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Première séance du jeudi 27 janvier 2005

127e séance de la session ordinaire 2004-2005


COOPERATION INTERNATIONALE POUR L'EAU ET L'ASSAINISSEMENT

Discussion d'une proposition de loi adoptée par le Sénat


PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

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COOPÉRATION INTERNATIONALE POUR L' EAU ET L'ASSAINISSEMENT

Discussion d'une proposition de loi
adoptée par le Sénat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l'eau dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement (nos 1684, 2041).

La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. André Santini, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie, mes chers collègues, alors que l'aide aux pays en développement en matière d'approvisionnement en eau et d'assainissement est depuis quelques années une préoccupation majeure des programmes de développement, le raz de marée qu'a connu l'Asie du Sud-Est le 26 décembre 2004 a attiré l'attention sur la nécessité d'agir, parfois dans l'urgence, en matière d'eau potable.

Aux sommes débloquées et aux compétences techniques mobilisées par les entreprises françaises de l'eau et les collectivités territoriales est venue s'ajouter l'aide, à hauteur de près de 3 millions d'euros, des agences de l'eau. Mais si le ministre de l'écologie et du développement durable et le ministre des affaires étrangères ont permis cette participation des agences de l'eau, il faut savoir que l'assise légale de leur action est insuffisante.

La proposition de loi sur la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l'eau dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement, qui a été votée à l'unanimité en première lecture au Sénat le 22 juin 2004, permettra d'apporter cette base légale qui fait jusqu'à présent défaut. Cette proposition de loi a en effet pour objet de permettre aux communes, aux établissements publics de coopération intercommunale, aux syndicats mixtes et aux agences de l'eau d'aider des collectivités étrangères dans les domaines de l'eau et de l'assainissement en ayant recours aux ressources provenant des services d'eau et d'assainissement.

L'aide qu'il convient d'apporter dans ce domaine est considérable. À l'heure actuelle, 1,1 milliard d'hommes ne bénéficient pas d'un accès durable à l'eau potable et 2,4 milliards n'ont pas accès à des services d'assainissement satisfaisants. C'est pourquoi la Déclaration du Millénaire a fixé l'objectif suivant : réduire de moitié, d'ici à 2015, la population privée d'accès permanent à l'eau potable. Le forum mondial de l'eau, qui s'est tenu à La Haye, en mars 2000, a par ailleurs rappelé la nécessité d'un investissement supplémentaire annuel de 100 milliards de dollars dans le secteur de l'eau pour satisfaire le besoin mondial en infrastructures d'approvisionnement et d'assainissement.

La Communauté européenne, consciente du défi que représente l'accès à l'eau pour le développement, a dès 1984 favorisé la mise en place de l'association «programme solidarité eau». Plus récemment, en mars 2004, le Conseil a permis la création de Facilité pour l'eau, fonds qui permettra de cofinancer des actions.

Pour toutes ces raisons, les pays développés, et au premier chef la France, ont un rôle décisif à jouer.

Les domaines de l'eau et de l'assainissement sont déjà un champ privilégié de la coopération décentralisée entre les collectivités territoriales françaises et les collectivités étrangères.

Pour conclure une convention de coopération décentralisée, une collectivité doit respecter les engagements internationaux de la France et les limites de compétence des collectivités territoriales. Dans la mesure où les services publics de l'approvisionnement en eau et de l'assainissement relèvent de la compétence des communes, ces dernières ont pu, à juste titre, conclure des conventions dans ce domaine avec des collectivités étrangères. C'est aujourd'hui le cas de 26 villes, communautés urbaines ou communautés d'agglomération. La plupart des collectivités étrangères concernées par cette coopération se situent en Afrique, où les problèmes liés à l'eau sont les plus prononcés. L'objectif de la coopération peut être d'améliorer la gestion des eaux, d'aider à la construction de châteaux d'eau ou au creusement et à la rénovation de puits. Je me permets de citer l'exemple de ma commune, Issy-les-Moulineaux, qui, depuis de nombreuses années, apporte une aide à la ville de Dapaong, au Togo.

Cependant, les services publics de l'approvisionnement en eau et de l'assainissement sont des services publics industriels, faisant l'objet d'une instruction budgétaire et comptable particulière, l'instruction M49. Même lorsqu'ils sont gérés en régie, ils doivent avoir un budget propre, distinct du budget communal. Aussi, la coopération décentralisée en matière d'eau et d'assainissement ne peut être financée par le budget des services d'eau et d'assainissement, mais doit l'être par le budget général de la collectivité territoriale concernée.

Pour leur part, les agences de l'eau, qui sont des établissements publics administratifs, ne peuvent pas en principe participer à des actions de coopération internationale, en vertu du principe de spécialité qui s'applique aux établissements publics. Malgré cela, certaines agences de l'eau ont consacré, dans les années 1990, une fraction de leurs ressources à de telles actions. Ainsi, l'agence Seine-Normandie consacrait-elle annuellement près de 1 million d'euros à ces actions. Mais la Cour des comptes, qui a contrôlé en 2002 les comptes de l'agence Rhin-Meuse, a condamné de telles pratiques, qui sont contraires au principe de spécialité des établissements publics, et les opérations menées par certaines agences de l'eau ont dû être interrompues.

M. Jacques Oudin et plusieurs de ses collègues sénateurs, soucieux de promouvoir la coopération décentralisée et préoccupés, à juste titre, par la situation d'insécurité juridique des agences de l'eau, ont présenté en novembre 2003 la proposition de loi que nous examinons. Cette proposition de loi est largement inspirée d'un système original, et à ma connaissance unique en Europe, mis en œuvre dès 1986 par le syndicat des eaux d'Ile-de-France, syndicat mixte que j'ai l'honneur de présider et qui dessert 144 communes de la région parisienne. Ce système consiste à prélever un pourcentage, à l'époque un centime de franc par mètre cube d'eau vendu, pour le consacrer à des actions d'aide dans les domaines de l'eau et de l'approvisionnement.

Cette proposition de loi, conforme aux propositions pour une réforme de la politique de l'eau qu'avait publiées en février 2004 le ministère de l'environnement et du développement durable, a été votée à l'unanimité par nos collègues sénateurs le 22 juin 2004. Cette proposition de loi, qui constitue pour ainsi dire le prélude au projet de loi sur l'eau que notre assemblée devrait examiner prochainement, offre l'occasion non seulement de combler un vide juridique, mais aussi de renforcer la coopération décentralisée des collectivités françaises ainsi que l'engagement de la France en faveur des pays en développement.

Son article 1er permet aux communes, établissements publics de coopération intercommunale et syndicats mixtes de financer des actions de coopération internationale, dans les domaines de l'approvisionnement en eau et de l'assainissement, à partir des ressources provenant du budget des services d'eau et d'assainissement. La fraction du budget des services d'eau et d'assainissement ainsi consacrée à l'aide extérieure ne devra pas être supérieure à 1 % de l'ensemble des ressources.

L'article 2 permet aux agences de l'eau de consacrer une part de leurs recettes à la coopération internationale. La fraction ainsi utilisable est elle aussi limitée à 1 % du total des ressources. Dans le cas des agences de l'eau, la convention de coopération devra être soumise à l'avis du comité de bassin, ce qui garantira un contrôle sur les actions décidées et les sommes engagées. Enfin, l'article 2 permet aux agences de l'eau d'avoir recours à leur personnel pour mener les actions de coopération internationale.

Outre la conclusion de conventions de coopération décentralisée respectant 1es règles définies par l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, la proposition de loi permet, tant aux communes, établissements publics intercommunaux et syndicats mixtes qu'aux agences de l'eau, de mener des actions d'aide d'urgence et des actions de solidarité internationale. La nécessité d'agir parfois dans l'urgence, sans avoir conclu de convention, et la possibilité de venir en aide à des institutions n'ayant pas le statut de collectivités territoriales sont donc prises en compte. C'était particulièrement nécessaire, comme l'a démontré l'exemple récent du raz de marée asiatique, qui a exacerbé les problèmes d'approvisionnement en eau potable et accentué les risques de développement de maladies transmises par de l'eau contaminée.

L'examen de cette proposition de loi au Sénat a soulevé deux questions. Tout d'abord, la commission des lois du Sénat a hésité entre la limite de 1 % et celle de 0,5 % pour fixer la fraction des recettes pouvant être consacrée à la coopération internationale. La limite de 1 % a finalement été retenue et nous souhaitons, pour notre part, nous en tenir à ce pourcentage, pour deux raisons. Choisir un seuil élevé a le mérite de présenter un affichage positif en faveur d'un tel type de coopération décentralisée et ne signifie nullement qu'il faudra atteindre cette limite, qui représentera un maximum et non une obligation. De plus, un maximum élevé présente l'avantage de laisser une plus grande marge de manœuvre pour intervenir dans des situations d'urgence. Le syndicat des eaux d'Ile-de-France, par exemple, a consacré à titre exceptionnel 150 000 euros à l'aide d'urgence à l'Asie du sud-est.

La seconde question qui s'est posée au Sénat a trait à la dénaturation éventuelle des redevances d'eau et d'assainissement dès lors qu'une fraction de celles-ci financerait des actions sans lien avec le service rendu. Comme le Sénat, nous avons tendance à considérer qu'une telle dénaturation n'est pas à craindre, car la coopération internationale peut être une source d'apprentissage réciproque et contribuer à l'amélioration du service pour la collectivité française concernée. Cependant, la présentation des factures devra faire ressortir clairement la destination finale des contributions de l'usager, et c'est pourquoi nous recommandons, pour financer la coopération internationale, d'utiliser un prélèvement sous la forme de centimes additionnels sur les mètres cubes facturés à l'usager.

En effet, et c'est ainsi que nous souhaiterions conclure, les actions de coopération internationale qui seront financées grâce aux dispositions contenues dans cette proposition de loi devront toujours être menées de manière volontaire et dans la plus grande transparence. C'est pourquoi la commission des lois vous propose d'adopter cette excellente et nécessaire proposition de loi sans la modifier. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie.

M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir permis l'examen rapide, dans le calendrier parlementaire de ce début d'année, de cette proposition de loi relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l'eau dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement.

Cette proposition de loi, présentée au Sénat par le sénateur Oudin et adoptée à l'unanimité par la Haute assemblée, a reçu le soutien du Gouvernement, car il est essentiel de favoriser la coopération française décentralisée dans le domaine de l'eau.

L'actualité tragique que nous venons de vivre avec le tsunami en Asie du Sud-Est nous a imposé le devoir moral d'agir. L'aide que nous apportons, qu'il s'agisse de l'humanitaire d'urgence ou de la reconstruction à long terme, concerne très souvent les infrastructures en eau potable. C'est dire l'importance qu'il y avait à adopter au plus vite cette proposition de loi.

Les acteurs locaux qui interviennent dans ce domaine - essentiellement les syndicats intercommunaux de gestion de l'eau, les agences de bassin et les communes - opèrent aujourd'hui dans un vide juridique déstabilisant. La proposition de loi a pour objectif de remédier à cette situation en leur proposant de mener, sur une base volontaire, des actions de coopération dans la limite de 1 % de leurs ressources.

Je suis heureux que ce pourcentage ait été non seulement proposé, mais retenu, et j'en félicite le rapporteur, M. Santini, car il est bien à la mesure des enjeux, que j'évoquerai brièvement. Il est aussi une limite.

Cette proposition de loi a donc pour ambition de rendre légal un état de fait qui dure depuis longtemps et que personne ne remet en cause. Elle permet aussi de valoriser l'expertise française dans le domaine de l'eau. Je salue tout particulièrement le travail du rapporteur et le conseil qu'il a émis à destination des opérateurs d'isoler, dans la facture d'eau, le montant de l'aide affectée. Il s'agit là d'un élément de transparence essentielle et, surtout, de mobilisation des opinions et des citoyens.

S'agissant plus largement de la coopération décentralisée, je voudrais insister sur la nécessité de coordonner nos politiques. Cette coordination est essentielle car, à côté de l'action de l'État, les formes non gouvernementales de coopération ont connu, et continuent de connaître, un développement considérable.

Ce développement est devenu si important qu'il apparaît aujourd'hui nécessaire, dans le respect de la liberté de chacun - de la liberté conférée par la loi - d'introduire une meilleure cohérence dans les orientations et dans les actions extérieures de coopération et d'aide au développement.

C'est aussi un impératif moral. Nous avons un devoir de visibilité et d'efficacité à l'égard de nos concitoyens. Ils sont des contribuables et, à ce titre, ce sont eux qui financeront nos actions de coopération.

Nous avons aussi - et peut-être surtout - un devoir à l'égard de nos partenaires et des bénéficiaires des actions que nous entreprenons. La commission nationale de coopération décentralisée a pour mission de coordonner les actions de l'État et des collectivités. Il me semblait utile de l'évoquer au cours de cette discussion.

Enfin, la coordination entre collectivités territoriales est évidemment indispensable. Elles doivent veiller à se coordonner entre elles, notamment pour conduire des actions internationales dans une grande clarté et avec méthode.

Tout cela joue un rôle d'aiguillon fort utile pour l'État qui, par tradition, intervient d'une manière plus institutionnelle, plus régalienne, qui peut paraître souvent désincarnée aux populations. « Complémentarité » est un terme diplomatique qui sert souvent à dissimuler le fait que chacun travaille dans son coin. Nous devons donc tous être exigeants.

Comme nous avons pu le constater tout au long de ces derniers jours, la générosité exceptionnelle dont ont fait preuve les populations, les collectivités et les associations du monde entier après le raz de marée en Asie du Sud-Est a très vite posé un redoutable problème de coordination et d'allocation de l'aide. J'en ai moi-même pris la mesure en me rendant à Djakarta pour la conférence des bailleurs de fonds.

Je sais que les collectivités sont en attente de propositions pour que les postes diplomatiques puissent affecter les ressources dans les régions et dans les secteurs les plus utiles. Nous pourrons d'autant mieux répondre à ces attentes que, depuis le 18 janvier, un coordinateur national a été officiellement désigné en la personne de M. Jean-Claude Mallet, conseiller d'État et qui était jusqu'ici secrétaire général de la défense nationale. Je voulais aussi rappeler cette volonté de coordination au cours de ce débat.

Mesdames et messieurs les députés, est-il vraiment besoin de rappeler que la question de l'eau et de l'assainissement est sans doute la question la plus essentielle qui se pose aujourd'hui à l'humanité ? Actuellement, plus de un milliard d'hommes et de femmes n'ont pas du tout accès à l'eau potable ! Près de 2 milliards et demi d'hommes et de femmes ne disposent pas d'assainissement ! L'absence d'accès à l'eau et à l'assainissement reste aujourd'hui - faut-il le rappeler ? - la première cause de mortalité dans le monde : 6 000 personnes en meurent chaque jour.

Voilà où se situe une des priorités parmi les objectifs du Millénaire pour le développement : elle est de réduire de moitié d'ici à 2015 le pourcentage de la population privée d'un accès régulier à l'eau potable.

Le Président Jacques Chirac n'a cessé de manifester toute l'importance qu'il attache à la coopération dans le domaine de l'eau. En témoignent son allocution qu'il a prononcée hier par vidéoconférence à l'adresse du Forum économique mondial de Davos et son engagement personnel aux sommets de Johannesburg et de Kyoto, où il a annoncé le doublement de notre aide publique au développement en faveur de l'eau, ou encore au sommet de Paris que j'ai moi-même organisé sur le bassin du Niger. Cette initiative régionale, qui répond au double défi de l'intégration régionale et de la gestion partagée des ressources en eau, aura besoin à l'avenir de la coopération décentralisée pour se développer.

Mesdames et messieurs les députés, vos interventions laissent à penser que cette proposition de loi devrait faire l'objet d'un vote conforme. Je tiens à remercier les intervenants des groupes politiques qui, tous, ont fait part de leur intérêt pour ce texte. J'espère donc un vote conforme des deux assemblées. Il est en effet urgent que ce texte soit adopté car un nombre impressionnant de nos collectivités se sont engagées dans des actions d'urgence et ont voté des subventions pour les régions victimes du tsunami. L'occasion me sera donnée de rassurer M. Decocq, lors de l'examen de son amendement, et de lui expliquer la position du Gouvernement : j'espère qu'il m'entendra !

Le vote de la proposition de loi qui vous est soumise a une portée qui va bien au-delà d'une portée technique. Il s'agit, je viens de l'indiquer, de donner un signe clair en sécurisant les initiatives des acteurs du territoire, syndicats intercommunaux ou agences de l'eau, dans un secteur crucial pour les populations en développement, et notamment pour les populations sinistrées d'Asie. Leur savoir-faire est également porteur de collaborations futures, grâce aux liens noués dans l'urgence, pour que soient mises en œuvre - cette fois-ci dans la durée - des actions en faveur des objectifs permanents du développement humain : prévention des catastrophes, amélioration de l'état sanitaire, développement durable, lutte contre la pauvreté, et ce en complémentarité avec les actions conduites par les organisations non gouvernementales et avec celles de l'État, notamment de mon ministère.

Ainsi, dans ce domaine essentiel, par sa technique et sa connaissance des besoins des populations, la France apportera une contribution visible et exemplaire à la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement, qui seront examinés lors de la « réunion de haut niveau » qui se tiendra en septembre prochain à l'ONU. Devant la communauté internationale, La France aura donné l'exemple.

Mesdames et messieurs, je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Francis Hillmeyer.

M. Francis Hillmeyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Le prochain siècle sera-t-il celui des guerres de l'eau ? ». À l'image du titre de cet article publié dans la Revue internationale et stratégique, la presse écrite et divers cercles scientifiques relaient l'idée que l'eau deviendra au XXIe siècle une ressource aussi convoitée que le pétrole au XXe siècle, susceptible de générer autant de conflits pour son contrôle.

Enjeu majeur de la géopolitique, l'eau constitue avant tout, pour ceux qui n'y ont pas accès, un problème considérable au regard des conséquences dramatiques que son absence induit. Les chiffres et les constats sont éloquents. Je ne me lancerai pas dans la lecture d'un catalogue, mais il me paraît nécessaire de rappeler quelques données.

L'eau est la première cause de mortalité et de morbidité au monde, de façon directe ou indirecte. Plus d'un milliard d'individus n'ont pas accès à l'eau potable. Trois millions d'enfants meurent chaque année avant l'âge de cinq ans du fait du manque d'accès à une eau potable. Les épidémies de paludisme et de dengue qui affectent plusieurs centaines de millions de personnes sont les plus grandes épidémies mondiales. Risques d'épidémie qui, on l'a vu avec le raz de marée du 26 décembre, ont alerté l'ensemble de la planète - vous l'avez dit, monsieur le ministre.

Depuis trente ans, chaque conférence internationale, chaque colloque portant sur l'environnement a établi le même constat catastrophique. La coopération internationale a donc un rôle majeur à jouer.

Enjeu alimentaire également, puisque l'eau demeure un élément essentiel pour la production de cultures vivrières. Je limiterai mon propos à ces exemples qui illustrent à merveille l'ampleur des problématiques liées à l'eau. Elle se situe ainsi au cœur des grandes questions auxquelles toute société est confrontée. Les pays en voie de développement sont les principales victimes de l'absence d'eau potable et la coopération internationale prend, dès lors, une importance particulière. Des actions dans ce domaine doivent être envisagées aux niveaux local, régional et international.

C'est dans cette optique qu'à l'initiative de notre éminent rapporteur, nous discutons de cette proposition de loi qui a pour objet de permettre aux communes, aux établissements publics de coopération intercommunale, aux syndicats mixtes et aux agences de l'eau d'aider les collectivités étrangères dans les domaines de l'eau et de l'assainissement en ayant recours aux ressources provenant des services d'eau et d'assainissement, dans la limite de 1 % de leur budget.

De telles actions existaient ; néanmoins, ce texte donne une base légale à l'intervention des collectivités et fixe une limite. Les pays qui connaissent de graves difficultés liées à des problèmes d'eau ne peuvent évidemment faire face seuls. C'est donc par le biais de coopérations que nous pourrons résoudre, à terme, les graves problèmes rencontrés dans ces pays.

Des jumelages existants aux futures coopérations, la présente proposition de loi vise à sécuriser les démarches des collectivités territoriales et des agences de l'eau « en leur offrant un cadre légal et cohérent avec les grandes ambitions affichées par la France dans le domaine de l'eau sur la scène internationale».

Les ressources disponibles pour cette coopération vont permettre la réalisation d'un certain nombre de projets dont vont pouvoir bénéficier aussi bien des pays en voie de développement que des régions désertiques ou montagneuses. C'est par ce dynamisme et cette générosité que des projets pourront voir le jour.

En adoptant ce texte, nous allons contribuer à aider les collectivités à œuvrer dans ce sens. Encourageons-les à poursuivre ces démarches.

En aidant les populations à accéder à une eau de qualité, nous remplissons notre rôle de citoyen du monde. Et je tiens à remercier les auteurs et initiateurs de cette proposition, tout particulièrement André Santini, pour cette belle idée.

Le groupe UDF votera ce texte avec un enthousiasme non dissimulé. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. François Asensi.

M. François Asensi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, créé en 1984, le programme « Solidarité Eau » a pour objet de faciliter les initiatives locales de coopération internationale. En provoquant des collaborations et des échanges entre divers acteurs, il permet de passer de la "bonne idée" et de l'envie d'agir à un projet cohérent de coopération. Il est piloté par un ensemble d'ONG, de collectivités territoriales, de professionnels de l'eau et de représentants des pouvoirs publics.

C'est ainsi qu'en 1986 le syndicat des eaux de l'Ile-de-France, sur proposition d'André Grillot, élu de Choisy-le-Roi, vice-président de ce syndicat, et de notre collègue Jean-Pierre Brard, décidait à l'unanimité de ses membres - représentant l'ensemble des formations politiques présentes aujourd'hui dans notre hémicycle - de consacrer, à l'époque, 1 centime de franc par mètre cube d'eau produite à des actions concrètes de partenariat avec les pays en développement, en particulier en Afrique ou en Asie, touchés par l'absence de ressources en eau ou de moyens d'exploitation de celles-ci. Petits ruisseaux et grandes rivières : ce centime supplémentaire correspondait - à l'époque - à deux francs par foyer francilien et par an, soit trois millions de francs annuels.

Premier service d'eau potable en France, l'un des tout premiers en Europe et dans le monde, ce syndicat intercommunal pour l'eau exerce ainsi sa mission dans une des régions les plus riches du monde et considère l'aide aux populations les plus démunies comme faisant partie de ses responsabilités de service public.

Afin d'assurer l'efficacité et la pérennité des installations qu'il subventionne, ce syndicat porte ses choix sur des techniques variées répondant à la diversité des besoins rencontrés et s'appuyant sur les savoir-faire locaux.

Les ingénieurs du syndicat des eaux de l'Ile-de-France peuvent intervenir dès la conception des projets, puis sur le terrain lors de la mise en œuvre, en conseillant leurs interlocuteurs quant au choix des techniques les plus adaptées. Ces réalisations favorisent en outre le développement des entreprises locales et la création d'emplois.

Pour que les actions menées contribuent durablement à l'amélioration des conditions de vie, une importance considérable est accordée à la transmission des savoir-faire.

À ce jour, 1,7 million de personnes ont bénéficié de 160 opérations réparties dans 16 pays.

Depuis 1986, 10 millions d'euros ont ainsi été consacrés par ce syndicat intercommunal à des actions de solidarité visant à promouvoir l'accès à l'eau potable dans les pays en développement.

Le montant moyen d'une opération est de 60 000 euros et le budget par personne se situe autour de 5,70 euros. Aujourd'hui, le financement est assuré par un prélèvement de 0,3 centime d'euro sur chaque mètre cube distribué par le syndicat des eaux d'Île-de-France, ce qui correspond à une contribution annuelle de 0,60 euro par foyer.

Ce montant, comparé au million de mètres cubes d'eau distribué chaque jour pour 4 millions de consommateurs, est, si je puis dire, une goutte d'eau, mais une goutte d'eau qui compte lorsqu'elle représente la vie, notamment dans de nombreux villages du Mali.

De plus en plus, nos agences de l'eau s'impliquent elles aussi à l'échelle internationale, par le biais de jumelages, en réservant une part variable de leur budget au financement d'actions relatives à l'eau potable et à l'assainissement dans des pays en voie de développement. Leurs actions en faveur du développement se traduisent par l'attribution d'aides sur dossier en faveur d'associations spécialisées, d'organisations non gouvernementales ou d'actions menées sur le terrain par les collectivités territoriales.

Toutefois, dans le cadre d'un contrôle exercé sur l'agence Rhin-Meuse en décembre 2002, la Cour des comptes a estimé que ces pratiques étaient contraires au principe de spécialité qui régit tout établissement public. Faute d'une assise légale suffisamment solide, les opérations menées par cette agence ont dû être interrompues en 2003.

Dans ce contexte, la proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui devrait permettre de remédier à cette situation en autorisant les collectivités territoriales et les établissements à apporter leur contribution à l'effort de solidarité envers les pays les plus démunis. Pour cela, les législateurs sont conduits à tracer un cadre légal et à formuler la reconnaissance officielle de la France à l'égard de la coopération décentralisée qui peut jouer un rôle essentiel dans des domaines qui, depuis la Révolution française, relèvent de la compétence des communes.

L'intérêt de la coopération décentralisée, à l'origine de laquelle on trouve nombre de nos collègues exerçant des fonctions municipales, n'est plus à démontrer.

Par ailleurs, le projet de loi portant réforme de la politique de l'eau, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 15 janvier 2002, sous le gouvernement précédent, comportait un article 30 tendant à autoriser les collectivités ou établissements gérant des services publics de distribution d'eau et d'assainissement à participer à des actions de coopération décentralisée ou à des actions humanitaires dans ces domaines.

C'est la raison pour laquelle le groupe des député-e-s communistes et républicains votera cette proposition qui fournira aux collectivités locales et établissements publics concernés l'outil qui leur permettra de mener à bien cet effort en direction des populations les plus démunies de la planète. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi qui nous vient du Sénat où elle avait été présentée par Jacques Oudin avant d'être adoptée à l'unanimité, a un double objet, que nous approuvons : elle entend d'abord remédier à un problème de droit, qui mettait en difficulté les communes, EPCI et agences de l'eau souhaitant mener des actions de coopération internationale dans le domaine de l'eau et manquant pour cela d'une base juridique ; mais elle propose aussi aux agences de l'eau qui le souhaitent un prélèvement correspondant et le lancement d'une action structurée, et donc financièrement pérenne, de coopération décentralisée dans le domaine de l'eau.

Cette dernière mesure n'est pas une idée neuve et n'est qu'un avatar de la fameuse proposition « 1 centime par mètre cube ». La France avait envisagé de la faire figurer parmi ses propositions d'action nationale, lors du sommet de la Terre à Johannesburg, avant que la complexité du processus de décision, ou peut-être le manque de maturité du sujet, ne la conduise à y renoncer.

Cette mesure s'inscrit par ailleurs dans la philosophie qui a inspiré d'autres actions, testées en particulier aux États-Unis, comme celle qui vise à reverser 1 dollar sur le prix d'une chambre d'hôtel. Chaque fois, l'idée est double : il s'agit de lever les financements nécessaires aux actions de coopération, mais aussi de proposer un geste de solidarité concrète et simple, proportionnée à un usage ou à une pratique. Cela s'apparente donc un signal, avec une dimension symbolique.

Nous souscrivons à ce double objectif de sécurisation juridique et de solidarité, et nous apprécions particulièrement qu'il soit ici question d'eau, puisque le principe aurait pu être transposé à d'autres politiques. L'eau, en effet, est aujourd'hui frappée des plus grands paradoxes. Indispensable à la vie, elle est en même temps la première cause de mortalité et de morbidité au monde, puisque plus de 1 milliard d'hommes n'ont pas accès à l'eau potable. Elle figure naturellement en bonne place dans les objectifs du millénaire. Face à des enjeux aussi bien sanitaires qu'alimentaires, sociaux, économiques, environnementaux, géopolitiques, la nécessité d'une coopération internationale a maintes fois été évoquée au cours de divers sommets internationaux, de la conférence de Stockholm, en 1972, jusqu'au troisième forum mondial de l'eau, en mars 2003.

Le Président de la République en a, pour sa part, fréquemment rappelé l'importance, que ce soit lors du Sommet mondial du développement durable de Johannesburg, le 2 septembre 2002, où il a déclaré que « l'accès à l'eau potable et à l'assainissement est au cœur des problématiques du développement », ou lors du troisième Forum mondial sur l'eau, le 16 mars 2003, où il disait : « Une politique de l'eau efficace nécessite des moyens considérables. Ils viendront de l'aide publique, à condition de renforcer la solidarité internationale, les coopérations décentralisées, l'appui aux associations. »

Le récent drame qui a touché l'Asie n'a fait, hélas, que confirmer combien il était urgent d'agir dans le secteur de l'eau. Les communes, les EPCI et les agences ont, à cette occasion, démontré qu'elles avaient la volonté de participer à la coopération en ces matières, puisqu'elles ont été nombreuses à proposer différents gestes.

La France se doit d'avoir une place particulière dans cette œuvre. Nos richesses naturelles en eau, notre système de gestion − qui, s'il n'est pas à l'abri des critiques, a malgré tout été jugé assez pertinent pour être repris comme modèle au sein de l'Union européenne −, la puissance des sociétés qui œuvrent en France dans ce secteur et ont depuis longtemps exporté ce savoir-faire dans le monde, tout cela nous oblige.

Cette proposition de loi nous semble répondre à un besoin et même à une exigence. Nous souhaitons que ces dispositions puissent être appliquées dans la plus grande transparence, garante de la confiance que les usagers ont dans le système. À ce propos, nous souscrivons aux propositions qu'a formulées le rapporteur, André Santini.

Dans la même perspective, il nous semble important que le chiffre de 1 % reste bien un plafond et ne devienne en aucun cas un objectif systématique, et que le consentement ou la participation des usagers puisse être recherché en chaque occasion, afin qu'une éventuelle nouvelle contribution ne soit pas perçue comme une taxe de financement de plus, mais bien comme un geste de solidarité. Nous voterons donc ce texte. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jean Launay.

M. Jean Launay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savions déjà, depuis la loi sur l'eau de 1992, que l'eau fait partie du « patrimoine commun de la nation ». Nous découvrons ensemble et progressivement qu'il faut élargir ce discours à la planète.

Le Président de la République l'a dit en mars 2003 à Kyoto : « L'eau est par nature un bien public. Nul ne saurait se l'approprier. C'est à la collectivité d'en définir l'usage pour assurer un bon approvisionnement et un bon assainissement, pour limiter les gaspillages, dans un esprit de justice sociale, de saine économie et de respect de l'environnement. »

C'est Michel Barnier qui, le 26 août 2004, pendant la douzième conférence des ambassadeurs, insistait sur les défis du développement, dénonçait les atteintes portées à notre environnement et précisait : « La protection de l'environnement, c'est l'urgence pour tous. Mais c'est le devoir des plus riches. Car, à l'échelle d'une ville comme à l'échelle du monde, la dégradation de l'environnement accompagne et aggrave l'injustice sociale. Aujourd'hui même, un milliard de personnes n'ont pas accès à l'eau potable, et deux milliards et demi à l'assainissement. Imaginer que cela ne joue et ne jouerait aucun rôle dans les troubles politiques et sociaux ici ou là dans le monde est une très grave illusion. »

Mme Danielle Mitterrand, présidente de l'association France Libertés, l'avait déjà dit lors d'une intervention publique au Buisson-de-Cadouin en Dordogne, le 24 juin dernier. Le manque d'accès à l'eau et à l'assainissement est la première cause de mortalité dans le monde. « L'accès à l'eau est un droit inaliénable et sa valeur intrinsèque doit primer sur sa valeur utilitaire et commerciale. » Dans cet impératif réside la nécessité de définir l'accès à l'eau comme un droit et non comme un besoin : sinon, on accorde à l'eau une valeur marchande génératrice d'inégalités.

L'avenir de l'eau, source de vie, suppose aussi la réunion de quatre conditions fondamentales : la reconnaissance de l'eau comme un bien commun de l'humanité ; l'accès à l'eau en quantité et en qualité suffisantes pour vivre, reconnu comme un droit fondamental, individuel et collectif − on avance le chiffre de 40 litres d'eau potable gratuite par jour et par personne − ; la reconnaissance de l'eau comme vecteur de solidarité entre communautés, pays et générations et non comme objet de guerre ; la prise en charge financière collective et individuelle, selon des principes de responsabilité et d'utilité.

C'est un vaste programme, mais, à la suite de nombreuses réunions de cercles, d'académies, d'ONG, de partis politiques, nous pouvons nous accorder sur divers constats. L'eau potable est un bien essentiel qui ne peut être considérée comme une simple marchandise. C'est un droit fondamental. L'eau est gratuite, mais l'eau potable a un coût. L'eau potable devient rare et chère. Tout cela débouche de façon assez consensuelle, voire assez unanime, sur la nécessité de mettre en œuvre des solidarités dont quelques-unes nous incitent inévitablement à réfléchir à nos relations avec le tiers-monde.

Le plan d'application adopté par les États lors du sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg, en septembre 2002, comporte l'engagement suivant : nous convenons de réduire de moitié d'ici à 2015 la proportion de personnes qui n'ont pas accès à l'eau potable ou qui n'ont pas les moyens de s'en procurer, et la proportion de personnes qui n'ont pas accès à des services d'assainissement de base. Il faudra donc engager des investissements importants dans l'ensemble des pays en développement pour satisfaire ces objectifs, et la majeure partie sera financée par les pays industrialisés, s'ils entendent passer des incantations aux actes.

La proposition de loi n° 1684 dont nous discutons ce matin a été enregistrée à la présidence de l'Assemblée nationale le 22 juin 2004, mais la paternité en revient au sénateur Oudin et elle a d'abord été examinée au Sénat, où quelques modifications ont été apportées sur proposition de la commission des lois. Elle vise à placer notre pays en cohérence avec la mise en œuvre d'une meilleure coopération décentralisée, à poursuivre la diffusion de notre modèle de gestion de l'eau et de notre savoir-faire.

Les deux articles qui nous sont proposés permettront, en toute légalité, de mobiliser des moyens financiers hors du budget de l'État. L'article 1er autorise le financement d'opérations de coopération humanitaire menées hors de France dans le domaine de l'eau et de l'assainissement par des municipalités, des établissements publics de coopération intercommunale, des syndicats mixtes. L'article 2 offre cette même possibilité aux agences de l'eau, de façon encadrée, en exigeant la signature des conventions de coopération à soumettre à l'avis des comités de bassin, à la hauteur de 1 %. Voici donc remis au goût du jour le principe du centime pour l'eau. Nous ne ferons pas la fine bouche. Pour qui veut prendre la pleine conscience des objectifs de la déclaration du millénaire ou de ceux du sommet de Johannesburg, voilà une proposition qui vient à point. Sans attendre la future loi sur l'eau, il est juste d'intégrer rapidement dans notre droit des dispositions autorisant le financement des politiques de l'eau tournées vers la coopération internationale et fondées sur une plus grande solidarité, en direction des pays les moins avancés.

Dans l'absolu, cette proposition se suffisait à elle-même, mais la brûlante et déchirante actualité de la fin de l'année 2004, avec le tremblement de terre de l'océan Indien et le tsunami consécutif, éclaire d'un jour nouveau cette impérieuse nécessité.

Cette catastrophe planétaire démontre à elle seule l'importance des enjeux, sanitaires, alimentaires, sociaux, économiques, environnementaux, politiques et géopolitiques qui font que nous devrions tous considérer l'eau comme un problème global. Certes, nos collectivités territoriales, leurs groupements et les agences de l'eau mènent depuis longtemps des actions de coopération internationale dans les domaines de l'eau et de l'assainissement. L'ouverture au principe de coopération décentralisée a été posée par la loi du 6 février 1992 portant sur l'administration territoriale de la République. C'est, plus précisément, l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales qui ouvre la possibilité aux collectivités territoriales françaises et à leurs groupements de conclure des conventions avec leurs homologues étrangers, « dans les limites de leurs compétences et dans le respect des engagements internationaux de la France ».

De leur côté, les agences de l'eau françaises s'impliquent elles aussi à l'échelon international, par le biais de jumelages ou en réservant une part de leur budget au financement d'actions relatives à l'eau potable et à l'assainissement dans les pays en voie de développement, notamment en mettant à disposition un certain nombre de leurs personnels.

Faute d'une assise légale suffisamment solide, tantôt pointées du doigt par telle chambre régionale des comptes, tantôt subissant les injonctions de la direction de l'eau du ministère de l'écologie et du développement durable, les agences de bassin françaises ont interrompu et mis en sommeil les opérations de ce type : coupable faiblesse. Mais, face à l'ampleur des conséquences des raz de marée dans le sud-est asiatique, la nécessité d'intervenir s'impose avec une cruelle évidence, et l'urgence autorise à lancer aujourd'hui des procédures exceptionnelles d'aide, souvent suggérées par les commissaires du gouvernement des agences de bassin eux-mêmes. Pour notre part, nous n'avions besoin ni du caractère extraordinaire de l'événement ni de l'urgence décrétée pour coordonner des actions publiques, pour être convaincus de la nécessité d'aider les ONG dans la fourniture d'équipements de potabilisation de l'eau.


C'est pourquoi nous voterons ce texte car, en offrant aux collectivités territoriales et aux agences un cadre légal et cohérent avec les grandes ambitions affichées par la France dans ce domaine sur la scène internationale, les actions que nous déciderons seront définitivement sécurisées sur le plan juridique, évitant ainsi les conséquences préjudiciables de toute interruption des coopérations en cours.

Le projet de loi portant réforme de la politique de l'eau, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale sous la précédente législature, le 10 janvier 2002, comportait un article 30 tendant à autoriser les collectivités ou établissements gérant des services publics de distribution d'eau et d'assainissement à participer à des actions de coopération ou à des actions humanitaires dans ces deux domaines. À l'époque, le Conseil d'État n'avait pas estimé que ces dispositions, analogues à celles qui figurent dans le présent texte, encouraient un risque de censure du Conseil constitutionnel.

Au-delà de cette sécurisation juridique, nous voterons surtout ce texte parce qu'il permet de financer des actions à hauteur de 1 % des budgets des services de l'eau et de l'assainissement et de répondre, comme le veut la tradition française, aux demandes d'aide immédiate, ainsi qu'à l'impérieuse nécessité de respecter nos engagements internationaux.

Les députés du groupe socialiste, qui m'ont fait l'honneur d'être leur porte-parole sur ce sujet, voulaient, tout en apportant leur soutien à ce texte, aller plus loin, et ils ne doutaient pas de votre approbation. On nous annonce maintenant souhaiter un vote conforme.

L'amendement que nous proposons n'est pas nouveau puisque nous l'avions déjà soumis à la discussion lors de la transposition de la directive cadre. Nous souhaitons que le 22 mars, journée mondiale de l'eau en application de la résolution de l'assemblée générale des Nations Unies du 22 décembre 1992, devienne aussi une journée nationale, au cours de laquelle seraient menées des actions de formation et de sensibilisation aux principes généraux qui s'imposent en matière de gestion équilibrée et partagée de la ressource en eau.

Pas plus que pour la solidarité, n'attendons pas une prochaine et hypothétique loi, en l'occurrence sur l'eau, pour appeler l'attention des citoyens, qui sont aussi des contribuables et des consommateurs, sur la nécessité du partage de l'eau et d'une gestion éclairée dans ce domaine.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Binetruy.

M. Jean-Marie Binetruy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise ce matin ne fera sans doute pas les grands titres des médias nationaux. C'est dommage. En effet, elle aborde une question fondamentale pour l'humanité, et je tiens à saluer le sénateur Oudin pour son initiative, qui a d'ailleurs été soutenue à l'unanimité par la Haute assemblée.

Sur la forme, il s'agit simplement de donner un cadre juridique à des pratiques qui existent déjà. De nombreuses collectivités sont en effet engagées dans des actions de coopération décentralisée relatives à l'approvisionnement en eau, dans des régions du monde qui souffrent de graves déficits. Tel était également le cas des trois agences de bassin Seine-Normandie, Adour-Garonne, et Rhin-Meuse, qui menaient des coopérations avec des pays d'Afrique, d'Asie ou même d'Europe de l'Est avant de les interrompre en 2003 à la suite des observations de la Cour des comptes considérant que ces pratiques n'entraient pas dans leur domaine de compétence.

Sur le fond, la possibilité d'agir qui sera donnée aux collectivités territoriales et aux agences de l'eau est fondamentale. Permettre l'accès à l'eau potable doit être la première des solidarités. Après la catastrophe d'Asie du sud-Est, la première des préoccupations n'a-t-elle pas été, pour porter secours aux populations sinistrées, de leur fournir de l'eau potable ? L'eau qui tue est aussi l'eau qui sauve.

On peut également être tué par l'eau à cause de sa pollution. Mais il est impossible de vivre sans eau. « Tu n'es pas nécessaire à la vie, tu es la vie », disait Saint-Exupéry en se remémorant son séjour forcé en plein désert du Sahara après un accident d'avion.

L'eau, ce merveilleux élément liquide, a toujours fasciné les hommes, surtout dans les pays où elle est rare. Elle est pourtant devenue, dans nos sociétés évoluées, un produit banal que l'on gaspille trop souvent. Ce texte permettra aussi de rappeler une nouvelle fois à nos concitoyens combien elle est précieuse et mérite respect. Le Président de la République l'a souvent lui-même rappelé, et notamment, en 2002, lors du Sommet mondial sur le développement durable à Johannesburg, - en déclarant que « l'accès à l'eau potable et à l'assainissement est au cœur des problématiques du développement » - ou encore le 16 mars 2003, à Kyoto.

La nécessité de protéger nos ressources en eau a fait l'objet de multiples initiatives prises au niveau international depuis la conférence de Stockholm en 1972 à ce forum mondial de l'eau à Kyoto, en passant par la Déclaration du Millénaire, signée par les Nations Unies en 2000, qui a fixé comme objectif de diviser par deux d'ici à 2015 le nombre de ceux qui n'ont pas accès à l'eau potable.

Il est heureux que la France se donne la possibilité de faire profiter d'autres pays moins favorisés de son expertise, de son savoir-faire, de son modèle institutionnel. Chaque fois que nous nous déplaçons en Afrique, en Asie du Sud-Est ou en Amérique du Sud, nous mesurons toute l'importance de pouvoir boire l'eau du robinet ou, simplement, de se laver les dents. Or, la gestion de l'eau en France, qu'elle soit assurée par les collectivités elles-mêmes - ce qui concerne 25 % des usagers - ou qu'elle soit déléguée à des sociétés privées dont l'expertise est mondialement reconnue, peut être considérée, malgré quelques imperfections, comme l'une des meilleures du monde. Le texte qui nous est présenté aujourd'hui contribuera à ce que nos pratiques servent de modèle.

Il a également l'avantage d'aborder, outre la question de la fourniture d'eau potable, celle de l'assainissement, ce qui peut permettre de sensibiliser les pays aidés à la problématique de la protection de l'environnement. Certes, celle-ci n'est pas aujourd'hui leur préoccupation majeure, mais l'assainissement est une action qu'il est indispensable de conduire à l'échelle planétaire, faute de quoi elle sera inefficace.

Bien sûr, ce texte est d'une portée limitée, et il ne s'agit pas de faire supporter à l'usager français des services de l'eau et de l'assainissement les charges immenses que représenteraient l'organisation et la gestion de ces mêmes services dans les pays défavorisés. Mais il donne à nos concitoyens, par l'intermédiaire des collectivités, des groupements de communes et des agences, une nouvelle possibilité d'agir de façon solidaire dans le domaine vital de l'eau. C'est pourquoi j'y souscris avec enthousiasme. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Claude Gaillard, dernier orateur inscrit.

M. Claude Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, comme mes prédécesseurs, à me réjouir de cette proposition de loi qui va nous permettre de travailler en toute légalité puisque, une fois de plus, la pratique avait précédé la loi.

J'insiste sur l'importance de la coopération décentralisée car on s'aide toujours mieux quand on se connaît. À cet égard, la solidarité entre grandes collectivités est efficace. Il suffit de repenser à tout ce qui a été fait dans le cadre de la Fédération mondiale des villes jumelées ou de l'Agence Cités unies développement : les collectivités ont dans ce domaine une responsabilité particulière.

En 1984, nous avons créé à Nancy - avec le soutien d'André Santini - le centre national de l'eau pour aider les pays en voie de développement, notamment par des conseils aux maîtres d'ouvrage. L'idée était de les aider à définir un schéma directeur afin qu'ils puissent plus facilement mobiliser de l'argent au niveau international auprès de la Banque mondiale. Chacun aidait donc à sa façon mais il n'était que temps de pouvoir le faire en toute légalité. Pour notre part, nous prélevions un centime de franc par mètre cube d'eau.

L'existence de ce que l'on a appelé l'école française de l'eau, notre politique internationale, nos compétences en termes de recherche et de mode de gestion, qui est une référence, nos collectivités ainsi que nos groupes industriels qui sont les meilleurs du monde, nous donnent des responsabilités particulières. Il est bien, monsieur le ministre, de pouvoir le faire, dans le cadre de la coopération décentralisée, de façon coordonnée. Et dans la future loi sur l'eau, à la préparation de laquelle nous sommes associés, il conviendrait de réorganiser l'Office international de l'eau - chacun sait que c'est un peu mon dada ! - de façon que cette coordination ne freine pas trop l'élan que l'on veut créer.

En ce qui concerne les agences, je puis dire, en ma qualité de président du comité de bassin Rhin-Meuse, que ce que nous faisions était très bien mais, comme l'a fait observer la Cour des comptes, pas très légal. Nous allons donc, ce qui est bien normal dans un pays de droit, mettre de l'ordre dans nos redevances qui, il est vrai, n'étaient pas vraiment conformes à la Constitution.

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Elles ne le sont toujours pas !

M. Claude Gaillard. Reste un problème de fond, qui intéresse, je le sais, Christian Decocq, celui du devenir des agences de l'eau - j'y reviendrai plus longuement lors de l'examen de la loi sur l'eau.

En effet, les grands ministères techniques ont perdu de leur influence et, quelque peu, de leurs compétences - les DDE et les DDA doivent savoir que la vie est ainsi faite ! Il nous faut donc recréer une vraie compétence publique, face à celle du privé. Cet équilibre est en effet essentiel.

J'ai depuis longtemps la conviction que les agences ont un rôle particulier à jouer, sur la durée, en tant que centres de compétences. C'est ce que j'ai souligné dans le rapport qu'avait commandé Corinne Lepage et que j'ai remis - hasard des choses ! - à Mme Voynet. Il existe six de ces centres en France et il faut réfléchir à leur évolution - nous avons commencé à le faire avec le ministre de l'environnement. Les agences doivent apporter leur aide à l'action internationale puisque notre organisation fait référence au niveau européen et même mondial.

M. Hervé Morin. C'est vrai !

M. Claude Gaillard. J'ai pu le constater dans les pays où nous étions présents, au Costa Rica comme au Vietnam, voire au Maroc où nous aidions à former les personnels de plusieurs pays africains. Il est donc essentiel que les agences puissent jouer leur rôle.

Quant à plafonner le montant de l'aide, c'est sans doute utile mais je considère, d'un point de vue philosophique, que les responsables élus d'une collectivité territoriale savent d'eux-mêmes s'il faut consacrer à cette aide 0,8 % ou 1,2 % des ressources. Pour l'administration parisienne, plafonner à 1 % est rassurant, mais les esprits sont suffisamment matures dans nos provinces pour ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire.

En tout état de cause, ce très bon texte nous permettra de poursuivre nos actions de solidarité de façon réaliste et de faire face à nos responsabilités. J'en remercie l'ensemble de ses auteurs. (Applaudissements.)

M. le président. La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président. J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte du Sénat.

Article 1er

M. le président. L'article 1er ne fait l'objet d'aucun amendement.

Je le mets aux voix.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 1 de suppression de l'article 2.

La parole est à M. Christian Decocq, pour le défendre.

M. Christian Decocq. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en écoutant notre rapporteur et, surtout, en lisant son rapport, il m'est revenu le propos selon lequel il serait bien audacieux de prétendre que le législateur parle pour ne rien dire, voire qu'il écrit pour ne rien dire. Le rapport consacre neuf pages denses à argumenter fort bien en faveur du développement de la coopération décentralisée en matière d'alimentation en eau potable et de traitement des eaux usées.

Il ne consacre en revanche qu'une demi-page, un paragraphe plutôt, pour ne pas dire une demi-ligne, pour démontrer la nécessité de combler un vide juridique concernant le rôle des agences de bassin. Heureusement, nous avons pu entendre, car on ne parle pas pour ne rien dire dans cette enceinte, l'excellente intervention de Claude Gaillard, qui a posé un autre problème dont nous aurons l'occasion de débattre, j'imagine, lors de la discussion du projet de loi sur l'eau.

La coopération décentralisée est un excellent levier pour participer au rayonnement de ce que Claude Gaillard a appelé l'école de l'eau française. À travers elle, les collectivités peuvent se fixer une double mission : d'une part manifester à l'égard du reste du monde, en tant que représentants des habitants des communes et des grandes villes - je rappelle que 50 % des êtres humains vivent dans une ville - une solidarité bien normale et naturelle ; d'autre part, faire émerger, faire rayonner l'expertise française.

Les collectivités sont particulièrement bien placées pour animer cette coopération, notamment parce que l'eau est au cœur de leurs attributions de base - les communes sont compétentes pour le traitement des eaux usées et la distribution de l'eau potable - et, surtout, parce qu'elles s'en préoccupent depuis longtemps. Rappelez-vous, un mois avant le sommet de Rio 92, toutes les grandes villes du monde, réunies à Curitiba, ont jeté les bases de cette coopération décentralisée à travers les grands réseaux internationaux dans lesquels les villes de France ont toute leur place.

Il existe déjà plusieurs niveaux d'action : le niveau national, compétence régalienne rappelée par le ministre lui-même, le niveau décentralisé, que je viens d'évoquer, et le niveau associatif, dont a parlé Claude Gaillard, certes plus « historique » mais il existe toujours, que je sache, un office international de l'eau d'ailleurs financé par le ministère de l'environnement. Et aujourd'hui, on nous propose d'ajouter par la loi un niveau administratif. Cela ferait quatre niveaux.

Ce niveau supplémentaire ne me paraît pas nécessaire, d'autant que les agences participent déjà à cette mission.

D'abord, financièrement puisque lorsque le fonds national de solidarité pour l'eau fut créé par la loi de finances de 2000, son objet était notamment la coopération internationale. Même si, me dit-on, il a formellement disparu, le prélèvement sur les budgets des agences s'élève encore à 83 millions d'euros dans la loi de finances pour 2005, et il peut servir à cette coopération internationale.

Les agences, personne ne le conteste et certainement pas moi, peuvent apporter leur expertise et leurs moyens en mission d'appui, mais pas en première ligne.

J'ai entendu deux arguments, ils ne prospèrent pas, mais je ne résiste pas malgré tout au plaisir de m'y opposer.

On nous dit qu'il faut contrôler les comités de bassin. Mais que pourront donc contrôler des assemblées hétérogènes et pléthoriques ?

M. Claude Gaillard. Oh !

M. Christian Decocq. Quant à l'argument de l'urgence, il me surprend beaucoup. C'est bien la première fois que j'entends soutenir dans cette enceinte que l'administration est plus rapide que les collectivités. Mais enfin on en apprend tous les jours !

Il y a un génie français, qui a permis notamment de créer, par la loi sur l'eau de 1964, les agences de l'eau et de constituer, grâce à nos industriels en particulier, l'école française de l'eau. Ce génie français va être mis au service de la coopération décentralisée, qui va faire rayonner toute cette école de l'eau française.

Mais hélas ! vous le savez bien, il y a aussi un mal français, que nous connaissons tous ici, celui de la stratification et de la sédimentation administrative, qui disperse, dilue et finalement porte atteinte à l'efficacité de la mission.

J'ai voulu, par mon amendement, militer pour l'un et me battre contre l'autre.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. André Santini, rapporteur. Je regrette que M. Decocq, dont j'apprécie la précision, n'ait pas poussé la lecture de mon rapport jusqu'au commentaire d'articles : il y aurait trouvé cinq pages d'explication sur l'article 2 et sa raison d'être, et non quelques lignes seulement. La bonne foi vous caractérise, monsieur Decocq...

Certaines agences de l'eau, l'agence Seine-Normandie, l'agence Rhin-Meuse, avaient pris l'habitude de consacrer une partie de leurs recettes, Claude Gaillard l'a rappelé, à des actions de coopération internationale mais ces pratiques ont dû être interrompues à la suite des observations de la Cour des comptes. C'est l'agence Rhin-Meuse qui a été la première épinglée par la Cour des comptes, en décembre 2002.

M. Hervé Morin. C'est votre agence, monsieur Gaillard ?

M. André Santini, rapporteur. En effet.

M. Claude Gaillard. Pas de chance ! En plus, ils m'ont pris beaucoup d'argent !

M. André Santini, rapporteur. Évidemment.

La volonté des agences de l'eau de développer des actions de coopération existe encore, mais, à chaque fois, elles ont besoin d'une approbation particulière. Ainsi, les trois millions d'euros qu'ont apportés, dans l'urgence, les agences de l'eau à la suite du raz de marée du 26 décembre 2004 n'ont pour le moment aucune autre base juridique qu'une lettre conjointe du ministre de l'écologie et du développement durable et du ministre des affaires étrangères. L'article 2 donnera un fondement législatif à de telles actions utiles et nécessaires. C'est le pendant de l'article 1er pour les collectivités territoriales.

En même temps, comme le laisse déjà pressentir la lettre conjointe du ministre de l'écologie et du ministre des affaires étrangères de décembre 2004, l'action internationale en matière d'eau n'est pas un champ de compétence exclusif du ministère des affaires étrangères. La tutelle sur les agences de l'eau est exercée par le ministère de l'écologie, mais le commissaire du Gouvernement, désigné par le ministère de l'écologie, qui assiste au conseil d'administration et définit les orientations de l'agence de l'eau en matière de coopération internationale, le fait après avoir consulté le ministère des affaires étrangères. Il faut croire à la coordination interministérielle.

Je tiens aussi à faire remarquer, pour répondre à une question qu'a posée hier M. Decocq, que si le Fonds national de l'eau, qui est le nouvel intitulé du compte d'affectation spéciale dénommé Fonds national de développement des adductions d'eau lors de sa création par décret en 1954, comprend une section qui retrace les opérations de financement des adductions d'eau et une autre section qui retrace les opérations relatives aux actions de solidarité pour l'eau, ces sommes sont uniquement consacrées au territoire français.

Si l'article 2 prévoit le cas échéant le concours du personnel de l'agence, c'est afin de rendre possible l'intervention à l'étranger de toute personne de l'agence, un statut de contractuel ou à l'inverse de titulaire lui étant affecté.

Par ailleurs, l'article 2 pose des conditions strictes à l'action internationale des agences de l'eau : le respect des engagements internationaux de la France ; la conclusion de conventions qui devront être soumises à l'avis du comité de bassin. Ce comité de bassin, vous le savez aussi bien que moi, comprend des représentants des collectivités et des usagers, comme le conseil d'administration de l'agence de l'eau. Il y aura donc une coordination avec les actions menées par les collectivités territoriales, et non une concurrence ou une contradiction.

Enfin, si le groupe UDF a fait inscrire la proposition de loi dans sa niche parlementaire pour accélérer l'adoption d'un texte, nous considérons que sa nécessité est apparue avec encore plus de netteté à la suite du raz de marée en Asie du sud. Or l'amendement proposé par M. Decocq aurait pour effet immédiat de renvoyer la proposition de loi au Sénat pour une nouvelle lecture, ce qui retarderait grandement son entrée en vigueur et les projets d'aide des collectivités et des agences de l'eau en Asie du sud.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Je partage l'avis défavorable du rapporteur, pour trois raisons : juridique, conjoncturelle et de fond.

La raison juridique, d'abord. La Cour des comptes a indiqué, en décembre 2002, que l'intervention des agences de l'eau au niveau international ne relevait pas de leurs compétences, M. Gaillard en sait quelque chose puisque c'est l'agence dont il était le président qui a été la première concernée. Si nous appliquions strictement la jurisprudence de la Cour des comptes, il faudrait même interdire aux agences de l'eau des actions de coopération sur les bassins transfrontaliers, comme celui de l'Escaut, qui concerne l'agence de l'eau Artois-Picardie, une agence de votre département, Christian Decocq. Une telle démarche irait à l'opposé de la dynamique qui est aujourd'hui engagée avec la Belgique et les Pays-Bas. Nous avons besoin d'un cadre juridique clair, qui permette aux agences de l'eau de mettre en place des actions de coopération, que ce soit en Europe ou dans le cadre de l'aide au développement. C'est en tout cas le souhait du Gouvernement.

Une raison conjoncturelle, ensuite. Comme vient de le rappeler André Santini, l'adoption de cet amendement engendrerait, en empêchant un vote conforme, un certain délai dans l'adoption de ce texte. Or, tout le monde s'accorde sur le fait que cette proposition, qui recueille l'unanimité, on l'a vu encore ce matin, doit être adoptée rapidement. Il ne faudrait pas bloquer en particulier les opérations « post-tsunami » si je puis dire, ce serait fort dommageable.

Sur le fond, enfin, c'est-à-dire l'essentiel, les établissements publics que sont les agences de l'eau sont dotés d'une personnalité civile et donc d'une autonomie financière. Leur conseil d'administration comprend des représentants de l'État, comme vous le savez, dont un commissaire du Gouvernement d'ailleurs désigné par le ministre de l'écologie et du développement durable, qui est représenté ici parmi les commissaires du Gouvernement, des représentants des collectivités territoriales, des diverses catégories d'usagers et des personnels. Il s'agit en fait d'une structure très classique en matière de tutelle. Il n'y a rien là d'original. Et les risques de conflit que vous craignez entre la politique souhaitée par le Gouvernement et celle que voudrait mener une agence, par exercice abusif de la tutelle ou, au contraire, du fait d'une autonomie trop grande, sont quand même relativement faibles. C'est un peu, pour parler d'un ministère que je connaissais naguère, comme si on nous disait que l'existence des recteurs ou des chanceliers d'université faisait obstacle aux conventions de coopération interuniversitaire. Je ne le crois pas. On voit mal par ailleurs comment, au niveau de l'administration centrale, le directeur de l'eau pourrait défendre des intérêts contradictoires avec une ligne d'orientation constante du Gouvernement.

J'ajoute que la compétence qui est donnée aux agences de l'eau est facultative. Il n'est pas question d'en faire une mission première des agences de l'eau. Celles-ci devront intervenir essentiellement en appui des collectivités territoriales de leur bassin qui auront mis en place des actions de coopération internationale ou d'ONG, dans le cadre d'opérations qui s'intègrent parfaitement avec les accords internationaux de la France.

M. Christian Decocq. En appui, oui !

M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Il n'y a donc pas de risque.

Pour toutes ces raisons, je souhaiterais, comme je vous l'ai dit hier, en privé, que vous retiriez votre amendement. Vos observations, d'autant plus légitimes qu'elles sont formulées par quelqu'un de compétent qui a dirigé naguère une agence, figureront aux comptes rendus des débats en commission et en séance publique, elles éclaireront ainsi notre réflexion. Si vous décidiez de le maintenir, je demanderai à l'Assemblée de bien vouloir le rejeter.

M. le président. La parole est à M. Claude Gaillard.

M. Claude Gaillard. Tout en saluant sa compétence et en reconnaissant son engagement fort ancien dans le domaine de l'eau, je fais observer à mon ami Christian Decocq que cette proposition de loi traite le volet de la solidarité. Les problèmes de fond qu'il a soulevés devront, je crois, être discutés dans le cadre de la loi sur l'eau sur laquelle nous travaillons depuis des années, notamment avec les présidents de comité. Je souhaite donc, parce que je ne veux pas me battre contre lui, compte tenu de sa compétence et de l'amitié que je lui porte, qu'il retire son amendement pour que les différents bassins puissent très rapidement apporter leur aide, dans des conditions légales. C'est une priorité. Cela ne rend pas inutile pour autant le débat que nous devrons avoir.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Claude Gaillard. Comme l'a dit fort intelligemment notre porte-parole, Mme Kosciusko-Morizet, un certain nombre de questions restent posées, sur lesquelles nous serons amenés à nous confronter, au sens positif du terme. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur Decocq, que répondez-vous à cette sollicitation ?

M. Christian Decocq. J'ai bien entendu le message : pour avoir une bonne base de discussion, je maintiens mon amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

Après l'article 2

M. le président. Je suis saisi d'un amendement, n° 2, portant article additionnel après l'article 2.

La parole est à M. Jean Launay, pour soutenir cet amendement.

M. Jean Launay. Monsieur le président, je me suis exprimé dans le cadre de la discussion générale sur cet amendement et compte tenu du souhait exprimé d'un vote conforme, que j'ai appris après la réunion de la commission, je retire cet amendement.

M. le président. L'amendement n° 2 est retiré.

Vote sur l'ensemble

M. le président. Personne ne demande la parole dans les explications de vote ?..

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(L'ensemble de la proposition de loi est adopté.)

    2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, n° 2022, modifiant le titre XV de la Constitution :

Rapport, n° 2033, de M. Pascal Clément, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République,

Avis, n° 2023, de M. Roland Blum, au nom de la commission des affaires étrangères ;

Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, n° 1287, relative à la création du registre international français :

Rapport, n° 2039, de M. Jean-Yves Besselat, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire,

Avis, n° 2035, de M. René Couanau, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix heures quarante-cinq.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot