Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus intégraux (session ordinaire 2004-2005)

 

Première séance du jeudi 9 décembre

95e séance de la session ordinaire 2004-2005


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

    1

SPECTACLE VIVANT

Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur le spectacle vivant et le débat sur cette déclaration.

La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j'ai ardemment souhaité le débat d'aujourd'hui. J'en avais pris l'engagement : il est tenu. Ce jeudi 9 décembre 2004, la culture a droit de cité, non seulement au cœur des Français, mais aussi au cœur de la représentation nationale. Représentation : c'est un même mot que la démocratie et la culture ont en partage. Un même bien commun, enraciné dans une longue histoire. Un même lieu aussi. Depuis la Grèce, l'hémicycle est commun au théâtre et à l'assemblée des citoyens.

Aujourd'hui, je suis d'abord venu vous dire que ce débat fera date, parce que vous avez la parole. Trop souvent, il ne fut question ici de culture que lorsqu' il fut question de budget de la culture. Il est vrai qu'André Malraux prononça ici, sur son budget, ses plus beaux discours, par exemple cette métaphore inoubliable de la maison de la culture-cathédrale ou son vœu de faire pour la culture ce que Jules Ferry, quatre-vingts ans avant lui, avait fait pour l'éducation.

Un budget est l'expression d'une politique. Et, comme j'ai eu l'occasion de vous le dire il y a quelques semaines, les crédits que vous avez votés expriment ma priorité pour le spectacle vivant. Mais un budget ne fait pas une politique à lui seul. C'est pourquoi je suis venu vous parler des fins autant que des moyens.

Qui ne voit dans le monde de violences, de rupture et, parfois, de négation de l'identité, de la racine, du patrimoine culturel et spirituel, à quel point la culture est le cœur même de notre rayonnement, de notre fierté, de notre influence, de notre attractivité, voire de nos emplois ? Ne la réduisons pas au loisir intelligent, au supplément d'âme.

M. Michel Françaix. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. Elle est l'essence même de l'avenir et de la force de notre peuple, de nos convictions, de notre message humaniste.

Si je suis venu vous parler des moyens de sortir d'une crise qui nous a tous marqués et des perspectives qui sont ouvertes devant nous, c'est parce que je crois que cette réconciliation est attendue.

Nous ne pourrons assurer l'égalité des Français dans l'accès à la culture, ni défendre et favoriser la diversité culturelle en France, en Europe et dans le monde, que si nous reconnaissons aux artistes la place qui est la leur, au cœur de notre société.

Le remarquable travail mené par votre assemblée, sous l'égide de votre commission des affaires culturelles - je vous remercie de votre présence, monsieur le président -, par la mission d'information sur les métiers artistiques, y contribue déjà. Et je tiens à féliciter son président, Dominique Paillé, son rapporteur, Christian Kert, et tous ses membres, qui n'ont pas ménagé leur temps, ni leur peine, depuis un an, pour aboutir à ce rapport d'information qui va nous être présenté dans quelques instants.

Je remercie aussi les uns et les autres, quels que soient les bancs sur lesquels ils siègent, d'avoir, dans les moments chauds, participé à un certain nombre de débats sur tous les lieux de festival et de spectacle. C'était nécessaire et c'était utile. Je tiens aussi à saluer l'initiative originale conduite par votre collègue Étienne Pinte, qui a mobilisé, aux côtés d'associations et de partenaires sociaux du secteur, des parlementaires de tous horizons.

J'en vois un second témoignage dans la présence, ce matin, de M. le président de la commission des finances, Pierre Méhaignerie, de M. le président de la commission des affaires étrangères, Édouard Balladur - qui nous rejoindra -, de M. le président de la commission des affaires économiques, Patrick Ollier, et des présidents des groupes politiques, ainsi que d'un grand nombre de parlementaires. J'associe tout naturellement à ces remerciements, les ministres qui sont venus manifester, par leur présence à mes côtés, que cette déclaration et l'engagement de ce débat sont le fruit de l'action collective et solidaire du Gouvernement tout entier. Sans cette synergie, sans cette belle complicité opérationnelle entre Gérard Larcher, Laurent Hénart et moi-même, sans l'ouverture mutuelle et la démarginalisation du ministère de la culture, il n'y aurait pas d'issue possible ni d'avenir pour l'activité des artistes et des techniciens de notre pays. Et je vois donc dans la présence de ces différents présidents de commission parlementaire le symbole de cette lucidité et de cette volonté. Je remercie chaleureusement votre président Jean-Louis Debré, dont la présence a valeur à mes yeux, comme aux yeux de nos concitoyens, d'un symbole fort vis-à-vis des artistes et des techniciens de notre pays. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Le premier regard que je vous propose de porter sur les artistes est proprement culturel. Je me souviens de ce jour où une artiste, alors que j'inaugurais la maison de la culture de Grenoble, est venue à ma rencontre, pour d'abord me parler de la joie que les artistes ont à faire ce qu'ils font et de « l'écart ». Oui, de cet écart, qu'elle a qualifié de « tout petit », avant de me lire un texte extrait de Tout n'est pas dit de Philippe Jaccottet - auteur et texte qui vont droit au cœur d'un éminent parlementaire, quant à lui sénateur : Jack Ralite, qui nous fait aujourd'hui, dans les tribunes, l'amitié de sa présence.

Être artiste, c'est d'abord croire, vivre, et faire partager cette conviction que « tout n'est pas dit », que le monde en dehors de nous, comme celui que nous contenons, est loin d'avoir épuisé toute possibilité de surprise. Oui, être artiste, c'est toujours provoquer une rencontre. C'est en ce sens que l'artiste est créateur de liens. Je crois profondément, comme l'a exprimé Fernando Pessoa, que « l'art est la communication aux autres de notre identité profonde avec eux ». L'art, et singulièrement l'art vivant, est ce qui relie, au cœur de la culture. C'est fondamentalement pourquoi les artistes et les techniciens représentent un atout et un enjeu considérables pour notre société.

Dans le monde complexe et violent d'aujourd'hui, l'artiste est, comme l'a écrit Le Clézio, « celui qui nous montre du doigt une parcelle du monde ». Et j'ajouterai : une part de vérité, avec ce que cela implique de conflit, mais aussi d'humanité et d'universalité, avec la rupture, avec parfois la provocation, mais avec la redécouverte du réel, de la réalité.

C'est pourquoi je souhaite que notre société, où les risques de fractures, la perte des repères, le sentiment d'un effritement de l'identité affectent nos concitoyens, fasse résolument le pari de la culture, pour replacer l'artiste au cœur de la cité, abolir la distance entre l'œuvre d'art et son public, investir de nouveaux territoires, instituer un rapport au temps différent et toucher le plus grand nombre de nos concitoyens - je pense notamment à tous ceux qui n'ont jamais franchi le seuil d'un théâtre, d'un musée, d'un chapiteau, d'une salle de cinéma.

Telle est la voie que je vous propose et qui est au centre de la politique culturelle du Gouvernement. Une politique qui s'appuie sur la très rapide évolution qui a vu se multiplier les lieux de création et de diffusion du spectacle vivant sur le territoire français. Cette croissance a été accompagnée, depuis une quinzaine d'années, par une montée en puissance des collectivités territoriales dans le champ culturel. Il ne se passe pas un jour sans que des élus prennent l'initiative, et je les en remercie, de créer une salle de spectacle, des studios de danse, des locaux de répétition, et demandent au ministère de la culture de soutenir leurs initiatives. L'État est un partenaire solide, d'autant que vous votez de bons budgets,...

M. Jean-Pierre Brard. Faut pas exagérer !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...toujours perfectibles, certes,...

M. Jean-Pierre Brard. Vous avez une bonne marge de progression !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...mais qui contredisent, avec éclat, le spectre du désengagement Les quelque mille festivals qui se sont déroulés cet été sur l'ensemble de notre territoire témoignent de la vitalité, du rayonnement et de l'attractivité de ces initiatives.

L'importance sociale du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma, comme l'a montré le remarquable rapport que m'a remis Jean-Paul Guillot, peut être mesurée par le temps que les Français consacrent chaque année pour aller au cinéma, pour assister à du spectacle vivant, pour écouter la radio, pour regarder la télévision ou différents supports audiovisuels : 63 milliards d'heures. Ce chiffre peut être comparé aux quelque 34 milliards d'heures qu'ils passent à travailler. L'augmentation constatée du nombre des artistes en France, qu'ils soient permanents ou intermittents, en découle très logiquement : je rappelle qu'ils sont aujourd'hui 280 000 salariés, soit 1,3 % de l'emploi total. Certes, cette augmentation de leur nombre s'est accompagnée d'une aggravation de leur précarité. Et, là aussi, les chiffres du rapport Guillot permettent d'appréhender la réalité dans sa crudité : 80 % de ces salariés perçoivent, comme revenu de leur travail, moins de 1,1 SMIC, et 54 % effectuent moins de 600 heures par an. Leur revenu annuel n'a pu se maintenir que grâce à l'assurance chômage : telle est la réalité, sans fard, de la plupart des métiers de la culture.

M. Jean-Pierre Brard. Il fallait le dire !

M. le ministre de la culture et de la communication. Vous pouvez comprendre, dans ces conditions, mesdames, messieurs les députés, l'ampleur de l'émotion provoquée par la conclusion d'un nouveau protocole sur l'assurance chômage des artistes et techniciens. Vous pouvez comprendre aussi pourquoi le Gouvernement a jugé indispensable d'intervenir, en la matière comme dans d'autres, en prenant toutes ses responsabilités.

M. Jean-Pierre Brard. Avec du retard à l'allumage !

Mme Muriel Marland-Militello. Vous aussi !

M. le ministre de la culture et de la communication. Dès ma prise de fonction, je me suis employé à créer les conditions de sortie d'une crise qui avait tourné à une véritable guerre de tranchées, menaçant en permanence l'activité culturelle de notre pays, et la paralysant parfois. Le dialogue indispensable a été rétabli, et nous avons compris que seule une initiative du Gouvernement était de nature à aider - je dis bien aider - les partenaires sociaux à rechercher et à trouver des solutions à la crise endémique du régime d'assurance chômage des artistes et techniciens.

Un fonds spécifique provisoire a été créé, financé par l'État, dont l'organisation a été définie, avec beaucoup de talent, par Michel Lagrave, conseiller-maître honoraire à la Cour des comptes et ancien directeur de la sécurité sociale. Géré par l'UNEDIC, pour rester dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle, ce fonds a pris en charge l'indemnisation des artistes et techniciens qui effectuent leurs 507 heures en douze mois, mais n'y parviennent pas dans les onze mois prévus pour 2004 par le nouveau protocole. Ce fonds a pris également en charge l'indemnisation des personnes en congé de maladie pour une durée supérieure à trois mois. Il est opérationnel depuis le 1er juillet 2004. Peut-être parce que je ne voulais pas de manière prématurée faire d'autosatisfaction, avons-nous pêché par l'insuffisance de notoriété de ces dispositifs nouveaux. Nous avons veillé, en tout cas, à ce que dans chaque département, dans chaque ASSEDIC, artistes et techniciens soient informés de leurs droits pour qu'ils puissent les utiliser.

Dans le même temps, l'UNEDIC a accepté, pour les années 2004 et 2005, un retour à la situation antérieure pour les congés de maternité.

Mais il est clair que, au-delà des mesures immédiates et d'apaisement nécessaires, la question de l'assurance chômage des artistes et techniciens méritait le traitement déterminé des problèmes de fond, auquel le Gouvernement s'est attaché : renforcement de la lutte contre les abus, engagement d'une réflexion sur le périmètre légitime du recours à l'intermittence, sortie des textes juridiques permettant le croisement des fichiers. Grâce à la coopération entre mon ministère et l'autre ministère compétent, deux textes attendus depuis dix ans sont sortis en six mois ; le dernier a été publié hier au Journal officiel.(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Mais que faisait donc M. Aillagon ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Une mission d'expertise indépendante, confiée à Jean-Paul Guillot, a permis de poser sur la situation de l'emploi dans le spectacle vivant, le cinéma et l'audiovisuel, et sur la place du régime d'assurance chômage, un diagnostic objectif et assez largement partagé. Les pistes de travail qu'il propose sont claires : quelles que soient les mesures qui seront prises pour améliorer le régime d'assurance chômage des artistes et des techniciens, elles ne pourront produire d'effets que si elles accompagnent une politique ambitieuse de l'emploi culturel au service de la création et de la diffusion dans le spectacle vivant, le cinéma et l'audiovisuel. L'articulation entre les deux est essentielle.

Cette politique doit mobiliser l'État, les collectivités territoriales, les partenaires sociaux du secteur et les confédérations, chacun devant prendre les engagements correspondant à ses responsabilités ; elle doit ainsi permettre de ramener l'assurance chômage à son vrai rôle et montrer que l'on cesse de faire reposer sur elle seule toute la structuration de l'emploi dans le secteur.

Mme Claude Greff. Tout à fait !

M. le ministre de la culture et de la communication. Les conditions seront ainsi créées pour la négociation plus sereine et constructive d'un nouveau protocole d'assurance chômage des artistes et des techniciens. Il est essentiel que les partenaires sociaux, garants de la solidarité interprofessionnelle, soient pleinement rassurés sur l'esprit de responsabilité qui doit prévaloir chez les pouvoirs publics et les partenaires sociaux du secteur. C'est cet engagement que le Gouvernement prend devant vous, mesdames et messieurs les députés, et pour lequel j'ai besoin de votre appui.

Dès le 1er janvier 2005 - et je souhaite évidemment que cela se sache au-delà de cette enceinte -, comme je m'y étais engagé, un nouveau système sera en place. Il ne s'agit pas, à ce stade, d'un système définitif, ni d'un nouveau protocole renégocié. En attendant ce nouveau protocole, j'ai indiqué qu'il n'y aurait pas d'espace vide et que l'État prendrait ses responsabilités. Le Gouvernement a donc décidé de mettre en place, jusqu'à la conclusion d'un nouveau protocole, un fonds transitoire qui s'inspire des principaux axes proposés par Michel Lagrave.

La sémantique, en politique, a beaucoup d'importance.

M. Jean-Pierre Brard et plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est vrai !

M. le ministre de la culture et de la communication. « S'inspire » signifie qu'il ne s'agit pas de la reproduction à l'identique des dispositions de 2004.

Ce fonds permet de définir une période de référence de douze mois pour l'ouverture des droits, au lieu des dix et demi ou dix mois, qui correspondent à la durée définie pour 2005 par le protocole de 2003, avec date anniversaire. En retenant cette modalité, pour la deuxième année consécutive, l'orientation pour un système pérenne est claire : cette durée d'un an correspond au rythme annuel de l'activité du secteur et permet aux salariés comme aux employeurs de mieux programmer leur travail.

J'ai bien noté - et je comprends - les autres demandes qui se sont exprimées pour qu'un nouveau système, en 2005, préfigure davantage les éléments nécessaires d'un système pérenne, destinés à encourager un allongement de la durée du travail et à réduire les situations de précarité.

Certains de ces éléments peuvent relever d'ajustements techniques de la part de l'UNEDIC, d'autres pourront être pris en compte dans le fonds transitoire de 2005 : après concertation avec les partenaires sociaux - mais je voulais vous avoir entendus au préalable -, je préciserai ces points lors de la réunion du Conseil national des professions du spectacle qui se tiendra la semaine prochaine, le 17 décembre. Ce sera la quatrième réunion du CNPS en 2004, et cela ne fait qu'annoncer toute une série d'autres en 2005, avec, à chaque fois, un calendrier et un ordre du jour précis, de façon à avancer.

Je détaillerai également, devant ce même Conseil national des professions du spectacle, les mesures dont j'ai présenté les grands axes devant votre mission d'information, la semaine dernière. La politique de l'emploi que j'entends conduire a pour objectifs de relever la part des emplois permanents et des structures pérennes, d'accroître la durée moyenne de travail annuel rémunéré et des contrats des intermittents.

Ces mesures sont destinées, je vous le rappelle, à améliorer la connaissance précise de l'emploi dans le secteur, avec la responsabilité accrue de tous les organismes qui y concourent, et à renforcer l'efficacité des contrôles. Comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure, le décret offrant l'arsenal juridique nécessaire à ces contrôles est publié.

Le deuxième objectif est d'orienter progressivement les financements publics qui dépendent de mon ministère vers l'emploi. Le souci de majorer la permanence de l'emploi ne signifie d'aucune manière la suppression de l'intermittence, système nécessaire à la création culturelle. Il ne doit y avoir, sur ce point, aucune ambiguïté : même s'il faut, partout où c'est possible, s'orienter vers la transformation d'un certain nombre d'emplois, il n'en demeure pas moins que la création culturelle et artistique repose largement, dans notre pays, sur la spécificité de l'intermittence du spectacle, que régissent les annexes 8 et 10. Je le répète, je n'ai pas pour objectif politique de la supprimer mais de la rendre juste et équitable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. L'avez-vous dit à M. Seillière ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Troisième objectif, il faut inciter les partenaires sociaux du secteur à accélérer et systématiser la conclusion de conventions collectives.

Enfin, il convient d'accompagner les efforts de professionnalisation des employeurs comme des salariés.

D'ores et déjà, je puis vous dire que j'attends des partenaires sociaux du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel, et singulièrement des employeurs, qu'ils manifestent, dans des délais très rapprochés, leur sens des responsabilités pour compléter la couverture du champ conventionnel. Dans cet esprit, j'ai réuni, le 8 novembre dernier, les représentants des diffuseurs afin qu'ils engagent et qu'ils concrétisent diverses actions communes permettant d'établir de bonnes pratiques d'emploi et de réfléchir à de nouvelles formes contractuelles dans le secteur. J'observe, à cet égard, que les diffuseurs privés viennent de s'associer dans un syndicat des télévisions privées pour mieux aborder ces sujets de réflexion.

Nous avons besoin, pour que la négociation progresse, non seulement de salariés mais aussi de responsables d'entreprise organisés, car c'est ainsi que les tables rondes permettront de vraies négociations aboutissant à des résultats.

M. Jean-Pierre Brard. Vous avez raison, le MEDEF est défaillant !

M. le ministre de la culture et de la communication. La négociation des conventions collectives du secteur constitue à mes yeux l'urgence et la priorité. Je sais pouvoir compter sur le concours actif de Gérard Larcher et de ses services pour accompagner les partenaires sociaux dans leur démarche et les aider à l'accélérer.

M. Michel Françaix. Alors là, on est sauvé ! Ça nous rassure !

M. Jean-Pierre Brard. C'est une béquille de luxe !

M. le ministre de la culture et de la communication. La synergie entre le ministère des affaires sociales et le ministère de la culture et de la communication est perçue, au-delà de cet hémicycle, comme un signe non seulement d'espoir, mais aussi de progrès possible.

M. Michel Françaix. Enfin !

M. le ministre de la culture et de la communication. Par ailleurs, parce que le secteur public audiovisuel se doit d'être exemplaire, j'ai demandé, dès le printemps, au président de France Télévisions, comme aux autres présidents de sociétés de l'audiovisuel public, d'établir des plans pluriannuels de réduction progressive de recours à l'intermittence. Je me réjouis que France Télévisions ait engagé un tel plan sur quatre ans.

M. Jean-Marc Ayrault. Ah ! Larcher nous lâche déjà ! (Sourires.)

M. le ministre de la culture et de la communication. Rendons à César ce qui est à César et remercions le Premier ministre, qui, vendredi dernier, a rendu possible une dépense supplémentaire de 20 millions d'euros pour l'audiovisuel public. Ce ne sera pas sans conséquence positive pour le soutien à toutes les formes de spectacles, pour leur diffusion, la conquête de nouveaux publics et l'entrée en action de la télévision numérique terrestre. Tout est perfectible, mais lorsque les choses avancent, il faut savoir le dire, non pas pour se livrer à l'autosatisfaction mais pour pouvoir continuer dans le même sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, ne dévalorisez pas votre propos !

M. le ministre de la culture et de la communication. La requalification des emplois et leur développement passent aussi par une politique volontariste. C'est tout le sens de l'extension du crédit d'impôt cinéma au secteur de la production audiovisuelle et du rehaussement de son plafond d'éligibilité, qui seront soumis à votre vote ce soir dans le cadre de l'examen de la loi de finances rectificative.

On ne peut pas demander, d'un côté - ce qui est normal -, de soutenir, par tous les moyens possibles, la création française et, d'un autre côté, regarder de manière lointaine la problématique de la délocalisation des tournages, par exemple. Le Gouvernement agit concrètement pour faire en sorte que l'emploi culturel soit soutenu.

L'octroi de ces deux mécanismes d'aide - je le dis haut et fort pour que ce soit compris hors de nos murs - est conditionné à l'emploi permanent. C'est aussi tout le sens des autres mesures que j'ai fait adopter au service d'un plus grand dynamisme de la production audiovisuelle et de la création : la création du fonds pour l'innovation audiovisuelle, qui vise aussi les nouveaux talents, l'extension des fonds des collectivités territoriales à l'audiovisuel. Voilà l'exemple d'un partenariat réussi entre les régions et l'État. La ressource publique additionnelle de 20 millions d'euros pour 2005 a le même objet, je l'ai déjà évoquée.

Cette politique de l'emploi est de la même façon au service de mon plan pour le spectacle vivant. Le budget que vous avez adopté pour mon ministère traduit clairement la priorité qui lui est réservée : avec 753 millions d'euros, il s'agit de la dotation la plus importante pour le ministère de la culture ; cette enveloppe comprend 23 millions d'euros de mesures nouvelles, dont 18 millions pour accompagner le développement de l'emploi. Loin de toute incantation, nous essayons d'agir méthodiquement.

Dans chaque région, j'y travaille en ce moment même avec les directeurs régionaux des affaires culturelles, il y aura, en 2005, un plan pour l'emploi dans le spectacle vivant.

Je souhaite vous en donner, brièvement, les principaux axes.

Priorité sera donnée à la diffusion, avec l'aide à la constitution dans les théâtres de « pôles de diffusion », composés de personnels formés, dotés d'outils techniques de recensement et de connaissance des réseaux. Expérimentale en 2005, cette aide sera progressivement étendue à partir de 2006 et devra prendre en considération la création d'un fonds spécifique d'aide à la diffusion en milieu rural. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le deuxième axe est l'appui aux compagnies et aux ensembles indépendants, qui doivent bénéficier d'aides incitatives à la reprise et d'un encouragement, par des moyens spécifiques, à développer des résidences de longue durée.

Il convient, en troisième lieu, de rendre aux auteurs et compositeurs, qui sont la force vive de la création, la place éminente qui leur revient, en améliorant la rémunération et la situation des auteurs, en renforçant leur présence, par la généralisation des résidences de longue durée d'auteurs et de compositeurs, dans les établissements subventionnés.

Il faut aussi redéfinir et relégitimer une politique de développement de la pratique amateur, qui n'est ni une étape vers la professionnalisation, ni un substitut à la pratique professionnelle. Ciment du lien social, remarquable outil d'intégration et de dialogue entre les cultures et les générations, elle doit être encouragée par la formation, le rapport direct à la création, les rencontres entre artistes amateurs et professionnels.

Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très juste !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il convient encore d'encourager la circulation internationale de l'art vivant, par la mise en réseau des institutions et des projets sur le plan européen : institutions de recherche dans le domaine musical, académies européennes de jeunes artistes, jumelages entre théâtres français et européens.

Cette politique, ces orientations, je ne peux pas les conduire seul. J'ai besoin d'entendre la représentation nationale me dire si elle partage ces ambition (« Oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), si elle est prête à unir sa voix à la mienne (Mêmes mouvements) pour en appeler à la responsabilité partagée, aux côtés de l'État, des collectivités territoriales, des partenaires sociaux du secteur, des confédérations, du public lui-même, afin que, au sortir d'une crise qui a douloureusement éprouvé le monde de la culture - mais qui a aussi permis une formidable réflexion collective -, nous nous tournions ensemble vers l'avenir, pour que l'art et la culture, redeviennent ce qu'ils n'auraient jamais dû cesser d'être : le ferment de notre unité et de notre identité commune. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous allons d'abord entendre les porte-parole des groupes.

La parole est à M. Pierre Albertini, porte-parole du groupe Union pour la démocratie française.

M. Pierre Albertini. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État à l'insertion professionnelle des jeunes, mes chers collègues, je suis très heureux de participer à ce débat. Cette initiative est sans doute un peu tardive, mais mieux vaut tard que jamais.

M. le ministre de la culture et de la communication. C'est une première dans l'histoire du Parlement !

M. Pierre Albertini. Depuis l'été 2003, nous attendions un débat sur ce sujet important. Vous avez eu le mérite de le programmer, monsieur le ministre, même s'il a coulé beaucoup d'eau sous le pont d'Avignon et d'autres festivals de l'été 2003. C'est une initiative heureuse et nous nous en réjouissons sur tous les bancs.

Le temps est venu de regarder un peu plus loin que le problème, si crucial soit-il, de l'assurance chômage, qui a fait découvrir à la France en vacances, en juillet de l'an dernier, la notion d'intermittent du spectacle qu'elle ignorait superbement.

Le temps est également venu d'entendre la voix des élus de la nation après celle, si respectable soit-elle, des partenaires sociaux, qui d'ailleurs, dans cette affaire, n'ont pas été si partenaires que cela. Il y a eu des fractures importantes entre les organisations patronales et les syndicats, et au sein même de ces derniers où ne régnaient ni l'unanimité ni même la convergence. Il appartient aujourd'hui aux élus de la nation de définir la place des artistes et de la création dans notre société ainsi que le champ de la solidarité qui doit être mise en œuvre à leur égard.

Peut-on, mes chers collègues, s'interroger sur le statut des artistes et le financement des emplois culturels sans poser en même temps la question fondamentale des fonctions que remplit le spectacle vivant dans notre pays ?

Si la crise de l'été 2003 a eu au moins un aspect positif, c'est bien de fonder sur des bases solides le lien, fait de reconnaissance, d'attente et de soutien, entre les artistes et la nation.

Les dangers qui nous menacent sont la pensée, les comportements et l'action conformistes, généreusement amplifiés par les médias, ainsi que les préjugés et la passivité. Jamais la télévision n'instaurera entre les créateurs et le public un rapport aussi fructueux, aussi charnel, que ne le fait la participation à un concert, à une pièce de théâtre ou à un spectacle de rue.

Un autre danger est la marchandisation progressive de la culture, qui tourne à l'industrie avec ses ratios de gestion et de rentabilité. Gardons-nous d'une telle évolution qui porte en germe la disparition à terme du service public culturel. Nous devons combattre en faveur de la diversité dont nous devons préserver la dimension, tant française qu'européenne, car elle constitue le socle de notre civilisation.

Selon moi, les fonctions du spectacle vivant sont au nombre de quatre.

Il s'agit d'abord de développer l'accès à la culture. C'est l'impératif catégorique de la démocratisation, tel que l'avait posé Malraux, et que nous n'avons jamais atteint. Depuis une dizaine d'années, nous n'avons pas enregistré de progrès spectaculaires s'agissant de la diversité, de l'origine et de la formation du public. La mission parlementaire incite d'ailleurs à renouveler et à élargir l'accès à la culture.

Le spectacle vivant contribue aussi à la cohésion sociale. Le sens de la fête, le partage des valeurs et le respect des autres se retrouvent à l'occasion de manifestations auxquelles nous appellent les arts de la scène, de la rue et du cirque, pour ne mentionner que les principales.

L'animation de nos villes et de nos villages est également une fonction importante du spectacle vivant. Elle participe à l'attractivité de notre territoire et du tourisme et nous devons y concourir.

La dernière fonction du spectacle vivant est à caractère économique. Comme le montre le rapport Guillot, la valeur ajoutée du secteur du spectacle vivant est de l'ordre de 11 milliards d'euros et est comparable à celle des industries aéronautique, navale et ferroviaire réunies.

Les emplois directs sont au nombre de 300 000, compte tenu de l'approximation qui s'attache à un dénombrement toujours incomplet, soit autant que dans la production automobile. Comme l'a montré la mission parlementaire, les professionnels de la culture représentent un socle encore plus large, de l'ordre de 430 000 personnes.

Or tout ce secteur est plongé dans de graves difficultés : les effectifs augmentent plus vite que les revenus et, de ce fait, la durée des contrats a été divisée par quatre, les revenus diminuent et 80 % des intermittents indemnisés, soit 80 000 personnes, ont un salaire de référence inférieur à 1,1 SMIC. La précarité s'étend, surtout chez les jeunes et les jeunes troupes qui peinent à trouver leur place dans ce fragile équilibre. L'accord du 26 juin 2003 n'a rien résolu. Il est donc urgent de le rediscuter.

La culture n'est pas un élément subalterne ou, comme vous vous plaisez à le dire, la cerise sur le gâteau. Elle est le superlatif de la vie, ce qui, déclarait Malraux, permet de dire que l'homme est autre chose qu'un accident de l'univers. Voilà ce qu'est la culture, et nous sommes là pour la promouvoir et pour l'encourager.

Monsieur le ministre, vous avez bien défini les enjeux. Nous devons construire un système plus équitable, plus pérenne et plus solidaire de l'emploi culturel, s'agissant du financement, de la formation des artistes et des techniciens et de l'indemnisation du chômage, dans le respect de la liberté de création et de la diversité qui sont les objectifs majeurs auxquels nous sommes tous attachés.

Pour y parvenir, l'État et les collectivités territoriales ne disposent que de marges financières étroites. Il importe donc aujourd'hui de ne plus recourir aux expédients ni aux bricolages et de redéfinir le rôle respectif des partenaires sociaux et de la solidarité nationale. Il incombe aux partenaires sociaux de redéfinir le périmètre de l'accord de juin 2003 en définissant de façon plus stricte les métiers ouvrant droit au régime d'indemnisation, s'agissant notamment de ceux qui sont liés à la production d'une véritable création artistique.

Quant à la solidarité nationale envers les artistes, les techniciens et les créateurs en général, elle plaide pour une loi d'orientation sur le spectacle vivant. Les propositions figurant dans votre document d'octobre 2004, monsieur le ministre, sont une base de travail intéressante. D'ailleurs, nous disposons depuis quinze ans d'une multitude de rapports, tous intelligents, pertinents et révélateurs des problèmes rencontrés. Il nous faut maintenant passer à l'acte, car c'est le rôle des élus de définir la place qu'occupe l'artiste au cœur de la cité.

Je regrette qu'aucune loi ambitieuse n'ait traité du spectacle vivant dans notre pays, alors qu'il en existe sur les musées, les monuments historiques et les archives.

Quels seraient les grands principes d'une telle loi ?

Le premier est de fonder un véritable service public du spectacle vivant. Il faut affirmer les principes de la liberté et de l'indépendance de la création ainsi que celui de la diversité culturelle. Nous devons donner une base juridique plus précise aux interventions de l'État et des collectivités territoriales, qui doivent porter sur la démocratisation de la culture - diversité, formation et fidélisation des publics - et sur l'éducation artistique trop souvent sacrifiée. Aujourd'hui, la mission de l'école est de rappeler que l'éducation artistique constitue un élément fondamental de la formation de nos concitoyens et du pacte social.

Les instruments pour y parvenir se trouvent dans des contrats de projet avec les établissements, dans la transparence des financements et des nominations, en encourageant notamment le recours aux candidatures sur projet.

Un autre objectif de cette future loi d'orientation consiste à répartir clairement les compétences entre l'État et les collectivités territoriales. Pourquoi la culture a-t-elle échappé depuis vingt ans à la décentralisation ? Il ne s'agit pas d'agir dans la précipitation, mais de repositionner les missions respectives de l'État et des collectivités territoriales. L'État, trop souvent empêtré dans des tâches et des financements dispersés, possède trois responsabilités éminentes : garantir, notamment la cohérence, encourager, avec le régime des aides au spectacle vivant, et évaluer, avec le concours du Parlement et des collectivités territoriales. L'État doit conserver uniquement la tutelle des grands établissements, revoir le dispositif des labels, aujourd'hui inutilement complexes et souvent virtuels, et renforcer l'éducation artistique, l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation. Telles sont les missions fondamentales que l'État ne doit pas aliéner.

Quant aux collectivités territoriales, elles doivent conclure entre elles des partenariats par le biais de contrats de développement culturel et artistique et de financements conjoints - expression qu'il faut préférer à celle, impropre, de financements croisés. Très critiqués, ces derniers constituent pourtant la seule manière d'associer des collectivités de rang différent à un service public de grande ambition. À cet égard, la formule de l'établissement public de coopération culturelle est à recommander, tout au moins si l'on en juge par l'application que nous en avons faite pour l'Opéra de Rouen, et qui s'est avérée tout à fait concluante. Ce système permet en outre de mettre le service public culturel, dont il importe de préserver la continuité, à l'abri des alternances politiques.

Dernier objectif, enfin : assurer, par de nouveaux outils, la solidarité et l'équité indispensables à la vitalité du spectacle vivant. Bien sûr, il faut maintenir le principe du soutien public aux arts de la scène et de la rue et consacrer l'intermittence. Mais il faut aussi - même si ce point pose des difficultés d'ordre juridiques - adapter le droit commun au régime particulier et aux pratiques spécifiques du spectacle vivant. L'intermittence est ainsi consubstantielle à l'activité de création.

La tâche est rude, exigeante. Il est temps, je crois, de l'entreprendre, monsieur le ministre, tant il est vrai que la formation, la recherche et la culture sont les clés de l'innovation dans nos sociétés. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, porte-parole du groupe des députés-e-s communistes et républicains.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le lancement, avec la représentation nationale, d'une réflexion sur le devenir du spectacle vivant est une heureuse initiative, qu'il convient d'inscrire dans une vision d'ensemble de la place des arts et de la culture en France. J'invite d'ailleurs votre gouvernement, monsieur le ministre, à inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale un débat de fond sur l'ensemble de notre politique culturelle.

Historiquement, la France a toujours été à la pointe d'une pensée engagée, fondée sur l'implication de l'État, notamment sous l'impulsion d'André Malraux. La politique culturelle de ce dernier avait pour but de déverrouiller l'accès à la culture et à la création artistique.

Quarante-cinq ans après la création des maisons des jeunes et de la culture - pour n'emprunter qu'un exemple à l'œuvre de ce ministre -, je défends l'idée que la suprématie d'un financement public est capitale pour garantir l'intérêt général et préserver une activité culturelle libre et indépendante des intérêts privés. Il est essentiel de sortir les arts et la culture des contingences du marché. C'est l'essence même de l'exception culturelle française - qu'on a aujourd'hui trop tendance à appeler « diversité culturelle ». Cette ruse sémantique ne trompe personne. Pour moi, la diversité culturelle est une donnée de fait qu'il convient, nul ne le conteste, d'élever à la dignité d'une cause à défendre et d'une valeur à promouvoir. L'exception culturelle, elle, est un acte politique qui refuse d'assimiler les œuvres de l'esprit à des marchandises, et légitime ainsi une pratique propre à faire prévaloir cette singularité.

La France est au premier rang de ce combat pour la liberté de création et d'expression. Veillons à ce qu'elle le demeure.

Ce qui a fondé l'originalité de la politique culturelle de notre pays est aujourd'hui confronté à des réalités moins optimistes : les pratiques culturelles sont trop dépendantes des appartenances sociales. Sans chercher à polémiquer inutilement ici, je regrette que l'action gouvernementale soit moins disposée à investir des fonds d'État dans ce que je considère comme l'une des missions majeures de la République : l'égalité d'accès à la culture.

Je m'interroge : comment pérenniser une action culturelle de qualité, comment réinventer le rôle régulateur de l'État dans une France où le Gouvernement désengage financièrement la nation de ses obligations et se désolidarise des collectivités locales au travers de transferts de compétences non accompagnés de ressources complémentaires ?

M. Patrick Bloche. Très juste !

M. Frédéric Dutoit. Aujourd'hui, quasiment 50 % des financements publics de l'offre culturelle reposent sur les collectivités territoriales et locales - sur leur bon vouloir, mais aussi sur leurs capacités financières. Autrement dit, les artistes et les publics n'ont plus droit à un égal traitement de l'activité culturelle sur l'ensemble du territoire national. Comment, également, libérer les artistes du tête-à-tête avec les collectivités publiques et les préserver, ici ou là, de quelques velléités clientélistes ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Des noms !

M. Frédéric Dutoit. Tous ces questionnements méritent une réflexion ouverte - ouverte sur l'avenir, afin de corriger de qui peut et doit l'être. Ainsi, selon la Direction des études et de la prospective du ministère de la culture et de la communication, la durée moyenne des contrats des artistes est passée de vingt-huit jours en 1987 à sept jours en 2000 ; 42 % des entreprises culturelles n'ont aucun salarié permanent.

Face à cette réalité complexe, je vous invite, monsieur le ministre, à accepter la proposition de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture, qui consiste, à l'initiative de l'État et des régions, à mettre partout en place des observatoires régionaux des politiques culturelles. Ils seraient tout particulièrement centrés sur la place de la création artistique dans les politiques culturelles présentes sur le territoire, l'égalité d'accès des habitants aux pratiques artistiques et culturelles, la prise en compte des pratiques émergentes et l'emploi culturel.

Nous le savons toutes et tous ici, les arts et la culture ont besoin d'une politique nationale prospectiviste, d'une vision d'avenir. L'objectif doit être d'offrir à tout individu, et tout au long de son existence, quelles que soient ses origines et ses conditions de vie, un libre accès à l'offre culturelle et artistique ainsi qu'à une ou plusieurs pratiques artistiques ou culturelles. À cette fin, je pense qu'il est urgent de voir l'Éducation nationale donner priorité à l'enseignement artistique à l'école et à l'intervention des artistes et des professionnels de la culture dans les établissements scolaires et universitaires.

La présence des arts et de la culture dans des espaces et supports accessibles à tous doit être renforcée à travers la multiplication et la diversité des sources d'information.

Le succès remporté par les festivals d'Avignon, d'Aix-en-Provence ou de Marseille peut susciter des actions en profondeur, inscrites dans la durée et facilitant l'adhésion des publics. L'établissement de liens plus étroits avec les différentes composantes de la population, dans le but de favoriser la connaissance et l'expression des diversités culturelles, doit procéder d'une démarche volontaire de l'ensemble des acteurs culturels, de tous ceux qui, à un titre ou un autre, assurent une présence ou une intervention spécifique auprès de la population.

La démocratisation de l'accès à la culture suppose par ailleurs la mise en place de mesures tarifaires et d'actions en matière d'information et de formation impliquant les services de l'État, les collectivités territoriales et locales, les acteurs sociaux.

L'exigence démocratique conduit à nourrir le débat collectif et la vie sociale d'une présence forte de la création artistique en créant les conditions les plus favorables à son développement et à la diffusion des œuvres.

Les artistes ont le désir de trouver un contexte favorable à l'exercice et à la démonstration de leur talent et de leur esprit critique. De même, il leur est nécessaire de se trouver dans des situations d'émulation et de confrontation, de s'immerger dans les débats actuels et d'anticiper les transformations de la société. Il leur faut également rompre leur isolement et trouver des relais institutionnels publics et privés.

Dans le domaine du spectacle vivant, la stratégie de rééquilibrage de l'offre culturelle implique que soient renforcés les moyens de l'action culturelle et artistique. L'État doit, me semble-t-il, se donner pour objectif la création ou l'aménagement d'équipements, le soutien à des initiatives structurantes et le développement des réseaux professionnels, tout en encourageant, chaque fois que c'est possible, le croisement des disciplines.

Un soutien raisonné aux industries culturelles doit garantir le maintien et le développement d'une création et d'une diffusion diversifiées, indépendantes et libres. L'intervention des pouvoirs publics est non seulement légitime mais indispensable pour favoriser ce dessein.

La culture ne peut ni ne doit s'enfermer dans l'institution. Il faut de tout pour faire une culture vivante. Elle est à la fois patrimoine et nouveauté. C'est pourquoi elle ne peut se réduire à la politique culturelle des pouvoirs publics. Il y aura toujours plus de culture que ne peut en contenir une politique, même la plus ouverte à l'invention et à l'audace, et c'est tant mieux.

Cela ne doit pas pour autant légitimer le désengagement de l'État et des collectivités publiques, bien au contraire. L'État et les collectivités publiques peuvent incarner ce volontarisme positif qui garantit l'accès au droit de s'émanciper dû à chaque individu par la société.

Je le répète, l'égalité d'accès à la culture doit être un des objectifs de la République.

Le spectacle vivant est l'un des grands atouts de l'offre culturelle. Encore faut-il que les artistes et les techniciens qui montent un programme soient reconnus comme des femmes et des hommes incontournables, essentiels à l'enrichissement des personnalités par la culture et l'expression artistique.

La qualité, la diversité et la pérennité du spectacle vivant reposent en très grande partie sur les intermittents du spectacle. C'est pourquoi je salue publiquement, monsieur le ministre, le rapport que vous avez commandé à Jean-Paul Guillot. Cet expert indépendant, qui a, en peu de temps, réalisé un excellent travail, propose de nouvelles orientations.

En substance, il confirme que « la situation de la majorité des artistes et des techniciens est précaire : ils sont majoritairement intermittents, et parmi ceux qui bénéficient du régime des annexes 8 et 10, celles qui régissent l'assurance chômage des intermittents, plus de 50 % déclarent moins de 600 heures de travail par an et près de 80 % ont un salaire inférieur à 1,1 Smic ».

Il rappelle que « la volonté de maintenir la liberté artistique comme la créativité et la diversité culturelles explique une structuration du secteur moins poussée que dans d'autres domaines et justifie le maintien du principe de l'intermittence ».

Il propose également de « relever la part des emplois permanents et des structures pérennes dans le secteur et d'accroître la durée moyenne de travail annuel rémunéré et des contrats des intermittents ».

Enfin, il considère que « la place du secteur dans l'économie, d'une part, et les spécificités des artistes et des techniciens, d'autre part, justifient le maintien du secteur dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle avec un régime spécifique. Bien entendu, la reconnaissance du principe de l'intermittence entraîne nécessairement celle d'un système d'assurance chômage qui prenne en compte ses spécificités ».

Pourquoi reprendre ces quelques citations ? Tout simplement parce que je partage cette analyse et que je m'inscris totalement dans les principes dessinés ici à grands traits, de même que j'approuve les conclusions de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les métiers artistiques dont je suis membre.

Ce rapport renvoie aux négociations des conventions collectives, à l'adoption d'un vrai plan pour l'emploi ; il réclame de fait un volet « financement ». J'observe qu'en l'état, le seul budget de la culture est incapable de répondre à ces objectifs sans porter atteinte au niveau de la création et de l'expression culturelles. Sans volet « financement », le risque est donc grand de voir l'État impulser une nouvelle politique de l'emploi, tout en renvoyant la part essentielle de ce financement aux collectivités territoriales et locales. Êtes-vous en capacité, monsieur le ministre, de rassurer les professionnels du spectacle et les collectivités territoriales et locales sur ce point ?

Je pense par ailleurs qu'il convient d'intégrer dans l'activité professionnelle d'un intermittent tout son parcours : la formation initiale et actualisée, la conception, les répétitions et la présentation des spectacles. Il est normal de ne pas prendre en considération que les seuls cachets. Un intermittent est une femme ou un homme qui crée, invente, s'interroge, se documente, s'inspire de la vie de ses contemporains.

Parallèlement, la possibilité doit être offerte aux artistes, techniciens et réalisateurs de dispenser des formations. Les heures de formation devraient être prises en compte à raison de 169 heures par an, soit un tiers des 507 heures nécessaires à l'ouverture des droits de l'assurance chômage.

M. Michel Françaix. Très bien !

M. Frédéric Dutoit. Sur le fond, j'insisterai sur l'indispensable recours à l'investissement public pour promouvoir le spectacle vivant et sur l'indispensable recours à la solidarité interprofessionnelle du régime de l'assurance chômage pour garantir la liberté d'expression et de création des intermittents.

Aussi, face aux intentions du MEDEF de se désengager de ce dispositif solidaire - c'est tout au moins mon appréciation -, je souhaite entendre ici, monsieur le ministre, la réponse que vous avez faite à une question que je vous ai posée, il y a une semaine, lors de votre audition par la mission d'information sur les métiers artistiques de l'Assemblée nationale présidée par notre collègue Paillé. Même si l'évolution de la position du MEDEF ne semble pas vous inquiéter, confirmez-vous votre attachement indéfectible à la solidarité interprofessionnelle pour accompagner les intermittents ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Oui !

M. le président. Le ministre vous a répondu, monsieur Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Cela figurera au compte rendu.

Ce statut spécifique, pour lequel il est capital de favoriser la rédaction transparente d'un nouveau protocole d'assurance chômage - majoritaire cette fois - est une lecture de l'exception française. Un nouveau protocole pour remplacer la réforme de 2003, qui s'était attirée les foudres des intermittents, s'est révélée inefficace. En effet, le rapport Guillot souligne que « le régime mis en place par le protocole du 26 juin 2003 ne semble pas permettre de réduire le déficit des annexes 8 et 10, contrairement aux objectifs affichés par l'UNEDIC ».

Le déficit n'a pas été réduit - déficit que je qualifierai d'ailleurs de relatif, puisqu'il est de notoriété publique qu'il dépend de l'évolution du chômage et de chiffres qui manquent trop souvent de fondement. Chacun sait que l'UNEDIC réduit les cotisations en période de faible chômage afin de minorer les coûts des entreprises, au lieu de constituer les réserves nécessaires utiles pour les périodes de chômage élevé. Par ailleurs, plus les intermittents travailleront, moins ils auront recours aux prestations des ASSEDIC. Plus ils exprimeront leur talent sur scène ou dans les rues, plus ils rencontreront leur public, moins ils percevront d'indemnités de chômage. C'est une logique d'intérêt général, intéressante pour l'essor du spectacle vivant dans l'offre culturelle de notre pays, pour les artistes et les techniciens du spectacle, pour les finances de l'UNEDIC.

Je reviendrai brièvement sur les finances de l'UNEDIC à travers trois observations.

D'abord, je vous félicite,monsieur le ministre - une fois n'est pas coutume -,d'avoir décidé de renouveler, jusqu'à la conclusion d'un nouveau protocole, le fonds spécifique provisoire, transitoire pour 2005, mis en place le premier juillet 2004 et qui permet d'indemniser les intermittents ayant effectué 507 heures de travail sur une période de douze mois avec date anniversaire - ce que ne prend pas en compte l'accord conclu avec le MEDEF. Les indemnités journalières de chômage doivent impérativement être versées sur douze mois à date anniversaire.

Ensuite, j'insiste pour que des dispositions soient prises afin de faciliter une meilleure transparence des données concernant les intermittents. Il convient, afin de prendre de la hauteur sur les événements à partir de données les plus objectives possibles, de favoriser activement le croisement des fichiers de l'UNEDIC et de la caisse des congés payés des intermittents. C'est chose faite.

Enfin, il convient d'associer tous les acteurs de ce dossier d'actualité à la recherche de solutions pérennes. J'estime, en effet, qu'il est opportun d'associer à la réflexion l'ensemble des partenaires sociaux concernés. Outre les cinq grandes centrales syndicales de salariés reconnues par les lois de la République, il me semble logique d'inviter à ce tour de table toutes les structures auxquelles les intermittents font confiance. Les partenaires sociaux doivent refléter l'évolution du mouvement social, l'évolution de la société. C'est à mon avis un gage d'efficacité sociale et économique, y compris pour les arts et la culture. Est-ce déraisonnable ? Assurément non. Ce serait très efficace dans la perspective d'une loi d'orientation. J'en veux pour preuve la manière de fonctionner du comité de suivi du protocole sur l'assurance chômage des intermittents où des députés et sénateurs de tous les horizons républicains ont réfléchi avec toutes les parties concernées. Ce comité de suivi, présidé par notre collègue Étienne Pinte et auquel j'appartiens, a avancé des propositions pertinentes, aujourd'hui plus que jamais d'actualité, et qui rejoignent les conclusions du rapport de la mission d'information de l'Assemblée et du rapport Guillot.

Le mouvement des intermittents du spectacle, par-delà notre approche plurielle de ce dossier, a eu le mérite de révéler au grand public la place vitale du régime d'assurance chômage des intermittents dans la vie culturelle française. La France devra mobiliser ses énergies et ses intelligences pour empêcher que son exception culturelle n'entre dans le champ de la « concurrence libre et non faussée » chère aux défenseurs du projet de Constitution européenne. Il y a, là aussi, des enjeux de civilisation sur lesquels les Français, et les gens du spectacle, en particulier, ont tout intérêt à être très attentifs.

Quant à nous, monsieur le ministre, nous serons toujours présents dans ce débat pour créer les conditions d'une culture de notre temps, d'une culture du XXIsiècle. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Paillé, porte-parole du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Dominique Paillé. Monsieur le ministre, permettez-moi tout d'abord, au nom du groupe UMP, de vous remercier pour l'initiative que vous avez prise d'organiser ce débat sur l'avenir du spectacle vivant. Permettez-moi également de vous féliciter d'avoir réussi à faire présider la séance par le président Jean-Louis Debré et à réunir quatre des six présidents de commission. Cela montre l'intérêt que nos collègues portent à la culture et le crédit qui est le vôtre ; le corollaire en est l'obligation de résultats !

Ce débat est une première dont nous nous réjouissons. Elle est de bon augure, car elle confirme votre volonté d'associer étroitement la représentation nationale à la définition de la politique culturelle de notre pays. Nous l'avions déjà constaté au sein de la mission d'information sur les métiers d'artistes, qui a rendu ses conclusions il y a deux jours, et nous y avons été très sensibles, comme nous l'avons été à l'opiniâtreté et à la volonté dont vous avez fait preuve, depuis votre arrivée au ministère, pour traiter objectivement, dans le dialogue et la transparence, la question de l'intermittence dont la résolution apparaît, en tout cas aux élus UMP, en bonne voie.

M. Jean-Pierre Brard. Vous voulez dire qu'Aillagon n'était pas bon ?

M. Dominique Paillé. L'excellent rapport de Christian Kert, adopté à l'unanimité par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, expose notre vision et notre volonté en ce domaine. Il confirme les orientations de notre rapport d'étape de mars 2004. Nous avons eu le plaisir de constater que vous en avez retenu de nombreuses. À partir de là, et sans aucune modestie, nous en avons déduit que vous agissiez dans la bonne direction. Nous resterons, bien sûr, à vos côtés pour trouver dans les meilleurs délais une solution définitive à cette crise fort dommageable pour la sérénité nécessaire à la créativité du domaine culturel et qui, si nous n'y avions pas pris garde, aurait pu conduire à une césure dramatique entre les artistes et techniciens du spectacle et nos concitoyens.

M. Jean-Pierre Brard. Mais qui avait validé l'accord ?

M. le président. Monsieur Brard, ne jouez pas les souffleurs.

M. Jean-Pierre Brard. Je ne joue pas les souffleurs, monsieur le président, je veux permettre à M. Paillé d'aller jusqu'au bout de son propos !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Paillé.

M. Dominique Paillé. À l'occasion de ce débat, je voudrais non pas revenir sur cette crise, mais insister sur quelques points qui me semblent très importants pour l'avenir du spectacle vivant.

Tout d'abord, il est nécessaire de soutenir une politique offensive de conquête du public. C'est une œuvre de longue haleine qui passe par la relance de la présence artistique en milieu scolaire...

M. Michel Françaix. Il y a du travail !

M. Dominique Paillé. ...- mon collègue, M. Kert, vous précisera plus en détail sur ce point nos positions -, par des programmations accessibles au plus grand nombre pour donner le goût du spectacle, et par le déplacement des artistes et de la production des œuvres sur les lieux de travail ou dans des sites non conventionnels. Il faut aller à la rencontre des publics qui, spontanément, ne se rendent pas dans les salles.

Il faut également, vous y avez fait référence, encourager les pratiques amateurs. Aujourd'hui, comme la mission l'a souligné, il n'y a plus vraiment de frontières entre les secteurs artistiques et socioculturels. Il existe des lieux très subventionnés qui font très peu de spectacles et beaucoup d'accueils de pratiques amateurs. Le résultat, c'est que, bien souvent, on professionnalise inutilement des amateurs qui ne prennent pas toujours la mesure de ce qu'est un véritable métier artistique, ce qui conduit, parfois, à un véritable gâchis humain et crée souvent des frustrations. Les premiers doivent voir leur statut consolidé par des conventions collectives, la validation des acquis de l'expérience et un renforcement de leur protection sociale. Les seconds, les amateurs, doivent être reconnus et se voir proposer un cadre de développement clairement différencié des activités professionnelles.

Enfin, il me semble évident qu'il faut encourager les structures de spectacle vivant à se doter de missions de médiation, chargées d'accueillir les artistes et de les aider à élaborer des projets avec la population en ayant pour objectif de favoriser la cohésion sociale et, là aussi, d'attirer de nouveaux publics.

En deuxième lieu, il serait opportun de réviser le mode de financement du spectacle vivant. Augmenter les crédits est sans doute souhaitable. Je vois que l'attention de Pierre Méhaignerie est totale, alors que je prononce cette phrase. Monsieur le président de la commission des finances, il est possible de faire mieux.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. C'est vrai !

M. Dominique Paillé. Cela suppose que soient mises en œuvre un certain nombre de mesures. Ainsi, il faudrait clarifier les rôles de l'État et des collectivités locales, ce qui pourrait se traduire par une coopération contractuelle pour la mise en place de fonds régionaux pour le spectacle vivant. Cette clarification des rôles doit intervenir dans le cadre d'une connaissance parfaite du milieu, qui passe par la création préalable d'un réseau d'observatoires régionaux de l'emploi et des métiers artistiques. Elle doit se poursuivre par l'élaboration de contrats d'objectifs avec les structures subventionnées, contrats qui permettront une plus large diffusion des spectacles et œuvres créés par le biais des aides publiques. Il est urgent de redéfinir les missions de service public « liées au subventionnement ».

Au-delà, il serait opportun de créer, à l'instar du CNC qui a fait ses preuves, un Centre national du théâtre, chargé de la répartition des aides à l'ensemble du secteur, ce qui aiderait à nouer un dialogue singulièrement absent entre secteur public et secteur privé, à créer des synergies et à rationaliser l'utilisation des structures.

Une étude récente, qui n'est pas encore publique, d'un de mes collègues sénateur tendrait à prouver que 80 % des subventions versées dans le domaine culturel bénéficieraient à seulement 4 % des structures et associations concernées. Si ces chiffres étaient confirmés, ils prouveraient, monsieur le ministre, combien il est urgent d'agir en ce domaine pour parvenir à beaucoup plus d'équité.

Le troisième point concerne l'accompagnement des efforts nécessaires de structuration des secteurs artistiques concernés. Le spectacle vivant est le domaine de la micro-entreprise. Ses conséquences sont évidentes en termes d'emploi et de capacité financière. S'il est, bien sûr, nécessaire d'attribuer avec plus de discernement la qualité d'entreprise du spectacle, il ne faut pas pour autant étouffer la création en réduisant à l'excès l'octroi de ce label. C'est pourquoi il faut mutualiser les moyens de ces micro-entreprises en leur donnant une structure d'accueil qui mettra à leur disposition le minimum de compétences permanentes dont elles ont besoin pour vivre et se développer. Cette démarche peut s'inscrire dans le cadre de contrats clairs avec les régions.

Enfin, et ce sera mon dernier point et peut-être le plus polémique, il convient, me semble-t-il, de dépoussiérer le théâtre public en ouvrant notamment les directions de ces structures.

À l'évidence, les circuits de décision sont très lourds et la sclérose semble guetter certaines directions. Il ne s'agit pas ici d'effectuer un quelconque procès, mais personne ne peut nier qu'il existe une certaine fonctionnarisation des responsables des théâtres publics, qui, bien souvent, se cooptent entre eux.

M. Jean-Pierre Brard. Ça sent le commissariat politique !

M. Dominique Richard. C'est un expert qui parle !

M. Dominique Paillé. La conséquence en est une programmation qui manque parfois d'audace et souvent de clairvoyance.

Il faut donc, pour reprendre l'une de vos expressions, monsieur le ministre, faire bouger les lignes, non pas pour le plaisir de les faire bouger, mais parce qu'il est nécessaire d'avoir des visions nouvelles, des appétits de réussite, des volontés de remplir totalement les missions de service public que seule une transgression des habitudes ou des pesanteurs peut assurer. Un examen collégial des candidatures pourrait sans doute y aider. Je ne suis pas pour le centralisme démocratique, vous l'avez bien compris.

M. Jean-Pierre Brard. Vous le réinventez !

M. Dominique Paillé. De la même manière, attacher à une structure conventionnée un auteur, écrivain ou compositeur en résidence de longue durée aiderait non seulement au décloisonnement que je viens d'évoquer, mais également à la création et à la diffusion des œuvres.

Monsieur le ministre, je n'énonce là que quelques pistes. Certaines d'entre elles figurent dans le rapport Kert qui vous a été remis. Nous sommes bien sûr à votre disposition pour les détailler et vous en préciser les fondements et les contours.

Assurer l'avenir du spectacle vivant est une tâche exaltante qui ne saurait se résumer à ces quelques mesures. Soyez sûr que nous partageons votre grande détermination pour la mener à bien. Même s'il faut du temps et de la constance politique pour y parvenir, c'est une œuvre fondamentale pour nos concitoyens et pour le rayonnement de notre pays, et nous n'avons pas le droit de faire relâche. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, porte-parole du groupe socialiste.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le ministre, la culture et l'art sont trop souvent absents de cet hémicycle depuis deux ans pour que nous boudions le plaisir d'un tel débat, mais pourquoi le Gouvernement ne l'a-t-il pas organisé quand les artistes étaient dans la rue pour demander la renégociation de l'accord UNEDIC ?

La pièce qui s'est jouée dans ces mois de tumulte allait bien au-delà de l'avenir du régime de l'intermittence. Elle posait tout simplement la question de la démocratie culturelle et de l'accès de tous aux disciplines artistiques. On vous interpellait sur la définition d'une politique malmenée par l'austérité budgétaire, vous répondez par une accumulation de rapports et de débats sans affirmer vraiment vos choix.

Plus politique sans doute, et plus habile peut-être que votre prédécesseur, vous avez troqué la brutalité du fait accompli pour une compassion anesthésiante.

M. le ministre de la culture et de la communication. Oh ! Vous êtes gonflé !

M. Jean-Marc Ayrault. Je vous ai bien écouté !

Le régime de l'intermittence appelait pourtant une réforme. Les professionnels et les artistes y étaient prêts, comme l'atteste le contre-projet qu'ils avaient présenté durant le conflit. Las ! Votre gouvernement, en donnant son agrément, a préféré la mise en place hâtive du protocole voulu par le MEDEF et rejeté par l'ensemble du monde artistique, obstination absurde qui a entraîné les annulations de spectacles et de festivals, provoqué une rupture entre l'État et les artistes et brisé le dynamisme des années de développement volontariste de la culture dans notre pays.

Aujourd'hui, le rapport de Jean-Paul Guillot confirme ce que le Gouvernement n'a jamais voulu entendre. Ce protocole est un mauvais accord. Il repose sur un chiffrage contesté et ne permet en rien de réduire le déficit des annexes 8 et 10. Pis, aucun des abus dénoncés hautement par M. Aillagon et vous-même n'a été résorbé. À l'exception de France Télévisions, les sociétés de production continuent en toute impunité de recourir à l'intermittence. Comment pourrait-il en être autrement quand le Gouvernement supprime les moyens de contrôle de l'inspection du travail prévus à cet effet ?

Sans doute avez-vous renoué les fils du dialogue, mais aucun de vos interlocuteurs n'a réellement compris ce que sont vos objectifs, et votre intervention de ce matin ne nous éclaire pas davantage.

Vous êtes, monsieur le ministre, au pied de la scène. Les partenaires sociaux vont se retrouver pour de nouvelles négociations, en tout cas je l'espère. Quelles sont vos réelles propositions - au-delà du provisoire qui, depuis ce matin, devient transitoire - pour sauvegarder un régime équitable des intermittents ? J'ai le sentiment, après vous avoir écouté, que votre seul vrai programme, c'est de gagner du temps, le plus de temps possible, peut-être jusqu'au prochain changement de Premier ministre et de gouvernement.

Vous ne pouvez plus vous contenter d'en appeler aux collectivités territoriales pour qu'elles assument de nouveaux financements, pour qu'elles éteignent l'incendie que votre majorité a allumé et si mal géré.

M. le ministre de la culture et de la communication. C'est totalement faux !

M. Jean-Marc Ayrault. Dois-je vous rappeler que, déjà, le financement du spectacle vivant est assumé aux deux tiers par les collectivités locales, dont 47 % directement par les villes, et seulement pour un tiers par votre ministère.

M. Marc Bernier. Ce n'est pas nouveau !

M. Jean-Marc Ayrault. C'est une constante de votre gouvernement, nous l'avons encore vu avec la loi Borloo. L'État est prescripteur, il n'est jamais ou il est rarement payeur. Ce désengagement s'applique dans tous les domaines de votre politique.

Prenons d'abord l'exemple du patrimoine. Avec un important déficit en crédits de paiement prévu en 2005, les DRAC ne peuvent plus poursuivre les chantiers de restauration engagés. À Nantes, la façade de la cathédrale témoigne de vos abandons. Restaurée aux deux tiers, elle a vu soudainement son chantier arrêté faute des crédits promis par l'État

Et que dire du spectacle vivant dont nous sommes censés débattre aujourd'hui ? Un autre rapport, celui de votre directeur de la musique, de la danse, du théâtre, du spectacle, annonce deux priorités majeures : l'ouverture à de nouveaux publics et l'affirmation de la place de l'artiste au cœur de la cité. Il s'agit de belles intentions qui donnent lieu à un catalogue très fourni de propositions anciennes et aux habituelles incantations sur le soutien aux pratiques amateurs, mais de chiffrage, de calendrier, de colonne vertébrale, il n'y en a point.

Sans doute ne voulez-vous pas effrayer ceux à qui vous tendrez la facture, car ce ne sont pas les 12 millions d'euros de mesures nouvelles pour le spectacle vivant...

M. le ministre de la culture et de la communication. Vingt-huit millions !

M. Jean-Marc Ayrault. ...qui répondront à l'élargissement des publics, à l'emploi et à la place de l'artiste au cœur de la cité, 1,6 % d'augmentation, soit moins que l'inflation.

Le plus grave à mes yeux, car elle illustre la conception étroite et élitiste de votre approche, je ne parle même plus de politique, c'est la grande déshérence de l'éducation artistique.

M. Patrick Bloche. Absolument !

M. Jean-Marc Ayrault. Chaque année depuis son accession aux affaires, votre gouvernement rabote les crédits et les personnels enseignants affectés au plan Tasca-Lang de revalorisation de l'éducation artistique à l'école. De coupes sombres en coupes claires, les classes APAC sont vidées de leur substance. Les ministères de la culture et de l'éducation sapent ainsi l'une des fondations de la démocratie culturelle : l'accès de tous les jeunes à la connaissance et à l'apprentissage des arts. Le seul modèle qui restera à leur portée sera la Star Acamedy ou Les Enfants de la télé.

M. Pierre Hellier. Chers à Fabius !

M. Jean-Marc Ayrault. Est-ce là le socle commun de connaissances que l'on veut promouvoir ?

La même réflexion s'applique aux écoles des beaux-arts et aux conservatoires oubliés à ce jour dans l'harmonisation européenne des diplômes, les LMD, en dépit des accords que la France a signés à Bologne. Quant à leur financement, les collectivités paieront et l'État sera toujours aux abonnés absents.

C'est là, monsieur le ministre, que nos visions divergent. Pour vous et votre majorité, la culture se réduit à un divertissement d'accompagnement...

M. le ministre de la culture et de la communication. Dommage que vous n'ayez pas été là au moment de mon discours !

M. Jean-Marc Ayrault. ...reposant sur la puissance de grands groupes industriels et le bon vouloir des collectivités locales. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Méhaignerie. C'est caricatural !

M. Dominique Paillé. C'est vraiment n'importe quoi !

M. Jean-Marc Ayrault. Elle s'inscrit au contraire à mes yeux dans un projet de société. L'accès à l'art et la culture participe de l'intégration sociale et de l'égalité des chances.

M. Dominique Paillé. On l'a dit !

M. Jean-Marc Ayrault. Il ne suffit pas de le dire, il faut le faire !

Regardez toutes ces villes qui ont fait de la culture un levier de développement urbain, un instrument de rayonnement économique et un outil de cohésion sociale.

M. le ministre de la culture et de la communication. Comme en Languedoc-Roussillon, par exemple !

M. Jean-Marc Ayrault. Tous les contrats de plan que nous avons signés avec l'État portent cette empreinte, non par gloriole, non par goût du strass et de la paillette, mais parce que la culture est une ouverture au monde. J'ai en mémoire les Folles journées de Nantes, qui mettent le répertoire classique à la disposition de tous les publics. J'ai en exemple ces classes de ZEP accomplissant des stages de formation à l'opéra Bastille : des dizaines de jeunes y découvrent les disciplines de l'art lyrique, les solidarités des chœurs, la beauté magnifique de métiers dont ils ignoraient même l'existence. Dans cet apprentissage qui renvoie au succès nostalgique du film Les choristes, l'art devient un creuset d'éducation et d'émancipation sociale. C'était le rêve de Jean Vilar, de Malraux et, plus près de nous, de Jack Lang : mettre les arts à la portée de tous, y forger une conscience citoyenne. Qu'en adviendra-t-il si l'État n'assume plus cette mission première ?

À l'heure où les canaux de télévision se multiplient, où Internet et les autoroutes de l'information ouvrent de nouvelles portes d'accès au pluralisme culturel, votre ministère se rabougrit dans une police du piratage musical. Piètre dessein pour de pauvres moyens.

Il est temps de sortir de cette politique de défausse. L'extraordinaire floraison d'initiatives artistiques dans les villes et les régions et le développement d'une industrie culturelle florissante appellent une redéfinition en profondeur des missions de votre ministère à laquelle vous refusez obstinément de procéder. Vous vous contentez de gérer son déclin budgétaire et protocolaire,...

M. le ministre de la culture et de la communication. C'est faux !

M. Jean-Marc Ayrault. ...estimant que le privé et les collectivités pourvoiront aux besoins.

M. le ministre de la culture et de la communication. Le budget est en augmentation de 6,5 % !

M. Jean-Marc Ayrault. Il y a des vérités qui blessent, monsieur le ministre ! En tout cas, nous voyons ce qui se passe sur le terrain !

Terrible contresens. Si l'État n'a pas à dire le beau ou a décréter un art officiel, il est de son rôle de promouvoir la culture comme instrument d'éducation et comme représentation d'une identité nationale.

Oui, nous avons besoin d'un « contrat social » fondé sur l'éducation, la culture pour tous, d'une grande politique d'éducation artistique à tous les âges, fondée sur l'initiation, la pratique amateur, la rencontre de créateurs et d'artistes professionnels, la formation du spectateur et la formation professionnelle. C'est une ambition démocratique pour l'égalité et l'accès de tous à l'art et à la culture.

Cette ambition ne sera pas atteinte sans une véritable décentralisation, concertée, voulue et acceptée par tous.

Où est la concertation ? Où sont les rencontres avec les maires de France, les maires des grandes villes qui ont toutes les charges de la centralité ? Où sont les séances de travail avec les présidents de région, de département ? Quand le Conseil national consultatif des collectivités territoriales du ministère de la culture s'est-il réuni ?

Ces débats doivent avoir lieu sur l'ensemble de la politique artistique et culturelle. Nous avons besoin d'une loi d'orientation sur la culture qui mobilise tous ses acteurs.

M. le ministre de la culture et de la communication. Jack Lang a parlé d'une loi de programmation !

M. Jean-Marc Ayrault. Un pays ne se résume pas à ses statistiques. Sa créativité, sa diversité culturelle, ses prises de risque artistiques expriment sa vitalité, sa capacité à l'innovation, sa volonté de porter un mouvement de progrès, son refus absolu du déclin.

Aujourd'hui plus que jamais, monsieur le ministre, il manque au Gouvernement non seulement l'art et la manière, mais un dessein de société et de civilisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Vous avez tenu, monsieur le ministre, à ce soit organisé au Parlement un débat d'orientation sur les métiers artistiques et le spectacle vivant, je tiens à vous en remercier au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Nous sommes sensibles aux efforts que vous déployez depuis plusieurs mois pour que 2005 ne soit pas « un espace vide ou de reconduction des problèmes que nous avons connus dans le passé ». Nous partageons vos préoccupations. C'est d'ailleurs ce qui a motivé la constitution au sein de notre commission d'une mission d'information sur les métiers artistiques en France, animée par Dominique Paillé et Christian Kert, que je félicite ici.

La crise ouverte par la réforme du régime d'indemnisation des intermittents a révélé une mutation que presque personne n'avait vu venir et s'installer,...

M. Jean-Pierre Brard. Pas vous en tout cas !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. ...la banalisation, la prolifération et la professionnalisation des métiers artistiques.

La massification des « travailleurs » classés dans le secteur artistique constitue bel et bien le phénomène nouveau. Ce secteur occuperait aujourd'hui environ 300 000 personnes, un poids comparable à celui de l'industrie de l'automobile. Aux bénéficiaires du régime officiel des intermittents, il faut en effet ajouter les autres professionnels du domaine culturel, les permanents et tous les hors statut, que je ne citerai pas ici mais dont nous savons tous qu'ils sont très nombreux.

Tantôt paria, banni par Platon, tantôt - jusqu'à l'époque de Molière - victime d'excommunication,...

M. Jean-Pierre Brard. Là, c'est par le Vatican !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. ...tantôt individualité séparée revendiquant l'autonomie de sa création face aux normes collectives - Baudelaire, par exemple -, l'artiste a aujourd'hui acquis indépendance et dignité au sein de la cité. Sa figure romantique de maudit, d'isolé et de misérable, avant une reconnaissance tardive ou d'outre-tombe, s'est estompée.

M. Patrick Bloche. Heureusement !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. L'artiste jouit désormais d'un prestige social. Il engrange des profits symboliques, qui, dans notre société du spectacle, peuvent parfois se transformer en profits matériels.

Il faut dire que la culture et l'art ont gagné une importance toujours plus grande et plus générale à l'intérieur de nos sociétés.

M. Jean-Pierre Brard. C'est vrai. Sylvie Vartan a reçu la légion d'honneur ! (Sourires.)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. L'expérience esthétique est partagée aujourd'hui par le plus grand nombre, comme en témoigne la fréquentation massive des musées, des salles de spectacle et de cinéma et l'usage du livre.

Ce phénomène est lié, selon certains, à l'évolution vers une « économie quaternaire ».

M. Jean-Pierre Brard. Ne s'agit-il pas plutôt de la glaciation ? (Sourires.)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Dominique Schnapper évoquerait sans doute l'avènement de la « démocratie providentielle» et Marc Fumaroli parlerait de l'interprétation de plus en plus extensive des notions d'art et de culture, la politique culturelle englobant désormais toutes les activités sociales et, de préférence, celles liées aux loisirs. « Un fourre-tout », nous dit-il, « qui donne un peu le vertige ... et qu'il n'est pas question de hiérarchiser ». Reste que nous sommes face un phénomène politique et social inédit.

Les métiers artistiques, s'ils ne sont donc plus numériquement marginaux, le restent financièrement. Sur une longue période, la croissance de la masse salariale n'a pas suivi l'explosion des effectifs et surtout des contrats. S'il y a plus de travailleurs dans les métiers classés comme artistiques, les salaires se dégradent et l'activité se fragmente, avec des contrats de plus en plus courts.

Parmi les bénéficiaires des annexes 8 et 10, par exemple, près de 80 % ont un salaire inférieur à 1,1 SMIC. Ce phénomène de dégradation relative de la condition salariale artistique va de paire avec une concurrence accrue et des inégalités vertigineuses.

Avènement de la société du spectacle, massification, désacralisation, paupérisation de la condition artistique : quel est le rôle des pouvoirs publics face à cette mutation ? Il s'agit, avant tout, de la rendre perceptible à chacun et d'éviter d'opposer le monde du spectacle aux spectateurs. Les artistes, et partant les intermittents, sont l'objet d'a priori dans notre société. Certains de nos concitoyens ont du mal à se reconnaître dans cette minorité. Le monde culturel provoque parfois une fascination narquoise où se mêlent l'attrait pour un espace professionnel de liberté et d'autodétermination, et le soupçon de frivolité et d'oisiveté. Les risques d'élitisme et de coupure sociale entre certains artistes et le reste de la population sont réels. Votre démarche, monsieur le ministre, a eu le grand mérite d'ouvrir les yeux de beaucoup de commentateurs.

M. Jean-Pierre Brard. À commencer par ceux de l'UMP ! (Sourires.)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Les intermittents sont souvent très motivés, ils se démènent, mais ils vivent pour la plupart dans la précarité.

M. Michel Françaix. Jusque-là, c'est vrai !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Vous avez sensibilisé nos concitoyens et, vraisemblablement aussi, l'ensemble des partenaires sociaux à cette réalité. C'était un préalable.

M. Jean-Pierre Brard. Quelle lucidité tardive !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Rendre cette mutation perceptible à chacun,...

M. Jean-Pierre Brard. Et à Seillière !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. ...c'est également insister sur le fait que nous parlons d'un secteur qui représente un chiffre d'affaire de 20 milliards d'euros, financé à 80 % sur fonds privés, et qui devrait continuer à croître à un rythme de 5 % par an.

Toutes les formes de spectacles et d'art - plasticiens, sculpteurs, écrivains, et toute cette nébuleuse de la création et de la beauté - occuperont demain une place croissante dans notre économie. C'est aussi au regard de ces évolutions qu'il faut évaluer la question du statut des artistes, du financement de la vie artistique en France et des 800 millions d'euros de déficit que connaît son régime d'assurance chômage.

Dès lors que l'art devient un phénomène de masse les frontières entre l'art et le reste de la société, tout comme les hiérarchies internes à l'art, ne sont plus aussi nettes. L'émergence du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma comme un secteur économique à part entière doit se traduire par ce que Jean-Paul Guillot appelle une « maturité organisationnelle ». Cela signifie, par exemple, encourager la conclusion de conventions collectives mieux structurées,...

M. Jean-Pierre Brard. Voilà !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. ...mener une réflexion l'enseignement artistique,...

M. Jean-Pierre Brard. Formidable !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. ...sur les filières, sur la maîtrise de l'offre de formation, l'adéquation de celle-ci aux débouchés. La formation initiale, tout comme la formation permanente souffrent dans notre pays de graves lacunes.

M. Jean-Pierre Brard. Quelle lucidité !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Nous devons soutenir le maintien d'un régime spécifique au sein de la solidarité interprofessionnelle.

M. Jean-Pierre Brard. Ça marche parfois !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Certes, il faut en redéfinir les contours : frontière entre amateurs et professionnels ?

M. Jean-Pierre Brard. C'est vous qui allez la déterminer ?

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Meilleur contrôle des employeurs, notamment lors de l'attribution de la licence d'entrepreneur de spectacles ?

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Certains ont évoqué le principe d'un numerus clausus. Cette idée me semble contradictoire avec les principes de spontanéité et de liberté.

M. Jean-Pierre Brard. Seillière va trembler !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Je ne crois pas en une caporalisation qui ne verrait élire que les diplômés de tel ou tel concours. Je voudrais faire également un sort à la distinction entre métiers du « spectacle vivant » et les métiers du « spectacle mort »,...

M. Jean-Pierre Brard. C'est un mauvais sort !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. ...tant il est vrai que ce sont les mêmes hommes et femmes qui font l'un et l'autre.

Maintien d'un régime spécifique, donc, mais en réaffirmant que ce n'est pas à un régime de protection sociale d'assurer le financement de la création et de la diffusion culturelle dans notre pays : l'UNEDIC n'a pas vocation à rester le centre de gravité du financement culturel. Chacun devra rompre avec les habitudes qui ont prévalu jusqu'à présent.

À cette fin, monsieur le ministre, votre objectif est de créer les conditions d'un accord sur un système durable de financement de l'emploi dans le secteur et de relever la part des emplois permanents ainsi que des structures pérennes.

Les élus, les collectivités locales, ont un rôle déterminant à jouer. La décentralisation a mis entre leurs mains des crédits, donc du pouvoir, ce qui implique également des responsabilités qu'ils doivent assumer en tant qu'employeurs, donneurs d'ordre ou encore financeurs.

M. Henri Houdouin. Très bien !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. L'argent public doit être orienté vers l'emploi. Par ailleurs, et dans la mesure du possible, nous devons veiller à ce que les artistes, les techniciens et le spectacle vivant ne soient pas victimes des alternances politiques. Au contraire, monsieur Ayrault, nous devons parvenir à encourager les collaborations locales, par-delà les appartenances partisanes. L'État doit accompagner les démarches territoriales allant en ce sens.

Enfin, nous devons nous poser sans détour la question du soutien public et du rôle de l'État. Quels sont les attendus et les objectifs de notre action ? Comment le ministère de la culture peut-il s'adapter à cette nouvelle donne ? Quel doit être son action aujourd'hui dès lors que le rôle des collectivités territoriales s'est renforcé ? Sommes-nous prêts à faire un effort financier supplémentaire pour ménager un espoir, éviter, comme le dirait Dominique Jamet, que « les enfants de la balle ne se retrouvent sur la paille et que les saltimbanques et les funambules ne dansent éternellement sur la corde raide ».

La politique culturelle à la française a toujours suscité des débats. On a pu, à juste titre, dénoncer les risques d'une culture sinon officielle, tout au moins institutionnelle, tout comme on a pu en dénoncer les carences - elle a été, par exemple, incapable, en plus de quarante ans, de promouvoir un enseignement artistique digne de ce nom. Elle se heurtera toujours à un problème de définition. S'agit-il de permettre à des génies artistiques de s'exprimer, à un peuple de s'émanciper ? Ou les deux ?

M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas « fromage ou dessert » ! (Sourires.)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Cependant, ces questions se posent aujourd'hui en des termes nouveaux : il s'agit désormais de se demander si nous voulons et si nous avons les moyens d'accompagner la mutation d'un secteur économique en pleine expansion. Il faut en débattre et, tôt ou tard, il nous faudra trancher,...

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. ...quitte à en décevoir certains, ce qui nous ramènera à la politique dans sa fonction et sa pratique véritable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dans la discussion, la parole est à M. Pierre-Christophe Baguet.

M. Pierre-Christophe Baguet. Monsieur le ministre, je vais vous surprendre en commençant par vous parler de communication, même si je n'oublie que vous êtes ministre de la culture. Vous avez récemment annoncé au Sénat que vous aviez obtenu brillamment 20 millions d'euros supplémentaires sur les crédits du service public de l'audiovisuel. Il y a parfois des liens très forts entre le service public de l'audiovisuel et la culture. Je pense notamment à Radio France et à son orchestre national radiophonique. Je ne sais pas si vous avez prévu d'abonder les crédits de Radio France pour le spectacle vivant qu'il anime, mais ce serait une bonne chose.

M. Patrick Bloche. Très bien !

M. Pierre-Christophe Baguet. La culture, c'est ce qui constitue l'être humain dans son identité et dans sa diversité : son esprit, son histoire, sa langue, ses traditions, son mode de vie. Elle fabrique ainsi un espace de valeurs communes, caractéristiques d'une civilisation. Elle façonne les esprits et dessine le monde dans lequel nous allons vivre demain.

Or, aujourd'hui, la culture ne peut plus être considérée comme un simple secteur ou un département ministériel. À l'UDF, nous voulons placer la dimension culturelle au cœur même de notre projet de société, dans lequel le spectacle vivant tient une place essentielle - et je vous remercie d'ouvrir ce débat aujourd'hui.

Le spectacle vivant et le développement culturel sont le premier poste de votre budget pour 2005. C'est un bon signe. Cependant, de nombreuses questions restent en suspens et j'espère que ce débat nous permettra d'aboutir à un ensemble législatif cohérent et ambitieux.

J'examinerai d'abord la place des intermittents dans notre société.

Un an après l'adoption de mesures transitoires pour sauver le régime des intermittents à la dérive, Jean-Paul Guillot, président du bureau d'informations et de prévisions économiques, vous a remis, monsieur le ministre, un rapport qui illustre les faiblesses du protocole UNEDIC de juin 2003 pour réduire le déficit du régime des intermittents du spectacle, qui est passé de 850 millions d'euros en 2003 à plus de 900 millions aujourd'hui.

Mardi matin, lors de la réunion de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, nous avons examiné le rapport de mon ami Christian Kert, que nous avons adopté à l'unanimité, sous la brillante présidence de M. Dominique Paillé. Ce rapport arrive aux mêmes conclusions : l'accord professionnel de juin dernier ne règle rien, ni les déficits, ni les abus, ni les fraudes.

De toute évidence, le durcissement des critères d'entrée dans le régime n'a pas permis à ce jour d'enrayer les déficits.

Il me semble évidemment souhaitable de procéder à un examen plus approfondi de la liste des catégories ayant une réelle vocation à relever du champ d'application du régime. Il est aussi nécessaire de mettre en place des outils de contrôle permettant de mettre un terme aux différentes fraudes, et de s'assurer que les pratiques soient plus transparentes.

Prenons un exemple flagrant du dysfonctionnement du système mis en place par le protocole actuel : le taux journalier d'indemnisation de l'intermittent est calculé par l'intermédiaire d'une équation qui place le nombre d'heures effectuées au dénominateur. Mathématiquement, il n'est pas difficile de comprendre que plus on fait d'heures, plus le taux est divisé et plus l'indemnisation journalière baisse. Un intermittent n'a donc aucun intérêt à déclarer le nombre qu'il effectue au-delà des 507 heures qui lui donnent le droit d'accéder au système.

Il me semble donc utile et intéressant de regarder avec attention le nouveau modèle proposé par la coordination nationale des intermittents.

M. Patrick Bloche. Très bien !

M. Pierre-Christophe Baguet. Le système qu'il propose est beaucoup plus vertueux. Il a le mérite d'instaurer un système plus simple, plus transparent et plus équitable, incitant par nature à la déclaration réelle des heures. Le nouveau modèle repose en effet à la fois sur la réalité des pratiques et sur un encadrement du système pour en éviter les dérives, comme la réintégration d'un plafond d'indemnisation.

Or tout système qui incite à déclarer les heures réellement effectuées ne peut qu'allonger la durée du temps de travail et diminuer le nombre de jours indemnisés. Tout système qui réintroduit de l'équité est mieux accepté.

Monsieur le ministre, ce système pour lequel la fixation d'un taux d'indemnité est liée au nombre d'heures mérite d'être étudié, et je vous demande donc de bien vouloir l'examiner.

Enfin, à ce stade de la discussion et alors que le chef du Gouvernement présente ce matin son contrat 2005, qui comprend un volet sur l'emploi, je tiens à rappeler que tout travail a droit à rémunération - c'est un droit constitutionnel. Pourquoi ne pas mener une réflexion sur la prise en compte de la rémunération des répétitions, qui ne sont, habituellement, jamais payées par les employeurs, et sont donc financées par l'assurance-chômage ? Cette pratique me semble devoir évoluer. Le paiement de ce travail ouvrira droit à cotisation et alimentera donc la caisse, ce qui permettra aux artistes de voir pris en compte le nombre d'heures effectuées et aura l'avantage, pour le système, de limiter les fraudes et, pour les artistes, de limiter les critiques que leur attire leur régime d'indemnisation.

Pour les artistes plasticiens, le droit d'exposition et le droit de suite, pourtant prévus par la loi, restent en pratique lettre morte dans la majorité des cas pour toutes sortes de raisons, comme la difficulté à en définir l'application ou le barème.

Ne trouvez-vous pas curieux que l'auteur de l'œuvre ne soit jamais payé ou soit le dernier à être rémunéré pour son travail ? Il est souhaitable de donner vie à ce droit d'exposition, ce qui suppose d'en préciser les conditions de rémunération. Il sera notamment nécessaire de prévoir certaines exonérations intelligentes, comme pour les présentations dans les écoles, ou encore dans les hôpitaux, etc. On peut aussi envisager un barème différent selon que l'artiste est mort ou vivant, comme c'est déjà le cas dans certains secteurs culturels, en particulier pour le cinéma.

Une réflexion plus vaste devrait aussi être menée dans le but créer des conditions d'emploi permettant de conserver l'emploi sur notre territoire. Ce que nous faisons déjà avec des dispositifs comme le crédit d'impôt pour le cinéma, nous pourrions aussi le faire pour le spectacle vivant. Car si, par essence, il ne peut être délocalisé, tout ce qui l'entoure peut l'être, qu'il s'agisse de la préparation d'un spectacle - avec, notamment, les répétitions ou la musique - ou ce qui le suit, comme l'édition de DVD.

Cette réflexion devra aussi porter sur l'emploi culturel et le déroulement des carrières artistiques. Il faut réfléchir tout à la fois à l'entrée dans ces métiers, aujourd'hui bien peu structurés, à l'évolution de l'emploi, en prenant en compte tous les droits sociaux, et, bien évidemment, à la sortie, trop peu prévue et souvent très dure pour la personne concernée et ses proches. La réflexion sur l'emploi culturel est une question essentielle, qui renvoie à une autre, volontairement provocatrice, mais bien réelle : comment le génie culturel peut-il encore émerger en France ? Aujourd'hui même se tiendra au Sénat, sous l'égide des groupes d'étude du Sénat et de l'Assemblée nationale sur la musique et la chanson françaises un colloque à l'intitulé évocateur : « la création musicale est-elle encore possible en France ? »

Une réflexion devra aussi être conduite sur ce qu'on appelle communément la formation « sur le tas ». Les stages, traditionnellement répandus dans les métiers artistiques, sont utiles et formateurs : le stagiaire donne, apprend et noue des contacts ; le directeur de stage transmet, quant à lui, son expérience, son temps et son savoir.

Or, on ne peut plus, une fois sorti de l'enseignement, bénéficier d'une convention de stage et les possibilités de suivre un stage sont donc quasiment réduites à néant. Pour accueillir un stagiaire, l'entreprise concernée doit, en effet, le rémunérer au minimum au SMIC. Ce système est inadapté : nous connaissons tous des chefs d'entreprises qui n'ont pu offrir de stage à des candidats sortis du système éducatif, qui étaient pourtant très motivés et ne recherchaient pas nécessairement un emploi dans l'immédiat, mais désiraient simplement acquérir une expérience. Cette impossibilité est regrettable tant pour l'entreprise que pour le stagiaire. La possibilité de faire des stages doit être réétudiée et l'apprentissage réhabilité.

Pour ce qui est de la sensibilisation du public jeune au spectacle vivant, si des efforts importants ont été accomplis dans le domaine de l'éducation artistique, ils ont systématiquement porté sur le seul aspect de l'encouragement à la pratique artistique et ne concernent que deux domaines : la musique et les arts plastiques. Cette approche a conduit à privilégier le rapport direct avec l'œuvre, sans souci de la transmission des connaissances par la médiation de la pédagogie. Le public des jeunes mérite d'être mieux sensibilisé au spectacle vivant. Il me semble donc souhaitable d'explorer les perspectives intéressantes développées par François Bayrou lors de la dernière campagne présidentielle, comme l'introduction d'un cours obligatoire d'histoire des arts dès le primaire, afin de développer l'intérêt des élèves pour la culture et le spectacle vivant. Les enfants et adolescents pourraient ainsi se réapproprier véritablement un patrimoine qui devrait être le leur et se construire comme entités, et non plus par tranches, comme c'est le cas avec un empilement des connaissances par discipline.

Il faut aussi favoriser la pratique du théâtre et des autres formes du spectacle du vivant en classe.

Un autre autre moyen de favoriser l'accès des plus jeunes à la culture consisterait à ramener à 5,5 % du taux de TVA pour l'ensemble des biens culturels, y compris pour les disques et les cassettes, dont le président Jacques Chirac s'était engagé lors de sa campagne électorale à faire une priorité, affirmant : « La France agira pour que la TVA sur le disque soit enfin amenée au même taux que la TVA sur le livre ». Une telle mesure impliquerait toutefois une révision de l'annexe H de la 6e directive sur la TVA et un vote unanime lors d'un conseil Ecofin. Pourriez-vous nous faire part de l'état d'avancement de ce dossier et de ses chances d'aboutir à court terme ?

M. Jean-Pierre Brard. Ça va être dur !

M. Pierre-Christophe Baguet. Plus largement, je souhaite également attirer votre attention, monsieur le ministre, sur le coût trop élevé de l'accès à la culture en France. Si nous souhaitons développer notre projet culturel au cœur de la société, il convient d'y remédier, qu'il s'agisse - parmi bien d'autres - du prix des places de cinéma ou de concert ou des entrées dans les musées. Ainsi, une place dans un grand cinéma parisien le dimanche soir coûte plus de 9 euros : un couple qui souhaiterait s'y rendre avec ses trois enfants devrait donc dépenser plus de 45 euros, ce qui se passe de commentaires.

M. François Loncle. Très bien !

M. Pierre-Christophe Baguet. Il serait souhaitable d'y réfléchir avec les responsables des professions concernées, en cette période où la lutte contre le coût élevé de la vie occupe une place très importante. On pourrait notamment envisager la gratuité des musées tous les dimanches, comme en Allemagne ou en Espagne, et non pas seulement un dimanche par mois.

M. François Loncle. Absolument !

M. Pierre-Christophe Baguet. Cette question conduit d'ailleurs à évoquer la suppression de la gratuité de l'accès aux musées pour les enseignants, mesure qui s'applique au Louvre depuis le 1er septembre dernier. En effet, les enseignants ne peuvent bénéficier d'un accès gratuit à ce musée qu'en y accompagnant leur classe au moins une fois par an. Ceux qui désirent enrichir leur formation en se rendant au musée sans leurs élèves - pour diverses raisons, à commencer par l'éloignement géographique ou le plan Vigipirate pour le primaire - se trouvent ainsi pénalisés et, partant, leurs élèves aussi.

M. Patrick Bloche. La gratuité devrait aussi s'appliquer aux artistes !

M. Pierre-Christophe Baguet. Un domaine essentiel reste, enfin, à développer : celui de la décentralisation culturelle. L'État a un rôle à jouer. Il ne peut agir seul, mais il doit agir mieux. L'amélioration de l'action publique en matière culturelle passe par une vraie décentralisation culturelle - ce qui a déjà commencé, comme l'a souligné Pierre Albertini.

Je me contenterai de deux remarques. Il conviendrait, tout d'abord, de revoir l'organisation de certains projets culturels. Certaines régions, par exemple, font du « saupoudrage » pour faire plaisir à tous les porteurs de projet. Ne serait-il pas préférable de fixer, avec les régions et les départements, des critères nationaux tels que ceux qui s'appliquent dans le cinéma avec la charte élaborée par le CNC. Cet effort de coordination et de complémentarité est nécessaire. Il prendra un peu de temps, mais la politique culturelle gagnera en transparence et en lisibilité - à charge pour le politique, titulaire du pouvoir de décision, d'appliquer les critères ainsi établis dans le but de défendre le pluralisme et la diversité.

Il faut, enfin, renforcer les liens entre l'État et les collectivités locales pour favoriser ce que la décentralisation et la déconcentration rendent chaque jour plus nécessaire : la fédération des informations, des analyses, des bilans et, partant, des idées et des politiques. L'éventuelle mise en place d'observatoires régionaux des politiques culturelles y participerait et serait le moyen de favoriser les outils de recherche scientifique sur les politiques culturelles publiques. Un sondage paru hier montre que 80 % de nos concitoyens font confiance à leur région pour améliorer le domaine culturel.

Pour conclure en évoquant la communication, je rappellerai que vous avez brillamment obtenu des crédits de 30 millions d'euros pour le lancement de la chaîne d'information internationale dès 2005. Nous aurons l'occasion, je l'espère, de revenir sur son architecture, mais je souhaite de tout cœur qu'une place importante de ses programmes soit dès maintenant réservée à l'action culturelle.

En abordant aujourd'hui l'organisation de la culture en France, soyons conscients de notre réputation mondiale en la matière, qui nous oblige à plus d'exigence encore. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre ; vous pouvez compter sur la contribution de l'UDF. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, qui va enfin pouvoir s'exprimer officiellement.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, je voudrais d'abord sortir de la glaciation quaternaire à laquelle le professeur Dubernard a voulu nous ramener et dans laquelle, surtout, nous avait plongés le protocole validé par votre prédécesseur, dont vous assumez la filiation au sein de l'actuel gouvernement Raffarin - III ou IV, je ne sais plus. Si nous sommes ici aujourd'hui, c'est parce que votre gouvernement a été « boosté », à coups de pied aux fesses, par le mouvement des intermittents. C'est bien du fait de votre gouvernement, en effet, que nous avons été confrontés à un conflit extrêmement long sur le régime d'indemnisation du chômage des professionnels du spectacle vivant - expression que je préfère, comme vous, je crois, à celle d'« intermittents ».

Nous ne devons pas oublier que le rayonnement de la France ne se mesure pas seulement à l'évolution de son PIB et à l'excédent de sa balance commerciale, mais aussi au dynamisme et à la qualité de sa création culturelle.

M. Raffarin avait reconnu la nécessité d'un débat le 7 août 2003, dans le journal Le Monde, où il promettait d'« d'organiser à la rentrée un débat national sur les politiques publiques du spectacle vivant ». Sans doute n'avons-nous pas la même notion du temps que le Premier ministre, puisque nous avions compris que le débat allait suivre immédiatement l'annonce, alors qu'il a fallu plus d'un an pour qu'il ait lieu enfin aujourd'hui.

Le spectacle vivant, avec ses multiples composantes, est non seulement un élément majeur de notre patrimoine culturel national et un secteur où la création est intense grâce à un foisonnement de structures et de projets et à l'engagement d'une multitude de professionnels très attachés à leur métier, mais aussi un secteur économique important dont il faut assurer la pérennité et la consolidation.

Aujourd'hui, comme le souligne la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, « une grande vitalité de la création contemporaine, un réseau de diffusion parmi les plus structurés et les mieux construits d'Europe, une forte motivation des auteurs : les ingrédients sont réunis pour assurer au spectacle vivant et à la création d'auteurs vivants une place significative en termes de représentations ».

La vitalité de la création et des circuits de diffusion est un atout dont l'importance est croissante dans le contexte de la mondialisation. Comme l'écrivait dans Les Échos du 20 août 2003 l'économiste Raphaël Suire : « Dans une économie de savoir, les entreprises savent que la clef du succès réside dans leur capacité à attirer des gens talentueux. Pour ces entreprises, il est pourtant impossible d'attirer cette "classe créative" par le seul salaire et autres avantages matériels. Le profil socio-culturel de la ville ou de la région est devenu une variable primordiale pour faire affluer les travailleurs les plus qualifiés ou pour les retenir. Par conséquent, tant au niveau régional qu'au niveau international, les responsables politiques doivent rester soucieux de leur propre capacité à séduire ce capital humain. Pour attirer des gens créatifs, générer de l'innovation et stimuler la croissance économique, il faut pour cela mener une politique volontariste en matière culturelle ».

C'est dans ce contexte, riche de potentialités, mais marqué par la fragilité économique des structures et des professions du spectacle vivant, qu'est intervenu le fameux accord UNEDIC du 26 juin 2003. Encore peut-on se demander si on peut légitimement parler d'accord à propos d'un texte approuvé, d'un côté par le MEDEF, et de l'autre par des gens qui ne représentent en rien les milieux concernés.

M. Pierre-Christophe Baguet. N'exagérez rien !

M. Jean-Pierre Brard. Les motivations en sont strictement financières. On y chercherait en vain la volonté de contribuer au dynamisme du spectacle vivant. Ces considérations financières l'ont emporté sur l'intérêt de l'avenir du spectacle vivant et en définitive sur l'intérêt national. Ce protocole est une machine à diaboliser, à précariser, à exclure.

C'est d'abord une machine à diaboliser et, pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler les déclarations du baron Ernest-Antoine Seillière de Laborde...

M. Christian Kert. Ça faisait longtemps !

M. Jean-Pierre Brard. ...qui fait davantage penser à Charles X et à la Restauration qu'à la République. Et je ne parle pas là de la république de Robespierre et de Saint-Just, qui fait frissonner la droite de l'hémicycle, mais de la VRépublique, où l'on voit mal la place que peut occuper le baron que j'évoquais.

M. le président. Plutôt que la Restauration, vous auriez dû évoquer la Monarchie de Juillet. (Rires.)

M. Jean-Pierre Brard. Vous voulez dire qu'il s'agit d'une noblesse de pacotille achetée au Marché aux puces ? Je vous en laisse la responsabilité, monsieur le président !

M. le président. Je ne veux rien dire du tout !

M. Jean-Pierre Brard. Je suis assez convaincu, quand je vois l'épaisseur culturelle du personnage que j'évoquais. Selon ce monsieur, « nous entrons dans une autre ère, celle d'une adaptation de toutes sortes de régimes - et il ne parlait pas là de la Restauration - qui ne sont plus compatibles avec la compétitivité européenne et française. Cet accord évitera que des gens vivent de l'assurance chômage au lieu de vivre de leur travail ».

C'est aussi une machine à précariser : le traitement réservé aux femmes enceintes et aux professionnels malades par ce protocole, appliqué de façon restrictive dans les ASSEDIC, est indigne d'une nation comme la nôtre, fondée sur des valeurs républicaines de solidarité et de respect des personnes.

Il est enfin une machine à exclure : l'accord du 26 juin 2003 nie la solidarité interprofessionnelle, sous le prétexte que l'indemnisation du chômage des intermittents coûterait trop cher. Cette affirmation est assénée sur le fondement de chiffres tronqués, de calculs partiels, d'une vision d'épicier balzacien - il y a là une perspective de reconversion pour M. Seillière. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.). C'est ce qui ressort de l'excellent rapport d'audit de M. Jean-Paul Guillot. Il écrit en effet : « Le secteur culturel est générateur d'une série d'effets induits en termes d'emplois et d'activités résultant d'achats de biens et services qu'il effectue pour mener à bien ses activités : édition et imprimerie, publicité, bâtiment, jouets, parachimie, sécurité, nettoyage, assainissement sont parmi les plus importants en termes de consommations intermédiaires. Par ailleurs, la consommation des produits du secteur nécessite, dans de nombreux cas, l'achat d'équipements, et favorise le développement de secteurs comme le tourisme, l'hôtellerie, les transports, etc. Une croissance de l'activité du secteur engendre donc en amont comme en aval des effets multiplicateurs importants sur le reste de l'économie. »

À cause de ce protocole, des milliers d'artistes et de techniciens sont chassés de leur profession et déclassés. Je sais de quoi je parle, car s'il est une ville qui compte des intermittents, c'est bien ma ville de Montreuil. D'ailleurs, monsieur le ministre, vous avez pu en rencontrer quelques-uns, et votre prédécesseur un plus grand nombre encore, qui lui avaient souhaité la bienvenue à leur manière, manifestant en cette occasion l'étendue de leur talent.

La gravité de cette situation, la force du mouvement social qui s'en est suivi, ont conduit à la création d'un comité de suivi, sur lequel, monsieur le ministre, vous êtes passé un peu rapidement, il me semble, puisque vous l'avez simplement cité. Je veux au passage excuser notre collègue Étienne Pinte, absent ce matin, non par désintérêt, mais parce qu'il siège au conseil d'administration de l'OFPRA.

Ce comité de suivi rassemble des professionnels du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma, des employeurs de ces secteurs et des parlementaires de toutes tendances politiques, et constitue, selon les termes de M. Guillot, « une expérimentation sociale originale ». Vous devriez, je pense, le valider d'une façon ou d'une autre.

M. le ministre de la culture et de la communication. Je l'ai fait dans mon discours !

M. Jean-Pierre Brard. Pas suffisamment, monsieur le ministre ! Il vous reste une marge de progression en la matière.

M. le ministre de la culture et de la communication. On peut toujours progresser !

Mme Muriel Marland-Militello. Surtout M. Brard !

M. Jean-Pierre Brard. En effet, cette méthode de travail mérite d'être érigée en modèle, et je regrette que vous vous soyez contenté de citer M. Guillot.

M. le ministre de la culture et de la communication. Pas du tout ! J'ai salué son action.

M. Jean-Pierre Brard. Dans son rapport, M. Guillot relève l'inefficacité du protocole UNEDIC et conclut qu'« il paraît souhaitable qu'une négociation s'engage entre les partenaires sociaux pour définir un nouveau protocole qui apporte au précédent les aménagements nécessaires pour concourir aux objectifs d'une politique de l'emploi dans le secteur ».

Je voudrais en conclusion, monsieur le ministre, vous poser des questions très précises, pour qu'à l'issue de ce débat nous sachions exactement où nous en sommes.

J'imagine que vous allez demander aux partenaires sociaux de reprendre le dialogue. Si celui-ci n'aboutit pas, ce qui n'est pas une hypothèse d'école compte tenu de l'autisme de M. Seillière... (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.).

M. Dominique Richard. Mais laissez-le tranquille, c'est lassant à la fin !

M. Marc Bernier. C'est une obsession !

M. Jean-Pierre Brard. J'entends des sectateurs de M. Seillière protester contre mes propos. Qu'ils me permettent d'avoir mon opinion, qui est assise sur mon expérience du personnage et de son arrogance !

M. le ministre de la culture et de la communication. Posez-moi vos questions, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, j'ai été interrompu sur ma droite.

Si le dialogue n'aboutit pas, aurez-vous recours à la loi pour imposer ce qui n'aura pas pu être négocié ?

Deuxièmement, allez-vous agir pour le retour aux 507 heures annuelles, avec date anniversaire fixe pour l'ouverture des droits à indemnisation ?

M. le ministre de la culture et de la communication. J'ai été parfaitement clair !

M. Jean-Pierre Brard. Non ! J'ai cru entendre un début de réponse tout à l'heure, mais « s'inspirer de » est une formule qui nous fait sombrer dans le flou. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il vous suffit de le confirmer, pour qu'aucun doute ne subsiste.

M. le président. M. le ministre va vous le dire, monsieur Brard. Veuillez passer aux questions suivantes.

M. Jean-Pierre Brard. Allez-vous, monsieur le ministre, améliorer la prise en compte, pour l'ouverture des droits, des formations dispensées par les intéressés dans des structures spécialisées par exemple, ou dans les collèges et les lycées ?

Allez-vous maintenir et améliorer, pour 2005, le fonds spécifique d'indemnisation, que vous qualifiez de provisoire, pour préserver les plus menacés ?

Enfin, monsieur le ministre, allez-vous engager vous-même - car tout cela devra avoir une suite - le débat avec tous les partenaires intéressés autour des pistes de réflexion ouvertes par le rapport Guillot ?

Vous poser ces questions est une façon de vous signifier que nous faisons davantage confiance aux ministres de la République qu'au patron du MEDEF, qui a eu jusqu'ici barre sur ces dossiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Il faut toujours faire confiance à la République, monsieur Brard.

M. le ministre de la culture et de la communication. Et même à ses ministres !

M. le président. La parole est à M. Christian Kert.

M. Christian Kert. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vais m'efforcer de ne pas parler du baron Seillière, ça nous changera !

M. Jean-Pierre Brard. Auriez-vous peur ?

M. Christian Kert. Nous nous réjouissons, monsieur le ministre de la culture, que vous ayez retenu la thématique du spectacle vivant, dans la continuité des travaux de la mission parlementaire présidée par Dominique Paillé, même si, après certains intervenants, je serais tenté d'évoquer quelques problèmes périphériques relevant de votre compétence. Je pense notamment, comme Jean-Marc Ayrault, au patrimoine, qui ne doit pas faire les frais d'une politique plus ambitieuse en matière de spectacle vivant. Je précise que c'est à peu près tout ce que je partage avec Jean-Marc Ayrault, car pour le reste nous n'avons pas du tout la même lecture du budget de la culture. Je lui rappelle quand même que ces crédits augmentent cette année de 6,5 %, ce qui n'est pas si mal dans le contexte actuel.

M. Michel Françaix. C'est un simple rattrapage !

M. Patrick Bloche. C'est le niveau de 2002.

M. Christian Kert. Quoi qu'il en soit cette augmentation n'apparaissait pas dans le propos de M. Ayrault.

Je veux dire quelques mots du rapport de la mission parlementaire, et rappeler certaines priorités. À propos des intermittents, il est vrai que nous vous avons demandé - sans que nos propos aient le caractère d'extrême urgence que certains ont voulu leur attribuer - d'ouvrir de nouvelles négociations, afin de redéfinir les règles du protocole de 2003 avant la fin de l'année 2005. Il nous semble en effet que si on attend encore douze mois, dont les deux mois de festivals, on risque de replacer ce thème récurrent dans une zone d'incertitude dangereuse. Or il serait regrettable, après votre action constante pour désamorcer le conflit et mettre en place des solutions provisoires et transitoires justes, que vous ne profitiez pas d'un climat de confiance retrouvé pour définir une politique pérenne de l'intermittence.

Mais le spectacle vivant, ce ne sont pas que les métiers. Ce sont aussi les structures. En la matière, il faut fournir une nouvelle sorte d'efforts. Après avoir incité à la multiplication des initiatives d'entreprises culturelles, un peu partout à travers la France, le temps est venu de responsabiliser bon nombre d'entre elles afin qu'elles s'engagent dans la voie de la solvabilité de leurs projets et du sérieux du recrutement de leurs personnels Nous avons insisté sur le fait qu'il ne devrait plus y avoir de structures culturelles, ou de groupements de structures qui ne comptent un permanent au moins. Oui à la pérennisation de l'intermittence, mais une intermittence régulée, qui ne soit pas là pour répondre aux carences, aux insuffisances et aux « arrangements à la marge ».

Si vous y parvenez, il vous faudra vous attaquer à deux enjeux majeurs.

Il s'agit d'abord de la conquête de nouveaux publics. Les membres de la mission parlementaire ont été stupéfaits d'apprendre qu'une création théâtrale avait une espérance moyenne de neuf représentations. Quand on connaît le degré d'investissement que suppose une création, on peut regretter que l'auteur, les acteurs, les responsables du théâtre aient tant travaillé pour moins de neuf passages devant le public.

Une telle moyenne indique que les publics ne se renouvellent pas. Seulement 10 % des ménages réalisent 50 % des dépenses culturelles. Depuis des années les publics ne se régénèrent plus, et singulièrement le public du théâtre. Selon certains, acteurs ou metteurs en scène, le « cercle » des initiés du théâtre est celui qui se renouvelle le moins. Vous reprochiez, monsieur Brard, à Dominique Paillié de vouloir « fliquer » le monde du théâtre. Il s'agit tout au contraire, cher collègue, de lui apporter du sang neuf.

M. Jean-Pierre Brard. Je n'ai pas dit cela ! J'ai dit qu'il ne fallait pas rétablir les commissaires politiques !

M. Pierre-Christophe Baguet. Ce n'est pas loin !

M. Christian Kert. La mission a ainsi proposé que l'on confie plus souvent à des créatifs, des écrivains par exemple, des responsabilités dans l'administration et la programmation des théâtres. Certaines expériences comme celle du théâtre du Rond-Point à Paris qui a retrouvé vie sous l'impulsion d'un créatif de talent, militent en ce sens.

Le second enjeu est l'engagement en la matière du monde scolaire et universitaire, qui constitue un levier tout aussi puissant. Cela fait trop longtemps qu'enseignants et artistes se regardent en chien de faïence. Comme elle est belle, pourtant, l'école ouverte au monde et à la culture. Combien sont heureux les artistes en résidence dans des collèges, des lycées, des facultés. Ils y forment le goût et surtout ils recréent la magie de la parole, à laquelle, hélas ! s'est substituée depuis quelques années la violence du geste.

Vous le savez bien, ils en ont des choses à raconter ces écrivains, qui sont comme des « passeurs de culture » : je pense à ce collège du XVIIIe arrondissement de Paris, où une jeune fille vient demander à l'artiste : « Et si le monde était parfait, ce serait quoi ? » Trois mois auparavant, dans ce même collège, les élèves ne se parlaient quasiment pas entre eux.

L'école n'est pas qu'école. Elle est ouverture sur la vie et préfiguration du public de demain.

La création est libre et elle doit être respectée. Les théâtres subventionnés sont obligés de proposer trois créations d'auteurs contemporains. Peut-être pourrait-on aller vers plus de liberté ? Pourquoi ne pas flécher les crédits et ne pas prévoir de donner une subvention exceptionnelle à ceux des théâtres qui font un effort particulier en faveur de la création contemporaine ? Car c'est bien d'incitation et de création que nous avons besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Ollier.

M. Patrick Ollier. Il est assez inhabituel qu'un président de la commission des affaires économiques s'exprime dans un débat d'orientation sur la culture.

M. Dominique Paillé. En effet !

M. Patrick Ollier. Mais à vous entendre, monsieur le ministre, et à vous voir agir depuis votre nomination, il apparaît qu'une nouvelle approche se dessine dans la mise en œuvre de notre politique culturelle.

Je retiens de votre intervention que vous souhaitez faire du développement des industries culturelles et de l'emploi des instruments essentiels de l'attractivité de notre pays, de l'aménagement du territoire, et de la cohésion nationale. Oui, lorsqu'on y regarde bien, tout est lié et vous avez donc raison, monsieur le ministre !

La diversité culturelle que nous défendons fait directement écho au discours du Président de la république pour un monde multipolaire et respectueux des identités de chacun.

M. Michel Françaix. Tout va aller mieux, alors !

M. Patrick Ollier. Le développement des festivals permet à des territoires ruraux de se forger une identité forte et de développer une activité touristique importante. Qui connaîtrait Marciac sans son festival de Jazz ou Carhaix sans « Les vielles charrues » ?

Les élus locaux, ceux des petites et moyennes communes, ont bien compris l'extraordinaire pouvoir d'attraction qu'exerce un festival : unique animation culturelle en saison creuse, accélérateur spectaculaire de l'économie locale et du tourisme, vecteur d'identité d'un lieu et d'un territoire.

De la même manière, sachez, monsieur le ministre, que la commission des affaires économiques que je préside fera écho à votre approche de la politique culturelle.

Après avoir renoué les fils du dialogue, votre démarche a été celle du diagnostic partagé et incontestable. À cet égard, l'apport à cette réflexion du rapport Guillot a été considérable. Le poids économique du secteur du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel doit être mis en exergue et valorisé au sein de la stratégie globale du Gouvernement et de la majorité comme élément d'attractivité du territoire, de lutte contre les délocalisations et de création d'emplois pérennes.

En termes d'activité, ce secteur pèse 22 milliards d'euros. Sa valeur ajoutée est de 11 milliards d'euros, soit autant que celle de la construction aéronautique, navale et ferroviaire.

M. le ministre de la culture et de la communication. Eh oui !

M. Patrick Ollier. Il emploie près de 300 000 personnes, soit autant que dans l'industrie automobile.

Le secteur culturel est aussi générateur d'effets induits en termes d'emplois et d'activités résultant d'achats de biens et services dans les domaines de l'imprimerie, de l'édition, de la publicité, du bâtiment, du tourisme ou encore de la sécurité. Autant dire, mes chers collègues, que son spectre économique est extrêmement large !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il faut le souligner, en effet !

M. Patrick Ollier. Derrière ces chiffres, il y a le fruit du talent, du savoir-faire, et du travail de nos artistes et techniciens, qu'il convient de valoriser et de faire connaître. C'est pour cela, monsieur le ministre, que je ne peux que vous conforter dans votre logique de développement de l'emploi des industries culturelles.

Nous considérons que le maintien d'un régime spécifique d'assurance chômage, garant de la liberté artistique et de la prise en compte des spécificités du secteur, est une nécessité absolue. Il est nécessaire aussi de maintenir ce régime au sein de la solidarité interprofessionnelle de l'audiovisuel, au regard de l'impact économique du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma sur d'autres secteurs. Mais, force est de reconnaître qu'on a détourné l'assurance-chômage de sa vocation, en lui faisant jouer un rôle de complément des revenus du travail, ce qui est inacceptable.

Pour sortir vers le haut et aboutir à un système pérenne et équitable, nous devons, tous ensemble, entrer dans une logique de projet industriel autour des grandes catégories d'acteurs que sont l'État, les collectivités locales, les partenaires sociaux du secteur et les confédérations syndicales et l'UNEDIC.

Pour l'État et les collectivités locales, il est absolument nécessaire de conditionner tout financement public au respect d'un certain nombre de critères relatifs à l'emploi déclaré, avec un objectif à moyen terme de pérennisation de ces emplois.

Il est nécessaire aussi de veiller à ce que les textes réglementaires permettent une traque des pratiques illégales d'emploi et une lutte plus intense contre les abus.

Ce n'est qu'à ce prix que nous rendrons aux yeux de nos concitoyens le caractère absolument légitime et incontestable d'un système spécifique.

Quant aux partenaires sociaux, et dans le strict respect de leurs prérogatives, il est clair qu'une structuration plus forte des conventions collectives dans ces secteurs ne peut qu'avoir de bonnes retombées autant pour les revenus de nos artistes et techniciens que pour la moralisation des pratiques d'emploi. La légitimité d'un régime spécifique ne va pas sans un lien incontestable de ses bénéficiaires avec la création culturelle.

M. Hervé Novelli. Très bien !

M. Patrick Ollier. Monsieur le ministre, nous serons mieux fondés à défendre la place de nos artistes et techniciens, à valoriser leur talent et leur travail quand nos concitoyens n'auront plus le moindre doute sur la moralisation des pratiques utilisées. C'est à ce moment-là que nous aurons gagné !

M. Hervé Novelli. Très juste !

M. Patrick Ollier. Pour conclure, je voudrais revenir sur une idée contenue dans le rapport Guillot et que j'avais évoquée avec vous à l'occasion des entretiens du spectacle vivant le 18 octobre dernier, je veux parler de la mutualisation des « microstructures ».

M. le ministre de la culture et de la communication. Car vous, contrairement à d'autres, vous avez participé à ces entretiens !

M. Patrick Ollier. Cela permettrait effectivement de se concentrer sur le travail artistique et de respecter plus facilement les normes en vigueur.

Je pense que le travail réalisé au niveau législatif pour d'autres secteurs, en matière de pluriactivité, pourrait être juridiquement utile au secteur de la culture. L'objectif est de favoriser la pérennité de l'emploi tout en préservant la liberté de travail des artistes et techniciens intermittents. La solution juridique qui me semble être intéressante dans ce cadre est le groupement d'employeurs, dispositif mis en place par la loi du 25 juillet 1985. C'est d'autant plus une solution d'actualité que j'ai récemment fait adopter, dans la loi, la possibilité pour les collectivités locales, organes de droit public, d'être membres de ces groupements d'employeurs de droit privés. Ne l'oublions pas, en effet, les collectivités locales sont des fournisseurs d'emploi événementiels intermittents exceptionnels !

La perméabilité entre le secteur public et privé est un moyen qui peut permettre aux artistes et techniciens du secteur culturel de trouver les bases d'une activité durable dans le temps auprès de plusieurs employeurs en changeant éventuellement de statuts tout en conservant leur spécificité d'intermittents. C'est une solution qui mérite donc d'être étudiée.

Ce n'est qu'en nous mobilisant tous ensemble - État, élus, professionnels - que nous réussirons à mettre en œuvre dans ce secteur une politique du développement des industries culturelles et de l'emploi qui soit efficace. Vous pouvez compter sur nous pour vous soutenir, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Depuis dix-huit longs mois, la culture traverse dans notre pays une crise sans précédent, une crise profonde dont la remise en cause brutale de ce qu'on appelle communément le régime des intermittents a été le révélateur. Et ce n'est pas le moindre mérite des deux rapports les plus récents, ceux-là même qui éclairent notre discussion d'aujourd'hui, d'avoir placé l'emploi culturel au cœur de nos préoccupations et donc du débat public ouvert depuis le funeste accord du 26 juin 2003.

Dix-huit mois, c'est sans doute trop court, plaiderez-vous, monsieur le ministre, pour apporter des solutions pérennes à une crise structurelle. Et pourtant, dix-huit mois c'est si long pour ces artistes et techniciens du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel, ces « travailleurs de la culture », pour reprendre la belle formule de Jean Zay, ces femmes et ces hommes passionnés par leur choix de vie professionnelle et qui sont aujourd'hui précarisés de façon inacceptable. Nous sommes quelques-uns dans cet hémicycle, et notamment Étienne Pinte que je tiens tout particulièrement à saluer après Jean-Pierre Brard, à vivre depuis plus d'un an une fraternité d'armes qui, au sein d'un comité de suivi inédit, nous amène à partager leur mobilisation, mais aussi leur angoisse.

Le temps presse, monsieur le ministre. Vous le savez, évidemment. Mais, à l'approche d'une année nouvelle, si stratégique en outre pour l'assurance-chômage dans son ensemble, le début 2005 n'a pas le même sens que la fin 2005. Les semaines qui viennent sont essentielles pour que la création culturelle dans notre pays ne soit pas touchée au cœur par le découragement progressif et invisible, sur l'instant, de professionnels qui n'auront d'autre solution pour survivre socialement que de se reconvertir, comme on le dit des bassins d'emploi, en abandonnant un engagement artistique qui est toute leur vie. Ce serait alors la vraie victoire de ceux qui veulent liquider les annexes 8 et 10, et cela nous ne pouvons l'accepter, sauf à exclure ensuite de nos discours le mot d'ordre, qui pourtant nous réunit, de la diversité culturelle.

C'est en ayant à l'esprit tous ces enjeux que la première proposition du rapport Paillé-Kert, adopté, je le souligne, à l'unanimité, prend toute sa force : la renégociation urgente de l'accord de 2003, sans attendre l'échéance de la fin 2005.

M. Michel Françaix. Très bien !

M. Patrick Bloche. Ce rapport, comme celui de Jean-Paul Guillot, converge sur de nombreux points et d'abord parce qu'il part de l'emploi et non du chômage. C'est ainsi une vraie satisfaction, même si elle a un goût amer, d'avoir la confirmation que le mauvais accord du 26 juin n'a en rien réduit le déficit qui lui servait de justification première et qu'il a été de plus facteur d'inégalités criantes et d'effets pervers. C'est, à cet égard, une condamnation sans appel de ceux qui gèrent visiblement l'UNEDIC comme des apothicaires.

Il est donc clair aujourd'hui, et c'est naturellement essentiel, qu'il faut maintenir un régime spécifique d'assurance-chômage dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle, que nous devons réfuter l'idée d'une caisse complémentaire, qu'il est indispensable de mettre en œuvre un plan audacieux pour l'emploi culturel permettant de stopper la dérive de la paupérisation des acteurs culturels que traduisent ces chiffres terribles : 8 artistes et techniciens indemnisés sur 10 ont un salaire annuel de référence inférieur à 1,1 SMIC.

Je ne reviendrai pas sur toutes les propositions des deux rapports déjà cités et notamment celui de Jean-Paul Guillot, qu'il s'agisse du développement des emplois permanents, de l'accroissement de la durée moyenne du travail annuel rémunéré et des contrats, de l'activation de tous les dispositifs de contrôle de l'emploi, de la prise en compte dans de nouvelles conventions collectives des temps de répétition et de préparation.

Il faudra naturellement que les pouvoirs publics à tous les niveaux, qu'ils soient employeurs ou donneurs d'ordre, soient exemplaires. De la même façon, des efforts de structuration des secteurs d'activité culturels seront nécessaires pour réduire la précarité des emplois. Je pense ainsi à la mutualisation des moyens des micro-entreprises de spectacle, à la régulation des métiers, à la prise en compte des qualifications et de l'ancienneté, à la redéfinition des missions de service public liées au subventionnement.

La question du périmètre des annexes 8 et 10 - même si elle est particulièrement complexe - est logiquement posée sans, fort heureusement, le présupposé absurde qu'il y aurait trop d'artistes en France.

Comment ne pas se réjouir, à cet égard, que n'aient pas été reprises les préconisations pour le moins hasardeuses de M. Charpillon, entre numerus clausus et réduction du champ d'application aux métiers ayant « une proximité avec l'acte créateur », ce qui excluait dans une large mesure les activités de diffusion pourtant indispensables à l'élargissement des publics.

Exit, de la même façon, l'idée d'une sélection à l'entrée ou de l'instauration d'une carte professionnelle qu'on ne saurait bien entendu confondre avec la nécessité pointée dans le rapport de la mission d'information parlementaire d'un effort majeur de formation initiale et permanente.

Sans doute faudrait-il déterminer plus clairement la ligne de partage entre démarche professionnelle et pratique amateur, surtout lorsque les professionnels, précarisés, voient avec inquiétude certains amateurs être professionnalisés, sans raison, et le plus souvent dans un souci de facilité.

M. Dominique Paillé. C'est vrai !

M. Patrick Bloche. Ce n'est que lorsque les artistes bénéficieront d'une position sociale affirmée et reconnue, qu'ils observeront sans crainte les pratiques amateur. C'est pourquoi cela doit devenir une priorité dans les choix de politique culturelle.

En attendant que ces différentes pistes se formalisent, ce qui nécessitera pour certaines d'entre elles une négociation collective active, je voudrais, pour le plus court terme, exprimer une déception et vous rappeler une série de propositions.

Ma déception vient de ce qu'il n'a pas été mis fin à un déni de démocratie, qui ne peut qu'interpeller très directement la représentation nationale. La nomination d'un expert indépendant, en l'occurrence Jean-Paul Guillot, demandée par le comité de suivi répondait à une exigence de transparence qui n'a pas été totalement satisfaite.

Nous avons appris qu'en 2002 les intermittents représentaient 4,9 % des chômeurs indemnisés, mais ne percevaient que 3,6 % des allocations chômage. Ce chiffre, c'est le moins qu'on puisse dire, relativise leur responsabilité dans le déficit global de l'UNEDIC. Nous avons également appris que pour les comptes maladies et retraites, l'apport des intermittents est excédentaire. Bref, nos connaissances statistiques se sont sensiblement accrues, mais l'opacité de l'UNEDIC subsiste, qu'il s'agisse du montant des salaires réels ou du nombre des cotisants non indemnisés. Sans parler des écarts entre les chiffres avancés par l'UNEDIC et ceux fournis par la caisse des congés spectacle, qui resteront inexplicables tant qu'un croisement complet des fichiers ne sera pas opéré.

Faute d'une expertise incontestable, il m'apparaît nécessaire de garder dans le champ du possible l'accord de la FESAC et le nouveau modèle élaboré par la coordination des intermittents, déjà évoqué par notre collègue Baguet.

Quant aux propositions que je souhaitais rappeler à cette tribune, ce sont tout simplement celles du comité de suivi.

La première de ces propositions est d'accepter la réalité de l'emploi culturel salarié et de s'en tenir à 507 heures sur douze mois, avec une date anniversaire préfixe.

M. le ministre de la culture et de la communication. C'est fait !

M. Patrick Bloche. C'est transitoirement fait, et j'ai bien noté, monsieur le ministre, votre engagement sur ce point !

M. le ministre de la culture et de la communication. Je vous remercie !

M. Patrick Bloche. Voici quelques autres propositions : versement sur douze mois des indemnités journalières de chômage ; possibilité offerte aux artistes et aux techniciens de dispenser des formations dont la durée serait prise en compte à hauteur de 169 heures par an ; traitement de la maladie et des accidents du travail, comme cela a été prévu pour les congés maternité ; retour à la possibilité d'un cumul d'activités dans le cadre au sein des annexes 8 et 10 et de l'ensemble du régime général.

Enfin, intégration des clauses de sauvegarde au fonds spécifique provisoire, qui deviendra transitoire en 2005, pour réagir au cas par cas aux accidents de carrière et aux cas sociaux les plus difficiles. Je pense notamment aux jeunes qui arrivent dans la profession et qui ont été particulièrement pénalisés par l'accord du 26 juin 2003.

M. Pierre Albertini. Très juste !

M. Patrick Bloche. Le cadre étant fixé, il ne vous reste plus, si j'ose dire, monsieur le ministre, qu'à amener les partenaires sociaux à s'engager le plus vite possible dans une négociation pour définir un nouveau protocole, comme le préconise le rapport Guillot. Faute de quoi, il appartiendra au Gouvernement ou au Parlement de réformer par une loi les annexes 8 et 10. Ce serait la mort du paritarisme, disent certains. Mais, mes chers collègues, en cas de carences et au nom de l'intérêt général, il revient à la représentation nationale de prendre ses responsabilités !

M. le ministre de la culture et de la communication. Nous n'en sommes pas là !

M. Patrick Bloche. Dois-je rappeler ici que la loi est intervenue à deux reprises il n'y a pas si longtemps ? Au début de l'année 2002, nous avons été amenés à pérenniser le régime spécifique des intermittents, alors privés de tout fondement conventionnel. Quelques mois plus tard, dans le courant de l'été, les gestionnaires de l'UNEDIC eux-mêmes nous demandaient - je tiens à préciser que le groupe socialiste s'y était opposé - de modifier le code du travail, mettant à mal au passage la solidarité interprofessionnelle, pour permettre le doublement des cotisations. La CGT spectacle s'en souvient certainement !

Si je suis resté jusqu'à présent dans le cadre que vous avez bizarrement limité, monsieur le ministre, au spectacle vivant, alors qu'un débat d'orientation devrait porter sur une politique culturelle globale et cohérente, je vais maintenant m'en échapper en guise de conclusion.

D'abord, parce que le divorce croissant entre les industries culturelles et le monde de la création - la fameuse « part de cerveau disponible de nos concitoyens » - nous impose d'écarter tout cloisonnement. Ensuite, parce que l'emploi culturel n'est pas uniquement salarié !

Dans le prolongement du rapport de la mission d'information parlementaire, je voudrais évoquer le problème des plasticiens, des photographes, des auteurs et d'un grand nombre d'acteurs culturels indépendants. Pour beaucoup trop de ces créateurs et de ces artistes, la règle est trop souvent l'absence de toute protection sociale élémentaire, notamment pour ceux dont le niveau de vie dépend directement de la cession, aussi incertaine qu'irrégulière, des droits afférents à leurs œuvres. C'est pourquoi il serait utile d'engager une réflexion plus vaste, plus profonde et plus prospective sur le statut de l'artiste, de tous les artistes, réflexion qui pourrait peut-être se traduire un jour dans la loi.

Enfin, si nous adoptons un jour un plan ambitieux pour l'emploi culturel, il faudra le financer ! Rassurez-vous, monsieur le ministre, je ne redirai pas ici tout le mal que je pense de votre projet de budget pour 2005, je l'ai amplement fait lors de son examen, le 2 novembre dernier. Pas plus que je ne céderai à la facilité d'évoquer le sujet du 1 %, d'autant que je considère que si cet objectif était, il y a vingt ans, visionnaire, il est aujourd'hui un frein. Et je ne veux même pas évoquer la « sanctuarisation » - mot terrible - du budget de la culture !

M. le ministre de la culture et de la communication. Vous l'avez constatée ?

M. Patrick Bloche. Il apparaît cependant plus que souhaitable, dans une perspective sociale, de ne pas porter atteinte au niveau de notre création culturelle, surtout dans le contexte actuel, qui voit nombre de structures culturelles fragilisées par la suppression des emplois-jeunes et la fin de la prise en compte de la culture dans la politique de la ville.

Ainsi est née, cet été, en Avignon, l'idée d'une loi d'orientation, voire d'une loi de programmation, qui permettrait de financer sur cinq ans un plan pour l'emploi culturel et de définir plus précisément, à la fin de cette période, les besoins budgétaires du ministère de la culture, et de clarifier, par la relance des protocoles de décentralisation, les rapports entre l'État et les collectivités territoriales.

Cette dernière perspective nous emmène très loin de la réalité actuelle qui voit un Gouvernement décentraliser ses déficits et se désengager financièrement, sur le dos des collectivités locales...

M. le ministre de la culture et de la communication. C'est faux !

M. Patrick Bloche. ...qui pourtant contribuent aux deux tiers du financement public de la culture.

Mme Claude Greff. Mais avant 2002, où étiez-vous ?

M. Patrick Bloche. Je suis frappé de la légèreté avec laquelle le Gouvernement veut se débarrasser d'un nombre conséquent de monuments historiques...

M. le ministre de la culture et de la communication. Sur ce point, monsieur Bloche, je vais vous répondre, et vous allez m'entendre !

M. Patrick Bloche. ...pour laisser le soin aux collectivités territoriales d'en assumer la restauration. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Claude Greff. Et alors ?

M. Patrick Bloche. Ce sont souvent des ruines, d'un entretien coûteux. Autant de crédits qui seront consacrés par les collectivités au patrimoine et n'iront pas au spectacle vivant !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ceux qui ne voudront pas de ces monuments n'en auront pas la responsabilité ! Je ne les laisserai pas tomber entre de mauvaises mains !

M. Patrick Bloche. Dans un tout autre domaine, quand les recettes de la redevance stagnent et que le Gouvernement sous-finance l'audiovisuel public, comme ce sera un peu plus encore le cas en 2005, malgré les 20 millions d'euros supplémentaires, qui ne comprend que c'est l'emploi culturel qui est pénalisé ?

Mme Claude Greff. Vous n'avez pas honte, monsieur Bloche ?

M. Patrick Bloche. Les exemples ne manquent pas, qui tendent à une refondation de la politique culturelle de notre pays. En attendant sans doute la prochaine alternance, l'urgence demeure et il n'est que temps, monsieur le ministre, mes chers collègues, de faire tomber un mythe qui a visiblement la vie dure, notamment à l'UNEDIC : celui de la bohème comme moteur de la création. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Michel Françaix. Enfin un bon discours !

M. le président. La parole est à Mme Muriel Marland-Militello.

Mme Muriel Marland-Militello. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ne disposant que de quelques minutes, je ne perdrai pas de temps à vous expliquer pourquoi nous en sommes là, après tant de gouvernements de gauche. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Brard. Parlez-nous de votre ami Seillière !

Mme Muriel Marland-Militello. Je me contenterai de vous expliquer tout le bien que je pense, et l'initiative de ce matin en est un exemple, de l'action dynamique que nous entreprenons avec le ministre de notre majorité. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je voudrais évoquer devant vous les légitimes inquiétudes des acteurs et des techniciens des arts de la scène, ainsi que l'accompagnement de leurs publics.

Nous savons tous que le spectacle vivant, et en particulier les arts de la scène, a connu une croissance considérable. Mais, contrairement à ce que l'on entend souvent, cela n'est pas dû uniquement à un accroissement constant des fonds publics, mais à la capacité d'innovation des arts de la scène. Votre budget, monsieur le ministre, en tient compte. Le renouveau du cirque en est un exemple, comme le développement des arts de la rue et des festivals.

On aurait pu penser que cet accroissement allait profiter aux professionnels du spectacle. Eh bien, pas du tout !

M. Jean-Pierre Brard. En effet !

Mme Muriel Marland-Militello. Bien au contraire et, depuis fort longtemps, ils ont vu leurs perspectives professionnelles se fragiliser et leur quotidien s'installer dans la précarité.

M. Jean-Pierre Brard. Mais ce sont des propos de bolchevique ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Muriel Marland-Militello. C'est un très grand compliment que vous me faites !

M. Jean-Pierre Brard. Je ne vous le fais pas dire !

Mme Muriel Marland-Militello. Savez-vous pourquoi ? C'est que vous n'avez pas compris ce qu'est le marxisme, cher monsieur ! Les bolcheviques ne l'ont jamais compris !

M. Jean-Pierre Brard. Je vous donnerai des cours particuliers ! Mais ce sera long !

M. le président. Monsieur Brard, cessez de faire le spectacle à vous tout seul !

Mme Muriel Marland-Militello. Le raisonnement dialectique, monsieur Brard, est au cœur du dynamisme de la politique de la droite !

M. Jean-Pierre Brard. Nous commencerons par Hegel !

M. le président. Madame, ne répondez pas à M. Brard !

Mme Muriel Marland-Militello. Je ne répondrai pas !

M. le président. Gardez votre trajectoire ! Regardez devant vous, ou regardez le ministre, mais ne regardez ni à gauche, ni à droite ! (Rires.)

Mme Muriel Marland-Militello. Le rapport Guillot nous le confirme : plus de 80 % des intermittents ont un salaire inférieur à 1,1 SMIC. Cela s'explique simplement par le fait que le nombre des intermittents a augmenté plus rapidement que l'activité du spectacle. Ainsi, leur temps de travail a diminué, comme la durée de leurs contrats. La durée moyenne d'un contrat est passée de vingt jours en 1987 à six jours en 2001. Cela a entraîné le déficit du système d'assurance chômage des annexes 8 et 10.

Je ne développerai pas les différentes réformes que nous pourrions entreprendre. Je voudrais simplement attirer votre attention sur un point : lorsque nous délimiterons le périmètre légitime de l'intermittence, il ne faudra pas oublier de comptabiliser les activités de diffusion, essentielles pour l'art de la scène, et il faudra prendre en compte les temps de répétition et de préparation, car tout travail mérite d'être rémunéré.

Mais si nous voulons soutenir les artistes et les techniciens des arts de la scène, il faut prendre conscience de l'une des failles de notre système : le manque d'information et de formation des artistes et des techniciens.

Il existe en France un écart entre la formation très poussée dispensée par les conservatoires supérieurs et la pseudo-formation qu'offre une multitude de cours privés, ni les uns ni les autres ne prenant d'ailleurs en compte les débouchés professionnels.

C'est aux responsables politiques - l'État, les régions - et aux partenaires sociaux qu'incombe la responsabilité de faire adapter les offres de formation initiale aux besoins des emplois artistiques et de mieux informer les jeunes qui s'engagent dans cette voie.

S'ils n'ont pas une vision claire des besoins dans les principales qualifications de ce secteur, les jeunes risquent de rejoindre des formations déjà excédentaires et de se retrouver dans une impasse lorsqu'ils rechercheront un emploi. Il faut donc trouver un juste équilibre entre la maîtrise des flux d'entrée de nouveaux artistes et l'orientation des candidats, qui doit aussi tenir compte de leur vocation. Il est important d'accueillir chaque année un certain nombre de professionnels, car sans apport de sang neuf, il n'y a ni création ni diversité culturelle.

Une formation initiale de qualité et pluridisciplinaire, avec des passerelles, qui pourrait être prolongée par une formation continue reconnue et par la validation des acquis de l'expérience, confortera les artistes qui désirent demeurer dans la vie artistique, tout en permettant à ceux qui le désirent de la quitter.

Une inquiétude me taraude. On a l'habitude de dire que les révolutions techniques transforment l'exercice des spectacles de la scène pour l'améliorer. J'en conviens, la mise en mémoire de l'éphémère qu'est le spectacle vivant, par le biais des télé-services, permet d'augmenter les gains de productivité et d'élargir le public. Mais elle permet surtout à ce public de se donner l'illusion de participer à un spectacle vivant sans se déplacer !

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui ! Il faut supprimer tout cela, comme les CD !

Mme Muriel Marland-Militello. Or rien ne peut remplacer la magie d'un spectacle sur scène, comme on ne pourra jamais remplacer le lien social qui se crée lors d'un spectacle sur scène.

M. le ministre de la culture et de la communication. C'est vrai !

Mme Muriel Marland-Militello. Je ne suis pas sûre, fondamentalement, que s'affranchir en permanence des contraintes physiques et ne plus faire l'effort d'aller vers les artistes favorise, à long terme, les spectacles sur scène et la variété des plaisirs artistiques du public.

Et j'en viens précisément au problème lié aux publics.

L'augmentation et la diversité des spectacles ne s'accompagnent pas forcément d'une augmentation et d'une diversité des publics équivalente.

On retrouve souvent les mêmes publics aux différents spectacles : moins de 10 % des ménages effectuent 40 % de la dépense pour les spectacles vivants.

Cette stagnation des publics pose le problème de la démocratisation culturelle. Pour obtenir une plus large demande, il faut susciter l'envie, le désir dès le plus jeune âge et tout au long de la vie. Il faut donc améliorer l'égalité d'accès de tous à la culture.

M. le ministre de la culture et de la communication. C'est vrai !

Mme Muriel Marland-Militello. Imposer l'enseignement artistique dans le bloc des fondamentaux obligatoires dès l'école et tout au long de la scolarité me paraît fondamental. Prévoir la retransmission des spectacles de qualité aux heures de grande écoute à la télévision me paraît également un excellent moyen.

M. Jean-Pierre Brard. Vous avez dit le contraire tout à l'heure : qu'il fallait les voir et non pas les retransmettre !

M. le président. Veuillez conclure, madame la députée !

Mme Muriel Marland-Militello. J'ai bientôt fini, monsieur le président ! J'ai été retardée par la gauche ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Mais vous êtes un peu incohérente !

M. le président. Monsieur Brard !

Mme Muriel Marland-Militello. Favoriser une plus grande circulation des spectacles sur le territoire national et mettre l'artiste au cœur de la cité pour susciter des rencontres avec le public me paraît aussi un excellent moyen de démocratisation culturelle.

Je termine sur la pratique amateur.

Les amateurs, loin de concurrencer les professionnels, diversifient et augmentent les publics de spectacle vivant. Ils entraînent énormément d'adhésion et fournissent le terreau du développement des spectacles vivants.

En conclusion, monsieur le ministre, je crois partager avec vous le souci et la volonté de maintenir la liberté artistique, sa créativité et la diversité culturelle. Je vous demande de comprendre mon inquiétude pour les spectacles de scène, la diversité culturelle et l'augmentation des publics. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Richard.

M. Dominique Richard. Jacques Duhamel avait coutume de dire : « La culture ? C'est ce qui transforme une journée de travail en journée de vie ! ».

Poser ainsi le débat, c'est affirmer combien l'expression culturelle est consubstantielle à la nature humaine, combien elle ne saurait être reléguée à une occupation accessoire lorsque les hasards de votre agenda l'autorisent.

L'expression culturelle, la consommation culturelle au sens noble du terme, fondent le sentiment d'appartenance à une même communauté humaine et contribuent de façon déterminante à la construction de la personnalité de l'enfant.

C'est dire, monsieur le ministre, combien la réflexion, menée ce jour à votre initiative, ne saurait être reléguée aux rayons des accessoires, mais mérite, tout au contraire, de figurer à celui des moments forts de notre législature.

Les intervenants précédents ont été nombreux et talentueux à brosser un tableau complet de l'état de la culture vivante dans notre pays et à s'engager sur des pistes de réflexions nourries par la qualité du rapport de Christian Kert à l'issue de la mission d'information présidée par Dominique Paillé.

Aussi, afin de ne pas être redondant, je limiterai mon propos à un seul aspect, cependant essentiel : comment faire pour ouvrir l'appétit de nouveaux publics à une politique culturelle diversifiée ?

En effet, c'est un truisme - et vous me le pardonnerez - : il ne peut y avoir culture sans rencontre avec un public. Attirer de nouveaux publics dans nos salles est un enjeu majeur auquel quatre types de réponses, parmi d'autres, peuvent être apportés.

Tout d'abord, et certains l'ont souligné, le développement de l'éducation artistique et culturelle à l'école. C'est en effet très tôt, dès le plus jeune âge, qu'il convient de sensibiliser nos enfants à l'apport indispensable que constitue une pratique culturelle régulière afin de faire naître chez eux un véritable besoin. Que ce soit par la lecture, par la rencontre avec des artistes et leur présence dans l'école, par la pratique artistique ou par la connaissance de l'histoire de l'art, chaque expérience construit le socle de la vie d'adulte. Monsieur le ministre, nous vous appuierons pour que ces considérations soient réellement prises en compte dans le projet de loi d'orientation sur l'école.

Les pratiques amateurs, ensuite. Elles constituent un formidable creuset, un réservoir exceptionnel qu'il convient d'encourager et sûrement pas de mépriser. Non seulement elles ne concurrencent pas l'expression professionnelle, mais elles la nourrissent.

Troisième point : la question de la diffusion culturelle, et intimement liée, la question de l'aménagement culturel du territoire afin qu'il n'y ait pas de fracture entre Paris et la province, entre les urbains et les ruraux. Le rapport Latarjet l'a justement souligné : la France est le pays où l'on produit le plus, mais où l'on diffuse le moins ! Les collectivités locales ont assurément une mission particulière en ce domaine.

Dernier point, mais pas le moindre : la place de la culture à la télévision. Le rapport de Catherine Clément La nuit et l'été l'a souligné : la culture vivante est insuffisamment présente à l'écran et trop souvent à des horaires inaccessibles, malgré - il faut le noter - les efforts notoires de certaines chaînes, comme Arte ou France cinq, et des progrès réels du service public en ce domaine.

À l'heure où nos enfants passent plus de temps devant un écran que sur les bancs de l'école, où nos concitoyens passent 3 heures 28 par jour devant leur récepteur, la télévision ne peut plus être considérée comme un concurrent du spectacle vivant, mais comme un partenaire.

Alors que vont être renégociés les contrats d'objectifs et de moyens, le Gouvernement doit saisir l'opportunité de faire évoluer les pratiques des diffuseurs, tout comme il doit veiller à ce que le nouveau fonds d'aide à l'innovation puisse permettre de progresser dans les modes de captation des œuvres, afin que celles-ci ne soient pas dénaturées et gardent intacte leur capital d'attractivité. Enfin, de mon point de vue, il sera nécessaire de renégocier les accords de rediffusion afin de développer le second marché.

Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques réflexions que je souhaitais verser à nos débats. Ils ne seront pas, vous nous l'avez confirmé, monsieur le ministre, sans lendemain.

N'oublions pas en effet ce que disait Jean-Paul II devant l'UNESCO en 1980 : « Veillez à la culture de votre nation ; c'est ce qui fait en l'homme l'humain ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Michel Françaix.

M. Michel Françaix. Gambetta disait : « Il ne suffit pas de décréter des citoyens, il faut en faire ».

Pas de citoyen sans émancipation des servitudes de l'ignorance, sans commerce avec les œuvres de l'esprit. Pas de citoyen sans culture.

Mais faire œuvre de création aujourd'hui est une aventure. Une aventure dans un contexte économique qui confirme comme seul objectif la marchandisation du monde. Une aventure dans un contexte qui appuie souvent sur le bouton de l'égalitarisme et du plus grand dénominateur commun du consommateur. Une aventure dans un monde univoque : une seule boisson désaltère le monde, une seule musique engloutit notre air.

Le rôle du ministère et du ministre de la culture est de contribuer a contrario d'ouvrir notre regard sur la richesse d'un monde pluriel : un monde qui ne gomme pas, qui n'uniformise pas, qui ne cherche pas à être culturellement correct.

Comment adapter et rénover ces politiques publiques culturelles dans le contexte nouveau de la mondialisation, de la communication et de la révolution numérique ?

C'est de ce futur dont nous avons à débattre aujourd'hui. À quels défis devons-nous répondre ? Comment donner un nouvel élan ?

Il m'apparaît que nous devons d'abord réagir au rétrécissement de l'espace laissé à la création, et plus largement au domaine de l'esprit dans notre société.

Cette contraction est l'effet du poids déterminant des médias et de la transformation de la culture en un immense domaine marchand. La média gouvernance qui lie presse-médias et les rend inséparables de l'industrie culturelle ne peut être - non, ne peut être - notre souhait.

Or, précisément, les politiques publiques en matière culturelle ne peuvent être assimilées à la seule occupation du loisir ni à l'embellissement du cadre de vie. Elles ne peuvent se fondre dans un marché du temps libre auquel certains souhaitent cantonner les pratiques culturelles du plus grand nombre. Dans notre réflexion, nous ne pouvons nous borner à assimiler culture, qualité de vie et quotidienneté. La culture est plus que cela. Elle est sens de la vie, dépassement du quotidien, projet de civilisation. La culture n'est pas un « secteur » de l'activité humaine. Elle a une « transversalité », une ambition « civilisatrice ».

M. le ministre de la culture et de la communication. Là, je suis d'accord !

M. Michel Françaix. J'espère que vous le serez jusqu'au bout, monsieur le ministre !

M. Christian Kert. C'est moins sûr !

M. Michel Françaix. Face aux défis contemporains, la culture doit donc bien être au centre de notre projet politique pour être clairement audible dans le débat de politique générale.

Or il existe, malgré votre bonne volonté, un étrange silence sur les enjeux culturels de la part de ce gouvernement.

Il y a ce qui relève du silence de consentement pour ceux qui se satisfont des perspectives du loisir marchand de masse. Mais il y a sans doute aussi, de façon paradoxale, un silence de contentement lié à nos acquis. La France, il est vrai, s'est dotée, il y a plus de quarante ans maintenant, d'un ministère de la culture qui a beaucoup fait sur l'ensemble des champs de ce vaste domaine. Nous avons accompli un chemin considérable avec - même si cela vous déplaît - un nouvel élan en 1981, sur deux axes essentiels : le soutien à la création et l'accès du plus grand nombre à l'art et à la culture. S'est mis en place ainsi un véritable maillage du territoire, souvent à partir d'équipes de création. La France dispose d'un réseau très dense d'équipements, d'institutions, de compagnies indépendantes et d'acteurs culturels grâce auxquels la vie culturelle est inscrite sur l'ensemble du pays de façon profonde et durable. Et parfois, monsieur le ministre, l'on a le sentiment que cela vous suffit...

Mais s'ouvre, vous le savez bien, une nouvelle époque où il faut sans doute repenser les relations entre les lieux de diffusion et le public.

Les expositions d'artistes, les dédicaces de livres, les conférences voyage, les cybercafés peuvent être des lieux de diffusion à part entière.

Il faut probablement expérimenter une autre façon de vivre les arts de la rue.

Les arts de la rue ont réussi à amener un public nouveau vers cette forme d'expression. Il est dommage qu'aucune analyse poussée n'ait été faite à ce sujet.

Faire comprendre aux décideurs l'intérêt des arts de la rue en franchissant une nouvelle étape,...

M. le ministre de la culture et de la communication. Qui a décidé les arts de la rue en 2005 ?

M. Michel Françaix. On avait peut-être commencé les arts de la rue avant 2005, monsieur le ministre !

M. le ministre de la culture et de la communication. Qui a décidé une opération exceptionnelle ?

M. Michel Françaix. Monsieur le ministre, je suis sûr que vous arriverez à me convaincre dans votre réponse !

Faire comprendre aux décideurs l'intérêt des arts de la rue en franchissant une nouvelle étape : les lieux de fabrication ; aller sans doute au-delà des festivals ; renforcer leur diffusion sur l'ensemble des saisons.

Car en dépit de son importance, l'évolution de l'offre culturelle n'a pas incité un nouveau public à consommer de la culture. Si le public existant est fidèle, on ignore comment toucher ceux qui ne viennent pas spontanément. Votre action se doit de garantir que les institutions artistiques que vous financez aient toujours, à l'instar des pionniers du théâtre populaire, le souci de l'accueil de publics nouveaux.

M. le ministre de la culture et de la communication. Ça, c'est vrai !

M. Michel Françaix. Effectivement, ce que je dis est souvent vrai !

Et puis, surtout, nous devons approfondir notre réflexion sur la décentralisation.

Se pose aujourd'hui avec acuité le débat sur la décentralisation de la politique culturelle.

Quel rôle pour les régions et les collectivités locales ?

On navigue entre deux écueils : la centralisation excessive, qui fait de Paris le chef d'orchestre culturel unique, et la décentralisation excessive, qui peut conduire à un conservatisme culturel, voire à une « folklorisation » de la culture et à un comportement clientéliste de la part des autorités régionales.

L'actualisation du rôle des DRAC, recentrées sur les finalisations et les objectifs, est plus que jamais à l'ordre du jour. Nous sommes à la croisée des chemins. Nos pratiques habituelles ne sont pas accordées aux développements nouveaux et indispensables. L'absence de lisibilité du rôle de chacun, l'empilement des priorités et des procédures, la superposition des conventions, la fragmentation des décisions entraînent une déperdition, une dilution qui nuit aux orientations et aux objectifs politiques.

Une clarification du rôle de l'État et de celui des divers échelons des collectivités territoriales est nécessaire. Mais ce qui fait défaut aux différents partenaires, c'est un système d'observation cohérent, qui permettrait de recueillir des informations incontestables sur le spectacle vivant pour faciliter l'exercice des responsabilités de chacun, la réflexion partagée, l'élaboration des politiques et l'analyse prospective.

La promotion de l'éducation et de la pratique artistiques dans les établissements scolaires et universitaires devrait constituer l'un des principaux chantiers des prochaines années et la voie la plus novatrice pour un accès du plus grand nombre à la culture. Sur le terrain, on constate une explosion des demandes que les enseignants adressent aux établissements de diffusion pour qu'ils organisent des activités pédagogiques. Il conviendrait d'inclure dans les contrats d'objectifs des institutions culturelles subventionnées l'ouverture de services pédagogiques adaptés à cette considérable demande potentielle.

Retrouvez, monsieur le ministre, l'esprit du plan Lang-Tasca du 14 décembre 2000.

M. Patrick Bloche. Et les moyens !

M. Michel Françaix. Le temps est venu de relancer cette présence artistique en milieu scolaire qui fait cruellement défaut depuis deux ans. C'est en favorisant la présence de l'artiste dans les établissements scolaires que l'on réussira. À vous, monsieur le ministre, de convaincre M. Fillon que, si les fondamentaux sont nécessaires, ils ne sont pas suffisants. Entendez-vous convaincre votre collègue de l'éducation nationale de la nécessité de s'engager dans une nouvelle étape afin d'établir de manière irréversible l'éducation artistique dans un cadre négocié avec des moyens accrus et des objectifs clairement affichés ?

Tout a été dit sur les intermittents du spectacle. Il a fallu une année pour constater que le plan voulu par le MEDEF ne dégageait aucune économie, une année pour vérifier que 80 % des intermittents gagnent plus ou moins le SMIC. Êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à tirer les conséquences de ce bilan ?

Une certaine droite ayant restauré un discours patronal dans l'opinion désabusée, vous contenterez-vous de n'être que le ministre de la fracture culturelle, qui laisserait le champ libre aux projets du MEDEF dans une morne et passive indifférence, ou serez-vous, comme je le souhaite, le ministre de ces artistes aux privilèges prétendument insensés ?

Sans moyens accrus, comment préserver la création et la diversité culturelles à l'heure de la mondialisation ? Comment parachever la décentralisation et développer le contenu culturel des politiques des territoires ? Comment mieux lier la culture à la citoyenneté ? Comment poursuivre la rénovation du service public et des arts ?

Monsieur le ministre, Victor Hugo se plaignait déjà du budget du gouvernement conservateur de l'époque. Je ne résiste pas au plaisir de vous lire un court passage de ce discours pour conclure mon intervention : « Personne plus que moi n'est pénétré de la nécessité, de l'urgente nécessité d'alléger le budget de la nation, mais le remède de l'embarras de nos finances n'est pas dans quelque économie chétive et détestable. Quand vous le voudrez, vous aurez un magnifique mouvement intellectuel ; mais il ne s'agit pas de l'utiliser, ce ne sont pas les talents qui manquent, c'est la volonté de ce gouvernement d'encourager un grand mouvement. Vous êtes tombés dans une méprise regrettable, vous avez cru faire une économie d'argent, c'est une économie de gloire que vous faites. Je la repousse pour la dignité de la France. »

À vous, monsieur le ministre, de me prouver que les temps ont changé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. − Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Méhaignerie. Comme c'est ampoulé !

M. Michel Françaix. Auriez-vous quelque chose contre Victor Hugo ?

M. le président. La parole est à Mme Valérie Pecresse.

Mme Valérie Pecresse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque nous avons entamé les entretiens du spectacle vivant, le 18 octobre dernier, une délégation du comité des intermittents et des précaires d'Île-de-France a souhaité nous délivrer un message, à vous, représentants du Gouvernement, et à nous élus et parlementaires. Une jeune directrice de troupe, Maryline Gourdon, l'a résumé d'une phrase : « Nous savons que vous savez... car vous savez si bien communiquer. » Après cette journée passée au cirque Fratellini, ponctuée par de nombreux échanges avec des personnes passionnées et qui ne comptent pas leurs heures de travail, j'ai envie de répondre à cette jeune femme pleine d'énergie : sachez que nous savons, nous qui espérons un peu mieux communiquer désormais.

Nous savons que la culture n'est pas une cerise sur le gâteau, mais le cœur de notre identité. Toute crise permet des avancées. Si elle a provoqué des tensions et des blessures légitimes, la crise issue de la signature du protocole du 26 juin 2003 a permis à la fois une mobilisation, une prise de conscience et une prise de responsabilité dont témoigne le débat que nous tenons aujourd'hui.

À l'heure où la mondialisation donne à nos concitoyens le sentiment angoissant qu'ils perdent leurs repères, notre histoire, notre patrimoine, notre création la plus contemporaine peuvent leur redonner du sens et la fierté d'appartenir à cette patrie de la créativité et de la diversité qu'est la France. De même que nos industries culturelles constituent un point fort du label France, notre patrimoine culturel fonde l'identité nationale et nous rappelle qui nous sommes et pourquoi nous pouvons en être fiers. Pour avoir, hélas, pu mesurer le gâchis considérable provoqué par des annulations de festivals, nous savons l'importance de l'activité artistique pour le rayonnement de nos territoires et de leur identité.

M. Michel Françaix. Nous, nous le savions avant !

Mme Valérie Pecresse. Nous savons que nous devons une réelle reconnaissance au travail et au talent de nos artistes et techniciens du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma. Ce talent est salué hors de nos frontières. Nous devons placer cette consécration au cœur de notre fierté nationale.

Mais cette reconnaissance passe par la mobilisation de l'ensemble des acteurs autour d'une stratégie offensive pour le développement de l'emploi dans les industries culturelles.

Nous savons que la promotion de l'emploi culturel passe par une stratégie globale. La crise que nous avons traversée a eu le mérite de dévoiler une hypocrisie majeure, celle qui consiste, au pays de l'exception culturelle, à dévoyer un système spécifique d'assurance chômage en le transformant en source de revenus. Disons-le clairement, nous avons fait financer notre politique culturelle en partie par l'UNEDIC.

Monsieur le ministre, le rapport Guillot l'a démontré, nous devons préférer une stratégie consistant à mobiliser tous les acteurs − l'État, les collectivités territoriales, les partenaires sociaux − et leurs énergies autour d'un projet industriel axé sur le développement d'emplois permanents et pérennes. Une politique d'activité et d'emploi est bien préférable à une politique d'immobilisme consistant à chercher des ressources supplémentaires pour l'assurance chômage.

Pour sa part, le Gouvernement a pris ses responsabilités pour renouer le dialogue et créer un contexte plus serein afin de répondre à l'urgence de certaines situations humaines. Je pense à la mise en place du Fonds d'indemnisation provisoire et, surtout, à l'extension du crédit d'impôt cinéma au secteur de la production audiovisuelle, qui permettra à la fois de mieux lutter contre les délocalisations de tournages et d'accentuer la requalification des emplois dans ce secteur. De même, monsieur le ministre, la hausse significative du budget de la culture − 5,9 % − et les 23 millions d'euros de mesures nouvelles pour le spectacle vivant n'ont de sens que parce que vous les avez résolument orientés vers l'emploi.

Je formule donc le souhait que, très vite, les collectivités locales, notamment les régions, entreront dans une logique partenariale aux côtés de l'État pour mieux valoriser l'emploi de nos artistes et techniciens du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma. Elles peuvent d'autant plus sortir d'une logique frontale que le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a montré que l'État accentuait ses efforts financiers et ne se désengageait pas.

M. Patrick Bloche et M. Michel Françaix. C'est faux !

Mme Valérie Pecresse. Enfin, les efforts des partenaires sociaux doivent se concentrer sur la structuration de conventions collectives. Faut-il, en la matière, accentuer la pression et leur demander de négocier sous la menace de dispositions législatives avec une date butoir en guise d'ultimatum ?

M. Michel Françaix. Il vaut mieux ne pas négocier !

Mme Valérie Pecresse. Je ne le crois pas. Une telle démarche ferait perdre aux artistes et aux techniciens le bénéfice d'un climat apaisé, rendant possible une sortie de crise par le haut, c'est-à-dire par le développement de l'emploi. Prenons donc garde à respecter le temps de la démocratie sociale...

M. Patrick Bloche. Deux ans, c'est long !

Mme Valérie Pecresse. ...tout en nous concentrant résolument sur une politique volontariste en matière d'emploi, seule manière de sortir de la crise sans qu'il y ait de perdants.

Nous savons que la défense de la légitimité d'un système spécifique d'assurance chômage ne peut faire l'économie d'une réflexion sur le périmètre de l'intermittence.

Si notre soutien vous est acquis, monsieur le ministre, nous restons vigilants sur la capacité du Gouvernement à rationaliser le périmètre des annexes VIII et X. En la matière, l'action doit être ferme, dans l'intérêt même des artistes et des techniciens.

Parce que nous voulons étendre le soutien de la représentation et de nos concitoyens au maintien d'un régime spécifique, nous devons le rendre incontestable. En d'autres termes, le lien entre le bénéfice de ce régime et la création culturelle doit être d'une clarté absolue. Les élus de la majorité seront très attentifs sur ce point. Nous pouvons être fermes parce que nous cherchons par ailleurs les voies d'un système pérenne et équitable. Il en est de même pour la lutte contre les abus dans les pratiques d'emploi. De ce point de vue, le soutien que vous apporte Gérard Larcher montre une coordination réelle entre vos deux ministères. Aussi, la publication récente du décret sur le croisement des fichiers, attendue depuis 1992, donne enfin les moyens réglementaires d'une traque plus efficace des abus.

Nous savons enfin que le rayonnement culturel est au cœur de l'avenir de notre pays. C'est pourquoi je me réjouis du climat plus serein qui entoure nos débats. Fruit de votre courage, de votre qualité d'écoute et de votre volonté de sortir par le haut d'une crise majeure, ce climat nous a permis d'oublier les caricatures pas si lointaines sur la prétendue guerre à l'intelligence menée par le Gouvernement. Maintenant que ce malentendu est dissipé, le Gouvernement et sa majorité peuvent bâtir l'ambitieuse politique culturelle que nous appelons de nos vœux en la plaçant au cœur d'une stratégie d'excellence et de reconquête de notre identité.

M. le président. Pourriez-vous conclure, ma chère collègue ?

Mme Valérie Pecresse. À l'heure où le Premier ministre prépare, pour 2005, les lois d'avenir sur la recherche et sur l'école, nous n'oublierons pas, monsieur le ministre, que l'intelligence, le savoir et l'excellence ne peuvent se penser sans la dimension culturelle.

Voilà ce nous savons aujourd'hui. J'espère, mes chers collègues, que nous parviendrons à en convaincre nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Marc Bernier.

M. Marc Bernier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'excellent rapport que Christian Kert...

M. Michel Françaix. N'exagérons rien !

M. Marc Bernier. ...a rédigé au nom de la mission d'information sur les métiers artistiques présidée par Dominique Paillé nous invite à faire preuve de clairvoyance pour venir au secours du spectacle vivant.

Au-delà de la polémique du dossier des intermittents du spectacle, qui a tant défrayé la chronique, il s'agit de prendre des décisions vitales pour un secteur important de notre économie, qui n'a pas seulement des répercussions sur l'aménagement du territoire, mais sur l'identité culturelle de notre pays.

En effet, le spectacle vivant, l'audiovisuel et le cinéma constituent à eux seuls − comme le souligne Jean-Paul Guillot dans son rapport − une industrie de 20 milliards d'euros et occupent plus de 300 000 personnes, autant que le secteur automobile.

Les dépenses engagées dans le secteur culturel ont un effet multiplicateur − souvent méconnu ou tout simplement ignoré − sur la création de la richesse dans notre pays. Elles conduisent à une dynamique d'aménagement et de développement culturels du territoire, qui passe par la création d'emplois pérennes et l'élargissement de l'accès à la culture. Elles sont perçues comme un facteur majeur d'émancipation de la société.

Aussi le Gouvernement a-t-il souhaité prendre des mesures appropriées en augmentant le budget de la culture pour 2005, malgré un contexte tendu. Avec 753 millions d'euros, le spectacle vivant représente le premier poste du budget prévisionnel, avec notamment 12 millions d'euros de mesures nouvelles pour permettre la mise en œuvre du plan pour le spectacle vivant, dont l'esprit et la finalité font l'objet des débats de ce jour.

Si ces chiffres témoignent des réelles préoccupations du ministère de la culture, il apparaît aussi important de prendre en considération les attentes des collectivités locales, qui sont également concernées par la question. Lors de mon tour de France de la culture − qui m'a permis de rencontrer non seulement les responsables des directions régionales des affaires culturelles, les élus locaux, mais aussi les acteurs de ce secteur −, j'ai constaté la place que les collectivités accordent à l'art et à la culture. Nombreuses ont été les personnes que j'ai auditionnées avant de rédiger mon rapport pour avis à demander la création d'observatoires régionaux, chargés d'apprécier l'impact de la création artistique dans les politiques culturelles sur le territoire et d'évaluer les retombées économiques de l'emploi culturel en France.

Au cours de mes déplacements et lors des entretiens sur le spectacle vivant du 18 octobre dernier, à l'académie Fratellini, j'ai pu constater combien la question de l'intermittence constituait un frein à l'intervention des collectivités dans le domaine du spectacle vivant.

L'heure semble donc à la construction d'un nouveau système qui rénovera l'intermittence, tout en dépassant le protocole du 26 juin 2003, pour mettre en place un système juste, destiné à garantir la création artistique dans notre pays.

Ces mesures tant attendues doivent permettre de sortir de la logique de précarité d'emploi des intermittents et de moraliser le secteur, dont certains abus ont pu conduire aux incompréhensions et à la crise que nous avons connues l'année dernière.

Il est important que nous nous concertions pour dégager des perspectives, qui nous permettront de sortir de cette situation peu satisfaisante dans laquelle nous nous trouvons.

Dès lors, il nous sera possible de poursuivre et de développer sereinement nos politiques culturelles publiques sur l'ensemble du territoire, tout en assurant le rayonnement international de la France. C'est d'ailleurs la seule issue qui nous est offerte pour préserver les emplois du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma, symboles d'une création artistique active, dynamique et vivante.

J'ai confiance dans les propositions qui sortiront de ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Alfred Trassy-Paillogues.

M. Alfred Trassy-Paillogues. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le spectacle vivant a connu dans notre pays, depuis une vingtaine d'années, un essor considérable du fait des initiatives conjuguées de l'État et des collectivités territoriales qui ont notamment œuvré en faveur de la diversification de l'offre et de la création.

Un certain nombre de points méritaient cependant d'être réétudiés pour permettre une meilleure adaptation des politiques publiques aux réalités locales et à l'emploi artistique.

Les propositions pour préparer l'avenir du spectacle vivant apportent, en ce sens, des réponses justes et pragmatiques à un secteur d'activité dont le nécessaire renouvellement suppose son ouverture à de nouveaux publics d'une manière équilibrée sur l'ensemble du territoire tout en respectant les notions de métiers, d'éducation artistique de qualité, de valorisation des arts populaires et de soutien à la diffusion.

Le milieu rural doit être associé à cette réflexion sur les enjeux artistiques et culturels du spectacle vivant dans le monde d'aujourd'hui car il a ses caractéristiques et ses propres contingences budgétaires.

J'évoquerai deux points particuliers : l'enseignement artistique et la diffusion des œuvres.

Sur le premier point, le confortement de l'offre éducative et de l'enseignement artistique suppose, en milieu rural, le maintien de l'intervention d'enseignants présentant les qualifications requises.

M. Michel Françaix. Il y a du travail !

M. Alfred Trassy-Paillogues. Il faut, en effet, apporter à chaque élève fréquentant une école de musique, une école de danse, une école de théâtre, la base de connaissances fondamentales dans le respect d'un cursus pédagogique défini. Les diplômes requis pour cet enseignement, le diplôme d'État de professeur et le certificat d'aptitude au professorat, conditionnent l'accès à la fonction publique territoriale.

Or les agents titulaires se trouvent aujourd'hui dans une impasse du fait des règles du cumul et surtout de leurs pratiques différenciées, le cumul autorisé variant, semble-t-il, de 15 % à 100 % en fonction des régions et surtout des contrôles de légalité. La sécurité juridique et l'égalité devant la loi conduisent à préconiser un taux plafond commun applicable sur les seize heures qui représentent la base d'un temps complet pour un enseignant artistique.

Sur le second point, la diffusion des œuvres sur l'ensemble du territoire, et notamment jusque dans les communes les plus éloignées des périphéries, ne peut se concrétiser qu'avec le partenariat et le soutien des collectivités locales qui, seuls, garantiront le respect des objectifs d'ouverture à de nouveaux publics et de recomposition de l'œuvre artistique afin de rendre complémentaires les arts populaires avec les formes dites « savantes ».

Il convient, en effet, d'insister sur les obstacles budgétaires rencontrés par les petites communes qui, au-delà de leur volonté d'offrir à leur population des spectacles ou des troupes de renom, ne peuvent assumer seules le coût financier de ces prestations. Le public existe en milieu rural et la demande est forte et diversifiée mais, faute de moyens, les petites communes ne peuvent entreprendre une véritable politique culturelle, même appuyée sur le patrimoine ou sur un projet de développement touristique.

Pour remédier à cet écueil, on pourrait imaginer la prise en charge forfaitaire, par les départements ou les régions, d'une partie des cachets, en laissant aux communes le choix de la formation ou de la troupe afin de servir un projet cohérent, adapté aux spécificités locales.

L'intercommunalité a un rôle essentiel à jouer dans ce domaine puisque l'accès à la culture reste inégalement partagé à l'échelle du territoire national. Ainsi, la décentralisation et l'intercommunalité constituent-elles de nouveaux outils possibles de promotion culturelle et artistique qu'il nous convient d'utiliser et de mobiliser. Le poids des équipements et la complexité de la gestion de la culture aujourd'hui mettent doublement en difficulté les communes rurales quand elles n'ont pas les moyens humains de leurs ambitions culturelles. La solution intercommunale peut alors s'imposer car seule capable d'apporter une réponse aux problèmes d'échelle.

Enfin, la collaboration avec des professionnels ayant retrouvé la confiance et confortés par les mesures que vous prenez, monsieur le ministre, associée à une nouvelle politique de soutiens financiers publics, constituera sans nul doute le fondement de l'élaboration d'un projet culturel de territoire que le milieu associatif pourra appuyer de son expérience, de son dynamisme, de sa capacité à fédérer la population. Ainsi, vous aurez, monsieur le ministre, contribué à l'aménagement culturel de notre territoire national que je souhaite vivement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Méhaignerie.

M. Pierre Méhaignerie. Monsieur le président, je remercie Jérôme Chartier de m'avoir laissé son temps de parole. Il voulait, à juste titre, mettre l'accent sur les arts du cirque.

Je participais ce matin à un débat avec le président Camdessus.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas une très bonne référence. Ça commence mal !

M. Pierre Méhaignerie. Son diagnostic, vous le savez, rejoint la dizaine de rapports qui l'ont précédé, de M. Choussat à M. Fauroux, c'est-à-dire provenant de toutes les sensibilités politiques.

M. Jean-Pierre Brard. Mais non !

M. Pierre Méhaignerie. La France peut inverser sa trajectoire, retrouver un chemin de croissance et revenir à un taux de chômage de moins de 5 %, selon la stratégie de Lisbonne, mais à condition de poursuivre la réforme de l'État et de maîtriser la dépense publique.

Depuis trois heures, j'ai écouté avec beaucoup d'attention les différents intervenants, en particulier vous-même, monsieur le ministre. J'apprécie votre travail, qui n'est pas facile. Je mesure votre passion, et je la partage. Mais la lucidité me conduit à insister sur les contraintes à venir.

Si la croissance atteint 2,5 %, les deux tiers des recettes supplémentaires doivent aller aux dépenses de santé et de vieillesse. À quoi doit-on consacrer le tiers de richesse supplémentaire restant ? Aux dépenses collectives, à l'amélioration du pouvoir d'achat de ceux des Français qui ne s'estiment pas encore appartenir à la classe moyenne ? Comment donc concilier ces deux objectifs, monsieur le ministre, aussi justifiés l'un que l'autre ? Existe-t-il un chemin de crête ? Oui, je le crois.

Il convient d'abord de rappeler - cela n'a pas souvent été fait ici - les progrès enregistrés quand même ces dernières années, notamment en matière d'éducation artistique, d'accès à de nouveaux publics et de développement de la pratique amateur.

M. Michel Françaix. Lang, Tasca, ce n'était pas mal !

M. Pierre Méhaignerie. La croissance globale des recettes de taxe professionnelle de nos collectivités, de 3 % en moyenne en euros constants, a permis à nombre de nos collectivités de consacrer l'essentiel de ces recettes à la dépense culturelle. En tant que président d'une communauté d'agglomération, je suis passé, en quinze ans, de trois professeurs de musique, de danse et d'art plastique, à quarante-cinq professeurs. C'est dire l'effort consenti par notre pays, comparé avec nos voisins européens.

Deuxième piste : il faut mieux utiliser les leviers de la LOLF. Je sais que les responsables de votre ministère y sont particulièrement attachés, mais les moyens budgétaires doivent être gérés dans un esprit de plus grande responsabilité encore.

La nouvelle nomenclature des programmes en trois parties - connaissance, préservation, enrichissement et promotion des patrimoines ; développement et diffusion de la création ; transmission des savoirs et démocratisation de la culture - vont faciliter votre travail, monsieur le ministre.

Un immense travail d'évaluation doit également vous permettre d'engager des moyens nouveaux, en particulier en faveur des jeunes compagnies, dont les besoins ne sont pas toujours satisfaits, ou de l'aménagement culturel du pays, comme le disait tout à l'heure un orateur, ou de l'accès de nouveaux publics. Cette évaluation impose de prendre en compte le rapport de la Cour des comptes sur l'éclatement des corps et des statuts, pas toujours favorable à la créativité - dix-huit dans la catégorie A, sept dans la catégorie B, onze dans la catégorie C -, la multiplication des établissements publics, le niveau d'absentéisme dans certains secteurs, notamment dans les musées, l'empilement des structures. Nous devons engager cet effort ensemble, monsieur le ministre.

Nous avons débattu du Centre national des variétés et du jazz. Il accomplit certes un travail important mais, dans le même temps, est-il nécessaire d'avoir un sixième arrosoir pour financer des équipements culturels ? Entre les aides de la Communauté européenne, de l'État, des départements, des régions, certains équipements culturels sont aujourd'hui financés à 80 %. Là aussi, des marges de redéploiement existent.

Enfin, il y a quelques années, l'OCDE évoquait, non sans justesse, une « monarchie culturelle » à propos des politiques culturelles de la France, en raison des grandes institutions qui absorbent beaucoup de moyens. Des efforts doivent être faits. Il faut consacrer plus d'énergie et mieux gérer certains secteurs pour aider davantage certains autres. Nous sommes là pour vous y aider, monsieur le ministre.

M. Michel Françaix. Méfiez-vous de cette aide, monsieur le ministre. (Sourires.)

M. Pierre Méhaignerie. C'est ce sens des responsabilités que nous voulons partager avec vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Françaix. Il vous enfonce, monsieur le ministre.

M. le président. Le débat est clos.

La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. le ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais tout d'abord exprimer ma gratitude pour votre participation à ce débat non seulement hautement symbolique, mais qui doit également nous permettre de définir un plan d'action.

Les interventions des présidents des commissions des affaires culturelles, des affaires économiques et des finances, signe d'une solidarité nécessaire, la présence à mes côtés du ministre délégué aux relations du travail et du secrétaire d'État à l'insertion professionnelle des jeunes, votre présence personnelle, monsieur le président, en dépit de vos nombreuses contraintes, témoignent de l'importance de ce débat.

Je voudrais, avant de répondre aux orateurs, vous faire partager un moment émouvant vécu lors du lancement de l'année de la France en Chine. Alors que j'assistais, à Shanghai, au spectacle pyrotechnique monté par un groupe de Martigues, celui-là même qui avait fait l'ouverture des jeux olympiques d'Athènes, un dignitaire chinois s'est exclamé, ébloui par la magnificence du spectacle : « Au fond, il n'y a que les Français pour inventer cela. »

J'aimerais que parte de cet hémicycle, en direction des artistes et des techniciens français qui font notre fierté, un message non pas simplement de reconnaissance, mais également de détermination. Mon objectif politique, c'est tout simplement que la culture n'apparaisse pas comme une activité résiduelle, mais comme le cœur de notre rayonnement, de notre influence, de notre activité, avec le souci du décloisonnement, par respect pour chacun. Je souhaite que ceux qui n'aiment que la musique baroque découvrent la culture du hip-hop, que ceux qui ne s'intéressent qu'aux sons électroniques puissent s'émerveiller devant la façade d'une cathédrale.

Dans le monde de violence actuel, je souhaite que les uns et les autres, chacun à notre manière, nous défendions des valeurs de respect de l'autre, quel qu'il soit, de rayonnement et d'activité, parce que, ce débat l'a montré, il ne s'agit pas uniquement de défendre la place des artistes dans notre pays et sur le continent européen, d'avoir le souci du patrimoine et du passé, avec la fièvre de la création et de l'avenir, il s'agit également de parler du rayonnement de nos activités, de notre pays, et de l'épanouissement de nos concitoyens.

Je vais essayer de reprendre quelques éléments de chacune des interventions, avec le risque, bien évidemment, d'être en quelque sorte « sectaire » dans mon choix.

M. Pierre Albertini. Synthétique !

M. le ministre de la culture et de la communication. Monsieur Pierre Albertini, le spectacle vivant a besoin du soutien de l'audiovisuel, vous avez raison, pour gagner de nouveaux publics, faire passer l'information et inciter les gens à entrer dans une salle, à rencontrer directement celles et ceux qui font notre culture.

Vous avez évoqué la répartition des responsabilités en disant que l'État devrait concentrer son effort sur les grands établissements. Nous en discuterons, mais je pense qu'il est également de notre devoir d'accompagner les jeunes talents,...

M. Pierre Méhaignerie. Exactement !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...toutes celles et tous ceux qui se lancent pour la première fois, qui ont des difficultés pour exister, pour rayonner, en prévoyant éventuellement de renouveler les passerelles entre le secteur public et le secteur privé.

Je voudrais rassurer Frédéric Dutoit. Très surveillé sur cette question par le Président de la République et le Premier ministre, je mène un combat permanent en faveur de la diversité culturelle, de la spécificité française. Cette politique porte ses fruits, parce que, dans notre action, le thème de la culture n'est pas isolé du reste. Il y a une cohérence dans le message politique français, dans celui de notre diplomatie, de nos artistes. C'est ainsi que j'ai récemment pu obtenir de mon homologue chinois, ainsi que de mes collègues de l'Union européenne à Berlin, une déclaration conjointe sur la légitimité d'une action nationale en matière culturelle, comme le Premier ministre l'a fait à Mexico.

M. Dutoit a évoqué l'ouverture d'esprit nécessaire pour associer chacun à nos débats. Je remercie à cet égard les organisations professionnelles et syndicales reconnues par la loi et la République d'avoir fait preuve d'ouverture d'esprit pour que les réunions du Conseil national des professions du spectacle soient ouvertes à des observateurs issus de structures nouvelles ou des forces politiques.

Dominique Paillé a dirigé des travaux particulièrement importants. Il a raison de souhaiter une politique offensive de conquête du public, avec le souci d'une mutualisation des moyens. Comme lui, je suis vivement préoccupé par la question de l'importance des subventions et du petit nombre de structures auxquelles elles sont destinées, ainsi que par les difficultés concrètes de fonctionnement de nos structures culturelles. Soyez rassuré, monsieur Paillé, je n'ai pas l'intention de faire relâche !

Dans ce débat magnifique, il y a eu une fausse note que je regrette. Sur un sujet comme la politique culturelle, il faut savoir se rassembler. Monsieur Ayrault, dans la diversité de la démocratie, il faut parfois savoir transcender les clivages.

Mme Muriel Marland-Militello. Bravo !

M. Jean-Marc Ayrault. Vous n'allez tous de même pas me donner une leçon de morale !

M. le ministre de la culture et de la communication. En écoutant vos propos - je vous le dis avec simplicité, mais avec beaucoup de gravité -, je pensais qu'un gouvernement qui aurait été dirigé par quelqu'un de chez vous n'aurait pas su prendre la décision de Lens. Lorsque nous avons choisi, comme lieu d'implantation pour le Louvre, un endroit symbolique extraordinaire...

M. Dominique Paillé. C'est vrai !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...où l'action culturelle a été complètement oubliée pendant des décennies, une ville marquée par les cicatrices laissées par l'industrie, alors que deux ministres de ce gouvernement avaient proposé un projet magnifique, nous avons eu le courage de ne pas faire de « politicaillerie » et de prendre une belle décision ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Marc Laffineur. C'est la différence entre eux et nous !

M. Michel Françaix. Ce que vous dites est inexact : nous l'avons fait avant vous !

M. le ministre de la culture et de la communication. Jack Lang lui-même a regretté de ne pas avoir eu cette bonne idée ! Au lieu de m'accuser de désengagement, dans les termes les plus poétiques, concentrez-vous plutôt sur la politique menée, par exemple, dans la région Languedoc-Roussillon ! Je pense aux théâtres de Perpignan, de Béziers et de Nîmes, aux vingt compagnies que Georges Frêche a privées de subventions,...

M. Michel Françaix. Cela ne vous dédouane pas !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...à la suppression des crédits des festivals de Maguelonne, de Carcassonne, de Lamalou, de Perpignan, de Lodève, de Béziers et des crédits du livre et de la lecture. Dans cette région comme dans d'autres, je suis confronté à des décisions unilatérales que je déplore. Je souhaite être un partenaire loyal. Je comprends le cri d'Antigone - « tout, tout de suite, ou alors je refuse » -, mais je ne veux pas adopter une attitude de bloc contre bloc, de guerre de tranchées, de chien de faïence vis-à-vis de la politique culturelle, car le débat avec les collectivités territoriales est nécessaire. A Avignon, le premier secrétaire du parti socialiste m'a dit qu'elles ne devaient pas participer au financement de l'assurance chômage. Je comprends cette logique : en 2004 comme en 2005, c'est donc l'État qui prend ses responsabilités pour parvenir à un système qui donne davantage satisfaction à ceux qui étaient exclus du protocole.

Mais sur l'emploi culturel, je le dis haut et fort, État et collectivités territoriales doivent se donner la main, en liaison avec les organisations professionnelles. La participation financière de l'État étant décidée, il s'agit maintenant de discuter avec les représentants des collectivités territoriales - régions, départements et communes - pour aboutir, je l'espère en 2005, à ce que j'aimerais baptiser « les accords de Valois ». Il s'agira non pas de l'indemnisation du chômage, mais du soutien à l'emploi culturel.

Nous avons tous à balayer devant notre porte. Nous pouvons nous reprocher mutuellement nombre de situations précaires, tant dans les services de l'État, les entreprises publiques, que dans les collectivités territoriales et les institutions culturelles qu'elles financent. Mais ce qui importe désormais, c'est de voir comment on peut transformer un certain nombre de ces emplois en emplois permanents, étant entendu que je considère le système de l'intermittence comme nécessaire à la politique culturelle.

Jean-Michel Dubernard a eu raison d'évoquer la nécessité de plans régionaux du spectacle vivant. De même, nous devons connaître la réalité économique, financière et sociale des activités culturelles au ministère comme dans chacune de nos régions. Des observatoires régionaux sont donc essentiels pour nourrir le débat, à l'échelle régionale comme à l'échelle nationale. Je redis à cette occasion publiquement la confiance que je place dans les directeurs régionaux des affaires culturelles. Dans les périodes conflictuelles, ils sont des médiateurs, non des représentants de services polyvalents de la culture. Ce sont mes représentants, les représentants de l'État dans chacune des régions. Ils ont le rôle magnifique d'être à la disposition des uns et des autres, d'aller voir la plus petite des compagnies, le plus inconnu des créateurs qui sera peut-être demain illustre dans le monde entier. Ce rôle de médiateur, de détecteur de talent, d'accompagnateur est essentiel. De la même manière, il faut parfois savoir faire baisser la tension et éviter les conflits.

Pierre-Christophe Baguet a repris avec raison les propositions des professionnels qui en appellent à un système vertueux. Il y a eu des dérapages s'agissant notamment du recours aux annexes 8 et 10, et le système qui sera constitué doit encourager une modification des comportements.

Vous avez aussi évoqué, monsieur Baguet, les jeunes, l'apprentissage et la formation professionnelle. La présence de Laurent Hénart à mes côtés avait, je l'ai dit, valeur de symbole. L'entrée dans le métier se fait parfois progressivement. Nous avons eu un débat très « électrique » à Saint-Denis sur la nécessité des diplômes. Il faut dire aux jeunes que s'engager dans les métiers culturels et artistiques est dur, exige un énorme travail et que l'on n'accède pas immédiatement à la renommée internationale. Je souhaite que nos artistes bénéficient des moyens prévus pour l'insertion professionnelles des jeunes.

La TVA sur les produits culturels est un sujet récurrent.

Jean-Pierre Brard aura, je l'espère, constaté que le ministre de la culture et de la communication n'est pas un leurre ! Le jour même où j'avais accepté de répondre devant la presse aux questions du comité de suivi, qui rassemble des personnalités d'horizons différents et pour lequel j'ai le plus grand respect, Jean-Pierre Brard avait lancé, à mon entrée dans la salle : « La question politique est de savoir si Donnedieu de Vabres est un leurre. » J'espère qu'il reconnaîtra que je ne suis pas un leurre et que j'ai tout simplement la volonté d'agir !

En 2005 comme en 2004, artistes et techniciens qui auront fait leurs 507 heures en douze mois, au lieu des dix et demi ou onze prévus par le protocole, seront indemnisés. Si j'ai dit que les mesures devaient s'inspirer de celles du fonds 2004, c'est que j'espère pouvoir réaliser des progrès supplémentaires, mais, s'agissant d'un fonds de transition, je ne puis m'engager d'emblée.

M. Jean-Pierre Brard. Et le recours à la loi ?

M. le ministre de la culture et de la communication. J'y viendrai en conclusion.

Christian Kert a notamment évoqué la création contemporaine, à laquelle je suis très attaché, et la nécessité de l'encourager sous toutes ses formes.

Monsieur Bloche, les problèmes de précarité ne sont pas directement issus du protocole de 2003.

M. Patrick Bloche. Vous me faites un procès d'intention !

M. le ministre de la culture et de la communication. C'est la beauté et la grandeur du métier artistique que d'accepter cette rencontre difficile, aléatoire et électrique avec le public, qui en fait parfois un parcours du combattant. Je souhaite que nous progressions dans ce domaine, dans le souci de la transparence et de la vérité. Personne n'a rien à craindre de la vérité, parce qu'elle permet le partage des responsabilités, et l'UNEDIC n'avait pas à craindre celle qui est sortie du rapport Guillot : elle a permis de mobiliser les différents partenaires. Il n'y a pas de dialogue de sourds entre les artistes et les systèmes d'indemnisation du chômage. Les employeurs sont des entreprises privées, publiques, des collectivités territoriales ou l'État. La vérité incite donc au partage des responsabilités et au progrès.

Certes, il est dur d'obtenir des résultats. Mais les deux décrets, fondamentaux pour la transparence, qui viennent de paraître étaient attendus depuis dix ans !

Certains ont opposé, ce qui ne me paraît pas fondé, le spectacle vivant et le patrimoine.

M. Patrick Bloche. Il ne s'agit pas de les opposer !

M. le ministre de la culture et de la communication. Je ne suis pas en passe de me désengager. Je ne vais pas justifier tous les chiffres de mon budget, mais je rappelle que, entre 1998 et 2001, le budget de la culture avait baissé de 1,5 %. Sans doute M. Jospin avait-il alors d'autres priorités.

Je ne suis pas en train de vous dire que mes crédits sont pléthoriques. D'abord, ce serait très maladroit en présence du président de la commission des finances.

M. Michel Françaix. Il aurait sûrement félicité M. Jospin !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ensuite, ce ne serait pas conforme à la réalité.

Quoi qu'il en soit, en ce qui concerne les monuments historiques, il n'est pas possible de vouloir tout et son contraire. Ce que je souhaite, c'est que l'État, les collectivités territoriales, les entreprises privées et nos concitoyens sachent agir ensemble et renforcer mutuellement leur action. Cela aussi fait partie de l'attractivité de notre pays.

M. Jean-Marc Ayrault. Mais la défense du patrimoine, c'est d'abord votre responsabilité, monsieur le ministre !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le jour où j'ai annoncé que l'État était prêt à transférer à des collectivités territoriales la propriété de monuments historiques, le Premier ministre venait de m'octroyer, dans le projet de loi de finances rectificative, 35 millions d'euros supplémentaires pour le patrimoine.

M. Patrick Bloche. Commencez par payer les entreprises de restauration !

M. le ministre de la culture et de la communication. C'était une nécessité pour commencer l'année 2005 dans de bonnes conditions, en ayant soldé les factures de 2004.

J'affirme solennellement que je ne remettrai pas le patrimoine et les monuments historiques en de mauvaises mains. En d'autres termes, si j'ai le sentiment que les collectivités n'en veulent pas, je retirerai les monuments de la liste qui a été établie. Je rappelle en outre que leur attribution se fera sur la base du volontariat.

M. Jean-Marc Ayrault. Payez les entreprises de restauration !

M. le ministre de la culture et de la communication. Mme Muriel Marland-Militello a évoqué, avec une passion que je salue, le cirque, le théâtre de rue et les festivals, s'inquiétant avec beaucoup de réalisme de ce que l'on passe d'un univers chaud à un univers froid et de ce que, à cause d'Internet, des DVD ou de la télévision, nos concitoyens perdent le goût de la rencontre directe avec les artistes et les techniciens des spectacles vivants.

Je suis plus confiant qu'elle, au sens où une articulation me semble possible entre ces deux univers. C'est pourquoi j'essaie, dans les orientations que je prends, d'être vraiment le ministre de la culture et de la communication.

M. Dominique Richard. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. À ce titre, je me réjouis de la décision du Premier ministre de consacrer des moyens supplémentaires à l'audiovisuel public. Accorder ces moyens ne revient pas à verser de l'eau dans du sable. Notre objectif est de les consacrer au succès de la télévision numérique terrestre qui sera lancée au début du printemps prochain et de permettre qu'il y ait davantage de captations de spectacles pour que toutes les formes d'expression culturelle et artistique - le théâtre, la musique, la danse, le cirque, le cinéma ou le livre - aient droit de cité à la télévision sur des chaînes gratuites destinées au plus grand nombre.

Je souhaite en effet que la télévision donne à tous le goût d'entrer dans l'art et dans la culture. Cela me semble nécessaire car je suis sensible comme vous, madame, à la magie du spectacle sur scène.

Monsieur Dominique Richard, vous avez rappelé la phrase magnifique de Jacques Duhamel sur la transformation par la culture de la journée de travail en journée de vie. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Vous avez raison de vouloir susciter l'appétit de nouveaux publics par une politique culturelle diversifiée.

Il n'y a pour moi aucune opposition entre culture et éducation. Les enseignements artistiques, je le dis haut et fort, appartiennent à nos savoirs fondamentaux.

M. Patrick Bloche. Première nouvelle !

M. le ministre de la culture et de la communication. M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en est convaincu comme moi. Acceptez de comprendre qu'il fallait, dans un premier temps, se préoccuper des apprentissages fondamentaux que sont la lecture, l'écriture et le calcul. Mais, dans le projet de loi d'orientation sur l'école qu'il soumettra à la représentation nationale, la dimension culturelle et artistique sera présente.

M. Jean-Marc Ayrault. Vraiment ? Nous voilà tout à fait rassurés ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le ministre de la culture et de la communication. C'est la raison pour laquelle nous ferons ensemble une communication en Conseil des ministres, début janvier 2005. Il est nécessaire de la rappeler : la culture fait partie des fondamentaux de l'éducation.

Je n'abuserai pas davantage de votre patience, mais je veux encore remercier celles et ceux qui se sont mobilisés aujourd'hui, particulièrement les députés de la majorité présidentielle, qui étaient ce matin cinq fois plus nombreux dans l'hémicycle que ceux de l'opposition.

Mme Claude Greff. Merci !

M. Jean-Marc Ayrault. Il faut dire qu'ils sont, au total, cinq fois plus nombreux !

Mme Claude Greff. Et cinq fois plus intéressés !

M. Jean-Pierre Brard. C'est surtout qu'ils ont beaucoup à se faire pardonner !

M. le ministre de la culture et de la communication. Je mesure le travail qui nous attend. Sachez que ma maxime est de tenir tous les engagements que je prends devant la représentation nationale et, à travers elle, devant l'ensemble de nos concitoyens.

Chaque fois que je rencontre artistes et techniciens, ainsi que leurs organisations associatives, professionnelles et syndicales, je respecte ces engagements. C'est ainsi que nous rétablirons définitivement la confiance nécessaire. Ensuite, l'État, les collectivités territoriales, les entreprises privées et les citoyens, qui sont au cœur de tout, sauront redonner aux talents français tout le rayonnement qu'ils méritent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Merci, monsieur le ministre.

    2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2004, n° 1921 :

Rapport, n° 1976, de M. Gilles Carrez, rapporteur général au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan,

Avis, n° 1970, de M. Philippe Vitel, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures vingt.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot