'information, pour pouvoir rendre des conclusions à temps et que ses travaux puissent servir le ministre dans ses réflexions et ses décisions.

M. Jean Gaubert, rapporteur. Quel ministre ?

M. Michel Raison. C'est peut-être pour cela que d'autres groupes politiques se sont lancés, c'est de bonne guerre, dans une surenchère politique en proposant, eux, une commission d'enquête.

M. Jean Gaubert, rapporteur. Non : nous y songions depuis longtemps.

M. Michel Raison. En tout cas, aucune demande de commission d'enquête n'a été formulée, que je sache, les années précédentes. Elle aurait pourtant peut-être été aussi utile qu'aujourd'hui.

Pourquoi une mission d'information et surtout pour quoi faire ? Parce que, si nous voulons trouver de bonnes réponses, nous devons nous poser les bonnes questions et ne pas nous contenter d'envisager uniquement la question des prix. Nous devons respecter l'équilibre de l'ensemble de la filière. Nous devons faire preuve de sérénité, de responsabilité, et nous entendre, mais je ne doute pas que sur ce grand dossier nous y parvenions.

Nous ne devons pas satisfaire un seul maillon, le consommateur ou le distributeur. Nous devons trouver des mesures qui prennent en compte également l'aspect social de ce grand dossier de la consommation, le nombre d'emplois, le nombre de petits commerces à garder. Tous ces points devront égayer nos discussions.

Le consommateur ne doit pas être abusé. Nous ne pourrons pas faire croire indéfiniment au consommateur que nous continuerons de fabriquer et de transformer des produits dans notre pays et qu'ils pourront un jour se servir quasi gratuitement dans les rayons de la grande distribution. Ce serait lui mentir : grande distribution, transformateurs et producteurs ont besoin de marges pour vivre.

Toutefois, je suis d'accord avec M. le ministre : surtout pas d'immobilisme. Cela ne signifie pas non plus que nous devions agir dans la précipitation, sans aucune réflexion. Nous avons besoin de connaître au mieux tous les détails de ce dossier.

Nous en connaissons déjà un certain nombre, notamment au travers des travaux des différentes commissions ou groupes de travail qui existent déjà sur cette question et qui analysent la situation. Nous disposons également des données de la DGCCRF, qui connaît parfaitement le fonctionnement de ces fameuses pratiques commerciales entre les fournisseurs et les distributeurs.

Mais c'est insuffisant. La mission d'information n'aura pas pour seul but de mieux connaître tout le fonctionnement de la filière de la consommation, elle devra également réfléchir aux textes qui pourraient être rédigés ou aux lois qui pourraient être modifiées, en analysant prudemment les conséquences. Chaque fois que nous proposerons de déplacer une virgule, chaque fois que nous voudrons modifier un article, nous devrons agir avec responsabilité et en analyser les conséquences sur l'ensemble de la filière de la consommation. Sinon, nous risquons de commettre des erreurs.

Pour peaufiner notre connaissance du dossier, pour être responsables dans nos propositions de modification de la législation, nous n'avons pas besoin de commission d'enquête. Luc-Marie Chatel l'a souligné, nous avons déjà réussi à réinstaurer le dialogue. M. le ministre d'État a joué un rôle important et Christian Jacob a réuni cette semaine tous les acteurs autour de la table. Nous ne pouvons pas prendre le risque de rompre ce dialogue par la création d'une commission d'enquête dont le but serait de désigner un bouc émissaire. Ce serait un peu trop facile de désigner la grande distribution comme seule responsable des ennuis rencontrés par la grande filière de la consommation. Si nous rompons le dialogue, nous n'arriverons à rien.

M. Guy Geoffroy. Très sage !

M. Michel Raison. Pour ces raisons, je défends vigoureusement la mise en place d'une mission d'information et, parce que vous n'avez pas réussi, mes chers collègues, à me convaincre de son bien-fondé, je voterai contre la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Augustin Bonrepaux.

M. Augustin Bonrepaux. J'ai l'impression que certains de nos collègues ne sont pas convaincus de l'importance du problème.

M. Guy Geoffroy. Mais si !

Mme Maryvonne Briot. Là n'est pas la question !

M. Augustin Bonrepaux. Certes, s'il ne s'agit que de bouger une virgule dans les textes, une mission d'information suffira sans doute, mais je croyais que M. le ministre d'État avait fait comprendre que le problème était beaucoup plus important. Sa démonstration justifie d'ailleurs la création d'une commission d'enquête.

Effectivement, les prix augmentent - M. le ministre d'État l'a reconnu lui-même -, et le pouvoir d'achat diminue parallèlement, ce qui rend l'augmentation des prix beaucoup plus difficile à supporter pour les plus modestes. Le pouvoir d'achat diminue parce que les impôts augmentent. Je ne reviendrai ni sur la décentralisation ni sur la hausse du prix du carburant, tout en remarquant que si la proposition de Didier Migaud d'une TIPP flottante avait été retenue, cela aurait fait économiser 575 millions aux consommateurs.

Si la progression du pouvoir d'achat connaît un réel ralentissement, c'est aussi en raison du gel des salaires. Seulement 1,2 million d'employés, soit moins de 60 % des salariés au SMIC, connaissent une revalorisation de leur traitement, sur 8 millions de bénéficiaires de la prime pour l'emploi. La hausse de celle-ci ne compense même pas l'inflation, calculée d'ailleurs selon les critères de l'INSEE, et c'est bien là le problème. Le plan Sarkozy apporte-t-il un soutien à la consommation et favorise-t-il la baisse des prix ? Qui peut l'affirmer puisque l'INSEE lui-même constate un échec : même pas 2 % de baisse des prix dans les grandes surfaces, contre 5 % promis. Même M. Jacob, ministre délégué aux PME, en réponse à la question « Quel bilan dressez-vous des premières baisses de prix des grandes marques de 2 % en moyenne en septembre ? », déclarait : « Il n'y a eu aucune reprise de la consommation à la suite de la baisse des prix ». Comment peut-on apprécier les résultats du plan si le thermomètre ne fonctionne pas ? Mais personne n'en a parlé.

M. Jacques Brunhes. Si, moi !

M. Augustin Bonrepaux. Dans son excellent rapport, Jean Gaubert s'interroge justement sur la pertinence des critères retenus par l'INSEE.

M. Jacques Brunhes. J'en ai parlé également !

M. Augustin Bonrepaux. Il constate d'abord que les ménages se forment une opinion sur les prix à partir d'un échantillon de biens et services qui représente moins de 60 % du panier total utilisé par l'INSEE pour calculer l'indice des prix à la consommation. Ce n'est pas étonnant qu'il y ait un décalage entre les chiffres que l'on nous donne et la réalité !

Par ailleurs, il faut tenir compte de que l'on appelle « l'effet qualité », qui se traduit par des exemples très significatifs. Premier exemple : en 2003, le prix moyen des lecteurs DVD a baissé de 27 % pendant que l'indice ne baissait que de 20 %. Autre exemple encore plus significatif : l'indice des prix des micro-ordinateurs a baissé de 15 % tandis que l'indice moyen des prix ne baissait que de 7,6 %. Il faut donc s'interroger sur la pertinence de cet indice pour calculer l'inflation. En effet, chaque fois que l'indice est inférieur à l'inflation réelle, cela fait perdre du pouvoir d'achat aux salariés, aux smicards et à tous ceux dont les revenus sont revalorisés en fonction du SMIC.

C'est donc une question extrêmement importante qui ne peut être résolue que par une commission d'enquête. Une mission d'information, nous savons ce que c'est ! Ne nous dites pas qu'elle a les mêmes pouvoirs !

M. Guy Geoffroy. Nous ne disons pas ça !

M. Augustin Bonrepaux. Le rapport d'une mission d'information ne sera pas pris au sérieux par les services, par ceux auxquels il s'adressera. Une commission d'enquête pourra, quant à elle, analyser les critères retenus par l'INSEE et vérifier s'ils sont pertinents. Inspirons-nous des exemples étrangers pour proposer des améliorations ! La meilleure façon d'apprécier les prix, c'est d'avoir un thermomètre juste. Or, aujourd'hui, grâce au rapport de Jean Gaubert, nous nous interrogeons sur la pertinence de ce thermomètre.

Il faut aussi examiner les conséquences exactes des marges arrière et celles que peut avoir une baisse des prix sur l'emploi. Faire baisser les prix ne sert à rien si cela produit un effet néfaste sur le petit commerce et l'emploi.

Enfin, vous n'avez pas dû bien écouter M. le ministre d'État lorsqu'il a posé la question suivante : « Pourquoi les prix sont-ils différents d'un côté à l'autre de la frontière ? » Une mission d'information pourra-t-elle se déplacer comme une commission d'enquête pour aller voir en Allemagne, en Italie ou en Espagne si les prix sont différents et, si oui, pour quelles raisons ? Le problème devrait faire l'unanimité sur tous les bancs. Nous avions l'intention non pas de polémiquer, mais de travailler dans la transparence, avec des indices permettant d'apprécier l'évolution des prix réels. Il s'agit de déterminer quelles sont les mesures à prendre pour faire disparaître ce décalage entre les producteurs et les consommateurs. Plusieurs ministres se sont attelés à ce travail mais les résultats n'ont pas toujours été à la hauteur des attentes. Et vous pensez qu'une mission d'information suffira ! Vous me semblez bien présomptueux.

M. le président. Monsieur Bonrepaux, il faudrait conclure !

M. Augustin Bonrepaux. Revenez à la réalité et suivez les propositions de M. le ministre d'État, à moins que vous n'ayez reçu des instructions précises et sévères de Matignon. Comme vous n'avez pas l'habitude d'y déroger, je comprendrais alors que vous souteniez l'idée d'une mission d'information. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Proriol, vice-président de la commission. Cela n'a rien à voir !

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Charié.

M. Jean-Paul Charié. Comme l'a dit M. le ministre d'État, le sujet est complexe. On a du mal à s'y retrouver.

D'un côté, Michel-Édouard Leclerc, l'un des plus brillants chefs d'entreprise, vient d'affirmer : « Il y a des gens qui ne manquent pas d'air. On ne va tout de même pas nous faire croire que 1 % de marge en moins sur quelques centaines d'articles va obliger des patrons à fermer des usines et à licencier du personnel ».

De l'autre côté, l'INSEE montre une chute, depuis plus de vingt ans, des marges des fournisseurs, chute qui a entraîné la disparition de centaines d'entre eux.

Qui croire ? Où est l'erreur ?

En France, de 1960 à 2003, d'un côté les prix agricoles et alimentaires ont baissé de 56 % au départ production. De l'autre côté, les prix à la consommation ont augmenté de 12 % ! D'un côté, la ruine des agriculteurs et des fournisseurs ; de l'autre, une véritable mine d'or pour les distributeurs.

Qui croire ? Où est l'erreur ?

D'un côté, Michel-Édouard Leclerc affirme : « C'est à cause des fournisseurs qui imposent leurs tarifs que les prix sont de 15 % trop élevés en France. »

De l'autre côté, tout montre une augmentation sensible des sommes facturées par les distributeurs à leurs fournisseurs, pour financer des prestations fictives, des services inexistants.

D'un côté, Michel-Édouard Leclerc affirme : « Je ne détourne pas la loi : je m'assieds dessus. » De l'autre, Jérôme Bédier, président des grandes surfaces, président de la FCD, dénonce « les pratiques prédatrices qu'il faut sanctionner pour restaurer les lois sans lesquelles la liberté n'existe plus ».

Qui faut-il croire ? Michel-Édouard Leclerc, porte parole, du « laissez-nous faire » quand il exige la négociation des tarifs de ses fournisseurs ? Ou Michel-Édouard Leclerc président des centres Leclerc, qui impose à ses fournisseurs ses propres conditions d'achat et des amendes de 60 % du chiffre d'affaires ?

A qui faire confiance ? A Michel-Édouard Leclerc qui, dans des pages de publicité, se présente comme le seul défenseur de la baisse des prix des grandes marques, ou au même Michel-Édouard Leclerc qui refuse de baisser de 15 % les marges arrière, ce qui permettrait aux fournisseurs de baisser d'autant leur tarifs ? J'ai d'ailleurs un petit différend avec M. le ministre d'État lorsqu'il dit que les fournisseurs ne peuvent pas baisser les marges arrière. C'est faux ! Lorsque Procter & Gamble a proposé aux distributeurs de réduire de 15 % leurs marges arrière pour baisser ses tarifs d'autant, M. Leclerc a été le premier à menacer de boycotter les marques concernées.

Au cœur de nos débats, cette série de questions pourrait justifier la commission d'enquête. Même si la DGCCRF et le Gouvernement possèdent déjà les preuves, même si, de mon côté, j'ai déjà publié dans mes rapports parlementaires les fac-similés de ces pratiques condamnables, pour certaines personnes, certains milieux et certaines juridictions, il ne serait en effet pas inutile d'apporter des preuves complémentaires de ces pratiques et propos inadmissibles.

Des mensonges sont proférés avec un aplomb tel que certains n'en doutent plus et finissent par les accepter. Les conséquences de ces mensonges, pratiques et attitudes sont si nuisibles pour l'économie nationale, l'emploi et les consommateurs qu'il faut tout faire pour dénoncer, pour prouver encore et encore, afin que notre pays retrouve une situation normale de libre et loyale concurrence.

Ici, à l'Assemblée nationale, ce ne sont ni les faits ni les analyses sur les pratiques commerciales qui nous manquent. Ce n'est pas de preuves que nous avons besoin. Depuis plus de quinze ans - tous les orateurs l'ont rappelé -, ici au Parlement, quelles que soient les majorités, nous traitons régulièrement ce sujet des rapports conflictuels avec les grandes surfaces. Aujourd'hui, tous les acteurs nous donnent raison et dénoncent à leur tour les aspects prédateurs de la situation française. Les plus virulents sont ceux qui sont à l'origine de cette situation, ceux qui l'ont créée pour s'enrichir sur le dos des agriculteurs et des fournisseurs, sur le dos du petit commerce et des consommateurs. Même si je ne suis pas fondamentalement opposé à cette commission d'enquête, ce n'est pas elle qui apportera la ou les solutions.

L'enjeu, le seul enjeu qui vaille est politique, uniquement politique. Il se pose ainsi : avons-nous la volonté de regarder la vérité telle qu'elle est,...

M. Augustin Bonrepaux. Oui ! Bonne question !

M. Jean-Paul Charié. ...les vérités telles qu'elles sont ? Avons-nous la volonté vraie de prendre les mesures qui en découlent et qu'imposent les lois, la morale, l'éthique du commerce et le bon sens économique ?

M. Henri Nayrou. Oui !

M. Jean-Paul Charié. Je crois à la volonté du Premier ministre, à celle du ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et à celle de M. Jacob, ministre délégué aux PME, mais j'ai un différend avec M. le ministre d'État. Il a mille fois raison quand il dit que le système actuel conduit à la récession, mais pourquoi changer la loi quand elle interdit déjà les pratiques en vigueur ?

La loi interdit déjà de conclure des contrats après la fourniture de la prestation. Elle interdit déjà l'absence de précision des mentions de la facture et le fait de solliciter la prime de référencement, comme le font certains distributeurs.

La loi interdit déjà la facturation de services identiques sous des dénominations différentes. Elle interdit déjà la facturation de services aux fournisseurs alors que ce sont ces derniers qui les rendent.

Tenez-vous bien : aujourd'hui, les grandes surfaces facturent aux fournisseurs et aux PME de la grande distribution des services qui sont en fait rendus par ces derniers !

La grande distribution va jusqu'à imposer des pénalités de livraison et les accompagne de comportements visant à provoquer l'impossibilité de livrer dans les délais convenus. En cas de retard de livraison, l'amende peut aller jusqu'à 60 %, et c'est le client qui se débrouille pour que la livraison n'arrive pas à l'heure !

Tout cela est déjà interdit. L'enjeu n'est pas de modifier la loi, mais de la faire appliquer.

Comme vous l'avez remarqué, j'ai un peu cité un chef d'entreprise. Pour plagier le ministre d'État, le devoir des politiques, c'est aussi de parler de cela.

Je l'ai fait car on ne peut à la fois donner des leçons à toute la classe politique et être à l'origine des pratiques qui sapent notre économie. Qui a inventé les délais de paiement à quatre-vingt-dix jours sans payer plus cher ? Qui a été le premier à lancer les prix fous qui ont ruiné des pans entiers de notre industrie et disqualifié des milliers de petits commerces ? Qui a été le premier à sanctionner les fournisseurs, à leur imposer des amendes de 60 % tout en refusant le principe de la loi ? Qui a inventé les tickets et nouveaux instruments promotionnels en disant : je ne détourne pas loi, je m'assieds dessus ?

L'enjeu, la priorité des priorités n'est pas de modifier la loi, mais de la faire appliquer. Ce n'est pas la loi Galland qui a autorisé les fausses factures, créé ou développé les marges arrière et fait augmenter les prix à la consommation. C'est le non-respect des lois sur la coopération commerciale, les fausses factures et la non-discrimination.

S'il y avait une commission d'enquête à instituer aujourd'hui, elle devrait traiter de la question suivante : pourquoi les gouvernements, depuis vingt-cinq ans, n'ont-ils pas eu le courage de faire appliquer la loi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Henri Nayrou.

M. Henri Nayrou. Monsieur le président, mes chers collègues, le sujet dont nous traitons aujourd'hui a un mérite, celui de nous réunir autour d'une question essentielle pour la vie quotidienne de nos concitoyens : l'évolution et la fabrication des prix, question remarquablement présentée par Jean Gaubert.

Les collègues qui m'ont précédé ont mis tour à tour l'accent sur l'inflation et les relations entre les producteurs et les distributeurs. C'est avec mesure et en écartant tout esprit de polémique que je souhaite vous convaincre de la nécessité de répondre positivement à cette demande de création d'une commission d'enquête sur l'évolution des prix et les relations entre distributeurs et producteurs.

Sans polémique, je tiens à le redire, parce que nous défendons là une demande que le groupe UDF a faite auprès de la commission des affaires économiques de notre assemblée, avant de faire marche arrière

Sans polémique enfin, parce qu'il s'agit d'examiner une relation entre des partenaires d'où le politique est absent, relation qui aboutit aujourd'hui à rogner les intérêts des consommateurs et des producteurs.

Je ne reviendrai pas sur l'accord sur les prix du 17 juin, qui ne constitue à nos yeux qu'une réponse hâtive à un vrai problème. Je m'attacherai simplement à un aspect plus technique qui est au cœur de notre demande de commission d'enquête : la réalité contractuelle vécue chaque jour par les partenaires PME et agriculteurs de la grande distribution.

La problématique de l'enchaînement contractuel qui étrangle toujours un peu plus ces producteurs nous a amenés à vouloir défendre jusqu'au bout la création de cette commission.

Cette problématique n'est pas nouvelle, nous le savons. Les juristes nous enseignent qu'elle est née dès l'après-guerre, notamment avec la création de réseaux de distributeurs concessionnaires d'automobiles.

En agriculture, cet enchaînement a pris initialement le nom de contrats d'intégration. Ceux-ci sont issus de la loi du 6 juillet 1964 tendant à définir les principes et les modalités du régime contractuel en agriculture. Ils ont créé un sujet juridique étonnant : l'indépendant-dépendant. L'agriculteur sous contrat d'intégration est un travailleur indépendant, c'est-à-dire qu'il est responsable juridiquement de ses actes ; mais il est aussi un travailleur en situation de dépendance, parce que sa production lui est dictée très drastiquement par son cocontractant qui lui impose des procédés techniques, au-delà de ses heures de présence sur son exploitation.

La dépendance économique et technique existe depuis longtemps, donc. Mais elle est désormais utilisée à des fins mercantiles par la grande distribution.

Je ne rappellerai pas les propos tenus par notre collègue Charié la semaine dernière en commission sur les pratiques des grandes surfaces, et qu'il vient de confirmer. Nous les partageons. Je veux m'arrêter sur ce qu'a dit à la même occasion notre collègue Sauvadet, qui vient conforter notre volonté d'enquêter avec tous les moyens de notre règlement. M. Sauvadet a souligné que ces pratiques commerciales étaient particulièrement difficiles à clarifier et à réguler du fait du déséquilibre du rapport de force entre dominants et dominés, aucun d'eux n'ayant intérêt à parler. Il a ainsi jugé que « les auditions du groupe de travail de la commission, de même que l'initiative du ministre d'État s'étaient heurtées au silence des fournisseurs comme à la résistance des distributeurs. En effet, les fournisseurs ne pouvaient pas protester contre les pratiques des grandes surfaces, ce qui a permis à celles-ci de n'offrir que des concessions limitées au ministre de l'économie. » Et comme M. Sauvadet l'a dit avec force, aucun des fournisseurs, aucun des distributeurs n'a intérêt à parler.

M. Lassalle, qui n'est pas réputé pour la souplesse de son échine (Sourires), vient de confirmer le groupe négatif de son groupe. Souvent UDF varie... Pour autant, est-il concevable d'admettre dans notre République cet espace pseudo contractuel de non-droit, cet espace où la peur règne ?

Nous savions en fait que le silence est la règle. Nous le savions pour avoir tenté de discuter avec les agriculteurs de nos circonscriptions ; et parce que les universitaires qui travaillent sur les questions de dépendance contractuelle disent souvent la difficulté d'étudier ce domaine où personne ne veut montrer ses contrats. M. Charié vient de le confirmer en posant la question essentielle : qui croire ?

La commission d'enquête que nous demandons n'a que cet objectif majeur : éclairer la matière pour la comprendre. Or, monsieur Charié, seul le secret des discussions au sein d'une telle commission d'enquête permettra de libérer la parole. Si nous ne voulons pas le comprendre, nous risquons encore une fois de légiférer a minima, sans protéger efficacement les PME et les agriculteurs qui font vivre nos territoires.

Dans ce système d'indépendance-dépendance, c'est le producteur qui est responsable et comptable du risque économique. N'entendons nous pas les cris d'alarme de nos producteurs de fruits et légumes ? Peut-être certains pensent-il qu'il n'y a qu'à réduire le coût du travail, à augmenter la flexibilité et baisser les protections sociales ? Le problème, c'est que même les dirigeants de la grande distribution admettent que cette voie comporte le risque majeur de décourager la consommation.

Monsieur Proriol, qui représentez la commission, nous considérons qu'une mission d'information, c'est mieux que rien, mais qu'une mission d'enquête, c'est mieux qu'une mission d'information ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Mignon.

Mme Hélène Mignon. Mes chers collègues, le débat que nous avons voulu absolument susciter aujourd'hui est essentiel. Tout à l'heure, l'intervention de M. le ministre d'État, précise, pédagogique aussi, a bien démontré qu'il ne s'agissait pas d'une lubie de notre part, d'un avatar du petit jeu politicien, mais d'une nécessité pour nous tous.

Il convient certes de réfléchir avant d'agir, et avant d'attaquer la loi Galland et la loi Raffarin, comme le suggéraient des députés de la majorité à M. Christian Jacob lors des débats budgétaires. Mais ne réfléchit-on pas mieux et plus lucidement quand on a su tirer le fil de la pelote ? Il faut tenter de connaître et de comprendre tous les mécanismes, et prendre en compte les nécessités qui s'imposent aux uns et aux autres.

Non, monsieur Raison, nous ne sommes pas des irresponsables, nous ne cherchons pas un bouc émissaire. Oui, monsieur Charié, nous voulons aller aux fond des choses et prendre les décisions qui s'imposeront.

M. le ministre d'État, si je l'ai bien compris, sans vouloir bien sûr aller au-delà de ses prérogatives, n'était pas opposé à cette commission d'enquête. Je souhaite donc que les députés UMP l'aient intégré dans leur réflexion avant la fin de cette séance.

Ce qui motive notre proposition, cela a été dit sur tous les bancs, c'est la volonté de comprendre ce qui se passe dans les prix en France. Or l'information délivrée ce matin par le journal Les Echos, selon laquelle, en raison du récent désaccord entre industriels et commerçants, l'application du deuxième volet de l'engagement du 17 juin sur les prix risque d'être difficile, ne peut que nous inquiéter.

Voici un extrait de cet article, qu'on ne saurait qualifier de propagande socialiste : « Le risque que cet accord prévoyant une baisse de 1 % au début de 2005, après celle de 2 % intervenue en septembre, explose en plein vol, n'est pas exclu. Au cas où distributeurs et industriels ne s'entendraient pas, les uns pour stopper l'inflation des marges arrière, les autres celle des tarifs, l'administration pourrait en effet décider de mettre un terme aux violations du seuil de revente à perte, tolérées jusqu'ici dans une limite de 2 % afin de permettre d'atteindre l'objectif fixé. Ce qui obligerait les distributeurs à relever les prix. Tout le contraire de la volonté affichée par le Gouvernement. »

Nous ne vous demandons pas un inventaire, simplement une enquête sur la réalité !

On nous a parlé de l'effet des 35 heures sur l'évolution des prix. Quel effet dans un secteur qui embauche majoritairement à temps partiel, à hauteur de 28 heures en moyenne, avec des produits de plus en plus souvent fabriqués à l'étranger et achetés sans cesse moins cher aux producteurs nationaux ?

Voulons-nous demander aux agriculteurs l'évolution des prix d'achat de leur marchandise ? Voulons-nous demander aux PME les pressions qu'elles subissent, elles qui n'en peuvent plus de voir tirer les prix et les délais vers le bas ? L'effet des 35 heures sert trop souvent d'alibi à la méconnaissance des vrais éléments du dérèglement du marché.

Mon collègue Nayrou vous a brossé le vrai tableau de la réalité contractuelle dont nous ne connaissons que la partie émergée, partie connue grâce à des confidences faites sous le manteau. La commission d'enquête serait un instrument idoine pour découvrir ce qui existe réellement.

Pourquoi les prix montent-ils ? On a parlé de l'effet de la loi Galland, des marges arrière. On pourrait aussi s'intéresser aux répartitions des marges, question véritable que seul l'instrument que constituerait une commission d'enquête permettrait d'étudier.

Quid de cette répartition écrite sous la contrainte, lorsque l'on entend parfois que des palettes sont « données » par le fournisseur au distributeur ? On entend cela, il conviendrait de le vérifier.

La réalité de l'évolution des prix et de l'inflation est aussi en discussion. Depuis le début de l'année, on semble admettre un décalage entre l'inflation mesurée par l'INSEE et l'inflation perçue. Quelle est la réalité de ce décalage ? Qu'il soit clairement affirmé ici que la gauche a, elle aussi, utilisé l'indice INSEE. Nous savons bien que la réalité dont nos concitoyens nous parlent dans nos circonscriptions, la réalité que nous vivons en faisant nos achats, est différente.

Pourquoi cet indice n'est-il plus admis par nos concitoyens ? Est-ce que le panier de base correspond à celui de la ménagère ? Tout cela mériterait d'être étudié.

Après avoir entendu les associations de consommateurs, nous comprenons bien que le sentiment croissant de ce décalage entre inflation calculée et inflation perçue n'est pas le signe d'une lubie de nos concitoyens, mais traduit la réalité.

Ainsi les chiffres de baisse des prix après l'accord du 17 juin apparaissent-ils souvent très maigres aux consommateurs. C'est un fait, ces derniers ont l'impression d'avoir été bernés à bon compte par la grande distribution et par le Gouvernement. La représentation nationale ne peut l'admettre. La commission d'enquête que nous réclamons n'a d'autre objectif que d'éclairer le consommateur sur les pratiques existantes.

Comment pouvez-vous refuser ? Peut-on taxer cette demande d'inopportune alors même que nous venons d'apprendre que les discussions entre fournisseurs et distributeurs sont très difficiles et qu'une hausse des prix pourrait encore intervenir l'année prochaine ?

Mes chers collègues de la majorité, je vous invite à voter avec les députés socialistes cette résolution, dans l'intérêt de nos concitoyens, consommateurs, agriculteurs, dirigeants de PME ! Vous contribueriez ainsi au renforcement de la cohésion sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La discussion générale est close.

Vote sur les conclusions de rejet
de la commission

M. le président. La commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire ayant conclu au rejet de l'article unique de la proposition de résolution, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 2, du règlement, est appelée à voter sur ces conclusions de rejet.

Conformément aux dispositions du même article du règlement, si ces conclusions sont adoptées, la proposition de résolution sera rejetée.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Gaubert, rapporteur. Il ressort de la discussion de ce matin qu'un consensus presque total existe sur l'ensemble de nos bancs pour dire que l'indice des prix est aujourd'hui contesté et sans doute contestable sur certains de ses aspects, que les prix sont trop élevés sans pour autant profiter aux producteurs ou aux PME, qui sont souvent, malmenés et mal payés, et que certaines pratiques sont insupportables, illégales, inéquitables, voire pires. Nous sommes donc tous d'accord.

S'agissant du débat sur la commission d'enquête proprement dite, je nourris, après vous avoir entendus, chers collègues de la majorité, quelques inquiétudes sur la conception que vous avez d'une commission d'enquête. Serait-ce un outil infâmant à la disposition du Parlement, qui serait de nature à jeter la suspicion, selon les termes de M. Chatel ?

Qu'avons-nous fait ce matin ? D'une certaine manière, nous avons condamné la possibilité que nous avons d'utiliser des commissions d'enquête.

M. Henri Nayrou. Tout à fait !

M. Jean Gaubert, rapporteur. En employant de tels termes, vous laissez entendre que la prochaine demande de commission d'enquête sera dévoyée parce que considérée d'emblée plutôt comme un tribunal que comme un outil légitime à la disposition du Parlement. (« Mais non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je voudrais que vous en reveniez à cette dernière définition. De nombreuses commissions d'enquête ont été créées dans cette assemblée bien avant 2002 et 1997. Elles ont, certes, conduit à mettre en cause telle ou telle pratique, mais pas les personnes auditionnées qui, pour la plupart, nous aident à mieux comprendre. Je crois donc que vous n'avez pas rendu service au Parlement ce matin en avançant de mauvais arguments pour refuser cette commission d'enquête.

Vous avez, comme moi, entendu le ministre d'État, futur président de l'UMP : il vous a laissé toute liberté.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. C'est toujours ainsi à l'UMP !

M. le président. Les députés sont toujours libres. Le mandat impératif est nul.

M. Jean Gaubert, rapporteur. J'espère pour vous que tel sera le cas.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Aucun problème !

M. Jean Gaubert, rapporteur. Je vous invite donc à abandonner les pratiques antérieures...

M. Jean-Claude Lenoir. De gauche !

M. Jean Gaubert, rapporteur. ...et à jouir pleinement de la liberté qui vous est donnée ce matin. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yves Coussain. Nous ne sommes pas la gauche des godillots !

M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission.

M. Jean Proriol, vice-président de la commission. Pour conclure ce débat, je remercierai M. le ministre d'État de la liberté qu'il a laissée à l'Assemblée nationale de faire son choix.

M. Jacques Brunhes. C'est la moindre des choses !

M. Jean Proriol, vice-président de la commission. Il nous a décrit la situation et a conclu sur ces mots : « Ce que vous déciderez sera bien », ce qui a dû vous faire grand plaisir, monsieur le président. Nous ne subissons donc aucune pression, ni de Matignon, ni de Bercy, n'en déplaise à ceux qui ont décoché quelques flèches en direction de ces bâtiments.

Je suis frappé de la connaissance que nous avons, les uns et les autres, des faits, des chiffres, des attitudes, des pressions. Dès lors, une commission d'enquête est-elle justifiée ? (« Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Luc-Marie Chatel nous a rappelé que l'article 145-1 de notre règlement permet à une mission d'information de jouir de certaines prérogatives attachées aux commissions d'enquête. Nous pourrons donc, dès lors que nous en ressentirons la nécessité et sous certaines conditions, agir comme une commission d'enquête.

La commission d'enquête est une procédure lourde, qui a tendance à antagoniser les situations.

M. Guy Geoffroy. Tout à fait !

M. Jean Proriol, vice-président de la commission. C'est pourquoi nous préférons une mission d'information, plus souple, plus rapide, qui devrait nous permettre de faire des propositions au Gouvernement dans des délais plus restreints. C'est la raison pour laquelle la commission des affaires économiques a refusé la constitution d'une commission d'enquête. Nous devons suivre son avis et faire confiance à la nouvelle mission d'information pour mener à bien son travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Que l'on puisse avoir des positions différentes, je veux bien l'admettre, mais, monsieur Proriol, ne déformez pas la réalité ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Vous ne pouvez pas dire qu'une commission d'enquête parlementaire conduit à « antagoniser » les positions.

M. Guy Geoffroy. C'est pourtant souvent le cas !

M. Jacques Brunhes. La commission d'enquête sur les prisons, créée au cours de la législature précédente, a fait l'unanimité. La plupart des commissions d'enquête aboutissent à un consensus et permettent d'obtenir des résultats extrêmement importants et positifs. Il n'est pas juste de les caricaturer ainsi, c'est même dangereux pour la démocratie parlementaire.

M. Jean-Paul Charié. Dites-le à Montebourg !

M. le président. La parole est à M. Didier Migaud.

M. Didier Migaud. Vous avez dit, monsieur le président, que les députés étaient toujours libres. Sauf lorsqu'ils sont contraints, et ils le sont malheureusement souvent. Les secondes délibérations existent,...

M. Yves Coussain. Sous la gauche !

M. Didier Migaud. ...nous avons pu le constater la semaine dernière.

Chacun ici a reconnu que l'objet de la commission d'enquête demandée est un vrai sujet. L'intervention du ministre d'État pourrait d'ailleurs figurer dans l'exposé des motifs d'une telle commission. Tout y était : la réalité des faits, le problème posé. Reste maintenant à savoir comment procéder : mission d'information ou commission d'enquête ?

On sait parfaitement que, dans le cadre d'une commission d'enquête, les parlementaires appréhendent mieux un sujet et sont donc plus à même de faire des propositions, ce que permet rarement une mission d'information. Avec les arguments avancés contre la commission d'enquête, on ne voit pas quel sujet serait susceptible d'en faire l'objet. Ici, toutes les conditions sont réunies pour constituer une vraie commission d'enquête, aucune procédure judiciaire en cours ne peut s'y opposer.

J'ai bien entendu ce que vous nous avez proposé et je remercie humblement le président Chatel d'avoir accepté que l'opposition puisse siéger dans la mission d'information. Cela dit, une mission de l'Assemblée nationale où l'opposition ne serait pas partie prenante ne serait rien d'autre qu'un groupe d'étude de l'UMP. La commission d'enquête a aussi l'avantage d'être ouverte aux membres de toutes les commissions. Vous avez limité votre mission d'information à la seule commission des affaires économiques alors que le sujet peut en concerner d'autres, notamment celle des finances.

De quoi avez-vous peur pour refuser cette commission d'enquête ? Vous pourriez soit la présider, soit en rapporter les travaux. Les pouvoirs d'une commission d'enquête sont tout autres que ceux d'une mission d'information. Et, sur ce sujet précis, vos interventions l'ont montré, il faut aller jusqu'au bout du raisonnement et des auditions. Il est très important que celles-ci puissent se faire sous serment, ce que ne permet pas une mission d'information.

Monsieur le président, il m'arrive parfois de trouver que l'attitude des parlementaires est à désespérer des responsables politiques.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Mais non !

M. Didier Migaud. Dans les couloirs, vous déclarez que tout ce que nous disons est vrai, que tout ce que dit le ministre d'État est vrai : une commission d'enquête peut être intéressante. Mais, dans l'hémicycle, les députés font montre d'une formidable capacité à faire le contraire de ce qu'ils peuvent dire ailleurs. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Vous êtes un expert en la matière !

M. Didier Migaud. Le vrai problème, c'est l'opposition du Premier ministre. Peut-être qu'un rapport de commission d'enquête lui ferait peur (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) parce qu'il contraindrait les députés de la majorité à bouger sur ce sujet. À cet égard, on voit bien que le frein, c'est Matignon. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Luc-Marie Chatel.

M. Luc-Marie Chatel. Je regrette la nature des propos de M. Migaud, qui contrastent avec la bonne tenue des débats de ce matin.

M. Jean Proriol, vice-président de la commission. Tout à fait !

M. Luc-Marie Chatel. Nous avons eu, sur le fond, des échanges de qualité, qui montrent que ce sujet permet de transcender les clivages.

À aucun moment notre groupe n'a été contraint. C'est librement que nous avons proposé, au mois de mai, au président de la commission des affaires économiques de constituer un groupe de travail. C'est librement que nous avons demandé la transformation de ce groupe de travail en mission d'information. Cette mission est au travail et elle respecte toutes les sensibilités.

M. Augustin Bonrepaux. Heureusement !

M. Luc-Marie Chatel. Nous allons travailler en parfaite complémentarité avec le Gouvernement. Si nécessaire, nous demanderons à disposer des prérogatives réservées à la commission d'enquête.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Luc-Marie Chatel. C'est la raison pour laquelle nous approuverons les conclusions de rejet de la commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je mets aux voix les conclusions de rejet de la commission.

(Les conclusions de rejet de la commission sont adoptées.)

M. le président. L'Assemblée nationale ayant adopté les conclusions de rejet de la commission, la proposition de résolution est rejetée.

    2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, n° 1911, de programmation pour la cohésion sociale :

Rapport, n° 1930, de Mme Françoise de Panafieu et M. Dominique Dord, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,

Avis, n° 1920, de M. Alain Joyandet, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan,

Avis, n° 1928, de M. Georges Mothron, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures dix.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot