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Séance du lundi 29 novembre 2004

77e séance de la session ordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

    1

CONVENTION EUROPÉENNE D'EXTRADITION

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention établie sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, relative à l'extradition entre les États membres de l'Union européenne (ensemble une annexe comportant six déclarations) (nos 263, 1621).

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée.

Conformément à l'article 107 du règlement, je mets directement aux voix l'article unique du projet de loi.

(L'article unique du projet de loi est adopté.)

    2

CONVENTION EUROPÉENNE SUR LA PROCÉDURE SIMPLIFIÉE
D'EXTRADITION

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention établie sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, relative à la procédure simplifiée d'extradition entre les États membres de l'Union européenne (nos 264, 1621).

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée.

Conformément à l'article 107 du règlement, je mets directement aux voix l'article unique du projet de loi.

(L'article unique du projet de loi est adopté.)

    3

CONVENTION EUROPÉENNE
SUR L'ENTRAIDE JUDICIAIRE

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention établie par le Conseil conformément à l'article 34 du traité sur l'Union européenne relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les États membres de l'Union européenne (nos 1508, 1621).

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée.

Conformément à l'article 107 du règlement, je mets directement aux voix l'article unique du projet de loi.

(L'article unique du projet de loi est adopté.)

    4

PROTOCOLE À LA CONVENTION EUROPÉENNE
SUR L'ENTRAIDE JUDICIAIRE

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi autorisant l'approbation du protocole à la convention relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les États membres de l'Union européenne, établi par le Conseil conformément à l'article 34 du traité sur l'Union européenne (nos 1509, 1621).

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée.

Conformément à l'article 107 du règlement, je mets directement aux voix l'article unique du projet de loi.

(L'article unique du projet de loi est adopté.)

    5

ACCORD FRANCE-ROUMANIE
SUR LES MISSIONS OFFICIELLES

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie sur l'emploi salarié des personnes à charge des membres des missions officielles d'un État dans l'autre (nos 1640, 1934).

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée.

Conformément à l'article 107 du règlement, je mets directement aux voix l'article unique du projet de loi.

(L'article unique du projet de loi est adopté.)

    6

ACCORD INTERNATIONAL SUR L'ESCAUT

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord international sur l'Escaut (nos 1772, 1935).

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée.

Conformément à l'article 107 du règlement, je mets directement aux voix l'article unique du projet de loi.

(L'article unique du projet de loi est adopté.)

    7

ACCORD INTERNATIONAL SUR LA MEUSE

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord international sur le Meuse (nos 1773, 1935).

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée.

Conformément à l'article 107 du règlement, je mets directement aux voix l'article unique du projet de loi.

(L'article unique du projet de loi est adopté.)

    8

STATUT DU PERSONNEL MILITAIRE ET CIVIL
DE L'UNION EUROPÉENNE

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre les États membres de l'Union européenne relatif au statut du personnel militaire et civil détaché auprès des institutions de l'Union européenne, des quartiers généraux et des forces pouvant être mis à la disposition de l'Union européenne dans le cadre de la préparation et de l'exécution des missions visées à l'article 17, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne, y compris lors d'exercices, et du personnel militaire et civil des États membres mis à la disposition de l'Union européenne pour agir dans ce cadre (SOFA UE) (nos 1781, 1933).

La parole est à M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie.

M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, l'Europe de la défense est devenue, en 2003, une réalité concrète avec les importants progrès accomplis tant dans la mise en œuvre que pour les institutions de la politique européenne de sécurité et de défense.

Les opérations militaires et de police ont été un succès. Ainsi, pour les deux opérations militaires, Concordia en Macédoine et Artémis en République démocratique du Congo, la France a été la « nation- cadre ».

En matière de police, l'Union européenne a pris la relève des Nations unies en Bosnie et l'opération de police Proxima s'est substituée à l'opération militaire Concordia en Macédoine. La France a apporté une forte contribution à ces deux opérations.

Pour leur part, les institutions se mettent en place. Le projet de traité constitutionnel, adopté en juin 2004, prévoit l'extension des missions, dites de « Petersberg », au désarmement, à l'assistance militaire aux opérations de stabilisation et à la lutte contre le terrorisme.

II prévoit aussi la possibilité de mettre en place des coopérations structurées, d'une agence d'armement pour renforcer la recherche et les capacités militaires et d'un principe d'assistance mutuelle entre États membres.

Enfin, il a été prévu de renforcer la capacité à planifier et à conduire des opérations autonomes en créant une cellule de l'Union européenne auprès de l'état-major de l'OTAN, une cellule civilo-militaire à l'état-major de l'Union européenne et des arrangements de liaison entre l'état-major de l'OTAN et celui de l'Union européenne.

Trois priorités ont été fixées pour les mois qui viennent : la mise en place de l'Agence européenne de défense créée en juillet 2004, la relève de l'opération de l'OTAN en Bosnie - la SFOR - par l'Union européenne et la mise en place d'un centre d'opération de l'Union européenne qui pourrait planifier et conduire des opérations autonomes de l'Union européenne, comparables à Artémis, du type 1 800 hommes.

Afin d'accompagner cette montée en puissance de la politique européenne de sécurité et de défense et, en particulier, de faciliter la mise en œuvre des opérations, il a été décidé de doter les personnels mis à disposition des États membres sur les territoires respectifs d'un statut juridique par un accord spécifique.

Le «SOFA UE » a été signé le 17 novembre 2003 en marge du conseil « affaires générales ». Il s'inspire des dispositions du "SOFA OTAN" du 19 juin 1951. Nous aurions donc un parallélisme entre ce qui se faisait au niveau de l'OTAN et ce qui se ferait désormais au niveau de l'Union européenne.

Ce nouvel accord vise à combler les lacunes de la situation du personnel détaché auprès de l'état-major de l'Union européenne, en lui octroyant des immunités et privilèges comparables aux fonctionnaires et agents des Communautés européennes. Il s'appliquera également au personnel détaché auprès du Haut représentant pour la PESC, du comité politique et militaire, du comité militaire de l'UE, de la cellule civilo-militaire et du centre d'opérations en cours de création. Le SOFA UE s'appliquera aussi au personnel mis à disposition des nations cadres d'une opération - telle Artémis dont on parle beaucoup en ce moment - et aux exercices.

L'accord règle divers aspects techniques, comme le port de l'uniforme du pays d'origine, la reconnaissance des permis de conduire militaires, l'immunité de juridiction dans le cadre du service, le transit, les bénéfices de soins médicaux, la mise à disposition par l'État de séjour des immeubles et équipements nécessaires à l'exercice de la mission, la répartition des tâches entre la police militaire de l'État d'origine et celle de l'État de séjour.

Il prévoit aussi les conditions de détention et de port d'armes, les facilités de communications et de transport, et l'inviolabilité des archives.

Le SOFA UE s'applique d'office dans le cas où le statut des forces n'est pas couvert par un autre accord. Il s'applique à titre subsidiaire lorsqu'il existe un autre accord de statut des forces applicable, si les États participant à la mission ou à l'exercice le prévoient. Il peut être étendu à des États tiers participant à des exercices ou à des missions de l'Union européenne.

Le champ géographique de l'accord est le territoire métropolitain, mais la France notifiera au secrétaire général du Conseil de l'Union européenne qu'il s'appliquera également aux départements et collectivités d'outre-mer, ainsi qu'à la Nouvelle-Calédonie et aux Terres australes et antarctiques françaises.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, les principales observations qu'appelle l'accord SOFA UE du 17 novembre 2003 qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation.

M. le président. La parole est à M. Jacques Remiller, suppléant M. Bernard Schreiner, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

M. Jacques Remiller, suppléant M. Bernard Schreiner, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, utopie il y a dix ans, projet il y a cinq ans, la politique européenne de sécurité et de défense est aujourd'hui une réalité.

Une politique de défense, ce sont, en effet, des structures, une stratégie, des moyens, mais ce sont, surtout et avant tout, des hommes et des femmes. Or aujourd'hui, ces différents éléments existent, inscrits, soit dans les traités existants soit, pour certains, dans le projet de traité constitutionnel.

S'agissant des structures tout d'abord, je ne reviendrai pas sur l'historique et les modalités de fonctionnement des différentes institutions de la PESD : comité politique et de sécurité, comité militaire, état-major, cellule de planification, centre de situation, agence européenne de défense. Ce sont, au total, plus de 200 personnes qui œuvrent au jour le jour à faire vivre la PESD.

Quant à la stratégie européenne de sécurité, elle a été définie en décembre 2003 et représente une avancée majeure sur un sujet encore tabou il y a cinq ans.

S'agissant ensuite des moyens, l'Agence européenne de défense créée le 12 juillet dernier devrait contribuer à approfondir une démarche capacitaire européenne. Au-delà des moyens matériels, je rappelle que, lors du sommet d'Helsinki de décembre 1999, les chefs d'État et de gouvernement ont exprimé la volonté de doter l'Union européenne d'une force d'intervention de l'ordre de cinquante à soixante mille hommes, déployable en soixante jours, pour une durée d'au moins un an, afin d'être en mesure d'effectuer les missions de gestion de crises dites de « Petersberg » - aide humanitaire, évacuation de ressortissants, maintien de la paix et rétablissement de la paix. L'objectif d'Helsinki a été déclaré atteint à la fin de l'année 2003, les instruments civils et militaires de gestion de crise - structures, concepts, capacités - étant réalisés et opérationnels.

Manque toutefois un élément essentiel pour que ceux qui participent à la sécurité de l'Europe, ces hommes et des femmes sur lesquels je mettais l'accent à l'instant, puissent, au jour le jour, mener à bien leurs missions en toute sécurité juridique. Tel est l'objet de la présente convention, signée le 17 novembre 2003 à Bruxelles, qui fixe le statut des forces chargées de mener à bien les « missions de Petersberg ».

La définition d'un tel statut devenait urgente, alors que l'Union européenne multiplie ses interventions sur les théâtres extérieurs :

C'est d'abord l'opération Concordia qui a vu, en 2003, les soldats de l'Union européenne intervenir en Macédoine à la suite de l'OTAN, en partie d'ailleurs avec les moyens de celle-ci, conformément aux accords dits de « Berlin plus », régissant les relations entre l'OTAN et l'Union.

C'est ensuite, avec les seuls moyens de l'Union cette fois, l'opération Artémis en République démocratique du Congo, de juin à septembre 2003. C'est d'ailleurs cette opération qui a fait apparaître la nécessité de disposer d'un texte européen afin, notamment, de régler les questions liées à la présence des personnels détachés par les États participant à l'opération auprès du quartier général d'opérations, situé à Paris.

À ce jour en effet, les personnels militaire et civil détachés auprès de l'état-major de l'Union européenne ne sont régis par aucun accord leur octroyant des immunités et privilèges comparables aux fonctionnaires et agents des Communautés européennes. La seule base juridique en la matière est une décision du Conseil du 16 juin 2003, ayant pour seul objet de déterminer les conditions de travail, telles que les horaires de travail ou les congés, de définir les droits et obligations auxquels sont soumis les personnels détachés et de préciser le régime applicable aux indemnités et dépenses.

Dans la perspective de la relève, le 2 décembre prochain, de l'OTAN par l'Union européenne en Bosnie, dans le cadre de l'opération ALTHEA, cette lacune juridique n'est pas tenable : l'existence d'un statut régissant les personnels des États membres intervenant dans le cadre de la PESD est une nécessité absolue.

Ce statut, d'ailleurs, quel est-il ? Il est en fait très classique, calqué, pour partie, sur la convention qui avait été signée entre les États membres de l'OTAN en 1951, et adapté aux règles propres à l'Union européenne, par exemple en matière de libre circulation des personnes.

Il prévoit, tout d'abord, un certain nombre d'éléments matériels, relatifs aux soins médicaux et dentaires, au port de l'uniforme et d'armes, à la nécessité d'un ordre de mission et au régime fiscal des soldes et traitements perçus.

Il définit ensuite, pour les personnels détachés auprès des institutions de la PESD, civils et militaires, un régime d'immunité de juridiction pour les paroles, écrits et actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions.

S'agissant du cas spécifique des personnels mis à disposition des quartiers généraux, les compétences juridictionnelles respectives de l'État d'origine et de l'État de séjour sont précisément définies : ainsi, chaque État membre a une juridiction exclusive pour les infractions punies par ses lois et règlements et qui ne le sont pas par l'autre État membre. En cas de concurrence de juridiction, l'État d'origine exerce par priorité celle-ci pour les infractions portant atteinte uniquement à sa sûreté, à sa propriété ou à un de ses personnels ou lorsque les infractions ont été accomplies dans l'exécution du service.

Le règlement des dommages fait également l'objet d'une disposition spécifique ; la renonciation des États membres à toute demande d'indemnité à l'encontre d'un autre État membre, notamment, a lieu dans des conditions classiques.

La question de la compatibilité entre ce statut et d'autres statuts de forces − dans les faits, celui de l'OTAN − est également réglée : le principe en est que le statut faisant l'objet de la présente convention ne s'applique que dans les cas où les quartiers généraux et les forces sont mis à disposition de l'Union européenne pour la préparation et l'exécution des missions de Petersberg et que leur statut n'est pas couvert par un autre accord. Lorsque le statut de ces quartiers généraux et de ces forces est régi par un autre accord et que ces quartiers généraux et forces, ainsi que leur personnel, agissent dans le cadre mentionné ci-dessus, des arrangements spécifiques peuvent être conclus entre l'Union européenne et les États ou les organisations concernés afin de décider quel est l'accord applicable à l'opération ou à l'exercice concerné.

Enfin, je précise que le présent statut peut être appliqué à des États tiers qui participeraient à des opérations ou à des exercices militaires réalisés sous l'égide de l'Union européenne, comme ce fut le cas, par exemple, au Congo, où l'Afrique du Sud, le Brésil, le Canada et Chypre se sont joints aux treize membres de l'Union participant à l'opération.

Tel est, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le contenu, somme toute classique, de la convention qui nous est soumise. À ce jour, seule l'Autriche l'a ratifiée, le 8 septembre dernier. Il est important que la France soit parmi les premiers États membres à procéder à cette ratification, conformément au rôle moteur qu'elle joue dans la construction de la politique européenne de sécurité et de défense. C'est pourquoi, sur ma recommandation, la commission des affaires étrangères a, à l'unanimité, donné un avis favorable à l'adoption du présent projet de loi.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. François Loncle.

M. François Loncle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est peu habituel d'avoir à débattre d'un projet de loi autorisant l'approbation d'un accord entre les États membres, au sujet des dispositions juridiques et statutaires du personnel affecté à un organisme européen. Je ne reprendrai pas le compte exact des textes de cette nature ou comparables : les habitués de la commission des affaires étrangères − et même tous les députés − savent qu'il s'agit d'un processus de ratification très formel, tant les enjeux politiques sont pris en compte en amont lors de la discussion sur l'accord, ou simplement parce que la nature de la décision est plus administrative et juridique que politique.

C'est sensiblement le cas pour le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre les États membres de l'Union européenne relatif au statut du personnel militaire et civil détaché auprès des institutions de l'Union européenne, des quartiers généraux et des forces pouvant être mis à la disposition de l'Union européenne dans le cadre de la préparation et de l'exécution des missions visées à l'article 17, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne, y compris lors d'exercices, et du personnel militaire et civil des États membres mis à la disposition de l'Union européenne pour agir dans ce cadre, comme vient de l'expliquer notre rapporteur. Car, pour politiquement emblématique qu'il soit, cet accord vise davantage à répondre à un besoin juridique précis, en reprenant des dispositions qui préexistent, notamment dans la convention de 1951 signée entre les États membres de l'OTAN, qu'à créer une coopération militaire nouvelle au sein de l'Union. En effet, cette coopération préexiste, et c'est pourquoi l'on serait en droit de s'interroger sur le bien-fondé de ce débat.

A contrario, si les parlementaires sont parfois appelés à débattre de l'Europe, les échanges sur l'Europe de la défense sont rares et ne dépassent qu'exceptionnellement le cadre contraint et restrictif du débat sur les crédits annuels du ministère de la défense. C'est bien peu pour un grand dessein, et c'est donc de bon cœur que, au nom du groupe socialiste, je saisis l'occasion d'évoquer les progrès réalisés en la matière au cours de ces dernières années.

Mais avant cela, puisqu'il faut se plier à un minimum de formalisme, je vous annonce, monsieur le ministre, que le groupe socialiste votera en faveur du projet de loi.

M. Jacques Remiller, rapporteur suppléant. Très bien !

M. François Loncle. Venons-en maintenant à ce qui doit être au cœur de nos préoccupations : la défense européenne, ce qui n'est pas la même chose que la défense de l'Europe.

Le traitement des questions de sécurité était, depuis 1949, assuré d'abord par un système collectif − chez nous, l'Alliance −, auquel les défenses nationales apportaient un complément plus ou moins autonome − assez autonome dans le cas de la France, par exemple. La légitimité, ou du moins la pertinence opérationnelle, de l'Alliance atlantique, créée pour s'opposer à la menace soviétique, qu'illustraient les arsenaux surdimensionnés de l'ex-URSS, s'est donc trouvée remise en cause par l'effondrement du système soviétique.

Mais les crises des Balkans ont douloureusement montré l'évanescence d'une option militaire strictement européenne.

Toutefois, la remise en cause de la bipolarité donne aux Européens l'espoir de ne plus dépendre de puissances extérieures pour la solution de leurs problèmes.

Afin d'agir dans le domaine diplomatique et de sécurité, les Européens ont besoin d'institutions. C'est le fond de la mutation qui intervient lors de la négociation du traité de Maastricht.

Jusqu'en 1992, les Communautés successives sont des organes d'intégration économique ; même si une certaine coopération politique s'est développée depuis les années 1970 en matière de politique étrangère, ces institutions n'ont pas de compétence dans ce domaine. Le traité de Maastricht crée, lui, une Union européenne dotée de pouvoirs monétaires, économiques, d'une diplomatie commune et de compétences en matière de sécurité, tout en ouvrant la perspective d'une défense commune.

Depuis la chute du Mur, l'Europe aime se penser comme un continent réuni. S'il n'est pas aujourd'hui question de mettre sur pied une défense commune avec les anciennes républiques de l'Union soviétique, il apparaît urgent de développer un système continental de dialogue sur la sécurité et de coopération.

Ce sera le rôle de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe − OSCE −, qui réunit les cinquante-quatre États intéressés à la sécurité du continent. Si l'on ajoute à l'Alliance, à l'Union européenne, à l'OSCE, le Conseil de l'Europe, installé à Strasbourg, qui a pour tâche de suivre la mise en œuvre de la Convention européenne des droits de l'homme − et dont le président de la délégation parlementaire française est précisément M. Bernard Schreiner −, et l'ONU, organisation mondiale mais dont beaucoup d'interventions diplomatiques ou militaires ont concerné la région des Balkans au cours de la dernière décennie, on a une idée de la complexité institutionnelle de l'Europe en matière de sécurité.

Cette complexité témoigne elle-même de situations incertaines, mouvantes, Les grands affrontements entre États ou entre alliances ne sont plus à l'ordre du jour : il s'agit désormais de traiter des situations découlant de l'explosion d'États qui déstabilisent des zones proches − les Balkans −, de l'interaction d'acteurs divers ressemblant peu aux armées régulières d'autrefois, situations qui appellent l'intervention de diplomaties et de forces particulières. Le métier militaire évolue avec les exigences des crises : les armées européennes se réforment donc les unes après les autres. Une seule institution ne peut traiter l'ensemble de ces hypothèses de crise, ce qui explique la complexité d'une architecture qui pose de multiples questions.

La première a trait à l'avenir de l'ONU. L'OSCE, elle, reste une lourde machine, souvent impuissante à prendre des décisions − qui doivent faire l'objet d'un consensus −, et presque dépourvue de moyens. Contrairement à son programme, établi au début des années 1990 dans la Charte de Paris, elle se limite pour l'heure à quelques actions de diplomatie préventive, d'observation des conflits, ou de contrôle des élections.

L'Alliance atlantique a, pour sa part, incontestablement muté à travers les demandes d'élargissement et ses interventions, par exemple contre la Yougoslavie en 1999. Elle souffre néanmoins d'une double incertitude, d'une part sur son rôle − demeure-t-elle la coalition militaire et de défense que décrit le traité fondateur, ou est-elle devenue une organisation de sécurité pour tout le continent ? −, et d'autre part sur son étendue : ouverte en 1999 à la Pologne, à la Hongrie et à la République tchèque, a-t-elle vocation à s'étendre par vagues pour réunir tous les États du continent, avec ou sans la Russie ? L'actuelle situation en Ukraine pose la question avec une acuité renouvelée.

Quant à l'Union européenne, la mise en œuvre du traité de Maastricht a été dans le domaine diplomatique ou stratégique moins rapide que prévu. Officiellement, l'Union européenne dispose d'une politique étrangère et de sécurité commune, avec un responsable − « Monsieur PESC » − ; dans les faits, l'Union a pu paraître en retard sur les événements. Elle ne dispose pas non plus de forces adaptées, sous commandement européen, pour intervenir elle-même dans des crises demandant une interposition, une opération de maintien de la paix, une action humanitaire.

La diplomatie commune a pourtant été relancée par le traité d'Amsterdam en 1997, et la constitution d'une force militaire européenne est en vue. Les membres de l'Union sont actuellement engagés dans la création de mécanismes de décision et de forces d'intervention, qui permettraient effectivement dans l'avenir à l'Union européenne de s'occuper elle-même de ses propres affaires de sécurité, et donc d'aider à la stabilisation de zones incertaines sur notre continent. Elle envisage même d'élargir le champ de ses actions futures.

De ce point de vue, la déclaration de Petersberg marque une étape fondatrice dans le processus d'autonomisation politique de la défense européenne. En fixant les missions d'une force européenne, elle a ouvert le champ des possibles, comme le traité de Maastricht le prévoyait dans son article 17. Rappelons ces missions : « des mesures de prévention des conflits et de gestion des crises, et notamment les activités de maintien de la paix de la CSCE ou du Conseil de sécurité des Nations unies ».

La déclaration franco-britannique du 4 décembre 1998 à Saint-Malo a aussi été une étape marquante, notamment dans son point 2 qui affirme : « l'Union doit avoir une capacité autonome d'action, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les utiliser et en étant prête à le faire afin de répondre aux crises internationales ».

C'est vers cette autonomie continentale qu'a tendu une grande partie des efforts consentis depuis lors par l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, la France évidemment, mais aussi la Grande-Bretagne et d'autres pays comme la Suède.

Le processus d'autonomisation militaire participe de la dynamique de construction européenne. Il est donc nécessaire de disposer des outils qui crédibiliseront la défense européenne, qui la feront sortir des limbes, qui permettront la poursuite de la diplomatie par d'autres moyens, pour paraphraser Clausewitz.

Pour la première fois, au Conseil européen de Bruxelles, le 12 décembre 2003, les vingt-cinq États membres ont défini ensemble leur environnement de sécurité et ont fixé des objectifs stratégiques communs. C'est une véritable vision européenne du monde et du rôle de l'Union dans le monde qui a ainsi été arrêtée.

La France fait sienne cette stratégie au service d'un multilatéralisme efficace, fondée sur un engagement préventif, ainsi que sur la défense et le développement du droit international.

L'Europe devient un acteur planétaire, capable de mobiliser les ressources civiles et militaires de l'action extérieure, afin de contribuer à la construction d'un monde plus équitable, plus sûr et aussi plus uni.

II est cependant un point délicat, du moins pour certains d'entre nous, que je ne souhaite pas éclipser : les relations avec l'OTAN.

La clarté et la cohérence doivent également présider aux relations entre l'Union et l'OTAN. Dessein européen et solidarité atlantique ne sont pas contradictoires. Chacune des organisations a son rôle à jouer, selon les circonstances. Nous défendons ainsi la cohérence dans la complémentarité. Parce que l'Europe peut avoir besoin des moyens de l'OTAN auxquels elle contribue, nous faisons jouer les accords dits « Berlin plus » entre l'Union européenne et l'Alliance ; parce que l'Union dispose déjà de ressources significatives dans la gestion des crises, nous pouvons aussi agir seuls et dans des délais souvent très brefs ; enfin, parce que, dans tous les cas, nous voulons affirmer la primauté du politique et préserver l'autonomie de décision de chacune des organisations, nous veillons à maintenir le contrôle politique et la direction stratégique d'une opération au niveau pertinent.

C'est d'ailleurs pourquoi je déplore, et je ne suis pas le seul, la rédaction finale de l'article 1-41 du traité constitutionnel européen, concernant l'OTAN. Dans son rapport budgétaire sur la défense, mon collègue et ami Paul Quilès indique, à juste titre, que le projet de constitution fonctionne « comme un corset qui empêchera toute dynamique politique de s'épanouir » - je vous renvoie aux pages 20 et 21 de cet excellent rapport.

Au-delà du souhait d'exister militairement, l'Europe a un devoir d'efficacité. Or cette efficacité européenne en opérations a été démontrée ces dernières années. L'Union a acquis une crédibilité opérationnelle incontestable notamment en menant avec succès ses deux premières opérations militaires, pourtant complexes : Concordia a achevé de stabiliser la Macédoine et a démontré que les arrangements de coopération entre l'Union européenne et l'OTAN pouvaient fonctionner ; Artémis, en République démocratique du Congo, a prouvé la capacité de l'Union à répondre rapidement à un appel des Nations unies et à agir de manière autonome à des milliers de kilomètres de nos frontières. Bientôt, l'Union relèvera la SFOR en Bosnie. Cette opération, particulièrement délicate, constituera un nouveau test majeur.

Aussi, il nous faut continuer à faire progresser la défense européenne.

Sur le plan politique, notre ambition est celle d'une Europe forte et pacifique, prête à apporter son concours au rétablissement ou au maintien de la paix, en toute autonomie stratégique.

En matière de stratégie, l'ambition est de définir des objectifs réalistes qui pourront être tenus, y compris en termes de capacités militaires. L'objectif global 2010 doit nous y aider. Il traduit la volonté de disposer, à cette échéance, de forces armées européennes qui puissent agir ensemble, depuis le niveau stratégique jusqu'au théâtre d'opérations. Au-delà, l'Europe doit être capable de planifier et de conduire des opérations, et de déployer rapidement des forces interopérables. Elle doit à cet égard favoriser l'émergence d'organismes, de procédures et de moyens utiles et efficaces avec la création, notamment, d'une cellule civilo-militaire et d'un noyau de centre d'opérations européen à l'état-major de l'Union européenne, état-major qui est au cœur de notre discussion d'aujourd'hui.

Au niveau tactique, l'ambition est de créer des groupements tactiques interarmes de 1 500 hommes mis à la disposition de l'Union européenne, de former une force de gendarmerie européenne à l'initiative de la France, et, enfin, de permettre un partage accru du renseignement, notamment pour lutter contre le terrorisme.

Parmi les outils dont se dote l'Europe, il en est un des plus récents et des plus importants : l'Agence européenne de défense, qui permettra de mieux coordonner les objectifs capacitaires européens, les programmes d'armement en coopération et tous les aspects relatifs à la recherche et à l'industrie. Cette agence a vocation à devenir l'un des outils de l'autonomie stratégique européenne, objectif majeur à nos yeux.

Sur le plan industriel, notre ambition est de disposer d'une industrie de défense structurée au niveau européen, qui nous permette de préserver nos acquis et de garder une avance en matière d'équipements.

Enfin, j'évoquerai les recompositions et collaborations industrielles du secteur de la défense, qui ont donné des résultats spectaculaires dans les domaines aéronautique, spatial et électronique. Il faut y tendre également en matière d'équipements navals et terrestres. En effet, l'Europe doit savoir concentrer ses efforts en matière de recherche et de développement, faute de quoi seul un rôle de sous-traitant lui serait laissé.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la ratification du traité qui nous est proposée participe de la cohérence du nouveau dispositif mis au service de la réalisation de la politique européenne de sécurité et de défense. C'est pourquoi, avec le groupe socialiste, je la voterai.

M. Jacques Remiller, rapporteur suppléant. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Claude Gatignol.

M. Claude Gatignol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Assemblée est invitée cet après-midi à ratifier un accord qui témoigne, avant tout, de l'engagement total de notre pays en faveur de la politique européenne de sécurité et de défense : au-delà des structures, ce sont à ce jour près de 200 personnes qui œuvrent pour la sécurité de l'Europe. Aussi, nous nous devons d'approuver sans retard ce texte qui leur permettra de mener leurs missions dans un cadre juridique sûr.

Je ne reviendrai pas dans le détail sur le contenu de cet accord, Jacques Remiller ayant repris dans son excellente intervention...

M. Jacques Remiller, rapporteur suppléant. Merci !

M. Claude Gatignol. ...le rapport très complet de notre collègue, Bernard Schreiner. Je tiens tout de même à revenir sur plusieurs points qui méritent, par leur importance, d'être, une nouvelle fois, soulignés.

La politique européenne de sécurité et de défense, la fameuse PESD, est aujourd'hui une réalité. Elle a fait des progrès considérables : les structures existent ; la stratégie elle-même a fait l'objet d'un document intitulé « Une Europe plus sûre dans un monde meilleur », qui constitue un outil de référence politique devant permettre d'identifier les priorités stratégiques de l'Union et qui va, par conséquent, bien au-delà de la seule dimension militaire ; enfin, les moyens civils et militaires de gestion de crise sont opérationnels depuis la fin 2003.

Vous l'avez dit, monsieur Remiller, un état-major de l'Union existe désormais, composé de 150 officiers et experts militaires des États membres détachés auprès du secrétariat général du Conseil et dirigé, depuis le mois d'avril dernier par le général de corps d'armée français, Jean-Paul Perruche.

Cet accord est également nécessaire parce que les théâtres d'intervention des forces placées sous la bannière de l'Union européenne se multiplient, que ce soit en Macédoine, au Congo ou en Bosnie, et peut-être ailleurs prochainement. Nous pouvons en être fiers. Ce sont en effet autant de preuves de la capacité de l'Union européenne à gérer une crise de façon globale.

Mais c'est désormais plus près de nous, en Bosnie, que l'Union va exercer ses capacités opérationnelles. Elle s'apprête en effet à prendre le relais le 2 décembre prochain de l'OTAN en Bosnie. Il s'agira de la première opération de cette ampleur - on parle de 7 000 hommes - dans le cadre de la politique de sécurité et de défense. Avec près de 450 hommes sur le terrain, notre pays sera le huitième contributeur à cette force.

Je le répète, cet accord est indispensable car aucune disposition n'octroie aujourd'hui d'immunités et de privilèges aux personnels militaire et civil détachés auprès de l'état-major de l'Union européenne, comme il en existe pour les fonctionnaires et les agents des Communautés européennes. Il y a là un vide juridique auquel cette convention du 17 novembre 2003 vise à remédier.

Je ne reviendrai pas sur le champ de la convention ni sur son dispositif : tout a été dit par les intervenants précédents.

En conclusion, le groupe UMP, qui approuve cet accord, estime que c'est l'intérêt même de l'Union européenne de donner une sécurité juridique aux personnels qui agissent dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense.

M. le président. La discussion générale est close.

J'appelle maintenant l'article unique du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

Article unique

M. le président. Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(L'article unique du projet de loi est adopté.)

    9

TRAITÉ DE COOPÉRATION FRANCE-MONACO
CONVENTION FISCALE FRANCE-MONACO

Discussion de deux projets de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion :

- du projet de loi autorisant la ratification du traité destiné à adapter et à confirmer les rapports d'amitié et de coopération entre la République française et la principauté de Monaco (nos 1043, 1878),

- du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention fiscale entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de Son Altesse sérénissime le prince de Monaco, signée à Paris le 18 mai 1963 et modifiée par l'avenant du 25 juin 1969 (ensemble un échange de lettres) (nos 1437, 1878).

La conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

La parole est à M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie.

M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, la France et la principauté de Monaco étaient liées jusqu'à présent par le traité du 17 juillet 1918, mais dont l'esprit et le contenu ne correspondaient plus aux réalités d'aujourd'hui et n'étaient plus compatibles avec les prérogatives d'un État souverain, désormais membre de l'ONU, du Conseil de l'Europe et de nombreuses organisations internationales.

En conséquence, le 24 octobre 2002 a été signé le traité destiné à adapter et à confirmer les rapports d'amitié et de coopération entre la République française et la principauté de Monaco.

Avec ce nouveau texte sont confirmées les relations d'amitié franco-monégasques, dont la spécificité est due à la situation géographique de la principauté, enclavée dans le territoire français, ainsi qu'à notre histoire commune.

Le nouveau traité réaffirme la souveraineté et l'indépendance de la principauté de Monaco, tout en poursuivant la politique d'étroite concertation suivie par les deux États, notamment dans le domaine des relations internationales. Il prévoit que les actions de la principauté, conduites dans l'exercice de sa souveraineté, s'accordent avec les intérêts français dans les domaines politique, économique, de sécurité et de défense.

Afin de poursuivre la politique de concertation menée jusqu'à présent et d'assurer sa mise en œuvre de la façon la plus efficace, le traité dispose que les deux États concluront des conventions dans des domaines d'intérêt commun et procéderont à des consultations régulières, dans le cadre, notamment, d'une commission mixte de coopération.

Le traité du 24 octobre 2002 représente l'élément clé d'un triptyque de négociations entre les deux États.

En premier lieu, l'actualisation des relations financières s'est effectuée sur la base du rapport du directeur du Trésor d'octobre 2000 et du relevé de conclusions de MM. Rouvillois et Cailleteau, inspecteurs des finances. Aujourd'hui, la plupart des propositions de ce rapport sont mises en œuvre, notamment dans le cadre de la convention relative à la mise en circulation de l'euro à Monaco, et de la mise à jour de la convention fiscale également soumise à votre approbation.

Ainsi, l'avenant fiscal du 26 mai 2003 prévoit que le traitement fiscal des relations économiques entre des sociétés dépendantes établies en France, d'une part, et à Monaco, d'autre part, se rapproche du droit commun français. Les paiements des commissions et des redevances entre sociétés pourront désormais être admis en déduction des bénéfices de la partie versante. La preuve qu'ils ne dissimulent pas une réalisation ou un transfert de profits devra être fournie. Cet alignement sur le droit français correspond à une demande des entreprises françaises détenant des filiales dans la principauté et y effectuant des opérations réelles.

Désormais, les résidents français de Monaco seront soumis à l'impôt de solidarité sur la fortune, conformément à l'égalité des contribuables devant l'impôt - ce qui devrait être de quelque utilité à Monaco...

Le présent avenant réaffirme également le principe de l'unicité du territoire fiscal français et monégasque : les règles de partage de la TVA seront plus proches de la réalité économique et garantiront mieux les intérêts de la France.

Enfin, les résidents français de Monaco pourront bénéficier des réductions d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile et les frais de garde de jeunes.

Le deuxième volet concerne la négociation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale dans le but de moderniser les stipulations de la convention franco-monégasque du 21 septembre 1949. L'objectif est d'aboutir à l'adoption d'un instrument conforme à la convention du Conseil de l'Europe de 1959, ainsi qu'aux accords et conventions conclus depuis lors au sein de l'Union européenne.

Enfin, les négociations ont porté sur une convention de coopération administrative, destinée à se substituer à la convention du 28 juillet 1930 relative au détachement de fonctionnaires français en principauté et de fonctionnaires monégasques en France.

Les Monégasques souhaitaient que le principe de libre accès de leurs ressortissants aux emplois publics soit admis, tout en continuant de faire appel, en priorité sur toute autre nationalité, à des ressortissants français, voire à des fonctionnaires français en détachement, pour tout un ensemble d'emplois et de fonctions auxquels l'étroitesse de la population monégasque ne permet pas de répondre.

Les autorités françaises rejoignaient cette préoccupation, conforme en particulier aux conventions internationales, dont celles du Conseil de l'Europe qui prévoient le droit des citoyens d'un État à accéder à tous les emplois publics de cet État.

L'enjeu de la négociation était donc de concilier cette préoccupation partagée et la nécessité de s'assurer que les titulaires de certaines fonctions ou emplois « sensibles », parce qu'ils mettent en cause les intérêts fondamentaux des deux États, jouissent de la confiance respective des deux États.

Les Monégasques souhaitaient, par ailleurs, pouvoir accéder de manière plus effective à la fonction publique française, les mécanismes de la convention de 1930 s'étant révélés plutôt dissuasifs. En conséquence, à l'instar de ce qui prévaut pour les ressortissants andorrans, l'accès des Monégasques à notre fonction publique s'effectuera dans les mêmes conditions que celles s'appliquant aux ressortissants des pays membres de l'Union européenne.

Enfin, il est prévu que l'approfondissement de la coopération administrative entre les deux États se fera sous le contrôle de la commission de coopération franco-monégasque.

Le texte de la future convention a été arrêté en juin dernier. Après sa signature, il sera soumis à l'approbation du Parlement, mais il n'entrera en vigueur qu'après la conclusion de l'ensemble des négociations en cours, relatives notamment à des questions financières ou d'entraide judiciaire.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, les principales observations qu'appelle le traité du 24 octobre 2002, destiné à adapter et à confirmer les rapports d'amitié et de coopération entre la République française et la principauté de Monaco, qui est aujourd'hui soumis à votre approbation.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires étrangères.

M. Jean-Claude Guibal, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, nous examinons aujourd'hui deux projets de loi. Le premier autorise la ratification du traité destiné à adapter et à confirmer les rapports d'amitié et de coopération entre la République française et la principauté de Monaco. Ce traité a été signé le 24 octobre 2002. Le second projet de loi autorise l'approbation de l'avenant à la convention fiscale du 18 mai 1963. Ces deux projets de loi s'inscrivent dans un mouvement général de modernisation des relations entre la France et la principauté de Monaco demandé par les autorités de la principauté depuis de nombreuses années.

En effet, la principauté souhaitait voir les attributs de sa souveraineté renforcés, ce que la France a accepté dans la mesure où cela s'inscrivait dans une révision plus large des relations bilatérales concernant également les matières financières, fiscales et judiciaires.

D'ores et déjà, des négociations ont abouti comme par exemple dans le domaine fiscal, ce qui explique que nous examinions, aujourd'hui, l'avenant à la convention fiscale de 1963.

L'objectif du traité de 2002 vise à moderniser les relations franco-monégasques en se substituant au traité d'amitié de 1918 qui n'est plus adapté à la situation actuelle et qui encadre trop la souveraineté monégasque.

Pour autant, si le nouveau traité modernise le cadre des relations franco-monégasques, il ne remet pas en cause la spécificité des relations entre les deux pays. En effet, le traité de 2002, tout en apportant des éléments de nature à renforcer la souveraineté de la principauté, ne fait pas de ses relations avec la France des relations interétatiques de droit commun.

Ainsi, il n'est certes plus question, comme en 1918, d' «amitié protectrice », mais de « communauté de destin », concept qui reste très fort et très inhabituel dans les relations entre États. De même, si la disposition sur la nécessité d'une «parfaite conformité » de l'exercice de la souveraineté monégasque avec les intérêts politiques, économiques et militaires de la France disparaît, le traité de 2002 prévoit néanmoins que les actions de la principauté doivent « s'accorder » avec les intérêts fondamentaux de la République française. Sur le plan international, le mécanisme d'« entente préalable » du traité de 1918 est remplacé par une procédure de concertation « appropriée et régulière ».

La nouvelle rédaction confère ainsi une plus grande autorité à la principauté sans pour autant introduire la symétrie des obligations. Alors que la convergence de l'action extérieure de la principauté avec les intérêts fondamentaux de la République française est requise, la France ne s'engage qu'à prendre en compte les intérêts fondamentaux de la principauté.

Toujours sur le plan des relations internationales, le nouveau traité pourrait avoir pour conséquence le rehaussement du niveau de notre représentation diplomatique. Aujourd'hui, la principauté est représentée en France par un ambassadeur tandis que la France est représentée à Monaco par un consul général. Les Monégasques souhaitent que notre pays installe une ambassade dans la principauté, mais la décision n'a pas encore été prise du côté français.

Enfin, en cas de modification de l'ordre successoral à la couronne dans la principauté, l'agrément de la France n'est plus requis, celle-ci devant simplement en être informée. L'existence de cette stipulation dans le traité de 1918 s'expliquait par le contexte particulier de l'époque, en particulier par la crainte de voir un prince allemand accéder au trône princier.

Au total, le traité de 2002 répond à un souhait légitime de la principauté de Monaco qui considère que la rédaction des stipulations du traité de 1918, empreinte de paternalisme, est aujourd'hui totalement désuète. La modification du traité de 1918 était donc nécessaire, et l'on ne peut que se féliciter qu'elle soit intervenue dans un climat de confiance qui permet de conserver la spécificité des relations franco-monégasques.

Cela étant, le traité du 24 octobre 2002 ne constitue qu'un cadre général pour le développement des relations entre la France et Monaco. Du reste, son article 6 prévoit que des conventions particulières interviendront dans des domaines d'intérêt commun. Ainsi, en contrepartie du renforcement, dans le nouveau traité, de la souveraineté de la principauté, la France a demandé à celle-ci une révision plus large des relations bilatérales, en particulier dans les domaines fiscal, judiciaire et administratif.

D'ores et déjà, des résultats ont été obtenus en ce qui concerne la fiscalité, conformément aux souhaits exprimés par la partie française. La réussite de ces négociations a abouti à la signature d'un avenant à la convention fiscale de 1963 dont notre assemblée est également saisie aujourd'hui. Les deux novations principales de cet avenant concernent l'impôt sur la fortune et la taxe sur la valeur ajoutée.

Pour ce qui est de l'assujettissement à l'ISF, les Français résidant à Monaco depuis 1989, date de la création de cet impôt, y seraient désormais assujettis, comme ils le sont à l'impôt sur le revenu en application de la convention de 1963. Il s'agit d'aller au bout d'une logique qui considère les résidents français en principauté comme des contribuables français à part entière. Cette logique, qui a sa cohérence fiscale, induit en revanche des conséquences extrêmement négatives sur la consistance de la communauté française de Monaco. Je dirai dans un instant en quoi il me semble que ces conséquences ne sont pas conformes aux intérêts de notre pays.

En ce qui concerne la TVA, l'avenant à la convention fiscale introduit une nouvelle règle pour le partage du produit de cet impôt entre les deux pays. On se souvient en effet de la polémique intervenue il y a quelques années sur ce sujet à la suite de l'augmentation, considérée par certains comme excessive, des reversements de TVA effectués par la France au profit du Trésor monégasque. Ce problème résultait de la formule de calcul de ce reversement, inattaquable dans son principe, mais qui n'était plus adaptée aux réalités d'aujourd'hui. L'avenant à la convention fiscale a permis de modifier cette formule dans un sens plus favorable à la France.

Parallèlement à ces négociations dans le domaine fiscal, d'autres discussions sont en cours, mais n'ont pas encore été finalisées.

Le domaine le plus symbolique est probablement celui de la coopération administrative avec la révision de la convention de 1930, qui prévoit notamment que les principaux postes de responsabilité de l'administration monégasque sont pourvus par des fonctionnaires français. Le Conseil de l'Europe avait fait de sa suppression une condition de l'adhésion de Monaco au Conseil de l'Europe. La nouvelle convention prévoit que les personnes occupant en principauté les emplois les plus sensibles devront jouir de la confiance des deux États.

Un autre domaine sensible des relations franco-monégasques réside dans la coopération judiciaire en matière pénale. Les négociations, commencées il y a deux ans, ont permis des avancées significatives qui permettent d'envisager le rapprochement des stipulations franco-monégasques avec les règles prévues entre les États membres de l'Union européenne. Il reste à régler la question de la transmission directe des demandes d'entraide entre juges sans passer par une autorité centrale, et celle de l'inclusion des infractions fiscales dans le périmètre de l'entraide judiciaire. Une session de négociations s'est déroulée en juillet dernier dans un excellent climat, qui permet d'espérer un accord prochain sur ce texte.

Ainsi, entre la signature du traité d'amitié et de coopération de 2002 et les négociations, finalisées ou encore en cours, dans des domaines particuliers, c'est l'ensemble des relations entre la France et Monaco qui font actuellement l'objet d'une rénovation profonde, souhaitable et équilibrée.

Quant à la méthode, la commission des affaires étrangères a estimé qu'il était logique de ratifier dans un premier temps le traité de 2002, qui est le nouveau cadre de notre relation bilatérale, puis de ratifier les différentes conventions sectorielles au fur et à mesure de leur signature, comme nous nous apprêtons à le faire aujourd'hui avec la convention fiscale. À cet égard, monsieur le ministre, je pense que l'Assemblée nationale apprécierait d'être informée de l'état d'avancement précis des négociations concernant les autres conventions.

Je voudrais enfin, avant de conclure, faire deux commentaires rapides.

Le premier concerne la convention fiscale. Je ne méconnais pas le sacro-saint principe d'égalité des citoyens français devant l'impôt. Néanmoins son application pure et dure aux Français vivant à Monaco aura pour conséquence directe la disparition progressive de la communauté française en principauté.

Forte de 15 222 immatriculés en 1984, elle n'en comptait plus que 9 454 en 2002 et cette évolution ne cesse de s'aggraver. La communauté française de Monaco s'est réduite de près de 40 % en vingt ans et ne représente plus que 32 % de la population monégasque contre 58 % en 1968. L'assujettissement à l'ISF va, bien évidemment, accentuer cette tendance. En effet, compte tenu du coût de l'immobilier en principauté, il suffit d'y être propriétaire de son logement pour être imposable à l'ISF.

Or je suis convaincu que l'intérêt de la France a toujours été que ses ressortissants à Monaco soient nombreux, actifs et influents. Cela vaut a fortiori à l'heure où s'affirme la souveraineté de la principauté, et même si cela doit nous coûter de moindres recettes fiscales.

Il me semble que le moins que la France puisse faire, en attendant d'autres évolutions, serait de ne pas traiter ses ressortissants en principauté moins bien que s'ils étaient domiciliés sur le territoire national. Il conviendrait en particulier de ne les assujettir à l'ISF qu'à partir de l'entrée en vigueur de l'avenant à la convention fiscale, c'est-à-dire à partir de 2005, et non pas à partir de 2002 comme on l'entend suggérer parfois, au mépris d'un autre principe, celui de la non-rétroactivité fiscale.

Mon second commentaire porte sur le champ des conventions qui font aujourd'hui l'objet d'une actualisation entre les deux pays. À l'évidence, celles qui concernent les régimes sociaux, et en particulier les retraites, devraient être revisitées.

Par ailleurs, dès lors que la France est désormais une République décentralisée, il conviendrait d'en tirer les conséquences quant aux relations entre la principauté et les collectivités locales françaises voisines.

En ce qui concerne le cadre juridique de ces relations, il serait souhaitable que celles-ci soient associées, au moins à titre consultatif, à tous les travaux de la commission mixte et, demain, de la commission de coopération franco-monégasque. En ce qui concerne leurs aspects budgétaires, il ne serait pas illégitime que sur l'économie de reversement de TVA réalisée par la France, cette dernière affecte une dotation spécifique à celles de ses collectivités dont une grande partie de la population active travaille en principauté de Monaco. Des exemples de solidarité financière au sein d'un bassin d'emploi binational existent déjà, par exemple entre le canton de Genève et Annemasse.

Cela étant, la commission des affaires étrangères vous recommande, mes chers collègues, l'adoption des deux projets de loi qui vous sont présentés.

Discussion générale commune

M. le président. Dans la discussion générale commune, la parole est à M. François Loncle.

M. François Loncle. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, le groupe socialiste participe bien entendu au débat organisé cet après-midi afin d'autoriser la ratification du traité d'amitié et de coopération avec Monaco et de l'avenant à la convention fiscale du 18 mai 1963 avec Monaco.

Ce texte international a-t-il été jugé suffisamment important pour être inscrit à notre ordre du jour ? Ou, plus prosaïquement, ce débat nous a-t-il été imposé par l'un d'entre nous, notre collègue Jacques Myard, observateur minutieux mais quelque peu acariâtre du monde global. On connaissait le sens de la formule, critique, à l'égard des « machins » supranationaux, manifesté par l'auteur de cette initiative insolite. Il a révélé, dans la période récente, un art rhétorique particulièrement acéré à l'égard de petits pays comme Monaco qu'il a qualifié sans ménagement diplomatique « d'État croupion » au cours de l'une de nos réunions de commission. Monaco, donc, vaudrait une messe chantée parlementaire, dirigée par un représentant qualifié de la diversité majoritaire.

M. Jacques Remiller. Sous la présidence du prince !

M. François Loncle. Les députés socialistes, je tiens à le signaler tout de suite pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté concernant notre vote, sont favorables au respect des souverainetés, comme de la parole donnée par la France. Je rappelle, à titre autant anecdotique que symbolique, que François Mitterrand était le représentant du gouvernement français lors du mariage du prince Rainier avec Mlle Grace Kelly. La colonisation d'un territoire par des puissances extérieures, les souverainetés limitées, les traités inégaux sont heureusement derrière nous. Qui, à l'exception de notre excellent collègue, songerait à retenir l'horloge de l'histoire, voire à proposer un hypothétique retour à des rapports juridiquement asymétriques entre États ? Comment ? Dans quelles conditions ? Figer dans le droit une relation inégale entre États en raison de leur différentiel en taille, population, puissances militaire ou hydraulique ?

Peut-être le regret impérial manifesté par notre collègue n'est-il en réalité qu'un artifice littéraire associant notre assemblée, avec quelques semaines d'avance, à l'hommage rendu en 2005 à Cervantès, Don Quichotte et ses moulins à vent. Les moulins à vents monégasques d'aujourd'hui sont ceux listés par notre collègue pour justifier sa charge en forme de réquisitoire. Pourquoi Monaco n'aurait pas le droit à sa souveraineté ? Parce que Monaco n'a pas de maison d'arrêt, parce que Monaco importe toute son eau !

M. Jacques Remiller. Il y a une maison d'arrêt à Monaco !

M. François Loncle. Mon cher collègue, j'aurais tellement aimé que vous fussiez parmi nous. La France n'a plus de bagne. Elle achète à l'étranger, entre autres choses, tout son pétrole. Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage. Le loup de la fable, s'adressant à l'agneau qu'il s'apprête à dévorer, lui reproche de troubler son eau, alors que le malheureux ovidé s'abreuve à l'aval du prédateur.

A tort ou à raison, mais il est assez tard pour le regretter, la France a reconnu l'indépendance et la souveraineté de Monaco le 2 février 1861 et le 17 juillet 1918. Ces traités n'apportaient aucune innovation en la matière, la France ayant, comme vous le savez, déjà admis officiellement, le 14 septembre 1641, les droits souverains de la principauté. En remontant un peu plus loin dans le temps, je rappellerai la naissance de ce pays en 1297, par la conquête du Château-Vieux par le premier des Grimaldi, de souche gênoise mais du parti guelfe, déguisé en moine franciscain. Dans l'Italie médiévale, les guelfes, partisans de la papauté, s'opposaient aux gibelins favorables à l'empereur romain germanique. Permettez-moi de vous rappeler en quels termes la France, dans l'article 1er du traité de 1918, dit « traité d'amitié protectrice », reconnaît la souveraineté monégasque :

« Article 1er - Le Gouvernement de la République française assure à la principauté de Monaco la défense de son indépendance et de sa souveraineté et garantit l'intégrité de son territoire comme si ce territoire faisait partie de la France ».

La France a reconnu bien d'autres souverainetés depuis 1918, notamment les Comores, micro-État de l'océan Indien. Si nous appliquions la doctrine de notre collègue, il conviendrait sans doute que la France revoie sa copie à l'égard de pays ayant accédé à l'indépendance alors qu'ils sont imparfaitement souverains. Il y aurait sans doute là matière à fonder une nouvelle approche des rapports internationaux qui, si elle était validée, serait de nature à susciter bien des perturbations dans la Caraïbe et le Pacifique, zones de prolifération de ces « États croupions » dont l'existence scandalise sur les bancs de la diversité majoritaire. Les Maldives, non seulement n'ont pas d'eau potable, comme les petits émirats du Golfe, mais risquent d'être submergées par la montée des océans. Faut-il rayer les Maldives des atlas diplomatiques ou tenter d'aider ce petit État à surmonter le drame écologique auquel il est confronté ?

Certes, les relations franco-monégasques sont particulières. Bien sûr, elles nécessitent d'être prises en compte dans un traité d'amitié et de coopération actualisé. Mais il serait inacceptable sur le terrain des principes, comme sur celui des règles de droit international, de nier au peuple monégasque - il existe, vote et élit un conseil national de façon tout à fait démocratique -, comme à Monaco - État membre du système des Nations unies -, d'exercer une souveraineté plus effective. Le traité qui nous est proposé est un compromis acceptable, prenant en compte les aspirations monégasques et les préoccupations de la France. Nos collègues Vincent Peillon et Arnaud Montebourg avaient lancé, pendant la législature précédente, un appel à la vigilance fiscale concernant Monaco et d'autres États, qu'ils soient « d'opérette » comme le dit notre collègue avec une absence de courtoisie dont il porte seul la responsabilité, ou qu'ils soient plus respectables par la superficie, la population ou, par exemple, leur capacité à consommer une eau authentiquement nationale. Heureusement, la convention fiscale qui est également soumise à notre approbation a pris en compte certaines de leurs suggestions, en particulier l'assujettissement des résidents français à l'ISF.

En cette fin d'année 2004, le monde est bousculé par de graves événement qui violent les principes universels de paix et de droit. L'Ukraine est en crise. Son avenir démocratique va-t-il basculer vers un scénario cauchemar, à la biélorusse ? Les Irakiens seraient, paraît-il, en état d'exprimer sereinement par un vote leurs choix politiques le 30 janvier prochain. Que l'on me permette d'en douter, pour les raisons que vous connaissez tous, et de m'étonner du consentement silencieux de la France. Nos armées, en revanche, ont fait feu de tout bois en Côte d'Ivoire dans des conditions conduisant le groupe socialiste à demander la constitution d'une commission d'enquête. Les bruits de sabre s'accumulent aux confins de la République démocratique du Congo. La paix est toujours dangereusement en suspens au Proche-Orient. Les autorités soudanaises n'en finissent plus de provoquer les drames que nous savons dans le Darfour. Une guerre civile ignorée des médias déchire le Népal. Une autre semble s'amorcer au sud de la Thaïlande. Ailleurs, à l'exception obscène de l'Irak, les pays handicapés par une dette qu'ils sont incapables d'honorer et qui pèse sur le bien-être des peuples sont sommés de payer rubis sur l'ongle.

Le monde nous interpelle. Évitons autant que possible les débats « croupions » ! La commission des affaires étrangères a consacré trois réunions aux relations passées, présentes et futures de la France avec Monaco. Le groupe socialiste souhaite rappeler les exigences internationales du moment au ministre représentant le Gouvernement et lancer à la représentation nationale un appel à la raison, au bon sens et aux priorités du monde, ce qui ne l'empêchera pas de voter sans réticence ces conventions d'amitié et de coopération entre la France et Monaco.

M. le président. La parole est à M. Claude Gatignol.

M. Claude Gatignol. Comme vous venez de le souligner, monsieur le rapporteur, les deux projets de loi qui nous sont soumis s'inscrivent dans un mouvement général de modernisation des relations entre la principauté de Monaco et la France.

Le premier autorise la ratification du traité d'amitié et de coopération, signé le 24 octobre 2002, ayant vocation à remplacer le traité du 17 juillet 1918.

Le second texte concerne l'avenant à la convention fiscale du 18 mai 1963 : il est la conséquence du nouveau traité d'amitié qui prévoit la signature de conventions particulières dans plusieurs domaines.

Il est vrai que les dispositions et les formulations du traité d'origine étaient devenues, depuis quelques années, de moins en moins adaptées aux réalités d'aujourd'hui. Aussi, le nouveau traité répond principalement au souhait maintes fois renouvelé de la principauté en lui conférant une plus grande autonomie et en renforçant les éléments de sa souveraineté, tout en continuant à s'accorder avec les intérêts fondamentaux de la République française.

Le renforcement de l'autorité de la principauté passe par la concertation bilatérale dans des domaines essentiels tels que la politique, l'économie, la sécurité, la défense et les relations internationales.

Dès que le nouveau traité sera entré en vigueur, la commission mixte franco-monégasque sera remplacée par la commission de coopération franco-monégasque, qui doit devenir le lieu privilégié de la concertation bilatérale entre notre pays et la principauté, se réunissant une fois par an alternativement à Paris et à Monaco.

Comme vous l'avez indiqué, monsieur le rapporteur, la signature du nouveau traité d'amitié et de coopération a été assortie de l'obligation de révision des relations bilatérales dans plusieurs domaines afin de mieux garantir les intérêts fondamentaux français, notamment les intérêts financiers, économiques et de sécurité.

C'est pourquoi la signature de l'avenant à la convention fiscale du 18 mai 1963 était nécessaire. C'est une première étape . L'objectif visé est de considérer les citoyens français résidant à Monaco comme des contribuables français classiques. Cela concerne 8 000 d'entre eux, le nombre de résidents français ayant considérablement baissé ces dernières années.

D'autres domaines font l'objet de négociations en cours et feront l'objet de conventions futures. C'est le cas actuellement dans le domaine financier : un groupe de travail bilatéral chargé de la question de la mise à niveau de la législation financière applicable à Monaco a commencé ses travaux en mars 2003. Comme vous le savez, la question du contrôle et des sanctions des pratiques des établissements installés à Monaco n'a pas encore trouvé de solution, et c'est ce qui bloque pour l'instant la conclusion de l'accord envisagé.

Toutes les questions ne sont pas résolues non plus dans le domaine de l'entraide judiciaire pénale, même si des négociations ont eu lieu régulièrement en 2003 et tout récemment en juillet 2004.

La coopération administrative constitue également un autre dossier important, puisqu'il s'agit de permettre aux Monégasques, à l'instar de ce qui prévaut pour les ressortissants andorrans, d'accéder à la fonction publique française dans les mêmes conditions que les ressortissants des pays membres de l'Union européenne. Là aussi, les négociations sont en cours, mais le texte d'une future convention a cependant déjà été arrêté.

Je partage avec le rapporteur l'espoir de voir les relations franco-monégasques évoluer dans d'autres secteurs comme le domaine social, où des problèmes subsistent, ainsi que dans le domaine de la répartition des compétences entre collectivités locales limitrophes, où des accords pourraient être trouvés.

Dans la perspective des futures conventions à venir, le groupe UMP est totalement favorable à la modernisation des relations entre Monaco et notre pays. C'est pourquoi il votera ces deux projets de loi.

M. Yves Coussain. Très bien !

M. le président. La discussion générale commune est close.

Traité de coopération France-Monaco

M. le président. J'appelle maintenant l'article unique du projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération entre la France et la principauté de Monaco.

Je le mets aux voix.

(L'article unique du projet de loi est adopté.)

Convention fiscale France-Monaco

M. le président. J'appelle maintenant l'article unique du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention fiscale entre la France et la principauté de Monaco.

Je le mets aux voix.

(L'article unique du projet de loi est adopté.)

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PROTECTION DES INVENTIONS BIOTECHNOLOGIQUES

Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la protection des inventions biotechnologiques (nos 1884, 1936).

La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.


M. Patrick Devedjian,
ministre délégué à l'industrie. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi qui est soumis aujourd'hui à l'examen de l'Assemblée nationale a pour objet de parachever la transposition dans notre droit interne de la directive du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.

Les questions de brevetabilité du vivant ont déjà fait l'objet de réflexions approfondies ici même, notamment au sein de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Je songe en particulier aux rapports établis sur ce thème par votre collègue Alain Claeys.

L'Assemblée nationale a également mené des débats très riches sur la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique qui a transposé dans le code de la propriété intellectuelle les articles 5 et 6 de la directive concernant le corps humain et ses éléments.

En adoptant le présent projet de loi, vous achèverez ce processus de transposition. Il est urgent de terminer ce travail. En effet, la directive aurait dû être transposée depuis le 30 juillet 2000 et la France a été condamnée pour défaut de transposition par la Cour de justice des Communautés européennes, le 1er juillet 2004.

C'est la raison pour laquelle, soucieux de ne pas différer plus longtemps cette mise en conformité de notre droit interne avec les règles communautaires, le Gouvernement vous présente le texte qui avait été préparé sous la dernière législature.

Permettez-moi de saluer plus particulièrement les travaux de votre commission des affaires économiques et de son rapporteur M. Claude Gatignol, qui sait, quand il le veut, être convaincant et dont le rapport a bien situé les enjeux de cette transposition de la directive dans notre droit interne.

Le domaine des biotechnologies représente, en effet, l'un des principaux champs de découvertes et d'innovations qui s'ouvre au génie humain en ce début du XXIe siècle. Les enjeux qu'il recouvre sont considérables tant au plan éthique et économique que pour la santé publique.

Je rappelle que les biotechnologies regroupent l'ensemble des méthodes et des techniques qui permettent aux hommes de découvrir de nouveaux développements des organismes vivants, y compris les micro-organismes. Elles constituent donc une branche majeure de la science appliquée.

Avant de revenir sur les principes issus de la directive, je voudrais brièvement rappeler les enjeux considérables que constitue la protection juridique par le brevet pour le développement du secteur des biotechnologies.

Le droit des brevets permet, en effet, d'assurer la protection juridique nécessaire au développement du secteur des biotechnologies. Force est de constater que l'Europe a pris dans ce domaine un retard qu'elle doit combler rapidement.

Pour bien situer l'enjeu, je crois nécessaire de rappeler que les biotechnologies interviennent dans des domaines très divers et, en premier lieu, celui de la santé. De nouvelles thérapies, la thérapie génique, les médicaments mais aussi les diagnostics sont concernés. Il y a là évidemment un enjeu majeur, notamment pour la lutte contre les grandes épidémies et endémies. Les biotechnologies rendent possible la création de produits inédits, inconcevables sans leur intervention, par exemple, pour le traitement de certaines anémies, l'érythropoïetine.

M. Jean-Yves Le Déaut. L'EPO !

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous avez raison, monsieur Le Déaut, il est plus facile de parler d'EPO !

L'agriculture peut également en bénéficier, par exemple pour améliorer les rendements ou lutter contre les parasites.

L'agroalimentaire est aussi intéressé avec pour objectif d'améliorer la qualité. Je citerai le cas des brasseries, dans lesquelles les biotechnologies se sont substituées aux techniques artisanales : le contrôle de la fabrication et la sélection des levures assurant la fermentation permettent, paraît-il, d'obtenir une bière de qualité et de goût constants.

Les biotechnologies interviennent aussi dans la protection de l'environnement. Les enzymes introduites dans les lessives permettent de laver le linge à basse température, sans ajouter de phosphates, réduisant ainsi la consommation d'énergie et limitant la pollution.

Les biotechnologies permettent également de résoudre de nombreux problèmes de détection et de traçabilité.

Le génie génétique est notamment utilisé dans le cadre de la répression des fraudes - pour s'assurer de la conformité de la composition d'un plan préparé, par exemple -, de la recherche de paternité - afin de comparer certaines caractéristiques du génome -, de la police scientifique - pour comparer l'ADN retrouvé sur le lieu d'un crime avec celui d'un suspect -, et de la lutte contre le terrorisme - par exemple pour détecter des microbes utilisés comme arme bactériologique et neutraliser de telles substances.

Qu'en est-il de l'organisation du secteur pour prendre en compte ces domaines très variés ?

Le secteur des biotechnologies regroupe en France des grands laboratoires publics, des groupes importants ainsi que des petites entreprises privées. Environ la moitié de ces dernières ont moins de six ans et sont dotées d'un effectif inférieur à dix salariés. 61 % des entreprises européennes de biotechnologies travaillent en priorité pour la santé - un tiers pour des outils de diagnostic et deux tiers dans le secteur du médicament -, 32 % pour l'agriculture, l'agroalimentaire et la santé animale et 7 % pour l'environnement.

La recherche est donc prépondérante ; les progrès n'y sont obtenus qu'à ce prix. 92 % des organismes et entreprises y opérant possèdent une activité de recherche et développement interne en biotechnologie. Les deux tiers des entreprises bénéficient d'aides publiques pour leur recherche : licences, cessions de brevets ou de savoir-faire, personnels de recherche ou matériels.

Pourtant, c'est tout l'enjeu du débat qui nous réunit aujourd'hui, dans ce domaine essentiel, les pays européens ont pris du retard par rapport aux États-Unis et au Japon, faute d'une approche juridique harmonisée.

Le droit des brevets peut donc permettre une protection juridique efficace nécessaire au développement du secteur.

Les brevets sont absolument essentiels aux progrès techniques dans ce domaine. La brevetabilité de la matière vivante n'est d'ailleurs pas une nouveauté. Dès 1873, Louis Pasteur obtenait un brevet pour une levure exempte de germes pathogènes destinée à l'industrie de la brasserie.

Je crois utile de rappeler que le système des brevets participe à l'innovation de deux manières.

D'une part, le brevet assure, pendant une période de temps limitée mais suffisamment longue, la reconnaissance d'un monopole au profit de l'inventeur, ce qui permet de rentabiliser les dépenses de recherche-développement réalisées pour obtenir une invention brevetée.

Mais je veux souligner devant vous qu'il assure seulement un droit exclusif d'exploitation d'une invention et non pas un droit de propriété sur un produit qui reste accessible.

En récompensant l'inventeur pour son œuvre créatrice, le système de protection par le brevet a essentiellement pour but d'encourager l'innovation technique. Il permet d'attirer l'investissement vers la recherche-développement et l'exploitation industrielle de ses résultats. Il est un facteur important de croissance économique tout en favorisant la progression rapide et bénéfique des connaissances.

D'autre part, le brevet est une source d'information capitale. En contrepartie du monopole temporaire qu'il octroie, le dépôt d'un brevet implique obligatoirement la divulgation de l'invention et sa publication par les offices de brevet - en France, l'INPI, l'Institut national de la propriété industrielle.

La documentation brevets est la source d'information technologique internationale la plus complète, la plus systématique et la plus accessible : 80 % de l'information scientifique et technique y sont contenus. Le système des brevets assure ainsi l'éclosion de nouvelles inventions, elles-mêmes sources d'innovations futures.

Contrairement à ce qui est parfois affirmé, le brevet ne fait donc obstacle ni à la diffusion de l'information scientifique et technique, ni aux progrès de la recherche, celle-ci restant en dehors de sa portée.

En transposant les principes issus de la directive, le projet de loi permet de rendre effective en droit interne cette nécessaire protection juridique des inventions biotechnologiques.

La directive a défini des règles communes aux États membres dans ce secteur d'avenir.

Elle est fondée sur le constat que l'extension de la brevetabilité aux inventions impliquant une matière biologique est nécessaire pour assurer une protection effective de la propriété industrielle. Dans cette perspective, elle précise les conditions et les limites dans lesquelles la protection par un brevet peut être obtenue pour des inventions portant sur la matière biologique.

Je veux rappeler que ce texte a été adopté par le Parlement européen et par le Conseil, à l'issue de négociations longues et complexes, après l'échec d'une première proposition de directive sur ce sujet, en mars 1995. Il constitue désormais un compromis équilibré entre les considérations économiques, éthiques et de société.

La directive prévoit plusieurs garanties éthiques pour cette brevetabilité, notamment en en excluant tout ce qui n'est qu'une découverte de l'existant naturel et ne fait donc pas appel à l'inventivité technique.

Son article 3-1 précise que « sont brevetables les inventions nouvelles, impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle, même lorsqu'elles portent sur un produit composé de matière biologique ou en contenant, ou sur un procédé permettant de produire, de traiter ou d'utiliser de la matière biologique ».

Sont donc exclues de la brevetabilité, outre le corps humain, les variétés végétales et les races animales. Non brevetables en tant que telles, les variétés végétales sont couvertes par le régime communautaire de protection des obtentions végétales.

La directive prévoit par ailleurs des garanties spécifiques concernant le corps humain : celles-ci ont été largement débattues par l'Assemblée nationale dans le cadre de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique.

Enfin, elle prend en compte les interrogations pour l'avenir sur les effets de la brevetabilité ou sur l'évolution des techniques, en prévoyant des évaluations périodiques.

Pour les inventeurs, les déposants et les entreprises, la directive met un terme à une situation d'incertitude juridique résultant des divergences importantes sur ces questions entre les législations et les pratiques nationales mais aussi internationales.

De fait, au regard des législations existantes, les déposants ne pouvaient pas toujours déterminer avec certitude si leurs inventions étaient ou non susceptibles d'être brevetées. D'autre part, l'absence de règles confirmées pouvait les faire hésiter sur la portée susceptible d'être reconnue au titre délivré.

Après la transposition, les scientifiques et les industriels européens bénéficieront d'une sécurité juridique accrue et pourront bâtir une stratégie de propriété industrielle à plus long terme et donc investir dans les technologies innovantes, dont le rôle est crucial.

Le projet de loi qui vous est soumis transpose fidèlement les principes issus de la directive. Tout comme celle-ci, il s'insère, il faut le répéter, dans le cadre constitué par le droit des brevets.

Il applique notamment au domaine des biotechnologies le principe, fondamental en droit des brevets, selon lequel celui-ci ne protège que les inventions, c'est-à-dire des solutions techniques à des problèmes techniques, et en aucun cas les simples découvertes.

L'ensemble des conditions de brevetabilité est également valable pour les inventions dans ce domaine. Sont particulièrement sensibles, en ce qui concerne les brevets sur la matière biologique, les conditions d'activité inventive et d'application industrielle qui garantissent que la matière dans son environnement naturel ne sera pas brevetée.

Dans ce cadre clairement établi, le projet de loi poursuit trois objectifs.

Le premier est d'assurer la protection des inventions portant sur la matière biologique, sous réserve des exclusions liées à l'ordre public, et d'en déterminer les conditions, la portée et les limites.

Le second consiste à assurer le respect des règles protégeant la vie animale et végétale, notamment en conciliant la non-brevetabilité des races animales et des variétés végétales avec la brevetabilité d'inventions issues d'une intervention technique de l'homme.

Le dernier objectif de ce projet de loi est d'organiser les relations entre les titulaires de brevets et, d'une part, les agriculteurs ou éleveurs acquéreurs de matériel biologique couvert par des brevets, d'autre part, les titulaires de droits sur les obtentions végétales.

Les exceptions et les licences croisées prévues à cet effet s'ajoutent aux modifications apportées aux licences obligatoires de dépendance et dans l'intérêt de la santé publique par la loi bioéthique.

Je reviendrai brièvement sur les modifications apportées par le Sénat avec l'accord du Gouvernement. Le Sénat a assuré les coordinations nécessaires entre ce projet de loi et les dispositions que vous avez votées dans la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique.

Il a, par ailleurs, souhaité modifier certaines rédactions, afin d'assurer la transposition la plus fidèle de la directive. À cet égard, je veux remercier votre rapporteur, M. Gatignol, pour les explications très complètes qu'il a fournies dans son rapport et qui permettent de bien éclairer la portée de ces dispositions et l'interprétation qui devra en être faite dans leur application.

Le Sénat a enfin veillé à concilier le droit des brevets et celui des obtentions végétales, pour répondre à un enjeu économique qui appelle toute notre attention et qui concerne notre filière semencière.

Je rappelle que les variétés végétales font actuellement l'objet d'une protection sous la forme d'un certificat d'obtention végétale, le COV. Elles peuvent également être couvertes par un brevet lorsqu'elles incorporent un gène qui sert de support à une invention qui a été brevetée, en raison de sa nouveauté, de son caractère inventif et de son application industrielle.

Le droit des obtentions végétales prévoit deux types d'exception à la protection par un COV. La première exception permet aux agriculteurs d'utiliser sur leur exploitation et pour leurs besoins une partie de leur récolte à des fins de reproduction ou de multiplication. C'est le « privilège de l'agriculteur », qui autorise, sous certaines conditions, l'utilisation des semences de ferme. La seconde exception limite le droit de l'obtenteur pour les actes accomplis aux fins de création de nouvelles variétés. C'est le « privilège du sélectionneur », qui permet d'utiliser tout le matériel génétique des variétés végétales protégées aux fins de travaux de sélection.

Cette double exception figure à la fois dans la convention internationale pour la protection des obtentions végétales, dite convention « UPOV », et dans le règlement sur les COV communautaires. La directive que nous transposons aujourd'hui a bien prévu le « privilège de l'agriculteur », mais pas celui du « sélectionneur », qu'elle n'a pas non plus formellement prohibé. Quoi qu'il en soit, il y a là un problème de cohérence entre les textes communautaires qui mériterait d'être clarifié.

Cependant, la directive n'affecte pas l'exemption pour la recherche qui, en droit des brevets, permet d'utiliser l'invention brevetée à des fins de recherche. Cette exemption est reconnue par nos partenaires européens, mais avec une portée différente selon les États. À ce jour, elle n'a, en effet, pas donné lieu à une harmonisation au plan communautaire. Le texte adopté par le Sénat permet de préciser le champ d'application exact de cette exemption dans le cas qui nous intéresse, en visant sans ambiguïté les « actes accomplis en vue de créer ou de découvrir et de développer d'autres variétés végétales ». Il aboutit à retenir en droit français une solution identique à celle envisagée dans le projet de loi allemand.

Avec cette disposition - il est important de le souligner -, le droit qui s'attache au brevet comme au COV sera préservé pour ce qui est de la commercialisation, au cas où la variété nouvelle incorpore la caractéristique brevetée. Cette commercialisation impliquera l'accord du détenteur du droit de propriété intellectuelle et ne pourra se faire que sous réserve du paiement d'une redevance.

Ainsi précisé, l'ensemble du dispositif établit, entre les droits des brevetés et ceux du domaine public, un équilibre de nature à rassurer le citoyen tout en satisfaisant aux besoins de l'industrie et de la recherche. Son adoption mettra définitivement notre pays en accord avec ses obligations communautaires. Dans ce domaine, il y a urgence. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

M. Claude Gatignol, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me revient l'honneur d'être rapporteur de ce projet de loi relatif aux inventions biotechnologiques et je veux dire combien j'en suis fier, car il s'agit d'un axe trop souvent oublié de ce que l'on nomme les nouvelles technologies. En effet, on assimile généralement celles-ci aux seules technologies de l'information, en oubliant que, en biologie moléculaire, des progrès très rapides sont parallèlement accomplis qui changent également la vie des gens. Vous avez donc eu raison, monsieur le ministre, d'insister sur l'importance de la place et des développements futurs des biotechnologies.

Comme pour les technologies de l'information, la vitesse est au cœur même du développement des biotechnologies, puisqu'elles fonctionnent comme un accélérateur de la nature en faisant aboutir plus rapidement des processus d'adaptation des espèces qui se seraient de toute façon produits via le mécanisme de sélection et en provoquant de façon contrôlée des résultats dont l'occurrence aurait autrement dépendu du hasard. Je tiens à signaler au passage combien il serait utile de mettre en place un véritable conservatoire des espèces pour préserver la richesse du capital vivant à partir duquel les biotechnologies opèrent leurs combinaisons.

Les changements apportés par les biotechnologies touchent évidemment le domaine de la santé, avec la mise au point de nouveaux dispositifs médicaux, dont la thérapie génique, qui permet de soigner les très graves maladies génétiques, fournit l'exemple le plus extraordinaire. Ainsi, les communications scientifiques très récentes issues des laboratoires du Génopole permettent d'immenses espoirs dans la lutte contre la myopathie dégénérative de Duchenne.

Ces changements concernent également l'environnement et je voudrais rappeler à cet égard l'enjeu de la décision de la Cour suprême des États-Unis qui, en 1980, a déclenché le processus de mise à niveau internationale du droit des brevets pour faire place aux biotechnologies. L'arrêt Diamond contre Ananda Chakrabarty concernait une bactérie modifiée capable de dégrader les hydrocarbures - c'est-à-dire un instrument « vivant » de lutte contre les marées noires - créée par une chercheuse de la compagnie Général Electric. En 1987, c'est une huître qui faisait l'objet d'un brevet et, en 1988, une souris transgénique, cancéreuse de mère en fille, la fameuse lignée « MYC Mouse », si utile aux laboratoires travaillant sur ces maladies. Ces êtres vivants sont en effet considérés comme le résultat de l'ingéniosité humaine.

Avant de vous indiquer dans quelle perspective il me paraît opportun d'aborder l'examen du texte transmis par le Sénat, je voudrais revenir, sans reprendre la présentation générale qu'en a excellemment faite M. le ministre de l'industrie, sur quelques-uns de ses aspects qui ont particulièrement attiré l'attention de mes collègues de la commission.

Ce projet de loi modifie le code de la propriété intellectuelle, afin d'adapter les conditions de ce que l'on appelle la « brevetabilité du vivant ». La question de savoir jusqu'où l'on peut aller dans ce domaine n'est pas nouvelle, puisqu'elle s'était déjà posée lorsque Pasteur avait demandé et finalement obtenu, en 1873, de l'Office américain des brevets un brevet pour une « levure exempte de germes pathogènes » destinée à l'industrie de la brasserie.

L'objet de ce brevet historique soulignait d'emblée l'enjeu économique de la « brevetabilité du vivant », le développement des biotechnologies recelant, de ce point de vue, des potentialités considérables, puisque l'amélioration des produits agricoles notamment permettra de continuer à accroître aussi bien la qualité de l'alimentation humaine et animale que la production des biocarburants, par exemple.

Cependant, les progrès récents en matière de génie génétique ont repoussé les frontières du débat sur les conditions dans lesquelles un brevet peut porter sur une matière vivante, débat qui, en France, en est resté, du point de vue législatif, à la prise en compte, en 1978, des micro-organismes.

Il était donc devenu important de supprimer les facteurs d'insécurité juridique qui pesaient sur la protection des inventions biotechnologiques. Au regard de l'éthique, d'une part, puisque le droit des brevets s'arrête, depuis l'origine, à la frontière de ce qui est perçu comme « sacré » dans la matière vivante, frontière qu'en l'absence de règles législatives, la jurisprudence pourrait toujours déplacer. Au regard du droit international, d'autre part, puisqu'un retard dans la mise en place des protections nécessaires pourrait fortement pénaliser les inventeurs nationaux face à des stratégies d'accaparement de concurrents étrangers, eux-mêmes bien protégés sur leur marché national.

En l'occurrence, la mise à niveau nécessaire est déjà largement engagée. En effet, d'un côté, la directive de 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques - qui transpose au niveau communautaire l'accord de l'OMC de 1994 sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce - fournit l'instrument de l'harmonisation nécessaire, en droit international, de la brevetabilité du vivant ; de l'autre, la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, déclarée conforme par le Conseil constitutionnel, a tranché, au terme d'un débat approfondi, les questions éthiques sur la brevetabilité des inventions génétiques relatives au corps humain, en transposant simultanément les parties de la directive de 1998 se rapportant à cette question.

Avec le projet de loi sur la protection des inventions biotechnologiques, il nous reste donc à parachever ce travail de transposition, en réglant les questions de brevetabilité pour les inventions génétiques relatives aux animaux et aux végétaux.

Le projet de loi permet ainsi d'étendre explicitement aux inventions biotechnologiques le champ de la brevetabilité ; d'établir les limites de la brevetabilité en matière animale et végétale ; d'adapter les règles de dépôt à l'appui d'une demande de brevet en matière biologique ; de préciser dans quelles conditions un brevet sur une information génétique peut s'étendre aux produits incorporant cette information génétique ; d'instituer un privilège de l'éleveur en dérogation à l'exclusivité sur l'exploitation des brevets relatifs à des animaux intégrant une invention génétique et, enfin, d'assurer la cohérence entre le régime des certificats d'obtention végétale et celui des brevets sur des végétaux génétiquement modifiés, d'une part, en instituant un dispositif de licence obligatoire garanti par l'intervention du juge en cas de dépendance réciproque entre ces deux modes de protection de l'invention en matière végétale et, d'autre part, en étendant la dérogation du privilège de l'agriculteur et surtout du privilège du sélectionneur, au cas où un brevet relatif à des végétaux intégrerait une invention génétique.

L'institution du privilège du sélectionneur constitue la principale modification apportée au texte initial. Même si elle n'a pas été prévue par la directive, elle répond pleinement à notre préoccupation vis-à-vis des semenciers français, qui sont confrontés aux stratégies d'accaparement des ressources végétales que développent les grands groupes agro-industriels américains. Elle n'est, du reste, interdite ni par la directive ni par l'accord de l'OMC sur les droits de propriété intellectuelle de 1994. Par ailleurs, l'Allemagne a également fait le choix politique d'instituer cette dérogation dans son droit des brevets.

Le dispositif du projet de loi a soulevé quelques questions lors de l'examen en commission. Je souhaite en évoquer trois, qui me paraissent contribuer utilement au débat.

La première part du constat que le texte accorde une place relativement plus grande aux végétaux qu'aux animaux, ce qui signifie qu'il élargit davantage le droit de la brevetabilité aux végétaux qu'aux animaux. Cette différence tient d'abord à l'état du droit. En effet, les végétaux bénéficient depuis 1961 du régime juridique international des « certificats d'obtention végétale » qui n'a pas d'équivalent pour les animaux. Le projet de loi étend donc logiquement ce régime aux végétaux incorporant des inventions biotechnologiques, sans qu'une coordination équivalente soit nécessaire pour le cas des animaux, même si un « privilège de l'éleveur » a été institué conformément à la directive.

Cela permet d'ailleurs de concilier au mieux le respect du « sacré » avec l'exploitation des potentialités des biotechnologies, en utilisant la découverte récente qu'une partie du capital génétique est commune aux trois genres : humain, animal et végétal. Ainsi les libertés plus grandes laissées à la brevetabilité de la recherche sur les végétaux ont déjà permis de mettre au point des techniques de production végétale de produits médicamenteux, tels l'insuline ou divers composants du sang. La médecine peut se voir ainsi dotée d'outils nouveaux remarquables, dans le plein respect de la dignité de la personne humaine et en écartant les risques de transmission de maladie d'un donneur.

La deuxième question concerne les marges d'appréciation laissées à l'Institut national de la propriété intellectuelle et, en aval, au juge civil, dans l'application des dispositions relatives à la brevetabilité du vivant.

Il est exact que le projet de loi, en stricte conformité à la directive, car le Sénat a été vigilant sur ce point, ouvre des marges d'appréciation à l'occasion de formules comme l'« utilité médicale substantielle » pour la brevetabilité des procédés de modification génétique des animaux, ou l'« intérêt économique considérable » pour justifier le recours à la procédure d'octroi par le juge d'une licence « obligatoire ».

À cet égard, il est légitime que le législateur veille à bien encadrer les conditions d'application des dispositions qu'il met en place. Mais il faut aussi tenir compte du fait que l'encouragement à une attitude excessivement fermée risque, à long terme, d'avoir un impact négatif pour les acteurs économiques nationaux dans un contexte où d'autres pays se donnent plus de souplesse. Ainsi, dans l'appréciation de ce qui est brevetable, comme l'a montré Alain Claeys dans son excellent rapport au nom de l'Office parlementaire des choix scientifiques sur les conséquences des modes d'appropriation du vivant, les États-Unis se permettent une confusion entre « invention » et « découverte » qui favorise de fait les stratégies d'accaparement des ressources biotechnologiques.

En la matière, le choix fait par le Sénat de mettre en œuvre toute la directive, mais rien que la directive, dans la mesure où celle-ci traduit l'accord international de 1994, me paraît relever non seulement de la conformité au droit européen, mais aussi d'une saine prudence.

La troisième question que je souhaite aborder concerne la protection contre la dissémination des plantes génétiquement modifiées, une préoccupation mise en évidence par le débat en commission et qu'il convient de resituer par rapport à l'objet du projet de loi. S'agissant de la brevetabilité, celui-ci ne modifie en rien la prohibition de tout brevet sur des inventions portant atteinte à l'ordre public, prohibition qui a été confirmée par la loi relative à la bioéthique, et qui évidemment jouerait en pareil cas.

Une mission commune d'information présidée par Jean-Yves Le Déaut est en cours sur les « conséquences environnementales et sanitaires des autorisations d'essais d'OGM ». Il paraît désormais acquis que le contenu du projet de loi prévu sur les OGM sera subordonné à ses conclusions. Faisons donc confiance à nos collègues pour trouver la meilleure solution juridique à cette question de la pollution par dissémination sans nous précipiter sur des amendements trop hâtifs, d'autant plus que deux directives européennes traitent de ce sujet.

En ce concerne le texte qui nous occupe aujourd'hui, on ne peut que se féliciter du travail accompli par notre collègue Jean Bizet, rapporteur du Sénat sur le projet de loi, car il a su le coordonner parfaitement avec les acquis législatifs de la loi relative à la bioéthique d'août dernier, le rendre plus conforme à la directive sur des points délicats, et en améliorer la qualité rédactionnelle. La pertinence du travail de Jean Bizet s'explique par son investissement personnel sur les questions de biotechnologie depuis plusieurs années. Il a notamment présidé, au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, en 2002 et 2003, une mission d'information sur les enjeux économiques et environnementaux des organismes génétiquement modifiés, mission qui a beaucoup travaillé sur le plan national et international.

Partageant les conclusions de mon collègue sénateur, mon propre apport sera de constater l'état d'achèvement du texte tel qu'il ressort de la lecture au Sénat. Mes commentaires, dans le rapport de présentation du texte par notre commission, ont pour but de préciser quelques ultimes points rédactionnels méritant des éclaircissements complémentaires et qui seront enrichis par le débat d'aujourd'hui.

La complexité du sujet justifie en effet qu'un soin tout particulier soit apporté à ces commentaires, qui ont une portée non négligeable, puisqu'ils pourraient ultérieurement - et vous êtes expert en la matière, monsieur le ministre - orienter la décision d'un juge se trouvant dans la nécessité de se référer aux travaux parlementaires pour l'interprétation de la loi.

Je voudrais aussi souligner qu'il s'agit d'un dispositif législatif construit dans des conditions tout à fait consensuelles. D'une part, il s'est nourri des analyses du rapport de décembre 2001 écrit au nom de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur « la brevetabilité du vivant » de notre collègue Alain Claeys, du groupe socialiste, d'autre part, il prend appui, par une volonté délibérée du Gouvernement actuel, sur le texte initialement mis au point par le gouvernement précédent. Il ne fait donc pas de doute que ce texte bénéficie d'un large soutien politique, ainsi que l'a illustré son vote final au Sénat.

En outre, la condamnation de la France, le 1er juillet dernier, par la Cour de justice des communautés européennes pour non-transposition de la directive, transposition qui aurait dû intervenir avant le 30 juillet 2000...

M. le ministre délégué à l'industrie. Tout à fait !

M. Claude Gatignol, rapporteur. ...ainsi que l'engagement par la Commission européenne, le 5 octobre dernier, d'une procédure d'astreintes financières, militent fortement pour une rapide adoption définitive du texte.

À mon sens, toutes les conditions sont réunies pour répondre à cette situation d'urgence décisionnelle.

Je conclurai donc en invitant l'ensemble de mes collègues de l'Assemblée nationale à s'accorder sur la nécessité d'un vote conforme du texte transmis par le Sénat (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord souligner la qualité des rapports de Jean Bizet au Sénat et de Claude Gatignol à l'Assemblée nationale, ainsi que du rapport initial de Jean-Marc Pastor.

En juillet 2003, la Commission européenne a saisi la Cour de justice européenne à l'encontre de huit pays, dont la France, pour ne pas avoir transposé la directive de 1998. Nous avons été condamnés le 1er juillet 2004, ce qui contribue sans doute à expliquer notre discussion.

Comme vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, les biotechnologies sont à la fois un enjeu en termes de connaissances dans le domaine des sciences de la vie, et un enjeu en termes d'application de ces connaissances, donc un enjeu commercial. Ainsi, la plupart des médicaments nouveaux sont aujourd'hui issus des biotechnologies - en 2004, 20 molécules sur 34 - et sans doute cela ne fait-il que préfigurer ce que sera la recherche pharmaceutique de demain.

C'est également le cas dans l'agriculture, où les biotechnologies végétales, en dehors du champ des organismes génétiquement modifiés, ont fait de gros progrès, ainsi que dans le secteur de l'environnement, où les biotechnologies pourront être utilisées pour dépolluer les sols ou améliorer la qualité de l'eau et de l'air. De même, dans le cadre de la lutte contre le bioterrorisme, elles permettront de détecter très rapidement la présence de certaines toxines dans les aliments ou dans l'eau.

Aujourd'hui, un grand journal du soir affirme que les biotechnologies se « refont une santé », en citant l'indicateur des fonds de capital-risque investis et en affirmant que les médicaments conçus et développés par les start-up créées il y a dix ans vont, du moins pour celles qui ont survécu, commencer à rencontrer le succès dans les prochaines années. Personnellement, même si le fonds de capital-risque augmente, ce qui est une bonne chose pour ces sociétés, je ne partage pas totalement cette analyse. Il existe aujourd'hui un véritable fossé technologique entre la France et les États-Unis, mais également entre la France et le Japon, ce dernier étant en passe de combler son retard en matière de biotechnologie appliquée à l'industrie pharmaceutique. Ainsi, depuis cinq ans, le NIH, l'Institut national de santé américain, a doublé son budget de recherche ; pour 2003, ce budget a augmenté de 3,7 milliards de dollars, ce qui représente à peu près huit fois le budget de l'INSERM français - je ne parle bien que de la seule augmentation ! Ces fonds très importants injectés dans la recherche américaine ont provoqué un appel d'air pour les centres de recherche et de développement.

Qu'on le veuille ou non, les fusions successives auxquelles nous avons assisté dans le domaine de la pharmacie, impliquant notamment des sociétés telles qu'Aventis ou Sanofi, se sont traduites par la disparition de pans entiers de notre recherche. En France, il n'y a presque plus de centres de recherche travaillant sur les maladies infectieuses, c'est-à-dire sur les futurs antibiotiques. De même, Novartis, qui provient de la fusion de plusieurs laboratoires suisses, a transféré un grand centre de recherche à Boston. Ce phénomène s'accompagne d'une fuite des cerveaux vers les États-Unis. Sans doute n'a-t-on pas su voir l'importance des biotechnologies, ni se préoccuper à temps des questions de propriété intellectuelle, ce qui pourrait avoir entraîné la dépendance actuelle à l'égard des détenteurs étrangers en matière de propriété intellectuelle.

L'appauvrissement des capacités de croissance de l'Europe, qui vient d'être mise en évidence par deux rapports récents, celui de M. Lorenzi et celui de la commission d'évaluation, montrent bien que la France et l'Europe ont perdu le contrôle de technologies clés. Il n'est pas trop tard pour réagir, et je ferai un certain nombre de suggestions à ce sujet dans un rapport - distinct de celui sur les OGM - que je présenterai au nom de l'office en janvier 2005. Cette situation s'explique sans aucun doute par la faiblesse des crédits de recherche publics. C'est dans le secteur des sciences de la santé qu'a débuté le mouvement de contestation qui a touché la recherche française, qui a abouti à la tenue des États généraux de la recherche à Grenoble.

Certains ont prétendu que les deux tiers des crédits de la recherche doivent venir du secteur privé ; or, un tel financement ne sera plus possible si la quasi-totalité des centres de recherche privés, des centres de décision, partent à l'étranger, en particulier aux États-Unis. De plus, nous aurons à faire face à une concurrence croissante de la Chine et d'autres pays émergents, mais déjà dotés de technologies très développées dans ces domaines.

Le rapport que je présenterai prochainement traitera globalement de la question de la propriété intellectuelle. Je salue l'initiative du président Debré, qui nous a demandé de réfléchir sur un texte qui associe la majorité et l'opposition, afin de préparer la transposition de la directive 2001-18 de 2001 au sujet des OGM. Cependant, même s'il reste beaucoup de problèmes à régler avec ce texte, notamment avec son article 5 initial, on peut regretter qu'il soit présenté un peu à la sauvette, en ayant sans doute été insuffisamment préparé par nos groupes et l'ensemble de nos collègues - étant précisé que je ne remets nullement en cause la qualité du travail effectué par Claude Gatignol.

L'un des points majeurs restant à approfondir est la clarification des notions de découverte et d'invention dans le domaine des biotechnologies. Concernant les brevets en matière de biotechnologies, les différences sont considérables entre le Japon, les États-Unis et l'Europe. Sur 48 000 brevets entrés au Japon, 9 000 seulement proviennent de l'Europe, et 15 500 des États-Unis. Dans le même temps, le Japon a exporté 3 600 brevets vers les États-Unis et 4 600 vers l'Europe.

J'en viens à présent au nombre de brevets demandés au Japon, aux États-Unis et en Europe dans le domaine des biotechnologies sur la période 1991-2000. Aux États-Unis, on compte 42 283 brevets. Il y en a 3 676 en provenance du Japon et 7 455 en provenance de l'Europe, soit le sixième des brevets déposés aux États-Unis.

On note par ailleurs 15 000 brevets des États-unis en direction du Japon, sur 48 000 demandes déposées auprès du JPO. Et 23 000 brevets en direction de l'Europe, sur 47 400 demandes déposées auprès de l'EPO et des autres offices européens, ce qui signifie que la moitié des brevets déposés au niveau de l'Office européen des brevets sont des brevets américains.

En Europe, où 47 400 brevets ont été déposés, 4 690 provenaient du Japon et 23 000 des États-Unis, alors que nous n'en avons envoyé en direction de ce pays que 7 500.

La prédominance américaine a commencé à s'affirmer en 1990, année à partir de laquelle les demandes américaines dépassent en nombre celles des autres nations ou groupes de nations avec une avance qui ne cesse de se creuser. Ainsi, en 2000, le nombre des demandes américaines atteint pratiquement le double de celui revenant au Japon, à l'Europe et à la Chine.

Par ailleurs, et ce point est important dans notre réflexion, si l'on s'intéresse à l'origine des demandes globales en 2000, il apparaît que les demandes japonaises venaient à .072 % des grandes compagnies contre 60 % pour les demandes européennes. Pour les petites sociétés de capital-risque, les start-up, ce pourcentage s'élevait à 3 % au Japon et à 11 % en Europe. Pour les organisations académiques ou publiques, les chiffres sont de 25 % pour le Japon et de 29 % pour l'Europe.

Voici les chiffres qui concernent les États-Unis : 21 % pour les grandes compagnies, 45 % pour les petites sociétés et les start-up et 34 % pour les organisations académiques.

On peut regretter, à partir de ces comparaisons, que nos organisations académiques ne déposent pas suffisamment de brevets mais, surtout, qu'il n'y ait pas davantage de petites sociétés de capital-risque qui se développent dans notre pays.

Dans le cadre du débat entre « invention » et « découverte », et même si le titre du projet de loi peut être de nature à rassurer - Protection des inventions biotechnologiques -, je suis cependant inquiet si je m'en tiens aux termes globaux de ce texte.

J'ai pris à Mousseron une définition : « La découverte se distingue parce qu'elle est la perception par voie d'observation d'un phénomène naturel préexistant à toute intervention de l'homme alors que l'invention se caractérise en ce qu'elle est la coordination volontaire par l'homme de moyens matériels. L'aspect naturel d'un objet distingue la découverte de l'invention industrielle nécessairement marquée par une intervention artificielle de l'homme. »

Eh bien, si l'on applique cette définition aux gènes, qui sont les logiciels du vivant, on s'aperçoit que, dans un premier temps, les Américains ont breveté le gène seul, sans aucune référence à sa fonction. J'ai discuté récemment de ce point aux États-Unis avec Craig Venter, patron de Celera Genetics, qui a breveté des gènes à la pelle avec des machines en espérant pouvoir tirer un jour les dividendes de cette connaissance de la biosphère, du règne animal, du règne végétal et du règne microbien.

Aujourd'hui, nous devons évidemment associer, dans notre texte, le gène à la fonction. On ne pourrait pas comprendre en effet qu'on prévoie la seule brevetabilité du gène sur sa séquence ou sur le gène en tant que tel. Il faut qu'on ait soit des tests génétiques bien définis, soit des processus thérapeutiques dérivés. La bio-informatique, dans ce qu'on appelle la génomique, est la combinaison entre la connaissance du gène et celle des protéines associées, qui sont la traduction de ce gène. Il sera très facile, à partir d'une séquence qui pourra être artificielle, d'en déduire une protéine, voire une fonction virtuelle.

Donc le risque, demain, si l'on ne précise pas le lien et la nécessité d'avoir bien défini la fonction, c'est que des brevets soient déposés à la pelle sur des fonctions virtuelles ou théoriques. Certes, l'article 1er ou l'article 3, qui rappelle ce qui n'est pas brevetable, peuvent laisser à penser que des garde-fous ont été mis en place. Mais, si l'on procède à une analyse plus détaillée, il apparaît que la transposition, par la France, de cette directive européenne ne permet pas de dire que le débat est clos, sous peine de commettre une erreur.

En effet, l'application industrielle d'une séquence, ou de la séquence partielle d'un gène, doit être correctement exposée dans la demande de brevet. Or cela n'apparaît pas suffisamment dans ce texte, selon moi. Je souhaiterais donc, monsieur le ministre, que vous nous indiquiez très clairement comment vous voyez l'association gène-fonction dans la brevetabilité car ce point est majeur. On croyait qu'à un gène était associée une protéine. Or on a constaté que, dans l'immense complexité de la machinerie cellulaire, un gène pouvait donner plusieurs types de protéines, donc plusieurs fonctions. En conséquence, il ne me semble pas logique de pouvoir breveter, à partir d'un gène, la totalité des fonctions qui pourraient être associées à ce gène. Ce point mériterait, selon moi, d'être précisé dans le texte.

Par ailleurs, et même si elle existe dans notre droit national, l'exemption de la brevetabilité ou des droits accordés aux brevets pour la recherche, me paraît majeure. Je cite l'article L. 613-5 du code de la propriété intellectuelle : « Les droits conférés par le brevet ne s'étendent pas aux actes accomplis à titre expérimental qui portent sur l'objet de l'invention brevetée. » Comme l'a dit Jean Bizet, au Sénat, la portée de l'exemption de recherche en matière de brevet reste cependant incertaine. L'interprétation de la jurisprudence a été variable, en effet.

Je rappellerai, à cet égard, l'exemple de Myriad Genetics, qui avait déposé un brevet de détection d'un gène du cancer du sein aux États-Unis. Des sociétés françaises, dont l'Institut Curie à Paris, ont également travaillé sur ce gène. Mais Myriad Genetics leur a fait un procès et a revendiqué l'exclusivité de toutes les analyses de dépistage faites à partir de leur méthode. Il faut précisément éviter qu'une recherche ne puisse plus être brevetée parce que le gène, breveté en amont, bloque toute possibilité de recherche en aval.

Accepter cela, monsieur le ministre, reviendrait en effet à accepter que, globalement, la pharmacie puisse ne plus se développer. Aussi, et même si la disposition est prévue dans notre droit national, j'aurais souhaité qu'elle figure aussi très clairement dans le présent texte.

Enfin, je me félicite de l'ajout de Jean Bizet concernant le privilège du sélectionneur. C'est essentiel. Nous avons en effet deux droits différents. Il y a, en matière végétale, le certificat d'obtention végétale qui date de 1961, auquel Claude Gatignol a fait allusion. Mais il y a aussi la possibilité de surajouter le droit du brevet à ce droit.

Par des méthodes ne relevant pas des OGM, un certain nombre de grosses sociétés américaines de semences ont commencé aujourd'hui à ajouter des gènes en s'engouffrant dans les possibilités offertes par le certificat d'obtention végétale, en vigueur à présent aux États-Unis, pour breveter une obtention végétale et pour, peut-être demain, revendiquer certains brevets sur des certificats d'obtention végétale au prétexte qu'ils auront apporté des améliorations.

Si donc nous ne clarifions pas suffisamment les deux droits, celui du brevet et celui du certificat d'obtention végétale, nous risquons d'être confrontés à des difficultés.

Dernier point important, le texte prévoit la protection à toutes les générations successives de matières biologiques protégées ou produites par un procédé protégé, et cela me semble une bonne chose, tout comme le privilège de l'agriculteur. On n'a cependant pas précisé un point, qui a d'ailleurs donné lieu à un procès au Canada.

L'article L.615-1 du code de la propriété intellectuelle comporte notamment la disposition suivante : « Toutefois, l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, la détention en vue de l'utilisation ou la mise dans le commerce d'un produit contrefait, lorsque ces faits sont commis par une autre personne que le fabricant du produit contrefait, n'engagent la responsabilité de leur auteur que si les faits ont été commis en connaissance de cause. » Mais que se passera-t-il, monsieur le ministre, si un procès est intenté parce que la semence, sur laquelle un brevet a été pris, migre, par contamination, dans un champ voisin ? Tel est précisément l'objet de l'affaire qui opposa Schmeiser à Monsanto. Et c'est Monsanto qui gagna...

M. le président. Il faut conclure, monsieur Le Déaut !

M. Jean-Yves Le Déaut. J'ai quasiment terminé, monsieur le président.

Comme vous pouvez le constater, monsieur le ministre, c'est un peu David contre Goliath. J'estime donc qu'il faut renforcer les licences obligatoires. Il importe de corriger l'éventuel abus de droit que confère un brevet à son titulaire. Que signifient, à cet égard, les termes « importance économique considérable » ?

Pour conclure, je dirai que ce texte apporte une amélioration et que nous sommes en accord avec un grand nombre de ses dispositions. Cependant, certaines difficultés que nous avons identifiées auraient mérité un débat plus important. Je veux parler de la forte dépendance à l'égard des brevets antérieurs - quid des brevets de Celera Genetics ? -, de l'existence de brevets limitant l'accès à la technologie, des freins représentés par le foisonnement de brevets comme par les chevauchements d'étendue de protection. En outre, nos académies, nos organismes et établissements publics n'ont sans doute pas suffisamment développé l'expertise et l'enseignement de la propriété intellectuelle dans nos universités. C'est pourtant là un sujet majeur.

Monsieur le ministre, le groupe socialiste votera ce texte, qui a été discuté sous plusieurs gouvernements. Nous considérons toutefois - et j'ai essayé de le démontrer - qu'il ne va pas assez au fond des choses. Il faut donc que vous apportiez des réponses claires aux questions que j'ai soulevées. Si tel n'était pas le cas, nous serions contraints de déposer des amendements dans le texte visant à transposer la directive 2001/18.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes invités aujourd'hui à compléter notre dispositif en matière de protection des inventions biotechnologiques. Le texte qui nous est proposé parachève la transposition de la directive 98/44 que nous avons déjà partiellement transposée pour ce qui concerne les dispositions relatives au génome humain. Nous discutons donc cet après-midi des mesures touchant aux domaines végétal et animal.

Nous faisons ici un travail qui répond à un impératif juridique européen puisque nous accusons plus de quatre ans de retard dans la transposition de cette directive.

Nous répondons aussi à un impératif de sécurité juridique et d'abord à l'égard de l'éthique, comme l'a souligné Claude Gatignol. En présence, en effet, de la seule loi de 1978 - c'était un problème parce qu'elle était devenue très inadaptée - il revenait au juge de fixer les limites. La jurisprudence pouvait donc les déplacer sans qu'aucun débat adapté ait précédé un tel mouvement.

Nous répondons enfin à un impératif de sécurité juridique vis-à-vis du droit international, et cela rejoint l'impératif de nature économique. En effet, la non-transposition de cette directive n'est sans doute pas pour rien dans le retard que connaît le secteur des biotechnologies en Europe.

Cette transposition est d'autant plus urgente que la science, dans ces matières, avance vite. Nous sommes entrés, depuis l'année 2000, dans l'ère du post-séquençage, c'est-à-dire l'exploitation des données du génome, dont les applications multiples concernent la santé humaine, l'industrie, l'agriculture. Fondées sur la protection de la propriété intellectuelle, elles réclament, pour pouvoir se développer, que les règles soient clarifiées. C'est l'exercice auquel nous nous livrons aujourd'hui.

Sur le fond, le texte qui nous est proposé respecte totalement l'esprit de la directive et me semble concilier efficacement l'exigence éthique et la sécurité juridique.

Deux objectifs cohabitent harmonieusement : d'une part, assurer la protection des inventions portant sur la matière biologique et en déterminer les conditions et les limites ; d'autre part, définir les règles qui permettront de protéger la vie animale et la vie végétale.

Un autre objectif de cette transposition, déjà abordé par M. Le Déaut, serait d'associer le gène à la fonction. Cela me semble être une nécessité, que l'article 6 semble satisfaire, surtout après le vote d'un amendement du Sénat, qui précise : « la fonction que doit exercer le gène dans la matière protégée est celle indiquée dans la demande du brevet et non une autre ». Monsieur le ministre, vous allez certainement nous éclairer sur ce point.

J'en viens à la définition de règles qui permettront de protéger la vie animale et la vie végétale. Sur ce point je tiens à souligner le travail remarquable qui a été accompli par nos collègues sénateurs, en particulier par le rapporteur Jean Bizet. Le texte du Gouvernement reconnaissait un privilège à l'éleveur et à l'agriculteur, selon un principe bien connu. Je ne sais pas s'il est révolutionnaire, comme l'a écrit mon collègue Jean-Claude Lefort, mais c'est un principe auquel nous sommes tous très attachés puisqu'il participe de l'économie générale et correspond, pour ces filières, à une philosophie.

Je souligne que nous défendons ce principe avec une grande constance dans toutes les instances internationales, surtout depuis 1994 et l'accord de l'organisation mondiale du commerce sur la propriété intellectuelle, dit accord ADPIC.

Le Sénat, dans sa sagesse, a élargi ces notions pour en faire le principe du sélectionneur, principe qui garantit la liberté d'utilisation des variétés végétales protégées à des fins de créations variétales. C'est une avancée très utile, qui comporte de nombreuses garanties pour l'avenir.

Enfin, je souligne que ce texte n'interfère en rien avec les travaux que nous menons actuellement au sein de la mission d'information sur les OGM, qui porte notamment sur les risques que comportent les essais en plein champ. C'est un point important, car il aurait été malvenu, le travail de la mission n'étant pas achevé, de nous emparer de ce sujet. Il n'en est rien. C'est donc sans arrière-pensée et avec le sentiment de faire œuvre utile que le groupe UMP votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je vous félicite, madame, pour votre concision. Je suis persuadé que l'orateur suivant aura à cœur de suivre votre exemple. (Sourires.)

La parole est à M. Jean-Claude Lefort, dernier orateur inscrit.

M. Jean-Claude Lefort. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd'hui constitue la phase finale de la transposition de la directive européenne 98/44/CE du 6 juillet 1998. Nous sommes à la fin de l'année 2004. L'écart considérable entre ces deux dates montre d'emblée que cette directive européenne est l'objet de très fortes controverses. La directive européenne dont nous discutons ce soir dans cet hémicycle, mes chers collègues, touche aux fondamentaux de notre civilisation.

J'avais, en 2001, déposé un amendement, qui devait finalement être adopté à l'unanimité, dont l'objet était d'opposer un refus absolu à toute brevetabilité du vivant, y compris le végétal et l'animal. Cependant, pour ne pas empêcher la science d'avancer en ce qui concerne l'humain, tout en obtenant des garanties pour les domaines de l'animal et du végétal, j'avais retiré ces deux mots de cet amendement qui, je le répète, fut adopté à l'unanimité.

En août 2004 fut promulguée une loi, dite loi Mattei, qui revenait sur le vote unanime par notre assemblée de mon amendement, qui précisait que : «un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, ne peut constituer une invention brevetable. » Ainsi, une nette et indiscutable séparation était établie entre découverte et invention, cette dernière concernant la technologie sans jamais couvrir la biologie. La découverte étant non brevetable dans son principe, touchant ce qu'on appelle le patrimoine commun de l'humanité, tout ce qui existe naturellement ne peut appartenir à personne, mais appartient à tout le monde.

La loi Mattei revenait en arrière sur cet aspect majeur, alors que rien ne l'y obligeait. En effet, il est des principes fondamentaux sur lesquels on ne peut transiger, sauf à considérer froidement que, sur terre, tout est ou doit devenir marchandise. Ce fut le choix de Jean-François Mattei, lequel avait pourtant soutenu l'amendement que je viens d'évoquer. Le ministre avait tué le député ! Cela a ouvert la porte à la brevetabilité du vivant. On y a mis hier le doigt ; on nous propose aujourd'hui d'y mettre le bras tout entier !

Nous sommes, pour notre part, dans le même état d'esprit qu'en 2001. Je ne suis pas d'accord avec M. le rapporteur, qui estime que cette transposition fait l'objet d'un consensus dans cet hémicycle. Je lui dis clairement et avec force que ce n'est pas vrai. Le fait que la question du génome ne soit pas traitée ici ne nous empêchera pas de rester très attachés à la non brevetabilité du vivant, de tout le vivant.

Notre opposition est d'autant plus forte que nous observons aujourd'hui, depuis l'accord de Monsanto, que la césure absolue entre découverte et invention n'est ni claire ni intangible.

M. Mattei, pour faire accepter son texte, avait affirmé que seule la technologie pouvait être brevetée, et non la biologie. Nous l'avons démenti avec force et nous avons eu raison ! En effet, la technologie brevetable version Mattei inclut le gène, car le gène concerné par tel procédé technique est inclus dans le brevet. Qu'on le veuille ou non, l'humain est ainsi brevetable. Il est même précisé qu'une même portion de séquence génétique peut faire l'objet de plusieurs brevets s'ils sont associés à des fonctions spécifiques, donc à des inventions différentes.

Et vous voudriez, monsieur le rapporteur, que nous trouvions un consensus sur ces questions...

M. Claude Gatignol, rapporteur. Oui, je crois !

M. Jean-Claude Lefort. ...qui ouvrent pourtant une brèche fondamentale, qui permettra le brevetage de tout le vivant !

C'est pourquoi je vous répète qu'une renégociation de cette directive est toujours possible, et même qu'elle est nécessaire. Savez-vous que neuf États membres seulement sur quinze et, aujourd'hui, quinze sur vingt-cinq l'ont transposée ? C'est la première de nos demandes, laquelle est conforme à cette idée majeure, cette idée d'avenir selon laquelle tout n'est pas marchandise sur cette planète.

Je tiens également à évoquer plusieurs éléments, qui ne sont pas mineurs et confortent notre exigence.

Le Sénat a certes proposé des amendements à la directive et vous les reprenez. Mais ils n'ont aucune chance d'aboutir, car ils n'ont aucune portée juridique. En effet, il s'agit de transposer et non de déroger, sous quelque forme que ce soit. Aucun amendement, qu'il émane de France ou d'un autre pays, n'a de valeur juridique s'il n'est pas ratifié par tous les États membres. Néanmoins un amendement adopté par notre Parlement aurait une valeur politique, à défaut d'une valeur juridique. Tel est le cas de celui que j'ai déposé, qui rend impossible toute brevetabilité du vivant.

Selon un autre argument mis en avant par le Sénat, nous devrions dans ce domaine nous mettre en harmonie avec les Américains. Quel est donc ce raisonnement selon lequel ce qu'ils ont fait, il faut que nous le fassions ? Heureusement, mes chers collègues, monsieur le ministre, nous n'avons pas la même démarche sur tous les sujets. Si l'Europe doit avoir une fonction claire, c'est justement de ne pas faire du « copier coller » avec ce que décident les Etats-Unis, surtout quand il s'agit de concepts lourds et de fondamentaux.

La raison de tout cela n'est pas juridique, mais elle est claire. Je ne crois pas qu'elle réponde à je ne sais quelle obligation de transposer rapidement une directive. Nous savons bien que, derrière ces brevets que l'on veut nous faire étendre à l'ensemble du vivant, se cachent d'immenses profits. Mais en quoi la somme de quelques intérêts particuliers serait-elle l'expression de l'intérêt général ? Au moins, assumez cette démarche froidement mercantile !

Selon vous, puisque la question du vivant humain est réglée, on peut avancer de manière consensuelle sur le reste. Eh bien non, car, déjà défavorables au texte de M. Mattei, nous sommes opposés à tout brevetage, sur quelque vivant que ce soit !

Or l'article L. 611-19-2 du code de la propriété intellectuelle est on ne peut plus clair, qui dispose : « les inventions portant sur les végétaux ou les animaux sont brevetables ». Ainsi vous instaurez un brevet global incluant tous les domaines du vivant, et pas seulement l'humain.

Preuve supplémentaire que je vous dis la vérité, l'article L. 613-2-2 précise : « la protection conférée par un brevet à un produit contenant une information génétique ou consistant en une information génétique s'étend à toute la matière - je lis bien « toute la matière » - dans laquelle le produit est incorporé et dans laquelle l'information génétique est contenue... » Je pourrais également citer l'article L. 613-2-3, qui est de la même veine.

Les choses sont claires : vous proposez bien de rendre brevetable la matière biologique, végétale et animale. Ce choix est effectivement conforme à la directive européenne, vous avez parfaitement raison, madame Kosciusko-Morizet, notamment à son article 5, qui précise à propos de l'humain : « Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d'un élément naturel ».

Vous voulez aujourd'hui étendre cette clause à tout le vivant. Si l'on vous suivait dans cette voie, les agriculteurs seraient demain sous le joug des semenciers pour des produits dont l'innocuité, d'ailleurs, n'est pas établie. On ne peut pas, monsieur le rapporteur, préjuger des conclusions d'un rapport qui n'est pas rédigé. Il est pour le moins étonnant de discuter de ce texte alors que le Président de la République, lui-même, a souligné récemment la nécessité de voter une loi sur les OGM ; mais un tel texte n'existe pas encore.

Par ailleurs, votre transposition ouvre plus encore la porte au « biopiratage » scandaleux dont sont l'objet un grand nombre de peuples sur cette planète. On leur vole leurs savoirs traditionnels ; on leur vole leur flore, leur faune ; on leur vole parfois aussi leur tissu humain. Les pays du Nord volent les peuples du Sud et ils leur vendent ce qui résulte de ce pillage breveté. Certes, cela est très américain, mais peut-on s'enorgueillir de vouloir les imiter et reproduire cette honte ? C'est indécent ! L'argent pour l'argent, cela tue tout, jusqu'à la moindre parcelle de valeur morale.

Derrière tout cela, deux conceptions du monde s'affrontent : celle de l'argent roi qui domine tout, et celle qui consiste à placer l'homme au-dessus de l'argent et de ses logiques aveugles, pour satisfaire non plus l'intérêt de quelques-uns mais l'intérêt général. Vous avez fait le choix de la première, nous préférons la seconde.

Dans le but de bloquer la transposition de cette directive et pour affirmer notre exception française, dans ce domaine comme dans celui de la culture, je vous indique que je vais déposer sur ce texte l'amendement tel qu'il avait été présenté en 2001 ; c'est-à-dire en visant à étendre au végétal et à l'animal l'impossibilité de breveter le vivant.

Chacun jugera, d'après nos votes, quelle conception nous avons du monde : un monde marchand ou un monde humain. Telle est la question qui nous est posée aujourd'hui.

M. le président. La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président. J'appelle maintenant les articles du projet de loi dans le texte du Sénat.

Avant le titre Ier

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 1, portant article additionnel avant le titre Ier.

La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, pour le défendre.

M. Jean-Yves Le Déaut. Le Sénat a supprimé l'article 2, qui a été introduit dans la loi sur la bioéthique. C'est la raison pour laquelle notre collègue Brottes a déposé un amendement qui vise à insérer la précision suivante : « La présente loi respecte les principes de gratuité, de bénévolat et d'anonymat des dons de toutes matières issues du corps humain qui peuvent notamment servir au développement des inventions biotechnologiques. »

Il s'agit de réaffirmer en préliminaire de la transposition présente qu'en matière de recherche comme en matière de don d'organe, le corps humain et les éléments qui en sont issus ne peuvent faire l'objet d'un quelconque commerce, car il y a une imprécision dans le domaine des dons de sang.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Claude Gatignol, rapporteur. La commission a examiné cet amendement dans le cadre de la réunion qu'elle a tenue en application de l'article 88 du règlement. Les idées exprimées et l'objectif recherché honorent son auteur, et le rapporteur les partage largement. Néanmoins, premier argument, cette précision n'a pas sa place dans le débat d'aujourd'hui qui porte sur le droit des brevets, des inventions biotechnologiques concernant les espèces animales et végétales, et non le corps humain.

Deuxième argument, l'article L. 611-17 du code de la propriété intellectuelle prévoit l'impossibilité de breveter des inventions contraires à l'ordre public. Or c'est ce qui est exprimé en toutes lettres dans le code civil, aux articles L. 16-2, 16-6, 16-8.

Troisième argument, le projet qui visait à modifier le droit des brevets, plus particulièrement en vue de définir les conditions de la brevetabilité et des inventions relatives au corps humain ont été traités par la loi du 6 août 2004.

L'amendement de M. Brottes étant pleinement satisfait en l'état actuel du droit, je vous suggère, monsieur Le Déaut, de le retirer, sinon, je serais dans l'obligation d'émettre un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Je partage totalement l'avis de la commission. Cet amendement est motivé par des préoccupations sérieuses, mais il est déjà satisfait par la loi sur la bioéthique, reprise dans le code civil.

La non patrimonialité est garantie aux articles 16-1 et 16-5, la gratuité des prélèvements à l'article 16-6 et l'anonymat des dons à l'article 16-8.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je retire l'amendement de M. Brottes.

M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.

Article I er

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Au cours de mon intervention, j'ai posé un certain nombre de questions qui sont restées sans réponse. Si vous souhaitez que nous votions les différents articles de ce projet de loi, il faudrait, sans attendre l'article 5, monsieur le ministre, que vous nous précisiez par exemple la différence entre gène et fonction ainsi qu'entre découverte et invention en matière de biotechnologie.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Je comprends tout à fait l'interpellation de M. Le Déaut, et je vais lui apporter, ainsi qu'à Mme Kosciusko-Morizet, quelques éléments de réponse.

S'agissant des dépôts de brevet, vous avez fait état, monsieur Le Déaut, de statistiques plutôt désespérantes en la matière. Je ne conteste pas ces chiffres, mais ils ne font que refléter les forces et les faiblesses des différentes économies, en particulier l'ampleur des efforts de recherche. S'il est vrai que 40 % des brevets européens viennent des Etats-Unis, on retrouve cette proportion dans tous les secteurs de l'économie et non dans les seules biotechnologies. En France, et c'est plutôt une bonne nouvelle, nous constatons, pour la première fois depuis dix ans, une progression de 3,5 % du nombre des dépôts de brevets, qui passent de 17 000 à 17 500, ce qui est loin d'être négatif, mais qui ne contredit pas non plus votre propos, monsieur Le Déaut.

L'opposition à la demande de brevets européens concernant Myriad Genetics a été reconnue valable par la chambre des recours de l'office européen des brevets. Par conséquent, ce brevet est annulé et le problème ne se pose plus.

En ce qui concerne la distinction entre gène et fonction, il me semble, monsieur Lefort, que l'article 17 de la loi sur la bioéthique, devenu l'article L. 611-18 du code de la propriété intellectuelle, est suffisamment clair : le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d'un de ses éléments, y compris la séquence totale ou partielle d'un gène ne peuvent constituer des inventions brevetables. Seule la fonction, donc l'application, est brevetable. Cette garantie, monsieur Lefort, vous la trouvez dans la loi sur la bioéthique du 6 août 2004.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Certes, mais la loi sur la bioéthique ne concerne que le corps humain. Il n'est pas écrit que le gène d'une espèce bactérienne, végétale ou animale ne peut être breveté.

En outre, qu'adviendra-t-il des brevets déjà déposés ? Seront-ils considérés comme acquis ? Il y a bien eu la jurisprudence Myriad Genetics - heureusement qu'il y a eu procès ! -...

M. le ministre délégué à l'industrie. Elle va s'appliquer !

M. Jean-Yves Le Déaut...mais j'aurais préféré, puisque l'article 2 a disparu, compte tenu de la discussion qui a eu lieu lors de l'examen de la loi bioéthique, que cela soit bien précisé.

Je souhaite donc que vous souligniez, de la manière la plus claire possible, que l'article L. 611-18 s'applique également aux autres espèces que l'homme.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Je vous le confirme, monsieur Le Déaut : l'interdiction s'applique aux autres espèces que l'homme.

Article 2

M. le président. Le Sénat a supprimé l'article 2.

Articles 3 et 4

M. le président. Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 4.

(L'article 4 est adopté.)

Article 5

M. le président. À l'article 5, je suis saisi d'un amendement n° 2.

La parole est à M. Jean-Claude Lefort, pour le soutenir.

M. Jean-Claude Lefort. L'examen de cet amendement est l'occasion de faire la lumière sur un sujet fondamental, qui touche des questions de civilisation. Nous ne pouvons pas fuir nos responsabilités et nous devons apporter des réponses claires.

Avant de défendre mon amendement, je veux rappeler que le droit européen prime sur le droit national. Donc, toute transcription qui n'est pas fidèlement conforme au droit européen est source de conflit. La Cour de justice des Communautés européennes, quand elle est saisie, donne toujours raison au droit européen.

Cette précision apportée, permettez-moi de vous lire l'article 5 de la directive, que nous devons retranscrire fidèlement, car elle a primauté sur le droit intérieur : « Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d'un élément naturel. »

Selon la directive européenne, le vivant est donc brevetable ! L'astuce, si je puis dire, de la transposition à l'humain, a été de considérer qu'il fallait mettre dans l'invention ce qui est de l'ordre de la biologie et qui n'est pas brevetable. De fait, vous incorporez dans le brevet de l'humain, que vous déclarez ainsi brevetable.

J'ai déposé cet amendement qui traite de l'humain, parce que je m'accroche fidèlement au texte de la directive européenne, mais, contrairement à cette dernière, je précise que le vivant « ne peut constituer une invention brevetable » et j'étends cette interdiction aux variétés végétales et aux races animales, qui ne peuvent pas non plus être soumises à brevetage.

À cet égard, même le texte du Sénat autorise la brevetabilité du vivant à partir du moment où il existe plusieurs variétés. Ce n'est pas acceptable. On ne doit pas pouvoir breveter la biologie, mais seulement la technique, qui procède uniquement de l'invention.

Si on ne maintenait pas la différence fondamentale, sociétale, humaniste, entre la recherche et l'invention, on laisserait la porte ouverte à toutes les dérives : tout risquerait de devenir marchandise sur cette planète. Je ne crois pas que ce soit l'intention de mes collègues ici présents...

M. le ministre délégué à l'industrie. Ni du Gouvernement !

M. Jean-Claude Lefort. ...ni la vôtre, monsieur le ministre. Alors, faites adopter cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Je suis convaincu de la bonne foi de M. Lefort et de l'importance de la question qu'il évoque. Pour autant, il est inutile de rouvrir le débat sur la loi bioéthique. Son article 17, que M. Gatignol a prudemment mis en annexe, transpose déjà l'article 5 de la directive. Et je pense que vous ne contestez pas qu'il offre une garantie. Si j'ai bien compris, monsieur Lefort, votre propos est de savoir s'il est en contravention avec la directive.

M. Jean-Claude Lefort. En effet : ou bien il est conforme, ou bien il est en contravention !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je ne relirai pas l'article mais l'expression « ne peuvent constituer » y figure clairement. D'ailleurs le Conseil constitutionnel, qui avait été saisi d'un recours à ce sujet, a considéré que la directive était dûment transposée et il a validé la loi.

Mon interprétation n'est pas la même que la vôtre : j'estime que la brevetabilité porte sur la fonction, ce qui rejoint celle du législateur et du Conseil constitutionnel.

Si vous aviez raison,...

M. Jean-Claude Lefort. Mais j'ai raison !

M. le ministre délégué à l'industrie. Peut-être, mais l'expérience m'a appris à faire preuve de la plus grande humilité en matière de règle de droit : j'ai perdu des procès imperdables et gagné des procès ingagnables. Napoléon ne disait-il pas : « Il n'est pas de tyran qui n'ait trouvé son juriste » ? Si vous aviez raison, la loi bioéthique ferait l'objet d'un recours de la Commission européenne. Or tel n'est pas le cas.

M. Jean-Claude Lefort. Donc, ça ne va pas !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Claude Gatignol, rapporteur. La commission n'a pas été saisie de cet amendement. Je m'exprime donc à titre personnel.

D'abord, il faut rappeler que la directive remonte à 1998. Depuis, les connaissances scientifiques ont beaucoup progressé. Je pense en particulier aux découvertes liées au génome proprement dit et à la fonction du gène, j'oserai même dire aux fonctions du gène selon l'architecture dans laquelle il est incorporé, lesquelles ne sont pas d'ailleurs pas faciles à déterminer.

Cela étant, soyez rassuré, monsieur Lefort : votre amendement me paraît satisfait.

S'agissant de la brevetabilité du corps humain, il est ainsi bien indiqué à l'article L.611-18, tel qu'il a été rédigé par l'article 17 de la loi sur la bioéthique, validé par le Conseil constitutionnel et accepté par la Commission européenne, que le corps humain et la simple découverte d'un de ses éléments « ne peuvent constituer des inventions brevetables ».

Pour ce qui est des brevets concernant les animaux et les végétaux, l'article L. 611-19, tel qu'il est rédigé par l'article 3 du présent projet de loi, va dans le sens que vous souhaitez et apporte une protection. Prenez donc garde aux conclusions auxquelles votre enthousiasme vous pousse.

Enfin, dans la dernière phrase de votre amendement, vous utilisez l'adverbe « jamais ». Or il me paraît dangereux d'y avoir recours dans un texte de loi. En effet, le domaine sur lequel nous légiférons aujourd'hui est par définition évolutif. Chaque jour, chaque semaine, des avancées ont lieu. J'ai déjà évoqué, par exemple, les dernières découvertes qui donnent tant d'espoir aux personnes atteintes de la maladie de Duchêne. Dans un texte qui ouvre le droit à brevet, on ne peut pas inscrire le mot « jamais », car cela risquerait de bloquer toute évolution de la recherche et de la technologie. Ce serait faire une confusion préjudiciable entre la mise à disposition pour tous du génome humain et les inventions qui relèvent de l'ingéniosité humaine, certes utiles à tous, mais qui sont susceptibles d'être protégées au titre de la propriété intellectuelle.

Je ne peux donc que vous demander de retirer votre amendement, sinon je me verrais dans l'obligation d'émettre un avis défavorable.

M. le président. Accédez-vous à cette demande, monsieur Lefort ?

M. Jean-Claude Lefort. Non, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Ce sujet important mérite que nous y consacrions un peu de temps.

La loi du 6 août 2004 a bien distingué le gène et la fonction. Toutefois ni dans ce texte de manière générale, ni dans les textes relatifs aux inventions biotechnologiques, il n'est clairement indiqué que la protection par les brevets doit être limitée pour les séquences et les séquences partielles, couplées aux applications. On peut considérer qu'une portion d'ADN constitue un médicament - c'est la thérapie génique - ; on peut même parler d'« ADN médicament », mais à condition que personne ne se mette à breveter la totalité du génome bactérien végétal, animal ou humain pour en devenir propriétaire.

Il est évident que nous pouvons tomber d'accord sur un cas comme le travail produit par une machine à séquencer des gènes. Cependant des questions subsistent. Par exemple, comment traiter les brevets portant sur des séquences, comme ceux déposés par Craig Venter, qui ont déjà été acceptés par l'office américain des brevets ?

Une autre question montre toute la complexité du lien entre gène et fonction. Vous savez en effet que le gène est comme un texte à décrypter au moyen d'un code ; ce dernier permet d'obtenir une protéine, qui peut devenir un médicament. Mais que se passe-t-il en termes de brevetabilité si une personne parvient à décrypter un gène et présume qu'une protéine, qu'il n'a pas lui-même découverte, a une certaine fonction ? Sur ce point, les trois grands organismes de brevets, dans lesquels je me suis rendu, - l'office américain des brevets, l'USPTO, l'office japonais, le JPO, et l'office européen - n'ont pas le même avis et, comme mon collègue, j'estime que la position européenne n'est pas suffisamment claire.

Il faut ajouter que, pour le règne végétal, le fait d'avoir clairement isolé gène et fonction pour créer un médicament est susceptible de faire l'objet d'une propriété intellectuelle. La brevetabilité est possible dans ce cadre et uniquement dans ce cadre.

Reste que des clarifications s'imposent. La loi du 6 août 2004 a certes apporté des précisions s'agissant du corps humain, mais elles ne sont pas suffisantes pour les autres espèces animales. Il importe d'éviter une marchandisation du règne animal et végétal, sinon ceux qui auront le plus de capacités d'analyse risquent de devenir propriétaires de la nature et de la biodiversité.

À cet égard, j'estime qu'il faut demander une renégociation de la directive de 1998, à l'instar de nos voisins allemands, qui y étaient initialement favorables. Cette possibilité est d'ailleurs prévue à l'occasion de son bilan. Dans cette perspective, il convient de bien préciser les choses sur ces questions qui sont de vraies questions. Des réunions trilatérales rassemblant les représentants des trois grands offices des brevets ont lieu et nous pouvons d'ores et déjà tirer des enseignements de certains procès. Cela me paraît d'autant plus opportun que tous les pays membres n'ont pas encore transposé la directive et n'auront donc pas à payer.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lefort.

M. Jean-Claude Lefort. J'adhère à ce que vient dire Jean-Yves Le Déaut sur la directive. M. le rapporteur lui-même a reconnu qu'elle est largement dépassée, étant donné les progrès des sciences et des techniques. Mais, qu'elle soit obsolète, qu'elle soit inadaptée pour des raisons de fond, ce que je crois, ou qu'elle porte atteinte à des valeurs fondamentales, il faut la renégocier dans tous les cas. Nous n'avons même pas à nous presser puisque, sur les vingt-cinq pays que compte l'Union européenne, seulement quinze l'ont transposée. Qu'on ne nous fasse donc pas le coup du pistolet sur la tempe.

J'ai cité tout à l'heure la directive relative à l'humain. Je vais maintenant lire l'article L. 613-2-2 du code de la propriété intellectuelle, tel qu'il résulte de la transposition de la directive et vous verrez que cela confirme mes propos.

« La protection conférée par un brevet à un produit contenant une information génétique, ou consistant en une information génétique, s'étend à toute la matière dans laquelle le produit est incorporé et dans laquelle l'information génétique est contenue. » Cette disposition vaut à la fois pour l'animal et le végétal, mais il n'est pas question de l'humain. Cela étant, si toute la matière est concernée, c'est bien que nous ne respectons plus la césure pourtant fondamentale entre la découverte et l'invention.

Je ne suis pas contre les brevets, mais je veux mettre en garde contre l'hyperpuissance économique qui procède à ce type d'assemblage et qui considère que tout est marchandise sur notre planète. C'est bien ce qu'elle dit et elle agit en conséquence. Je vous rappelle le cas très éloquent du médicament contre le cancer du sein. Bien souvent, on a pillé les peuples du Sud pour élaborer des produits de cette façon. Néanmoins ce n'est pas parce que telle est la conception américaine que nous devons en faire autant, surtout dans ce domaine qui touche à des points fondamentaux pour l'avenir de la vie.

De même, l'article 5 de la loi d'août 2004 prenait des précautions concernant le vivant, pour prévenir l'action de certaines sectes qui voulaient reproduire des êtres humains.

Mettons bout à bout les arguments des uns et des autres.

Premièrement, le rapporteur déclare que le texte est obsolète.

M. Claude Gatignol, rapporteur. Je n'ai pas dit ça, j'ai parlé d'un point précis.

M. Jean-Claude Lefort. C'est bien ce que je dis.

Deuxièmement, notre collègue Jean-Yves Le Déaut estime que le texte n'est pas clair.

Troisièmement, vous confirmez monsieur le ministre, que le texte qui s'applique est celui que je viens de vous lire...

M. le ministre délégué à l'industrie. Ne nous faites pas de procès à votre manière, monsieur Lefort !

M. Jean-Claude Lefort. Je n'ai fait que lire le code. Je n'ai pas proféré d'insulte, à moins que le texte du code soit insultant à vos yeux ! Je vous témoigne du respect depuis le début ; faites-en autant.

M. le ministre délégué à l'industrie. Nous n'avons pas tenu les propos que vous nous prêtez !

M. Jean-Claude Lefort. Laissez de côté votre goût pour la polémique, le débat porte sur un point fondamental.

M. le président. Monsieur Lefort, tout se passait bien jusqu'à présent. Faites en sorte que ce débat reste de haute tenue.

M. Jean-Claude Lefort. Justement ! Que le ministre ne le rabaisse pas !

M. le ministre délégué à l'industrie. Il ne faut pas me faire dire ce que je n'ai pas dit !

M. le président. Que chacun respecte les autres.

M. Jean-Claude Lefort. Le rapporteur nous a expliqué que, depuis cette directive, bien des évolutions sont survenues. Nous sommes d'accord !

M. Claude Gatignol, rapporteur. Et elles ont été incorporées au texte.

M. Jean-Claude Lefort. La directive a donc un caractère obsolète.

M. le ministre délégué à l'industrie. Encore une fois, c'est vous qui le dites.

M. Jean-Claude Lefort. C'est la conclusion logique de vos propos.

M. le ministre délégué à l'industrie. Non !

M. Claude Gatignol, rapporteur. C'est votre appréciation, pas la nôtre !

M. Jean-Claude Lefort. Je viens par ailleurs de vous lire la loi de transposition qui précise jusqu'où va la brevetabilité. Et j'abonde dans le sens de M. Le Déaut qui a expliqué qu'il faudrait de toute façon renégocier la directive. J'en conclus que la transposition est inutile et qu'il vaudrait mieux renégocier tout de suite. Ce serait un acte politique fort que de refuser de s'aligner sur les thèses américaines et d'affirmer, dans le domaine des biotechnologies aussi, l'exception française, dont nous avons obtenu en matière culturelle la reconnaissance au niveau européen, grâce au combat que nous avons mené.

Il s'agit en réalité du même combat. Il faut renégocier cette directive inadaptée, obsolète et qui touche à des fondamentaux.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 5.

(L'article 5 est adopté.)

Article 6

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, inscrit sur l'article.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous précisiez l'interprétation du Gouvernement quant aux articles L. 613-2-2 et L. 613-2-3.

Que la protection du brevet s'étende à « toute matière dans laquelle le produit est incorporé » signifie que, dans la mesure où l'on a incorporé un gène dans un organisme animal ou végétal, l'organisme est lui-même breveté. Et on peut l'admettre si ce gène apporte effectivement un caractère spécifique ; je pense au cas que nous avons cité de la souris dans laquelle on avait incorporé un oncogène. Cette souris peut en effet être utilisée pour détecter des maladies et mettre au point des tests génétiques.

En revanche, sur deux points précis, je considère que le texte est mal rédigé.

Supposez que, à un moment donné, on incorpore, par des méthodes non génétiques, des caractères et qu'on les brevette. On peut alors jouer sur la double ambiguïté entre certificat d'obtention végétale et brevet. Prenons le cas d'un gène de résistance à la sécheresse que l'on identifie sur une plante, que l'on réussit à obtenir par croisement et que l'on brevette en certificat d'obtention végétale sur plusieurs espèces. Une fois le gène protégé, on ne pourra plus utiliser, sans licence, les espèces transformées pour en faire d'autres espèces, même si ce gène est présent à l'état naturel. Ce sera une source infinie de contentieux car comment prouver que le gène préexistait au brevet, associé à une fonction précise ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Un gène ne peut pas être breveté.

M. Jean-Yves Le Déaut. Si, à condition qu'il ait été incorporé dans une espèce.

M. le ministre délégué à l'industrie. Pas le gène lui-même, sa fonction !

M. Jean-Yves Le Déaut. C'est bien de cela que je parle. On peut trouver des espèces qui présentent la même fonction à l'état naturel. Le titulaire du brevet fera un procès en contrefaçon. Il aurait fallu mieux préciser comment concilier sur le plan juridique certificat d'obtention végétale et brevet. Lequel l'emportera sur l'autre ? Et, de la directive européenne et de notre droit national qui prévoit déjà des protections, lequel primera ?

Quant à l'article L. 612-2-3, il étend la protection aux produits obtenus par reproduction ou multiplication de la matière brevetée, ou bien à partir du procédé breveté. Dès lors, que se passera-t-il en cas de contamination accidentelle, comme cela s'est produit au Canada ? Qu'arrivera-t-il à la personne poursuivie qui ne pourra pas prouver que le gène se sera introduit de manière fortuite dans les semences qu'elle a semées ? Elle sera accusée de contrefaçon. Tel David contre Goliath, les petits semenciers n'auront pas la puissance financière pour se protéger contre les grandes multinationales.

Sur ces deux points, le texte n'est pas suffisamment précis.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lefort.

M. Jean-Claude Lefort. Ce débat ne mérite pas la polémique, tant il est sérieux. Tout le monde est d'accord. Le fait de ne pas partager la même opinion ne doit pas nous empêcher de rester courtois.

J'abonde dans le sens de M. Le Déaut et j'en profite pour réagir à vos propos, monsieur le ministre. Vous avez interrompu mon collègue en affirmant que le gène ne pouvait pas être breveté. Je vous renvoie à l'alinéa 2 de l'article L. 611-18 qui dispose : « Seule une invention constituant l'application technique d'une fonction d'un élément du corps humain peut être protégée par brevet. Cette protection ne couvre l'élément du corps humain que dans la mesure nécessaire à la réalisation et à l'exploitation de cette application particulière. » Ce n'est pas la fonction qui est protégée par le brevet, mais l'élément du corps humain. Le gène est donc breveté.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Claude Gatignol, rapporteur. Monsieur le président, revenons-en à l'objet du texte, à savoir les espèces animales et végétales. Les exemples cités par Jean-Yves Le Déaut sont tout à fait dignes de notre intérêt et de nos préoccupations. Néanmoins, il faut s'en tenir aux cas concrets.

Dans le domaine végétal, la France développe des activités de sélection des semences au point d'être le premier pays européen à déposer des brevets dans ce domaine. Elle détient environ 25 % du marché des semences. Autrement dit, par un travail qui ne relève pas de la technologie d'utilisation du génome en tant qu'élément d'ADN mobilisable sur un produit, les sélectionneurs peuvent obtenir une amélioration de l'ordre de 1 % à 2 % des performances. En revanche la technique qui consiste à incorporer dans une semence une fonction nouvelle grâce à un gène multiplie en général par dix ou vingt les résultats antérieurs et les pays du Sud seront les premiers bénéficiaires. Le problème soulevé dans le débat renvoie donc au privilège du sélectionneur, nouveauté introduite par le rapporteur du Sénat et à laquelle il convient de faire pleine référence.

Vous le savez, l'homologation d'un brevet donne lieu à une évaluation de la nouveauté apportée en fonction de trois critères - les fameux trois critères ! - dont l'un est bien l'application industrielle. Les différentes phases qui précèdent l'agrément d'une nouvelle espèce doivent permettre d'apprécier la brevetabilité, y compris de s'assurer que « l'exploitation du brevet ne sera pas contraire [...] à l'ordre public ou aux bonnes mœurs », pour reprendre le texte.

Il s'agit certes d'un débat de fond, mais je ne peux pas laisser dire que la directive est obsolète parce que, si le Parlement refusait toute transposition aujourd'hui, nous ferions un saut en arrière alors que nous voulons aller de l'avant et éviter de mettre nos entreprises et nos propres chercheurs en position d'infériorité vis-à-vis de leurs concurrents étrangers.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. M. Lefort a raison : le débat est noble et justifie que nous nous expliquions, d'autant plus que nous avons du mal à nous comprendre.

M. Jean-Claude Lefort. Le sujet est compliqué.

M. le ministre délégué à l'industrie. Le sujet est effectivement compliqué.

Est brevetable, monsieur Lefort, le couple indissociable, composé du gène A et de la fonction Y. C'est cette dualité formée par le gène et la fonction qui est brevetable, mais le gène lui-même n'est pas breveté. Si demain, le gène A permet de découvrir, de fabriquer ou d'inventer une fonction Z, le nouveau couple A plus Z deviendra à son tour brevetable. Ainsi, votre souci de ne pas voir breveter le vivant est respecté, puisqu'on peut continuer à associer le gène à d'autres fonctions.

Il existe une véritable différence, entre les Européens et les Américains, tenant à leur philosophie respective : les Américains acceptent de breveter la découverte, pas nous. C'est pourquoi nous nous dotons des instruments juridiques propres à asseoir cette différence afin de ne pas tomber sous la domination du droit américain.

M. Claude Gatignol, rapporteur. Exactement !

M. le ministre délégué à l'industrie. Que la directive doive un jour être rafraîchie, compte tenu du fait que les progrès technologiques vont assez vite, chacun en convient. Toutefois M. Le Déaut, qui est un scientifique, sait fort bien qu'aucune révolution ne s'est produite en la matière depuis 1998. La transposition de la directive constitue un réel progrès par rapport à la situation antérieure, même s'il n'est pas définitif. Ultérieurement - monsieur Lefort, je suis d'accord avec vous - il conviendra de revenir sur le sujet, puisque nous n'allons pas légiférer pour l'éternité.

M. Jean-Claude Lefort. Nous ne sommes pas éternels !

M. le président. Je mets aux voix l'article 6.

(L'article 6 est adopté.)

Article 7

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, inscrit sur l'article.

M. Jean-Yves Le Déaut. La recherche est l'avant-dernier point que je souhaite aborder, au travers des exemptions de brevet et des privilèges de l'agriculteur et, maintenant, du sélectionneur. Le privilège du sélectionneur est une bonne chose, à condition que le privilège de l'agriculteur soit effectivement respecté, ce qui n'est déjà plus le cas pour les hybrides depuis longtemps. On ne peut ressemer des grains que dans la mesure où il ne s'agit pas d'hybrides, puisque ces derniers ne permettent plus d'obtenir la même plante.

M. Jean-Claude Lefort. C'est comme pour le Terminator !

M. Jean-Yves Le Déaut. Le Terminator avait exactement les mêmes conséquences que l'hybride. Il impliquait la domination du semencier sur l'agriculteur.

M. Jean-Claude Lefort. Tout à fait !

M. Jean-Yves Le Déaut. L'avancée réalisée au Sénat, qui a été proposée par notre collègue M. Bizet et acceptée par le Gouvernement - du moins ai-je cru le comprendre - nous a paru heureuse.

En revanche, la seule référence en ce domaine à notre droit national - l'exemption à titre expérimental - est, à mon sens, trop faible. Je le répète de manière solennelle. En effet l'exemple en a été déjà fourni par le débat portant sur les brevets relatifs aux logiciels. Le brevet sur le vivant suscite la même interrogation : il ne faudrait pas que le brevet ait pour unique fonction de bloquer le développement des connaissances. Il convient de s'insurger contre la vision de certaines grandes sociétés qui ne déposeraient des brevets que dans le seul but d'empêcher le savoir de progresser, parce qu'elles en ont la propriété à un stade donné de son évolution.

La recherche ne doit être le prétexte à aucune exception à la liberté de la recherche, y compris celle qui se développe à partir de brevets déjà existants ou d'espèces transformées et protégées. Si, à partir d'une tulipe orange, je suis capable de créer une tulipe orange et noire avec des bandes verticales, je suis protégé par un certificat d'obtention végétale, à condition que la nouvelle variété soit stable. Il me paraît indispensable que tout chercheur puisse travailler sur les gènes de cette nouvelle variété pour inventer à son tour une autre espèce. Or, à l'heure actuelle, le texte est d'une totale timidité en la matière parce qu'il fait référence à un petit article sur la propriété intellectuelle qui n'est pas, à mon avis, suffisamment clair.

J'espère, monsieur le ministre, d'une part que la position du Gouvernement français est bien de soutenir le droit à la recherche dans tous les cas, en faisant de ce dernier une exemption à la brevetabilité ; d'autre part, si la directive doit être révisée, comme nous vous l'avons demandé et comme vous semblez le souhaiter également - sans nous avoir néanmoins précisé de délai -, que vous veillerez à ce que ce droit à la recherche soit amélioré de telle sorte que le brevet ne puisse pas être une cause de blocage du savoir.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Claude Gatignol, rapporteur. Je suppose que nous partageons tous ici les préoccupations de M. Le Déaut. De plus, s'il veut bien relire le rapport que j'ai présenté au nom de la commission, il s'apercevra - ce que j'ai affirmé d'emblée - que certains des commentaires qui y figurent revêtent une importante plus grande qu'à l'accoutumée, du fait qu'ils sont destinés à servir de fondement aux interprétations juridiques ultérieures.

M. Le Déaut a évoqué un point capital : la liberté laissée aux chercheurs d'évoluer à partir du génome et de tous les gènes disponibles. Le rapport l'écrit et le répète en toutes lettres dans les paragraphes de commentaires, ce qui leur donne - je le répète - une importance plus grande qu'à l'accoutumée.

En ce qui concerne le sélectionneur, qui est un chercheur un peu particulier, la liberté tenant à son privilège - comme on l'appelle - est pleine et entière, que le matériel initial, qu'il utilise pour sa propre démarche, comporte un ou plusieurs gènes. Sa liberté s'arrête au stade de la commercialisation.

Les textes garantissent donc une véritable liberté aux chercheurs. Souhaitant leur permettre d'évoluer comme bon leur semble, nous refusons qu'une convention trop restrictive ne leur impose ces freins à la recherche qu'a évoqués M. le ministre, lorsqu'il a fait allusion aux agissements de groupes agro-industriels aspirant à des situations de monopoles.

Les semences stériles ont été évoquées, sans qu'il ait été précisé si elles étaient d'ordre génétique ou hybride, issues d'un mouvement de sélection ou le produit de manipulations d'éléments naturels. La transparence en la matière - je le répète - est nécessaire : on ne saurait acheter n'importe quoi sans le savoir. De même, dans le domaine animal, il n'existe aucun vétérinaire ni aucun éleveur pour ignorer que la rencontre d'un étalon et d'une femelle de la race asine donne un produit dont on sait à l'avance qu'il ne pourra se reproduire ; je pense évidemment à toutes les juments mulassières. (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lefort.

M. Jean-Claude Lefort. Je reprendrai votre exemple, monsieur le ministre : lorsque vous mettez A et B ensemble pour obtenir une invention Z, A, qui est la matière vivante - humaine, animale ou végétale - incluse dans le couple AB, est brevetée et n'est plus accessible pour obtenir une invention X.

M. le ministre délégué à l'industrie. Si !

M. Jean-Claude Lefort. C'est vous qui avez écrit le code, monsieur le ministre, pas moi. Or ce dernier dispose bien que la protection « ne couvre l'élément du corps humain » - cela vaut par extension pour l'animal et le végétal - je lis bien « l'élément » et non pas la fonction...

M. le ministre délégué à l'industrie. Mais seulement dans la mesure où !

M. Jean-Claude Lefort. ...« ne couvre l'élément du corps humain que dans la mesure nécessaire », effectivement, monsieur le ministre. Le texte évoque donc bien le corps humain, pas la fonction !

Nous semblons malgré tout tous d'accord pour reconnaître que les textes sont mal rédigés et qu'il convient de les récrire. La révision de la directive est donc nécessaire !

Vous savez, monsieur le ministre, j'ai trop entendu dans cet hémicycle des promesses de ministres sur d'éventuelles renégociations, pour désormais m'en contenter ! J'aime mieux tenir que courir ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Remiller. Pas ce ministre !

M. Jean-Claude Lefort. La vie change, elle aussi. On n'est pas éternellement ministre, ou éternellement en charge du même ministère. Peut-être demain, M. Devedjian s'occupera-t-il d'un plus gros ministère. Les ministres passent.

M. le ministre délégué à l'industrie. Il ne s'agit pas d'une promesse, mais d'une prévision évidente !

M. Jacques Remiller. De plus, le remaniement vient d'avoir lieu !

M. Jean-Claude Lefort. Mon expérience m'a appris qu'il n'existait malheureusement pas de continuité gouvernementale en la matière. J'aime mieux tenir que courir, je le répète !

Si vous êtes vraiment favorable à une récriture de la directive, monsieur le ministre, il ne suffit pas d'en prendre l'engagement, car cela ne coûte pas grand-chose ! Il est encore mieux d'en prendre dès maintenant la décision.

M. le président. Je mets aux voix l'article 7.

(L'article 7 est adopté.)

Article 8

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, inscrit sur l'article.

M. Jean-Yves Le Déaut. Monsieur le ministre, je vous pose sur l'article 8 une question qui concerne également l'article 9.

On lit dans l'article 8 : « [...] pour autant que la variété constitue à l'égard de l'invention revendiquée dans ce brevet un progrès technique important et présente un intérêt économique considérable. » L'adjectif « considérable » a été rajouté au Sénat.

M. le ministre délégué à l'industrie. Effectivement : le projet de loi initial comportait l'adjectif « certain ».

M. Jean-Yves Le Déaut. « Certain » a donc bien été remplacé par « considérable ».

Je souhaiterais que vous puissiez nous éclairer sur l'application juridique des mots « un intérêt économique considérable ». La question de l'obtention obligatoire des licences est en effet d'un intérêt majeur, pour les raisons que j'ai indiquées précédemment et qui relèvent du domaine de la recherche : il est possible de refuser des licences pour éviter la concurrence et la compétition que cela implique.

M. Jean-Claude Lefort. C'est le cas des produits génériques !

M. Jean-Yves Le Déaut. L'exemple des logiciels libre est là pour en témoigner. De grands groupes comme Microsoft ne souhaitent pas voir se développer les logiciels libres, parce que la propriété globale des logiciels les plus importants permet de bloquer tout développement ultérieur, sans que ces groupes aient par ailleurs réfléchi à la compatibilité ou à l'interopérabilité des logiciels. Nous sommes dans un cas analogue : une invention est brevetée mais la licence pour l'exploiter n'est pas concédée.

M. le ministre délégué à l'industrie. Le cas est prévu.

M. Jean-Yves Le Déaut. Oui, le cas est prévu, mais comment le juge interprétera-t-il, lors d'une procédure, les mots « un intérêt économique considérable » ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Cette expression constitue la reprise, mot pour mot, de la directive.

M. Jean-Claude Lefort. Et voilà !

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est une explication !

De plus, la directive ne fait elle-même que reprendre les accords sur la propriété intellectuelle de l'OMC.

M. Jean-Claude Lefort. C'est précisément ce qui fait problème !

M. le ministre délégué à l'industrie. Comment le juge interprétera-t-il le mot « considérable » ? Les procédures donneront lieu à l'établissement d'une jurisprudence, dans la mesure d'ailleurs où les panels de l'OMC ne l'ont pas déjà fait. Le droit, chacun le sait, est fait de concepts qui doivent être évalués et mesurés. Des procès auront lieu, j'en conviens, monsieur Le Déaut, mais la jurisprudence finira par cerner très précisément le contenu du mot « considérable », encore que - je le répète - les textes de l'OMC permettent de s'en faire une idée déjà relativement précise. Il en sera de même en France.

M. le président. La parole est à M. Claude Lefort.

M. Jean-Claude Lefort. Il s'agit également d'une question très importante. La notion d'« intérêt économique considérable » privilégie l'économique par rapport à l'humain, ce qui n'est pas étonnant quand vous évoquez l'OMC.

La question est de savoir quelle est la hiérarchie des normes qui prévaut sur cette planète : la primauté est-elle au droit commercial ou aux droits économiques et sociaux définis par la Charte des Nations unies ? Il va de soi que nous ne trouverons pas en un instant la réponse à cette question.

Monsieur le ministre, la traduction de cette notion d'« intérêt économique considérable », c'est, par exemple, la situation dans laquelle s'est trouvée l'Afrique du Sud lorsqu'elle a entrepris de produire des médicaments contre le sida, pour empêcher la mort de millions de personnes à travers le monde. Lorsqu'elle sera réalisée, la transposition en droit français de l'accord conclu à Cancun le 30 août dernier permettra, pour la première fois, de déroger à la primauté des intérêts économiques et de faire prévaloir le droit des humains, soit, en l'espèce, la sécurité sanitaire. Il s'agit d'une nouveauté considérable.

Les dispositions de votre projet de loi sont trop mal ficelées - ou trop bien ! - pour que leurs intentions ne soient pas claires.

M. le président. Je mets aux voix l'article 8.

(L'article 8 est adopté.)

Articles 9 à 12

M. le président. Je mets aux voix l'article 9.

(L'article 9 est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 10.

(L'article 10 est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 11.

(L'article 11 est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 12.

(L'article 12 est adopté.)

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Il aura fallu plus de six ans pour que la directive de 1998 soit transcrite en droit français. En effet, outre le fait que se sont succédé deux gouvernements, ce texte a rencontré diverses oppositions, notamment sur l'article 5, comme l'a rappelé M. Lefort.

Pour ce qui est des éléments isolés du corps humain, le blocage de ce texte a été levé par le vote de la loi sur la bioéthique. Pour l'autre partie du texte, dont il est question aujourd'hui, des avancées ont été réalisées par rapport au texte initial et, même si des précisions s'imposent, il n'est pas question de nier la nécessité d'une protection de la propriété intellectuelle en matière d'inventions biotechnologiques. Nous ne devons pas oublier que, lors de la découverte du virus du sida, un procès a opposé les professeurs Montagnier et Gallo parce que nous n'étions pas assez armés en matière de protection de la propriété intellectuelle et que les Américains ont ainsi pu contester une découverte faite à l'Institut Pasteur, à Paris !

Il nous faut donc protéger la propriété intellectuelle au niveau européen, mais cela doit se faire dans le sens du respect de la biosphère, c'est-à-dire du respect de tous ceux qui habitent sur cette Terre : les micro-organismes, les organismes végétaux et animaux et l'homme.

Le texte qui nous est soumis s'efforce d'ébaucher des réponses juridiques à ces questions difficiles et, par ailleurs, des orientations ont déjà été fixées sous plusieurs gouvernements successifs. Toutefois, des interrogations demeurent. Ainsi, vous avez clairement expliqué qu'on ne peut breveter un gène que s'il a une fonction. Mais, quand un gène a plusieurs fonctions, quels sont les droits de celui qui découvre, par exemple, la deuxième fonction ? De même, qu'adviendrait-il si le propriétaire d'organismes animaux ou végétaux normaux engageait une action en justice à la suite d'une contamination par d'autres organismes ou micro-organismes ? Comment peut-on laisser la recherche se développer à partir de brevets déjà déposés ?

Le travail semble donc quelque peu inachevé sur certains points ; sans doute, d'ailleurs, parce que tous les pays n'avaient pas la même interprétation de la protection des inventions biotechnologiques. Certains, en effet, faisaient primer les intérêts commerciaux sur le respect du vivant et auraient accepté de breveter la totalité du vivant, comme on l'a vu aux États-Unis après la découverte des premières séquences de gènes.

Ces questions ayant déjà été évoquées lors de la discussion du projet de loi sur la bioéthique, le groupe socialiste, par souci de cohérence, votera ce texte, mais il assortit son vote d'une demande de révision de la directive de 1998, demande à laquelle je sais que plusieurs pays sont prêts à s'associer.

Vote sur l'ensemble

M. le président. Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

M. Jean-Claude Lefort. Le groupe communiste vote contre.

M. Jacques Remiller. Ah !

(L'ensemble du projet de loi est adopté.)

    11

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Mardi 30 novembre 2004, à neuf heures trente, première séance publique :

Questions orales sans débat ;

Fixation de l'ordre du jour.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de la vie (n° 1882) ;

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, n° 1911, de programmation pour la cohésion sociale :

Rapport, n° 1930, de Mme Françoise de Panafieu et M. Dominique Dord, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,

Avis, n° 1920, de M. Alain Joyandet, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan,

Avis, n° 1928, de M. Georges Mothron, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot