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Deuxième séance du mardi 18 janvier 2005

115e séance de la session ordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

    1

HOMMAGE AUX VICTIMES DU TSUNAMI
DE L'ASIE DU SUD-EST

M. le président. Mes chers collègues, l'une des plus terribles catastrophes naturelles de l'histoire a endeuillé l'ensemble de notre planète.

Nos pensées vont vers les victimes, vers leurs familles, vers les populations si durement touchées du Sud-Est asiatique, vers nos compatriotes qui, en cette fin d'année, ont rencontré un tragique destin sur les rivages de l'Océan indien.

Nos remerciements vont à tous ceux dont la générosité, qu'elle soit publique ou privée, dans le monde entier, et notamment en France, permet d'alléger les souffrances des populations et d'entreprendre la reconstruction de ces zones dévastées et meurtries.

La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement français s'associe à l'hommage rendu, au nom du peuple français, de la souveraineté nationale, à la mémoire de toutes les victimes du tremblement de terre et du tsunami en Asie.

Il est résolu à contribuer à l'extraordinaire élan de générosité qui s'est manifesté dans le monde entier envers les populations aujourd'hui confrontées à des problèmes humains et matériels à la mesure de la catastrophe.

Comme l'a annoncé le Président de la République dès les premiers jours, la France, dans le cadre européen et sous l'autorité des Nations unies, aura à cœur d'agir selon ses traditions humanistes et en accord avec les valeurs de générosité qui fondent la République.

M. le président. À la mémoire des victimes et en signe de solidarité avec leurs familles, je vous invite, mes chers collègues, à observer quelques instants de recueillement. (Mmes et MM. les députés, ainsi que les membres du Gouvernement, se lèvent et observent une minute de silence.)

Je vous remercie.

    2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Mes chers collègues, je vous informe qu'exceptionnellement, M. le Premier ministre ne peut assister aujourd'hui à la séance des questions au Gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Il m'a demandé de l'en excuser auprès de vous.

Nous commençons par une question du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

SOIXANTIÈME ANNIVERSAIRE
DE LA LIBÉRATION DES CAMPS NAZIS

M. le président. La parole est à M. René André.

M. René André. M. le Premier ministre étant absent, j'adresserai ma question au Gouvernement.

L'Europe tout entière va, dans quelques jours, commémorer la libération des camps nazis. Elle va célébrer la libération des camps d'Auschwitz, de Treblinka, de Birkenau, de Belzec, de Sobibor, de Mauthausen, de Buchenwald et de bien d'autres encore, qui sont autant de lieux où le crime absolu fut accompli, où l'indicible se produisit.

L'histoire de ces camps est celle de millions d'hommes, de femmes et d'enfants martyrisés parce qu'ils étaient juifs. C'est l'histoire de millions de femmes et d'hommes martyrisés parce qu'ils s'étaient élevés contre la barbarie et contre l'odieuse occupation de leur pays.

En cette occasion, nous avons un double devoir.

Nous devons d'abord rendre hommage à celles et ceux qui furent déportés en raison de leur naissance, de leur culture, de leur patriotisme, saluer celles et ceux qui furent l'honneur de notre patrie. Comment ne pas évoquer en cet instant la mémoire de Jean Moulin, de Mandel, celle des fusillés de Châteaubriant, de Môquet, d'Estienne d'Orves,...

M. Daniel Paul. Très bien !

M. René André. ...bref, la mémoire de toutes celles et ceux qui furent martyrisés en raison de leur engagement, parce qu'ils étaient des patriotes, parce qu'ils refusaient l'occupation nazie, parce qu'ils aimaient la France ?

Nous devons aussi lutter sans cesse pour préserver la vérité et faire en sorte que les jeunes générations ne se laissent jamais détourner de ce que fut la réalité de cette occupation et des crimes nazis.

Monsieur le ministre délégué aux anciens combattants, que compte faire la France pour préserver la vérité et rendre hommage à ses martyrs ? (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux anciens combattants.

M. Hamlaoui Mékachéra, ministre délégué aux anciens combattants. Monsieur le député, la politique de mémoire est en effet une impérieuse nécessité. Chaque jour, nous qui sommes tous attachés aux valeurs de la République, nous mesurons combien elles doivent être défendues.

Cette défense passe déjà par le respect de la vérité historique. Dans cet esprit, nous allons donner une ampleur exceptionnelle aux cérémonies du soixantième anniversaire de la libération des camps et de la victoire du 8 mai 1945.

Parmi les nombreuses commémorations, je relève simplement les temps forts.

Le 27 janvier, à Auschwitz, le Président de la République représentera la France lors de la cérémonie internationale. Le même jour, il inaugurera la nouvelle exposition française réalisée à la demande du Premier ministre et consacrée à cette immense tragédie.

Le 17 avril, le Premier ministre se rendra à Ravensbrück.

Le 24 avril, à Paris, sur le parvis des droits de l'homme, ce sera la journée nationale de la déportation.

Le 7 mai à Reims, et le 8 mai à Paris, l'anniversaire de la capitulation du IIIe Reich aura une ampleur exceptionnelle. Enfin, en octobre, dans l'ancien camp de concentration du Struthof, en Alsace, nous inaugurerons le Centre européen du résistant déporté.

À chaque fois, nous rendrons hommage aux combattants, aux martyrs, aux victimes, et nous nous adresserons aux jeunes générations pour leur transmettre la signification de ces pages d'histoire que nous avons, hélas, subies. Car tel est notre devoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

POLITIQUE SOCIALE DU GOUVERNEMENT

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Marc Ayrault. En l'absence de M. le Premier ministre, j'adresserai ma question au Gouvernement tout entier.

Selon un rapport des préfets, les Français ne croient plus en rien (« Et surtout pas en vous ! » sur plusieurs bancs de l'Union pour un mouvement populaire) et ne manquent pas de vous le faire savoir au travers de divers mouvements sociaux. Le pacte social est profondément altéré. Que signifie la revalorisation du travail quand le chômage de masse s'incruste, quand la pauvreté s'étend et quand le pouvoir d'achat des ménages recule ? Au blocage des salaires dans la fonction publique et dans les entreprises, s'ajoutent la hausse des prix à la consommation - 10 % en trois ans -, la flambée des biens immobiliers et des loyers - 75 % dans la même période - et l'augmentation de 3 milliards des prélèvements en 2004.

Aucune négociation sur les salaires n'existe. La seule recette que vous ayez trouvée consiste à supprimer l'acquis des 35 heures. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Que signifie l'autorité de l'État quand un gouvernement - le vôtre - n'aime pas ses fonctionnaires (Vives exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), quand les services publics ne peuvent plus assurer l'égalité de traitement des usagers, soit parce que les moyens sont diminués, comme on le voit à la SNCF ou dans l'éducation nationale, soit parce que vous les transformez en entreprises commerciales, comme l'illustre le nouveau statut de La Poste ? (Mêmes mouvements.) Que signifie la protection sociale quand les assurés sociaux découvrent que les fameux plans de sauvetage des retraites et de l'assurance maladie creusent les inégalités sans réduire les déficits ? Il suffit de regarder sa feuille de paie ou le montant de sa retraite.

Votre politique n'a même pas le don de la performance. Tous les mécanismes sont grippés : croissance, emploi, investissement, confiance. La France est dans l'impasse : c'est ce que le Président de la République appelle « être sur la bonne voie » ! Les préfets, quant à eux, affirment dans un rapport que les Français ne croient plus à rien. Mesdames et messieurs du Gouvernement, qu'allez-vous donc faire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Monsieur le président Ayrault, vous avez raison de rappeler que l'Observatoire de la pauvreté, qui a analysé la situation française des années 1997 à 2002, a montré que les inégalités avaient fortement progressé durant cette période. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux. Mensonge !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Vous avez raison, monsieur Ayrault, de dire qu'en quinze ans, le nombre de rmistes a été multiplié par trois.

M. Albert Facon. Non, depuis trois ans !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Mais vous avez tort d'oublier de rappeler que la production de logements sociaux a connu un record historique dramatique en 1999, avec moins de 40 000 logements par an. (« Eh oui ! sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Vous avez tort d'oublier de dire que la mise en place de la répartition du temps de travail a soumis les salaires, notamment les plus bas, à une pression terrible.

M. Daniel Vaillant. C'est faux !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Le Gouvernement a pris certaines dispositions.

Hier matin, François Fillon a signé un dispositif facilitant l'accès des jeunes des quartiers aux universités et aux grandes écoles.

Nous avons mis en place un plan de cohésion sociale dont l'objectif est de tripler la production de logements sociaux, et, dès cette année, l'augmentation sera indiquée.

Nous avons décidé une augmentation historique du SMIC, ce que vous n'avez pas fait quand vous étiez aux responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Nous avons mis en œuvre des contrats d'avenir, qui ne sont pas des stages parking, mais de vrais contrats de travail avec une véritable formation.

M. Albert Facon. En trois ans !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Toutes ces actions, vous le savez, nécessitent du temps, car l'inversion de la tendance lourde dans laquelle vous avez engagé notre pays ne peut se faire en claquant des doigts ou de manière incantatoire.

M. Albert Facon. Ce sera à la saint-glinglin !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. J'appelle l'ensemble des parlementaires et des maires à contribuer à la réussite du plan de cohésion sociale, car l'avenir de notre pays en dépend.

Oui, il fallait initier des réformes courageuses, et des ministres importants s'y sont engagés. Différer la réforme des retraites et celle de l'assurance maladie n'aurait certainement pas été une marque de respect envers les Français. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

REMPLACEMENT DE CONDUITES DE GAZ

M. le président. La parole est à M. Francis Hillmeyer, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Francis Hillmeyer. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué à l'industrie.

Vingt-six décembre, 17 heures 03 : un immeuble sis rue de la Martre, à Mulhouse, s'effondre. Les sapeurs-pompiers retireront dix-sept corps sans vie, et quinze autres personnes seront blessées. Une poche de gaz est à l'origine du sinistre. Vous avez pu, monsieur le ministre, constater par vous-même l'ampleur du drame et mesurer le désarroi des personnes touchées.

Mises en cause, les conduites en fonte grise acheminent encore le gaz sur 2 200 kilomètres de réseau. Gaz de France les a repérées depuis plusieurs années et a programmé leur remplacement selon un échéancier qui courait, avant la catastrophe, jusqu'à l'an 2008. Le groupe UDF estime toutefois que plus personne ne peut vivre avec ce danger à sa porte. Gaz de France a estimé à 468 millions d'euros le coût des travaux encore nécessaires. Le moment est venu de décider le remplacement de ces conduites avant la fin de l'année. Il faut également communiquer aux maires les cartes de leur cheminement. (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Quelles sont vos intentions à ce sujet ? Allez-vous donner à l'entreprise - dont le conseil d'administration se tient le 28 janvier - les moyens de réaliser cet objectif ?

Par ailleurs, il est regrettable de constater que de nombreuses installations situées dans les parties privatives des habitations ne sont plus aux normes. Quels moyens allez-vous mettre en œuvre pour imposer un contrôle régulier des installations et éviter ainsi de nouveaux accidents ?

Enfin, de quelle manière seront indemnisés celles et ceux qui ont tout perdu ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Comme vous le savez, monsieur le député, je me suis rendu à Mulhouse. J'ai été saisi par l'ampleur de ce drame, générateur de beaucoup de souffrance. Cela étant, l'enquête est en cours, et il faut éviter les conclusions hâtives. Il est bien vrai qu'une canalisation en fonte grise présente une fissure, mais la question demeure de savoir si la fissure a provoqué l'explosion, ou bien l'inverse.

M. Jean Ueberschlag. Très bien !

M. le ministre délégué à l'industrie. Nous devons donc demeurer prudents et laisser l'enquête se dérouler jusqu'à son terme.

Il ne fait cependant aucun doute que les fontes grises présentent un certain degré de dangerosité. L'effort consenti depuis 1980 par Gaz de France a permis le changement de près de 28 000 kilomètres de canalisations. J'ai demandé à l'entreprise d'accélérer autant que possible le remplacement des 2 200 kilomètres restants.

Ce n'est pas une question d'argent. Des procédures d'appels d'offres sont toutefois nécessaires, et les travaux peuvent se révéler problématiques dans certaines communes. Les élus locaux doivent souscrire à la volonté d'achever rapidement ce chantier et ne pas céder à la tentation d'en coordonner les travaux avec d'autres travaux de voirie programmés plus tard. Tout cela n'est donc pas simple. Mais Gaz de France, poussé en ce sens par le Gouvernement, a la détermination de réaliser ce changement au plus vite. Je le répète, l'argent n'est pas du tout en cause dans l'avancement des travaux.

En ce qui concerne l'indemnisation des victimes, un fonds se met en place, auquel participent le Gouvernement, mais aussi toutes les collectivités locales. Nous devons nous montrer exemplaires dans la solidarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

AVENIR DES SERVICES PUBLICS

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Michel Vaxès. Face à l'exceptionnelle mobilisation qui s'organise contre la politique de démantèlement des services publics menée par le Gouvernement (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),...

Vos hurlements ne couvriront pas les cris qui montent de la rue ! On les entend d'ici ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

...vous ne pouvez vous contenter, messieurs les ministres, de mesurer l'inquiétude exprimée par les fonctionnaires. Ce qu'ils attendent, et les Français avec eux, ce sont des réponses concrètes, des moyens pour assurer leurs missions, une revalorisation de leur profession, de leur salaire et de leur pouvoir d'achat, en recul de 5 % depuis cinq ans.

Cette semaine d'action n'illustre pas, comme tente de le faire croire le ministre de la fonction publique, l'opposition entre deux France, celle du public et celle du privé. Les mouvements en cours et à venir sont en effet soutenus par une majorité de nos concitoyens, ...

M. Jean Auclair et Mme Claude Greff. C'est faux !

M. Michel Vaxès. ...et il se pourrait bien que dès le samedi 5 février, vous soyez amenés à mesurer l'union entre salariés du secteur public et du secteur privé contre votre politique. Quand postiers, cheminots, enseignants, magistrats, médecins, agents des trois fonctions publiques, électriciens et gaziers se mobilisent, c'est pour défendre l'intérêt général - c'est-à-dire l'intérêt de tous nos concitoyens (« Exactement ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) -, l'égal accès de tous à des services de qualité et un aménagement du territoire équilibré et durable. C'est la nation qu'ils défendent, et c'est en son nom qu'ils dénoncent avec beaucoup de force et de conviction la politique de privatisation et de libéralisation que consacre, avec votre soutien, le dangereux projet de constitution européenne.

Une alternative à cette politique existe : elle passe par l'engagement d'un véritable plan de relance du secteur public et des trois fonctions publiques, et par une autre conception de la construction européenne.

Allez-vous continuer à opposer une fin de non-recevoir, ou engager, comme vous le demandent l'ensemble des catégories en lutte, les investissements utiles pour sauvegarder et renforcer les services publics, dans l'intérêt du pays, des Françaises et des Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État.

M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement, vous le savez, porte aux fonctionnaires toute la considération qui est due à ceux qui font vivre le service public. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.) Mais la considération, loin de signifier l'immobilisme ou la démagogie, implique d'accompagner la nécessaire modernisation de l'ensemble des services publics.

En ce qui concerne le pouvoir d'achat, qui est une question importante, notre politique est à la fois juste et raisonnable. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Elle est juste : la feuille de paie moyenne des fonctionnaires de l'État augmentera en 2005 de 3,1 %, soit plus que l'inflation. (Mêmes mouvements.) Les bas salaires seront revalorisés, et une prime exceptionnelle sera attribuée aux fonctionnaires en fin de grade.

Mais cette politique est également raisonnable, car elle se fait sans augmentation des impôts ...

M. Bernard Roman. Vous mentez !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. ...ni des déficits. Et notre tâche serait plus facile, monsieur le député, si les donneurs de leçons d'aujourd'hui n'avaient pas été les mauvais gestionnaires d'hier ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Dois-je vous rappeler l'existence des trois dettes que nous devons supporter aujourd'hui ? La première est la dette financière :...

M. Jean Glavany. Elle ne cesse d'augmenter !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. ...entre 1997 et 2002, seuls deux pays en Europe, la France et l'Allemagne, n'ont pas désendetté l'État. Nous le payons de 1,3 milliard que nous aurions préféré distribuer pour améliorer le pouvoir d'achat de nos collaborateurs. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Bernard Roman. Et les réductions d'impôt ?

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. La deuxième dette est constituée par les pensions, et représente un surcroît de 1,9 milliard. Si vous aviez fait votre travail, nous ne supporterions pas cette charge supplémentaire.

Enfin, les syndicats me parlent d'un contentieux salarial qui remonte au 1er janvier 2000. Mais 2000, comme d'ailleurs 2 001 et 2002, c'est l'époque de M. Jospin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Glavany. Cela fait trois ans que vous êtes là !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Merci de nous laisser vos factures, mais vous seriez plus avisés de nous donner des leçons si vous les aviez acquittées ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean Glavany. Trois ans !

M. Henri Emmanuelli. Croyez-vous pouvoir durer longtemps ainsi ?

M. le président. Monsieur Emmanuelli, vous n'avez pas la parole !

M. Henri Emmanuelli. Je la prends ! (Exclamations et huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

LUTTE CONTRE LA DÉLINQUANCE

M. le président. La parole est à M. Philippe Armand Martin, pour le groupe UMP.

M. Philippe Armand Martin. Monsieur le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, sous l'impulsion du Président de la République, le Gouvernement a mené depuis mai 2002 une lutte ferme contre l'insécurité dont souffraient quotidiennement nos compatriotes. Il est indéniable qu'ils se sentent aujourd'hui mieux protégés et plus en sécurité. C'est bien sûr le fruit de la politique volontariste du Gouvernement et d'une mobilisation sans précédent de nos services de police et de gendarmerie.

Un député du groupe socialiste. Allô !

M. Philippe Armand Martin. Vous avez présenté vendredi les chiffres de la délinquance pour l'année 2004. Ils sont les meilleurs recensés depuis dix ans. Ainsi, la délinquance générale recule de 3,76 %, ce qui constitue la plus forte baisse depuis 1995. Cette baisse se vérifie dans vingt et une régions. Quant à la délinquance de voie publique, qui heurte au premier chef nos concitoyens, elle connaît une baisse de 8,45 % par rapport à 2003, passant sous la barre des deux millions d'infractions. Enfin, pour la première fois depuis dix ans, les violences physiques se sont stabilisées à moins 0,25 %.

Néanmoins, ces efforts doivent impérativement être poursuivis, afin que le sentiment d'insécurité ne puisse persister sur une partie du territoire. C'est le cas notamment dans de nombreuses communes rurales, dont celles de ma circonscription d'Épernay-Sézanne, dans la Marne, confrontées à de nouvelles formes de délinquance.

Dès lors, monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer quelles actions vous comptez entreprendre pour aller encore plus loin dans la lutte contre la délinquance et nous confirmer ces résultats encourageants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le député, vous avez raison : la délinquance baisse dans notre pays. Et il est important que nous mesurions, chacune et chacun, le chemin parcouru. En 2001, la délinquance augmentait de 7,7 %. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) En 2004, elle baisse de 3,8 %. Alors que les violences aux personnes, qui touchent particulièrement nos concitoyens, augmentaient en 2001 de 14,6 %, elles sont aujourd'hui stabilisées à moins 0,25 %. Il faut confirmer cette tendance, c'est-à-dire continuer à mobiliser l'ensemble de nos forces de sécurité, dont je salue le travail formidable effectué sur le terrain. Plus d'effectifs, de meilleurs équipements, une police à la fois en charge de la sécurité et de l'interpellation : telles sont les clés qui nous permettent de faire régresser l'insécurité.

Aujourd'hui, j'ai une exigence et trois priorités. L'exigence, c'est l'égalité des Français devant la sécurité et - vous avez raison d'insister sur ce point, monsieur le député - l'égalité des territoires. Personne n'est épargné, et nous devons nous soucier aussi, bien sûr, des zones rurales, même si la régression de la délinquance y a été significative en 2004 : moins 6,5 %. Nous devons aller plus loin, car cette délinquance bouge, elle est itinérante, et exige donc une adaptation de nos dispositifs.

La première des priorités, c'est une police et une gendarmerie plus présentes sur le terrain, mieux encadrées et capables de répondre aux défis qui se présentent.

La deuxième, c'est de faire face aux violences contre les personnes, en protégeant mieux les personnes les plus vulnérables - femmes, enfants, personnes âgées - et en mobilisant au bon endroit et au bon moment. Le bon moment, c'est par exemple la nuit ou le week-end. Le bon endroit, ce sont les transports en commun, les écoles, les hôpitaux, les centres commerciaux.

Enfin, la troisième priorité est la lutte contre le crime organisé.

Toutes les formes de délinquance se rejoignent : terrorisme, immigration clandestine, trafic de drogue... Notre approche est donc globale, volontariste, et au service de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

AIDE AUX PAYS TOUCHÉS PAR LE TSUNAMI

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Guillet, pour le groupe UMP.

M. Jean-Jacques Guillet. Nous venons de nous incliner devant les victimes de la catastrophe survenue, le 26 décembre dernier, en Asie du Sud-Est et dans l'Océan indien. Dans ces circonstances tragiques, un élan de solidarité sans précédent s'est manifesté dans le monde entier et en particulier dans notre pays, que ce soit au niveau de l'État, des ONG, des collectivités locales, des entreprises ou des citoyens. Tous ont tenu à apporter leur contribution à la nécessaire aide d'urgence. Cet élan démontre que les peuples riches peuvent mobiliser, lorsqu'ils le veulent, des moyens considérables au service des pays les plus démunis. Mais je crois qu'il faut aujourd'hui dépasser l'aide d'urgence pour aller plus loin.

Deux conférences internationales se réunissent actuellement : l'une à Paris, le Forum sur le développement humain, l'autre à Kobé, sur la prévention des catastrophes naturelles. Ces deux conférences nous rappellent que cette politique réclame à la fois des outils et une volonté. Les outils ne peuvent se trouver que dans le cadre des Nations unies, et la conférence de Djakarta, à laquelle M. le ministre de la coopération, Xavier Darcos, a participé au nom de la France, l'a démontré amplement.

Quant à la volonté, elle doit se manifester dans plusieurs domaines et selon trois objectifs.

Le premier est évidemment la prévention des sinistres, et en particulier la mise en place d'un système d'alerte. La France a fait des propositions dans ce domaine, et je serais heureux que des précisions nous soient données.

Deuxième objectif : nous devons accorder une assistance de longue durée aux pays touchés. En tant que président du groupe d'amitié France-Indonésie, vous comprendrez que je pense, en particulier, à l'Indonésie, qui a été plus durement touchée que les autres. Nous devons agir sur les infrastructures telles que les routes, sans oublier les écoles et les hôpitaux, et mener une action particulièrement importante dans le domaine de la coopération.

Troisième objectif : nous devons lutter contre la pauvreté qu'il ne faut pas oublier et précisément garder en mémoire les objectifs du millénaire tels qu'ils ont été définis à New York en 2000.

Je voudrais, monsieur le ministre, connaître votre avis sur ces trois points. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères. Monsieur Guillet, devant une telle tragédie, au lendemain d'une telle catastrophe, il y a le temps de l'urgence, il y a le temps du deuil, et puis il y a le temps de la reconstruction et des leçons.

Le temps de l'urgence - nous en avons parlé tout à l'heure -, c'est pour le Gouvernement l'occasion de remercier une fois encore tous ceux qui ont donné cette formidable image de mobilisation, de disponibilité, de générosité : les particuliers, les collectivités locales, les entreprises, les services de l'État, les ONG, et tous ceux qui encore sur le terrain agissent : nos diplomates, les ONG ou nos soldats en Indonésie.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !

M. le ministre des affaires étrangères. Il y a le temps du deuil, que nous avons tout à l'heure partagé avec des dizaines de milliers de familles qui ont été touchées dans cette région et en France.

Puis-je, monsieur le président, saisir cette occasion pour donner à la représentation nationale les chiffres les plus récents dont nous disposons pour notre pays : vingt-deux Français, dont les corps ont été reconnus, ont été tués dans cette catastrophe ; soixante-quatorze Français ont disparu, probablement emportés par les flots ; enfin, le chiffre des personnes dont nous n'avons pas de nouvelles a été heureusement réduit à moins de cinquante. Nous disposons de ces précisions grâce au minutieux travail de vérifications réalisé en liaison avec les services du ministère de l'intérieur, notamment.

Nous pourrons dresser, dans quelques jours, un bilan définitif de ce drame pour notre pays et rendre à toutes ces victimes l'hommage solennel qui leur est dû.

Enfin, nous allons participer à la reconstruction durable de cette zone par des crédits, des prêts et des allégements à travers l'Union européenne.

Monsieur Guillet, vous avez mis l'accent sur un point essentiel : cette tragédie est encore plus terrible, car elle touche des pays pauvres. Voilà pourquoi le Président de la République continuera de se battre pour que, dans le cadre des Nations unies, soient dégagées des ressources supplémentaires et durables pour le développement et contre la pauvreté.

Je voudrais enfin, si vous le permettez, monsieur le président, tirer deux leçons de cette tragédie. La première concerne la prévention : nous avons proposé d'installer dans l'île de la Réunion un système d'alerte contre les risques sismiques. La seconde a trait à la réaction : nous avons là une raison supplémentaire de créer en Europe et en coordination avec les Nations unies une force européenne de protection civile. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

PROPOS DE M. LE PEN SUR L'OCCUPATION

M. le président. La parole est à M. Daniel Boisserie, pour le groupe de l'UMP.

M. Daniel Boisserie. Je souhaitais m'adresser à M. le Premier ministre.

Les récents propos de M. Le Pen contestant la dureté de l'oppression nazie ont soulevé l'indignation des Français. Pour lui, la vérité diverge de l'histoire. Il a en effet osé prétendre qu'en France l'occupation allemande n'avait « pas été particulièrement inhumaine ». Une telle affirmation est une offense à toutes celles et ceux qui sont tombés sous les coups du IIIe Reich et de ses affidés français, comme ce fut le cas à Tulle ou au pont Lavera. Les stèles élevées partout sur le territoire de notre République à la mémoire de milliers de résistants témoignent de la barbarie nazie.

Lorsqu'il déclare qu'il y aurait beaucoup à dire sur le massacre d'Oradour-sur-Glane, élément fondateur de notre conscience collective, il ne fait que nier la responsabilité de l'occupant dans un de ses crimes les plus odieux, alors même que le Centre de la Mémoire, que M. le Premier ministre a visité, est chargé de transmettre l'histoire et de susciter la réflexion afin d'éviter que le temps et la disparition des ruines du village martyre ne plongent le massacre des 642 habitants dans l'oubli ou l'indifférence.

Je m'adresse solennellement à vous, monsieur le Premier ministre. Mes collègues Marie-Françoise Pérol-Dumont, présidente du conseil général, Alain Rodet, président de l'Association des maires de la Haute-Vienne, le groupe socialiste et, je n'en doute pas, toute la représentation nationale s'associent à ma déclaration.

J'ai souhaité vous faire part de la douleur de mes concitoyens face à des propos révisionnistes insultants et insupportables. C'est une blessure pour les parlementaires républicains que nous sommes tous ici, pour la République et pour tous les Français.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est vrai !

M. Daniel Boisserie. La réaction du Gouvernement de la République doit être à la mesure de la gravité de ces propos. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, je vous remercie de vos propos.

Mercredi dernier, lorsque, comme beaucoup d'entre vous, j'ai pris connaissance de ces déclarations, j'ai été proprement bouleversé. J'ai pensé aux femmes et aux hommes que je connais et qui ont survécu à cette période. J'ai aussi pensé à ceux dont j'avais entendu parler et qui n'ont pas survécu. J'ai trouvé ces propos insupportables et abjects. Je considère, en effet, que l'on ne peut pas parler de « bavures inévitables ». Je me suis trouvé quelques heures plus tard à Montluc avec un certain nombre d'associations ; les rescapés de Montluc ne parlent pas de « bavures inévitables ».

Vous avez évoqué Oradour-sur-Glane ; ce n'est pas une « bavure inévitable ». C'est la raison pour laquelle je veux dire ici devant la représentation nationale que l'on ne peut pas prétendre construire l'avenir d'un pays, on ne peut pas esquisser des réponses politiques sur l'avenir d'un pays lorsque l'on nie l'histoire de son pays. (Applaudissements sur tous les bancs.) C'est de cela qu'il s'agit.

En tant que ministre de la justice, j'ai immédiatement demandé au procureur de la République de faire diligenter une enquête sur des faits susceptibles d'être qualifiés d'apologie de crime de guerre ou de contestation de crime contre l'humanité.

Je considère, mesdames, messieurs les députés, qu'il n'est pas envisageable que M. Le Pen ne soit pas mis dans l'obligation de rendre des comptes et de s'expliquer sur de tels propos devant la justice. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Mesdames, messieurs les députés, j'ai considéré que la saisine de la justice allait de soi. À ce stade de l'enquête, il ne m'appartient pas d'en dire davantage, d'autant que, vous le savez, dans ce domaine, la jurisprudence évolue.

Monsieur Boisserie, mesdames, messieurs les députés, nous avons le devoir de dire qu'il ne faut rien oublier. (Applaudissements sur tous les bancs.)

ASSURANCE MALADIE

M. le président. La parole est à M. Jacques Domergue, pour le groupe UMP.

M. Jacques Domergue. Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille et à M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie.

Par la loi du 13 août 2004, le Gouvernement a engagé l'impérieuse modernisation du système français d'assurance maladie. Cette modernisation correspond au souhait de l'ensemble de nos concitoyens : sauvegarder notre système solidaire d'assurance maladie. Ainsi, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin mène depuis 2002 une politique volontaire en matière médicale.

Après le rétablissement de la confiance avec le monde médical, trop souvent méprisé par le gouvernement précédent, et la mise en place d'une véritable politique de santé publique sanctionnée par une loi, voici venu le temps de la modernisation de l'assurance maladie.

Je ne peux que me féliciter de la volonté ferme et sans faille du Gouvernement pour maintenir l'égalité d'accès de tous à des soins de qualité tout en poursuivant l'objectif de maîtrise médicalisée des dépenses de santé. La responsabilisation de tous les acteurs - professionnels de santé et patients - associée à la notion essentielle du changement des comportements est indispensable pour mener à bien la réforme. Cela passe au quotidien par la promotion du respect des bonnes pratiques médicales et par la mise en place du dossier médical personnel. Le mécanisme du recours au médecin traitant destiné à améliorer la coordination des soins, à éviter le vagabondage médical et les prescriptions redondantes est au cœur même de la réforme. C'est ainsi que tout Français de plus de seize ans recevra, d'ici au 15 mars, un formulaire personnalisé sur lequel il précisera le nom du médecin traitant qu'il aura choisi, le plus souvent le médecin de famille.

Je souhaite féliciter le Gouvernement pour la rapidité de la publication des décrets d'application - plus de 80 % sont parus à ce jour. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Christian Paul. Attendez la suite !

M. Jacques Domergue. C'est faire montre de l'écoute de nos concitoyens. C'est leur signifier que leurs représentants votent les lois et que le Gouvernement sait être réactif. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

La loi publiée, les décrets d'application pris, reste maintenant à mettre en place la réforme.

M. le président. Posez votre question !

M. Jacques Domergue. J'y viens, monsieur le président.

La signature de la convention médicale, mercredi dernier, entre l'Union des caisses nationales d'assurance maladie et trois syndicats, dont le principal, la CSMF, a voté « oui » à plus de 79 %, est l'élément majeur de la réforme.

Ma question est donc simple. Devant l'appel à la mobilisation, pouvez-vous indiquer à la représentation nationale les modalités d'application de cette réforme et nous faire part des souhaits clairs et fermes du Gouvernement pour moderniser notre système d'assurance maladie et pour en assurer, n'en déplaise à certains, sa survie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie.

M. Xavier Bertrand, secrétaire d'État à l'assurance maladie. Monsieur Domergue, la convention médicale approuvée la semaine dernière par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, c'est-à-dire la Caisse nationale d'assurance maladie, la Mutualité sociale agricole et la CANAM, représente une étape très importante pour l'avenir de notre système d'assurance maladie.

Je rappellerai tout d'abord qu'elle est importante parce qu'elle a été signée par la majorité des syndicats de médecins représentant la majorité des médecins de notre pays.

Cette convention est aussi essentielle de par son contenu. Pour la première fois, des engagements réciproques ont été pris entre les médecins et l'assurance maladie : d'un côté, 998 millions d'euros d'économies attendues pour la seule année 2005, de l'autre, 500 millions d'euros sur deux ans d'engagements de revalorisations pour les professionnels de santé.

C'est aussi une convention équilibrée entre les spécialistes et les généralistes, avec la mise en place d'un parcours de soins coordonné et d'une meilleure organisation des soins au profit d'abord du patient.

Monsieur le député, il est vrai que cette convention est signée. Maintenant, il faut la faire vivre. Nous serons particulièrement vigilants, Philippe Douste-Blazy et moi, pour que les engagements soient bien tenus de part et d'autre, pour que la maîtrise médicalisée soit au rendez-vous, pour que l'égalité et le renforcement de l'accès aux soins, priorité de cette réforme, soient une réalité sur tout le territoire.

Vous pouvez compter sur notre mobilisation pour assurer la réussite de cette réforme si importante. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

AIRBUS A 380

M. le président. La parole est à Jacques Masdeu-Arus, pour le groupe UMP.

M. Jacques Masdeu-Arus. Ma question s'adresse au ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

Ce matin, monsieur le ministre, Airbus a dévoilé à Toulouse le premier exemplaire de l'A 380, le plus grand avion civil jamais construit au monde, dont le premier vol devrait avoir lieu en mars ou en avril prochain. Fruit de près de dix ans de travail, il est le concurrent direct de Boeing sur le marché des très gros porteurs.

Ce projet est une réussite éclatante du savoir-faire industriel de notre pays et de ses partenaires européens. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Le Président de la République l'a d'ailleurs salué ce matin comme une grande réussite pour l'Europe, et il a appelé les Européens à faire preuve de la même ambition dans le domaine des hautes technologies, où nous sommes malheureusement trop absents. En effet, cette réalisation industrielle unique laisse présager de réels succès à venir sur le plan commercial, en termes de compétitivité et donc en termes d'emploi.

Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur l'aboutissement de ce projet ? Quelles leçons en tirez-vous pour notre pays face à la compétition mondiale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Monsieur le député, on parle beaucoup de l'A 380 dans la presse, et je ne voudrais pas répéter un certain nombre d'éléments que vous connaissez tous.

C'est bien entendu le plus grand avion du monde. Ce sera très probablement l'avion le plus confortable, et je vous souhaite à tous de le prendre un jour. (Exclamations.) Il respecte les normes les plus exigeantes de l'OACI et ne consomme que trois litres aux 100 kilomètres par passager.

Airbus a déjà enregistré 149 commandes, avant le premier vol, alors que le point d'équilibre est à 250 commandes. C'est dire le succès que l'A 380 a déjà obtenu sur quatre continents : l'Australie, l'Amérique, l'Asie et l'Europe. Il est donc promis à un bel avenir.

Airbus a maintenant une gamme complète d'appareils, de 100 à 800 places, ce qui en fait le plus grand constructeur mondial d'avions. Il est aussi le constructeur du plus grand avion du monde, et j'en tire deux enseignements.

D'abord, il est possible de construire les éléments d'un avion dans différents pays européens et de les assembler en un lieu unique avec un succès que bien peu présageaient. Déjà pour cette raison, c'est une grande réussite européenne. Il y a du savoir-faire en Allemagne, en Espagne, en Grande-Bretagne, et tout s'assemble à Toulouse pour le plus grand succès de l'Airbus.

Autour de son berceau, il fallait une volonté politique, et quatre chefs d'État étaient présents ce matin pour l'inauguration. Il y a eu des aides gouvernementales transparentes, avec des avances remboursables - et je suis fier, au ministère des transports, d'accorder chaque année des avances pour de tels projets -, et des capitaux privés, allemands, britanniques et français. Et ce sont les technologies les meilleures du monde.

Bref, quand les Européens se donnent la main, ils sont capables d'être les champions du monde. Quand un maître d'œuvre britannique réalise avec des entreprises françaises le viaduc de Millau, nous réussissons le plus grand viaduc du monde. Quand les Européens se donnent la main pour faire le plus bel avion du monde, et le plus performant, c'est une grande réussite dont l'Europe et tous les Européens peuvent être très fiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

ÉDUCATION NATIONALE

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille, pour le groupe socialiste.

M. Christian Bataille. Monsieur le ministre de l'éducation nationale, au cœur du projet républicain, il y a la laïcité. Il y a aussi, de manière indissociable, l'école de la République. Vous nous dites vouloir améliorer la politique de l'éducation dans ce pays. Ceux qui seraient encore tentés de vous croire ne peuvent que constater l'abîme entre vos déclarations d'intention et la réalité des choix budgétaires, qui se traduisent par des milliers de suppressions de postes et donc par la baisse des moyens et de la qualité de l'enseignement.

Sous des prétextes démographiques et pédagogiques, toutes les académies sont touchées très fortement cette année pour les lycées et les collèges.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est faux !

M. Christian Bataille. Qu'on en juge à travers les régions les plus sinistrées : 1 000 suppressions dans le Nord-Pas-de-Calais, plus de 600 en Lorraine, plus de 300 en Picardie, dans le Centre, la Bourgogne, les Pays de la Loire, la Bretagne, la Normandie, et l'on pourrait continuer cette énumération. Des disciplines comme les sciences économiques ou certaines langues vivantes sont menacées de disparition, à quoi s'ajoute la ponction des surveillants, qui jouaient un vrai rôle pédagogique.

Avec ces mesures, vous faites contre vous l'unanimité des syndicats d'enseignants et des associations de parents. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lenoir. Démagogue !

M. Christian Bataille. Alors que les régions, départements et communes multiplient leurs efforts pour soutenir par leurs investissements notre école, il serait désastreux que l'État choisisse une logique de renoncement.

Monsieur le ministre, pour tenir compte de l'opinion publique et de la protestation contre ces restrictions budgétaires, entendez-vous revenir sur les mesures de suppression de postes envisagées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Les moyens humains et financiers seront répartis à la rentrée 2005 en fonction de la démographie scolaire. Dans l'académie qui vous intéresse plus particulièrement, monsieur le député, il y aura dans le primaire le maintien absolu d'un taux d'encadrement qui est déjà meilleur que dans les autres académies, et il y aura dans le secondaire 895 suppressions de postes, qui correspondent à une diminution de plus de 8 200 élèves. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Cette optimisation des moyens humains et financiers est d'autant plus nécessaire que notre pays, qui consacre 23 % de son budget à l'éducation nationale, est le premier de tous les pays de l'OCDE pour la dépense d'éducation. Depuis quinze ans, nous avons créé 100 000 postes d'enseignant supplémentaires, alors même que, dans nos écoles, nos collèges et nos lycées, il y avait 500 000 élèves de moins.

Si les résultats de notre système éducatif étaient meilleurs du fait de cette modification du taux d'encadrement, nous pourrions engager la discussion sur la base de vos propositions, mais c'est le contraire qui s'est passé puisque nos performances, jugées au plan international, sont en recul permanent.

C'est la raison pour laquelle vous serez saisis dans quelques jours d'un projet de loi d'orientation sur l'avenir de l'école, qui prévoit des créations de postes là où il y a des besoins et des initiatives pédagogiques nécessaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nous ne pourrons créer ces postes que si nous avons une gestion rigoureuse et optimale de nos moyens financiers et humains. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Néri. On en reparlera !

POLITIQUE DU HANDICAP

M. le président. La parole est à M. Alain Marty, pour le groupe UMP.

M. Alain Marty. Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées.

Madame la secrétaire d'État, la politique du handicap est un chantier ouvert par le Président de la République en juillet 2002. Nous allons apporter une réponse importante tout à l'heure avec le vote de la loi sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Ce sont 5,5 millions de nos concitoyens qui attendent les mesures qu'elle contient.

Vous étiez hier dans ma circonscription. Vous avez pu voir que les associations et les handicapés soutiennent ce projet. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Je veux juste insister sur un point, l'accessibilité des bâtiments publics et des transports. Nous avons fixé un délai de dix ans. Comment voyez-vous votre action dans ce domaine et, plus globalement, comment vous impliquerez-vous pour que ce texte de loi tant attendu soit rapidement et efficacement mis en œuvre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État aux personnes handicapées. Monsieur le député, l'accessibilité des lieux publics est effectivement au cœur de ce texte. Un engagement précis a été pris par le Premier ministre il y a quelques jours : doter le fonds interministériel de l'accessibilité de 25 millions d'euros, ce qui signifie doubler en un an l'effort consenti depuis dix ans, qui n'a pas permis une accessibilité effective des lieux publics. C'est un effort considérable.

Le FISAC va bénéficier d'une dotation de 4 millions, pour rendre les commerces de centre-ville accessibles. Je sais que c'est une priorité en 2005 pour Sarrebourg. La chaîne de déplacement doit être cohérente. À quoi servirait d'améliorer l'accessibilité des transports si la cité n'était pas plus accessible ?

Avec ce texte, nous aurons permis d'accueillir la personne handicapée au sein de la cité, et, ainsi, nous serons capables de nous renforcer de nos différences. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

GRÈVE À LA SNCF

M. le président. La parole est à M. Jacques Houssin, pour le groupe UMP.

M. Jacques Houssin. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

Monsieur le ministre, le mouvement de grève qui s'annonce demain à la SNCF devrait être assez suivi d'après les prévisions de la SNCF. Alors que le souci de garantir la continuité du service public a marqué votre action en 2004, avec notamment un accord signé à la SNCF le 28 octobre dernier, comment se fait-il que de telles journées noires arrivent encore ? (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Comment le voyageur sur son quai peut-il comprendre qu'il doit encore attendre dans la bousculade et arriver sans doute encore en retard à son bureau s'il n'est pas parti trois heures plus tôt de chez lui ?

Ce voyageur aura sans doute le sentiment que rien n'a changé alors que nous lui répétons que les travaux avancent comme jamais sur le sujet. Pouvez-vous nous donner des précisions, monsieur le ministre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Monsieur le député, notre objectif n'est évidemment pas de supprimer le droit de grève (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), qui est un droit constitutionnel. C'est de faire en sorte que les salariés aient de moins en moins besoin de recourir à la grève.

Mme Martine Billard. C'est raté !

M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Le 28 octobre, a été mis en place un système d'alarme sociale.

M. François Liberti. Ça sonne !

M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Depuis le 28 octobre, seulement 14 % des alarmes sociales ont débouché sur une grève.

La grève de demain est une grève carrée, c'est-à-dire une grève qui va durer seulement vingt-quatre heures. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Avec le système de prévisibilité des conflits, la SNCF, comme vous le voyez dans vos journaux ou l'entendez à la radio, a pu donner une liste de 1 206 trains qui rouleront demain, grâce à une collaboration et à un partenariat entre les partenaires sociaux et la direction de la SNCF.

Au-delà, je demande évidemment à la SNCF de continuer à travailler au cours du premier semestre de 2005 non seulement sur la prévention des conflits mais aussi sur la continuité du service public en cas de grève.

La RATP travaille de façon très sérieuse, puisqu'elle a déjà l'alarme sociale, sur la continuité du service public en cas de grève et sur le respect de l'usager en cas de grève.

Enfin, j'ai l'accord officiel du GART, le groupement des autorités responsables de transport, pour travailler dans les villes, les communautés et les départements, à des accords de branche dans les entreprises de transport pour prévenir les conflits et pour que les usagers souffrent moins des grèves si celles-ci doivent avoir lieu. Le Premier ministre m'a demandé d'aboutir au cours du premier semestre 2005. Je rendrai compte à la représentation nationale dès le 31 mars 2005 de mes démarches. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Jean Le Garrec.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC,

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

    3

DROIT DES PERSONNES HANDICAPÉES

Explications de vote et vote
sur l'ensemble d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur l'ensemble du projet de loi, en deuxième lecture, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (n° 1880).

Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que le vote aurait lieu par scrutin public en application de l'article 65-1 du règlement.

Avant de vous donner la parole, je me permets de vous présenter, madame la secrétaire d'État aux personnes handicapées, mes vœux pour 2005.

Vous avez la parole, madame.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État aux personnes handicapées. Monsieur le président, mes premiers mots seront pour vous remercier de vos vœux mais également de l'intérêt que vous avez porté, comme les différents présidents de séance qui se sont succédé, à ce texte.

Je remercie chaleureusement le rapporteur, Jean-François Chossy, qui, avec talent, a soutenu et enrichi ce texte, sans oublier Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, qui, par sa grande compétence, a une nouvelle fois contribué à faire évoluer nos réflexions dans ce champ majeur de la protection sociale.

Le débat parlementaire, le débat républicain, a permis de clarifier les orientations de la nouvelle politique du handicap ; il a aussi apporté des améliorations importantes. Après le débat démocratique, le dialogue social approfondi avec l'ensemble du mouvement associatif et des représentants institutionnels a conduit également à faire évoluer ce texte.

Il appartient maintenant à la commission mixte paritaire d'établir l'équilibre définitif d'un texte qui décline un nouveau paradigme du handicap, qui lance un nouveau défi à notre État providence, mais qui est aussi une chance pour notre démocratie.

La loi est toujours un moment fondateur, mais ce n'est qu'un moment dans la construction de ce grand chantier voulu et soutenu par le Président de la République. Il y aura donc un après la loi, comme il y aura un au-delà de la loi. Car le véritable enjeu de cette loi est bien de permettre à la société tout entière de s'approprier la question du handicap, de changer son regard et ses comportements. Alors seulement le handicap ne sera plus qu'un aspect de cette diversité dans laquelle doit résolument s'enraciner notre démocratie.

Plusieurs nouveaux chantiers seront ainsi ouverts en 2005, préparés en étroite concertation avec les associations, le Conseil national consultatif des personnes handicapées, dans trois perspectives distinctes.

Il va tout d'abord nous falloir construire les outils nécessaires à la mise en œuvre de ce texte. La rédaction des textes d'application a déjà commencé. Soyez assurés, mesdames, messieurs les députés, que je serai particulièrement attentive aux délais dans lesquels ces textes seront publiés. C'est un engagement que je prends devant vous, comme j'ai déjà été amenée à le faire au cours des débats.

Je souhaite ensuite vous faire part des sujets auxquels je m'attacherai plus particulièrement en 2005 et qui résultent de l'esprit même de ce texte : la situation des personnes handicapées mentales vieillissantes qui doivent être accueillies en établissement et pour lesquelles il va nous falloir trouver de nouvelles solutions réellement adaptées à leurs besoins et à leur situation propre ; la mise en œuvre d'une véritable offre médico-sociale à destination des personnes handicapées psychiques dont le texte que vous allez adopter porte, pour la première fois, une définition ; la mise en place, dans chaque département, de la maison départementale des personnes handicapées, ce guichet unique que les associations et les personnes handicapées appellent de leurs vœux. Leur mise en œuvre concrète pourra bien sûr s'appuyer sur l'expertise des sites pour la vie autonome qui en sont réellement les précurseurs.

Au-delà de la loi, il va falloir nous atteler à un certain nombre de questions qui interrogent les fondements mêmes de la politique du handicap et qui sous-tendent le texte sur lequel vous allez vous prononcer. Ces questions, je souhaite, mesdames, messieurs les députés, que nous puissions y travailler ensemble afin qu'elles ouvrent véritablement de nouvelles perspectives.

Tout d'abord, la question centrale de la représentativité des associations, question que nous avons déjà évoquée, doit être abordée courageusement et sans détour. J'ai mis en place à cet effet un groupe de travail auquel participeront bien entendu les associations de personnes handicapées.

Nous devons également être plus ouverts sur l'Europe, savoir mieux profiter des expériences fructueuses qui ont vu le jour chez nos voisins et inspirer nos comportements quotidiens de cette illustration internationale.

Un dernier mot sur la réforme institutionnelle portée par ce texte qui donne un contenu à ce que j'ai coutume d'appeler l'émergence du cinquième risque, le risque dépendance. Cette réforme répond à une exigence de visibilité, de pérennité et de cohérence. Faire de la dépendance un risque autonome et donner à cette construction institutionnelle la dimension et le nom d'une nouvelle branche de protection sociale consacrée au handicap permettra à des millions de personnes de sortir de l'ombre. Avec la mise en œuvre de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la société française ose s'affranchir de sa peur pour prendre à bras-le-corps une question qui, pour difficile qu'elle soit, ne doit plus être ni gênante, ni honteuse. Cette visibilité est également un gage de pérennité et de cohérence de la politique du handicap dans notre pays.

Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie pour la grande qualité des débats et pour votre ouverture d'esprit. Je remercie également le personnel de l'Assemblée qui a été extrêmement présent au cours des longues heures de travail. Et je présente à notre nouvelle politique du handicap mes vœux les plus chaleureux pour 2005 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Chossy, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean-François Chossy, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis très satisfait du travail qui a été réalisé par cette assemblée et, au-delà, par le Sénat. Les parlementaires se sont engagés à apporter à ce grand édifice une pierre qui permettra d'asseoir cette loi mais surtout de la faire progresser.

Nous avons répondu, autant que nous avons pu, aux attentes des personnes handicapées, des associations et de celles et de ceux qui souffrent et qui avaient besoin de réponses concrètes.

Grâce à l'engagement de Mme la secrétaire d'État, nous avons fait progresser ce texte dans plusieurs directions. D'abord, la prestation de compensation du handicap, qui est un élément fort, c'est le cœur même de cette loi ; ce système bouleverse ce que nous avions l'habitude jusqu'à présent de réaliser. Ensuite, le guichet unique, que représentent les maisons départementales des personnes handicapées. Sur les ressources également des progrès ont été apportés, qui fourniront des réponses satisfaisantes dans certains cas.

Nous avons également cherché à faire progresser les mentalités, en changeant les mots tout simplement. C'est bien là l'épine dorsale de ce texte : faire changer le regard sur le handicap est une chose, faire changer les mentalités de nos concitoyens sur le handicap en est une autre. Par exemple, grâce à la proposition de M. Yvan Lachaud, nous ne parlerons plus d'intégration scolaire, mais de scolarisation. C'est une avancée symbolique, mais qui mérite d'être soulignée. C'est le lot du travail que nous avons accompli.

Nous avons apporté une écoute attentive aux problèmes des associations, avec cœur, avec foi parce que nous croyons à cet engagement.

Madame la secrétaire d'État, le rapporteur se réjouit d'arriver aujourd'hui à la fin de ce texte. Il restera, à la marge, quelques petites précisions à apporter en commission mixte paritaire, mais je connais l'engagement de nos collègues sénateurs, je sais leur ouverture d'esprit, et leur capacité à entreprendre avec nous. Nous ne rencontrerons pas de problème en commission mixte paritaire. Il y aura par la suite un suivi à assurer sur ce texte, et merci, madame la secrétaire d'État, de l'avoir souligné.

Nous devons nous engager pour que ce texte vive, pour continuer à le faire évoluer s'il le faut. Cet engagement que je prends à titre personnel, je suis sûr qu'il est aussi celui de chacune et de chacun d'entre vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote sur l'ensemble du projet de loi, la parole est à M. Claude Leteurtre, pour le groupe UDF.

M. Claude Leteurtre. Madame la secrétaire d'État, l'UDF votera le texte que vous lui proposez, mais sans véritable enthousiasme et avec beaucoup de regrets. Le grand chantier annoncé de la réforme de la loi de 1975 sur le handicap se révèle aujourd'hui n'être qu'un toilettage de façade. Il ne pourra masquer longtemps les insuffisances de notre politique en faveur des personnes en situation de handicap.

Nous sommes, vous le voyez, sans illusion pour une raison très simple : il n'y a pas assez d'argent pour financer les principes affichés.

Trois fois, lors de la seconde lecture de ce texte, j'ai posé la même question, et le Gouvernement n'a pas répondu. Je vous la pose donc à nouveau aujourd'hui, madame la ministre : qui financera ?

M. Paul Giacobbi. Les départements !

M. Claude Leteurtre. En vingt ans, l'effort de la nation en faveur des personnes en situation de handicap est passé de 2,1 % du produit intérieur brut à 1,7 %. Cette baisse de 0,4 point représente un manque à gagner de 6 milliards d'euros : comment entendez-vous le rattraper ?

D'autre part, sachant que, toutes prestations confondues, le budget annuel du handicap est estimé à 40 milliards d'euros, que permettront de faire les 850 millions d'euros supplémentaires dégagés par la journée de solidarité ? Comment pourraient-ils suffire à la mise en place de la nouvelle prestation de compensation et au plan de création de places en établissement que vous avez annoncé ? Je ne vois qu'une réponse à cette question : comme vous l'avez dit vous-même devant le Sénat, ce sont les Conseils généraux qui devront payer.

J'en veux encore pour preuve le tour de passe-passe que vous avez déjà entrepris de réaliser : en supprimant le complément de l'AAH, qui se chiffre à 150 millions d'euros, vous l'avez fait disparaître du budget de l'État pour le réinscrire aussitôt sur le budget de la Sécurité sociale sous la forme d'une garantie de ressources nouvellement créée ! Vous nous dites que les crédits de l'AAH sont passés de 4,6 milliards d'euros en 2004 à 4,8 milliards en 2005 - ce qui est exact -, mais, le nombre d'allocataires augmentant chaque année dans une proportion de 3 % à 5 %, cette hausse suffira à peine à couvrir les nouveaux besoins. J'ajoute que, malheureusement, cette nouvelle garantie de ressources n'apportera que fort peu de chose par rapport à l'ancienne AAH.

Quant au texte introduit par le Sénat à propos des risques que fait courir au fœtus la consommation d'alcool par les femmes enceintes, j'ai finalement voté moi aussi le maintien de ce nouvel article. C'est, en effet, la première fois que l'on accepte de mener concrètement une action contre l'alcoolisme - qui plus est, pour prévenir un handicap évitable. Mais, je tiens à le redire, cette recommandation n'a rien à faire dans ce texte. De surcroît, elle montre du doigt une catégorie particulière de mères ayant un enfant en situation de handicap. Pourquoi prendre le risque d'une telle stigmatisation ?

En France comme à l'étranger, on estime la prévalence du syndrome d'alcoolisation fœtal - le SAF - entre 0,5 0/00 et 2 0/00 des naissances. Le SAF concernerait donc en France entre 400 et 1 500 nouveau-nés sur les 750 000 naissances annuelles. C'est évidemment beaucoup trop pour ne pas réagir, mais il eût été préférable de choisir un avertissement plus général sur les dangers de l'alcool, car, malheureusement, l'alcool n'est pas un danger que pour les femmes enceintes. Cet article n'aurait-il pas pour seul but de nous donner bonne conscience ?

Malgré tous ces défauts, qui ont leur importance, il faut souligner dans ce texte un certain nombre d'avancées et nous en féliciter, en espérant toutefois qu'elles seront financièrement réalisables : la création d'un droit à compensation du handicap - dont les barrières d'âge n'ont malheureusement pas été levées, en particulier pour ce qui est des enfants -, l'affirmation du droit à la scolarisation, une nette avancée en matière d'accessibilité et, surtout, la création d'une garantie de ressources permettant d'atteindre 80 % du SMIC pour les personnes qui ne peuvent travailler.

Comme vous, madame la secrétaire d'État, l'UDF sera très vigilante quant à l'application de cette loi, en particulier pour ce qui est de la parution rapide des décrets d'application.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Claude Leteurtre. Nous mesurerons à leur mise en œuvre votre volonté de concrétiser nos engagements.

Nous veillerons à ce que le budget de l'éducation nationale permette réellement le droit à la scolarisation des enfants handicapés.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Claude Leteurtre. L'État s'est également engagé à la mise en place d'un programme pluriannuel de création de places en établissement. C'est un chantier urgent pour que toutes les familles puissent trouver à proximité de chez elles - et au moins dans leur département - un établissement adapté.

Les personnes en situation de handicap avaient mis beaucoup d'espoirs dans l'annonce de la réforme de la loi de 1975. Ce que leur offre ce texte suffit sans doute à leur éviter la désespérance, mais il ne leur donne pas assez l'espérance d'une vie meilleure qu'eux-mêmes et leurs proches étaient en droit d'attendre en ce début de troisième millénaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Daniel Paul. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, nous sommes aujourd'hui au terme de la deuxième lecture d'un projet de loi attendu depuis plusieurs décennies.

Je veux saluer la mobilisation des associations qui, tout au long de ces débats, se sont efforcées d'infléchir vos réticences politiques maintes fois dénoncées et aisément confirmées après les retours en arrière du Sénat. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Et vous, qu'avez-vous fait ?

M. Daniel Paul. Comment ne pas regretter que ces heures de débats n'aient abouti qu'à un résultat décevant - je vous renvoie, pour vous en convaincre, aux innombrables communiqués de presse de ces associations et aux réactions de personnes en situation de handicap, très inquiètes pour leur avenir, comme l'illustraient, hier soir encore, des propos entendus entre dix-neuf heures et vingt heures dans une émission de France Inter.

Votre ténacité à défendre une vision désuète et inopérante du handicap a, dès le début, dévoyé ces travaux parlementaires. Pourtant - et c'était là une demande quasi unanime des associations -, une définition prenant en compte la situation de handicap, c'est-à-dire l'environnement des personnes concernées, était un préalable essentiel à toute mise en œuvre d'une politique visant à assurer l'égalité des chances et la citoyenneté de ces personnes. Défendre ici cette définition aurait tout simplement permis de respecter la parole de la France devant les instances internationales.

Si le texte qui nous est soumis consacre la création d'une prestation de compensation, cette nouvelle disposition ne sera que partiellement opérationnelle après la suppression de l'allocation compensatrice pour tierce personne. En effet, il aurait fallu que toute personne handicapée ait droit à la prise en charge intégrale de ses besoins en compensation dans le cadre de prestations légales et universelles. Au lieu de cela, la référence systématique à la liste des prestations et produits remboursables du code de la sécurité sociale limitera la prise en charge à hauteur de 60 % des besoins en compensation.

Invoquant la création de cette prestation de compensation, vous avez prétendu que le montant de l'AAH disponible pour les dépenses de la vie courante s'en trouverait automatiquement majoré. La possibilité accrue de compenser cette allocation avec un revenu d'activité semblerait répondre au besoin de revaloriser l'AAH. Mais qu'en est-il des personnes qui se trouvent dans l'incapacité totale de travailler ou, tout simplement, de trouver un emploi ?

Ce raisonnement fallacieux a servi d'argument pour refuser la création d'un revenu d'existence au moins égal au SMIC. Avec des pirouettes que l'on pourrait juger indécentes, vous supprimez d'un côté le complément d'autonomie de 94 euros mensuels - car c'est bien en dizaines d'euros que l'on compte ici ! - pour vous targuer ensuite, sous la pression des associations, d'avoir augmenté l'AAH de 140 euros.

Les critères d'attribution demeurent particulièrement flous et le chiffre avancé de 160 000 bénéficiaires est inquiétant, car de nombreux bénéficiaires actuels de l'AAH, notamment ceux qui sont locataires de leur logement, en seront forcément écartés. Nous sommes bien loin de la logique de simplification tant vantée. Et pourtant, nous ne le répéterons jamais assez, il est impossible d'accéder à une entière citoyenneté en restant relégué dans la subsistance.

Autre point fondamental : le droit à une scolarisation pour tous en milieu ordinaire. Il est inacceptable de renvoyer à la commission des droits et de l'autonomie la décision finale de l'orientation des élèves en situation de handicap. Non seulement, en effet, les parents sont écartés d'une responsabilité essentielle dans leur rôle d'éducateurs, mais aussi - et je vous conseille à cet égard la lecture du rapport d'Annie Triomphe -, la pratique de l'orientation en fonction des places disponibles en institutions spécialisées, impulsée par les CDES, risque de perdurer. Nous profiterons d'ailleurs de l'examen de la loi relative à l'avenir de l'école pour reprendre nos propositions, car nous ne renonçons pas à modifier ce texte.

Nous regrettons enfin les multiples dérogations qui continuent d'entacher le principe de l'accessibilité généralisée, l'absence de mesures volontaristes destinées à pérenniser l'emploi dans les établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux et, bien évidemment, la création de la CNSA, qui consacre l'éclatement de la protection sociale. Nous dénonçons également les transferts de charges sur les Conseils généraux. Nous regrettons en outre qu'après cette loi, les salaires de nombreux salariés des CAT restent inférieurs au SMIC.

Nous avons, grâce à nos diverses interventions et avec nos collègues de tous les bancs de cette assemblée, permis d'améliorer ce texte initial et nous prenons acte de l'adoption comme de la satisfaction d'un nombre conséquent de nos amendements, mais il s'agit surtout là d'une juste reconnaissance du travail exceptionnel fourni par les associations.

Malheureusement, ce projet de loi ne permettra aux personnes en situation de handicap ni d'exercer leurs droits, ni d'assurer leur autonomie. Elle ne leur permettra pas non plus de réaliser leur intégration sociale ou professionnelle et leur participation à la vie sociale, culturelle et économique.

Au nom de ces valeurs fondamentales dont nous nous ferons toujours l'écho, parce que nous sommes convaincus que cette loi ne répond pas aux besoins exprimés, que vous l'avez enfermée dans une approche dépassée, partielle et minimaliste du handicap, parce que vous l'avez corsetée dans un cadre financier qui maintient en situation d'assistés les personnes en situation de handicap et parce que ce cadre financier est celui de la réduction de la dépense publique et du démantèlement de notre protection sociale, nous voterons contre ce texte. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Madame la secrétaire d'État, vous nous avez présenté vos vœux pour 2005. Je souhaite, quant à moi, que les associations et toutes les personnes concernées par le problème du handicap demeurent vigilantes, et qu'avec elles nous puissions préparer une loi progressiste (« Et vous, qu'avez-vous fait ? » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.), que mettra en œuvre un gouvernement soucieux de la dignité et de l'avenir des personnes handicapées. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Avant de donner la parole aux deux derniers orateurs inscrits dans les explications de vote, je vais, d'ores et déjà, faire annoncer le scrutin, de manière à permettre à nos collègues de regagner l'hémicycle.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à Mme Geneviève Levy, pour le groupe UMP.

Mme Geneviève Levy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en soutenant au nom du groupe UMP le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, j'ai eu l'occasion de dire qu'il était une réponse à la volonté du Président de la République, qui a fait de l'intégration des personnes handicapées dans notre société l'une des trois premières priorités de son quinquennat.

En effet, depuis 2002, le Gouvernement a mené une politique active en faveur des personnes handicapées : les crédits du handicap sont en augmentation constante et ont été, en outre, sanctuarisés. Enfin, un projet de loi nous a été soumis afin que les personnes handicapées participent pleinement à la vie de la Cité.

L'examen de ce texte en deuxième lecture confirme les avancées innovantes qu'il promettait, tout en précisant et complétant - voire en réintroduisant - des dispositions qui traduisent notre volonté d'améliorer la vie quotidienne des personnes handicapées et de leurs familles.

Ces modifications ont été placées sous le double signe du pragmatisme et de l'ambition. Pragmatisme, car ce projet de loi a été élaboré avec les acteurs de terrain. Ambition, car le droit à compensation, notamment, acquiert enfin un contenu en même temps que les moyens de son effectivité. Avec la journée de solidarité, en effet, 850 millions d'euros seront dégagés au bénéfice des personnes handicapées.

Le travail de la commission et de son rapporteur doit être salué. Les propositions du Gouvernement et les débats largement ouverts que nous avons connus dans cet hémicycle lors de l'examen en deuxième lecture ont été de qualité, ont enrichi notre réflexion et ont permis l'adoption de près de cent cinquante amendements.

C'est ainsi que des amendements importants ont été adoptés en deuxième lecture. Parmi ces modifications introduites par l'Assemblée nationale, j'en retiendrai quatre. L'amendement à l'article 3 permettra l'instauration, dès 2005, d'une garantie de ressources pour les personnes handicapées qui ne peuvent pas travailler. Cette garantie représente 140 euros de plus que l'actuelle allocation adulte handicapé. Elle atteindra donc 80 % du SMIC, et s'accompagnera de la prestation de compensation. Le nombre de personnes concernées par cette mesure est estimé à 160 000, soit 30 000 de plus qu'actuellement. A été adopté également un amendement permettant aux travailleurs lourdement handicapés de bénéficier d'une retraite à taux plein, puisque 120 trimestres cotisés en vaudront 160.

Il convient aussi de saluer l'effort tendant à mieux prendre en compte l'intérêt de l'enfant durant sa scolarisation. Les sénateurs avaient précisé que l'intégration scolaire des enfants handicapés ne devait pas perturber les autres élèves. Cette disposition avait profondément choqué. Nous l'avons donc modifiée. C'est ainsi que demain la scolarisation sera le principe, à condition qu'elle respecte le projet personnalisé de l'enfant handicapé.

Étant personnellement impliquée dans le monde du handicap, je me félicite tout particulièrement de l'attention portée à l'accessibilité : divers amendements fixant un délai maximum de dix ans pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public et des transports collectifs ont été adoptés.

Ce texte permettra aux personnes handicapées de trouver, tant socialement que financièrement, leur juste place dans la société.

Alors que nous devons faire preuve d'une attention toute particulière vis-à-vis des plus fragiles d'entre nous, ce texte est une grande avancée. Il apporte une réponse comprise et attendue aux difficultés rencontrées par les personnes handicapées. Le groupe UMP est donc fier de soutenir un gouvernement qui en a pris l'initiative. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Mignon, pour le groupe socialiste.

Mme Hélène Mignon. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la deuxième lecture de ce texte nous a permis de revenir sur des amendements votés au Sénat, dont l'un, particulièrement scandaleux, touchait à la scolarisation des enfants handicapés.

Si nous reconnaissons, à l'issue de la discussion, que ce texte permet quelques avancées, auxquelles nous avons tous contribué, nous n'en demeurons pas moins très critiques.

Nous souhaitions, et nous nous en sommes largement expliqués dès le départ, que la dimension environnementale du handicap soit reconnue.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Que ne l'avez-vous fait !

Mme Hélène Mignon. Il ne s'agit pas pour nous d'une simple question de sémantique, que la disparition du mot « handicapé » de notre vocabulaire suffirait à régler. Nous souhaitions simplement que soit prise en compte la situation de handicap : reconnaître l'interaction entre des facteurs de nature différente induit l'obligation évidente d'apporter des réponses individuelles, mais aussi collectives, en intervenant sur les facteurs environnementaux qui jalonnent la vie de chacun, qu'ils soient de nature culturelle, sociale ou architecturale. Nous demandions une cohérence avec les textes internationaux dont la France est partie prenante. Ce n'est qu'à cette condition que les mesures de compensation produiraient tous leurs effets, permettant à tous l'accès aux mêmes droits. Personne ne peut être réduit à la seule déficience. Il faut intégrer la construction d'un projet de vie dans son environnement, notamment social.

Le combat pour l'égalité des chances doit commencer dès l'école de la République. Nos discussions nous ont heureusement permis de gommer l'amendement choquant du Sénat. C'est en effet au moment de l'enfance que l'on peut changer le regard que la société porte sur toute personne handicapée. C'est pourquoi la politique de scolarisation en milieu ordinaire doit être volontariste et adaptée aux besoins individuels. C'est à l'État de mettre en place les moyens financiers et humains nécessaires. Or c'est là où le bat blesse.

Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est bien la preuve que vous n'avez rien fait !

Mme Hélène Mignon. Vous pouvez m'interrompre autant que vous voulez, cela ne m'empêchera pas de continuer. Vous savez que je suis suffisamment têtue pour cela ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Nous aussi !

Mme Hélène Mignon. Vous nous dites, madame la secrétaire d'État, être entendue par votre collègue de l'Éducation nationale ; pourtant le budget 2005 de ce ministère et les suppressions de postes qui y sont prévues ne peuvent que renforcer nos inquiétudes à cet égard. Comment croire dans ces conditions que vous serez entendue s'agissant des moyens à consacrer à ces enfants handicapés, dont je rappellerai que 35 000 à 45 000 échappent à toute forme de scolarisation ? Faute de certitudes, nous sommes très sceptiques quant à la réalité du droit de scolarisation en milieu normal, et la déception de bien des parents se sentant dépossédés de la décision au profit d'un groupe médico-administratif, aujourd'hui non déterminé, est grande. Nous sommes résolus à faire en sorte que la CMP rejette l'amendement s'y rapportant.

Quant au droit à compensation, il ne deviendra réalité que lorsqu'on s'en donnera les moyens. C'est ce que nous ne cessons, depuis des mois, de répéter au sujet de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA. Aujourd'hui, l'estimation de la proportion des fonds de cette caisse destinée à la compensation est aléatoire. Au fil des discussions, la notion de critères de ressources pour l'attribution de la prestation de compensation a fait l'objet de nombreux amendements, permettant certes des avancées, mais sans que celles-ci soient budgétisées, telles que la suppression des barrières d'âge ou la prise en compte du handicap psychique. C'est à la solidarité nationale de permettre le financement de toutes les compensations, si l'on veut que l'égalité des chances ne reste pas seulement un slogan.

Mais comment être optimiste quand on sait que la caisse a déjà dû se substituer à l'État s'agissant des promesses gouvernementales de création de centres d'aide par le travail, les CAT, et que le Premier ministre a annoncé le 13 janvier que vingt-cinq millions d'euros y seraient encore prélevés en 2005 dans le cadre de la mise en accessibilité des ministères ? Que décidera-t-on d'y imputer les années suivantes ? Que va-t-on nous proposer dans les semaines et les mois à venir : une compensation au rabais, en qualité, en nombre, ou un deuxième jour férié travaillé ?

Seule une prestation légalement définie aurait permis de garantir sur l'ensemble du territoire national l'accès à un véritable droit à une compensation dans le cadre d'un plan d'aide personnalisé, à partir du droit de chacun à choisir son projet de vie. La coexistence persistante de plusieurs dispositifs aura pour conséquence l'inégalité de traitement.

Nous jugeons évidemment que l'augmentation sensible du « reste à vivre » pour les personnes vivant en établissement est un élément positif, comme l'est l'amélioration de la possibilité de cumuler l'AAH avec un revenu d'activité. Mais en renvoyant au décret la définition des modalités de cumul de cette allocation avec les revenus professionnels, vous laissez la représentation nationale dans l'ignorance des conséquences de ses votes. Nous sommes en droit d'être inquiets quand nous analysons vos décisions concernant le complément d'AAH : on le supprime avant l'été, on le rétablit en hiver, tout en le modulant en fonction de l'ancienneté des bénéficiaires. Il s'agit en réalité de changer de financeur.

Vous avez annoncé très médiatiquement l'instauration, tant attendue, d'un revenu équivalent à 80 % du SMIC seulement, au bénéfice des personnes que leur handicap met dans l'impossibilité de travailler. Cette annonce a fait naître beaucoup d'espoir, mais ne s'agirait-il pas plutôt en réalité d'un discret tour de passe-passe ?

La refonte tant attendue du système allocatif n'aura pas lieu. Vous vous êtes contentés d'un vague toilettage sous prétexte de ne pas perpétuer une « politique d'assistance », comme vous dites.

Malgré l'inauguration médiatique d'un élévateur à Matignon, force est de constater que le texte autorise encore trop de dérogations à l'obligation d'accessibilité, et que certains lieux publics, tels les commerces de proximité, échappent à cette obligation. Le problème de l'accessibilité du logement, des transports en commun, reste fondamental.

Cette loi n'est pas la grande loi que l'on était en droit d'attendre pour remplacer celle de 1975.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Que ne l'avez-vous faite !

Mme Hélène Mignon. Incapable de répondre aux attentes des personnes en situation de handicap, c'est à bien des égards une loi en trompe-l'œil. Vous nous avez dit, madame la secrétaire d'État, que les questions en suspens pourraient être abordées dans d'autres textes, mais on ne fait pas de grande loi avec des « cavaliers ». Le moins qu'on puisse dire est que nous ne rejoignons pas les pays qui en Europe ont mis l'accent sur l'inclusion dans la société sans discrimination.

En l'état le groupe socialiste votera contre ce projet de loi (Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et prend l'engagement de tout mettre en œuvre pour que les personnes handicapées accèdent à une citoyenneté pleine et entière. Tel était l'objet du projet de loi présenté par Ségolène Royal au Conseil des ministres en juillet 2001. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix l'ensemble du projet de loi.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

                    Nombre de votants 529

                    Nombre de suffrages exprimés 527

                    Majorité absolue 264

        Pour l'adoption 364

        Contre 163

L'Assemblée nationale a adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je ne vous parlerai pas cet après-midi du retard français et de l'effort que doit consentir, jour après jour, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin pour rattraper ce retard, à travers notamment un programme de création de places. Je ne vous parlerai pas davantage de la détresse des personnes handicapées psychiques ou des polyhandicapés. Je ne vous parlerai pas non plus de l'incompréhension des parents confrontés à une décision d'orientation non partagée. En effet, monsieur le député Daniel Paul, les associations ne sont la propriété d'aucune doctrine politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Depuis mon entrée au Gouvernement, mesdames et messieurs de l'opposition, je vous ai toujours entendu dire que vous n'adopteriez pas ce texte. Je ne suis donc pas véritablement étonnée, en dépit des velléités d'esprit constructif que vous avez manifestées au cours des débats, loin des échos médiatiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Plusieurs députés du groupe des député-e-s communistes et républicains. C'est lamentable ! C'est honteux !

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. Votre vote de cet après-midi, mesdames et messieurs les députés, a mis en évidence un clivage politique. Il y a, d'un côté, une doctrine de l'assistance, qui juge « politiquement correct » de renvoyer le handicap sur l'environnement, qui se traduit par une logique de projets sociaux sans financement : voilà, mesdames et messieurs de l'opposition, ce qui vous a conduits à vous opposer à ce texte. De l'autre côté, il y a la volonté pragmatique de rattraper le retard dont souffre notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et une philosophie de la compensation, qui vise à mobiliser nos concitoyens pour que le risque dépendance soit enfin pris en compte. Il s'agit de répondre à ce sentiment d'insécurité, que vous connaissez bien, que l'on ressent face aux risques de la naissance et aux accidents de la vie.

Voilà pourquoi, mesdames et messieurs les députés, je suis fière de faire partie de ce gouvernement. Grâce à vous, mesdames et messieurs, il a accompli des avancées, que nous continuerons, jour après jour, de dessiner ensemble, pour assurer une parfaite intégration des personnes handicapées au cœur de notre cité, afin que nous nous enrichissions de nos différences. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

    4

RÉGULATION DES ACTIVITÉS POSTALES

Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la régulation des activités postales (nos 1384, 1988).

Il faut, mes chers collègues, que la séance soit levée vers dix-neuf heures vingt. Mais nous devrons alors avoir achevé d'examiner l'exception d'irrecevabilité, ce qui suppose beaucoup de discipline de la part de chacun. D'ailleurs, M. le président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire m'a informé qu'il renonçait à son intervention...

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Mais il n'en pense pas moins ! (Sourires.)

M. le président. ..., ce qui permettra au rapporteur de parler cinq minutes de plus. Que chacun joue le jeu, à commencer par vous, monsieur le ministre, à qui je donne la parole.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, à Lisbonne, en 2000, les quinze pays de l'Union européenne se sont fixé comme objectif de faire de l'Union européenne la première économie de la connaissance d'ici 2010.

Conscients que le développement des échanges est un puissant moteur de l'économie, les Quinze ont voulu poursuivre la libéralisation des échanges, tant immatériels que matériels : c'est ainsi qu'a été adopté le fameux « paquet télécoms », qui assoit la concurrence dans l'ensemble du secteur des TIC, que nous avons transposé l'année dernière grâce à la loi sur les communications électroniques et les services de communication audiovisuelle.

Les Quinze ont également décidé de poursuivre la libéralisation des échanges matériels, en appelant à la poursuite de la libéralisation dans le secteur des transports et dans le celui des services postaux.

Les services postaux sont un instrument essentiel de communication et d'échanges.

Dès 1992, dans son Livre vert sur le développement du marché unique des services postaux, la Commission européenne avait ouvert le débat sur une politique communautaire en identifiant les étapes de réalisation de l'Europe postale.

Ce processus engagé avec nos partenaires européens a permis d'aboutir à l'adoption de la directive du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant les règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité, dite plus simplement « directive postale ». L'intitulé même de cette directive met en évidence le lien indissociable qui doit unir les mesures qui visent à une ouverture progressive et contrôlée des marchés et l'amélioration de la qualité de service pour les utilisateurs. Ainsi, la France a toujours défendu dans la négociation européenne la nécessité de prendre en compte les objectifs de service public et d'aménagement du territoire et a préconisé une harmonisation à un haut niveau de qualité dans le cadre d'un périmètre de services réservés, qui est large. Cette directive postale de 1997, rappelons-le, aurait dû être transposée avant le 31 décembre 2000. Nous avons donc plus de quatre ans de retard.

Par la suite, après la décision des ministres européens des postes du 15 octobre 2001, cette directive a été modifiée par la directive du 10 juin 2002, afin de poursuivre l'ouverture à la concurrence des services postaux. Cette deuxième directive aurait dû être transposée avant le 31 décembre 2002 - cette fois, c'est de notre faute.

La France est ainsi aujourd'hui en retard dans ses obligations de transposition des deux directives. Et, logiquement, deux procédures sont en cours devant la Cour de justice des Communautés européennes, à l'encontre de notre pays.

Une première procédure concerne l'indépendance de la régulation. Elle date de l'an 2000 pour sa phase formelle, mais elle était commencée depuis longtemps : elle constate que le ministre chargé des postes, qui assure la tutelle de La Poste, ne dispose pas de l'indépendance requise par la directive par rapport aux intérêts de l'opérateur postal historique.

La seconde procédure porte sur la délimitation du monopole de La Poste, également appelé « secteur réservé ». Le monopole postal aurait dû être limité aux objets de correspondance de moins de 100 grammes, depuis le 1er janvier 2003, alors qu'il est aujourd'hui fixé à 350 grammes dans le code des postes et communications électroniques.

Le projet de loi relatif à la régulation des activités postales, dont vous allez débattre, vise ainsi essentiellement, principalement, à transposer les directives européennes postales de 1997 et de 2002. Il permet aussi de doter La Poste des outils nécessaires pour lutter à armes égales avec ses concurrents.

Je tiens à revenir sur ces deux finalités.

II s'agit d'abord de transposer les deux directives communautaires. Que disent-elles ?

Elles définissent, parmi l'ensemble des services postaux, un domaine appelé le « service universel postal », qui correspond à notre notion de service public.

M. Daniel Paul. Non !

M. le ministre délégué à l'industrie. Ce service universel postal est constitué des envois de correspondance de moins de deux kilos, des envois de colis de moins de vingt kilos, des envois recommandés et à valeur déclarée, y compris transfrontaliers. Les États membres de l'Union européenne ont l'obligation d'assurer la disponibilité d'une offre comprenant toute la gamme du « service universel », disponible tous les jours ouvrables, sur tout leur territoire et ouverte à tous les utilisateurs, à un prix abordable.

En France, c'est La Poste qui est chargée de cette mission dont les détails sont inscrits dans son cahier des charges. Soucieux de maintenir la qualité du service public rendu par La Poste, nous avons fait le choix d'aller au-delà de nos obligations communautaires qui imposent une distribution minimale de cinq jours sur sept, en maintenant une distribution du courrier six jours sur sept. Nous faisons donc mieux que la directive.

Les États membres de l'Union européenne peuvent octroyer au prestataire du service universel postal un certain monopole, dans la limite des seuils définis par la directive, afin de garantir le financement de cette mission.

Le projet de loi confirme le monopole de La Poste en l'ajustant aux seuils prévus par la directive européenne. Depuis le 1er janvier 2003, comme je l'ai rappelé tout à l'heure, le secteur réservé couvre les envois de correspondance d'un poids inférieur à 100 grammes. Au 1er janvier 2006, cette limite tombera à 50 grammes.

Par ailleurs, les États membres doivent garantir qu'une autorité indépendante des opérateurs postaux est chargée de veiller au respect des règles de concurrence dans le secteur postal et à la bonne fourniture du service universel postal. Le projet de loi prévoit ainsi d'étendre les pouvoirs de l'ART à la régulation du secteur postal. Avec de nouveaux services et de nouveaux membres du collège compétents dans le secteur postal, cette autorité serait alors dénommée, ainsi que vos collègues sénateurs l'ont proposé, et si vous l'acceptez, Autorité de régulation des communications électroniques et des postes - ARCEP.

Quels seront son rôle et ses moyens, tels qu'ils sont prévus par le projet de loi ? Tout d'abord, l'exercice par des concurrents de La Poste d'une activité de distribution de correspondances sera soumis à un régime d'autorisations délivrées par le régulateur. Seuls les prestataires de services d'envois de correspondance allant jusqu'à la distribution seront soumis au régime d'autorisation. Les autorisations seront accordées pour une période de dix ans. Elles seront renouvelables mais non cessibles. Leur octroi sera assorti d'exigences de qualité, de respect de la confidentialité des envois et de protection des consommateurs.

L'ARCEP sera ensuite amenée à jouer un rôle majeur en matière de règlement des différends dans le secteur postal et surtout de régulation tarifaire. Les tarifs des services réservés seront désormais homologués par le régulateur. En revanche, les tarifs du service universel non réservé, pourront être soumis à un encadrement tarifaire pluriannuel, un price cap. Si cet encadrement pluriannuel est global, ce qui veut dire qu'il concerne un ou plusieurs paniers de services postaux, les tarifs individuels de ces derniers n'auront alors pas à faire l'objet d'un accord au cas par cas. Il s'agit là d'un point très important sur lequel nous aurons l'occasion de débattre.

L'ARCEP veillera aussi à ce que le financement de la mission de service universel postal soit assuré dans le respect des règles de concurrence, à travers la possibilité qui lui sera donnée, notamment de faire vérifier les règles d'affectation des coûts de La Poste. Nous verrons par la suite combien cela est important.

Si l'ARCEP venait à constater un déséquilibre dans le financement du service universel postal, c'est-à-dire si le monopole accordé aujourd'hui à La Poste ne couvrait pas le surcoût économique que représente la fourniture du service universel sur tout le territoire, le projet de loi lui fait obligation de proposer au ministre des mesures pour y remédier.

Ensuite, le projet de loi prévoit que le Gouvernement fasse un rapport au Parlement sur le financement du service universel, en étudiant notamment l'opportunité de la création d'un fonds de compensation, option explicitement prévue par les directives communautaires. Ce fonds de compensation du service universel postal, abondé par les concurrents de La Poste, serait alors destiné à financer la mission de service universel dévolue à La Poste, si le champ du monopole ne suffisait plus à financer cette mission.

Enfin, l'ARCEP sera dotée d'un large pouvoir de sanctions.

Voilà, en quelques mots, les règles du jeu du marché européen des activités postales que nous transposons dans ce projet de loi relatif à la régulation des activités postales. Je suis convaincu que le dispositif envisagé nous permettra de concilier la libéralisation du secteur avec la fourniture d'un service public postal de qualité auquel nous sommes tous, indiscutablement, très attachés. C'est un des enjeux essentiels du texte qui vous est proposé.

En second lieu, ce projet de loi permet également de doter La Poste des outils nécessaires pour lutter à armes égales avec ses concurrents. Nous devons mettre à profit les délais qui nous séparent des prochaines étapes de l'ouverture des marchés à la concurrence pour mettre La Poste dans une situation d'équité concurrentielle, en ce qui concerne notamment ses services financiers, ses charges sociales et le financement de sa contribution à l'aménagement du territoire.

Dans cette perspective, un apport majeur de ce projet de loi est la création d'un établissement de crédit postal. Je crois qu'il faut examiner cette question avec un peu de recul historique.

L'évolution des services financiers de La Poste est une affaire ancienne : la gamme s'est étoffée progressivement, depuis l'après-guerre, autour du Livret A ; elle comprend aujourd'hui à peu près tous les produits d'épargne, et s'étend au crédit immobilier avec épargne préalable.

Un pas décisif a été accompli en 1998, avec la fin de la centralisation au Trésor des dépôts des CCP qui, désormais, sont gérés par une filiale de La Poste.

La possibilité de créer un établissement financier obéissant aux règles bancaires parachève cette évolution. Elle permettra à La Poste de conforter sa clientèle, qui aujourd'hui la quitte lorsqu'elle a besoin d'emprunter. Elle permettra de développer l'activité du réseau des bureaux de poste. Elle devra, naturellement, s'exercer dans le respect des règles professionnelles et prudentielles applicables à toutes les entreprises de cette branche. La Poste y travaille, d'ores et déjà, avec les autorités de marché.

L'établissement de crédit recourra, pour son activité commerciale et de production, aux moyens en personnel de La Poste, dans le cadre de conventions de services qui devront exclure toute distorsion de concurrence, en particulier en assurant une juste rémunération de La Poste et de son réseau par l'établissement.

La Poste sera également mise sur un pied d'égalité avec ses concurrents. C'est une entreprise de 320 000 salariés, dont près d'un tiers est sous le régime de droit privé. Elle est exposée à la concurrence sur une grande partie de son chiffre d'affaires, mais le gouvernement précédent lui a imposé de mettre en place le dispositif d'aménagement et de réduction du temps de travail sans bénéficier des aides prévues pour atténuer le surcoût énorme que cela représentait pour elle.

Cette entreprise devra engager, sans attendre, de grandes réorganisations d'ici à 2009, date à laquelle elle pourrait perdre tout monopole.

La mesure qu'il vous est proposé d'adopter - je fais référence ici à l'éligibilité aux « exonérations Fillon » - assurera l'égalité entre La Poste et ses concurrents à compter du 1er janvier 2006. Cette mesure représente un coût élevé - 230 millions d'euros en année pleine - mais elle permet de replacer La Poste dans les conditions du droit commun. J'ajoute qu'elle est très attendue de l'entreprise et de son personnel.

L'évolution du réseau des bureaux de poste et les enjeux d'aménagement du territoire trouveront des réponses dans la négociation sur le terrain, et non pas à partir de solutions dictées d'en haut. Comme vous le savez, la loi prévoit déjà de longue date un abattement des taxes locales au profit de la Poste. Cet abattement est justifié par la mission qu'elle reçoit de contribuer à l'aménagement du territoire, en plus de ses obligations au titre du service du courrier. Nous vous proposons de compléter ce mécanisme en prévoyant la création d'un fonds postal national de péréquation territoriale qui permettra de financer une présence postale là où cela apparaît prioritaire. Au niveau départemental, par exemple, ce fonds pourra être géré en s'appuyant, bien évidemment, sur les compétences des commissions départementales de présence postale territoriale.

Le contrat de plan en a posé le principe. La Poste et un groupe d'élus, présidé par le sénateur Hérisson, président de la Commission supérieure du service public des postes et communications électroniques, travaillent actuellement à en définir le détail. Ils viennent d'ailleurs de rendre leurs premières conclusions et de formuler leurs premières propositions.

Enfin, une mesure très attendue par l'ensemble des clients de La Poste concerne le régime de responsabilité des envois postaux. En effet, des dispositions très anciennes du code des postes et des communications électroniques édictaient, au profit de La Poste, une irresponsabilité de droit. Aujourd'hui, les tribunaux écartent l'application de ce texte, qui n'est plus conforme aux principes généraux du droit. Nous aurons l'occasion d'en débattre, mais il nous faut certainement, aujourd'hui, réfléchir à un dispositif répondant mieux aux attentes des utilisateurs et applicable à l'ensemble du secteur postal.

Comme l'a montré la consultation menée par mes services cet été, je pense que les dispositions votées au Sénat méritent encore d'être améliorées, en instaurant sans doute un principe beaucoup plus large de responsabilité applicable aux envois postaux.

La concurrence dans les services postaux existe déjà aujourd'hui, en France comme chez nos voisins européens, dans le secteur du colis par exemple ou dans celui du publipostage non adressé. Les gains de productivité que cette concurrence entraîne chez les opérateurs du secteur nourrissent et soutiennent la croissance de notre économie.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Tout à fait !

M. le ministre délégué à l'industrie. Dans ce processus, une nouvelle étape doit aujourd'hui être franchie. Le projet de loi relatif à la régulation des activités postales qu'il vous est proposé d'adopter, mesdames et messieurs les députés, préparera La Poste et l'ensemble des acteurs du secteur postal à conquérir de nouveaux marchés dans un contexte de plus en plus concurrentiel, tout en garantissant sur l'ensemble du territoire un service public de qualité, auxquels les Français sont tant attachés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean Proriol, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, qui disposera de quinze minutes grâce à l'obligeance du président Ollier.

M. Jean Proriol, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission que je remercie pour sa générosité, mes chers collègues, tout le monde s'accordera à reconnaître l'importance que revêt l'examen du projet de loi relatif à la régulation des activités postales. En effet, si l'on met à part divers petits textes de portée technique - on en compte 36 au total depuis 1990 -, il faut remonter au 17 juillet 1918 pour trouver une loi d'envergure dédiée exclusivement à l'activité postale. C'était alors la loi portant création du premier service de comptes courants et de chèques postaux.

La dernière grande réforme, la loi du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public de La Poste et des télécommunications, date donc de près de quinze ans, mais, comme son nom l'indique, elle se combinait avec une réorganisation parallèle du secteur des télécommunications.

Comme l'a rappelé M. le ministre, la nécessité de cette loi postale résulte de la double exigence d'adaptation de la législation aux engagements du « contrat de plan de performances et de convergence » entre l'État et le groupe La Poste pour la période 2003-2007, et aux obligations du droit européen. Les dispositifs proposés ne font que définir un cadre et des instruments pour atteindre des objectifs que je crois partagés sur tous les bancs de cette assemblée.

Moderniser le service postal et améliorer la qualité du service proposé aux usagers, et ce au meilleur coût, qui peut être contre ?

M. Patrick Ollier, président de la commission. Personne !

M. Jean Proriol, rapporteur. Permettre à l'opérateur historique, le groupe La Poste, d'entrer à armes égales - c'est votre expression, monsieur le ministre - avec ses concurrents européens dans le XXIe siècle pour continuer à faire vivre cet esprit du service qui l'anime, qui peut s'y opposer ?

Aujourd'hui, une adaptation est non seulement souhaitable, mais elle est inéluctable. Le projet de loi, en transcrivant les directives européennes de 1997 et 2002, avalisées par le gouvernement Jospin et le ministre en charge de l'industrie de l'époque, Christian Pierret, fixe in concreto les conditions d'un meilleur service. Le service universel postal, consacré par l'Union européenne et tant décrié comme un service public a minima est en réalité, comme me l'ont rappelé de nombreux interlocuteurs au cours des auditions, la reprise quasi conforme des exigences du service public à la française avec la garantie, tous les jours ouvrables et au minimum cinq jours par semaine, d'une levée et d'une distribution. Avec ce texte, nous allons au-delà en assurant la desserte du courrier à domicile six jours sur sept, ce qui est habituel en France.

Relisez les auteurs de la doctrine, mes chers collègues : le service public n'est pas figé, il doit évoluer. Le rapport de la Cour des comptes rendu en octobre 2003 est édifiant : La Poste a connu une stratégie de développement tardive, les services financiers sont sujets à une fragilité structurelle, l'inadaptation du réseau est persistante, et une plus grande automatisation s'impose. En réalité, La Poste est une entreprise industrielle, que l'on ne soupçonne pas : il suffit de se rendre dans les centres de tri, notamment dans le courant de la nuit ou aux aurores, pour s'en rendre compte !

Je vous rappelle que les réformes en cours résultent d'un long parcours et qu'elles ont été validées et initiées par des gouvernements de gauche : M. Quilès, auteur de la loi de 1990, estimait déjà en avril 1989...

M. François Brottes. Et Colbert, qu'en pensait-il ?

M. Jean Proriol, rapporteur. M. Colbert a apporté beaucoup de choses à la France. Ne vous moquez pas de lui, monsieur Brottes !

Je cite M. Quilès : « On ne dirige pas de grands ensembles comme les PTT avec un rétroviseur ni avec une godille ». Deux mois plus tard, il déclarait : « Le statu quo n'est pas possible, dans la mesure où il se traduirait par un déclin inéluctable et par l'abandon du service public. »

C'est ainsi que, le 1er janvier 1991, La Poste et France Télécom ont perdu leur statut d'administration pour devenir deux établissements autonomes de droit public.

En octobre 2001, à Luxembourg, les quinze ministres européens en charge de la poste et des télécommunications, Christian Pierret représentant la France, s'accordent à poursuivre par étapes l'ouverture à la concurrence des services postaux dans l'Union européenne, entamée avec la directive du 15 décembre 1997.

M. François Brottes. Vous réécrivez l'histoire !

M. Jean Proriol, rapporteur. Malheureusement, c'est authentique ! J'imagine que cela vous dérange, monsieur Brottes, mais vous n'avez pas fini d'en entendre !

M. le président. Monsieur Proriol, ne vous laissez pas interrompre par M. Brottes !

M. Jean Proriol, rapporteur. Ce n'est pas méchant, monsieur le président !

M. le président. Certes, mais je souhaite que nous ne perdions pas de temps, pour répondre à la demande du ministre !

M. Jean Proriol, rapporteur. Oh, je comprends que M. Brottes soit inquiet !

La directive de 1997 devait être transposée dans un délai d'un an, soit au début de l'année 1999. Nous sommes loin du compte, comme l'a rappelé éloquemment le ministre !

Le Gouvernement, comme notre commission, pour mettre en place un régime équilibré, a choisi d'agir avec pragmatisme et dans deux directions.

Concernant les opérateurs, qu'il s'agisse du prestataire du service universel, le groupe La Poste, ou des nouveaux entrants, nous aménageons les pouvoirs de l'autorité de régulation, qui sont confiés à l'ART, devenue l'ARCEP, Autorité de régulation des communications électroniques et des postes. Notre commission, avec son président, Patrick Ollier, propose de porter le nombre de ses membres de cinq à sept. M. Ollier vous expliquera pourquoi nous souhaitons une telle augmentation des effectifs.

En outre, nous tentons de concilier les impératifs de modernisation issus des bouleversements technologiques et des transformations économiques du marché mondial, et la préservation des services de proximité, dans un souci d'aménagement du territoire.

Ainsi, pour éviter que les nouveaux entrants ne pratiquent l'« écrémage » et ne soient présents que sur les segments les plus rentables, la commission a souhaité introduire l'obligation d'une surface d'activité géographique « conséquente », comprenant pour un territoire donné au moins un tiers des communes de moins de 2 000 habitants ou au moins la moitié des communes.

M. Dominique Dord. Très bien !

M. Jean Proriol, rapporteur. Un droit commun à tous les opérateurs du secteur a par ailleurs été mis en place. Ainsi, pour le régime de responsabilité en cas de défaillance sur les prestations, un amendement a supprimé ce qui restait du régime d'irresponsabilité de La Poste pour créer une responsabilité forfaitaire, en cas de faute prouvée, qui vaudra pour tous les opérateurs.

Notre commission a aménagé d'une manière équilibrée les pouvoirs de l'autorité de régulation, en lui reconnaissant une pleine compétence, avec toutes les marges de manœuvre prévues par la directive, pour contrôler les tarifs et la qualité des prestations du service universel. Toutefois, en matière de tarifs, La Poste conserve systématiquement l'initiative de la proposition, l'autorité de régulation ne pouvant formuler un refus qu'en le motivant précisément.

La commission a adopté l'article 8 du projet de loi, qui crée une banque postale de plein exercice, en ne modifiant que la date prévue pour la mise en place de la filiale bancaire, détenue à 100 % par La Poste, laquelle restera toujours majoritaire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Daniel Paul. C'est vous qui le dites !

M. François Brottes. On sait où cela commence, mais on ne sait pas où cela finit !

M. Jean Proriol, rapporteur. C'est dans le texte, monsieur Brottes, ne le niez pas !

M. Alain Gouriou. Ah !

M. Jean Proriol, rapporteur. Je le répète, monsieur Gouriou, La Poste restera toujours majoritaire dans le capital de la filiale qu'elle crée. Elle a déjà près de 200 filiales non privatisées. Notre loi, monsieur Brottes, n'autorise aucune privatisation. Je le dis clairement à ceux qui le craignent comme à ceux qui le souhaitent !

M. Daniel Paul. C'est le père Fouettard !

M. Jean Proriol, rapporteur. Les nombreux rapports, les missions d'information, les commissions ad hoc, ainsi que l'examen du projet de loi en première lecture au Sénat le démontrent : la création de l'établissement de crédit postal est une condition inévitable pour donner à La Poste les moyens de rester dans le peloton de tête des postes européennes, qui se sont modernisées plus rapidement que la poste française. Bien loin de dénaturer le groupe et de contrevenir à ses missions d'intérêt général, comme certains aimeraient le faire croire, l'ECP apparaît comme le moyen de pérenniser cette spécificité : devenir une banque comme les autres afin de préserver son identité de « banque pas comme les autres ».

Redisons-le aux banques, l'identité postale bancaire est consubstantielle à La Poste : les premiers clients des comptes chèques postaux furent, dès l'origine, les grandes banques françaises, tels le Crédit Lyonnais et le Crédit foncier. Jusqu'en 1940, chefs d'entreprise, industriels, commerçants, artisans et professions libérales comptaient parmi les principaux utilisateurs du service des CCP. L'activité financière ne constitue pas une diversification : elle prolonge une mission historique, confirmée par la loi de 1990.

Rassurons aussi les salariés et les usagers : les services financiers représentent 70 % de l'activité de guichet mais, à l'inverse, la marque « La Poste » demeure valorisante et rassurante pour les clients patrimoniaux. Si la banque postale quittait le réseau postal, elle perdrait son identité et hypothéquerait ses chances de survie. De même, la banque postale restera une banque de détail ouverte à tous : les RMIstes et les plus défavorisés des Français pourront toujours y ouvrir un compte. La Poste est souvent, pour nos concitoyens les plus défavorisés, leur porte-monnaie quotidien, et elle le restera. Mettre fin à son obligation non écrite de banque sociale porterait immanquablement atteinte à l'image du groupe.

M. Patrick Ollier, président de la commission. C'est vrai !

M. Jean Proriol, rapporteur. La commission a validé dans la loi le résultat de l'accord signé avec les syndicats de La Poste le 21 juin 2004, qui entérine la mise en place d'un régime spécifique de représentation des salariés. Celui-ci repose sur des instances transversales, compte tenu de la double population des employés de La Poste.

Enfin, en ce qui concerne la présence postale, qui nous préoccupe tous, la commission a reconnu dans la loi l'existence des commissions départementales de présence postale, dont l'initiative remonte au contrat de plan de 1998...

M. François Brottes. C'est exact !

M. Jean Proriol, rapporteur. ...et qui sont appelées à jouer un rôle pivot dans le futur dispositif de soutien à la présence postale.

M. Alain Gouriou. Le futur dispositif ?

M. Jean Proriol, rapporteur. En ce qui concerne la présence postale, la commission a pris deux initiatives fortes.

M. Arnaud Montebourg. Vous devrez nous convaincre !

M. Jean Proriol, rapporteur. Tout d'abord, dans l'un de nos amendements, que vous voterez, j'en suis sûr, nous proposons que : « sauf circonstances exceptionnelles »... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Daniel Paul. Cela commence mal !

M. Jean Proriol, rapporteur. ...« pas plus de 10 % de la population d'un département ne peut se trouver éloignée de plus de cinq kilomètres d'un point d'accès à La Poste ». Cette précision vaut surtout pour les départements à faible population, comme les territoires d'outre-mer et particulièrement la Guyane.

M. Daniel Paul. Et la Haute-Loire !

M. Alain Gouriou. Qu'appelez-vous un « point d'accès » ? Une boîte aux lettres ?

M. François Brottes. Un bistrot ?

M. Arnaud Montebourg. Une épicerie de village ?

M. Jean Proriol, rapporteur. Mon cher collègue, en Saône-et-Loire, les gens en ont besoin !

M. le président. Chers collègues, je vous prie de ne plus interrompre l'orateur !

M. Jean Proriol, rapporteur. Deuxième initiative, le « fonds postal national de péréquation territoriale » est institué par la loi pour apporter un soutien à la présence postale, non sur la base d'un contrat bipartite entre l'État et La Poste, comme l'avait prévu le Sénat en le rattachant au contrat de plan, mais sur celle d'un contrat pluriannuel tripartite entre l'État, La Poste et les principales associations représentatives des collectivités territoriales.

Enfin, la commission a noté que le climat avait changé entre La Poste et les élus locaux.

M. Alain Gouriou. C'est juste, monsieur le rapporteur !

M. Jean Proriol, rapporteur. Vous reconnaissez donc que je dis certaines vérités ! En effet, entre La Poste et les élus locaux, le malaise se dissipe. Le président Bailly a beaucoup œuvré en ce sens, en confirmant une présence postale de 17 000 points de contacts, et en élaborant une charte du dialogue territorial avec les élus.

Je vais enfin conclure enfin, monsieur le président, en vous remerciant de votre mansuétude.

La Poste française a 28 millions de clients. Elle a de bons produits. Elle a de solides professionnels. Elle contribue à l'aménagement et au développement du territoire. Elle a aussi de nombreux amis. Les Français ont un attachement affectif à leur poste,...

M. Daniel Paul. C'est ce qui vous gêne !

M. Jean Proriol, rapporteur. ...aux valeurs de service public qu'elle incarne, comme aux 100 000 facteurs qui passent six jours sur sept à leur domicile. Aidons La Poste ! L'immobilisme lui serait mortel. Il s'agit d'un travail de fond, d'un travail de longue haleine. Mais le temps presse et je vous invite,mesdames, messieurs, à adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre délégué à l'industrie. Excellente intervention !

Exception d'irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cadre des débats actuels sur le sens que nous voulons donner à la construction européenne, ce texte aurait dû traduire le degré d'appréciation des États, donc de la France, face à une directive européenne.

Certes, nous n'avons pas encore trouvé de définition idéale du service public en Europe. Les traités qui s'appliquent aujourd'hui ne vont pas aussi loin que le projet de traité, qui, d'ailleurs, pour certains d'entre nous, ne va pas assez loin, mais je regrette, monsieur le ministre, que vous ayez choisi ce moment pour opter en faveur d'un net recul du service public de La Poste, en faisant croire qu'il s'agit de la simple transposition d'une directive, c'est-à-dire d'un texte technique.

C'est en utilisant l'Europe de cette façon, pour justifier certaines réformes, que l'on décourage une majorité de Français.

Christian Pierret, ministre de l'industrie du gouvernement de Lionel Jospin, eut à faire le premier travail. Il expliqua devant la délégation pour l'Union européenne de notre assemblée ce que la présidence française avait apporté à l'Europe en matière de définition et de valorisation de la notion profonde de service public. S'appuyant sur le rapport de Gérard Fuchs sur la communication de la Commission concernant les services d'intérêt général en Europe et sur le rapport de Didier Boulaud sur la proposition de directive relative à la poursuite de l'ouverture à la concurrence des services postaux, il démontra l'apport de la présidence française au cours de l'année 2000. Il est important de le rappeler, l'exemple français a permis de faire progresser en Europe la notion de service public.

C'est un point auquel nous tenons, parce que nous savons que, sans libéralisation organisée, à terme, des entreprises européennes ou des entreprises françaises exportatrices pourraient utiliser les prestations de service d'autres entreprises européennes, sans aucun contrôle, mettant ainsi en danger nos services publics postaux, qui perdraient des clients importants.

Rappelons qu'il faut distinguer, d'une part, l'ouverture, qui est l'européanisation des réseaux sous maîtrise publique et, d'autre part, la libéralisation, qui serait l'abandon pur et simple au jeu du marché par déréglementations successives et, peut-être, par privatisation.

La différence entre la gauche et la droite est là. Dans le difficile débat de Barcelone, la thèse du gouvernement français a prévalu. Ce cheminement avait été préparé par un mémorandum du gouvernement de Lionel Jospin au Conseil européen dès le sommet de Laeken, mais il est vrai que tout cela est un peu passé à bas bruit.

C'est pourquoi le cœur du débat a été celui du renforcement du service universel, permettant de créer les conditions de la performance pour notre service postal. C'est à ce moment que le gouvernement français a pu démontrer à ses collègues, en tout cas à ceux qui n'avaient pas institué le libéralisme en théologie, le rôle positif que peut jouer le service public dans le contexte de globalisation économique, ou le contexte de mondialisation. Je rappelle à ceux qui n'ont plus en mémoire cette phase que le gouvernement d'alors s'attachait à renforcer les missions d'intérêt général avec l'enrichissement du service universel. Et ce ne fut pas un mince travail.

Cet épisode important a permis, avec l'aide de François Huwart, à l'époque chargé de ce type de négociations, d'ouvrir la première brèche dans la perspective de 1'AGCS qui, de ce fait, n'a pu cheminer tranquillement, comme les libéraux - et, je dois le dire, pas tous les libéraux français - l'avaient espéré.

C'est au niveau de l'Europe et par l'implication de la présidence française puis de la présidence suédoise que les oppositions se sont structurées, avec l'appui attendu d'un mouvement citoyen conscient des enjeux.

Comme l'a dit à juste titre Christian Pierret, l'Union européenne n'est pas un facteur de remise en cause du service public, mais un moyen de faire partager, au niveau communautaire, la conception française de service d'intérêt général mis à disposition de tous.

Comme aujourd'hui, et malheureusement un peu plus qu'en 2000, des forces libérales en Europe s'accommodaient de services publics moins ambitieux. De plus, la Commission a souvent fait prévaloir l'impératif de la concurrence, alors que le traité de Rome, lui, institue le service public - on l'avait oublié - comme une valeur fondatrice.

Nous aurions pu, à l'occasion de ce texte, montrer aux citoyens français et aux Européens que la modernité, l'efficacité ne sont pas synonymes de reculs. Mais vous n'avez pas fait ce choix et si vous ne réagissez pas, les élus et les citoyens de ce pays penseront que le recul de la présence postale peut être lié à l'Europe, alors que vous n'utilisez pas les marges de manœuvre qui sont les vôtres, au détriment même de la stricte interprétation de notre Constitution et du rôle du Parlement.

Au contraire de ce que vous nous proposez aujourd'hui, la France a fait échouer un accord de nouvelle directive en 2000 - malheureusement, cette nouvelle directive a cheminé - parce que, en dépit de la position de plusieurs États, le commissaire n'avait pas suivi la position française, et ce texte n'avait pas été adopté par le Conseil.

Les premiers pas vers la définition juridique des services publics ont été initiés à Nice. Certes, il n'y a eu qu'une déclaration, et ce fut une déception. Il manquait un texte fondateur, mais cette déclaration avait déjà permis de faire entrer l'article 36 de la charte des droits fondamentaux dans un texte européen officiel, même si ce n'était pas encore dans le traité, manque réparé par le travail de la Convention. Même si, et je le redis encore ici, on peut encore espérer mieux.

Le Parlement européen avait soutenu cette initiative. Le travail d'alors de Didier Boulaud et l'exploit de François Brottes qui, en peu de temps, a fait un excellent travail sur la directive postale, nous permettent à tous d'avoir aujourd'hui toutes les cartes en main.

M. François Brottes. Merci.

Mme Marylise Lebranchu. Il est dommage, monsieur Brottes, qu'on vous ait si peu écoutés, vous et les collègues d'alors !

Mais ce qui nous manque à ce jour, c'est cette continuité de la position française. Vos propositions vont faire courir un danger à cette fragile victoire qui avait vu une majorité de pays convaincus de la modernité de la notion de service public. Le service public, en effet, n'est pas une charge : c'est un progrès constant. Si vous ne respectez pas la concordance entre le texte et notre Constitution, notre pacte républicain, les préoccupations d'accès de tous au service n'auront pas leur réponse.

La directive permet l'ouverture maîtrisée qui doit conduire à un secteur réservé suffisamment large. La libéralisation totale n'est ni inéluctable, ni même nécessaire.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Il est temps de la faire !

Mme Marylise Lebranchu. Chacun a en tête l'exemple suédois : plus de 55 opérateurs, la suppression de 15 000 emplois, puis la création de 1 500 emplois seulement par les opérateurs privés et une augmentation de plus de 70 % du prix du timbre en moins de dix ans. C'est d'ailleurs pourquoi la France a fait le choix, et elle devrait le conserver, de la solidarité entre les usagers.

Ce texte aurait dû être l'occasion de chercher à parfaire le service public postal français, l'occasion de réfléchir à la manière dont les services postaux pourraient s'adapter afin d'accomplir leurs missions dans un cadre européen. Nous aurions pu avoir un texte équilibré, mais le projet de loi que vous nous proposez appelle de nombreuses critiques.

Certes, il faut une loi de régulation pour créer ce régulateur indépendant, transposer la deuxième directive postale européenne - même si celle-là n'est pas aussi bonne que nous l'aurions voulu -, mais une telle loi peut être plus ou moins dommageable aux missions de service public de La Poste. Il n'y a aucune raison, permettez-moi l'expression, de faire du « zèle » et de défaire inconsidérément ce qui existe et ce qui peut être maintenu dans un cadre européen. Personne ne vous demande de jouer à plus de concurrence tout en cassant les principes élémentaires de ce qui pourrait être une concurrence pure et parfaite. L'inouï, c'est que vous enlevez des cartes de réussite à la Poste elle-même !

La France a une marge pour adapter la directive à ses besoins propres en matière de service d'intérêt général, sans copier ce qui a été fait ailleurs. De plus, le sujet de banque postale pose des questions plus larges que la simple régulation postale, et mérite de notre part une attention toute particulière.

Mes chers collègues, en regardant de près le texte et, surtout, ce qui est renvoyé aux décrets, je suis persuadée comme beaucoup que le projet de loi organise le démantèlement du service public de La Poste, notamment en préparant la réduction drastique du nombre des guichets accessibles au public.

Mais curieusement, si cet objectif de présence postale est présent dans tous les esprits, le texte est particulièrement elliptique sur ce point. Pour l'essentiel, on renvoie à un décret en Conseil d'État le soin, je cite, de « préciser les modalités selon lesquelles sont déterminées, au niveau départemental, les règles d'accessibilité au réseau de la Poste ».

Ce faisant, le Gouvernement semble passablement méconnaître l'étendue de la compétence de notre assemblée, telle qu'elle est définie par l'article 34 de la Constitution. Cela est d'autant plus inquiétant que les retours que nous avons des commissions départementales sont, eux, très alarmants. Certains élus manifestent le refus d'y siéger, faisant valoir qu'il ne s'agit plus de concertation sur des bases réalistes, mais d'information sur des décisions déjà prises.

M. Arnaud Montebourg. Très juste !

Mme Marylise Lebranchu. Mais je reviens à ce renvoi au décret, qui non seulement inquiète, mais qui montre que le Gouvernement ne respecte pas l'étendue de la compétence de notre assemblée. En d'autres termes, ce projet de loi est entaché d'une incompétence négative, ce qui, en soi, justifie l'irrecevabilité.

Je m'explique.

Cette évolution du service public de La Poste met fondamentalement en cause « un transfert de propriété d'entreprises du secteur public au secteur privé » au sens de l'article 34 de la Constitution.

Face à un tel enjeu, il ne paraît pas concevable que le Parlement ne fixe pas lui-même l'étendue et la consistance de ce qui doit rester au cœur du service public. Et nul ici ne pourra considérer que le nombre, la nature, l'organisation des guichets, leurs règles d'accessibilité, l'installation de services dans les commerces ne sont pas au cœur du service public lui-même.

Au-delà même de la référence à l'article 34, tout ce projet est dans la continuité de la politique que vous menez depuis 2002 : politique fiscale, décentralisation, texte sur les territoires ruraux. J'ai déjà rappelé ici même l'inquiétude des territoires ruraux, partagée par des quartiers périurbains.

Vous provoquez un profond sentiment d'abandon, qui est parfois vécu comme une humiliation, en tout cas comme une insécurité citoyenne.

Une fois de plus, le beau mot de réforme perd son sens : il signifie recul, désengagement de l'État. L'État ne joue plus son rôle moderne de régulateur garant de territoires confiants, donc actifs et porteurs de création de richesses pour le pays tout entier. Mesurez bien ce que notre pays perd à vivre dans ce climat d'abandon car chaque groupe humain a besoin de se sentir accompagné pour participer à des projets collectifs. Les animateurs des territoires, accompagnateurs efficaces de créations d'activités ou d'évolutions, d'adaptations des activités traditionnelles, se sentent moins soutenus par l'État. Si l'État n'est plus, à travers le soutien aux missions de service public, le garant des grands équilibres, il n'est plus dans la modernité, il fait perdre au pays tout entier des ressources liées à l'engagement des élus et des acteurs dits de la société civile. Dans ce cas, c'est une faute.

Mais peut-être cela pourrait-il être de votre part une stratégie délibérée de remise en cause des solidarités élémentaires du contrat social qui fait la République française.

Chacun peut comprendre la concordance entre ce choix et vos options libérales puisque cela fait la différence, ici, entre les familles politiques. D'un point de vue républicain, je respecte cette option politique, même si je la combats. Mais vous auriez à gagner à ne pas choisir le simple chemin de la réduction des services.

Une économie moderne externalise des fonctions, mais un État n'est pas une entreprise et les fonctions de solidarité et d'égalité de droits ne s'externalisent pas. Nul ne sera là pour prendre le relais et l'absence de cohésion n'a jamais permis le progrès collectif !

Vos choix nous choquent ; c'est logique, me direz-vous. De plus, ils peuvent déstabiliser notre cohésion sociale et aucune théorie ne viendra alors vous donner la solution, vous aider à réparer.

L'économie moderne s'inscrit dans un tissu social cohérent, où l'accès aux services comme l'accès à la culture ou à l'information sont autant de déterminants de la croissance. Chaque territoire qui ne réunit plus ces minima perd une part de son potentiel de création d'activités. Si vous ne pensez pas nécessaire de mettre chaque citoyen au cœur de la réforme, faites-le au moins pour la croissance des années futures.

Notre Constitution, en mettant ce débat au cœur du travail du Parlement, avait anticipé cette modernité-là, ce contrat social qui fonde la République française. Vous le savez sans doute, vous qui avez choisi de remettre en cause les fondamentaux de la République, alors même que le mandat que vous avez reçu des Français en 2002 est sans doute le plus difficile à lire depuis le début de la Ve République. Beaucoup de commentateurs ont évoqué cette impression d'abandon qu'ont les Français devant une machine économico-financière qui diluerait le pouvoir réel et, vous, vous choisissez justement de leur dire que seul le retour immédiat sur investissement compte, quels que soient les déséquilibres sociaux qui en résultent !

En installant les bases d'une privatisation possible, ce que ne demande aucunement la directive, vous confirmez cette continuité politique qui, pour nous, est une continuité dans l'erreur. Je rappelle encore une fois que le débat européen a permis de laisser aux États, et c'est heureux, la belle responsabilité d'organiser leur contrat, en l'occurrence notre contrat républicain.

Les mots ont un sens. Les changements sémantiques aussi. Il n'y a qu'à lire attentivement le contrat de plan de 2003-2007 signé entre l'État et La Poste - contrat que votre gouvernement a inspiré et ratifié - pour s'en convaincre.

Je me contenterai de quelques citations. Ainsi, page 9, on peut lire : « La Poste poursuit la refonte des processus et les gains de productivité, pour améliorer sa rentabilité. » Page 10 : « La Poste accentue son orientation vers le client et consolide durablement la rentabilité économique de ses activités. » Où est l'usager ? Page 11 : « La Poste développe ses activités rentables, met en œuvre des projets de restructuration ambitieux afin de diminuer ses coûts de production » − et c'est bien ce qui inquiète légitimement nombre d'élus locaux.

M. François Brottes. C'est un business plan !

M. le ministre délégué à l'industrie. La réaction est en marche !

Mme Marylise Lebranchu. Page 11 encore : « La Poste augmente fortement et concomitamment ses performances économiques et la qualité de ses prestations au cours du présent contrat. Elle améliore sa profitabilité et sa rentabilité [...] pour atteindre en 2010 des niveaux proches de ceux des meilleures postes européennes. » Je ne suis pas sûre que les postes européennes en question doivent vraiment nous servir d'exemple. En vérité, il ne s'agit pas d'organiser un concours de profitabilité − à moins qu'on n'ait l'intention d'introduire l'entreprise publique en bourse −, mais plutôt de tâcher de rendre à la population française un service public toujours aussi efficace tout en recherchant des convergences avec les autres entreprises européennes afin que l'accès au service postal soit de plus en plus performant. De ce point de vue, j'ai peur que la France n'ait perdu, en Europe, son rôle de fer de lance.

On peut vouloir rechercher la rentabilité, mais ce critère ne doit pas être le seul à prendre en considération, car, dans le cas d'un service public − et pour rester dans la sphère de l'économique −, il est impératif de mesurer aussi les nombreuses externalités positives, par exemple l'apport des territoires régionaux à l'équilibre du territoire national, l'égalité d'accès aux services pour tous les usagers, qu'ils soient citoyens ou entrepreneurs, et le service aux activités rurales. En même temps que se renforce la polarisation urbaine, celles-ci doivent encore répondre plus finement aux fonctions essentielles qui sont les leurs, tant dans le domaine de la sécurité et de l'indépendance alimentaire que dans celui de la gestion des espaces porteurs d'activités agricoles, touristiques ou écologiques.

« Réduction des coûts », « recherche de profits », « gains de productivité », « clients », ces mots en ont remplacé d'autres : « usagers », « services rendus au public », « accessibilité pour tous », autant de notions qui contribuaient à l'aménagement du territoire et à l'égalité entre les citoyens comme entre les unités de production.

Ajoutons à cela la recherche de l'optimisation des rendements par la fermeture de plus de 4 000 « points de contacts » non rentables, qui, pour les habitants des communes rurales, représentaient cependant un micro-service. Peut-on parler de rentabilité sans prendre en compte tout ce que ces fermetures vont provoquer du point de vue social et économique ? La restructuration des centres de tri passe en effet par une automatisation accrue et une relocalisation : on devine les conséquences que cela aura sur l'emploi dans les bassins de vie concernés. Nous pouvons bien défiler, les uns et les autres, lorsque des entreprises privées ferment. Mais avons-nous notre place dans ces manifestations si, nous-mêmes, nous décidons de restructurer les services publics et de tout regrouper dans les villes, quitte à priver les territoires ruraux de nombreux emplois ?

La restructuration interne est conduite à marche forcée : en moins de deux ans, 60 % de l'encadrement territorial a été renouvelé. Les anciens directeurs départementaux sont désormais des « managers », à qui l'on fixe des objectifs commerciaux. On a, enfin, réalisé une très belle division par métiers − courrier, colis, finances −, qui annonce déjà une éventuelle vente par lots.

Sourions un peu : pendant ce temps, ni La Poste ni aucune de ses filiales n'est plus capable de distribuer à l'ensemble d'une population les publications d'un parlementaire. Sans doute, me direz-vous, ce n'est pas leur mission, mais celle des militants. Mais l'information est aujourd'hui au cœur de la démocratie. Faut-il considérer que, désormais, en dépit de l'augmentation des coûts, seuls les citoyens habitant en zone agglomérée seront servis ? Ou faudra-t-il, demain, réinventer un service public de la poste pour distribuer des informations sur les enjeux de société, de santé ou, simplement, sur la préparation d'un cross ? Comment ferons-nous pour que l'information parvienne à tous ceux à qui elle est destinée ? Je n'ai pas souri, contrairement à ce que j'annonçais, car, en définitive, tout cela est assez triste : mais peut-être le ferai-je en vous demandant, monsieur le ministre, où en est l'égalité des citoyens face à la distribution des lettres d'amour, qu'il faudra peut-être bientôt aller chercher au centre-ville.

M. le ministre délégué à l'industrie. Ça n'en sera que meilleur ! (Sourires.)

M. Patrick Balkany. L'attente augmente le plaisir !

Mme Marylise Lebranchu. Peut-être, monsieur le ministre, ne l'avez-vous pas perçu : la fermeture des points de contact compromet l'attractivité de territoires qui sont en difficulté et se considèrent comme tels. Nous avons une responsabilité à leur égard et nous devons leur dire que nous, parlementaires, serons toujours là pour défendre leur avenir, que nous ne les condamnerons pas à vivre dans des espaces isolés, où les activités économiques et sociales n'auraient plus cours. Il s'agit bien de garantir l'égalité de traitement des usagers.

Sur le fondement de l'article Ier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le Conseil constitutionnel a depuis longtemps consacré l'égalité de traitement entre les usagers. Il n'est pas inintéressant, à l'heure où nous examinons le sort de ce qui fut son alter ego, de rappeler la décision n° 96-380 DC du 23 juillet 1996 relative à l'entreprise nationale France Télécom. Elle est très claire : l'égalité de traitement des usagers reste une prescription « à valeur constitutionnelle s'attachant à l'accomplissement de missions de service public ». Or, où est, dans ce projet de loi, l'égalité de traitement des usagers ?

M. Arnaud Montebourg. Où est la Constitution ?

Mme Marylise Lebranchu. Qui peut citer un territoire rural ou une zone périurbaine qui ne soit pas confronté à l'absence criante de services publics ? Qui, dans cette assemblée, n'a jamais reçu de citoyennes et de citoyens se plaignant des difficultés à vivre dans une commune où les plus élémentaires services au public font défaut ? Qui n'a pas entendu dire que nos campagnes se vident et qui n'a pas constaté que, non seulement l'État laisse faire, mais qu'il accélère le mouvement ? Les maires ruraux ont beau s'organiser pour tenter, par une démarche moderne, de rationaliser les services, de les rendre plus efficaces, il leur manque un partenaire : l'État.

Chacun a lu des comptes rendus de réunions de pays. Depuis les lois Pasqua et Voynet, on y évoque presque toujours cette égalité devant le service, et la façon dont on pourrait l'assurer.

La Poste n'est pas une entreprise comme les autres. Sa force est dans son réseau. Son atout, c'est la proximité, avec ses 17 000 implantations territoriales. Sa chance − notre chance −, ce sont ses 300 000 salariés. Quelle entreprise peut s'appuyer sur un tel réseau ? En France, aucune autre. Elle maille le territoire par son implantation. Ce n'est pas l'entreprise elle-même qui est à l'origine de son repli organisé, mais l'État, qui refuse d'assumer le coût spécifique de ses missions de service public, et ne reconnaît pas qu'il est urgent d'accompagner l'exercice du service universel en distinguant ce qui relève de l'organisation interne de ce qui touche à l'équilibre des territoires et à l'égalité entre les usagers.

L'article 1er du projet de loi précise que La Poste contribue à l'aménagement du territoire. Tant mieux. Sans doute, certains auraient préféré réécrire cet article, pour s'affranchir de cette déclaration. Elle ne fait pourtant que répéter les dispositions antérieures, issues de la loi du 2 juillet 1990. Cependant, les propos qu'a tenus M. le Premier ministre, le 16 novembre dernier, devant le congrès des maires de France, n'ont rien pour nous rassurer. Affrontant la colère des élus locaux, il déclarait en effet : « Je suis prêt à m'engager à vos côtés pour que La Poste soit ce grand service public qui reste sur le territoire une grande entreprise dont nous avons tous besoin. Mais naturellement c'est un travail que nous devons faire en commun, territoire par territoire, de manière à ce qu'il puisse y avoir intérêt notamment pour la ruralité à avoir ce lien social permanent, notamment le facteur, notamment cette proximité, qui est essentiel dans le lien social notamment dans les territoires où il y a un vieillissement de la population. Il y a là un vrai travail à faire. » Certes, mais bien des élus locaux ont noté l'expression « en commun », comprenant que, une fois de plus, le financement serait en partie à la charge des communes. C'est un peu comme si on leur avait dit : plus vous perdrez de ressources fiscales, plus il vous faudra dépenser pour des compétences qui ne sont pas les vôtres mais qui obéreront vos capacités d'exercer celles que la loi vous impose. Monsieur le ministre, dans un article de presse, vous avez confirmé ce transfert que redoutent tant les élus, mais sans doute vos propos ont-ils été déformés et nos exposés vous feront-ils changer d'avis.

Après le Premier ministre, après votre article, je voudrais citer le Président de la République en personne. Jacques Chirac, alors en campagne électorale, s'exprimait ainsi dans un discours prononcé à Ussel, le 13 avril 2002 : « Notre espace rural mérite une véritable ambition. [...] On ignore souvent ses besoins en infrastructures et en services publics. [...] Le monde rural est aujourd'hui victime de la politique d'aménagement du territoire conduite ces dernières années. Une politique qui ignore la ruralité faute d'en comprendre la réalité. » Monsieur le ministre, puis-je vous suggérer d'aller demander au Président de la République ce qui s'est passé de si extraordinaire, entre son discours d'Ussel et ce projet de loi, pour que la ruralité n'ait désormais plus d'importance ?

M. Arnaud Montebourg. C'est Tartuffe à l'Élysée ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Marc Bernier. Toujours aussi nuancé, monsieur Montebourg !

Mme Marylise Lebranchu. En octobre 2002, Frédéric de Saint-Sernin, qui n'était pas encore membre du Gouvernement, mais député, avait, ici même, posé une question très pertinente au ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de l'aménagement du territoire. Après avoir noté que « la présence de l'État dans nos campagnes est un gage d'équilibre du territoire et une obligation pour que chaque Français puisse bénéficier d'un égal accès au service public », il demandait : « Comment éviter que, d'année en année, discrètement, nos perceptions ou d'autres bureaux assurant le service public ne disparaissent ? »

M. Arnaud Montebourg. Excellente question !

Mme Marylise Lebranchu. M. de Saint-Sernin cherche encore la réponse à sa question.

Je ne veux pas croire, monsieur le ministre, que ces propos des uns ou des autres n'aient simplement visé qu'à entretenir la démagogie ambiante. Quoi qu'il en soit, le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui ne va pas dans ce sens. Cependant, je ne crois pas qu'il puisse rassurer ceux qui vivent sur nos territoires et qui les font vivre.

Chacun, sur tous les bancs de cette Assemblée, a pu mesurer le faible poids des mots face à la dureté des choix du Gouvernement lorsqu'il s'est agi de trancher entre l'intérêt général et ses choix politiques. C'est ce qui l'a conduit non pas, comme le disait l'un de vos collègues cet après-midi avec beaucoup de verve, à payer les dettes des autres mais à réduire les recettes de l'État de façon si importante et injuste, quitte à restreindre le champ des possibles pour le plus grand nombre.

L'injustice fiscale qui résulte de ses choix, et que nous dénonçons jour après jour, crée ainsi une nouvelle injustice en matière d'égalité des citoyens. Vous combinez en fait deux injustices : ceux qui ont le plus besoin de services de proximité efficaces à leur porte et qui ne peuvent y accéder, sont ceux qui n'ont pas bénéficié de la baisse de l'impôt sur le revenu ! Il suffit de se remémorer le dernier débat budgétaire tenu dans cette enceinte pour s'en convaincre. Certes, le Gouvernement en a tiré quelque profit, mais il aurait dû, depuis, y réfléchir à nouveau.

Aux termes du texte qui nous est proposé, les modalités d'accessibilité à La Poste dans le département seront fixées, comme je le rappelais tout à l'heure, par un décret en Conseil d'État.

M. Gérard Charasse. Ah, les décrets !

Mme Marylise Lebranchu. Comment ne pas s'empêcher, alors, de penser aux décrets d'application de la loi de décentralisation - projet phare du gouvernement Raffarin - que toutes les régions attendent et qui devaient tous - c'était juré ! - être publiés avant le 31 décembre ? Faut-il rappeler que cinquante-neuf sont en attente de publication ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Ne nous reprochez pas cinq semaines de délai en matière de décentralisation alors que vous nous avez fait prendre cinq ans de retard dans la transposition de la directive postale !

Mme Marylise Lebranchu. Monsieur le ministre, vous savez préparer le budget d'une collectivité locale : un débat d'orientation budgétaire est obligatoire au préalable, après estimation des dépenses transférées, de la date de leur transfert et du montant de leurs compensations. Or, pour la première fois depuis le début de la Ve République, la majeure partie des collectivités territoriales se trouve dans l'impossibilité de bâtir un budget sincère comme elles en ont l'obligation, faute de la part du Gouvernement d'avoir publié les décrets relatifs aux transferts de compétences. Peut-être regrette-t-il ces transferts ? Mais alors, que ne revient-il ici pour changer la loi ? Nous en serions tous ou presque d'accord !

En tout cas, admettez, monsieur le ministre, que, lorsque l'on envisage de procéder de la même façon pour La Poste, nos craintes soient justifiées.

M. le ministre délégué à l'industrie. Non !

Mme Marylise Lebranchu. Nous ne pouvons en effet nous empêcher de craindre que la parution des décrets en Conseil d'État concernant l'organisation de La Poste n'intervienne qu'après la suppression par l'entreprise elle-même de tel ou tel bureau, de telle ou telle agence, de tel ou tel point contact ou de tel ou tel centre de tri. Il n'est donc pas anodin, monsieur le ministre, de vous demander de définir les règles du « jeu » relatives à la fermeture, à la suppression, à la réorganisation ou à la création d'activités, toutes actions qui ont lieu en ce moment même.

M. Jean-Marie Aubron. Eh oui !

Mme Marylise Lebranchu. Qu'adviendra-t-il si un décret est publié à Pâques, en juillet ou en fin d'année alors que tel ou tel bureau, telle ou telle agence, tel ou tel point de contact tel ou tel centre de tri aura déjà été restructuré : reviendra-t-on sur les décisions déjà prises ?

Les bases juridiques manquent aux commissions départementales pour travailler en conformité avec le droit.

M. Arnaud Montebourg. Imparable démonstration !

Mme Marylise Lebranchu. Je rappelle en outre que le Parlement devait être consulté sur les règles d'accessibilité. Permettez-moi donc, avec nombre de mes collègues, de m'inquiéter. Ce ne sont pas les qualités et les compétences du Conseil d'État que nous remettons en cause, mais votre volonté politique d'établir une définition stricte et claire de ces règles.

Il sera proposé par amendement de simplement définir des cercles de cinq kilomètres de rayon autour d'une présence postale. Établir des règles d'accessibilité exige pourtant un travail de fond pays par pays, territoire par territoire, comme le disait le Premier ministre, et c'est ici que de telles règles auraient dû être déterminées.

Mme Nathalie Gautier. Évidemment !

Mme Marylise Lebranchu. Il est également prévu que les futures règles prendront en compte la distance et la durée d'accès au service postal, les caractéristiques démographiques et économiques des zones concernées, les spécificités géographiques du territoire départemental et des départements environnants. Outre que la prise en compte de tous ces critères représente un énorme travail, encore faut-il qu'ils permettent de faire les bons choix. Selon les départements en effet, une même distance ne représente pas toujours la même chose : imaginez, dans le cercle de cinq kilomètres, ne serait-ce qu'un col, qui plus est enneigé l'hiver !

M. Jean-Paul Bacquet. Comme le col de Fix-Saint-Geneys !

Mme Marylise Lebranchu. Monsieur le ministre, il existe une réelle dissension de fond et de droit entre nous s'agissant de la notion d'égalité d'accès au service postal car des zones seront exclues de la couverture postale élémentaire.

Pour préparer ce débat, j'ai interrogé, comme j'imagine la plupart de mes collègues, tous les maires de ma circonscription pour savoir quelle était exactement la situation. Il est à cet égard patent que les habitants de La Roche-Maurice, de Sibiril, d'Henvic, de Plourin-lès-Morlaix, de Ploudiry, de Guimaëc, de Roscoff, de Plouvorn, de Guerlesquin, de Garlan, ne disposeront pas des mêmes conditions de service. Mais cela vaudra aussi ailleurs, pour ceux de Frangy ou de Saint-Pierre-de-Chartreuse.

M. le ministre délégué à l'industrie. Ah non ! Pas ceux de Saint-Pierre-de-Chartreuse ! (Sourires.)

Mme Marylise Lebranchu. Certains devront prendre leur véhicule pour se rendre dans les bureaux de poste ou dans les points de contact. Comment feront tous ceux qui ne possèdent pas de véhicule, pour des raisons de revenus ou d'âge, pour avoir accès à ce service, sachant que les guichets ambulants transportant des fonds sont désormais interdits ?

J'ajoute que, dans ces territoires - problème que ce texte n'a pas, comme d'autres, suffisamment pris en compte - plus 1es services s'éloignent, plus 1e recours à une seconde voiture - pour ne pas prendre comme seul exemple les personnes âgées dont chacun connaît ici à la fois la solitude et la détresse - devient indispensable pour les familles. Une telle situation crée, outre les conséquences écologiques que l'on sait, une perte de pouvoir d'achat pour ces familles ainsi qu'un amoindrissement des capacités financières d'intervention des collectivités territoriales puisque leurs ressources sont alors de plus en plus consacrées à l'entretien des infrastructures routières.

Une étude portant sur le revenu moyen des ménages dans la région où j'ai le plaisir d'habiter, a récemment montré que l'existence de la seconde voiture accaparait, en l'absence d'un second salaire à temps plein comme c'est souvent le cas, une grande partie du budget familial. C'est autant d'argent qui ne se retrouve pas dans l'économie, sans compter les distorsions créées entre les familles selon le territoire qu'elles habitent. Certaines accomplissent ainsi quarante kilomètres par jour simplement pour accompagner les enfants scolarisés et pour avoir accès à un minimum de services.

M. le ministre délégué à l'industrie. Pour aller au bureau de poste, cinq kilomètres suffiront !

Mme Marylise Lebranchu. Dans les territoires ruraux, c'est autant de pouvoir d'achat entamé et de temps perdu.

Mais d'autres exemples peuvent être pris au-delà des communes rurales « perdues » au centre de la plus belle région que je connaisse. Le maire de Roscoff, que l'on ne peut accuser de vouloir polémiquer, m'a adressé le courrier suivant : « Il en est ainsi des possibilités de création de zones de vie, qui pourraient aboutir à rendre un bureau comme le nôtre dépendant d'une structure beaucoup plus importante, qui se situerait, par exemple, à Saint-Pol-de-Léon. Cela aurait pour conséquence de réduire le service rendu à la population car le regroupement conduirait à une concentration de services spécialisés vers ce lieu " tête de zone " et obligerait les habitants de la commune à se rendre dans la commune voisine. Vous comprendrez aisément que cela représenterait un problème pour la population âgée, ou éprouvant des difficultés de déplacement, que nous comptons en grand nombre à Roscoff. »

Je gage, monsieur le ministre, que vous tenterez certainement de trouver un motif d'irrecevabilité pour ne pas examiner les amendements du groupe socialiste portant sur la présence postale dans nos territoires. Sachez que nous ne serons pas dupes et nos concitoyens non plus compte tenu du grand écart que font nos collègues députés de la majorité...

M. Jean-Paul Bacquet. C'est vrai !

Mme Marylise Lebranchu. ...entre leur attitude dans leur circonscription - dont j'ai encore été le témoin l'autre jour dans la mienne lors d'une réunion sur La Poste - et leur soutien indéfectible, ici, au Gouvernement.

M. Arnaud Montebourg. C'est vrai !

Mme Marylise Lebranchu. Les élus locaux veulent être acteurs de leurs territoires car ils en sont responsables devant leurs électeurs et sont partie prenante du pacte républicain. Il ne faut pas croire ou faire accroire qu'ils ne représentent que des sommes d'égoïsme face à l'intérêt général qui serait incarné par le directeur départemental de La Poste, quels que soient ses opinions, ses engagements, sa volonté. Ce sont des logiques qu'il faut réconcilier.

Instaurer un dispositif qui permet à La Poste d'imposer sa vision de services à des élus qui la refusent, n'est pas seulement répartir des rôles. Il faut créer de véritables conditions de négociation et donner à chaque territoire les moyens de se construire un avenir dans un monde réorganisé en fonction de la nature des activités et de l'impact des technologies.

Les élus ne veulent pas de la concertation telle que vous l'entendez. Ils souhaitent une véritable négociation. Ils en ont assez d'être placés devant le fait accompli et de devoir innover alors que l'État leur enlève, élément après élément, la possibilité de permettre aux territoires de conserver leur originalité. Le Gouvernement leur parle volontiers d'innovation territoriale, sociale, économique. Qu'il commence par leur rendre les moyens de répondre à ce qui peut être un véritable challenge pour les pays les plus ruraux ou les plus éloignés des grands centres urbains !

En Bretagne, les Assises des territoires ont réuni 800 acteurs, élus et membres des conseils de développement. Ce seul chiffre montre bien qu'il existe dans nos territoires une volonté de créer les conditions de la croissance grâce au dialogue et au travail en commun. Mais si l'État n'est plus présent pour garantir l'égalité des possibles, nous perdrons cette énergie collective car chaque déception décourage un peu plus les enthousiasmes.

Dans le climat actuel, une déception de plus préparerait, pour tous les politiques, des lendemains qui déchantent, et c'est pourquoi nous sommes aussi présents dans ce débat. Lorsque, passant de morosité en sinistrose, on en arrive à la déception, à la perte d'enthousiasme et à la perte d'énergie collective, on ne peut malheureusement que craindre l'évolution politique à venir. C'est pourquoi j'aurais bien voulu que vous respectiez le contrat - parce que je pense que c'en était un - passé en 2002.

J'en viens à un autre point concernant l'égalité de traitement, celui des tarifs spéciaux.

La banalisation des tarifs spéciaux permettra aux grands clients de La Poste, c'est-à-dire les grandes entreprises, de négocier des prix à la baisse alors que les particuliers, les artisans, les commerçants et autres PME ou TPE n'auront pas cette possibilité. La péréquation se fera donc à nouveau sur la base d'un rapport de forces entre client et entreprise. C'est la même logique que celle qui entraîne tant de difficultés pour les producteurs ou les petites entreprises innovantes face à la grande distribution, qui prévaudra.

Les capacités d'innovation de la petite unité de production, que vous appelez si souvent de vos vœux, sont émoussées par ce type de situation. Il ne sert à rien, comme l'a fait le Gouvernement, de demander à la grande distribution, acteur privé, de faire ce que l'entreprise publique ne fait pas elle-même, c'est-à-dire de garantir les mêmes conditions à tous.

Comment voulez-vous que les TPE ou PME innovantes résistent quand même les tarifs postaux sont plus élevés pour elles que pour les grands groupes ? Or nous savons que l'économie de la connaissance va laisser une part importante à la diversification par l'innovation.

Si, monsieur le ministre, vous n 'êtes pas convaincu par la nécessaire solidarité à l'égard de ceux qui vivent, qui travaillent, qui produisent en milieu rural, soyez au moins convaincu par cette nécessité d'offrir à ceux qui innovent des conditions qui évitent que la solution à leurs difficultés de négociation soit toujours de se faire racheter par un groupe plus important. Tout se construit à la marge dans notre économie. Même le coût marginal postal compte.

La baisse des tarifs pour les gros clients se fera forcément, c'est une règle, aux dépens des tarifs consentis aux particuliers et aux petites unités économiques. C'est une nouvelle illustration de votre politique libérale. Alors qu'en décembre, vous avez validé l'augmentation du prix du timbre de 50 centimes d'euros à 53 centimes au 1er mars 2005, les grandes entreprises auront, grâce à votre disposition législative, plus de latitude pour s'en affranchir. C'est là une belle illustration de la bataille contre la vie chère. Mais c'est également la preuve d'un manque d'études précises de ce qu'est vraiment l'indice des prix pour les particuliers et de l'évolution du pouvoir d'achat.

En plus, l'accès au haut débit n'existant pas dans le milieu rural, le recours à la transmission électronique n'est pas prêt de devenir une réalité compétitive. Comment voulez-vous qu'après le texte sur les territoires ruraux, qui a surtout décrit la situation, les citoyens puissent encore, face à cette nouvelle discrimination, négative celle-là, croire aux discours politiques ?

Prenez garde à l'évolution même de l'ambiance dans ces territoires les plus éloignés des services, regardez l'évolution des votes en faveur des extrêmes, que tous ensemble nous rejetons - je pense en particulier à l'extrême droite - n'est-elle pas le signe d'une perte progressive mais durable d'espoir de vie meilleure ? Or chaque petite humiliation, chaque petit oubli ou grand abandon favorise soit l'abstention, soit, plus grave, le vote pour ces extrêmes-là. On a souvent dit que la ruralité était un ferment de l'extrémisme. Je ne le crois pas. Ce sentiment n'est pas inhérent aux populations rurales. Mais il peut intervenir après une accumulation d'abandons successifs, quand on se dit que, tout compte fait, il n'y a plus d'espoir.

Un autre sujet nous préoccupe, celui de la sécurité. Aux termes de l'article L. 3-2 du code des postes et télécommunications, tel que proposé dans le projet de loi, « toute offre de services postaux est soumise aux règles suivantes : garantir la sécurité des usagers, des personnels et des installations du prestataire de service ; garantir la confidentialité des envois de correspondance et l'intégrité de leur contenu ; assurer la protection des données à caractère personnel [...] ainsi que la protection » - j'y insiste - « de la vie privée des usagers de ces services ».

Des questions se posent : comment seront assurées la sécurité des commerçants en charge des points poste, la sécurité des usagers mais aussi la confidentialité ? Vous ne pouvez pas ignorer la difficulté qu'aura un particulier à venir retirer son RMI ou à faire un virement à un créancier chez le seul commerçant de son village. Si les opérations courantes, comme l'achat de timbres, peuvent être anodines, certaines autres sont au cœur même des difficultés de la vie. Comment un particulier fera-t-il pour expliquer au commerçant, et en même temps voisin, son besoin de découvert sur son CCP ? La distance peut devenir facteur d'humiliation, quelle que soit la bonne volonté des commerçants concernés. D'ailleurs eux-mêmes se demandent, c'est important de les entendre, s'ils pourront remplir correctement et avec le recul nécessaire toutes les missions qui leur seront confiées.

La différenciation des fonctions fait partie de la confidentialité, même pour certains courriers recommandés. Il n'est pas anodin de recevoir une lettre recommandée d'un tribunal ou un exploit d'huissier, parce que cela se voit sur l'enveloppe. Tout cela est au cœur de la vie et, pourtant, rien n'oblige le commerçant à ne pas voir. Comment gérera-t-il le fait que tel ou tel ne soit pas venu chercher le pli recommandé en question ? Faudra-t-il le prévenir, le relancer ? Devra-t-il recontacter le facteur ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Cela arrive quand même à beaucoup de gens de recevoir des lettres recommandées!

Mme Marylise Lebranchu. Pour vous, ce n'est peut-être pas un événement mais, pour certaines personnes, cette lettre peut représenter le sujet de l'année, le sujet de leur vie, et vous ne pouvez pas faire comme si ce problème n'existait pas.

Et que dire du découragement des postiers ? Des phrases dures ont été prononcées à leur sujet, les premières il y a quelques années maintenant par un Morlaisien alors secrétaire d'État à La Poste. Ces gens ne sont pas découragés parce qu'on leur enlève une partie de leur travail : ils sont découragés parce qu'ils avaient bâti un service, parce qu'ils avaient accepté, dans les années quatre-vingt-dix, et nous en avons été témoins, moult évolutions difficiles. Ils se sont battus, ils ont discuté, échangé, négocié mais, aujourd'hui, ils assistent à un démantèlement que ne justifie même pas l'ouverture à la concurrence.

Ils décrivent bien leurs collègues qui travaillent dans les nouveaux services, courant pour assurer un travail impossible. Quand ils viennent nous dire dans nos permanences qu'un tel travaillant dans une filiale est obligé de distribuer le courrier pour un SMIC, sans même percevoir d'indemnités pour ses frais de déplacement, ou pour l'usure de sa propre voiture, on comprend qu'ils aient peur. Ils ne sont certes pas les plus nantis d'entre nous dans cette France que nous aimons, ils travaillent pour un salaire qui n'est pas mirobolant, mais quand ils voient le premier concurrent installé casser totalement la rémunération de ses salariés et qu'ils constatent leur façon de travailler, comment pourraient-ils ne pas être inquiets ?

M. Yves Simon. Misère de misère !

Mme Marylise Lebranchu. Pas du tout !

M. Yves Simon. Mais si !

M. Patrick Balkany. C'est du Zola !

Mme Nathalie Gautier. Non, c'est la réalité !

M. Yves Simon. On le voit tous les jours, ma pauvre dame !

Mme Marylise Lebranchu. Ne m'appelez pas « ma pauvre dame » parce que je vais finir par croire que l'humiliation est, pour vous, un choix.

M. Alain Gouriou. Bien répondu !

Mme Marylise Lebranchu. Je ne suis pas votre « pauvre dame », je suis un témoin de ce qui se passe sur le terrain et du fait que les postiers, fiers de leur travail, ont tous les éléments pour se comparer à leurs concurrents naissants. Vous savez très bien que certaines petites entreprises spécialisées dans le portage de colis éprouvent elles-mêmes de grandes difficultés à trouver des salariés, en particulier en milieu rural, parce qu'il est difficile de calculer l'amortissement de la voiture personnelle.

M. Yves Simon. Que c'est triste !

Mme Marylise Lebranchu. Vous savez très bien que de petites entreprises ne parviennent pas à se faire livrer à cause de cela. Ce n'est pas un problème anodin. Je ne fais pas de misérabilisme, je décris la réalité. L'Union professionnelle artisanale elle-même décrit très bien dans un texte la situation des artisans et des commerçants ruraux face à la baisse des services. Ils ne sont pas misérabilistes non plus et ont voté majoritairement pour l'UMP. Si vous ne voulez pas tenir compte de ce que je dis, au moins écoutez ce que dit votre électorat !

M. Alain Joyandet. Personne n'est propriétaire de son électorat !

Mme Marylise Lebranchu. En effet.

J'en reviens sur le choix de la méthode, pour quitter le misérabilisme des propos de notre collègue.

Pour La Poste, le champ du service universel, qui consiste à proposer une offre sur tout le territoire, avec un certain niveau de qualité et à un prix accessible à tous, est défini dans la directive européenne, avec peu de marge d'adaptation nationale. La seule question que pose le service universel, c'est non pas celle de la qualité, car le service est de qualité, mais celle du financement.

Vous avez choisi, et mon collègue François Brottes en particulier y reviendra, la formule du service réservé, partie du courrier qui reste en monopole, comme le permet la directive. Mais le projet de loi évoque la création éventuelle d'un fonds de compensation et propose, dans son article 7, de remettre au Parlement un rapport avant fin 2005. Une telle rédaction suscite des questions : pourquoi attendre, et renvoyer les questions touchant justement au financement à un hypothétique rapport qui sera rédigé par un groupe dont nous ne savons pas comment il sera composé et qui nous sera remis quand le texte de loi sera bouclé ? Nous sommes déjà en janvier. Le temps que nous votions le texte et que la loi soit promulguée, il nous restera bien peu de temps pour analyser les choses. Or, monsieur le ministre, mesdames et messieurs de la majorité, nous sommes tous d'ores et déjà capables d'estimer les difficultés de La Poste face à la performance que nous devons exiger d'elle pour assurer le service universel.

Est-il besoin de rappeler qu'une telle disposition, la demande d'un rapport pour la fin 2005, est dépourvue d'effet juridique - écoutez-moi, monsieur le ministre, c'est important.

M. le ministre délégué à l'industrie. Je vous écoute toujours attentivement, madame,...

Mme Marylise Lebranchu. C'est vrai.

M. le ministre délégué à l'industrie. ...ne serait-ce que pour pouvoir vous répondre.

Mme Marylise Lebranchu. Une telle disposition est dépourvue d'effet juridique.

M. Patrick Balkany. C'est triste !

Mme Marylise Lebranchu. Ce n'est pas triste. C'est intéressant !

Le Conseil constitutionnel juge, de façon constante, que l'évaluation « revêt un caractère indicatif ; qu'elle ne saurait porter atteinte à la liberté d'appréciation et d'adaptation que le Gouvernement tient de l'article 20 de la Constitution dans la détermination et la conduite de la politique de la nation ».

M. Patrick Balkany. Voilà qui est passionnant !

Mme Marylise Lebranchu. Mais oui. C'est la décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001 du Conseil constitutionnel sur la loi organique relative aux lois de finances. Mais je pense que ce rendu fait suite à une demande de votre part. Vous devez en tenir compte.

Soit nous prenons la décision ici d'instaurer ce régime de péréquation, soit le Gouvernement aura toute liberté d'appréciation et d'adaptation. Il pourra revenir devant le Parlement - on peut l'imaginer mais je n'ai pas l'impression, en lisant votre programme, que ce soit prévu - ou bien le Parlement pourra s'autosaisir à travers une proposition de loi, que vous accepterez ou non - il suffira de ne pas l'inscrire dans l'autre assemblée pour que le texte ne chemine pas : on connaît la technique.

M. le ministre délégué à l'industrie. Il y a les niches !

Mme Marylise Lebranchu. Justement, rien n'oblige le Gouvernement à inscrire rapidement à l'ordre du jour le texte voté par la première des composantes du Parlement, l'Assemblée nationale ou le Sénat, dans l'autre assemblée, monsieur le ministre, et vous le savez bien. Nous pouvons très bien ne pas avoir de suivi. Or, en ne vous conformant pas au jugement du Conseil constitutionnel, dont je pourrai vous donner le texte, monsieur le ministre, pour que vous puissiez vous y référer quand la loi sera examinée par le Conseil constitutionnel, vous prenez un risque.

Admettons que ce soit constitutionnel, il est quand même curieux de voter une réforme et de s'occuper ensuite de son financement. Ne nous avez-vous pas souvent reproché, ici même, d'avoir promulgué des réformes sans avoir prévu leur financement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Que de textes inconstitutionnels vous auriez commis alors !

Mme Marylise Lebranchu. Mais le Conseil constitutionnel ne nous a pas repris sur ce point. Sans doute avions-nous raison.

En l'espèce, vous allez à l'opposé de votre propre demande de logique. À moins que vous ne soyez mus par d'autres logiques que celle du développement de l'entreprise publique.

M. Daniel Paul. Bien sûr !

Mme Marylise Lebranchu. La Poste est un élément dont le Gouvernement pourrait trouver dans un constat ex post, sans jeu de mots, un argument d'évolution imposée non pas par la directive mais par une réalité mathématique que vous nous apporteriez au détour d'un rapport, fin 2005.

Ce n'est pas admissible ! On ne peut pas discuter d'une organisation aussi importante ce soir et dire : « On verra fin 2005 si c'est jouable ou pas ». Nous nous éloignerions du socle indispensable à tout service public, à savoir l'égalité de tous. Ce n'est pas ce rapport qui pourra donner valeur constitutionnelle à vos décisions.

M. François Brottes. C'est une vraie inquiétude !

Mme Marylise Lebranchu. Outre le service universel postal, La Poste assure d'autres services d'intérêt général qu'il faut financer, comme l'aménagement du territoire - article 1er - et la distribution de la presse - article 8 -, mais ces missions ne sont financées ni de façon stable ni de façon sécurisante pour La Poste. Mais je reviens à ce rapport de la fin 2005...

M. Patrick Ollier, président de la commission. Cela n'a rien à voir avec la recevabilité !

Mme Marylise Lebranchu. Si, puisque le Conseil constitutionnel oblige le Gouvernement à ne pas avoir de faculté d'adaptation dans l'organisation des services ! Je vous donnerai le texte, et vous pourrez le relire tranquillement.

Pour l'aménagement du territoire, la loi renvoie au contrat de performance de La Poste pour financer un fonds de péréquation. C'est très insuffisant. Il faut que la création du fonds de péréquation territoriale et les principes de son financement soient fixés par la loi. Nous voyons déjà l'anticipation de cette difficulté par La Poste dans l'absence de concertation réelle, comme je le rappelais tout à l'heure, au sein des commissions départementales. Les comptes rendus des conseils municipaux, des communautés d'agglomération ou des communautés de communes reviennent sur le même constat. Avant même que le texte ne soit voté, les communes rurales demandent aux communautés de prévoir des finances pour une organisation pérenne du service postal.

M. François Brottes. C'est bien joué !

Mme Marylise Lebranchu. Le Conseil de la concurrence lui-même, évoquant là un vrai sujet, souligne que 211 millions d'euros restent à la charge de La Poste pour l'aménagement du territoire.

Quant aux aides à la presse, elles s'élèvent à 772 millions, toujours selon le Conseil de la concurrence, l'État n'ayant compensé que 290 millions d'euros. La charge nette de l'exercice a donc été de 482 millions d'euros. Il n'y a aucune raison objective de laisser cette charge à La Poste au motif qu'elle assure le service universel. Je renvoie à cet égard à l'article XI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, relatif à la libre communication des pensées et des opinions.

Ce type de contrainte budgétaire pour La Poste vous avait fait réagir, monsieur le ministre Devedjian. Devant notre commission, vous vous êtes même demandé si « au vu de la récente prise de contrôle de nombreux titres par de grands groupes capitalistiques, il est vraiment justifié de subventionner Dassault ou la Banque Rothschild ».

Mme Nathalie Gautier. Belle question !

Mme Marylise Lebranchu. La question se pose en effet, monsieur le ministre, mais il faut aller jusqu'au bout ! Quant on fait une loi, on cherche la réponse et l'on prévoit les éléments pour la trouver.

M. le ministre délégué à l'industrie. J'étais dans une phase de réflexion ! (Sourires.)

Mme Marylise Lebranchu. Il reste que La Poste assume des services d'intérêt général. Elle doit donc avoir une juste compensation financière - je viens de démontrer que ce n'est pas le cas -, à moins que vous ne vouliez différencier les organes de presse. Il est vrai qu'il y a une différence entre le fait de permettre l'accès de tous dans les meilleures conditions à l'information, comme on le voulait après-guerre, et l'extension de ces droits à tous les journaux spécialisés qui ne sont parfois pas uniquement des vecteurs d'information. C'est un vrai sujet et il faudrait que ce débat puisse avoir lieu avec la presse et les syndicats de journalistes. Comme ce n'est pas le cas, il faut accorder à La Poste un financement à l'euro près, sinon elle ne pourra réussir l'adaptation que vous allez lui demander ou lui imposer fin 2005 ou début 2006.

Enfin, j'évoquerai rapidement l'établissement public bancaire.

C'est bien de vouloir augmenter le périmètre des services proposés par La Poste, mais il faut lui donner des moyens, des contreparties pour le rôle social que le texte veut lui faire tenir. Le Conseil de la concurrence - il n'est pas misérabiliste, lui ! - rappelle que « le développement d'une concurrence loyale et efficace au bénéfice des consommateurs par la libéralisation progressive du secteur postal prévue par les directives ne pourra intervenir que si les opérateurs, qu'il s'agisse de La Poste ou de ses concurrents, ne se voient pas contraints de supporter des charges ne relevant pas du service postal universel mais d'objectifs d'intérêt général supplémentaires ». Nous craignons que La Poste ne soit obligée d'être la banque des plus démunis sans aucune compensation, ce qui la mettrait en difficulté. François Brottes y reviendra si cette exception d'irrecevabilité n'est pas votée - on ne sait jamais ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à l'industrie. Je vous admire !

Mme Marylise Lebranchu. Votre texte laisse à La Poste des charges, mais sans lui donner de contreparties. Et même si cela n'est pas tout à fait anticonstitutionnel, le seul fait que cela ne corresponde plus aux normes de la concurrence prévues par notre propre droit ou par le droit européen n'est pas acceptable et rejoint l'irrecevabilité, car c'est alors le raisonnement à l'origine de la loi qui s'écroule. (M. Yves Simon fait un geste de dénégation.)

Je vous conseille, cher collègue, de relire tous les débats de 1998, 1999 et 2000 sur les directives postales au niveau européen. Cela a été un excellent travail, pas anti-misérabiliste du tout, contrairement à ce que vous pouvez penser, sur le rôle des services publics dans une conjoncture de globalisation économique ! Je peux vous assurer, pour avoir procédé à cette lecture pendant la trêve des confiseurs, que cela vous permettrait de mieux comprendre pourquoi certains pays européens ont les mêmes doutes. Je pense à ce que disait une collègue italienne sur ce sujet concernant l'économie et les services. Ce n'est donc pas du tout une perte de temps ! Nous pourrions parler du contenu du service universel et vous verriez que c'est intéressant.

Sans déclaration législative de mission d'intérêt général ou de service universel, il ne sera pas possible de donner une juste compensation financière à La Poste. Vous pouviez le faire. Mais vous nous expliquerez sûrement pourquoi vous ne l'avez pas fait - sans doute pour des raisons budgétaires. C'est plus qu'une erreur, car cela souligne la fragilité de l'appréciation de ce que font les politiques.

On peut noter que la Suède, après tous les déboires qu'elle a connus, a créé un service universel confié à la poste suédoise et l'a financé par l'impôt avec l'accord de la Commission de Bruxelles, qui a considéré qu'il n'y avait pas aide d'État parce qu'un service d'intérêt général avait été préalablement défini. Le fait de prévoir une aide d'État conséquente n'est donc pas incompatible avec les textes auxquelles la Commission a été obligée de se référer - je ne parle pas des textes à venir qui seront encore plus durs s'agissant de la définition du service public.

Le droit européen n'est pas équivoque : l'Europe nous oblige à ouvrir les réseaux, mais en aucune façon à privatiser ou à changer le statut des entreprises et de leurs agents. C'est le principe de neutralité des États. Nous n'avons pas encore de texte transversal sur les services publics. Nous en aurons peut-être un, mais même avant cette reconnaissance plus formelle que celle dont nous disposons, nous pouvons déjà rééquilibrer le droit de la concurrence en définissant des bases juridiques claires.

Pourquoi oublier le principe de neutralité des États ? Il est vrai qu'au Parlement européen, il y a eu trois attitudes françaises : celle de la droite, qui vote pour la libéralisation la plus radicale, celle de l'extrême gauche, qui l'aide en refusant de livrer les batailles d'amendements, et celle de la gauche socialiste, communiste et verte, qui mène ces batailles d'amendement pour sauver l'essentiel et qui, avant 2000, y a réussi - ce qui s'est passé entre 2000 et le 19 juin 2002 ne nous incombe pas, monsieur le ministre, vous le savez bien.

Le risque serait de laisser faire le marché. C'est pourquoi il faut une réponse politique forte au droit européen et aux principes fondamentaux de notre contrat républicain. Il faut financer le service public par la péréquation entre zones rentables et zones non rentables, conserver l'infrastructure sous monopole public, quitte à organiser l'ouverture à travers des péages d'exploitation, solution choisie par un certain nombre de pays. Il faut aussi tirer les enseignements des expériences qui ont été menées ailleurs - la poste suédoise, le Rail Track en Grande-Bretagne, ou le téléphone portable chez nous.

Monsieur le ministre, mesdames, messieurs, ce projet fait courir de gros risques au service public postal, alors que celui-ci est une chance pour notre pays et pour ses habitants. Il est en outre irrecevable parce qu'il contient plusieurs dispositions contraires à la Constitution, notamment à son article 34, et à l'article Ier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Ce texte a pu apparaître, aux yeux de certains, comme une adaptation technique. En fait, c'est un vrai grand texte politique. Si nous voulons pouvoir reparler, dans quelques années, des performances de La Poste française dans un contexte européen, nous devons être attentifs aux fondements constitutionnels du pacte républicain. Ils n'ont pas été écrits ou réécrits par hasard ou par caprice. Nous devons aujourd'hui dire ensemble que ces fondements de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de notre Constitution ont pour vocation de permettre d'entrer dans une ère nouvelle : ère sociale nouvelle, ère économique nouvelle, ère mondiale nouvelle. Nous aurions aujourd'hui intérêt à relire ces principes d'égalité de droits des usagers et des territoires car, si nous bafouons nos principes constitutionnels et notre pacte républicain en adoptant ce texte en l'état, vous aurez certes l'impression d'avoir perdu du temps, chers collègues, mais vous aurez surtout perdu une occasion de dire à tous nos concitoyens que leur vie, leur organisation, l'avenir des territoires français ne sont pas liés à des directives économico-financières ou de technique de concurrence.

Leur vie et leur avenir dépendent de la façon dont nous voyons l'évolution de notre économie et de notre cohésion sociale. Malheureusement, en l'état, ce texte ne traduit pas notre vision. C'est dommage.

Je le disais tout à l'heure : ne nous étonnons pas que, dans la morosité générale et dans un tel sentiment d'abandon, se soit glissé comme un grain de sable qui grippe la confiance entre les citoyens et la politique. Or, ce qu'il y a de plus important pour nous, c'est de recréer cette confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre, auquel je rappelle que la durée de son intervention ne sera pas sans conséquence sur l'organisation de nos débats.

M. le ministre délégué à l'industrie. Je vais donc tenter d'être bref, monsieur le président.

Madame Lebranchu, j'ai été sensible à l'effort que vous avez fait, sans avoir été convaincu pour autant par votre démonstration.

Mme Marylise Lebranchu. Dommage ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à l'industrie. Il est une chose que l'on doit vous accorder : trop souvent, l'exception d'irrecevabilité sert de prétexte à un discours général d'opposition. Ce n'est du reste pas un reproche à l'adresse de l'opposition ; nous avons tous usé de cette pratique.

Vous avez tenté de justifier votre propos par un raisonnement juridique. Celui-ci sollicite trop fortement, à mon sens, des conceptions générales, afin d'en tirer un argumentaire que la jurisprudence a condamné depuis longtemps.

M. Pierre-Louis Fagniez. Tout à fait !

M. le ministre délégué à l'industrie. Mais, si j'entrais dans la controverse que vous avez ouverte, je ne pourrais plus tenir compte de l'avertissement du président.

Je répondrai seulement en quelques mots sur l'essentiel de notre désaccord.

Je relèverai d'abord une contradiction importante dans l'ensemble de votre discours et dans votre appréciation du traitement que nous devions réserver à la directive. Vous avez dit en substance que le Gouvernement de Lionel Jospin avait été entendu par les autorités européennes pour ce qui est de la conception du service public, au moins jusqu'à la fin de l'année 2000.

Dans ce cas, madame, vous aviez jusqu'à cette date pour transposer la directive de 1997. Que ne l'avez-vous fait, conformément aux principes que vous avez énoncés ? Vous en aviez pourtant tout le loisir, ce qui aurait été, aux termes de votre argumentation, parfaitement compatible avec votre conception du service public. Pourquoi donc n'avoir pas agi ? Vous n'avez transposé la directive ni avant le 31 décembre 2000, ce qui a entraîné des poursuites à l'égard de la France, ni même avant le 19 juin 2002.

Pour notre part, si nous ne sommes pas intervenus sur la seconde directive, c'est que nous n'avions pas encore adopté la première. Au reste, je vous concède volontiers que nous avons eu tort de prendre ce retard, mais nous essayons au moins de le pallier en transposant actuellement la première.

L'essentiel de votre propos consiste à critiquer la conception européenne du service public...

Mme Marylise Lebranchu. Non ! C'est le contraire !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...et ce qu'implique en particulier la seconde directive. Mais le fait et le droit sont là et nous ne pouvons plus qu'adopter ces directives. Nous n'avons pas le choix.

Le siège de votre argumentation réside dans la question de la présence postale, dont vous dites qu'elle porterait atteinte à l'égalité de tous les citoyens. C'est par ce biais que vous vous êtes raccrochée à la discussion constitutionnelle.

Mais notre réseau français demeure le plus dense d'Europe, puisqu'il assure un contact postal pour 3 530 habitants, alors que l'Allemagne n'en compte un que pour 6 490 habitants. Tous les autres pays européens font d'ailleurs moins bien que nous, à l'exception du Royaume-Uni, qui obtient un résultat égal au nôtre.

Quand nous avons accédé aux responsabilités gouvernementales, il y avait 17 000 points de contact postaux. Le président de La Poste s'est engagé, avec non seulement l'accord, mais même le soutien du Gouvernement, à ce que ce chiffre soit maintenu. Bien plus, grâce à un amendement de M. le rapporteur concernant les cinq kilomètres, la loi garantira désormais que leur nombre ne puisse descendre au-dessous de 14 000. C'est là une mesure dont nous sommes les auteurs et que prévoit le projet de loi. Vous ne pouvez donc pas continuer à tenir un tel discours sur la disparition de la présence postale.

Quant à l'évolution du réseau, je vous rappelle que vous y avez participé. Vous avez déploré tout à l'heure le transfert des charges vers le budget des collectivités locales. Mais votre gouvernement a transformé 1 709 bureaux de poste en agences communales, à la charge du budget des municipalités. Puisque vous avez eu l'initiative d'une telle mesure, pourquoi nous reprocher de l'envisager à notre tour ?

M. Pierre-Louis Fagniez. Bonne question !

M. Yves Simon. Très bien !

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous êtes d'ailleurs allés plus loin que nous en décidant la suppression sèche de cinquante-deux bureaux de poste, alors que nous n'en supprimons aucun...

M. Alain Gouriou. Attendons de voir !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...et que nous nous contentons, parfois, de les transformer. Pourquoi donc nous faire la leçon ?

Quant à l'organisation du réseau, son ossature, vous le savez, est antérieure à la guerre de 1914-1918.

Mme Marylise Lebranchu. C'est exact !

M. le ministre délégué à l'industrie. Or il y a eu depuis, vous en conviendrez, quelques évolutions démographiques !

Actuellement, 17 % des bureaux de poste desservent 50 % de la population. En milieu urbain, le sous-équipement postal est manifeste. Puisque vous avez parlé de la Bretagne, vous me permettrez de parler d'Antony. Au cours des quinze dernières années, deux nouveaux bureaux de poste y ont été créés, ce qui était devenu indispensable. Ainsi, l'histoire du réseau de La Poste n'est pas seulement celle d'une restriction.

M. Gérard Charasse. C'est faux !

M. le ministre délégué à l'industrie. Ces créations sont d'ailleurs intervenues sous des gouvernements de gauche. Mon propos n'est donc pas entaché de favoritisme.

Quant à la présence de La Poste en milieu rural, 60 % des bureaux de poste desservent actuellement 18 % de la population. Je conviens que le maillage ne puisse être le même en milieu rural et en ville, mais vous conviendrez avec moi qu'il existe dans ce domaine de forts déséquilibres.

Je suis également en désaccord total avec vos propos sur la qualité du service rendu par La Poste. Vous avez affirmé que celui-ci se dégradait, protestant notamment contre un « transfert de propriété » - ce sont vos propres termes - quand le service est transféré vers un commerçant. Mais vous ne protestez pas quand il l'est vers une mairie. N'en est-ce pas moins un transfert ? Celui-ci vous dérange moins parce qu'il est public, mais c'est la seule différence.

Mme Marylise Lebranchu. Ce n'est pas la même chose !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je vous signale en passant que, s'agissant des lettres recommandées, les exploits d'huissier sont envoyés sous pli fermé et qu'on ne peut, par conséquent, en prendre connaissance sans les ouvrir.

Mme Marylise Lebranchu. Ils portent néanmoins un tampon !

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est vrai, mais si les facteurs veulent regarder une lettre en tous sens, c'est aussi la fin du service public.

M. Gérard Charasse. Oh !

M. le ministre délégué à l'industrie. Fort heureusement, ils ont une conscience qui les en empêche. De même, ceux qui manient le courrier ne s'amusent pas à faire l'inventaire des lettres qu'ils distribuent, et je leur fais confiance sur ce point.

Mme Marylise Lebranchu. Les facteurs, eux, sont soumis au secret professionnel !

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous protestez contre les transferts. Mais que transfère-t-on, au juste ? On compte 6 500 bureaux de poste ouverts moins de quatre heures par jour et, parmi eux, 3 500 ouverts moins de deux heures par jour. Quand on les transfère vers un commerçant, on structure d'abord le tissu rural.

M. Pierre-Louis Fagniez. C'est un argument très fort !

M. le ministre délégué à l'industrie. Ensuite, on permet à un commerçant qui vivotait d'être plus solide. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Enfin, au lieu d'être ouverts deux ou quatre heures par jour, ce qui est dérisoire, on leur permet d'être ouverts huit heures par jour, parfois dix.

M. René Dosière. Et même le dimanche !

M. le ministre délégué à l'industrie. Dans ces conditions, le service rendu à l'usager est évidemment supérieur.

M. Pierre-Louis Fagniez. C'est un bon argument.

M. Yves Simon. Tout à fait !

M. le ministre délégué à l'industrie. Quant à la qualité du service, permettez-moi de vous dire que La Poste, en progrès constants, est passée en 2004, pour l'acheminement d'une lettre postée un jour et reçue le lendemain - ce qu'on appelle, en langage postal, le « J + 1 » - de 65 % à 80 %.

Mme Marylise Lebranchu. Le chiffre exact est même 84 % !

M. le ministre délégué à l'industrie. On assiste donc, grâce à La Poste, à un effort et à une amélioration considérables de la qualité du service. Celui-ci ne se dégrade pas, bien au contraire : il s'améliore.

M. Michel Vergnier. Non !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je vous signale encore que 90 % des clients interrogés - je vous remettrai, si vous le souhaitez, l'étude qui a été réalisée - se déclarent satisfaits de l'utilisation des points poste chez les commerçants ; 56 % d'entre eux en sont même très satisfaits. Nous assistons donc à une véritable amélioration de la qualité du service rendu, à laquelle vous ne voulez pas rendre hommage, alors que ce serait justifié.

Vous avez déploré, ce qui est injuste, que le haut débit soit encore insuffisamment déployé sur le territoire.

Mme Marylise Lebranchu. Ce n'est pas tout à fait ce que j'ai dit !

M. le ministre délégué à l'industrie. Mais quand vous avez quitté les responsabilités gouvernementales, il y avait moins de 500 000 lignes.

Mme Marylise Lebranchu. Évidemment ! Et, il y a dix ans, il y en avait zéro !

M. le ministre délégué à l'industrie. S'il y en a aujourd'hui 6 millions, cela ne s'est pas fait tout seul ni par l'opération du Saint-Esprit ! Il a fallu un effort, une intelligence politique...

M. Gérard Charasse. N'en jetez plus !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...et toute l'attention de l'État, de même que le concours des entreprises qui travaillent sur le sol national, les françaises et les autres, qui sont venues jouer le jeu de la concurrence.

M. Michel Vergnier. Monsieur le rapporteur, ne laissez pas dire cela sans réagir !

M. le ministre délégué à l'industrie. Pour résumer, car mon temps d'intervention est compté, je relève que, dans le fond de votre argumentation, il y a une chose que vous ne prenez pas en considération : la logique de vos propres actes.

Vous avez voulu - ou du moins accepté - l'ouverture à la concurrence. Je ne vous jette pas la pierre, car nous aurions agi de même, mais il se trouve que c'est vous qui avez pris cette décision. Seulement, vous n'en tirez pas les conséquences, à savoir que La Poste doit réaliser des gains de productivité. Vous avez même daubé là-dessus, comme s'il était honteux de faire de tels gains.

Mme Marylise Lebranchu. Pas du tout !

M. le ministre délégué à l'industrie. Ces gains, La Poste a l'intelligence de les partager avec son personnel. C'est ainsi que, par des accords sociaux conclus à la fin de l'année, elle a pu lui verser des primes substantielles, parce qu'il est juste de partager avec lui les gains de productivité réalisés. C'est bon pour l'entreprise autant que pour lui, et c'est bon aussi pour la concurrence. Voilà ce que je vous reproche de ne pas voir.

Dès lors que vous avez accepté, contrainte ou forcée, l'ouverture, voulue ou subie, à la concurrence, il faut que La Poste française se montre à la hauteur. Je vous rappelle que la poste allemande a réalisé cette année des profits de 3 milliards d'euros et que, demain, elle prendra des parts de marché sur le territoire français.

M. Pierre-Louis Fagniez. Très juste !

M. le ministre délégué à l'industrie. Si notre poste n'est pas concurrentielle et qu'elle ne dégage pas de gains de productivité - qui concourent également à une amélioration de la qualité des services rendus, puisque les clients s'en iront si les services sont trop chers ou insatisfaisants -, nos concurrents européens, par exemple la poste allemande ou hollandaise, prendront des parts de marché en France et notre service public à la française - cette Poste à laquelle nous sommes si attachés, parce qu'elle est le fruit d'une véritable tradition et qu'elle possède une culture que nous voulons conserver - sera ruinée par la concurrence, faute d'avoir fourni les efforts d'adaptation nécessaires.

Le projet de loi n'a pas pour but de désarmer ou de démanteler La Poste, comme vous le dites. Au contraire, elle veut lui permettre de « faire du muscle », d'affronter la concurrence et de gagner la bataille. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier, président de la commission. Très bien !

M. le président. Dans les explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité, la parole est à M. Alain Joyandet, pour le groupe UMP.

M. Alain Joyandet. Monsieur le président, je serai bref, car M. le ministre a si bien parlé que je n'ai plus grand-chose à ajouter.

M. Alain Cousin. Il a très bien parlé, en effet !

M. Alain Joyandet. Puisque j'avais prévu de le faire, je voudrais cependant rendre hommage à mon tour à Mme Lebranchu, dont j'ai écouté les propos avec beaucoup d'attention et d'intérêt. Je ne suis pas d'accord avec elle sur bien des points, mais je lui sais gré d'avoir essayé de défendre cette exception d'irrecevabilité. D'habitude, l'exercice consiste, comme l'a signalé M. le ministre, à user de son temps de parole pour faire de l'opposition. Vous n'avez pas cédé à cette tentation, madame.

Vous avez dit que le texte n'était « peut-être pas tout à fait inconstitutionnel. » Il est ou n'est pas conforme à la Constitution, mais assurément il ne peut pas y avoir d'entre-deux !

M. le ministre vous a répondu à ce sujet. Je ne vous ferai donc grâce de ma propre réponse. Le Conseil d'État lui-même, qui s'est penché sur le projet de loi, avait fait deux réserves, l'une sur le prix du timbre, l'autre sur les conditions d'accès des nouveaux opérateurs. Le Gouvernement les a toutes deux prises en compte dans son texte. La commission a aussi œuvré pour que l'on précise ces points. Je ne m'étendrai donc pas sur la réponse à l'accusation d'inconstitutionnalité.

Par ailleurs, en vous écoutant défendre la nécessité d'un service public de qualité pour l'avenir de nos territoires ruraux, j'ai eu le sentiment que le PS avait eu une révélation. En effet, cela fait quelques années qu'un certain nombre de parlementaires plaident en ce sens. Or, vous avez été aux affaires pendant près de quinze ans et vous avez laissé ces territoires dans un état dont on ne peut pas dire qu'il leur permette de se tourner vers l'avenir.

Ainsi, on ne peut pas prétendre que vous n'ayez pas fermé d'écoles au cours de ces quinze années. Quant à l'égal accès de nos enfants au savoir, qui est un principe démocratique, on ne peut pas dire que vous l'ayez garanti dans ces territoires. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous parlons de service public, mais qu'avez-vous fait pour équiper les territoires ruraux en liaisons Internet à haut débit, afin que nos enfants aient accès au savoir, quels que soient le lieu où ils vivent ou la famille dans laquelle ils sont nés ? Certains de nos concitoyens ne peuvent même pas recevoir la chaîne publique de télévision régionale pour laquelle ils paient néanmoins une redevance !

Peut-être sommes-nous coresponsables de cette situation (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), mais vous avez tendance à oublier votre part de responsabilité et votre plaidoyer, madame Lebranchu, m'a paru quelque peu exagéré.

Je pourrais évoquer également la justice de proximité - un sujet que vous connaissez bien, madame - pour laquelle vous avez fait quelque chose - mais il aurait fallu faire beaucoup plus - ou les services déconcentrés de Bercy.

Depuis dix ans, des parlementaires de tous les groupes se sont beaucoup battus, notamment pour que nos territoires soient équipés en techniques de communication, qui sont importantes pour l'avenir des territoires ruraux. Or on ne peut pas dire que, lorsque vous étiez aux affaires, vous les ayez beaucoup écoutés, même lorsqu'ils siégeaient sur vos bancs.

Tout à l'heure, notre excellent rapporteur a cité Paul Quilès, qui s'opposait au statu quo. Maintenir celui-ci, ce serait faire ce que vous ne voulez pas que l'on fasse. En effet, c'est le maillage actuel qui est inégalitaire, puisque le réseau n'a pas changé depuis cinquante ans alors que les territoires ont évolué. Ainsi, les habitants de certaines petites communes historiquement dotées d'un bureau de poste ont plus facilement accès aux services postaux que les habitants de communes qui se sont considérablement développées, mais qui n'ont toujours pas de bureau de poste. Le statu quo est donc un facteur de régression, et non de progrès.

Par ailleurs, il convient de distinguer le service public du service au public.

M. Michel Vergnier. Cela n'a pas de sens !

M. Alain Joyandet. Entre un point public ouvert toute la journée et un immeuble de La Poste ouvert deux heures par jour, nos concitoyens font la différence.

Chacun a sa lecture du texte - Mme Lebranchu et le Parti socialiste ont la leur -, mais ce qui compte, c'est la situation dans laquelle nous avons trouvé La Poste et les solutions que nous pouvons envisager. Pour prendre une image, je dirais que La Poste était comme un coureur de fond auquel on ajouterait un handicap à chaque tour de piste tout en lui demandant de courir de plus en plus vite et, éventuellement, de gagner la course contre des concurrents qui, eux, n'ont pas de handicaps.

Ce texte, bien travaillé par la commission, allège considérablement les contraintes qui pèsent sur La Poste. Du reste, le Gouvernement a déjà agi en ce sens, en prenant en charge une partie des retraites et en accordant l'exonération des charges sur les salaires. Quant à l'ajout des activités financières, il donnera des arguments supplémentaires à La Poste. Les postiers jugent donc favorablement ce projet.

En conclusion, je veux saluer le travail de la commission, de son rapporteur et de son président.

Le groupe UMP ne votera pas l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Alain Gouriou, pour le groupe socialiste.

M. Alain Gouriou. Monsieur le président, monsieur le ministre, M. Joyandet prétend que nous sommes pour le statu quo. Or ce n'est pas vrai et nous n'avons jamais dit cela. Je n'ai entendu de protestations sur aucun banc lorsque Mme Lebranchu a évoqué l'attachement des députés et de l'ensemble des Français à La Poste, un service emblématique, au cœur du pacte républicain.

Il est vrai, monsieur le ministre, que le réseau est d'une densité inégalée, mais il est faux de dire que la qualité du service s'est améliorée au cours de ces dernières années. En 2002, 76,8 % du courrier était distribué à J + 1 ; en 2004, ce taux était de 74,4 %.

M. le ministre délégué à l'industrie. 80 % à la fin de l'année !

M. Alain Gouriou. Ce n'est pas le cas pour l'instant.

Par ailleurs, Mme Lebranchu n'a jamais dit que le transfert d'un service de poste à un commerce était contraire à la Constitution, mais qu'en cas de transfert de propriété, il fallait en définir les critères et que c'était au Parlement de se prononcer.

En ce qui concerne le retard qui accompagne la transposition de la directive en droit français, vous avez bien voulu reconnaître, monsieur le ministre, qu'il ne relevait pas de la seule responsabilité du gouvernement précédent. À cet égard, je vous fais remarquer que ce projet de loi a été examiné par le Sénat il y a un an : il aurait donc pu être inscrit plus tôt à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. J'ajoute que l'on aurait pu profiter de ce retard pour tirer les leçons de ce qui s'est passé en Suède et en Allemagne, où la directive a été appliquée plus rapidement et où les résultats ne sont pas à la hauteur des espoirs.

Quant aux inégalités territoriales, mes chers collègues, reconnaissez que la couverture GSM n'est pas satisfaisante.

M. le ministre délégué à l'industrie. Nous sommes les premiers en Europe !

M. Alain Gouriou. Et je ne parle pas du haut débit ou de la future TNT.

Plusieurs problèmes restent sans solution, qu'il s'agisse du fonds de péréquation, du fonds de compensation, de l'acheminement de la presse ou des retraites, dont on a peu parlé. Il y avait donc bien matière à défendre une exception d'irrecevabilité.

Bien entendu, le groupe socialiste la votera, et je vous invite, chers collègues, à faire de même. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe UDF.

M. Jean Dionis du Séjour. Nous ne voterons pas l'exception d'irrecevabilité par conviction européenne, c'est-à-dire pour des raisons moins juridiques que politiques. En effet, on ne peut pas tenir un discours pro-européen - même si, au PS, il existe plus que des nuances sur ce sujet - ...

M. Alain Néri. À l'UMP aussi !

M. Jean Dionis du Séjour. ...et s'échapper lorsqu'il s'agit de mettre les mains dans le cambouis pour organiser le marché européen. Notre position est constante : l'Europe économique s'organise dossier par dossier et, après ceux d'EDF-GDF et des télécoms, nous examinons celui du marché postal. Or, pour avoir eu la chance de suivre ces trois débats, je peux vous dire, mesdames, messieurs les socialistes, qu'entre votre pratique gouvernementale sur ces trois dossiers entre 1997 et 2002 et la position que vous défendez actuellement, vous faites le grand écart. Vous avez sans doute vos raisons, mais nous, nous ne le ferons pas. (Sourires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Par ailleurs, il est grand temps de parler du service postal, car focaliser le débat sur le nombre de points de contact, ce n'est rendre service ni à La Poste ni au pays. Le service : voilà le vrai débat ! Ainsi, quand La Poste annonce que 80 % du courrier est livré à J + 1, on peut s'interroger. En tout cas, je n'ai pas le sentiment qu'elle obtienne ce résultat dans le Lot-et-Garonne. D'où vient ce chiffre ? Peut-on améliorer ce taux ? À quelle heure se fait la collecte ? Pourquoi se fait-elle de plus en plus tôt dans les territoires ruraux ? Voilà un vrai débat politique !

Nous souhaitons donc que le débat ne porte pas seulement sur le nombre de points de contact, mais aussi sur le service.

M. Arnaud Montebourg. Nous irons le dire dans le Lot-et-Garonne !

M. Jean Dionis du Séjour. Cela ne me pose aucun problème, monsieur Montebourg : vous y serez le bienvenu.

Enfin, La Poste a besoin de ce projet de loi de modernisation pour s'adapter à la concurrence. Je rappelle que 300 000 emplois sont en jeu et que les trois métiers de La Poste sont en pleine mutation. Le courrier représente 60 % de son activité et en demeure le socle, mais il est en recul ; le colis, lui, est en pleine expansion, car il bénéficie du développement du commerce électronique ; quant à la banque, elle est actuellement marginalisée.

Face à ces évolutions, faut-il maintenir le statu quo ? Pour notre part, nous estimons qu'une adaptation législative est indispensable. Les territoires, les postiers et le pays l'attendent.

C'est pourquoi nous ne voterons pas l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Daniel Paul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, il y a bien matière à défendre une exception d'irrecevabilité et celle-ci mérite d'être votée.

Ce matin, la presse disait que les Français ne croyaient plus en rien. Comment pourrait-il en être autrement, quand vous ne leur donnez d'autres perspectives que la satisfaction des exigences libérales, comme l'a rappelé Mme Lebranchu ? Comme si la rentabilité économique, qui se fait sur le dos des personnels, des usagers et des collectivités locales, pouvait être le socle d'un pacte social permettant l'amélioration du service, la promotion des salariés et la mise en place d'un partenariat pour l'aménagement du territoire !

Pour vous, les services publics sont des structures dépassées - et sans doute pensez-vous majoritairement la même chose des fonctionnaires - ...

M. Guy Geoffroy. C'est pure invention !

M. Daniel Paul. ...alors qu'ils sont porteurs de sens dans une société française et une construction européenne qui en offrent de moins en moins.

Mme Lebranchu s'est inquiétée de l'impact d'un tel texte sur le prochain référendum et elle a reproché au Gouvernement la concomitance des deux débats. Je pense, au contraire, que votre projet de loi est révélateur de l'Europe que vous construisez et qu'il peut éclairer utilement nos concitoyens sur ce qui les attend.

Je voterai, avec les collègues de mon groupe, cette exception d'irrecevabilité, comme je voterai non à la Constitution européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.

    5

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt-deux heures, troisième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, n° 1384, relatif à la régulation des activités postales :

Rapport, n° 1988, de M. Jean Proriol, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot