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Deuxième séance du mercredi 26 janvier 2005

126e séance de la session ordinaire 2004-2005


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

    1

MODIFICATION DU TITRE XV
DE LA CONSTITUTION

Suite de la discussion
d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution (nos 2022, 2033).

Motion de renvoi en commission

M. le président. J'ai reçu de M. Nicolas Dupont-Aignan une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. Nicolas Dupont-Aignan.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre déléguée aux affaires européennes, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la délégation européenne, mes chers collègues, permettez-moi d'associer à cette motion Patrick Labaune, Étienne Mourrut et François-Xavier Villain.

« Honte au pays où l'on se tait », disait le grand Georges Clemenceau. S'il est un domaine en France où tout est fait pour dissimuler l'importance des enjeux et des choix, c'est bien celui de l'Europe.

En témoigne la citation suivante qui date de 2002 : « A l'heure où les candidats à la présidence de la République préparent calicots, arguments et ripostes, il est une sorte de secret dans le débat politique français. Ce grand secret, c'est d'abord et avant tout que la plupart des décisions que les candidats vont s'engager à prendre avec la confiance du peuple ne relèvent plus d'eux seuls. » Qui a écrit cela ? Philippe de Villiers, Charles Pasqua, Philippe Séguin ? Non : Michel Barnier.

Rares sont cependant les avocats de l'actuelle construction européenne qui reconnaissent l'importance des révisions constitutionnelles et des traités qu'ils nous demandent d'approuver. Habituellement, il est vrai, nous vivons dans l'ambiguïté et la caricature. L'ambiguïté, car on n'annonce jamais les conséquences des transferts de souveraineté sur le fonctionnement et l'existence même de notre démocratie. Pour éviter les débats cruciaux, qui auraient pour seul tort de susciter des interrogations bien légitimes, on préfère toujours caricaturer les positions. Il y aurait d'un côté les bons, qui seraient favorables aux rapprochements entre les peuples, à la paix et à la prospérité économique, et donc approuveraient  la dernière avancée du jour, et de l'autre, les méchants, les franchouillards, les frileux, qui seraient hostiles à la marche triomphale du progrès humain.

Or la question n'est pas, n'a jamais été de se déclarer pour ou contre l'Europe, qui est une nécessité, mais de savoir comment on la bâtit.

De quelle Europe parlons-nous ? Évoque-t-on l'idéal du rapprochement des peuples, qui fait l'unanimité, notamment chez les gaullistes, ou la pression disciplinaire du super-État qu'on a laissé se développer depuis douze ans dans le dos des citoyens ? Discute-t-on des politiques communes volontaristes des années soixante ou du marché unique ultra-libéral des années quatre-vingt-dix ? S'interroge-t-on sur les règles des traités, souvent votés de bonne foi par notre Parlement, ou sur le droit européen dérivé qui en procède ?

La discussion générale m'a d'ailleurs conforté dans l'idée qu'on ne débattait pas de la loi de révision non plus que du traité, mais de la vague idée que chacun pouvait se faire de l'Europe.

Or nous ne pouvons nous prononcer sur le fond des choses sans analyser en détail, sans débattre conjointement du projet de révision et du traité constitutionnel. En effet, dès lors que l'on nous demande de réviser la Constitution dans le seul but d'approuver le traité constitutionnel, nous ne pouvons nous prononcer sur la réforme constitutionnelle sans mesurer précisément à quoi nous engage le traité.

J'ai souhaité défendre la motion de renvoi en commission de ce projet de révision constitutionnelle pour laisser un peu de temps supplémentaire aux représentants du peuple avant qu'ils ne prennent position. Et je vous prie de croire que je le fais en conscience, car ce choix qui est devant nous est suffisamment grave pour notre démocratie. Ce débat sur la Constitution transcende toutes les formations politiques. Et je vous demande, de grâce, de ne pas mal interpréter ma position d'aujourd'hui, qui était exactement la même pour le traité d'Amsterdam alors que le gouvernement était différent. C'est d'ailleurs l'honneur de notre Parlement de permettre à l'un de ses membres de dire ainsi sa vérité.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Comment pourrions-nous nous déterminer sans nous poser deux questions fondamentales. En premier lieu, la Constitution européenne nous fait-elle basculer dans un système fédéral, remettant en cause les principes fondateurs de la VRépublique, pour ne pas dire de la République tout court ? À cette question, ma réponse est oui. En second lieu, est-ce l'intérêt de la France et des Français, dont nous sommes ici les représentants, est-ce même l'intérêt de l'Europe, pour lequel nous avons tout de même notre mot à dire avec les autres Européens ?

Sur la première question, je serai plus rapide, à la grande joie de certains. Puisque ces arguments ont été abondamment développés hier par M. Myard, je ne vois pas l'intérêt de répéter la même chose sur le constat des traités. Mais permettez-moi de pousser un peu la réflexion juridique sur la nature de ce fameux traité constitutionnel. Allons-nous changer de régime ?

M. Jacques Myard. Oui !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Telle est la première question décisive à laquelle nous devons répondre en conscience à la lecture du traité. Il y a dans ce traité la création d'un État européen, la mise en œuvre d'une nouvelle architecture institutionnelle mais, malheureusement, sans clarification des compétences entre l'Union et les États.

La Constitution européenne pose bel et bien les bases essentielles et le cadre d'un État supranational surplombant les nations européennes. Pourquoi, d'ailleurs, avoir usé du vocable de Constitution  s'il ne s'agissait de poser les bases d'un État ? En effet, souvenons-nous : « La Constitution est l'acte par lequel les citoyens définissent les conditions d'exercice du pouvoir politique ». Cette définition du dictionnaire constitutionnel des Presses Universitaires de France prouve, s'il en était besoin et si les mots ont encore un sens, qu'on ne peut pas parler de « constitution européenne » sans en considérer toutes les conséquences sur notre système politique ! Or il y a Constitution quand il y a État.

Alors, bien sûr, on me rétorquera qu'il n'y a État que lorsqu'il existe un peuple suffisamment soudé pour s'en réclamer.

M. Jacques Myard. Une nation !

M. Nicolas Dupont-Aignan. C'est vrai et c'est précisément tout l'objet de ce traité que de décréter, entre les lignes, la création d'un peuple européen qui, autrement, n'aurait aucune chance de voir le jour pour la bonne raison qu'il continuerait à n'avoir ni cadre ni objet. Ce n'est pas là je ne sais quel fantasme de souverainiste, mais tout bonnement le point de vue de Josep Borrell lui-même, président socialiste du Parlement européen, qui affirme avec une louable franchise : « Instituer une Constitution pour l'Europe revient à accepter virtuellement l'existence d'un peuple européen. »

M. Jacques Myard. Il n'y en a pas !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Et, du virtuel au réel, il n'y a évidemment qu'un pas que les fédéralistes s'imaginent pouvoir franchir contre le gré des peuples, si tant est qu'ils s'en rendent compte !

Nous avons donc bel et bien affaire à un pas décisif, même s'il est symbolique, vers la fondation du peuple européen sans lequel il ne peut exister d'Europe vraiment fédérale.

Une fois posé l'objectif ultime du peuple européen par déduction d'un super-État implicite, le traité se propose logiquement de conférer à l'Union le plus grand nombre possible d'attributs ordinaires, internes et externes, de la souveraineté étatique.

Au plan interne, c'est tout d'abord la fameuse suprématie du droit européen sur les droits nationaux, qui est pour la première fois inscrite dans un traité. Elle est ainsi revendiquée en pleine lumière, encore qu'on en minimise la portée.

« Mais non, me dira-t-on, vous lisez mal, cette suprématie ne s'applique qu'au droit de l'Union. » Certes, mais comme celui-ci, ainsi que nous le verrons plus loin, tend à s'inviter dans tous les domaines de la vie des nations, force est d'en conclure que cette suprématie sera à son image : proliférante et impérieuse.

On ne peut que s'étonner de voir le Parlement réviser la Constitution avant même que le peuple n'ait approuvé ou non par référendum le traité constitutionnel, comme si on cherchait à préjuger le vote des Français. Mais si cette fois le « non » l'emportait, le Parlement serait placé en porte-à-faux complet avec le peuple ! Les deux questions auraient dû être posées le même jour aux Français, et nous aurions évité la ratification de cette révision en Congrès.

M. Frédéric Dutoit. Nous l'avions proposé !

M. Nicolas Dupont-Aignan. N'oublions pas, mes chers collègues, que le texte de révision qui nous est soumis tend à modifier en profondeur la VRépublique, et ce à plusieurs titres. Il autorise de nombreux transferts de compétences - j'en ai relevé seize, mais il y en a sans doute d'autres - reconnus contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 novembre 2004. Il va donc beaucoup plus loin que le texte de 1992, préalable à la ratification du traité de Maastricht, qui énumérait les deux transferts de compétences qu'il autorisait.

M. Jacques Myard. C'est exact.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Il valide par avance les cinq clauses dites « passerelles » prévues dans le traité pour quatre matières essentielles et la clause générale de révision simplifiée figurant à l'article 444 du traité et concernant l'ensemble des domaines à l'exception de la défense, court-circuitant ainsi le peuple dans son pouvoir constituant.

Cette révision revient en quelque sorte à subordonner la Constitution au traité de Rome du 29 octobre 2004 : d'abord en renvoyant la simple compréhension de notre texte fondamental à la lecture du traité - on ne pourra plus lire la Constitution sans se référer au traité européen - ; ensuite en validant par avance la constitutionnalité des modifications qui seront apportées demain au traité.

Mais surtout, on ne peut que s'interroger sur l'ambiguïté de la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur le traité constitutionnel lui-même. Une décision qui semble à beaucoup de constitutionnalistes bien en deçà de la portée réelle de cet étrange traité. Le président Mazeaud me pardonnera ces propos lui qui, ici même, le 7 mai 1992, lors d'une démarche identique de demande de renvoi en commission, s'estimait « en droit de critiquer le Conseil Constitutionnel ». Je n'irai pas aussi loin que lui, je m'interrogerai simplement.

En effet, le juge constitutionnel a estimé que le texte de « Constitution » s'inscrit dans la continuité juridique de la construction européenne, sans opérer aucun bond nouveau dans l'intégration communautaire, malgré l'article 6 du traité qui affirme pour la première fois la suprématie du droit européen sur les droits nationaux.

M. Jacques Myard. Inadmissible !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Le Conseil s'appuie en substance sur l'intention des parties contractantes, selon laquelle l'Union aurait vocation à fonctionner « sur le mode communautaire et non sur le mode fédéral »,...

M. Jacques Myard. C'est la même chose !

M. Nicolas Dupont-Aignan. ...ce qui n'induirait en l'occurrence aucune contrainte supraconstitutionnelle sur le cœur de notre loi fondamentale. Pour la même raison, ce texte relèverait des articles 55 et 88 de notre Constitution, c'est-à-dire qu'il ne serait qu'un simple traité de plus, organisant un transfert complémentaire et librement consenti de compétences précises et limitées.

Et pour étayer sa doctrine, le Conseil constitutionnel invoque l'article 5 du traité disposant que l'Union respecte l'identité nationale des États membres, sans plus se préoccuper du caractère vague de cet énoncé ni de l'effet global et pratique des 457 articles restants sur la réalité complexe et équivoque, selon les pays d'Europe, que recouvre « l'identité nationale ».

En 1992 déjà, à cette tribune, Philippe Séguin, ne se satisfaisait pas de ce terme. « Il est tout à fait significatif, disait-il, d'avoir choisi le mot identité pour désigner ce qu'on consent à nous laisser. Cette assurance qu'on se croit obligé de nous donner est déjà l'indice d'un risque majeur.

« On parle de l'identité lorsque l'âme est déjà en péril, lorsque l'expérience a déjà fait place à l'angoisse. On en parle lorsque les repères sont déjà perdus !

« La quête identitaire n'est pas une affirmation de soi. C'est le réflexe défensif de ceux qui sentent qu'ils ont déjà trop cédé. En ne nous laissant que l'identité, on ne nous concède donc pas grand-chose, en attendant de ne plus rien nous concéder du tout !

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Nicolas Dupont-Aignan. « Que veut-on mettre à la place de ce qu'il est question d'effacer ? À quoi veut-on nous faire adhérer quand on aura obtenu de nous un reniement national ? Sur quoi va-t-on fonder ce gouvernement de l'Europe auquel on veut nous soumettre ?

« Sur la conscience européenne ? C'est vrai, cette conscience existe ; il y a même quelque chose comme une civilisation européenne au confluent de la volonté prométhéenne, de la chrétienté et de la liberté de l'esprit. Bien sûr, nous autres Européens avons un patrimoine et toutes sortes de similitudes, mais cela ne suffit pas pour forger un État.

« S'il y a une conscience européenne, c'est un peu comme il y a une conscience universelle ; elle est de l'ordre du concept et n'a à voir ni avec l'âme du peuple ni avec la solidarité chamelle de la nation. La nation française est une expérience multiséculaire. La conscience européenne est une idée qui d'ailleurs ne s'arrête pas aux frontières de la Communauté. Et l'on ne bâtit pas un État légitime sur une idée abstraite, encore moins sur une volonté technocratique. » Tout est dit dans ce texte magistral !

La Convention le savait elle aussi et c'est bien pourquoi elle a accepté, comme un lot de consolation, que soit retenu à l'article 5 le respect des identités nationales, après avoir expressément refusé d'y inscrire le respect de la souveraineté nationale.

M. Jacques Myard. C'est scandaleux !

M. Nicolas Dupont-Aignan. La garantie avancée par le Conseil constitutionnel repose donc sur « l'intention » des États signataires du traité. C'est une garantie bien fragile, puisque par définition non-juridique et éminemment subjective dans son interprétation. Tellement fragile d'ailleurs que le président du Conseil constitutionnel a cru prudent de l'assortir après coup de quelques réserves décisives : « il y aurait vice de consentement de la France si, le traité une fois entré en vigueur, les Cours de Luxembourg ou de Strasbourg allaient au-delà de cette lecture naturelle et raisonnable ».

Car - et c'est là que le bât blesse -, par son article 375, la Constitution européenne confie au juge supranational un monopole d'interprétation du droit européen.

M. Jean-Pierre Brard. C'est vrai !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Cela revient à dire que le Conseil constitutionnel n'a pour garantie de l'application « naturelle et raisonnable » du traité que la jurisprudence passée et la bonne volonté future de la Cour de Luxembourg, et qu'en cas de dérapage - par exemple sur la laïcité, au titre de l'article 70 de la Constitution - il n'aura aucun moyen de recours. Ainsi, le Conseil a beau affirmer le maintien intangible du bloc de constitutionnalité de la République française,...

M. Jacques Myard. C'est du pipeau !

M. Nicolas Dupont-Aignan. ...il ne se dessaisit pas moins de sa garde en validant de la sorte le traité.

Accorder une telle confiance à des eurocrates inamovibles et non élus - et ceci explique sans doute les scrupules légitimes de Pierre Mazeaud -, c'est un peu comme inviter le loup dans la bergerie pour qu'il assure la comptabilité des moutons !

M. Jean-Pierre Brard. C'est un problème réel !

M. Arnaud Montebourg. À côté de M. Barroso, M. Dupont-Aignan est un gauchiste !

M. Nicolas Dupont-Aignan. On est donc obligé de revenir à la question centrale et cruciale, à la seule question qui vaille et qui, depuis quinze ans, n'a pas même trouvé un début de réponse ferme et convaincante : qu'est ce que le « mode de fonctionnement communautaire » et, partant, jusqu'où doit-il aller et dans quel but ?

Loin d'être un débat téléologique ou purement académique, la question se pose concrètement puisque le Conseil constitutionnel lui-même fonde sur elle le cœur de sa doctrine.

M. Jacques Myard. C'est le fédéralisme !

M. Nicolas Dupont-Aignan. En effet, à l'en croire, la différence entre le « communautaire » et le « fédéral » serait décisive, bien qu'il ne donne aucun contenu substantiel à cette mystérieuse distinction.

M. Jacques Myard. Il n'y en a pas ! C'est la même chose !

M. Nicolas Dupont-Aignan. S'agit-il donc de « communautaire », qui additionnerait les souverainetés nationales sans les bafouer, ou de « fédéral », qui par définition subordonne lesdites souverainetés, y compris dans leur dimension constitutionnelle, à un ordre supranational contraignant ?

L'éclairage donné sur ce point par Valéry Giscard d'Estaing, le président de la Convention européenne en personne, est ici salutaire : dans la Constitution européenne, le mot "fédéral" a été « remplacé par "communautaire", ce qui veut dire exactement la même chose ».

M. Jacques Myard. C.Q.F.D. !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Cette substitution a eu lieu, toujours selon M. Giscard d'Estaing, « parce que, dans les différentes langues de l'Union, le terme fédéral n'a pas la même connotation : positive ici, mais négative là ».

M. Jacques Myard. Tu parles !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Tout est dit et bien dit : selon son principal concepteur, et en contradiction flagrante avec l'analyse du Conseil constitutionnel, ce traité est en réalité fédéral, faisant basculer la France dans un système irrévocablement supranational,...

M. Jacques Myard. C'est vrai !

M. Nicolas Dupont-Aignan. ...pour la raison simple, monsieur le garde des sceaux - puisque vous avez répondu hier à la question de Jacques Myard sur ce
point ‍‍‍-,...

M. Jacques Myard. Mal !

M. Nicolas Dupont-Aignan. ...qu'on ne peut appartenir à deux ordres juridiques en même temps.

Des compétences de plus en plus nombreuses étant transférées à Bruxelles, la coexistence réelle de deux ordres juridiques devient une fiction : une Constitution l'emporte obligatoirement sur l'autre.

M. Jacques Myard. C'est vrai !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Je ne peux résister au plaisir de citer un extrait de l'intervention de Pierre Mazeaud lors de la séance du 7 mai 1992 à l'Assemblée nationale : « Nous sommes tous d'accord sur ces bancs pour considérer que la souveraineté ne peut en aucun cas se transférer et qu'elle est inaliénable et imprescriptible.

M. Jacques Myard. Bravo !

M. Nicolas Dupont-Aignan. « Les premiers constituants du 3 septembre 1791 l'avaient d'ailleurs inscrit dans l'article 1er de la Constitution, reprenant en cela les lois fondamentales du royaume. Ce qui me fait dire - et je souhaiterais que la commission des lois puisse encore réfléchir à cette question - que le peuple lui-même ne saurait aliéner la souveraineté nationale.

M. Jacques Myard. Il ne le peut pas, en effet!

M. Nicolas Dupont-Aignan. « Alors, a fortiori, ses représentants ne peuvent pas le faire ».

L'analyse du traité de Constitution confirme et aggrave même ce jugement.

Comment notre Parlement peut-il une nouvelle fois, après le précédent de Maastricht, remettre en cause le pacte fondateur de notre République traduit par l'article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958, selon lequel « la souveraineté nationale appartient au peuple » ?

Selon l'éternelle recette du « deux pas en avant, un pas en arrière », j'entends d'ici les voix de ceux qui nous disent toujours : « Dormez tranquilles ! ».

M. Jacques Myard. Bonnes gens !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Elles susurrent aux oreilles des indécis l'éternel refrain de l'abandon : « Regardez, le traité constitutionnel n'est qu'un compromis. Nous sommes loin d'une révolution ! Rien ne change vraiment ! » Cela peut paraître vrai si l'on se contente de regarder de loin les articles, mais une lecture approfondie révèle que c'est malheureusement faux, notamment pour ce qui est de l'architecture institutionnelle et des compétences.

L'architecture institutionnelle, tout d'abord, est transformée par ce traité, qui anticipe en effet une architecture fédérale.

Le principe directeur de l'Europe selon la Constitution européenne consiste en effet à favoriser systématiquement les institutions supranationales,...

M. Jacques Myard. C'est vrai !

M. Nicolas Dupont-Aignan. ...leur poids, leurs compétences et leur rôle dans le processus de décision,...

M. Jacques Myard. C'est une fuite en avant !

M. Nicolas Dupont-Aignan. ...à l'exact opposé de ce que souhaitait le général de Gaulle dans l'Europe des nations.

Le traité esquisse ainsi un système fédéral où la Commission prend de plus en plus les allures d'un gouvernement et le Parlement celles d'une assemblée réellement dépositaire d'une souveraineté, tandis que le Conseil européen tend à se transformer en une sorte de Sénat. Mais faute d'aller au bout de la logique, il n'y a pas non plus de démocratie européenne : on reste au milieu du gué.

Par ailleurs, l'extension de la majorité qualifiée renforce la tendance au point de changer la nature de l'Europe et, par contrecoup, celle des pays qui la composent.

Cœur du système, la Commission européenne, qui voit son rôle et ses prérogatives énormément accrus, conserve et renforce son monopole d'initiative, en particulier en matière budgétaire. Elle est renforcée d'un vice-président qui n'est autre que le ministre des affaires étrangères lui-même, à l'élection duquel elle participe de plein droit. Et pour la première fois dans le système européen, le ministre des affaires étrangères de la Commission présidera le Conseil des ministres correspondant. Elle est le carrefour obligé et central de tout ce qui importe dans la vie de l'Union, proposant, recommandant, vérifiant, menaçant et punissant.

M. Jacques Myard. Tout fout le camp !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Elle a le plus souvent l'avantage face au Parlement et au Conseil, obtient, aux termes de l'article 36, la création de règlements délégués lui permettant de compléter ou modifier certains éléments « non essentiels » - le sens de ce terme n'est pas précisé - de la loi ou de la loi-cadre et continue de bénéficier du vote à l'unanimité des États membres sur les amendements du Parlement qu'elle refuse : selon son intérêt, elle préfère la majorité qualifiée ou l'unanimité.

Le Parlement européen bénéficie pour sa part d'une très large extension de la procédure de codécision, très ambiguë sur le plan démocratique, renforçant son pouvoir de blocage du Conseil. Par ailleurs, ses amendements, s'ils sont acceptés par la Commission, ne doivent faire l'objet que d'un vote à la majorité qualifiée au Conseil, favorisant ainsi les hardiesses fédéralistes qu'on lui connaît. En outre, il a désormais le pouvoir de s'inviter dans la révision du traité, au titre de la « révision simplifiée ».

Enfin, le Conseil européen se fédéralise un peu plus lui aussi, contrairement aux apparences, pour une raison majeure : la règle du consensus, protection de plus en plus fragile des intérêts nationaux, cède franchement la place à la règle de la majorité qualifiée partout où la Constitution le prévoit.

Avec la Constitution, la règle de la majorité qualifiée devient la règle commune de l'Union et s'étend à de nombreuses politiques jusque-là décidées à l'unanimité des pays membres. Surtout, elle devient implicitement l'essence même de l'intérêt général européen. Cette extension ne concerne pas moins de cinquante-cinq domaines - et non pas seulement quarante - et touche désormais des matières ou des mécanismes anciennement déterminés à l'unanimité ou nouvellement introduits par le traité. Il s'agit notamment de la culture, de l'immigration - avec la disparition de la clause de sauvegarde nationale inscrite dans le traité de Schengen -, de l'ensemble de la politique de libre-échange de l'Union, de la définition de la « comitologie », qui a permis à la Commission d'imposer la levée du moratoire sur les OGM, de la définition du périmètre des services économiques d'intérêt général - adieu, les services publics en France ! -, des nouveaux règlements délégués permettant à la Commission de compléter elle-même des directives, de la politique spatiale européenne, de la politique énergétique, de l'action ou de la position de l'Union décidées dans le domaine de la politique étrangère et proposées par le ministre des affaires étrangères de l'UE dans certaines conditions. À cet égard, l'article 300, alinéa 2, mérite l'attention.

Cette liste non exhaustive illustre les nouveaux domaines - qui s'ajoutent bien entendu aux anciens - dans lesquels nos partenaires européens pourront nous imposer, sans aucune possibilité de recours, des politiques incompatibles avec le mandat que nous auront confié les Français ou tout simplement contraires.

Ainsi, le basculement insidieux mais radical dans la majorité qualifiée, à propos duquel se taisent les partisans de la Constitution, va bien plus loin que le simple accroissement de l'efficacité institutionnelle qu'ils chantent sur tous les tons : à l'évidence, il aura aussi un effet fatal sur les politiques pour lesquelles l'unanimité reste nécessaire. En effet, lorsqu'un État s'opposera à une politique exigeant l'unanimité, il est évident que les autres États pourront faire pression sur lui par l'intermédiaire des votes à la majorité qualifiée sur des dossiers essentiels.

Un dernier point du traité qui me fait dire que nous assistons à la création d'un État fédéral est le fameux partage des compétences, prétendument clarifié ; avons-nous lu la même Constitution ?

Chef-d'œuvre d'hypocrisie, l'article 12 définit les compétences « partagées » comme celles que peuvent exercer les États membres « dans la mesure où l'Union n'a pas exercé la sienne ou a décidé de cesser de l'exercer ». Étrange définition du partage, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle ne cadre guère avec celle qu'en donne tout dictionnaire de la langue française !

Notons également qu'il s'agit à chaque fois de « domaines de compétence », et non des « compétences » elles-mêmes : cette nuance un peu subtile permet de saisir le trait essentiel de la démarche, à savoir le caractère extensif des prérogatives de l'Union, encore renforcé par le caractère délibérément vague des énoncés.

Ces domaines de compétences se répartissent en deux familles principales : d'une part, les domaines de compétence exclusive et partagée, celle-ci n'étant, en réalité, nullement partagée, dans lesquels l'Union a les coudées franches pour agir, et les « domaines de compétence d'appui ou de complément », dans lesquels elle ne peut agir qu'à la marge - sur le papier du moins, car les moyens d'action détournés dont elle dispose sont en réalité nombreux, qu'il s'agisse d'invoquer le sacro-saint principe de libre concurrence ou l'objectif générique de favoriser l'émergence d'un fait européen.

À titre d'exemple, les menaces que fait déjà peser la Commission de Bruxelles sur le cinéma français sont justifiées par la prétendue nécessité de donner naissance à un cinéma transnational européen.

M. Jacques Myard. Tu parles !

M. Nicolas Dupont-Aignan. La culture figure pourtant bien parmi les compétences d'appui.

Ainsi, l'Union intervient de biais dans ces domaines, par le truchement d'autres politiques. L'industrie reste principalement de la compétence nationale ? Oui, mais, par le biais de la politique de la concurrence, qui est européenne, on peut empêcher un État de devenir actionnaire d'une société ; souvenons-nous d'Alstom ! L'éducation est nationale ? Oui, mais la Belgique s'est vu condamner pour discrimination entre nationalités parce qu'elle réservait aux étudiants belges la gratuité des études universitaires, faisant payer aux étudiants étrangers une contribution au motif qu'ils ne payaient pas l'impôt comme les nationaux. La santé reste nationale ? Oui, mais, au nom de la libre circulation des travailleurs, des directives ont imposé la reconnaissance des diplômes médicaux. La culture reste nationale ? Oui, mais cela n'a pas empêché l'Union européenne, au nom du libre accès des activités non salariées d'établir une directive dite « télévision sans frontière » - sans parler de la directive Bolkestein qui va apprendre aux Français ce qu'est la délocalisation sous toutes les latitudes et dans toutes les professions.

M. Arnaud Montebourg. C'est la directive Barroso !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Ainsi, qu'elles soient exclusives, partagées ou d'appui, les compétences de l'Union européenne couvrent à peu près l'ensemble de la vie des peuples d'Europe.

Et si, malgré tout, quelque chose échappait à la voracité sans limite de l'Union, il serait toujours possible de réparer cet oubli au titre de l'article 18 de la Constitution, qui prévoit une « clause de flexibilité ».

M. Jacques Myard. Un véritable aspirateur !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Cette clause reprend et étend un article existant des traités, le 308 TCE, à la réputation légitimement scélérate et dont la mise en œuvre a pourtant suscité - une fois n'est pas coutume - les critiques répétées de la Cour européenne de justice. Son application ne nécessiterait pas l'accord des parlements nationaux, mais leur simple information. Avec d'autres « clauses-passerelles » dont elle est l'emblème et le fer de lance, la clause de flexibilité doit permettre d'étendre presque sans fin le périmètre d'action de l'Union. Qu'elle soit mise en œuvre à la suite d'un vote unanime du Conseil européen ne représente qu'une garantie très fragile, comme on l'a dit tout à l'heure.

Ainsi, pour les compétences exclusives et, bientôt, pour les compétences partagées, les États membres seraient réduits au statut de circonscriptions administratives déconcentrées, à l'instar des arrondissements français par rapport à l'État. Ce n'est qu'au titre des domaines de compétence d'appui et de coordination qu'on pourrait assimiler les États membres à des collectivités locales. Quant à la souveraineté, elle se cantonnerait désormais dans la rubrique introuvable des compétences exclusives des États membres.

Face à une telle dépossession des prérogatives des États nations, on aurait été en droit d'attendre à tout le moins que la Constitution invente de réels mécanismes de rééquilibrage démocratique au profit des citoyens et de leurs représentants.

M. Jacques Myard. C'est foutu !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Hélas, la démocratie en toc de la Constitution n'est qu'un trompe l'œil. En effet, en matière de résorption du fameux déficit démocratique, l'Europe de la Constitution est comme jamais celle du Désert des Tartares !

M. Jean-Pierre Brard. Vous voulez dire le désert des Tatars !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Le droit de pétition est une mauvaise farce : comme son nom l'indique, il ne s'agit que d'un droit de supplique que la Commission européenne ne sera pas tenue de prendre en compte, et dont les mécanismes de mise en œuvre, qui sont complexes, ne seront même pas connus dans le détail avant une éventuelle ratification.

M. Arnaud Montebourg. Tout à fait exact !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Par ailleurs, la Commission a déjà fait la démonstration qu'elle se moquait éperdument de l'avis, même majoritaire, des citoyens de l'Union, par exemple en décidant juste avant les élections européennes de juin dernier de lever unilatéralement le moratoire sur les OGM. En fait, cette disposition a un double objectif : faire croire que la Constitution va contribuer à la démocratisation de l'Union ; concourir à la création d'une « opinion publique européenne » artificielle en encourageant des citoyens de plusieurs pays à s'associer pour adresser leurs réclamations à la Commission.

À propos de cet inepte « droit de pétition », certains sont allés jusqu'à dire que l'Europe avait brillamment innové au moment où les États restent incapables de résoudre leur mal-être démocratique. Il serait plus juste, mes chers collègues, de dire qu'aucune démocratie au monde n'a eu jusqu'à présent le front de ressusciter les cahiers de doléances de l'Ancien régime qui au moins, s'adressaient à un souverain dans lequel ses sujets se reconnaissaient a priori, jusqu'à une certaine révolution du moins.

M. Jean-Pierre Brard. Ils s'y reconnaissaient tellement qu'ils lui ont coupé la tête !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Je suis scandalisé quand je lis, dans Le Figaro de ce matin, qu'un ancien ministre comme Jack Lang voit dans cet attrape-nigaud un référendum d'initiative populaire. Comment une simple adresse à la Commission pourrait-elle avoir l'impact d'un référendum ?

M. Jacques Myard. M. Lang est bien le seul à partager ses conceptions !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Ce « droit de pétition » est une telle insulte au bon sens et la dignité des citoyens français, à la raison démocratique tout simplement, qu'il ne mérite pas qu'on s'y appesantisse.

En revanche le contrôle tant vanté du respect du principe de subsidiarité par les parlements nationaux est un piège beaucoup plus subtil. Que n'a-t-on entendu au sujet de ce contrôle parlementaire de la subsidiarité, en particulier dans ces murs ?

M. Jacques Myard. Il n'y en a pas !

M. Nicolas Dupont-Aignan. À en croire ses thuriféraires, il s'agirait d'une « mini-révolution » qui permettrait de faire entendre efficacement la voix des représentants des peuples à Bruxelles.

Rappelons à ce propos les termes de la problématique, tels qu'ils avaient été brillamment exposés par Alain Peyrefitte ici même il y a douze ans à l'occasion du traité de Maastricht, puisque nous sommes toujours dans la même logique de dépossession de la souveraineté populaire : « Le traité s'appuie sur le principe de subsidiarité, qu'on nous présente comme une substitution bénigne au système fédéral. Ce principe n'a jamais existé en droit public ni en droit international. C'est un principe ecclésiastique. Il a été formulé par Saint Thomas d'Aquin pour définir l'organisation de l'Église catholique romaine : l'échelon supérieur traite des questions pour lesquelles l'échelon inférieur n'est pas compétent. Mais qui décide en cas de conflit ? C'est l'échelon supérieur ! La subsidiarité, concluait M. Peyrefitte, est une forme très autoritaire de fédéralisme.

M. Jacques Myard. C'est la même chose ici !

M. Nicolas Dupont-Aignan. « On a supprimé, ajoutait-il, à la demande des Anglais, le mot « fédéral » - déjà ! - qui inquiétait certains, dont nous sommes, mais on dit la même chose, en pire, par ce bizarre néologisme ecclésiastique. La subsidiarité n'est que le camouflage d'un fédéralisme aggravé et qui n'ose pas dire son nom. Les États nationaux sont subordonnés au ″ super-État ″ supranational. Alors que le premier principe du système fédéral en démocratie est de limiter les compétences du fédéral, c'est l'inverse qui se produit d'ores et déjà. Et qui décidera de la répartition des compétences ? La Cour de justice de Luxembourg, qui n'a cessé d'empiéter sur les compétences des États membres. ».

M. Jacques Myard. Le peuple ne l'acceptera pas !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Depuis, mes chers collègues, les événements ont donné raison à Alain Peyrefitte, la Commission s'arrogeant le pouvoir souverain d'étendre elle-même ses prérogatives. Et il n'est pas démenti non plus par l'instauration du droit d'alerte précoce, puisque, ainsi que le démontre l'excellent rapport de nos collègues Quentin et Lambert, l'avis prévu dans le cadre de ce mécanisme n'est pas contraignant pour la Commission, qui est simplement obligée de réexaminer son texte, en aucun cas de l'amender ou de le retirer. Je ne veux pas être trop long, monsieur le ministre,...

M. Jacques Myard. Mais si, c'est très bon, continuez ! Il vaut mieux se répéter que se contredire !

M. Nicolas Dupont-Aignan. ...mais on peut adresser le même reproche à la procédure du « carton rouge », c'est-à-dire la prétendue possibilité pour les États membres de former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne, qui n'a jusqu'ici jamais osé exercer un gouvernement des juges, mais qui pourrait le faire à l'avenir.

J'en viens à ce qui est peut-être le plus important, à savoir les conséquences politiques de cette Constitution du point de vue démocratique.

Que ceux qui soutiennent cette Constitution au moins le reconnaissent : attributs ordinaires, symboliques ou non, de la souveraineté étatique, architecture institutionnelle encore plus fédéraliste, généralisation de la majorité qualifiée, compétences extensives et à sens unique, mécanismes de contrôle démocratique en carton-pâte, cette Constitution européenne n'est pas un simple habillage des traités précédents. Vous qui êtes favorables à cette Constitution, reconnaissez donc sa réalité et sa portée ; assumez-en les conséquences devant les Français en la revendiquant intégralement.

La démarche consistant à effectuer deux pas en avant et un pas en arrière pourrait en effet faire croire aux observateurs les moins attentifs qu'en fin de compte les fédéralistes ont mis de l'eau dans leur vin et que nous devrions accepter ce qui serait une forme de compromis. Mais de compromis en compromis, de révision en révision, le système a basculé. Il suffit dorénavant de placer un poids modeste - or ce qu'on nous propose n'est pas modeste - mais décisif sur un plateau de la balance pour la faire pencher d'un côté. Certes, le traité constitutionnel n'est pas en lui-même une révolution ; mais en aggravant le poids de la supranationalité, il produira une révolution de notre ordre juridique, et donc de notre démocratie. Acte unique, traité de Maastricht, traité d'Amsterdam, traité de Nice : à ne voir que ce qui change à chacune de ces étapes, nous risquons de perdre de vue ce que devient le système dans son ensemble. Or la Constitution une fois votée, il ne sera plus possible de revenir en arrière, à moins de mettre en œuvre une procédure exorbitante de retrait ou de provoquer une crise majeure dont personne ne veut.

M. Jacques Myard. Et pourtant, elle arrive !

M. Nicolas Dupont-Aignan. La souveraineté nationale aura perdu sa substance au bénéfice - et c'est le plus grave - d'une souveraineté européenne fictive. Entre ces deux pôles, se creusera, phénomène sans précédent, un vide institutionnel et démocratique vertigineux. Nous y reviendrons.

Mais il y a peut-être plus grave encore. En effet, cette Constitution ne se contente pas de faire insidieusement basculer le système de l'« intergouvernemental » au « supranational » : il préjuge des politiques qui seront menées demain au niveau européen, remettant en cause non seulement la liberté des nations de mener les politiques qu'elles souhaitent, mais aussi la liberté des Européens de définir les orientations de l'Union. C'est pourquoi cette Constitution, qui est inacceptable pour un gaulliste, devrait l'être tout autant pour tout fédéraliste sincèrement attaché à l'émergence d'une Europe démocratique.

Mais, chers collègues, les méthodes employées par les Européistes idéologues pour marginaliser les défenseurs d'une certaine idée de l'Europe, celle des coopérations au service des nations,...

M. Jean-Pierre Brard. Des noms !

M. Jacques Myard. Ils se reconnaîtront !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Libre à chacun de penser à qui il veut !

...ces méthodes, dis-je, se retournent aujourd'hui contre les avocats sincères du fédéralisme démocratique qui croient - et je respecte cette conception - que l'on peut bâtir une nation européenne sans forcer la main aux peuples.

M. Arnaud Montebourg. Hugo !

M. Jacques Myard. Il est mort !

M. Arnaud Montebourg. Il est bien vivant !

M. Jacques Myard. Non : c'est sa deuxième mort !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Ceux qui défendent l'Europe sociale, ceux qui n'estiment pas utile de faire entrer un pays d'Asie, comme la Turquie, dans l'Union, sont désormais victimes de la même excommunication que nous. Le mot d'ordre venu d'en haut est toujours le même, et on peut le résumer ainsi : avant, il est trop tôt pour en parler ; après, il est trop tard ! Concentrez-vous sur la pièce du puzzle que nous vous demandons d'approuver, et surtout ne prenez pas de recul pour tenter de comprendre le tableau d'ensemble.

Un jour probablement, que le peuple français réagisse comme je le souhaite en juin prochain, ou que, par malheur, il ne le fasse pas - l'histoire le dira -, des historiens se demanderont pourquoi, en ce début du xxie siècle, les élites d'un grand pays comme la France ont démissionné...

M. Jacques Myard. La trahison des clercs !

M. Nicolas Dupont-Aignan. ...et, par peur d'assumer leur responsabilité, ont, dans un délai très bref à l'échelle de l'histoire, voulu abandonner leur pouvoir à une organisation supérieure, de nature bureaucratique de surcroît. Ils s'interrogeront sur la contradiction entre la volonté de transférer des compétences pour peser prétendument davantage à plusieurs, et l'oubli concomitant de donner une orientation à l'œuvre commune qu'ils sont censés bâtir. À quoi bon, en effet, monter sur un paquebot pour échapper à la tempête, si son cap est verrouillé sur un banc de récifs ? L'histoire nous a pourtant fourni maints exemples de ces navires réputés insubmersibles qui ont fini au fond de l'océan !

En réalité, le paradoxe n'est qu'apparent : la dépossession de la souveraineté nationale comme l'abandon du projet européen participent de la même peur de gouverner, de la même incapacité à penser les changements du monde qui nous entoure et à définir un véritable projet pour notre pays. Tel est finalement, et depuis bien longtemps, le mal français : l'idée que nous ne sommes plus capables de peser sur le cours de l'histoire.

M. Jacques Myard. Idée fausse !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Il est tellement plus aisé de fuir ses responsabilités en ne conservant que l'apparence du pouvoir, de se mirer dans le miroir que tendent des médias plus ou moins complaisants, et de se réfugier dans les bons sentiments des sommets internationaux. Comme lors de la ratification du traité de Maastricht, une certaine droite et une certaine gauche font bloc - elles viennent d'ailleurs de nous en donner un bel exemple. Dans leur esprit, le référendum a vocation à leur délivrer un ultime blanc-seing qui leur permettra de reprendre leurs vains jeux politiques tout en sauvant les apparences. Seulement, pour reprendre la formule de Philippe Séguin, à force de voir les deux épiceries s'approvisionner chez le même grossiste, les citoyens se lassent.

Les historiens pourraient trouver matière à s'amuser, si le sujet n'était malheureusement dramatique, en parcourant le florilège des déclarations des avocats du oui, dont certains parlent du peuple comme n'osaient pas le faire au xixe siècle les défenseurs du suffrage censitaire : selon eux, il faudrait faire preuve de « pédagogie » à l'endroit du bon peuple, incapable d'accepter qu'en vingt ans on jette par-dessus bord mille ans d'histoire et de valeurs partagées.

M. Jacques Myard. Il faut changer de peuple !

M. Jean-Pierre Brard. M. Myard citer Brecht ! On aura tout vu !

M. Nicolas Dupont-Aignan. En vérité, il ne nous reste plus qu'à inventer le référendum à réponse unique. La démarche est toujours la même : comme pour le Traité de Maastricht, on relativise l'importance du traité - dormez tranquilles, bonnes gens - puis on caricature ses adversaires - de dangereux fanatiques -, et enfin on dramatise les conséquences d'un éventuel rejet

M. Jacques Myard. Le chaos !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Il y a là d'ailleurs une contradiction majeure dans les arguments des partisans du oui : comment peuvent-ils en même temps minimiser le contenu et la portée du traité constitutionnel et dramatiser à outrance son éventuel rejet ?

Malheureusement, comme nous l'avons vu, ce texte n'est pas sans importance et son adoption aurait des conséquences dramatiques tant pour la France que pour l'Europe. Car, et nos concitoyens s'en rendront compte un jour que j'espère proche, si elle dépossède les Français de la maîtrise de leur destin, la Constitution européenne ne sert pas l'Europe pour autant. Je veux citer à ce propos Pierre Mendès France : « On parle souvent de choix, j'ai fait le mien, je choisis l'Europe, mais je veux les conditions de son succès, qui sont aussi les conditions du renouveau de la France ». Comment imaginer une Europe qui puisse réussir sur les décombres des nations, au prix du reniement plus ou moins contraint des peuples qui la composent ?

N'en déplaise à certains, nous n'ignorons pas les évolutions du monde : l'émergence de la Chine, de l'Inde, du Brésil, la puissance des États-Unis, les ruptures démographiques, les mutations technologiques sont autant notre quotidien que le vôtre.

L'enjeu du xxie siècle réside bien dans notre capacité à additionner les forces des États européens pour relever les défis du temps. Mais prenons garde à ne pas au contraire les neutraliser au contraire par une Constitution qui désarme les nations sans construire une véritable Europe-puissance. C'est toute la problématique d'aujourd'hui.

C'est justement parce que l'Europe est parvenue à maturité qu'il est enfin possible de se prononcer sur son organisation, son fonctionnement et ses missions.

Depuis dix ans que l'on voit monter la colère des Français, s'aggraver la perte des repères, s'affirmer un individualisme forcené, on ne peut manquer de s'interroger sur la déresponsabilisation générale qui mine notre démocratie. En attribuer l'origine exclusive à la construction européenne serait bien sûr malhonnête. Mais la confusion qui règne aujourd'hui entre l'échelon européen et le niveau national, que cette Constitution aggravera encore, de même que l'absence de projets, à ces deux niveaux, ne sont pas pour rien dans les difficultés du moment.

Le chantage permanent : « le traité ou le chaos », ne passe plus car, depuis Maastricht, les Français ont bien perçu le profond décalage entre les promesses et la réalité. Ils pressentent qu'il faut édifier une autre Europe.

C'est justement parce que nous aimons l'Europe, c'est-à-dire les nations européennes qui la composent, comme nous aimons la France, sa république, sa civilisation, que nous ne voulons pas de n'importe quelle Europe.

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne. Nous non plus !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Le choix est simple : l'Europe tremplin ou l'Europe tombeau. L'Europe tremplin, c'est l'union des nations, qui n'a de sens que s'il en résulte pour chacune d'entre elles une plus grande liberté et une plus grande puissance que la liberté et la puissance dont elles disposaient auparavant. L'Europe tombeau est celle qui, frustrant les nations à force de tout raboter et uniformiser, fait échouer l'œuvre commune.

Malheureusement cette Constitution, qui nous fait basculer dans un fédéralisme autoritaire, nous conduit tout droit à l'Europe tombeau, faute de répondre aux trois questions essentielles que se posent non seulement les Français, mais les Européens sur l'Europe d'aujourd'hui : avec qui faire l'Europe ? Comment faire l'Europe ? Pourquoi faire l'Europe ? Permettez-moi de développer ces trois points.

Il s'agit tout d'abord de savoir avec qui faire l'Europe. Aujourd'hui le choix est simple, entre l'Europe sans frontières du traité constitutionnel et l'Europe européenne que nous souhaitons.

Le traité constitutionnel n'aurait rien à voir avec l'adhésion programmée de la Turquie à l'Union européenne. C'est en tout cas ce que martèlent ses partisans, à tel point qu'on en vient à se demander s'ils ne cherchent pas d'abord à s'en convaincre eux-mêmes. À les en croire, il ne s'agirait que d'un malencontreux télescopage de calendrier.

En réalité, comme le pressentent à juste titre de plus en plus de Français, le lien entre les deux questions est fondamental, et tout d'abord pour une raison simple : la Constitution européenne n'est rien d'autre que le contrat de mariage qui liera entre elles les nations d'Europe. Or comment prétendre inviter nos concitoyens à parapher un contrat de mariage en leur enjoignant de ne surtout pas se demander avec qui ils le signent ? C'est se moquer du monde : chacun sait que quand on se marie, on se soucie bien plus du conjoint que du code civil ! Or le conjoint est turc. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Godfrain. Mais non !

M. Nicolas Dupont-Aignan. « Mais cette adhésion n'est pas certaine », nous répondra-t-on. Au contraire, deuxième secret de polichinelle, il est bien évident qu'il ne sera pas possible de dire non après une décennie de négociation avec Ankara : la crise qui s'ouvrirait alors avec la Turquie serait trop grave pour que quiconque en prenne le risque. Comme le dit joliment Robert Badinter, on ne dit pas non devant M. le maire après dix ans de fiançailles.

M. Arnaud Montebourg. Pourtant, ça s'est déjà vu !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Ajoutons qu'on nous dira dans dix ans qu'il serait suicidaire pour la France de bloquer solitairement l'adhésion turque dans le cadre de la Constitution, cette dernière faisant dépendre la plupart de nos lois du bon vouloir de la majorité qualifiée de nos partenaires.

Mme Anne-Marie Comparini. Ce serait très dangereux !

M. Nicolas Dupont-Aignan. C'est donc seulement en juin prochain, en refusant de signer la Constitution, que les Français auront la dernière chance d'empêcher le mariage forcé avec la Turquie. Après, il sera définitivement trop tard. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

« Mais vous allez sacrifier le traité constitutionnel pour une question qui n'a rien à voir avec lui ! », me direz-vous. Serait-ce vraiment le cas ? À lire la Constitution, on a au contraire le sentiment que celle-ci est non seulement l'instrument de l'adhésion turque mais encore, plus fondamentalement, son complice.

Tout d'abord, la Constitution ouvre la voie à l'intégration turque là où le traité de Nice l'empêchait. En effet, ce dernier attribue nominativement, sans mentionner la Turquie, la part de pouvoir de chaque État membre au sein des instances intergouvernementales de l'Union. En pratique, le refus de la Constitution permettrait de geler juridiquement cette intégration jusqu'à ce qu'un nouveau traité, délimitant celui-là les frontières de l'Europe, soit négocié sous le regard vigilant des peuples.

Plus grave, l'adhésion de la Turquie, qui est en soi nocive pour l'Europe, deviendrait franchement dangereuse avec le traité constitutionnel. D'abord, ce pays, bien que le moins européen de l'Union, en deviendrait le plus puissant parce que le plus peuplé - 100 millions d'habitants à l'horizon 2025 -, en vertu de la double majorité. Ensuite, l'influence prépondérante de la Turquie se ferait sentir dans les cinquante-cinq nouveaux domaines de compétences, dont l'immigration, auxquels le traité constitutionnel étend la majorité qualifiée. Alain Madelin disait récemment : « Je veux bien la Constitution, je veux bien la Turquie, mais je ne peux accepter les deux en même temps ».

Ainsi, non seulement le traité constitutionnel permet l'intégration turque mais, de surcroît, il en aggrave l'impact. Il n'y a là aucun hasard, puisque la Turquie a participé à l'élaboration du projet de Constitution et l'a signé en octobre dernier à Rome, comme si elle était déjà membre à part entière de l'Union. Plus généralement, la complicité de la Constitution avec l'adhésion turque n'est pas fortuite dans la mesure où l'Europe qu'organise le traité constitutionnel est exactement la même, mais dans une version aggravée, que celle qui a d'ores et déjà conduit à l'ouverture des fatales négociations.

Comment dès lors plaider pour une Constitution fédéraliste, qui définit l'intérêt supérieur de l'Europe comme la volonté majoritaire, et non plus unanime, de ses États membres, et refuser en même temps une adhésion turque pourtant voulue par vingt-trois de nos vingt-quatre partenaires européens ? Pour la clarté et la sincérité du débat référendaire, il y a là une contradiction essentielle sur laquelle des explications devront être données aux Français.

En somme, le oui condamne l'Europe là où le non lui offre sa dernière chance de sursaut.

En niant la question des frontières, les technocrates ont sous-estimé l'attachement de nos compatriotes à leur civilisation. Les Français sont prêts à entendre beaucoup de promesses contradictoires mais vous aurez du mal, qu'ils soient favorables ou hostiles à la Constitution, à leur faire croire qu'on peut étendre indéfiniment l'Union sans en changer la nature.

Au-delà de cette première question - avec qui bâtir l'Europe ? - à laquelle le traité de Constitution répond à côté, s'en pose une autre tout aussi décisive : comment la bâtir ? De force ou avec le consentement des peuples et leur adhésion franche et massive ? L'objet même de la Convention était d'ailleurs, souvenons-nous, de réduire le fossé démocratique entre Bruxelles et les citoyens.

Censé y remédier, le traité constitutionnel ne pourra qu'aggraver le mal puisqu'il ne s'attaque pas à ses racines. Pire : il creuse le trou qu'il devait combler.

En effet, comme nous l'avons souligné, trois engrenages -l'extension de la majorité qualifiée, les élargissements successifs et la boulimie de compétences - vident peu à peu de leur substance les démocraties nationales. Comme aucune démocratie européenne réelle ne compense ce vide, la perte de repères de nos concitoyens ne peut que s'accentuer.

Pour le général de Gaulle, « la démocratie se confond exactement avec la souveraineté nationale ». Or, avec la Constitution, un gouvernement, élu sur un programme, pourra être mis en minorité et sera donc incapable de l'appliquer sur des sujets essentiels tant au Conseil qu'au Parlement européen.

M. Jacques Myard. Il devra claquer la porte !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Il ne s'agit pas d'une imprécation, mais bien d'une réalité. Aujourd'hui, à la différence du débat de 1992 sur Maastricht, nous avons le recul de l'expérience.

Ce qui est arrivé sur tant de sujets économiques arrivera demain pour des questions vitales de sécurité intérieure et même de politique étrangère dans certains cas. Le Conseil constitutionnel le reconnaît d'ailleurs puisqu'il recense tous les domaines où la souveraineté nationale est mise en cause.

Imaginons un instant la position du gouvernement français et la réaction du peuple quand une loi européenne sur l'immigration sera adoptée avec l'appui de la Turquie mais contre l'avis de la France.

M. Jacques Myard. Eh oui !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Quelle ineptie de vouloir créer une politique de l'immigration s'appliquant uniformément à vingt-cinq pays aux traditions d'accueil si différentes, qui reflètent leurs valeurs profondes et singulières, et aux taux de natalité si radicalement dissemblables ? Comment ignorer, sur ce dernier point, que les besoins moyens de main d'œuvre extérieure, calculés à l'échelle de l'Union, feront fi des différents contextes démographiques des pays membres et n'empêcheront pas les immigrants d'aller dans le pays le plus attractif de la zone.

L'adhésion programmée de la Turquie, qui suscite tant l'indignation de nos compatriotes, résulte d'ailleurs de l'application grandeur nature du système de décision antidémocratique européen, système qu'aggravera et consacrera la Constitution. En effet, pourquoi ne pas avoir usé du veto contre l'ouverture des négociations avec Ankara alors que seule cette porte de sortie aurait permis d'éviter tout lien avec la Constitution ?

Notre pays est sans doute celui qui est le plus inconscient des lendemains qui lui sont réservés.

Cela tient tout d'abord à la méconnaissance de l'état d'esprit des dix pays qui nous ont rejoints. Si l'on croit que ces pays adhèrent à l'Europe-puissance et à l'Europe sociale dont on rêve, on se trompe lourdement.

Cela tient ensuite et surtout au double langage des autorités françaises qui, depuis vingt ans, ont fait croire à nos compatriotes que tout était conciliable : l'ouverture à tous vents sans la réforme de l'État-providence, la perte de la souveraineté nationale et la préservation de notre spécificité, l'élargissement et le maintien de la puissance relative de la France à l'intérieur de l'Union.

Même les socialistes européens ne croient pas un instant à l'Europe sociale des Français.

M. Jacques Floch. Ils la respectent !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Une Europe sociale que la Constitution n'envisage que du bout des lèvres, citant une fois le seul objectif vague du plein-emploi contre vingt-sept mentions, en bonne place, du principe d'une « concurrence libre et non faussée ».

Quant à l'instant de vérité sur l'Irak, il a démontré combien l'Union européenne a tendance à s'aligner sur les positions américaines. Je ne reviendrai pas sur les déclarations de M. Solana au pire moment de la crise.

C'est d'autant plus vrai que la Constitution, dans son article 41, soumet la future politique étrangère de l'Union aux orientations décidées par l'OTAN. Contre l'évidence, les partisans du traité affirment qu'il n'y a aucun danger pour notre diplomatie. Mais pourquoi alors avoir supprimé dans la Constitution l'objectif d'une politique étrangère au service de l'indépendance de l'Europe, objectif qui figurait pourtant dans le traité de Nice et dans tous les traités précédents ?

M. Jacques Myard. L'OTAN règne en maître !

M. Nicolas Dupont-Aignan. En réalité, les partisans de la Constitution s'imaginent ou font mine de s'imaginer que l'émergence d'une opinion publique européenne effacera, comme par magie et au mieux des intérêts français, les réalités géopolitiques européennes.

Souvenons-nous aussi des diatribes sur l'Europe des bureaux visant à s'exonérer de l'application du pacte de stabilité, alors même que l'on concédait des abandons plus grands dans le nouveau projet de traité constitutionnel.

Ce double langage sur l'Europe est déresponsabilisant. Loin de favoriser l'engagement européen de la France, il nous place devant nos partenaires en position de faiblesse, laissant croire à notre incapacité d'honorer nos engagements. Il n'est pas digne de l'histoire de notre pays. Et ce n'est qu'un apparent paradoxe d'avoir vu le général de Gaulle, si attentif à défendre l'indépendance de notre pays, réussir davantage à respecter les engagements du traité de Rome qu'une IVè République pourtant eurobéate.

Voici la preuve, s'il en était besoin, que ce n'est pas en pratiquant le grand écart que l'on sert et la France et l'Europe.

Pour nos compatriotes, le réveil sera donc douloureux. Prévenez-les, au moins ! Si le Parlement européen bloque les crédits de la PAC, si la directive Bolkestein sur les services - prime sans précédent aux délocalisations - est adoptée, si les négociations internationales commerciales dérapent, si les services publics sont condamnés, si la loi sur la laïcité est censurée, que leur dira-t-on ?

M. Jacques Myard. J'étais empereur, on m'a fait patron de galère !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Que ferons-nous quand le ministre des affaires étrangères de l'Union sommera la France de défendre une position qu'elle ne partage pas à l'ONU ?

Que ferons-nous lorsque, la Constitution européenne faisant passer la culture à la majorité qualifiée là où Nice la maintenait à l'unanimité, nos partenaires nous imposeront le démantèlement du système de soutien au cinéma français ? Que ferons-nous lorsque les services en France seront soumis au principe du pays d'origine ?

M. Jean-Pierre Brard. Nous brandirons nos fourches pour embrocher Bolkestein !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Ayons donc tous l'honnêteté de reconnaître avec Hubert Védrine que « sur la PAC, les politiques d'exception et de diversité culturelle, sur les services publics, sur le statut de la langue française dans l'Union, sur une politique étrangère vraiment européenne, sur le concept d'une Europe-puissance, sans même parler de la réforme des institutions, pour ne citer que les grands sujets, et même si nos positions évoluent, nous ne sommes pas majoritaires dans l'Europe à quinze, encore moins dans celle à vingt-cinq. »

M. Jacques Myard. Décidément, c'est foutu !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Mais les partisans de la Constitution nous assènent aujourd'hui un argument magique, selon lequel ce traité serait bon pour la France car celle-ci l'aurait largement inspiré. Curieux jugement lorsqu'on considère les défaites essuyées par notre diplomatie, notamment dans le déséquilibre entre la France et l'Allemagne en termes de sièges.

En effet, d'un « point de vue national », après avoir perdu à Nice sur le tableau du Parlement européen - ce qui peut être compris dans la mesure où celui-ci peut légitimement représenter la population des États -, nous aurions à nous satisfaire des pondérations au Conseil. Autant dire que nous devrions nous réjouir d'avoir perdu avec l'Espagne et la Pologne plutôt que d'avoir gagné avec l'Allemagne ! Et si l'Europe de la Constitution signe une aussi grande victoire diplomatique pour la France, qu'aurait été, que sera demain, une vraie défaite diplomatique de la France en Europe ?

On nous parle d'un traité préservant nos intérêts alors que les garanties concédées en matière d'exception culturelle sont très en retrait par rapport à celles obtenues par l'Angleterre sur l'Europe sociale ou l'Allemagne. La France devrait établir la preuve que ses intérêts en la matière sont menacés pour obtenir un vote à l'unanimité et, en cas de désaccord bien prévisible avec la Commission et nos partenaires européens, ce sera à la Cour européenne de justice de décider !

Que dirons-nous donc aux Français lorsque, après avoir ratifié un mauvais traité, nous en subirons toutes les mauvaises conséquences ?

Alors, je le devine déjà, on nous dira : « mais pourquoi avez-vous approuvé la Constitution européenne » ? On nous répliquera qu'il ne faut pas raisonner au niveau de cette nouvelle région qu'est devenue la France, mais à l'échelon européen où désormais la souveraineté s'exerce et finalement s'exprime.

Malheureusement, pour que cette souveraineté s'exprime, encore faudrait-il qu'il existe un peuple européen, une nation européenne, une conscience européenne. Mais en réalité - et là est le cœur du problème -, cette « conscience européenne » est-elle vraiment autre chose que le sentiment d'appartenance à la communauté universelle des hommes ?

M. Jacques Floch. Elle se construit !

M. Jacques Myard. Elle dégringole !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Les sondages publiés par la Commission européenne elle-même sont sur ce point sans équivoque. À la question : « Dans un futur proche, vous voyez-vous : 1) uniquement national de votre pays ; 2) national d'abord, européen ensuite ; 3) européen d'abord et national ensuite ; 4) européen uniquement ? », 80 % à 90 % des personnes interrogées et ce, dans l'ensemble des pays membres, se sentent « national d'abord ou uniquement ».

Pourtant, et curieusement, lorsqu'on les interroge, les fédéralistes opposent une réponse imparable, tout au moins en apparence : « Cette conscience existe, elle est à ses débuts, il faut lui laisser le temps et la faire naître au forceps pour lui permettre de s'accomplir », à n'importe quel prix et au mépris total de la réalité tangible des faits.

Malgré son efficacité rhétorique, le credo européiste n'est pourtant qu'un leurre spécieux. En effet, l'Europe intégrée n'en demeure pas moins un trou noir car aucune conscience politique « européenne » n'arrive à se dégager.

M. Gérard Léonard. C'est faux !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Et le paravent d'institutions communes et contraignantes ne peut remplacer une authentique aspiration politique, ce « vouloir-vivre ensemble » cher à Renan. L'architecte fédéral de la Constitution postule que l'Union est porteuse d'une légitimité propre supérieure à celle des États, qui découlerait de l'existence d'un « peuple européen ».

Inconscient de la faiblesse démocratique de l'échafaudage, on met aujourd'hui en avant le Parlement européen. Mais sincèrement, peut-on croire un instant que les élections européennes, où l'abstention est considérable et dont le mode de scrutin est proportionnel, puissent légitimer l'orientation d'un continent avec des telles institutions ?

Un fédéralisme équilibré, pourquoi pas ? Mais un fédéralisme bancal comme celui de la Constitution, certainement pas.

M. François Bayrou. Si vous êtes d'accord pour un fédéralisme équilibré, on a déjà fait un pas en avant !

M. Nicolas Dupont-Aignan. L'absence de vie politique européenne en est la preuve vivante. Le Parlement européen n'exprimera pas avant plusieurs décennies une réelle volonté générale européenne car l'Europe n'est pas une nation. Comment d'ailleurs cette volonté de vivre ensemble pourrait-elle donner lieu à un débat politique européen, compte tenu de la barrière des langues, des valeurs hétérogènes qu'elles véhiculent souvent, des cultures et des intérêts ?

Le vide démocratique qui existe déjà et qui ira en s'amplifiant aura des conséquences dramatiques sur la vie des peuples et sur l'Europe elle-même, car les décisions seront quand même prises.

Nous en avons déjà l'exemple dans le domaine économique et monétaire, en particulier avec le pouvoir sans précédent de la Banque centrale. Quand nous l'avions dénoncé au moment du traité de Maastricht, on nous avait ri au nez. On a vu les résultats : surévaluation de l'euro, taux d'intérêt, irresponsabilité de son président, M. Trichet.

Nous reviendrons à une sorte d'Europe de l'Ancien Régime, fédération de régions sans contrepoids démocratique, addition de tribus, en un mot, tout le contraire du modèle français bâti avec constance par nos rois successifs puis par la République. La Constitution renforce cette dérive.

Certains pays d'Europe centrale y trouveront sans doute de quoi apaiser leur nostalgie pour les délices de l'empire austro-hongrois. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Mais la France serait davantage inspirée de défendre une autre idée de la République. Je doute que l'Angleterre accepte même de mettre le petit doigt dans cet engrenage.

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne. Elle a participé à la Convention !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Je crains que la France, par faiblesse et lâcheté, comme souvent dans son histoire, ne cède aux sirènes du renoncement pour finalement découvrir sa perte de liberté et se cabrer dans la douleur.

Notre histoire fourmille de tristes précédents où la souveraineté limitée fut érigée en remède miracle. Mais tout dépendra du mois de juin, nous y reviendrons.

Il reste que c'est sans doute notre pays qui vit aujourd'hui et qui vivra demain le plus intensément, le plus douloureusement cette impasse démocratique. Nulle surprise à cela puisque notre nation est bien une exception politique. Et si, depuis deux décennies, l'une des explications du malaise politique que nous vivons tenait justement à cette obligation de se conformer à des politiques qui lui échappent et ne lui correspondent pas ? Le tort des élites est d'avoir cru et de croire encore que l'on pouvait mener un peuple là où il ne veut pas aller par personnes interposées, d'inviter nos concitoyens dans nos querelles nationales. On sait où cela commence, on sait rarement où cela finit.

Si, depuis 1978, toutes les majorités ont perdu les élections, si l'abstention et les extrêmes sont si hauts, c'est bien parce que notre démocratie est malade,...

M. Jacques Myard. Elle est morte !

M. Nicolas Dupont-Aignan. ...malade de ce double jeu permanent qui accuse souvent, d'ailleurs à tort, l'Europe,...

M. François Bayrou. C'est vrai !

M. Nicolas Dupont-Aignan. ...qui prend son inspiration dans l'éternelle complainte de ceux qui ont démissionné : on ne peut pas faire autrement, il faut s'adapter, nos partenaires l'ont bien fait, la France est trop petite. Trop petite, la France ? Peut-être, mais plus encore depuis qu'elle a accompli une marche forcée vers l'euro qui l'a laissée exsangue (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et lui a fait échanger sa quatrième place de puissance économique mondiale avec la Grande-Bretagne, même si l'euro, bien sûr, n'est pas responsable de tous ces aspects.

M. François Bayrou. Très bien !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Le paradoxe est d'ailleurs que cette politique, cette absence de politique, tant au niveau national qu'européen, dite d'adaptation permanente, n'a abouti qu'au laxisme : pour acheter le silence d'un peuple mécontent, il a fallu toujours dépenser plus en subsides sociaux et en dette, ce qui montre à quel point cette fuite en avant était illusoire.

Toute l'histoire de la France prouve que ce n'est pas ainsi qu'on peut réussir. La France fut forte quand son peuple était libre. Les Français étaient prêts à l'effort quand ils partageaient une ambition qui peut, bien évidemment, avoir un aspect européen, parce que nous ne sommes pas seuls. Il n'est d'ailleurs pas étonnant qu'une très large majorité d'entre eux aient suivi le Président de la République quand il a pris position sur l'Irak. De Jeanne d'Arc au général de Gaulle, en passant par Richelieu, Gambetta ou Clemenceau, je ne connais pas d'exemple d'un pays capable de se relever dans la dépendance extérieure et dans l'oubli de ses intérêts.

Cela n'implique pas, bien sûr, un refus de l'Europe, mais, au contraire, une juste articulation entre le projet national et l'ambition européenne.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. François Bayrou. C'est exactement le fédéralisme !

M. Jacques Myard. Non !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Pour que chaque nation puisse être à l'aise dans l'Union européenne, il faut la bâtir différemment et faire en sorte qu'elle soit suffisamment souple pour laisser vivre la nation.

Le choix n'est pas entre l'Europe supranationale et le repli sur soi. Le repli sur soi n'a pas de sens et aucun pays ne pourrait se hisser sans participer à des coopérations.

L'Europe supranationale n'a pas d'avenir car, contrairement à ce que l'on veut nous faire croire, la souveraineté ne se divise pas, ne peut être limitée. Adopter la Constitution, c'est en vérité transférer la souveraineté à l'échelon européen, sans légitimité démocratique, en état d'apesanteur.

II faut donc reconstruire les institutions européennes pour rétablir le bien démocratique et donner raison une fois de plus au général de Gaulle quand il écrivait à Paul Reynaud : « Vous savez qu'à mon sens on peut voir l'Europe, et peut-être la faire, de deux façons : l'intégration par le supranational ou la coopération des États et des nations. C'est à la deuxième que j'adhère pour mon compte. »

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Cette Europe des nations additionne des souverainetés nationales vivantes, dont le respect n'a jamais interdit ni le développement des échanges, ni la montée en puissance des grands programmes comme Airbus ou Ariane, ni l'ouverture aux autres.

Au contraire, le respect des États nations conditionne le succès des avancées, comme en témoigne la PAC, l'une des politiques les plus intégrées, née, vous le savez bien, juste après la crise salutaire de la chaise vide. Cette crise a donné lieu au fameux compromis de Luxembourg, essentiel à notre pays pour éviter d'être entraîné là où son peuple n'acceptera jamais d'aller. J'aimerais que vous répondiez à la question que Jacques Myard a posée hier : le compromis de Luxembourg est-il ou non toujours en activité ?

M. Jacques Myard. Il est mort !

M. Nicolas Dupont-Aignan. C'est souvent grâce à sa capacité de blocage que la France a donné du corps à l'avancée européenne. Mais, lorsque nous n'aurons plus rien à bloquer, ou si peu, comment pèserons-nous sur l'évolution du projet européen ? Je pense à l'affaire turque.

Bien évidemment, une réforme en profondeur des institutions européennes passe aussi par une prise en compte de l'élargissement. À vingt-cinq, on ne peut fonctionner comme à six.

Au-delà de la nécessaire réduction du poids des organismes non élus - commissions, Cour de justice, Banque centrale européenne -, du rétablissement de la primauté des droits nationaux, de la création d'un congrès des parlements, d'une stricte délimitation des compétences de l'Union, il faudra autoriser des coopérations à géométrie variable plutôt que des coopérations renforcées, qui, vous le savez, ne seront pas réalisables tant les conditions qui précèdent leur mise en place sont strictes.

M. François Bayrou. Ce n'est pas tout à fait faux !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Permettre à deux, dix, douze, vingt États de regrouper leurs moyens dans un domaine précis, avec des objectifs concrets, est le seul moyen de concilier les souverainetés nationales et l'ambition légitime de l'Europe puissance.

Voilà aussi l'occasion d'aborder la plus importante des questions - la troisième, après avec qui, comment - pour quoi donc bâtir l'Europe ?

L'argument massue et définitif des promoteurs de la Constitution est celui de l'Europe puissance. Le traité permettrait enfin de renforcer les pays d'Europe pour relever les défis de la mondialisation. La survie de l'Europe se ferait au prix de nos libertés et de nos démocraties nationales. Malheureusement, cette argumentation séduisante ne résiste pas un instant à l'examen des textes et des faits.

Le paradoxe est d'ailleurs de voir cette Constitution renforcer, avec tant de malice de la part de ses auteurs, les attributions européennes pour n'en rien faire, ou plutôt si, pour les mettre au service d'une politique bien définie, celle de l'impuissance, qui de surcroît a échoué.

Est-ce préparer l'avenir du continent que de transférer à Bruxelles la quasi-totalité des compétences, pour se perdre dans les détails de la vie quotidienne des peuples alors que de si grands défis collectifs sont à relever ?

Est-ce préparer l'avenir du continent que d'inscrire dans le marbre constitutionnel des politiques qui ont échoué, comme l'orientation monomaniaque de la BCE contre l'inflation, les dogmes poussés à l'extrême de la libre concurrence et du libre-échange, ou encore un pacte de stabilité stupide dont la mise en œuvre aggrave le mal au lieu d'y remédier.

Vous avez aimé les taux d'intérêt plus élevés qu'aux États-Unis, l'euro fort, la fin de l'accord multifibres, le refus de toute politique industrielle, le rachat de nos fleurons par des entreprises extra-européennes. Vous aimerez sans aucun doute le projet politique de déclin programmé que nous réserve cette Constitution !

Bien évidemment, nous avons besoin d'une politique monétaire rigoureuse, d'une ouverture commerciale intelligente et réactive et de concurrence intérieure. Mais est-il pour autant obligatoire de brancher un pilote automatique pour cinquante ans ?

En vérité, l'Europe qu'on nous prépare a vingt ans de retard. Car cette Europe niveleuse, tentaculaire, bavarde, procédurière, ne répond en rien aux nouveaux défis de la mondialisation.

Croit-on sérieusement que nous aurions pu bâtir les programmes Airbus ou Ariane en attendant l'union à vingt-cinq et en respectant les oukases de la direction de la concurrence de la Commission ? Certainement pas. Preuve en est d'ailleurs le destin un peu compromis du projet Galileo que la France a eu la bonne idée de laisser communautariser en anticipant la Constitution. À cause de l'esprit de capitulation de la Commission européenne et de l'éternelle complaisance de l'Angleterre, il est acquis, avant même sa naissance, que le GPS européen n'aura pas d'applications militaires.

M. Jacques Myard. Les Américains s'y sont opposés !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Grâce à cette première mise en musique de l'Europe puissance version Constitution européenne, les États-Unis peuvent dormir sur leurs deux oreilles pendant longtemps.

M. Jacques Myard. Ils ont la clé !

M. Nicolas Dupont-Aignan. À l'heure où la rapidité, les réseaux et les savoirs comptent plus que le poids et la taille, croire qu'on va créer une superpuissance en additionnant des carottes et des choux-fleurs est une absurdité.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Il suffit de regarder les réussites dans le monde pour comprendre que ce ne sont pas les pays les plus peuplés qui progressent forcément le mieux, mais ceux dont la motivation, la cohésion, l'organisation sont les meilleures.

Quand comprendra-t-on que l'union sans l'accord préalable sur des objectifs stratégiques conduit tout droit à une Europe impuissante ?

L'enjeu est donc bien de partir des objectifs pour déterminer ensuite les moyens de les atteindre. C'est tout l'enjeu de l'Europe à géométrie variable que nous proposons et dont nous avons déjà parlé. Il est préférable d'être efficace dans tel domaine avec 90 millions d'habitants qu'inefficace à 450 millions.

M. Michel Piron. C'est bien connu : mieux vaut être riche et bien portant !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Or quelles sont les grandes priorités de l'Europe d'aujourd'hui ?

Sa démographie d'abord. Pouvons-nous bâtir une puissance avec un taux de natalité de 1,2 en Italie, en Espagne ou en Allemagne, tout en favorisant une immigration massive, comme le veut la Commission de Bruxelles ?

Sa puissance économique, technologique, scientifique et militaire ensuite. Pouvons-nous affronter la compétition des États-Unis, du Japon, de la Chine et de l'Inde en continuant à crouler sous un euro cher et en nous interdisant d'intervenir dans le financement de grands programmes ?

Troisièmement, son équilibre social. Pouvons-nous redonner confiance aux peuples en leur offrant comme seule perspective des conditions de travail et de salaires alignées sur celles de la Chine ? Cette mondialisation subie, qui s'apparente de plus en plus à une clochardisation à grande échelle, est le fruit d'un libre-échangisme idéologique organisé par la Commission américaine de Bruxelles, comme l'avait justement baptisé notre actuel ministre de l'économie et des finances avant qu'il n'occupe ce poste.

Sa vitalité culturelle enfin. Pourrons-nous compter demain dans le monde en sabordant nos langues - je pense au fameux texte sur les brevets que l'Assemblée a jusqu'à présent refusé de ratifier - et nos cultures, en laissant condamner petit à petit une exception culturelle qui indiffère une majorité de nos partenaires et qui hérisse les bureaucrates de la Commission ?

Ces quatre grands défis suffiraient à occuper l'énergie des Européens les plus convaincus pour vingt ans. Mais croyez-vous que les eurocrates s'y intéressent ? Non, bien sûr.

Faire ensemble ce que chaque nation ferait moins bien seule ne les préoccupe pas un instant. Il est vrai que les États-Unis, si puissants à Bruxelles, s'en chargent pour nous.

L'Europe utile pour demain, c'est l'Europe multiplicateur de puissance, une Europe qui fait vivre le marché unique avec moins d'idéologie, une Europe qui se protège davantage ou laisse au moins les siens le faire quand l'intérêt national est en jeu, une Europe qui coordonne les projets techniques, scientifiques, industriels et culturels. Cette Europe-là sera plus efficace car elle s'appuiera sur le seul ressort qui peut faire avancer les peuples : le sentiment d'appartenance et la foi dans un avenir commun.

Unir des peuples contre leur gré, c'est casser ce ressort, priver au bout du compte l'Europe de l'addition de dynamismes et de légitimités.

Comme souvent dans l'histoire du monde, les Français vont tenir entre leurs mains non seulement leur propre destin de peuple libre mais aussi l'avenir de l'Europe. Nos compatriotes ne doivent pas avoir peur de cette belle et grande responsabilité. Ils ne doivent pas écouter ceux qui, par intimidation, veulent les dissuader d'être eux-mêmes.

La Constitution européenne reprend à son compte les dispositions défaillantes des traités récents d'Amsterdam et de Nice. Les Français ne doivent donc pas se laisser abuser par les faux arguments du « rien ne change ».

Au-delà, la Constitution instaure le cadre solennel d'un fédéralisme arbitraire et envahissant, qui est la négation même de l'Europe prospère, indépendante et heureuse qu'attendent les Européens. Elle dessine un système de gouvernement hors-sol, oligarchique, libre de tout contre-pouvoir et soumis à l'influence des États-Unis, celui-là même, mais en pire, qui a d'ores et déjà abouti à l'ouverture des fatales négociations d'adhésion avec la Turquie.

Bien entendu, ce système est absolument contraire aux valeurs de la République française, à sa démocratie comme à son projet de société.

Par son contenu, sa portée et son mobile réel, le traité constitutionnel dépasse, et de très loin, ce qu'avait prévu le constituant de 1958 en établissant, par l'article 55 de notre loi encore fondamentale, que les traités internationaux s'imposent à la loi nationale.

Ainsi, qui invoque l'intention des signataires de la Constitution européenne est obligé de prendre en compte celle des rédacteurs de la Constitution de la vè République et d'en conclure à une inadmissible distorsion.

Oui, je suis d'accord avec Jean-Pierre Raffarin quand il confie à la presse que cette Constitution est le rendez-vous du non-retour, faisant de l'Europe un projet irréversible, irrévocable après la ratification de ce traité.

Oui, avec cette Constitution de 448 articles confus et ambigus, l'Europe supranationale, qui n'est pas l'Europe des nations, nous offre un aller simple hors de la démocratie et de la République et, au bout du compte, hors de la France elle-même.

Car de la France, que restera-t-il, mes chers collègues ? Des paysages, des clochers, une langue en déclin, des habitants unis par le sentiment d'appartenir aux mêmes confins géographiques de l'Union. Mais de citoyens français il n'en restera plus car l'identité française, amputée du projet politique qui a constitué l'essence même de la France depuis ses origines, sera privée de l'essentiel.

Avec la Constitution européenne, il est peut-être possible de respecter une identité allemande, hollandaise ou espagnole, mais pas l'identité française, qui est inconcevable sans la souveraineté politique à l'intérieur et un minimum d'indépendance nationale à l'extérieur.

Romain Gary se reconnaîtrait-il dans la France d'aujourd'hui, lui qui se plaisait à dire : « Mon pays, ce n'est pas la France, c'est la France libre » ?

Ainsi donc, on s'apprête à défaire la France en s'imaginant construire l'Europe, ultime non-sens. L'Europe se renierait elle-même si elle obtenait, par cette Constitution le reniement détourné de la France. Croit-on sincèrement qu'une France éteinte, désabusée, trompée, servira une Europe plus que jamais à la croisée des chemins ?

À la traîne d'une mondialisation débridée qu'elle se refuse à maîtriser, la Constitution européenne ne prépare en rien l'avenir du continent. Elle désarme les nations sans bâtir un substitut mobilisateur pour les peuples. Faute d'objectifs clairs et réalistes, elle ne donnera malheureusement pas aux Européens l'envie d'aimer l'Europe.

Les Français, lors du référendum, doivent donc savoir dire non et se souvenir de cet ultime message du général de Gaulle : « À force de dire oui à tout, on disparaît soi-même ». (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Qui mieux que lui a prouvé tout au long de sa vie qu'il n'était nullement incompatible de défendre bec et ongles le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, où que ce soit dans le monde, et de promouvoir la belle idée européenne.

M. Jean-Paul Anciaux. De l'Atlantique à l'Oural !

M. Nicolas Dupont-Aignan. De l'esprit des Lumières à Valmy, de 1848 à l'unification italienne, du 18 juin à la réconciliation franco-allemande en passant par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, une France forte, fidèle à ses idéaux, sereine, a toujours servi l'Europe et a été utile au monde. Ayons donc le courage et la volonté d'être à nouveau utiles en osant nous battre pour une France libre, dans une autre Europe !

M. Jacques Myard. Très bien ! Bis !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre déléguée aux affaires européennes, la motion de renvoi en commission ayant été longuement défendue par notre collègue, il me faut démontrer rapidement à M. Dupont-Aignan que son initiative n'est peut-être la meilleure qu'il ait eue depuis qu'il fait de la politique.

M. Jacques Myard. Le docteur Clément va encore frapper !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je rappelle qu'après avoir entendu le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, la commission des lois a tenu deux séances. Notre position a même évolué puisque nous avons dans un premier temps repoussé des amendements qui ont été acceptés ensuite. Les deux principaux groupes de l'Assemblée nationale sont parvenus à un consensus et je ne vois donc pas en quoi la réflexion de l'UMP et du PS pourrait encore progresser, alors qu'ils sont d'accord, à moins de soutenir des arguments qui sont à mes yeux fondamentalement inexacts.

Je ne peux ni ne veux répondre aux nombreux aspects que vous avez abordés tout au long de cette heure et demie. (« Non ! Non ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je m'en tiendrai à un seul, qui intéresse au plus haut point M. Myard et M. Dupont-Aignan, et plus généralement ce qu'il est convenu d'appeler les souverainistes,...

M. Jacques Myard. Les gaullistes !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...et même, vous avez raison, une partie non négligeable des gaullistes : sommes-nous, oui ou non, dans un système fédéral ? La question s'est posée jusqu'à une date extrêmement récente, et le traité de Maastricht lui-même a failli ne pas être signé parce que le mot « fédéral » y figurait. Mais, depuis le deuxième traité de Paris, elle ne se pose plus. En effet, comme je l'ai dit en exposant mon rapport, une fédération a la compétence de sa compétence, c'est-à-dire que c'est elle qui énonce les compétences qu'elle souhaite exercer et celles qu'elle laisse à ses membres.

M. Jacques Myard. C'est absolument le cas !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. C'est rigoureusement l'inverse !

M. Jacques Myard. Mais non !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Selon le deuxième traité de Paris, ce sont les États nations qui dictent à l'Union européenne les compétences qu'ils entendent lui confier. La preuve en est d'autant plus facile à faire que les nouveaux pouvoirs, qui font précisément l'objet du traité portant Constitution, concernent le contrôle de subsidiarité, c'est-à-dire des pouvoirs sur des pouvoirs que nous déléguons volontairement à l'Union.

M. Paul-Henri Cugnenc. C'est lumineux !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Ainsi, la question, qui s'est longtemps posée, de savoir si nous étions dans une Europe fédérale est aujourd'hui tranchée : l'Europe n'est pas et ne sera jamais fédérale puisque c'est aux États à donner compétence à l'Union, et non l'inverse. Nous sommes donc dans l'Europe des États,...

M. Jacques Myard. Le meilleur juriste de France a encore des progrès à faire !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...comme l'ont toujours souhaité les gaullistes. À la lumière de cette explication, si, parmi les politiques français, certains devaient pleurer à chaudes larmes, ce sont ceux qui ont cru, jusqu'à une période récente, à l'éventualité d'un fédéralisme européen. En revanche, les gaullistes dont vous êtes l'un et l'autre, monsieur Myard, monsieur Dupont-Aignan, devraient s'en réjouir !

M. Jacques Myard. Non !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Pas quand il s'agit de la Turquie !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Or, bizarrement, les centristes ne pleurent pas, tandis que vous, vous ne comprenez pas le bonheur qui vous arrive !

M. Bernard Accoyer et M. Jacques Godfrain. Bravo !

M. Jacques Myard. Je ne peux me réjouir d'un malheur !

M. Jean-Pierre Brard. En ce qui me concerne, je fais davantage confiance à M. Mazeaud qu'à M. Clément !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Justement, M. Mazeaud doit se réjouir car il a compris ce qui se passe. Pourtant, Dieu sait qu'il n'est pas fédéraliste ! Pas plus, s'il me permet de le dire, que le président de notre assemblée. D'ailleurs, j'ai entendu M. Mazeaud reconnaître qu'il était désormais confirmé que l'Europe était celle des États.

M. Jacques Myard. Des États cocus !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Il a raison : ce sont les États qui donnent des compétences à l'Union et non l'inverse. C'est suffisant pour démontrer, mon cher collègue, que vous vous êtes longuement égaré sur une fausse route. Nous ne sommes plus, et nous ne serons plus jamais dans une Europe fédérale.

M. Jacques Myard. Nous ne manquerons pas de vous rappeler ces propos au moment opportun, monsieur le meilleur juriste de France !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Il est sûr qu'à vingt-cinq ou à trente États, refuser de modifier la Constitution pour adopter une règle du jeu pour vivre ensemble pourrait prêter à rire, mais nous respectons votre liberté de pensée.

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Jacques Floch, pour le groupe socialiste.

M. Jacques Myard. Il n'a rien à dire !

M. Jacques Floch. Si ! Ce serait dommage de se taire après ce que nous venons d'entendre, car nous ne nous reconnaissons pas du tout dans le discours de Nicolas Dupont-Aignan.

M. Jacques Myard. Ça me rassure !

M. Jacques Floch. Comment peut-on mener de tels combats d'arrière-garde ? Si vous étiez suivi, vous entraîneriez inéluctablement l'Europe, et surtout la France, dans une grave récession. Monsieur le président de la commission, vous avez fait la démonstration que nous n'étions plus dans une Europe fédérale. Nous n'y avons jamais été, mais, en ce qui nous concerne, nous souhaitons la construire à terme. Lorsque M. Dupont-Aignan sera membre du Conseil constitutionnel,...

M. Nicolas Dupont-Aignan. Ça ne risque pas d'arriver !

M. Jacques Floch. ...dans quelques années, il devra entériner que l'Europe, construite petit à petit, aura abouti au fédéralisme que nous souhaitons...

M. Jacques Myard. Mais non !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Ce n'est plus possible !

M. Jacques Floch. ...pour le bien des peuples et des nations européennes.

Voilà pourquoi, monsieur le président, le groupe socialiste ne votera pas la motion de renvoi en commission.

M. Jacques Myard. Ouf !

M. Jacques Floch. Je souligne à mon tour que le travail en commission a donné lieu à un véritable débat au cours duquel les commissaires ont exposé leurs arguments et pu améliorer le texte qui nous était soumis.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jean-Pierre Brard. L'intervention du président Clément m'a rappelé un film qui est sorti il y a une dizaine d'années, Le Nom de la Rose : l'odeur du bûcher enveloppait notre collègue Dupont-Aignan et Pascal Clément a éprouvé le besoin d'appeler à la rescousse le PS, détenteur de la rose, pour appuyer son point de vue un peu faible.

Pour en venir à l'essentiel, la gêne du président de la commission était perceptible. Et, si je n'adhère pas aux thèses de Nicolas Dupont-Aignan, il faut reconnaître que M. Clément n'a fourni aucun argument face à sa logique infaillible : tous les faits qu'il a énumérés, pris un à un, sont incontestables. D'ailleurs, s'ils ne l'avaient pas été, M. Clément, avec le talent qui le caractérise quand il veut bien en donner la mesure, ne se serait pas privé de poursuivre Nicolas Dupont-Aignan avec d'autres foudres que l'invective.

Celui-ci a expliqué que la règle de l'unanimité prévaudrait selon qu'elle arrangeait ou non. Il a tout à fait raison. Vous avez lu le texte, j'espère ! Je n'en suis pas très sûr car certains d'entre vous que je connais ne pourraient pas y adhérer. Ainsi, s'agissant de fiscalité, comment développer des politiques solidaires, comment préserver nos valeurs universalistes si nous n'avons pas les moyens de financer leur mise en œuvre ? Or votre credo, repris dans le traité, c'est le dumping fiscal puisque la règle de l'unanimité continuera à s'imposer. Seront encouragés tous ceux qui essaient de faire de leur pays une sorte de pays sous-développé sur le plan social, pour attirer les entreprises qui peuvent de ce fait considérer leurs salariés comme taillables et corvéables à merci, faute de protection suffisante. Je vous renvoie à l'enquête qui vient d'être publiée concernant l'Irlande. S'y sont enrichis ceux qui possèdent les moyens de production et le capital, tandis que le peuple irlandais s'est appauvri : 25 % des Irlandais vivent aujourd'hui dans la pauvreté. Tel est le résultat du dumping fiscal que le projet européen nous propose en maintenant l'unanimité. On pourrait multiplier les exemples, mais je me contenterai de revenir sur les aspects sociaux.

Dans l'Europe qui s'est construite jusqu'à présent, et dans celle qu'on veut graver dans le marbre avec le traité constitutionnel, il n'y aura toujours pas de socle social. Et, s'il est un domaine où la subsidiarité devra s'appliquer, c'est précisément la protection sociale, tant il est vrai que d'aucuns, qui se prétendent de gauche, s'acharnent à mettre à bas le contrat social qui caractérise certains pays. En Allemagne en particulier, M. Schröder est une sorte de stakhanoviste de la démolition sociale, (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) à tel point que, quand nous avons reçu nos collègues du Bundestag en commission des finances, le président Méhaignerie les a pris à témoin que Didier Migaud et moi-même, qui sommes de gauche, refusions de suivre le mauvais exemple. Voilà l'harmonisation que nous promet le traité constitutionnel qui nous sera soumis !

Pour s'opposer à une telle logique, il n'y a pas trente-six solutions. On nous met en garde contre une victoire du non au référendum en arguant du fait qu'elle provoquerait l'isolement de la France ou l'ouverture d'une crise européenne. Eh bien, soit ! Une crise serait salutaire pour tout remettre sur la table. De telles crises ne se sont-elles pas déjà produites dans notre histoire ? Ainsi, en 1945, le projet de Constitution a été rejeté : la belle affaire ! On a recommencé en 1946 !

M. Hervé de Charette. Le résultat n'a pas été très brillant !

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur de Charette, en Seine-Saint-Denis et en Vendée, pour des raisons notamment historiques, nous n'avons pas forcément la même appréciation de ce qui est brillant et de ce qui ne l'est pas. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur Brard, avez-vous terminé votre explication de vote ?

M. Jean-Pierre Brard. La rumeur m'empêche de poursuivre, monsieur le président.

M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de laisser M. Brard conclure.

M. Jean-Pierre Brard. C'est la rumeur du bocage, monsieur le président ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Mallié. C'est inadmissible ! Il s'agit d'un fait personnel !

M. le président. Veuillez vraiment conclure, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Je conclurai volontiers d'un mot, monsieur le président, si mes collègues de droite veulent bien me laisser terminer.

Nous ne voterons pas pour autant la motion de renvoi en commission car, au-delà des critiques, nous attendons un projet alternatif fondé sur la coopération pour faire de l'Union européenne un pôle de progrès qui rayonne dans le monde entier, alors que son élargissement actuel - je renvoie à un article du Monde de cet après-midi sur l'Ukraine - transforme l'Europe en une vaste zone de libre-échange et de moins-disant social, ce qui est inacceptable.

C'est à ce projet que soutiennent trop de forces politiques dans notre pays qu'il convient d'opposer une véritable alternative.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Hervé de Charette, pour un rappel au règlement.

M. Hervé de Charette. Mon intervention se fonde sur l'article 58, alinéa 1.

Chaque fois que je prends la parole pour contredire les propos de M. Brard, je suis en butte à ses attaques personnelles.

M. Jean-Pierre Brard. Je ne vous ai jamais attaqué personnellement !

M. Jacques Brunhes. Il s'agit là d'un fait personnel. Il doit être renvoyé en fin de séance.

M. le président. Je vous prie de laisser M. de Charrette s'exprimer.

M. Hervé de Charette. Je tiens à protester solennellement ! Représentant le peuple français tout autant que lui,...

M. Richard Mallié. Plus que lui, même !

M. Hervé de Charette. ...j'ai, tout autant que lui, le droit de m'exprimer, quel que soit mon nom et quel que soit le département dont je suis originaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ai-je d'ailleurs jamais contesté la représentativité dans notre assemblée de M. Brard ? S'il se rendait quelquefois en Vendée, il verrait que ce département a autant de charmes que beaucoup d'autres, sinon davantage !

M. Jean-Pierre Brard. Je n'ai jamais dit le contraire !

M. le président. Monsieur Brard, je vous prie de vous taire !

M. Hervé de Charette. Il est en effet nécessaire que M. Brard se taise pour que je puisse émettre ma protestation ! À bon entendeur, salut !

M. le président. Monsieur de Charrette, comme vous connaissez parfaitement le règlement, vous savez que, s'agissant d'un fait personnel, je n'aurais pas dû vous donner la parole à ce moment de la séance.

M. Hervé de Charette. Je vous remercie de l'avoir fait néanmoins, monsieur le président.

Reprise de la discussion

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Comparini, pour le groupe UDF.

Mme Anne-Marie Comparini. Du discours très documenté de M. Dupont-Aignan il ressort que deux visions de la France en Europe s'opposent : certains ne voient d'avenir pour notre pays que dans le développement de politiques nationales fortes : d'autres, dont nous sommes, estiment au contraire que le monde actuel appartient aux puissances-continents,...

M. Jacques Myard. Hétéroclites !

Mme Anne-Marie Comparini. ...que les pays d'Europe ne peuvent rester à l'écart d'un tel mouvement, qu'il convient de bâtir patiemment cette puissance-continent,...

M. Jacques Myard. Un mastodonte !

Mme Anne-Marie Comparini. ...que la France a toute sa place dans une telle construction et qu'elle peut même, si elle fait preuve d'audace, en être le moteur. Ces deux visions sont si différentes qu'il me semble difficile de les réconcilier à la faveur d'un renvoi en commission. Telle est la raison pour laquelle le groupe UDF votera contre la motion de renvoi en commission.

M. le président. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)

M. Jacques Myard. Ils se couchent !

Discussion des articles

M. le président. J'appelle maintenant les articles du projet de loi constitutionnelle dans le texte du Gouvernement.

Avant l'article 1er

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 13 et 40, pouvant être soumis à une discussion commune.

À la demande de la commission des lois, j'appellerai immédiatement après l'amendement n° 12 de M. Le Fur et le sous-amendement n° 41 de Mme Lebranchu, qui portent sur un sujet voisin.

La parole est à M. Le Fur, pour soutenir l'amendement n° 13.

M. Marc Le Fur. Plusieurs collègues de l'UMP et moi-même avons souhaité, au travers de l'amendement n° 13, aborder la question des langues régionales. Que chacun dans cette assemblée soit convaincu qu'un grand nombre de nos concitoyens, qui n'en sont pas moins de bons Français, sont sensibles à cette question pour la simple raison que leur langue fait partie de leur patrimoine, de leur sensibilité et de leur héritage. Cet attachement, qui n'a rien de nostalgique, concerne de nombreuses régions métropolitaines et d'outre-mer.

M. François Bayrou. Absolument !

M. Marc Le Fur. Ce qui frappe tous ceux qui suivent de près cette question, c'est l'intérêt que portent aux langues régionales les jeunes et leurs familles. Cet intérêt a été réveillé, notamment en Bretagne, grâce au talent de nombreux musiciens qui ont su associer à leur musique le patrimoine linguistique d'une région.

Il ne s'agit pas d'écrire les premiers mots sur une page blanche. Notre pays a beaucoup progressé en la matière depuis plusieurs années et les réseaux d'enseignement publics, privés et associatifs ont su développer une véritable offre de formation dans le domaine des langues régionales.

L'enjeu étant l'adoption par notre pays de la charte européenne des langues régionales, il est tout à fait naturel que nous abordions ce sujet à l'occasion du débat européen qui nous réunit ce soir. Cette charte, qui était préconisée par le Conseil de l'Europe, a été ratifiée par une majorité des pays européens, mais la France, qui l'avait initialement signée, ne l'a toujours pas ratifiée, se singularisant à l'exemple de la Turquie et de quelques rares autres pays européens.

Le Conseil constitutionnel, consulté sur la charte, a considéré, dans l'avis qu'il a rendu le 15 juin 1999, que la ratification de cette charte nécessitait une modification de la Constitution. La logique est donc analogue à celle qui nous réunit ce soir : préalablement à l'adoption d'un texte international, il nous faut adapter notre Constitution.

Telle est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement. Ce n'est pas nous qui avons souhaité faire du débat sur les langues régionales un débat constitutionnel : c'est l'avis du Conseil constitutionnel qui, faisant d'une telle modification de la Constitution un préalable à l'adoption de la charte, nous conduit nécessairement, je le répète, à en débattre ce soir.

Sur la charte elle-même, je souhaiterais répondre par anticipation à certaines critiques. On entend dire par des personnes qui ne sont peut-être pas allées au fond des choses qu'elle minerait les piliers du temple en menaçant les fondements de notre République. Je leur répondrai simplement que si la charte est composée de quatre-vingt-dix-huit mesures, il suffit qu'un pays en ait adopté trente-cinq pour qu'il soit considéré comme « adoptant ». C'est dire si l'adoption peut se faire à géométrie très variable et ne comporter que les dispositions qui conviennent à chaque pays ! C'est pourquoi si d'aventure on m'oppose des dispositions contraires à nos institutions ou à nos traditions constitutionnelle ou juridique, je réponds d'ores et déjà que ce raisonnement n'est pas pertinent puisqu'il suffit de ne pas les adopter.

Mes chers collègues, ce débat doit être abordé en termes sereins. Il ne doit être ni folklorisé ni caricaturé. L'Europe, la France et les régions : cessons d'opposer des réalités qui doivent être additionnées ! Un Français peut parfaitement être attaché à la langue française tout en souhaitant que notre pays, d'une manière ou d'une autre, reconnaisse que son immense patrimoine, dont nos langues régionales font partie, est riche de sa diversité, comme tous les grands géographes des deux derniers siècles ont su le montrer.

M. le président. La parole est à M. François Bayrou, pour soutenir l'amendement n° 40.

M. François Bayrou. Monsieur le président, nous abordons, avec les langues régionales, un sujet passionnel. Ceux qui les défendent ici voudraient dire à quel point elles font partie du patrimoine de la nation.

Je souhaite apporter un témoignage que M. Le Fur connaît déjà puisque nous avons, à de nombreuses reprises, défendu dans cette assemblée une approche compréhensive et positive des langues régionales. La personne à laquelle je vais faire allusion était membre du Gouvernement lorsque le premier alinéa de l'article 2 a été introduit dans notre Constitution. Or, à cette époque, dans aucune des discussions préparatoires ou lors du débat à l'Assemblée, il n'a été imaginé par quiconque que la mention du français comme langue de la République pourrait être un jour opposée à la défense des langues régionales. Jacques Toubon défendait même l'idée que l'existence d'une langue nationale n'était en rien contradictoire avec la défense de la diversité culturelle de notre patrimoine que chacune des langues régionales constitue.

On a tort d'imaginer que la défense du français est contradictoire avec la défense des langues de France. Je pense exactement le contraire ! Alors que nous nous battons pour la diversité culturelle, ne devrions-nous pas considérer que ce n'est pas parce qu'une langue est minoritaire qu'elle est moins digne d'intérêt ? Les langues que nous défendons ici ont une tradition, une syntaxe, un vocabulaire, qui sont hérités d'une histoire bien antérieure à celle du français lui-même !

M. Jean-Pierre Brard. Elles ont également des légendes et une littérature...

M. François Bayrou. ...des légendes et une littérature qui constituent le patrimoine culturel de ces langues. Le béarnais était langue de droit bien avant que le français n'existe.

M. Jean-Pierre Brard. N'existât !

M. François Bayrou. Merci, monsieur le député !

Les racines du breton et du basque sont également antérieures au français, dont l'existence est plus récente.

M. Jacques Myard. Et le traité de Verdun, en 843 ? Dans quelle langue a-t-il été rédigé ?

M. François Bayrou. Nous sommes très nombreux ici à avoir le sentiment que les langues régionales de France sont victimes d'un ostracisme. Mais cet ostracisme qui leur est aujourd'hui opposé pourrait l'être un jour au français. Le français est en effet une langue tout aussi minoritaire en Europe et dans le monde que les langues régionales le sont en France.

Au Japon, le japonais est classé trésor national. Nous nous honorerions et gagnerions beaucoup à classer nos propres langues comme trésors nationaux. C'est la raison pour laquelle, en dépit de deux rédactions différentes, l'amendement de M. Le Fur et le nôtre défendent pareillement l'idée que, leur patrimoine étant tout aussi précieux, la défense des langues régionales est tout aussi nécessaire que celle du français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Quel est avis de la commission sur les amendements nos 13 et 40 ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Ce débat, nous l'avons déjà eu ici même, avec les mêmes intervenants, M. Marc Le Fur et M. François Bayrou. Ils nous ont parlé du breton, du béarnais, mais on peut aussi évoquer le basque, l'alsacien,...

M. Pascal Terrasse. L'occitan !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...l'occitan, en effet...

M. Christian Estrosi. Le niçois !

M. Jean-Pierre Brard. Le corse !

M. Jean-Pierre Soisson. En tout cas, pas le bourguignon ! Si l'Assemblée nationale ne défend pas le français, à quoi servons-nous ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je prends note pour le bourguignon...

M. Jacques Myard. Ajoutez le verlan !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. J'essayais seulement, mes chers collègues, de faire revivre en une synthèse rapide la France d'hier...

M. François Bayrou. Ce n'est pas la France d'hier, c'est la France d'aujourd'hui !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...la France d'hier en particulier, monsieur Bayrou, et cette mosaïque linguistique qui constitue de toute évidence une richesse nationale.

M. Michel Piron. N'oubliez pas le latin !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Toutefois, vous savez comme moi que tout l'effort de la IIIe République - et peut-être faut-il remonter plus loin -, tout l'effort des hussards noirs de la République...

M. Jean-Pierre Brard. Péguy !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...auxquels certains vouent un attachement nostalgique, a consisté à transmettre une langue commune à la France.

M. François Bayrou. Ce n'est pas de la nostalgie, monsieur Clément !

M. Alain Vidalies. Non : c'est de la fidélité !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Au demeurant, la Constitution a consacré cet effort dans son article 2, où l'on a introduit cet alinéa qui n'apprendra rien à personne mais que je me permets de rappeler : « La langue de la République est le français. »

Nous nous situons donc au terme d'une phase extrêmement lente d'unification de la langue : ce n'est que depuis peu que tout Français a la possibilité de comprendre la langue française. Il y a peu en effet, après la Seconde Guerre mondiale, on trouvait encore dans nos villages des personnes qui ne parlaient et ne comprenaient que le patois. La République a mis beaucoup de temps pour parvenir à cette victoire. Tel est le premier point que je voulais rappeler.

M. Bernard Accoyer. Très bien !

M. Marc Le Fur. C'est un argument éculé !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Peut-être, monsieur Le Fur, mais il n'était sans doute pas inutile de faire ce rappel.

M. René Dosière. Pourtant, nous vivons maintenant dans une République décentralisée...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Le deuxième point de mon propos concerne la demande, relayée ici par plusieurs députés et soutenue par de nombreuses associations linguistiques, de ratification par la France de la charte européenne des langues régionales. Le Conseil constitutionnel, saisi sur cette question, a fait valoir un argument que l'on oublie un peu trop, ce qui contribue à radicaliser des positions qui mériteraient au contraire d'être nuancées : il constate en effet que la quasi-totalité des engagements prévus par la charte sont déjà tenus.

M. Marc Le Fur. Et alors ?

M. François Bayrou. Pourquoi ne l'a-t-on pas ratifiée, dans ce cas ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Laissez-moi achever ma démonstration !

Vraiment, nous avons un talent quelque peu paradoxal pour nous mettre en colère alors que pratiquement tous les engagements - la pratique des langues régionales, son encouragement, son enseignement, etc. - sont déjà inscrits dans l'usage.

Le problème vient du fait que le Conseil constitutionnel a estimé que certains points étaient contraires à la Constitution.

M. Hervé Morin. Si nous modifions la Constitution, le problème disparaît !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Laissez-moi préciser quels sont ces points : nous pourrons alors argumenter de façon rationnelle et non plus passionnelle.

Le Conseil « a estimé qu'aucun des engagements concrets souscrits par la France [...], eu égard à leur nature, ne méconnaissait ces normes constitutionnelles ». Cependant, il a relevé que le préambule « proclame un "droit imprescriptible" à pratiquer une langue régionale ou minoritaire non seulement dans la "vie privée", mais également dans la "vie publique" ». Selon lui, les clauses qui découlent de cette déclaration sont « contraires aux principes d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français dans la mesure où elles tendent à conférer des droits spécifiques à des "groupes" linguistiques à l'intérieur des "territoires" ».

Tel est exactement, mes chers collègues, le point où nous en sommes : les quatre cinquièmes de la charte sont aujourd'hui inscrits dans la pratique, mais donner des droits linguistiques particuliers à des territoires reviendrait à créer des pseudo-pays à l'intérieur de la République française. Cela, nous ne le voulons pas.

M. François Bayrou. N'importe quoi !

M. Marc Le Fur. Il n'a jamais été question de donner de tels droits !

M. Christian Estrosi. C'est pourtant ce qu'on a fait pour la Corse !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Voilà pourquoi nous ne souhaitons pas réformer la Constitution pour pouvoir ratifier la charte : ce serait mettre en péril l'effort séculaire de la République. Aujourd'hui, tous ceux qui aiment leur langue régionale peuvent l'employer, et tous ceux qui aiment la France peuvent la conserver. Restons-en là ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Somme toute, M. Le Fur et M. Bayrou ne font qu'exprimer leur préoccupation quant à la reconnaissance de la valeur culturelle des langues régionales et de leur importance en tant que patrimoine national. Un tel souci est parfaitement légitime. La Constitution autorise la reconnaissance culturelle, comme l'a montré la décision du Conseil constitutionnel du 17 janvier 2002 sur la loi relative à la Corse, évoquée par M. Estrosi : une aide publique peut être accordée pour l'enseignement du corse à condition que cet enseignement reste facultatif. C'est très bien ainsi, car les langues régionales représentent une vraie richesse.

En revanche, le Conseil constitutionnel a expliqué dans sa décision du 15 juin 1999 que la Constitution ne permet pas de ratifier la charte européenne des langues régionales. D'une part, il considère qu'il est impossible, au regard de la Constitution, de reconnaître « des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance ». D'autre part, il précise que « les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage ». Ces deux limites posées par notre Constitution me paraissent parfaitement légitimes. Je le répète, la Constitution, dans sa rédaction actuelle, permet la reconnaissance culturelle des langues régionales tout en nous évitant les deux dérives que je viens de mentionner. Je souhaite donc que ces deux amendements ne soient pas adoptés.

M. le président. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. M. Le Drian et moi-même avons cosigné un sous-amendement n° 41 à l'amendement n° 12 de M. Le Fur pour tenter de faire avancer les choses. Il n'y a plus que trois pays à ne pas avoir adopté la charte. Il serait bon que la France, après l'avoir signée en 1999, puisse la ratifier. Après une analyse très fine, nous avions d'ailleurs, à l'époque, retranché quelques engagements qui nous semblaient en effet incompatibles avec notre Constitution, notamment pour ce qui concerne les missions régaliennes de l'État, la rédaction des documents administratifs, etc. Le texte signé en 1999 ne reprenait pas l'intégralité des engagements proposés par la charte.

Au moment de la signature, le président Chirac nous avait déjà fait valoir l'incompatibilité avec l'article 2 de la Constitution. Il était donc préférable de trouver une autre solution : c'est à quoi tend l'amendement n° 12, en insérant un article 53-3 dans la Constitution.

M. le président. Madame Lebranchu, vous êtes en train d'évoquer un amendement et un sous-amendement qui ne sont pas encore en discussion.

Mme Marylise Lebranchu. En effet, mais je réponds là au rapporteur. Il m'importe que la charte soit ratifiée et il me semble qu'une solution satisfaisante pour tous peut être trouvée dès lors que nous ne restons pas arc-boutés sur l'article 2 de la Constitution. Je n'ai pas essayé d'amender cet article car c'est, selon moi, peine perdue.

M. Clément a affirmé qu'il était inutile de ratifier la charte dans la mesure où elle est déjà largement appliquée. Cela revient a dire qu'il n'est pas utile de ratifier le traité constitutionnel au motif que nous respectons déjà les droits fondamentaux. De tels raccourcis nous empêchent d'être précis.

M. François Bayrou. En effet : à ce compte, il devient inutile de faire mention de la Déclaration des droits de l'homme ! (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Marylise Lebranchu. Si nous voulons que la France ratifie la charte, nous ne voulons pas pour autant qu'elle souscrive à tous les engagements proposés. Par ailleurs, monsieur Clément, vous ne pouvez nous opposer des décisions du Conseil constitutionnel dans un débat qui a précisément pour objet de modifier la Constitution.

M. Arnaud Montebourg. Très juste !

M. Pascal Terrasse. Quelle leçon de droit, monsieur Clément !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je n'ai fait allusion qu'aux considérants !

Mme Marylise Lebranchu. Je le répète, nous sommes précisément là pour modifier la Constitution.

M. le garde des sceaux. Mais pas l'article 2, madame Lebranchu !

M. Arnaud Montebourg. Nous pouvons aussi modifier le Conseil constitutionnel, si vous y tenez ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Ça y est, M. Montebourg nous fait une rechute !

M. Bernard Accoyer. Il faut le débrancher !

M. le président. Ne confondons pas tout, monsieur Montebourg !

Mme Marylise Lebranchu. L'important, ce soir, est de permettre la ratification de la charte. Je demande donc à M. Le Fur et à M. Bayrou de retirer les amendements nos 13 et 40, qui portent sur l'article 2 de la Constitution, au bénéfice de l'amendement n° 12, sous-amendé par nous, ce qui devrait permettre de décrisper le débat.

Les langues que nous avons reçues en héritage ne doivent pas être abandonnées, car elles constituent une grande richesse. Jack Lang, alors ministre de l'éducation nationale, avait parlé très justement à ce sujet de « réparation ». Même si la IIIe République a eu souvent raison, ceux qui ont été privés de leur langue régionale ont eu un sentiment d'humiliation.

Je reste persuadée qu'en bon républicains que nous sommes, nous devons éviter ces humiliations, qui représentent la première cause de violence. La signature de cette charte constituerait réparation. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Madame Lebranchu, je vous fais observer que la demande de retrait d'un amendement relève de la responsabilité du Gouvernement ou de la commission. Or je crois savoir que vous n'êtes plus au Gouvernement ! (Sourires.)

M. Bernard Accoyer. Heureusement !

M. le président. Je ne porte pas de jugement, je constate...

Sur les amendements nos 13 et 40, je suis saisi par le groupe Union pour la démocratie française de demandes de scrutin public.

Ces deux scrutins sont annoncés dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. « La langue de la République est le français » : c'est le premier alinéa de l'article 2 de notre Constitution. Cet alinéa est très récent. Il a été adopté à l'occasion de la réforme constitutionnelle du 4 août 1995. Je souhaiterais que nous nous y arrêtions quelques instants.

Si nous avons ressenti en 1995 la nécessité d'introduire cet alinéa, c'est parce qu'une menace pesait sur le français. Or je constate qu'aujourd'hui le français périclite dans toutes les instances internationales, notamment dans le domaine européen. Avec l'ouverture de l'Union à d'autres pays, le phénomène tend même à s'aggraver.

Le problème de la défense de la langue française se pose aujourd'hui dans des termes nouveaux. La semaine dernière, M. Abdou Diouf, secrétaire général de l'Organisation internationale de la francophonie, a été reçu par la section française de l'Assemblée des parlementaires francophones. Il nous a indiqué combien le français était menacé. Des solutions existent sans doute. Mais nous sommes néanmoins menacés par le monopole de l'anglais, l'impérialisme de la puissance économique dominante se transformant en impérialisme linguistique, phénomène bien connu dans notre histoire. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le groupe communiste a toujours défendu les langues régionales. Nous avons déposé depuis plus de vingt ans des propositions de loi les concernant. Nous pensons nous aussi qu'il faut les reconnaître et les respecter.

M. François Bayrou. Très bien !

M. Jacques Brunhes. En revanche, nous avons toujours été hésitants s'agissant de la signature de la charte.

M. François Bayrou. Ce n'est pas le sujet !

M. Jacques Brunhes. J'entends, bien, monsieur Bayrou. Reste que c'était le sujet, selon M. Le Fur...

Personne ne l'a dit, mais la charte ne concerne pas que les langues régionales. Elle s'intitule d'ailleurs « Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ». Considérons ce que cela peut signifier dans notre pays, voire dans nos banlieues.

M. Jean Leonetti et M. Gérard Léonard. Très bien !

M. Jacques Brunhes. Imaginons les conséquences que pourrait avoir l'adoption de certains articles de cette charte, si le français n'est plus la langue commune pour la justice ou l'éducation.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Très bien !

M. Jacques Brunhes. M. Le Fur a dit qu'il n'était pas nécessaire d'adopter tous ses articles pour la ratifier. Mais qu'on nous dise alors ceux qu'il faut ratifier, afin que nous sachions ceux que nous pouvons exclure.

Voilà pourquoi, en l'état, et avant de débattre du sous-amendement de Mme Lebranchu à l'amendement n° 12 de M. Le Fur, nous préférons l'amendement n° 40 de M. Bayrou, que nous voterons, parce qu'il se contente de rappeler le nécessaire respect des langues régionales.

M. le président. La parole est à M. François Bayrou.

M. François Bayrou. Je ferai trois observations.

Premièrement, nous ne discutons pas, pour l'instant, sur l'opportunité de signer la Charte des langues régionales ou minoritaires, mais simplement d'inscrire dans la Constitution que le français est la langue de la République « dans le respect des langues régionales ». Il convient en effet de faire obstacle aux décisions récurrentes de l'administration et de la justice administrative qui s'appuient sur la rédaction de la Constitution pour refuser l'aide qu'un certain nombre de collectivités souhaitent apporter aux langues régionales.

Deuxième observation : M. le garde des sceaux s'est appuyé sur les décisions ou les considérants du Conseil constitutionnel pour nous enjoindre d'aller dans une certaine direction. Mais ce sont les députés de l'Assemblée nationale qui font la Constitution. Si l'on s'appuie sur le Conseil constitutionnel pour opposer à l'Assemblée nationale certaines orientations ou certaines normes, autant renoncer à notre capacité de législateurs !

Troisième observation : une phrase prononcée par le président de la commission des lois est révélatrice du fond du débat. M. Clément a dit, et c'est sans doute son inconscient qui parlait : ceux qui voudront défendre les langues régionales pourront le faire, et ceux qui aiment la France pourront défendre le français. Une telle formulation n'est pas acceptable par beaucoup d'entre nous. Personne ici n'aime la France plus que d'autres. Le fait que l'on aime, que l'on parle ou que l'on veuille transmettre une langue régionale ne porte pas atteinte à l'amour que nous avons pour la France, sa langue et sa culture. Je demande donc à M. le président de la commission des lois de retirer cette phrase (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et de bien vouloir considérer que l'amour de la France n'est pas contradictoire avec le fait que l'on puisse aussi honorer cette partie du patrimoine français que sont les langues régionales de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Jean-Pierre Brard. À genoux, monsieur Clément ! (Sourires .)

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Les deux amendements doivent être votés de la même manière, puisqu'ils s'inscrivent dans la même logique : permettre un minimum de respect à l'égard des langues régionales.

Je souhaite, pour ma part, qu'on cesse de nous opposer une démarche nostalgique. Ce débat est perçu comme moderne dans bon nombre de régions, et il est le fait de jeunes. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Il convient donc de se garder de toute vision anachronique - je m'en excuse auprès du président de la commission des lois.

Je voudrais ensuite relever une contradiction fondamentale dans les critiques qui nous sont adressées : tantôt on nous dit que nous menaçons la République, tantôt on nous dit qu'il n'y a pas grand-chose dans la charte et que, de fait, nous l'appliquons déjà.

Cette charte peut être adoptée a minima : il suffit de retenir 35 des 98 articles qu'elle comporte. C'est dire la latitude que nous avons. Quoi qu'il en soit, le débat d'aujourd'hui ne porte pas sur l'adoption de la charte : il s'agit simplement de faire sauter le verrou constitutionnel résultant de l'avis de 1999, pour permettre ensuite un débat concret sur les modalités d'adoption.

Nous sommes tous ici des élus responsables. Nous savons que, parfois, ceux qui, dans nos régions, s'engagent dans la vie culturelle, peuvent être attirés par les sirènes de l'extrémisme. C'est précisément en les rassurant, en leur montrant que leur souci, leur passion n'est pas en contradiction avec la République, que nous éviterons les dérives que nous dénonçons tous.

Voilà pourquoi il faut, à l'évidence, et ce ne sera pas un drame, adopter ces deux amendements. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Compte tenu du nombre de députés en séance, je souligne qu'il ne saurait y avoir plus de 160 votants.

M. Bernard Accoyer. M. Montebourg n'étant pas là, il n'y aura pas de problèmes ! (Sourires .)

M. le président. Je préviens donc M. Morin que le vote est personnel. (Sourires.)

M. Hervé Morin. Mais les votes peuvent être couplés.

M. le président. On vote pour son délégant si l'on a une délégation, monsieur Morin, et l'on doit éviter de voter pour d'autres.

Nous allons maintenant procéder aux scrutins qui ont été annoncés dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Je vais d'abord mettre aux voix l'amendement n° 13.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

.......................................................................

M. le président. Le scrutin est ouvert.

.......................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

                    Nombre de votants 71

                    Nombre de suffrages exprimés 71

                    Majorité absolue 36

        Pour l'adoption 25

        Contre 46

L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

Je vais maintenant mettre aux voix l'amendement n° 40.

Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

                    Nombre de votants 77

                    Nombre de suffrages exprimés 77

                    Majorité absolue 39

        Pour l'adoption 30

        Contre 47

L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

Je suis saisi d'un amendement n° 12, qui fait l'objet d'un sous-amendement n° 41.

La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l'amendement n° 12.

M. Marc Le Fur. Il s'agit d'un amendement de repli. Au-delà des principes, et très concrètement, allons-nous, oui ou non, nous donner les moyens d'ouvrir un vrai débat sur l'adoption de la charte en faisant sauter le verrou constitutionnel ?

Je tiens à répondre à la critique de M. Brunhes relative aux langues minoritaires. Qu'il se rassure, il n'y a pas de danger du côté des langues de l'immigration, puisque la charte précise bien qu'il doit y avoir un lien entre la langue et le territoire. Inutile de fantasmer.

Par ailleurs, la charte a été signée par la plupart des pays européens et ratifiée par la majorité d'entre eux. Notre pays ne peut pas se singulariser en permanence.

Enfin, je souscris au sous-amendement n° 41 de Mme Lebranchu, qui précise utilement l'amendement n° 12.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Drian, pour soutenir le sous-amendement n° 41.

M. Jean-Yves Le Drian. Ce sous-amendement a pour objet d'éviter certaines interprétations possibles de l'amendement qui aboutiraient à mettre en cause le respect du premier alinéa de l'article 2 de la Constitution. Il réaffirme en effet avec force que le français est la langue de la République.

Je rappelle que presque tous les pays de l'Union et du Conseil de l'Europe ont signé et ratifié cette charte. Le gouvernement précédent l'avait signée, à Budapest, à l'occasion du cinquantième anniversaire du Conseil de l'Europe. C'est sur un seul point que le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, avait estimé qu'il n'était pas souhaitable de la ratifier.

La rédaction proposée par M. Le Fur, à savoir « La République française peut ratifier », permet simplement d'ouvrir le débat. Les observations du président de la commission des lois ne sont donc pas fondées. Elle permet également de trouver un consensus entre ceux qui pensent que les langues régionales font partie du patrimoine de la République et doivent être reconnues dans leur richesse et leur diversité, et les autres.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement et le sous-amendement ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Les arguments contre, je les ai développés tout à l'heure.

Mme Marylise Lebranchu. Ils ne peuvent pas être les mêmes !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Si. J'ai expliqué pourquoi nous ne pensions pas heureux de modifier la Constitution de manière à pouvoir ratifier la charte. Selon le Conseil constitutionnel, qui ne donne pas d'ordres, monsieur Bayrou, mais qui nous explique ce qui se passerait si nous le faisions, cela porterait atteinte aux principes d'indivisibilité de la République - cela ne vous gêne pas, moi si -,...

M. Bernard Accoyer. Très bien !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...d'égalité devant la loi - cela ne vous gêne pas, moi si - et d'unicité du peuple français - cela ne vous gêne pas, moi si !

M. René Dosière. Procès d'intention !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Il ne s'agit pas de se coucher, comme vous le dites, devant une autorité judiciaire, mais de mesurer les conséquences de ses actes. On ne va tout de même pas, demain, pouvoir exiger de parler sa langue régionale à l'Assemblée nationale ou dans la vie publique et demander des interprètes,...

M. Marc Le Fur. Il ne s'agit pas de cela !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...car la ratification de la charte implique cette possibilité.

M. Jean-Yves Le Drian et Mme Marylise Lebranchu. Faux !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Ceux qui prétendent le contraire ne sont pas près de me convaincre : c'est inscrit en toutes lettres dans la charte.

M. Marc Le Fur. C'est faux !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Monsieur Le Fur, la charte donne ces droits à des minorités. Je remercie d'ailleurs M. Brunhes de l'avoir très clairement expliqué. Est-ce cela que la France désire ? Cessons ces considérations romantiques sur le parler régional, qui n'est interdit nulle part dans ce pays, et attachons-nous à préserver dans la vie publique la langue de la République, c'est-à-dire le français. Pour moi, c'est cela aimer la France, monsieur Bayrou ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. François Bayrou. Pourquoi le Président de la République a-t-il signé la charte ?

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Monsieur Bayrou, je n'ai pas opposé un avis du Conseil constitutionnel à la volonté du Parlement de modifier la Constitution. J'ai exposé à l'Assemblée nationale deux décisions du Conseil constitutionnel pour démontrer que l'interprétation de la Constitution dans sa rédaction actuelle permet l'expression culturelle par les langues régionales. En revanche, l'adoption de la charte introduirait l'obligation, pour les échanges avec les administrations publiques, de reconnaître l'usage des langues régionales. S'agissant de cet amendement, je m'appuie de nouveau sur ces arguments pour donner un avis défavorable.

M. Bernard Accoyer. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Je regrette que personne d'autre que moi n'ait pris la défense de la langue française. La situation l'exige pourtant.

M. Jacques Myard. Je suis d'accord avec vous !

M. Bernard Accoyer. Le président de la commission vient de le faire !

M. Jacques Brunhes. Mais je suis également surpris que, jusqu'au bout de ce débat, on ne puisse exprimer la reconnaissance et le respect des langues régionales. L'amendement de M. Lachaud avait l'avantage d'être simple - car il ne mentionnait pas la charte, qui pose des problèmes à certains - et la vertu de mettre en exergue cette reconnaissance et ce respect. Il n'a pas été voté et je le regrette,...

Mme Marylise Lebranchu. Nous aussi !

M. Jacques Brunhes. ...car, dès lors, je ne vois pas comment celui-ci pourrait l'être.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Drian.

M. Jean-Yves Le Drian. Il ne s'agit pas de proposer le vote de la charte, mais de préciser qu'il sera possible de la ratifier. La France se mettrait ainsi en phase avec les autres pays européens qui, eux, l'ont adoptée. Nous proposons d'ouvrir le débat sur cette charte et sur les trente-cinq paragraphes ou alinéas susceptibles d'y être retenus.

Par ailleurs, je me souviens de déclarations assez fortes du Président de la République au Canada, à propos de la langue inuit. Il disait notamment que lorsqu'une langue n'est pas reconnue, c'est une partie du patrimoine de l'humanité qui disparaît. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Il me semble très opportun de rappeler ces propos.

M. Jean-Pierre Brard. Il en tient beaucoup des propos, le Président de la République !

M. Arnaud Montebourg. Il a dû le dire chez les Inuits !

M. Jean-Yves Le Drian. Ils tendent à conforter notre proposition de discuter de la charte et offrent une chance de réconciliation opportune.

Mme Marylise Lebranchu. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François Bayrou.

M. François Bayrou. On vient de nous opposer des arguments en se drapant dans la toge de la République.

M. Jean-Pierre Brard. En revêtant le bonnet phrygien plutôt !

M. François Bayrou. Cette charte porterait atteinte à l'unité de la République et de la nation. Puis-je alors demander au président de la commission des lois et au garde des sceaux pourquoi elle a été signée par le Président de la République ?

M. Arnaud Montebourg. Bonne question !

M. François Bayrou. Le Président de la République française, sans doute conseillé par les plus éminents juristes et les républicains les plus authentiques, a signé la charte de reconnaissance et de protection des langues et des cultures régionales. Et voilà qu'aujourd'hui, on nous oppose des arguments républicains et nationaux pour nous interdire d'en discuter !

M. René Dosière. C'est une attaque contre le Président de la République !

M. François Bayrou. C'est aussi incohérent que dramatique.

J'ajoute, pour faire écho à M. Le Drian, que lorsqu'on défend la biodiversité, on doit aussi défendre la diversité culturelle. Et quand on va défendre la langue inuit, on doit aussi défendre les langues régionales de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le garde des sceaux. Restons, monsieur Bayrou, dans le cadre du débat. Il ne faudrait pas déraper.

M. François Bayrou. Le Président de la République a-t-il ou non signé la charte ?

M. le garde des sceaux. Je vais vous répondre. Pour ma part, je ne vous ai pas interrompu ! Respectez ma fonction comme je respecte la vôtre !

M. François Bayrou. On peut tout de même poser des questions à votre fonction ! (Sourires.)

M. le garde des sceaux. Je vais y répondre, mais laissez-m'en la liberté. Je m'efforce de vous expliquer que la Constitution telle qu'elle est rédigée aujourd'hui, sans aucun changement, permet parfaitement l'expression culturelle à travers la pratique des langues régionales. L'avis rendu par le Conseil constitutionnel concernant la Corse a précisé l'étendue de cette liberté jusqu'à reconnaître la possibilité pour la puissance publique d'accorder une aide à l'enseignement de ces langues, à condition que celui-ci reste facultatif.

M. Jean-Yves Le Drian. La charte ne dit pas autre chose !

M. le garde des sceaux. Les choses sont parfaitement claires. Mon propos de garde des sceaux soutenant une réforme constitutionnelle c'est de vous dire que ce que vous souhaitez, c'est-à-dire l'expression des langues régionales, est parfaitement compatible avec la Constitution actuelle et qu'il n'est pas nécessaire de la modifier sur ce point.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 41.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 12.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Sur l'amendement n° 14, je suis saisi par le groupe des député-e-s communistes et républicains d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. François Asensi, pour soutenir cet amendement.

M. François Asensi. L'intégration européenne implique celle de ses peuples, mais aussi celle de tous ceux qui vivent et travaillent au sein de l'Union. Les personnes de nationalité non communautaire vivant dans l'Europe des vingt-cinq représentent près de 7 % de la population. Prenant acte de cet état de fait et reconnaissant la contribution de ces populations d'origine étrangère à la vie de la cité, plusieurs pays européens leur ont accordé le droit de vote : l'Irlande, depuis 1963, après six mois de résidence ; la Suède, depuis 1975, après trois ans de résidence ; le Danemark, depuis 1981, après trois ans de résidence ou encore les Pays-Bas, depuis 1985, après cinq ans de résidence.

La patrie des droits de l'homme a été en queue de peloton pour le droit de vote des femmes en ne le leur accordant qu'après la deuxième guerre mondiale. Si elle ne profite pas de l'opportunité de cette révision constitutionnelle, elle se prépare à être de nouveau en retard sur le droit de vote des étrangers. Le Parlement européen, quant à lui, a voté, le 14 février 1989, une résolution demandant aux pays membres d'accorder le droit de vote aux élections locales à l'ensemble des étrangers vivant et travaillant sur leur territoire.

Que dire, monsieur le ministre, des conditions d'acquisition de la citoyenneté pour les ressortissants des nouveaux pays membres de l'Union ? Est-il légitime qu'ils soient devenus pleinement citoyens depuis le 1er mai 2004 quand des migrants, régulièrement installés sur notre territoire depuis trente ans ou quarante ans, demeurent des citoyens de seconde zone ? Il est temps que la France reconnaisse à son tour ce droit à celles et à ceux qui, s'ils n'ont pas la nationalité française ou celle d'un pays européen, contribuent pour beaucoup à la richesse de notre pays, à sa culture, à son identité. À ce titre, ils doivent pouvoir, à travers l'exercice du droit de vote, participer effectivement à la vie politique de la cité.

Les travailleurs étrangers ont contribué, nombreux, à faire de la France une puissance économique et industrielle, dans les mines, dans l'industrie automobile, sur les autoroutes, dans des métiers difficiles et peu reconnus que les nationaux ne voulaient plus occuper. Leur intégration ne s'est pas seulement faite au travail, à l'usine ou dans nos écoles. Elle s'est faite aussi à travers le don de ce qu'ils avaient de plus cher, leur vie, dans des circonstances difficiles que nous avons connues, notamment la deuxième guerre mondiale.

Bien qu'installés en France depuis parfois des décennies, certains n'ont pas fait le choix de la nationalité française. Ils sont pourtant intégrés, payent des impôts et des cotisations sociales, ont des enfants, souvent français. Les résidents étrangers se sont déjà vu reconnaître progressivement des droits : participation aux élections des comités d'entreprise, des conseils d'administration des caisses de sécurité sociale et des offices HLM, aux élections prud'homales ou encore droit d'association. L'élargissement de l'Union, l'intégration de nouveaux peuples européens doit s'accompagner de l'intégration des populations déjà résidentes par un approfondissement de la citoyenneté. À défaut de leur accorder ce droit de participer à la vie de la cité, vous prendriez la responsabilité historique d'installer une sous-citoyenneté au sein de l'Union.

La citoyenneté ne requiert aucune nationalité pour s'exercer puisque, d'ores et déjà, depuis 2001, les non-nationaux citoyens de la Communauté européenne peuvent voter aux élections municipales en France. Pourquoi ne pas, à l'occasion de ce débat constitutionnel, accorder enfin le droit de vote aux résidents étrangers installés en France depuis plus de cinq ans ?

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. M. Asensi lance un débat sur l'opportunité de donner le droit de vote aux élections municipales aux étrangers non européens résidant sur le territoire depuis plus de cinq ans.

M. René Dosière. Ce serait préférable.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Ce débat public doit être approfondi. En tout état de cause, il est aujourd'hui prématuré et doit être renvoyé à plus tard. Pour le moment, l'avis de la commission est défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jacques Floch.

M. Jacques Floch. Le débat n'est nullement immature, monsieur le président de la commission, car il y a longtemps que la question du vote des étrangers est posée. Par ailleurs, le fait qu'elle soit abordée à l'occasion d'un débat sur la réforme de la Constitution n'est pas non plus incongru.

Les populations qui viennent travailler et vivre dans notre pays veulent être autre chose que des résidents consommateurs. Ils éprouvent le besoin d'accéder à une forme de citoyenneté. La leur proposer au niveau local, c'est reconnaître leur attachement à la commune qui les accueille ou à la ville dans laquelle ils vivent.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons l'amendement proposé par M. Asensi.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Le président Clément a évidemment tort quand il dit que le débat est immature : cette disposition est proposée depuis 1980 - soit vingt-cinq ans - puisqu'elle figurait déjà dans les 110 propositions du candidat Mitterrand, ratifiées par le peuple lorsque ce dernier fut élu.

Je pense au contraire que c'est le moment ou jamais d'aborder cette question, sans qu'il soit nécessaire de faire bouillir la marmite dans le pays.

Je reprendrai un argument que j'ai déjà développé : aujourd'hui, un Allemand peut voter...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Cela s'appelle un Européen !

M. Jean-Pierre Brard. Il est d'abord allemand tout comme vous-même êtes d'abord français. Vous êtes européen parce que vous êtes français. Le contraire n'est pas vrai ; la proposition n'est pas réversible.

Je reprends ma démonstration : pendant la dernière guerre, qui a le plus contribué à la libération de notre pays ? Les Algériens, les Sénégalais, les Vietnamiens ou les Allemands ? Je ne vois pas pourquoi des Algériens qui vivent depuis longtemps dans notre pays ne pourraient pas avoir le droit de vote. J'en connais qui habitent dans des foyers de Montreuil depuis 1947 !

Je connais un excellent écrivain de polars d'une quarantaine d'années, Mouloud Akkouche, qui, quoique né sur notre territoire, ne vote que depuis les dernières municipales. Comme je lui demandais pourquoi, il m'a répondu que longtemps il ne l'avait pas fait car il aurait voulu que sa mère, qui lui a donné naissance sur notre territoire, ait la possibilité de venir voter avec lui.

N'entendez-vous pas la demande de ces Français de facto ? Si, pour la naturalisation, ils n'ont pas franchi le pas, c'est parce que le rapport à la nationalité est une question très intime et très difficile.

L'amendement de M. Asensi nous donne l'occasion de régler définitivement le problème sans polémiques inutiles. Si vous y êtes défavorable, monsieur le président de la commission, ce n'est pas, comme vous le dites, parce que le débat est immature, c'est parce que vous êtes en désaccord sur le fond.

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti.

M. Jean Leonetti. Parlons clair, monsieur Brard : nous sommes défavorables à la participation aux élections des étrangers non communautaires.

Il y a deux citoyennetés : une citoyenneté européenne et une citoyenneté française.

M. Jacques Brunhes. Une citoyenneté européenne ? Elle viendra peut-être mais elle n'existe pas aujourd'hui !

M. Jean Leonetti. De plus, notre pays accorde libéralement la nationalité car il pratique le droit du sol et non le droit du sang. La personne venue sur notre territoire n'a donc qu'une simple démarche à faire : demander à devenir française ! Elle sera ainsi parfaitement intégrée dans le pays où elle vit.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas aussi simple !

M. Jean Leonetti. Méfiez-vous des comparaisons avec les autres pays. En Allemagne, il est très difficile d'accéder à la nationalité. C'est pourquoi on a accordé une sous-citoyenneté de vote.

Mme Guigou avait évoqué une « citoyenneté de passage » ou encore une « citoyenneté d'opportunité ». Quelle insulte à la citoyenneté ! Pour moi, cette dernière est liée à la nationalité et à l'Europe.

Du reste, vous n'avez jamais osé faire voter cette disposition quand vous étiez au pouvoir...

M. Jean-Pierre Brard. Justement ! Réglons le problème ce soir !

M. Jean Leonetti. ...car vous savez que le pays y est opposé. Vous ne l'avez agitée que périodiquement à l'approche des élections lorsque vous aviez besoin du Front national pour espérer accéder au pouvoir.

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin précédemment annoncé sur l'amendement n° 14.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

                    Nombre de votants 62

                    Nombre de suffrages exprimés 62

                    Majorité absolue 32

        Pour l'adoption 13

        Contre 49

L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

Mes chers collègues, je vous propose une brève suspension de séance.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue, le jeudi 27 janvier 2005, à zéro heure cinq, est reprise à zéro heure quinze.).

M. le président. La séance est reprise.

Je suis saisi d'un amendement n° 16.

La parole est à M. Arnaud Montebourg, pour le défendre.

M. Arnaud Montebourg. Mes chers collègues, nous avons, pendant ces deux jours, discuté autour d'une question qui est finalement assez partagée sur l'ensemble des bancs : celle d'un renforcement du contrôle parlementaire concomitant de l'accroissement des pouvoirs des parlements nationaux offert par ce traité. C'est un point sur lequel il y a sinon un consensus, du moins une forme de convergence au-delà des clivages politiques, puisqu'un certain nombre d'amendements que nous allons examiner font apparaître qu'il a été possible, de part et d'autre, de concourir à ce renforcement.

Cependant, un certain nombre de questions ne sont pas réglées par cette convergence. Et il en est une, qui me paraît assez importante, sur laquelle l'Assemblée nationale ne peut pas passer comme si elle n'existait pas. Nous savons que, lorsque l'exécutif national se rend à Bruxelles pour conclure un accord, soit dans le droit communautaire dérivé, soit dans le droit communautaire initial, l'intéressé - c'est-à-dire l'exécutif - est législateur européen. Il fait acte législatif. Il a la signature de la France, qu'il engage.

Cet exécutif, dans la Constitution française, est exclusivement le Président de la République. Ce que Jacques Chaban Delmas a nommé en 1969 le « domaine réservé » trouve sa formalisation juridique dans l'article 52 de la Constitution, puisque le Président de la République est la seule autorité qualifiée par notre texte suprême à négocier, signer et ratifier les traités. Dans le cadre européen, dans la discussion politique permanente que représente l'Union européenne, c'est bien lui qui dispose de la signature de notre pays.

Nous avons, les uns et les autres, dans nos débats, avec nos histoires, nos positions, nos sensibilités, regretté depuis longtemps, au moins quinze ans, qu'il ne soit pas possible de contrôler l'activité diplomatique européenne de notre exécutif. Nous l'avons fait dès le rapport Pandraud en 1986, dans le rapport Ameline ensuite, dans l'amendement Barnier, au moment du traité d'Amsterdam, et le rapport Nallet qui lui faisait écho. Nous le faisons aujourd'hui avec l'amendement de M. Balladur, soutenu par le rapport de M. Blum, et ceux de M. Lequiller ou de notre excellent collègue Jacques Floch, propositions dont nous discuterons tout à l'heure.

Nous sommes donc tous d'accord pour augmenter le contrôle. Mais il ne suffit pas, nous le verrons, de prévoir que le Gouvernement doit soumettre automatiquement au Parlement un certain nombre d'actes législatifs européens. Il faut reconnaître que des problèmes se posent en ce qui concerne la maîtrise de l'ordre du jour par d'autres que le Parlement, l'usage abusif des ordonnances, ou encore le domaine dit  « réservé » du Président de la République.

Nous considérons tous - nous avons au moins ceci de commun - que la Ve République a un acquis: la force de l'exécutif et la stabilité des institutions. Mais elle présente une faille qui a pris aujourd'hui les traits d'un affaiblissement assez caractérisé : le système cohabitationniste, où l'on ne sait pas qui fait quoi.

Je voudrais - veuillez m'en excuser, monsieur le président, mais cela fait partie d'un débat sérieux, responsable et approfondi, et je l'ai déjà fait dans la discussion générale - citer à nouveau quelques passages du livre de Nicolas Baverez La France qui tombe. Je ne partage pas sa théorie du déclin généralisé de notre pays mais il développe une analyse institutionnelle que je trouve très intéressante. Expliquant que nous sommes entrés dans une période d'ambiguïté, d'incertitude, d'instabilité, il écrit : « Au plan des institutions, la France dispose de deux constitutions en même temps, aux antipodes présidentielle ou cohabitationniste, qui alternent au gré des majorités, ce qui revient à ne plus avoir de loi fondamentale et donc de contrat politique stable entre les citoyens. »

M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. « Cette instabilité structurelle, poursuit-il, que le quinquennat tend à accroître, est renouvelée par en haut par le déficit démocratique de l'Union européenne et par en bas avec la multiplication anarchique des révisions constitutionnelles. »

L'absence de clarification des compétences, lorsqu'il y a un désaccord politique entre le Président et le Premier ministre, mène à ce poison institutionnel qui a provoqué tant de confusion et de difficultés.

C'est pourquoi nous avons déposé un amendement qui transfère au Premier ministre, dans le cadre de la conduite de la politique de la nation - ce qui est sa compétence au titre de l'article 21 -, la responsabilité de la négociation et de la représentation de tout acte engageant la France dans l'Union européenne, compétences qui sont aujourd'hui définies de façon peu claire et remontent à l'époque du traité de Rome alors que l'Union européenne n'existait pas encore.

C'est une clarification utile et ce serait surtout, je crois, la fin des ennuis en période de cohabitation. Il s'agit de moderniser nos institutions, qui ne peuvent plus souffrir de ces ambiguïtés.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. L'amendement de M. Montebourg n'étonnera pas ceux qui suivent sa pensée. Nous savons qu'il veut revenir à un régime parlementaire. Il souhaite donc, dans le cadre de sa cohérence constitutionnelle, retirer des pouvoirs au Président de la République pour les transférer au Premier ministre.

Mais je trouve dangereux - car c'est tout à fait inexact - que, dans sa critique de la VRépublique, il laisse croire que le Président de la République n'aurait aucune espèce de contrepoids ni de frein dans son action diplomatique. C'est méconnaître, monsieur Montebourg, le sens de l'article 52 de la Constitution. Cet article, dont nous avons passablement parlé en commission, à l'occasion d'un amendement qu'il nous sera donné d'examiner dans quelques minutes, prévoit bien que le Président de la République négocie et ratifie les traités, mais il est soumis à l'obligation du contreseing.

C'est l'article 19 de la Constitution qui énonce tous les articles pour lesquels le contreseing est exigé. Je vous renvoie à son analyse attentive, qui montre que, si l'on enlève la nomination du Premier ministre, le droit de dissolution, l'article 16, la constitution du Conseil constitutionnel - je n'oublie pas grand-chose -, tous les autres actes du Président y sont soumis. Vous avez l'air de dire que c'est un potentat sans contre-pouvoir. En réalité, le Président de la République a besoin du contreseing du Premier ministre et du ministre concerné. Je rappelle au passage que le traité de Paris a été signé par M. Raffarin et M. Barnier.

En outre, s'il y avait par hypothèse un désaccord profond, fondamental, entre les pouvoirs, l'Assemblée nationale censurerait le Gouvernement et, bien évidemment, le Président de la République ne pourrait pas persévérer dans son souhait de négocier ou de ratifier le traité en cause. Cela montre, monsieur Montebourg, que votre critique de la VRépublique et des pouvoirs réputés tout puissants du Président ne repose sur aucun fondement, car l'exercice de ces pouvoirs est subordonné au contreseing gouvernemental, lequel est lui-même soumis au contrôle de la majorité parlementaire.

Nous sommes donc bien sous un régime parlementaire, même s'il donne au Président de la République des pouvoirs propres, qui ont d'ailleurs permis à la Ve République de montrer son efficacité et de développer son influence dans le monde là où le régime parlementaire strict avait fait la preuve de ses insuffisances. Voilà pourquoi la majorité veut conserver la VRépublique.

M. le président. Monsieur le président de la commission, permettez-moi d'ajouter que la ratification se fait après autorisation du Parlement.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Bien sûr !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement. Il l'est parce que le texte constitutionnel qui vous est proposé a pour but de permettre la ratification du traité signé à Rome en octobre dernier et ne doit pas être l'occasion de modifier les équilibres internes de la Constitution de la Ve République.

M. le président. La parole est à M. Hervé Morin.

M. Hervé Morin. M. Montebourg est partisan d'un rééquilibrage des pouvoirs que nous souhaitons également. Mais, en l'occurrence, son amendement ne me semble pas le bienvenu. En effet, avec le quinquennat sec et la concomitance de l'élection présidentielle et de l'élection législative, on peut estimer que la période de la cohabitation est terminée. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Si son amendement avait un sens au moment où les périodes de cohabitation se succédaient, on peut penser que, grâce à cette concomitance, majorité présidentielle et majorité législative seront les mêmes. Par conséquent, le jeu de Plick et Plock qui donnait parfois une image assez particulière de la France dans son action diplomatique, et en particulier lors des Conseils européens, ne devrait pas a priori se poursuivre.

M. le président. La parole est M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. Même si nous avons à faire à l'un des meilleurs juristes de France,...

M. le président. « Le » meilleur juriste de France !

M. Arnaud Montebourg. ...nous connaissons, nous aussi, le contreseing. Mais nous connaissons également la pratique politique. L'affaire turque est à cet égard assez éloquente : elle montre que le contreseing est formel et que la décision politique est entre les mains du Président de la République, qui, au moment où il engage notre pays, ne subit aucun contrepoids. La Constitution a été inventée pour cela.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Vous n'avez même pas déposé de motion de censure sur l'affaire turque. Vous n'utilisez même pas les institutions. Pourquoi les critiquez-vous ?

M. Arnaud Montebourg. Pardonnez-moi, monsieur le président de la commission des lois, mais quelle curieuse façon, après les compliments que je viens de vous adresser, d'interrompre l'orateur qui vous complimente !

M. le président. Monsieur Montebourg, ne forcez pas votre talent !

M. Arnaud Montebourg. C'est un plaisir de dialoguer avec le président de la commission.

M. le président. Prenez votre plaisir à un autre moment ! (Sourires.)

M. Arnaud Montebourg. Je voulais vous le faire partager, monsieur le président. (Sourires.)

Nous pourrions multiplier les exemples de la pratique du domaine réservé. Exerçant la conduite quotidienne de la nation, le Président de la République prend, au sein de l'Union européenne, des décisions dans des domaines qui, pour le coup, devraient être réservées au Gouvernement et qui peuvent excéder ce qu'un contrôle parlementaire naturel eût autorisé.

Cet amendement, je le souligne pour conclure, a été cosigné par des collègues aussi éminents que MM. Emmanuelli, Valls, Christian Paul, Vidalies, Terrasse et Quilès. Je vais néanmoins le retirer, mais je suis sûr que le débat se poursuivra par des contributions multiples et variées.

M. le président. L'amendement n° 16 est retiré.

M. Jean-Pierre Brard. Je le reprends !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 16, repris par M. Brard.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 15.

Puis-je considérer, monsieur Montebourg, que vous l'avez défendu ?

M. Arnaud Montebourg. Non, monsieur le président.

M. le président. Eh bien, prenez votre plaisir... (Sourires.)

M. Arnaud Montebourg. Nous sommes un certain nombre à nous étonner - et cela ne concerne pas seulement cette législature - du nombre considérable de directives qui sont transposées par voie d'ordonnance. Le garde des sceaux a donné à ce sujet des explications que je juge, pour ma part, insuffisantes. En 2001, ce ne sont pas moins de 117 directives qui ont été transposées par ce moyen. L'année dernière, le gouvernement Raffarin en a fait transposer douze. Ainsi, un gouvernement peut-il signer un texte à Bruxelles, hors de tout contrôle parlementaire européen, et soumettre ensuite à notre parlement un projet de loi d'habilitation regroupant un si grand nombre de directives qu'il est bien rare que les parlementaires que nous sommes puissent en faire le tri et les examiner dans le détail.

M. Hervé de Charette. Il a raison !

M. Arnaud Montebourg. Une fois habilité, il peut enfin faire ratifier ces ordonnances. Où est le contrôle parlementaire ? Il n'y en a aucun, ni a priori, ni a posteriori.

M. François Bayrou. Très juste !

M. Arnaud Montebourg. Un gouvernement appliquant l'article 38 a même un jour engagé sa responsabilité au titre de l'article 49-3 sur un projet de loi d'habilitation ! Cela signifie qu'un gouvernement pourrait faire transposer des directives dont ne voudrait pas le Parlement, en l'absence de tout vote, par le simple rejet d'une motion de censure. Nous voyons bien que la combinaison de l'ensemble de ces éléments pose de réels problèmes.

Le Gouvernement nous fait valoir que, pour respecter ses engagements auprès de l'Europe et ne pas subir les foudres de la Cour de justice, il se trouve dans l'obligation de procéder par voie d'ordonnance. C'est déjà ce que nous disait M. Jospin, c'est ce que nous dit M. Raffarin.

Une solution serait de signer moins de directives. Les mécanismes de contrôle ont précisément pour objet d'augmenter la pression sur l'exécutif afin qu'il cesse de signer n'importe quoi - je vous épargne un inventaire à la Prévert - dans des domaines où il faudrait mieux respecter le principe de subsidiarité. Nous avons à cet égard dans le traité quelques invitations institutionnelles...

M. François Bayrou. Très bien, cela viendra !

M. Arnaud Montebourg. Je n'en doute pas.

Toujours est-il que de telles pratiques ne sont pas sans conséquences concrètes sur la vie quotidienne de nos concitoyens, puisque 60 % de l'ordonnancement juridique français provient de directives européennes. Si nous, députés, ne servons à rien, nous pouvons rendre notre tablier !

M. Michel Piron. Mais non !

M. Arnaud Montebourg. Nous pouvons tout déléguer et rentrer dans nos provinces. Il en sera d'ailleurs ainsi dans peu de temps, si nous n'y prenons garde.

C'est la raison pour laquelle nous demandons au Gouvernement, soit de ne pas aller à Bruxelles pour signer n'importe quoi, soit - c'est la seconde solution - d'organiser une transposition digne de ce nom, en saisissant le Parlement.

M. François Bayrou. Très bien !

M. Arnaud Montebourg. Par cet amendement, j'invite les parlementaires, de la majorité comme de l'opposition, à réfléchir à cette question. Nous proposons de restreindre l'usage de l'article 38 en excluant de l'habilitation à légiférer par ordonnance les dispositions transposées des lois-cadres européennes succédant aux directives.

M. François Bayrou. Très bien !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. L'avis de la commission n'est pas du tout celui de M. Montebourg, et n'en déplaise à ceux qui pensent comme lui, je vais démontrer qu'il a tort.

La France s'illustre tristement, chacun le sait, par le retard qu'elle a pris dans la transposition. Pour rattraper ce retard, le Gouvernement a effectivement transposé par voie d'ordonnance un grand nombre de directives concernant des domaines très variés sans pour autant, contrairement à ce que vous laissez entendre, monsieur Montebourg, que le Parlement ait été privé de débat et ait donné un chèque en blanc au Gouvernement. Si des directives nous sont passées inaperçues, c'est que nous ne travaillons pas assez.

Je me permets de vous rappeler le débat passionné que nous avons eu l'année dernière en séance sur le partenariat public-privé. Vous y avez largement participé car vous aviez parfaitement repéré, dans le rapport de huit cents pages de notre collègue Étienne Blanc, la directive concernant ce fameux PPP où vous voyiez une mine de corruption.

Autrement dit, le Parlement peut discuter de tous les sujets qui l'intéressent à l'occasion de l'examen des projets de loi d'habilitation. S'il ne le fait pas, cela revient en effet à donner un chèque en blanc au gouvernement. Mais, dans le cas précis que je viens d'évoquer, le débat a eu lieu, et les prises de position ont même dépassé les clivages traditionnels. Alors, ne laissez pas accroire que le Parlement serait court-circuité, c'est tout à fait inexact.

De grâce, conservons l'article 38, qui est si précieux, notamment pour rattraper nos retards en matière de transposition. Le Parlement dispose de nombreux pouvoirs ; le problème est que trop souvent, il ne les exerce pas.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes. La France se trouve depuis plusieurs années dans une situation délicate en matière de transposition des directives. Selon les derniers chiffres de la Commission, notre déficit en ce domaine était de 4,1 %, nous plaçant en dix-septième position sur vingt-cinq.

M. Jacques Myard. Enfin, une bonne nouvelle !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Après avoir fait un effort important, nous sommes maintenant à 3,2 %, mais c'est encore loin de l'objectif de 1,5 % qui nous est fixé. Cette situation n'est pas compatible avec le devoir d'exemplarité que la France doit avoir en faveur de l'Europe. Il peut donc être utile dans certains cas de recourir aux ordonnances de l'article 38 pour transposer plus rapidement les directives qui requièrent l'adoption d'instruments législatifs.

Comme vient de le dire M. le président de la commission, le recours aux ordonnances ne constitue en rien une remise en cause des pouvoirs de contrôle du Parlement, puisque ce dernier reste entièrement libre de ne pas donner au Gouvernement l'autorisation nécessaire.

M. François Bayrou. N'importe quoi !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Il lui suffit de ne pas adopter la loi d'habilitation. C'est lui qui détermine le champ de l'habilitation qu'il consent au Gouvernement.

Par ailleurs, c'est encore au Parlement qu'il appartient de ratifier les ordonnances pour qu'elles ne deviennent pas caduques. Il peut ainsi contrôler les mesures qui y figurent.

Le Gouvernement n'est donc pas favorable à un tel amendement, d'une part, parce qu'il aboutirait à le priver d'un outil qui a fait la preuve de son efficacité et, d'autre part, parce qu'il demeure respectueux des prérogatives dues au Parlement.

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. L'exemple que vous venez de prendre, monsieur le président de la commission, est excellent, tant la transposition de la directive relative au partenariat public-privé fut une caricature ! Le rapport de M. Blanc, avec plus de 800 pages, peut sans conteste figurer dans le livre Guinness des records ! Ayant assisté à ce débat, je défie quiconque de prétendre que l'Assemblée a pu contrôler quoi que ce soit dans les 90 textes proposés à l'habilitation !

M. François Bayrou. C'est impossible !

M. Jacques Brunhes. À cette occasion, j'ai pu dire à M. Dutreil que, par le passé, les projets de loi d'habilitation ne comportaient que quelques articles, entre trois et six. M. Dutreil nous a proposé en décembre dernier un projet de loi d'habilitation avec une vingtaine d'articles. On nous annonce pour le mois prochain un projet avec quelque 90 articles. Où est, dans ces conditions, le pouvoir de contrôle du Parlement ? N'est-il plus, selon la formule de M. Alain Duhamel, que de regarder passer les trains ?

M. François Bayrou. Tout à fait !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Bien sûr !

M. Jacques Brunhes. Personne ne peut dire ici, et surtout pas le président de la commission des lois, que nous avons travaillé sérieusement sur le rapport de M. Blanc. C'est la raison pour laquelle le problème des ordonnances n'est pas subalterne : c'est un problème de fond qui nous est posé.

Et aujourd'hui, nous constatons, monsieur le garde des sceaux, que l'on a abusé des lois d'habilitation. J'ai bien entendu Mme la ministre nous dire qu'il nous fallait rattraper notre retard en matière de transposition. Mais nous ne pouvons le faire au mépris des droits du Parlement, ce qui est le cas lorsqu'on lui soumet autant de directives. Ce n'est pas sérieux, c'est même caricatural : les pouvoirs du Parlement sont bafoués !

M. François Bayrou. Eh oui !

M. le président. La parole est à M. Hervé Morin.

M. Hervé Morin. Nous voterons cet amendement, car il faut un contrôle démocratique à un moment ou à un autre. S'il ne peut s'exercer a priori, il doit au moins avoir lieu a posteriori.

Je me souviens en effet qu'une transposition avait fait l'objet d'une exception d'irrecevabilité soutenue par Jean Foyer, ce qui obligea M. Raymond Barre à utiliser l'article 49-3 pour faire adopter le projet de loi d'habilitation.

Le Parlement doit pouvoir examiner les transpositions législatives. Prétendre que nous ne disposerions pas des outils nécessaires pour transposer en temps utile les directives, est faux. C'est une question d'organisation du travail. Pourquoi la France ferait-elle moins bien que l'Italie, dont on raille régulièrement le régime parlementaire ?

M. François Bayrou. Tout à fait !

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. J'ai le souvenir, monsieur le président de la commission des lois, d'une loi d'habilitation visant à transposer 117 directives dans des domaines aussi variés que les médicaments vétérinaires, la protection des travailleurs, la reconnaissance des diplômes, l'environnement, les assurances, l'égalité hommes-femmes, les comités d'entreprise européens, les diagnostics in vitro, les transports, les télécommunications, la protection des consommateurs, la propriété intellectuelle, les denrées alimentaires, l'alimentation animale, les opérations sur titres, la profession d'agent artistique, la protection de la couche d'ozone, le transfert des déchets, le contrôle des risques présentés par des substances existantes, les règles d'apposition des poinçons de garantie, la profession d'agent en brevets, le transport des produits viti-vinicoles, la création du réseau Natura 2000, les marchés publics de travaux, la refonte du code de la mutualité, la taxation des poids-lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures... Tout cela en une seule loi ! Et c'est nous qui ne travaillerions pas assez, monsieur le président de la commission des lois ?

M. François Bayrou. Bonne question !

M. le garde des sceaux. Quand a eu lieu cette transposition ?

M. Arnaud Montebourg. En janvier 2001 !

M. le garde des sceaux. J'apprécie de vous l'entendre dire !

M. Jacques Brunhes. Mais il y a eu pire !

M. Arnaud Montebourg. Tous les gouvernements ont pratiqué ainsi, parce que le système politique et constitutionnel le permet.

M. François Bayrou. Très juste !

M. Arnaud Montebourg. Il suffit d'élaborer des dispositifs de contrainte pour faire changer les pratiques.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 15.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 1.

La parole est à M. Daniel Garrigue, pour le soutenir.

M. Daniel Garrigue. Mes chers collègues, la réforme constitutionnelle que nous discutons a essentiellement pour objet de permettre l'adoption de la future Constitution européenne. Mais, alors que celle-ci a pour but de renforcer la capacité de décision et d'action de l'Union européenne, et qu'elle prévoit un renforcement des pouvoirs de contrôle des parlements nationaux, il serait dommage que nous n'en profitions pas pour nous interroger sur les instruments permettant d'assurer le suivi des enjeux européens au sein de notre propre parlement.

Quelle est la situation aujourd'hui ? Nous avons une délégation à l'Union européenne, à l'Assemblée nationale et au Sénat, depuis 1979. À l'époque, c'était une innovation. Ces deux délégations accomplissent un travail considérable. Sous l'impulsion de leurs présidents, notamment de Pierre Lequiller à l'Assemblée nationale, elles assurent un suivi de l'actualité européenne qui s'avère très réactif à tout ce qui se passe au sein de l'Union. Mais la grande difficulté de ces délégations, c'est qu'elles n'ont pas accès à la séance publique. La procédure de l'article 88-4 devrait, en principe, aboutir à ce que certaines propositions de résolution viennent en séance publique. Or l'on constate qu'elles y parviennent de moins en moins fréquemment. Depuis le début de la législature, on peut compter sur les doigts d'une seule main le nombre de celles qui ont été discutés dans cet hémicycle.

M. Hervé Morin. Combien y en a-t-il eu ?

M. Daniel Garrigue. Cette situation contribue largement au déficit d'Europe que nous constatons dans notre Parlement. C'est d'autant plus paradoxal que, dans les vingt-quatre autres États de l'Union, y compris dans ceux qui sont considérés comme les moins européens, il y a des commissions des affaires européennes.

Trois arguments justifient que nous adoptions la même solution que les autres États membres.

Le premier résulte de notre Constitution elle-même. Il y avait déjà l'article 88-4, il y aura demain les articles 88-5 et 88-6, qui donneront lieu à une instruction au sein de chaque assemblée. Il serait logique que chaque fois que ces procédures seront mises en œuvre, l'aboutissement en soit la séance publique. Il est évident que c'est uniquement dans la mesure où l'instruction aura été menée dans le cadre d'une commission permanente, que l'on aura des chances sérieuses d'y parvenir.

Second argument : il faut remédier au véritable hiatus qui existe entre la phase de préparation des directives, où la délégation est saisie au titre de l'article 88-4, et la phase de transposition, où ce sont les commissions permanentes qui sont compétentes. Vous avez à juste titre, madame la ministre, rappelé qu'il y a une amélioration dans la transposition des directives, mais il est vrai aussi que, du point de vue du contrôle parlementaire, le suivi serait bien meilleur si la même instance intervenait dans les deux phases. Je pense en particulier à la question des ordonnances : dans certains cas, il est indispensable d'y recourir mais, si les commissions permanentes avaient pu étudier les directives dès leur phase de préparation, le recours aux ordonnances paraîtrait encore plus logique et justifié.

Enfin, le troisième argument est le plus important : si on veut que les enjeux européens soient réellement discutés au sein de l'Assemblée nationale, il faut un vecteur qui puisse les amener jusque dans l'hémicycle pour qu'ils soient débattus par l'ensemble des députés. Et dans le système parlementaire actuel, le seul vecteur idoine, c'est la commission permanente. On pourrait nous répondre qu'après tout, la Constitution se contente de prévoir six commissions permanentes et qu'il suffirait de redistribuer les compétences pour créer, parmi les six, une commission des affaires européennes. Mais il faut bien reconnaître que la répartition des compétences entre les commissions a été faite en 1959, qu'elle n'a pratiquement jamais été modifiée depuis, et que toucher à cet équilibre savamment entretenu poserait certainement beaucoup de problèmes.

C'est pourquoi, avec quinze de mes collègues, dont Mme Anne-marie Comparini, qui avait l'intention de déposer un amendement identique mais qui a bien voulu se joindre à nous, nous vous proposons la création d'une septième commission parlementaire.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. C'est un débat récurrent mais, contrairement à ce que laissent entendre les auteurs de ce type d'amendement - M. Garrigue me concédera que ce n'est pas le premier de ce genre que nous examinons -, l'emploi du mot « commission » est une erreur de vocabulaire qui crée la confusion. Il ne faut pas confondre, en effet, commission législative et commission de contrôle. Comme vous vous contentez du seul mot « commission », monsieur Garrigue, vous constatez dans les autres pays l'existence d'une commission des affaires européennes, et vous vous dites qu'il s'agit d'une commission permanente. Mais ce n'est jamais une commission législative, tandis que les six commissions prévues par la Constitution française le sont.

Notre délégation pour l'Union européenne, que l'on pourrait, si ça nous chantait, appeler « commission », est, quant à elle, comme dans tous les pays de l'Union, une commission de contrôle à caractère tranversal. Partout, la démarche est la même. Là où le bât blesse le plus dans votre proposition, c'est que la création d'une commission européenne permanente de type législatif nous ôterait la capacité de contrôle dont disposent tous les autres pays, alors que nous en disposons aujourd'hui avec cette commission transversale que nous appelons « délégation ».

Le problème, c'est le nom de baptême. « Délégation » ne va pas, mais si on l'appelle « commission », ça ne va pas non plus puisque c'est le même mot que pour les commissions législatives. Pour ma part, je milite pour le mot « comité », qui a l'avantage de se traduire très facilement en anglais.

M. Jacques Myard. Comité de salut public ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. N'allons pas jusque-là, même ci ça peut plaire à certains...

M. Jean-Pierre Brard. Il ne faut pas avoir peur de l'histoire !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Nous parlons plutôt du futur, mais je vais tenter de continuer mon raisonnement : il est clair que tous les membres de l'Assemblée nationale ont vocation à suivre ce qui se passe au niveau européen. Et quand, je l'espère, le traité portant Constitution aura été adopté par référendum, nous aurons tous vocation à vérifier que le principe de subsidiarité est respecté : c'est au sein de chaque commission qu'il conviendra de le faire. Il ne s'agit donc pas de confier à une seule commission tout le travail. Prenons l'exemple de la commission des lois : elle serait vidée des trois quarts de ses missions, et on ne voit pas pourquoi on la garderait, tandis que la commission en charge des affaires européennes serait bien incapable de tout vérifier dans ce domaine. Il faut donc bien garder une structure tranversale pour que toute commission se sente concernée par le suivi législatif du travail européen, et il ne faut en aucun cas transformer notre délégation en commission législative. Il importe de conserver à l'organe existant son caractère de contrôle.

M. Jacques Myard. Vous avez raison !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Voilà le fond du débat. Quant au nom de baptême, c'est ad libitum. Faisons un concours d'idée et gardons la meilleure. Mais évitons le mot « commission ».

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Je comprends les motifs de l'amendement défendu par M. Garrigue. Mais je suis tout à fait réservé sur la solution qu'il propose. En effet, celle-ci aurait un très gros inconvénient : la répartition du travail au sein des commissions ne se ferait plus en fonction de la nature des sujets à traiter, mais en fonction de l'origine de la norme. Or, compte tenu de l'élargissement des compétences de l'Union européenne, beaucoup de sujets vont être à coloration européenne, et si l'ensemble de ces sujets était traité par une seule des sept commissions,...

M. Jacques Myard. Elle serait asphyxiée !

M. le garde des sceaux. ...où serait la cohérence entre l'action menée au niveau de l'Union et celle menée au niveau national ?

Cela étant, je comprends bien la nécessité d'une certaine coordination et d'une réflexion conjointe sur les sujets européens. Je ne sais pas s'il y a un problème de vocabulaire. Il ne m'appartient pas de trancher sur ce point. Mais j'insiste sur la méthode de travail : il est important qu'un groupe de parlementaires appartenant aux diverses commissions et s'intéressant plus particulièrement aux affaires européennes puissent travailler ensemble, mais il faut que, parallèlement, dans chacune des commissions permanentes, il y ait une recherche de synthèse sur les sujets traités à la fois au niveau européen et au niveau national.

C'est pourquoi je suis réservé sur cette proposition de répartir les parlementaires en sept commissions au lieu de six, l'une d'entre elles ayant l'exclusivité des questions européennes.

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Nous souhaitons, comme M. Garrigue, que le Parlement s'intéresse davantage aux affaires européennes, mais nous considérons que la solution qu'il propose est très insuffisante. Outre les arguments invoqués par le président de la commission des lois et le garde des sceaux, à savoir que chaque commission doit examiner les aspects européens des sujets qui la concernent, il importe de mesurer les conséquences qui résulteraient de cette modification au niveau de l'exécutif, avec sans doute la nécessité de donner au ministère des affaires européennes une autonomie beaucoup plus grande que celle qu'il a actuellement au sein du ministère des affaires étrangères. Vous voyez que cela irait loin. Et cela supposerait aussi - je parle sous le contrôle de M. le président de la commission des affaires étrangères - que tout un pan des sujets actuellement traités par cette commission lui serait ôté au profit de la nouvelle commission des affaires européennes.

La réponse à cette question mérite donc un examen plus approfondi ; elle ne peut se limiter à un simple changement de dénomination ou du nombre des commissions.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Comparini.

Mme Anne-Marie Comparini. Voilà trois semaines qu'avec M. Garrigue, de délégation aux affaires européennes en commission des lois, nous parlons de cette question. Et je ne vous cacherai pas mon sentiment de malaise.

Au début, on nous a dit que c'était peut-être une bonne idée, mais que cela supposait de changer le nombre de commissions prévu dans la Constitution. Alors arrive la révision de la Constitution, et on pense que c'est le bon moment.

Ensuite, on nous demande de faire attention, car les affaires européennes sont une matière transversale, donc difficile à faire étudier par une seule commission. Mais c'est la même chose pour les affaires étrangères, pour les finances, pour les lois ! Et ce soir, M. le président de la commission des lois trouve un nouvel argument : la délégation serait une commission de contrôle et non une commission législative.

Cette affaire, mes chers collègues, me semble très technique. C'est pourquoi je me suis associé avec plaisir à M. Garrigue.

Le traité constitutionnel donne des prérogatives aux parlements nationaux. Or comment la France réagit-elle ? En tournant autour du pot ! Pourquoi cette pudeur française ? L'Europe, elle, ne craint pas d'avancer.

Pardonnez-moi de le dire de façon triviale : il est des moments où il faut appeler un chat un chat ! Nous sommes le seul pays européen à ne pas avoir de commission des affaires européennes. Et M. Clément l'a dit lui-même, nous nous illustrons tristement par notre lenteur en matière de transposition.

Nous proposons une structure, dite « commission », qui permette à la France de ne plus être le mauvais élève de la classe européenne. Monsieur le président de la commission des lois, monsieur le garde des sceaux, je suis convaincue que vous étiez de bons élèves. N'avez-vous pas envie de l'être encore en donnant plus de démocratie à notre parlement ?

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Soisson.

M. Jean-Pierre Soisson. Monsieur le président, je me tourne vers vous. Tout le débat en commission des lois a porté sur les rapports nouveaux entre les institutions européennes et l'Assemblée nationale. J'ai pensé, et je le redis ici, que vous pourriez prendre l'initiative d'une mission, que vous organiseriez comme vous l'entendez, que vous confieriez à qui vous le souhaitez, peut-être à l'actuelle délégation pour l'Union européenne, afin de déterminer les conditions dans lesquelles ces rapports nouveaux pourraient s'établir.

Nous sommes en train de parler du contenant avant d'examiner le fond, c'est-à-dire le contenu. Envisageons d'abord les rapports à établir et les problèmes qui se poseront. Nous verrons ensuite comment les régler.

M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Plusieurs objections m'ont été faites, qui n'étaient pas tout à fait celles auxquelles on pouvait s'attendre. Voyons d'abord celle formulée par M. le président de la commission des lois.

Il est dommage, monsieur Clément, que vous n'ayez pas fréquenté d'autres commissions que la vôtre ! Elle est, c'est vrai, essentiellement législative, mais beaucoup d'autres ont à la fois un rôle législatif et une fonction de contrôle ; c'est le cas de la commission des finances en particulier. Par conséquent, la distinction que vous faites entre commissions législatives et commissions de contrôle n'est pas conforme au droit parlementaire.

M. François Bayrou. Très juste !

M. Daniel Garrigue. Selon vous, monsieur le garde des sceaux, le critère de répartition des travaux deviendrait celui de l'origine. Je fais observer que les conventions, qui sont toutes soumises à la commission des affaires étrangères, ne le sont pas selon un critère matériel - elles traitent tantôt de questions agricoles, tantôt de questions d'environnement ou de droits des personnes - mais parce que ce sont des conventions internationales.

M. Jacques Myard. Et il y a un avis des autres commissions !

M. Daniel Garrigue. En effet, cela n'empêche pas les autres commissions de donner leur avis.

Par conséquent, le critère de l'origine ne pose pas de problème, d'autant que la répartition peut être organisée par le règlement des assemblées, lequel veille à assurer un équilibre entre les différentes commissions.

Je ne pense pas non plus que la création d'une commission des affaires européennes dessaisirait celle des affaires étrangères, pour la simple raison que les affaires européennes ayant un caractère de plus en plus généraliste, ce qui les concerne concerne aussi, de plus en plus, l'ensemble des commissions.

J'ai vécu, cet après-midi, une expérience très significative. L'objet de la réunion de la commission des finances était de définir son programme de travail pour les mois à venir. J'y ai posé la question de la place des affaires européennes dans ce travail, puisque, en matière économique et financière, presque tout se joue désormais à l'échelle de l'Europe. Or la commission des finances n'a été saisie de sujets européens qu'en deux occasions dans la période récente : au moment de discuter de la contribution française au budget communautaire et à propos des perspectives budgétaires pour la période 2007-2013. Sur des sujets aussi importants que la stratégie de Lisbonne, stratégie de développement de l'emploi et de la croissance au niveau de l'Europe, ou la réforme du pacte de stabilité, la commission des finances n'est pas saisie et ne se saisit pas.

M. le président. Elle pourrait le faire !

M. Daniel Garrigue. On pourrait observer le même phénomène dans l'ensemble des commissions parlementaires.

Pour changer cette situation, il n'y a qu'une solution : créer une commission des affaires européennes, qui puisse apporter ces débats là où ils doivent trouver leur place, c'est-à-dire en séance publique, ce qui n'empêcherait pas les autres commissions de se saisir pour avis et ne remettrait pas en cause l'équilibre entre les commissions, puisqu'il ne s'agit que de rédiger en ce sens le règlement des assemblées et de veiller ainsi à préserver l'équilibre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. M. Garrigue a la certitude de sa bonne foi et ses propos ont l'apparence de la vérité mais ils sont inexacts.

Les six commissions permanentes ont un point commun : elles sont législatives et, vous avez raison, monsieur Garrigue, pour certaines d'entre elles, elles exercent en outre une mission de contrôle, la commission des finances en particulier, beaucoup plus, il est vrai, que la commission des lois.

En revanche, la délégation pour l'Union européenne - appelez-la « commission » si cela vous chante ! - n'a aucun rôle législatif. Et l'article 43, qui renvoie tous les textes aux six commissions permanentes, ne pourra jamais y ajouter la délégation ou la « commission » pour l'Union européenne car, je le répète, elle n'a pas de rôle législatif.

M. Jacques Myard. Elle ne peut pas en avoir, par définition, puisque le pouvoir législatif appartient en l'occurrence aux instances européennes !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Merci de le reconnaître ! La démonstration est donc faite : la délégation ne peut donc devenir une septième commission permanente de l'Assemblée nationale !

Dans tous les pays membres, il y a des commissions de contrôle. Et dans certains pays, comme l'Allemagne - l'exemple peut faire réfléchir -, les parlementaires européens viennent siéger à la commission des affaires européennes, au Bundestag.

M. Jacques Myard. Cela peut se faire aussi chez nous !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. C'est dire qu'elle n'a rien à voir avec les commissions permanentes dont vous parlez, monsieur Garrigue. Aucun pays ne pratique ce que vous recommandez. Vous reprochez à la commission des finances de ne pas avoir joué son rôle de contrôle ; si l'on vous suivait et si c'était la délégation qui était permanente, elle ne pourrait le faire en aucun cas !

M. Daniel Garrigue. Elle ne peut pas le faire, parce que ce n'est pas une commission !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Là, si elle l'avait voulu, la commission des finances aurait pu le faire.

M. le président. La parole est à M. Édouard Balladur.

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Le débat est finalement très simple : c'est, d'abord, une question de dénomination, puis une question d'attributions.

Si la « délégation » est gênée de se nommer ainsi alors que ses homologues des autres pays se nomment « commission », on devrait pouvoir trouver une solution. Le président de la commission des lois a parlé de « comité ». Pourquoi pas ? Je n'y verrais, pour ma part, aucun inconvénient, même si on devait l'appeler « commission spéciale ». Voilà pour la forme.

Sur le fond, ou bien nous souhaitons que l'actuelle délégation attire à elle toutes les opérations de contrôle législatif et se substitue ainsi à l'Assemblée tout entière et à toutes les commissions,...

M. Jacques Myard. Bien sûr !

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. ...ou bien nous en faisons un organe - qu'elle est d'ailleurs, actuellement, en pratique - de contrôle général de l'activité européenne et de contrôle de l'activité européenne du Gouvernement, jouant un rôle d'alerte et de répartition pour signaler aux diverses commissions compétentes tel ou tel problème important dont elles devraient s'occuper.

Est-ce ainsi que cela se passe ? Pas toujours. La situation peut-elle s'améliorer ? Sûrement. Créer une mission pour examiner comment cela se passe, j'y suis tout à fait favorable.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lequiller.

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne. Je pense, moi aussi, que la question de M. Garrigue présente deux aspects ; je l'ai écrit dans le rapport que j'ai rédigé à propos de cette réforme constitutionnelle.

Sur la dénomination, je remercie M. Balladur de ses propos : nous avons un problème de perception, tant à l'étranger qu'à l'intérieur de notre pays. Le mot « délégation » évoque souvent des gens qui se rendent à Bruxelles ou dans d'autres pays européens, ce que nous faisons aussi mais ce n'est pas l'essentiel de notre activité. Quant au terme « comité », il fait penser au « comité Théodule » et on ne saurait pas très bien ce que c'est. Le président de la commission des lois a peut-être trouvé la solution - je la cherche depuis longtemps - en évoquant une « commission de contrôle ».

M. le président. Revenons à l'amendement.

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne. Attendez, monsieur le président...

M. le président. Dois-je vous rappeler le règlement ? L'amendement de M. Garrigue est celui qui propose de faire passer le nombre des commissions permanentes de six à sept.

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne. Si je n'ai pas droit à la parole, je la rends !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 8 n'est pas défendu.

Je suis saisi d'un amendement n° 17 de M. Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. Je le retire.

M. le président. L'amendement n° 17 est retiré.

Je suis saisi d'un amendement n° 5 rectifié.

La parole est à M. Jacques Myard, pour le soutenir.

M. Jacques Myard. La France est impliquée dans deux champs d'action extérieure en dehors des affaires étrangères : l'Union européenne, d'une part, et ce qui constitue une politique importante pour elle, le développement à l'extérieur de sa langue, la francophonie, d'autre part.

Alors que chacun regrette que la langue française recule, notamment dans l'Union européenne, il serait utile de consacrer la francophonie dans notre loi fondamentale. Ce serait un signe fort à adresser aux pays non européens avec lesquels nous partageons cette langue, mais aussi à nos partenaires européens qui ont tendance à privilégier une autre langue et à ignorer la nécessité d'être polyglotte et multiculturel en Europe.

Il serait sain de saisir l'occasion qui nous est donnée de modifier à cette fin le titre XIV de la Constitution, qui concerne les accords d'association, autrefois ceux de l'ancienne Communauté française, d'une part, en ajoutant à l'intitulé le mot « francophonie » ; d'autre part en complétant l'article 88 par un alinéa ainsi rédigé : « La République française participe à la construction d'un espace francophone de solidarité et de liberté. »

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, il est une heure et quart. Nous devons maintenant examiner l'article 1er : il y a un orateur inscrit sur l'article, et un amendement de M. Brunhes. Puis vient une série d'amendements importants dont l'examen risque d'être long.

L'Assemblée souhaite-t-elle que nous poursuivions nos travaux ou que nous les reprenions demain après-midi ? (« Demain après-midi ! » sur divers bancs.)

La suite de la discussion est donc renvoyée à une prochaine séance.

    2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Aujourd'hui, à neuf heures trente, première séance publique :

Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, n° 1684, relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l'eau dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement :

Rapport, n° 2041, de M. André Santini, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, n° 2022, modifiant le titre XV de la Constitution :

Rapport, n° 2033, de M. Pascal Clément, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République,

Avis, n° 2023, de M. Roland Blum, au nom de la commission des affaires étrangères ;

Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, n° 1287, relative à la création du registre international français :

Rapport, n° 2039, de M. Jean-Yves Besselat, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire,

Avis, n° 2035, de M. René Couanau, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 27 janvier 2005, à une heure quinze.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot