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Troisième séance du mardi 1 mars 2005

161e séance de la session ordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE M. MAURICE LEROY,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

    1

SAUVEGARDE DES ENTREPRISES

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi de sauvegarde des entreprises (nos 1596, 2095).

Exception d'irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Paul Giacobbi, pour une durée ne pouvant excéder une heure trente.

M. Paul Giacobbi. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans le débat relatif à ce projet de loi, il est au moins un point sur lequel tout le monde s'accordera : notre système de prévention et de règlement des défaillances d'entreprises est inefficace, conduit parfois à aggraver les situations et peut même souvent être suspecté, comme c'est d'ailleurs le cas depuis longtemps.

Chacun reconnaît l'impérieuse nécessité des réformes, depuis au moins cent soixante-huit ans : Balzac, praticien éprouvé de la faillite et expert en manque de crédits, appelait déjà, dans l'admirable César Birotteau, à d'indispensables réformes des procédures de faillite et des juridictions commerciales !

Mais, monsieur le ministre, depuis 1837, des réformes ont eu lieu - et vous en présentez aujourd'hui une de plus - sans que la dure réalité de la défaillance des entreprises ait fondamentalement changé.

Comme aujourd'hui, nous pourrons sans aucun doute admirer demain encore, après le vote de ce projet - s'il est voté -, l'actualité du génie balzacien qui dénonce avec une précision quasi-chirurgicale les pratiques des tribunaux de commerce, les risques du crédit interentreprises, l'arbitraire et la puissance de toutes les banques de son époque - de la haute banque aux usuriers - et même les manipulations des assemblées de créanciers. On s'y croirait, et on s'y retrouvera peut-être !

Ce projet est irrecevable, pour quatre raisons au moins - sans parler des raisons cachées, de celles qui apparaîtront à la fin, ou qui se profilent déjà.

D'abord, il écarte toute réforme des tribunaux de commerce, qui est pourtant le cœur du sujet. Ensuite, il méconnaît le problème du crédit interentreprises, qui fragilise la vie des affaires et rend en partie irréelles les solutions proposées. En troisième lieu, il viole au moins quatre fondements de notre droit constitutionnel : le droit de propriété, imprescriptible et sacré, la protection du salarié, le principe de responsabilité et le principe d'égalité. Enfin, il prétend imiter un droit étranger remarquablement évolué, celui des États-Unis d'Amérique, mais n'en tire que quelques éléments qui, sortis de leur contexte, tournent à la caricature.

M. Arnaud Montebourg. Caricature est le mot !

M. Paul Giacobbi. Il n'est pas inutile de présenter les grands traits de cette caricature.

Je n'insisterai pas sur le fait que le projet écarte toute réforme des tribunaux de commerce, car mon collègue Arnaud Montebourg l'évoquera sans doute avec plus de pertinence dans sa question préalable - si tant est que vous refusiez de constater l'irrecevabilité du texte !

Malgré une commission d'enquête et un projet de loi, vous vous cramponnez - le mot n'est pas trop fort - à deux exceptions françaises : les tribunaux de commerce, dont les juges, en France, sont élus alors que tous les autres États qui connaissaient des juridictions de ce type les ont supprimées, ou tout au moins transformées de fond en comble.

Vous ne touchez pas non plus aux mandataires de justice, autre spécialité française, alors que, partout ailleurs, cette fonction est tout simplement assurée par des professionnels du droit ou de la comptabilité, avocats ou experts-comptables - largement confondus, sur le plan international, avec les commissaires aux comptes.

Au fond, bien que vous évoquiez à propos de votre projet une « boîte à outils »,...

M. Arnaud Montebourg. Elle est un peu rouillée !

M. Paul Giacobbi. ...vous tentez de réformer les règles sans réformer les outils. Or, ce sont les outils qui posent problème. Si vous ne voulez pas y toucher, c'est parce qu'il vous est sans doute difficile de remettre en cause des situations acquises, des habitudes, de mauvaises traditions, et, peut-être, des intérêts.

Vous êtes pourtant conscient du problème. Il est, d'ailleurs, assez curieux que vous présentiez une réforme en soulignant qu'elle ne passera dans les faits qu'au prix d'une action psychologique et pédagogique soutenue qui permette aux chefs d'entreprise de la comprendre et, peut-être, de l'utiliser ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste.) Tel est en effet l'avis général, notamment celui du rapporteur de la commission des finances, qui reconnaît que, sans une telle action, personne ne recourra aux procédures prévues par ce projet. C'est également la position du président Clément, qui insiste longuement sur l'aspect psychologique de la question,évoquant les réticences des chefs d'entreprise, pour qui l'univers judiciaire ne présente guère d'attraits et qui craignent la froideur et l'anonymat des tribunaux de commerce des grandes villes ou, à l'inverse, la diffusion trop rapide de rumeurs infondées.

Cet univers glauque fait peur. Le rapporteur de la commission des lois a déploré tout à l'heure que l'on confie parfois la chirurgie aux croque-morts. De fait, on dépèce bien des corps d'entreprises et les têtes tombent dans la sciure des parquets des tribunaux de commerce. (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. C'est gai !

M. Arnaud Montebourg. L'image est assez juste et fidèle !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Nous voilà revenus au temps des sans-culottes !

M. Paul Giacobbi. Un président de chambre au tribunal de commerce de Paris, dont j'ai beaucoup appris, et qui connaissait de l'entreprise par le menu pour l'avoir abondamment pratiquée et, si je puis dire, exécutée, me décrivait jadis cette réalité.

Il y a pourtant longtemps que beaucoup réclament une certaine professionnalisation des juridictions commerciales. En 1837, au temps de son apogée et avant sa chute, ce même César Birotteau qu'évoquait aussi le président Clément, et qui était lui-même ancien juge consulaire, ne s'écriait-il pas : « Je voudrais un tribunal de juges inamovibles avec un ministère public jugeant au criminel... ». César Birotteau attendra : la réforme des tribunaux de commerce n'est plus à l'ordre du jour.

En deuxième lieu, ce projet compte un grand absent : le rôle particulier que jouent en France le crédit interentreprises et son corollaire, l'assurance-crédit des fournisseurs, alors même qu'ailleurs, en particulier aux États-Unis, c'est plus directement la banque qui finance ou refinance l'entreprise. Le ministre, qui a fort justement relevé cette situation dans sa présentation, ne semble pas en avoir tiré de conséquences concrètes dans son projet de loi.

M. Jérôme Chartier, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Si !

M. Paul Giacobbi. Les fournisseurs qu'une entreprise paie « à quatre-vingt-dix jours, fin de mois », c'est-à-dire à quatre mois de délai de paiement, représentent l'essentiel de son crédit. Ils sont, bien plus que sa banque, son principal créancier. Or, l'attitude des fournisseurs sera motivée par le fait qu'une société d'assurance-crédit va leur garantir - ou non, ou jusqu'à un certain plafond seulement - les créances qu'ils détiennent à l'égard de l'entreprise.

M. Arnaud Montebourg. Très juste !

M. Paul Giacobbi. Ceux mêmes des fournisseurs qui ne se couvrent pas par l'assurance-crédit observent ce qui se passe : si les fournisseurs garantis réduisent le crédit qu'ils accordent parce que l'assurance-crédit restreint l'encours de leurs garanties, ils refuseront à leur tour de prendre des risques et réduiront le crédit qu'ils accordaient à l'entreprise.

Dans une phase antérieure de ma vie professionnelle, j'ai connu une telle situation. Pour un chiffre d'affaires de l'ordre d'un milliard d'euros, avec un crédit fournisseur de l'ordre de cent cinquante millions d'euros, une trésorerie positive de trente millions d'euros - ces ordres de grandeur renvoient à des situations vécues - et un endettement bancaire à moyen terme insignifiant, à l'exception d'une ligne de découvert qui n'est, d'ailleurs, pas même utilisée, une entreprise peut être très proche de la défaillance si, par malheur, ses fournisseurs s'inquiètent en constatant que l'assurance-crédit commence à se retirer. Ce mécanisme, fondamental dans le système français, joue un rôle au moins aussi important que celui que vous attribuez au système bancaire.

Or, l'assurance-crédit, qui est en réalité parfois le partenaire financier principal de l'entreprise en France, celui qui observe l'entreprise avec le plus d'attention et qui tient dans ses mains l'arme la plus redoutable à son égard, reste sans lien juridique avec l'entreprise.

Il ne sert à rien d'avoir la meilleure cotation possible à la Banque de France si l'assurance-crédit vous fait, si peu que ce soit, défaut.

Or, à cet égard, dans le système de prévention que vous présentez, rien de ce qui fait la survie financière quotidienne de bien des entreprises n'est évoqué.

Comment voulez-vous garantir le succès de la prévention dans ces conditions ? En France, la dette fournisseur peut représenter 20 % à 30 % du bilan moyen dans l'industrie ! C'est cela la réalité ! C'est vrai dans le bâtiment et dans beaucoup d'activités.

En troisième lieu, le Gouvernement touche à quatre principes de notre droit, de niveau constitutionnel : le droit de propriété, la protection du salarié, le principe de responsabilité, le principe d'égalité.

Le droit de propriété : commençons par celui-là !

M. Xavier de Roux, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Ça, c'est marrant !

M. Gérard Charasse. Pourquoi ? Ce droit est inscrit dans la Constitution !

M. Paul Giacobbi. Mais pourquoi, monsieur de Roux ? Vous ne croyez tout de même pas que je ne vais pas défendre le droit de propriété ! C'est un droit, c'est une liberté ! Une liberté fondamentale !

M. Xavier de Roux, rapporteur. C'est bien, j'en prends acte !

M. Arnaud Montebourg. Un droit constitutionnel !

M. Paul Giacobbi. C'est une liberté de 1789 ! Ne croyez pas que nous soyons l'ennemi de la propriété !

M. Arnaud Montebourg. M. de Roux a oublié la Révolution française ! (Sourires.)

M. Paul Giacobbi. Simplement, monsieur de Roux, nous ne défendons peut-être pas la même propriété ou les mêmes propriétaires !

M. Xavier de Roux, rapporteur. C'est très bien : il faut défendre le droit de propriété !

M. Paul Giacobbi. Le droit de propriété est, selon la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, un droit naturel et imprescriptible ...

M. Xavier de Roux, rapporteur. C'est formidable !

M. Paul Giacobbi. Attendez, monsieur de Roux, ne vous réjouissez pas si vite !

...au même titre que la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression. (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

Le but de toute association politique, c'est la conservation de ces droits, et évidemment le droit de propriété. L'article XVII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».

Le créancier dispose d'un droit de propriété et cette propriété ne peut être remise en cause que par une évidente nécessité publique, légalement constatée, et d'ailleurs sous la condition d'une juste et préalable indemnité.

Cela ne concerne pas que l'expropriation d'un bien immobilier ou la nationalisation de valeurs mobilières, mais constitue bien un principe général.

Pour priver le propriétaire de son droit - le créancier de son rang, pour transférer les choses à votre projet -, il convient donc qu'il y ait nécessité publique, que celle-ci soit évidente, qu'elle soit légalement constatée, voire qu'elle soit indemnisée.

La réorganisation de l'ordre des créances, le privilège que vous allez donner à ceux qui remettent de l'argent, sans doute parce qu'ils en ont les moyens, et aussi parce que, s'agissant des banques, ils le feront désormais sans risque d'être recherchés au titre d'un soutien abusif, cette réorganisation et ce privilège respectent-t-ils ces principes et le droit de propriété ? Je ne le crois pas.

La nécessité publique conduit à privilégier le salarié parce que sa survie, celle de sa famille dépend évidemment du paiement de sa créance salariale et que s'y attache une nécessité publique. D'ailleurs une nécessité tout court : une nécessité de survie.

La nécessité publique pourrait conduire à privilégier le créancier dont la survie dépend du sort de sa créance. La nécessité publique devrait privilégier le plus petit, le plus fragile des créanciers.

Vous faites manifestement le choix inverse : vous privilégiez le plus gros créancier.

M. Arnaud Montebourg. Précisément !

M. Paul Giacobbi. Nous n'avons effectivement pas la même conception du droit de propriété, en tout cas de ceux qu'il faut privilégier. Vous vous en doutiez...

M. Xavier de Roux, rapporteur. J'en prends acte. Je n'aurais jamais osé dire une chose pareille à la tribune !

M. Paul Giacobbi. Eh bien, vous voyez, monsieur de Roux : il faut que ce soit la gauche qui dise des choses fortes sur la propriété !

M. Xavier de Roux, rapporteur. La gauche a évolué : la propriété n'est plus le vol ! (Sourires.)

M. Gérard Charasse. Ça dépend chez qui !

M. Paul Giacobbi. Monsieur de Roux, nous ne sommes pas proudhoniens ; en tout cas, pas moi !

Vous, vous l'êtes peut-être et je vous félicite de vos références révolutionnaires !

M. Xavier de Roux, rapporteur. Ah non ! Je n'ai jamais dit que la propriété était le vol ! (Sourires.)

M. Paul Giacobbi. Je veux bien avoir une conversation sur Proudhon avec vous tout à l'heure - c'est un auteur que je n'aime pas beaucoup, mais que je connais un peu -, mais, pour l'heure, revenons-en, si vous le voulez bien, à l'ordre des créances !

M. Xavier de Roux, rapporteur. Vous n'aimez pas Proudhon : vous vous démarquez, ce soir ! (Sourires.)

M. le président. Ce n'est pas M. Proudhon qui est à la tribune !

M. Paul Giacobbi. Monsieur de Roux, voulez-vous me permettre de continuer tranquillement ! Si vous le souhaitez, nous évoquerons tout à l'heure, à la buvette ou ailleurs, Proudhon et le droit de propriété !

Ainsi que je le disais, vous privilégiez celui qui peut tirer profit et, pour faire bonne mesure, vous lui donnez par avance l'absolution de toute responsabilité.

Nous considérons donc que le droit de propriété se trouve atteint par votre texte sur le plan constitutionnel.

Ensuite, en ce qui concerne le salarié, malgré tout ce que vous pouvez penser, et sans doute à votre grand regret, notre droit fondamental le protège à plus d'un titre : le droit à l'emploi, la non-discrimination, le droit de grève,...

M. Xavier de Roux, rapporteur. Ça, c'est normal ! Absolument !

M. Paul Giacobbi. ... la liberté syndicale et la participation à la gestion de l'entreprise.

M. Xavier de Roux, rapporteur. Tout à fait !

M. Paul Giacobbi. Monsieur de Roux, vous rapportez certes pour la commission, mais il est très désagréable de parler dans un continuum de commentaires ! Vous pouvez faire quelques plaisanteries, c'est la tradition, en lâcher de temps en temps, drôles ou moins drôles - je ne m'en prive pas moi-même -, mais parlez en polyphonie est, je le répète, fort désagréable.

M. Xavier de Roux, rapporteur. Vous-même avez beaucoup ri pendant mon intervention !

M. Paul Giacobbi. Monsieur le président, si je ne peux pas continuer sans être interrompu à chaque seconde, je vais devoir m'arrêter. Ce qui serait dommage.

M. le président. Poursuivez, monsieur Giacobbi.

M. Paul Giacobbi. Je poursuis donc.

Votre texte porte atteinte à ce bloc constitutionnel sur deux points : la créance salariale et la participation à la gestion de l'entreprise.

S'agissant de la créance salariale, vous le faites de manière intelligente, habile, pas tout à fait manifeste. Ainsi, vous prévoyez l'intervention de l'association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés, l'AGS, au stade de la procédure de sauvegarde. Mais depuis deux ans, l'AGS a considérablement réduit l'étendue de sa garantie. Le décret du 29 juillet 2003 a divisé par deux l'indemnité maximale susceptible d'être versée par l'AGS. L'article 57 de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social a supprimé la prise en charge par l'AGS de la part de l'indemnité de licenciement économique contractuelle qui excéderait le minimum légal. Subrepticement, vous renvoyez le salarié dans le cadre du plan de sauvegarde à l'AGS et à une AGS dont la garantie est considérablement réduite depuis deux ans.

S'agissant de la participation du salarié à la gestion de l'entreprise, nous nous trouvons dans une situation qui consacre le rôle du chef d'entreprise comme décideur unique et souverain - ce qui ne me surprend guère de votre part - au détriment de tout autre composant de l'entreprise, salariés et même actionnaires représentés au conseil d'administration.

C'est ce qu'évoque crûment, mais en termes inappropriés sur le plan juridique, le rapporteur de la commission des finances quand il parle du « renforcement du rôle du manager ».

Le « manager »... Je ne connaissais pas ce terme en droit français : je connaissais le mandataire social, le directeur général, mais pas celui-là ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

C'est en effet, nous dit-on, « le chef d'entreprise qui peut déclencher, avant que les difficultés n'apparaissent, la procédure prévue par le projet de loi. En contrepartie, il pourra rester à la tête de son entreprise ».

J'avoue que je reste confondu par de telles formules ! Pour plusieurs raisons.

Dans votre esprit, qu'il s'agisse de la conciliation ou de la sauvegarde, le chef d'entreprise décide seul, au sein de l'entreprise, de déclencher la procédure.

Il prend l'initiative d'enclencher la procédure, sans consulter ni les représentants du personnel, ni d'ailleurs son conseil d'administration. J'y reviendrai tout à l'heure, car je vais défendre le conseil d'administration, monsieur de Roux ! Ça compte aussi le conseil d'administration !

M. Xavier de Roux, rapporteur. Chez le cordonnier, il n'y en a pas toujours ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Paul Giacobbi. Mais je doute que vous vous intéressiez beaucoup aux cordonniers... sauf peut-être à certains. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Arnaud Montebourg. Les cordonniers de Savoie ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Paul Giacobbi. Le comité d'entreprise n'est consulté que si, conformément à la loi de programmation pour la cohésion sociale, un accord de méthode sur les procédures de consultation du comité d'entreprise existe avant l'ouverture de la sauvegarde dans l'entreprise ou dans la branche.

Mais si un tel accord n'existe pas, on pourra se passer de l'avis, et même de la simple information du comité d'entreprise.

Il paraîtrait à tout le moins raisonnable de prévoir dans la loi une telle consultation d'autant plus que, selon le rapporteur de la commission des lois, il y aura, dans 90 % des cas des procédures de sauvegarde, ce qu'il appelle élégamment des « actions sur la masse salariale ». Dieu qu'en termes galants ces choses-là sont dites ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.) Cela s'appelle les licenciements massifs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Arnaud Montebourg. C'est la vérité !

M. Paul Giacobbi. C'est-à-dire que des licenciements massifs - qui, de plus, suite à un amendement du rapporteur, se feront avec les assouplissements prévus pour le redressement judiciaire par l'article L. 321-9 du code du travail - seront à peu près sûrement envisagés, très en amont, sans que l'on en ait, au préalable, informé la représentation du personnel.

On va donc pouvoir permettre à un homme seul et souverain de déclencher une procédure qui mènera certainement à un licenciement « souple et massif », selon les mots du rapporteur,...

M. Arnaud Montebourg. Quelle impudeur !

M. Paul Giacobbi. ...sans même en informer obligatoirement les représentants du personnel qui sont censés, constitutionnellement, participer à la gestion de l'entreprise.

Quand j'étais un peu plus jeune, et d'ailleurs un peu moins massif et nettement plus souple (Sourires sur les bancs du groupe socialiste), un tel comportement s'appelait un délit d'entrave. En ce temps-là, quand on avait la charge de conduire une restructuration d'entreprise, on avait toujours en tête ce risque de délit d'entrave et l'on consultait systématiquement, et en amont, son comité d'entreprise.

Époque révolue !

À cette époque, lointaine déjà - je parle du milieu des années 90 -, on considérait que le conseil d'administration, où les salariés sont d'ailleurs souvent représentés, devait jouer un rôle essentiel dans la vie de l'entreprise et dans sa sauvegarde lorsque sa survie était en jeu.

Aujourd'hui, le mandataire social, qui peut pourtant toujours être révoqué ad nutum par son conseil d'administration - il ne me semble pas que cela ait changé -, peut non seulement déclencher ces procédures sans demander l'avis du conseil d'administration, mais peut même bénéficier ipso facto d'une véritable présomption de maintien dans son mandat.

J'avoue que, là, je suis également très surpris !

Si ces dispositions avaient été adoptées à l'époque, j'imagine que lors de certains événements récents, que nous avons tous en mémoire, dans de grandes entreprises en difficulté, le chef d'entreprise aurait peut-être pu sauver sa tête, au moins provisoirement, par l'enclenchement de ces procédures souples, rapides, sans consultation de qui que ce soit, ni des représentants du personnel ni du conseil d'administration.

Si ces nouvelles dispositions étaient adoptées, je ne suis pas certain que vous ayez prévu toutes les conséquences qu'elles pourraient avoir sur le fonctionnement même des entreprises.

M. Arnaud Montebourg et Mme Marylise Lebranchu. Très juste !

M. Paul Giacobbi. Assimiler ainsi, de manière stupéfiante, l'entreprise à son chef, lui appliquer cette sorte de Führerprinzip, c'est méconnaître sa réalité. Vous parliez du cordonnier : en général, celui-ci est propriétaire de son entreprise. Vous n'avez quand même pas fait cette loi pour les seuls cordonniers...

M. Xavier de Roux, rapporteur. C'est « Le Savetier et le Financier » !

M. Paul Giacobbi. ...et j'espère qu'elle concerne des entreprises un peu plus grandes. La procédure de sauvegarde me paraît assez mal adaptée à l'échoppe. Pour y recourir, il faudra d'ailleurs que l'entreprise justifie d'une taille minimale. Vous n'allez tout de même pas sortir le grand jeu pour les cordonniers, réunir les deux comités Théodule, les deux comités de créanciers.

Néanmoins, vous avez engagé, organisé ces dispositions, sans peut-être en mesurer toutes les conséquences. Je vois là une contamination du principe monarchique qui envahit aujourd'hui la sphère politique : « Si veut le roi, si veut la loi. » Dans les entreprises, cela donne : « Si veut le chef, si veut l'entreprise. » Je ne suis pas sûr que cette nouvelle conception des choses aille dans le sens de la sauvegarde des entreprises.

Le troisième principe auquel il me semble que votre texte attente est le principe d'égalité. Copiant une législation étrangère, vous avez évoqué « le privilège de l'argent frais », ce que les États-Unis appellent le fresh start ou la new money. Décidément, il y a beaucoup de fraîcheur, dans ce texte et dans cette guerre économique : un empereur ne parlait-il pas autrefois de la « guerre fraîche et joyeuse » ? Ce privilège de l'argent frais permet désormais à un créancier privé, bancaire ou autre, qui consent, dans le cadre de l'accord, un crédit ou une avance, d'être payé avant tous les autres, à l'exception des salariés − tout de même réduits à la portion congrue −, et avant les créanciers publics.

Autrement dit, le rouleau compresseur de la guerre économique éclair décrite tout à l'heure, cette blitzkrieg massive et souple, passe sur le corps des créanciers publics, qui représentent pourtant l'intérêt général, en tout cas les deniers des contribuables et des cotisants sociaux.

Quel intérêt général s'attache donc à faire passer le créancier privé avant le créancier public ? Les banques apporteraient-elles, en France, de tels concours aux entreprises que les faillites de celles-ci mettraient en danger leur équilibre financier ? L'État et les caisses sociales seraient-elles trop riches d'excédents ?

De tels raisonnements se justifieraient si les banques étaient, dans notre beau pays, les chevaliers blancs de la sauvegarde des entreprises, si leur comportement secourable les conduisait à de lourdes pertes face à un État et à des caisses sociales gras d'excédents budgétaires et financiers. Mais c'est plutôt l'inverse, me semble-t-il. Nous avons des banques riches et un État pauvre, et votre projet incite le secteur public à abandonner ses créances − dans des conditions qui ne sont d'ailleurs pas clairement définies quant à la responsabilité de l'ordonnateur et du comptable −...

M. Alain Vidalies. On peut le dire !

M. Arnaud Montebourg. Qui paiera ? les collectivités locales !

M. Paul Giacobbi. ...tout en lui retirant un privilège de premier rang, qu'il transfère dans le même temps aux banques.

Je vais vous faire bondir : c'est un magnifique exemple de ce que l'on appelle la « socialisation des pertes et la privatisation des profits ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Vidalies. C'est du collectivisme !

M. Marcel Bonnot. Quel gargarisme !

M. Paul Giacobbi. Selon cette conception nouvelle de l'intérêt général, la banque qui, demain, consentira un crédit sera réputée le faire au nom de l'intérêt général, tandis que la caisse publique ne pourra revendiquer le même intérêt pour faire valoir ses droits et se trouvera même encouragée à abandonner tout ou partie de sa créance.

Un dernier principe me paraît affecté par ce texte : le principe de responsabilité. Dans sa décision du 9 novembre 1999 concernant la loi relative au pacte civil de solidarité, le Conseil constitutionnel considère qu'il résulte de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 « que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». C'est une sorte de constitutionnalisation de la responsabilité générale prévue par l'article 1382 du code civil.

Mais l'article 8 du projet de loi exonère de cette responsabilité les personnes, c'est-à-dire éventuellement les banques, qui consentent un concours dans le cadre d'un accord homologué.

M. Alain Vidalies. C'est un vrai problème !

M. Paul Giacobbi. « Ces personnes ne peuvent, sauf fraude ou comportement manifestement abusif de leur part, être tenues pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis du fait d'un accord homologué. » Il paraît que cette formulation change tous les matins, ou plutôt toutes les trois heures : on verra bien ce qu'il en adviendra, mais, pour le moment, tel est le texte du projet de loi.

Ici, mes chers collègues, tout se mêle de manière inextricable. C'est un véritable nœud gordien dans notre droit.

M. Xavier de Roux, rapporteur. Tranchez-le !

M. Paul Giacobbi. Les personnes en question causent un préjudice, mais elles ne peuvent pas en être tenues pour responsables. La disposition viole incontestablement le principe mis en exergue par le Conseil constitutionnel.

M. Arnaud Montebourg. C'est l'évidence !

M. Paul Giacobbi. On crée un véritable privilège d'irresponsabilité qui n'existait, à ce jour, que pour de très hautes autorités.

M. Arnaud Montebourg. Il n'y en a qu'une ! (Sourires.)

M. Paul Giacobbi. Mais l'exception aggrave la confusion. « Sauf fraude ou comportement manifestement abusif », dit-on. La fraude est exclue, et c'est heureux (Rires sur les bancs du groupe socialiste) : « Fraus omnia corrumpit. » Mais qu'est-ce qu'un « comportement manifestement abusif » ? Nous entrons dans une confusion du pénal, du civil et, peut-être, de l'administratif, qui laisse pantois. Et cette confusion est d'autant plus extravagante qu'elle fait appel au caractère manifeste. Si vous avez un comportement abusif, mais discret, dissimulé, habile, votre responsabilité n'est pas engagée. Mais si vous êtes visible, vous n'y coupez pas !

M. Marcel Bonnot et M. Philippe Houillon. Caricature !

M. Paul Giacobbi. Mais non, c'est le texte !

À ce stade, on peut se demander si, ce que l'on souhaite sauvegarder, c'est vraiment l'entreprise, si ce n'est pas plutôt la banque, privilégiée dans sa créance, exonérée dans sa responsabilité : un rêve bancaire !

M. Alain Vidalies. Tout est dit !

M. Paul Giacobbi. Il semblerait d'ailleurs que vous considérez − je n'ose pas dire : « que les banques considèrent », mais les journaux l'écrivent − que la formulation est insuffisante et qu'il serait préférable de parler de « comportement intentionnel et manifestement abusif ». Il faudrait donc le faire exprès, avec une intention maligne, et sans aucune discrétion pour que la responsabilité civile soit recherchée. Quel beau patchwork juridique !

Je vois d'ici les commentaires doctrinaux sur le thème de « l'intentionnalité dans la responsabilité civile », nouvelle branche de notre droit.

M. Xavier de Roux, rapporteur. C'est un beau sujet de thèse que vous avez choisi là !

M. Paul Giacobbi. C'est un très beau sujet, en effet, mais j'ose espérer que la sagesse du Parlement évitera ce pensum aux étudiants.

Un quotidien a résumé votre projet sous le titre : « La faillite à l'américaine en France. » Je ne vois a priori aucun désavantage à ce que l'on s'inspire d'une législation étrangère. À ce titre, la législation américaine est très ancienne, le premier Bankruptcy act remontant à l'année 1800, même s'il n'a pas connu un grand succès et n'a pas duré très longtemps. Mais cette législation est en perpétuelle évolution et, depuis quelque temps, on la réforme à un rythme soutenu, tous les deux ans. Elle s'appuie sur des institutions très fortes, des juridictions professionnelles reposant sur une formation spécialisée en appel et une administration fédérale de contrôle − United States Trustee.

Il paraît donc judicieux de s'inspirer de cette législation forte, audacieuse et réputée. Souvent, la presse nous apprend que telle entreprise s'est placée « sous la protection de la loi sur la faillite », et nombre de journalistes, qui n'ont jamais lu la législation américaine, vous parlent du fameux Chapter eleven, comme s'ils l'avaient fréquenté assidûment depuis l'adolescence.

La relation franco-américaine est, à certains égards, schizophrénique. Nous ne cessons de critiquer les États-Unis d'une manière systématique, caricaturale, parfois ridicule, mais nous ne perdons jamais une occasion d'imiter, voire de singer, notre plus vieil allié. Dans le cas d'espèce, l'imitation est complètement inappropriée, pour au moins quatre raisons : parce que le contexte de la vie des affaires est fondamentalement différent en matière de crédit aux entreprises ; parce que les structures institutionnelles qui encadrent le droit de la faillite aux États-Unis sont diamétralement opposées aux nôtres ; parce que les règles de droit dans le monde des affaires sont appliquées beaucoup plus sévèrement dans les pays anglo-saxons, et particulièrement aux États-Unis, qu'en France ; enfin, parce que la législation américaine n'est pas la panacée, comme en témoigne sa tendance à se réformer sans cesse, et que, en matière de défaillance des entreprises, les résultats ne semblent guère plus fameux que les nôtres.

Aux États-Unis, le système bancaire contribue beaucoup plus largement qu'en France au financement des entreprises, tandis que le crédit fournisseur est nettement plus réduit.

Dans son bulletin de décembre 2004, la Banque de France note que « la France reste plus proche des pays qui effectuent des règlements tardifs (Espagne et Italie) que de ceux dont les pratiques commerciales privilégient les règlements plus rapides (Allemagne et États-Unis) ». À la fin de 2002, dans l'industrie, la dette fournisseur représentait en France plus de 20 % des bilans, et, aux États-Unis, 6 %.

Les structures qui animent le droit de la faillite sont diamétralement opposées entre la France et les États-Unis. Comme le faisait remarquer un excellent avocat d'affaires − il a été mon avocat −, cité par la commission d'enquête sur les tribunaux de commerce, « le système français a choisi de voir dans les affaires de faillite ce que j'appellerai "des affaires de proximité ou des affaires de place", ce qui est évidemment [...] une option rigoureusement inverse à celle qui a été retenue ab initio par les États-Unis puisque la Constitution de ce pays [...] a tenu à préciser que les affaires de faillites relèvent de la compétence fédérale, ce qui signifie [...] que la faillite est un domaine géré par les juridictions fédérales. [...] La tradition juridique américaine » a considéré « qu'il était essentiel de soustraire le domaine de la faillite au jeu des influences locales ».

Un autre auteur, Mme Tanger, qui a étudié La faillite en droit fédéral des États-Unis, remarque judicieusement que la divergence des solutions retenues paraît surprenante : « Le système français, qui se caractérise par une intervention notable de la puissance publique, a pourtant fait le choix de soumettre les procédures collectives à une "justice privée". Le tribunal de commerce compétent en la matière est, en effet, composé de juges consulaires qui sont des commerçants n'ayant pas le statut de magistrats professionnels. »

« Les États-Unis, pourtant libéraux, ont, depuis toujours, opté en matière de faillite pour une justice publique confiée à un magistrat professionnel spécialisé, le juge de faillite, statuant en formation unique, laquelle constitue la Cour de faillite dite "bankruptcy court". »

« Le contrôle de l'État est d'ailleurs renforcé par la présence aux côtés du juge de faillite d'une autorité administrative fédérale de contrôle, le United States Trustee. »

On est donc très loin de notre semi-privatisation du droit de la faillite.

M. Alain Vidalies. Tout à fait !

M. Paul Giacobbi. On est dans un système de magistrature professionnelle, avec des contrôleurs qui sont des fonctionnaires d'État fédéral.

M. Alain Vidalies. Exactement !

M. Marcel Bonnot. Supprimez les conseils des prud'hommes !

M. Paul Giacobbi. Nous sommes aux antipodes de notre système. Ce n'est pas tout à fait l'image que l'on se fait du droit américain.

La règle de droit est appliquée dans le monde des affaires aux États-Unis avec une rigueur qui stupéfie souvent les Français, comme d'ailleurs la rigueur des sanctions infligées parfois dans les pays anglo-saxons aux hommes politiques indélicats. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

Nous avons récemment entendu toutes sortes de commentaires parce qu'une banque française ayant violé deux règles - l'interdiction pour une banque d'acquérir une compagnie d'assurance et la pratique du portage - et une société française ayant engrangé des plus-values importantes lors de cette acquisition, des juges américains en avaient tiré des conséquences coûteuses tant au pénal, malgré l'arrangement intervenu, qu'au civil. C'est que nous vivons dans un monde très différent.

Dans le domaine des affaires, le libéralisme américain va de pair avec une lourdeur des sanctions qui nous étonne toujours, et qui, il faut bien le dire, est à l'opposé de nos habitudes latines.

Enfin, pour imiter et pour transférer, il faudrait être sûr de la qualité des résultats obtenus. Or, de très nombreuses faillites, tant personnelles que d'entreprises, se produisent aux États-Unis. Nous devrions analyser finement ce qui se passe dans ce pays avant de songer à importer une législation qui, au demeurant, change, comme je l'ai déjà noté, à un rythme très élevé, ce qui laisse d'ailleurs à penser qu'elle ne donne pas entièrement satisfaction.

Las, vous avez choisi de l'imiter, malgré un contexte de vie des affaires et de structure du crédit aux entreprises totalement différent, d'institutions encadrant la faillite diamétralement opposées et d'application du droit des affaires que l'on ne peut pas comparer, sans d'ailleurs être certain que les États-Unis soient parvenus à dégager une solution optimale et durable dans ce domaine.

Comme le dit la presse, « les faillites à l'américaine arrivent en France ». Oui, mais dans quel état et dans quel contexte ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Vidalies. Elles ont mal voyagé !

M. Paul Giacobbi. Puisque vous voulez transférer, êtes-vous décidés à réformer le rôle des banques dans le financement de l'économie ? Certainement pas !

Allez-vous professionnaliser nos juridictions commerciales et instituer des contrôleurs d'État pour les entreprises en difficulté ? Vous ne me semblez pas en prendre le chemin !

Allez-vous appliquer une rigueur tout anglo-saxonne à notre droit des affaires ? J'en doute absolument !

Pouvez-vous démontrer, par une analyse rigoureuse et objective, le succès de la législation américaine ? Nous attendons avec intérêt vos explications sur ce point !

Selon notre rapporteur, je serais jovial. Si j'étais méchant, ce qu'à Dieu ne plaise !..

M. Arnaud Montebourg. Le pourriez-vous ?

M. Paul Giacobbi. ...je dirais que cette imitation est au transfert de législation ce que le cargo cult est au transfert de technologie et qu'elle est condamnée à rester dérisoire, inopérante et quelque peu ridicule.

Laissant de côté toute réforme de nos juridictions commerciales et de ce qu'il faut bien appeler nos professionnels de la faillite - sinon nos croque-morts, nos « morticoles » économiques (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) -, méconnaissant la spécificité des structures de financement de nos entreprises, en contradiction avec plusieurs principes fondamentaux de notre droit, imitant quelques aspects d'un droit étranger sans admettre que celui-ci ne vaut que dans un contexte institutionnel, professionnel, juridique et financier tout à fait différent, ce projet est irrecevable.

D'abord, il ajoute des procédures sans en éliminer aucune. J'avais pourtant cru comprendre que le Gouvernement était pour la simplification : j'apprends aujourd'hui qu'il plaide pour l'enrichissement, ce que l'on a appelé le continuum d'enrichissement des procédures ! On assiste, en fait, à une complexification permanente des procédures, qui deviennent d'ailleurs si compliquées qu'une immense campagne d'explication publique ne suffirait pas à les faire comprendre, seuls quelques malheureux pouvant espérer s'y retrouver !

Ensuite, derrière un habillage complexe, vos objectifs se limitent à quelques points précis qui, à travers certaines dispositions du projet et quelques amendements stratégiques - à propos desquels on assure dans la presse qu'on ne capitulera pas ! -, constituent le véritable enjeu du texte. Ces objectifs, je les résumerai brièvement.

Premièrement, vous voulez mettre fin à la mise en cause de la responsabilité des banques dans le cadre du soutien abusif. Je ne sais si vous y arriverez, car cela semble bien compliqué,...

M. Alain Vidalies. Tout à fait !

M. Paul Giacobbi. ...mais vous tournez autour du pot avec l'envie manifeste de soulever le couvercle, sans faire de bruit - ni vu, ni connu ! Cela risque tout de même d'être délicat.

Deuxièmement, vous souhaitez diminuer la garantie des salaires et transférer plus encore la charge de cette garantie à la solidarité nationale.

Troisièmement, vous voulez instituer une procédure de licenciement « massive et souple », qui puisse être mise en œuvre rapidement et en toute sécurité juridique : le rêve de l'ajustement salarial tranquille réalisé ! La difficulté de l'entreprise a bon dos ! Plusieurs de mes collègues insisteront sans doute sur ce point en relevant certainement au passage que, faute de définir l'état de difficulté qui peut justifier le recours à certaines procédures voire à des procédures assouplies, la tentation sera grande de vouloir bénéficier tranquillement de cet intéressant avantage. On pourra y être poussé par les banques, qui peuvent y avoir intérêt. Mais on pourra également y avoir recours tout simplement pour bénéficier de procédures souples, qui ne nécessitent pas de justifier de la difficulté économique ou d'un motif réel et sérieux pour pouvoir licencier de manière, encore une fois, massive et souple et, de plus, sûre.

Quatrièmement, enfin, vous voulez intervertir l'ordre traditionnel des privilèges de créance, les banques devant passer désormais avant les caisses publiques.

La confusion et la complexité du projet ne sont peut-être que le paravent qui vous permet d'avancer tranquillement vers ces objectifs.

Mes chers collègues, ce projet est déjà irrecevable de par ses seules dispositions. Sa face cachée, son non-dit, ses objectifs profonds le sont plus encore ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Xavier de Roux, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Xavier de Roux, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, quelques mots très brefs pour répondre à ces très longues explications de M. Giacobbi.

Si je l'ai écouté d'abord avec une attention soutenue, celle-ci s'est ensuite un peu relâchée...

Mme Marylise Lebranchu. C'est une faute, monsieur le rapporteur !

M. Xavier de Roux, rapporteur. ...car, usant d'une technique qui commence à être éprouvée, il s'est mis à découvrir dans le texte des centaines de dispositions qui n'y figurent pas, exercice, évidemment, qui rend alors facile leur critique immédiate.

M. Paul Giacobbi. Serais-je victime d'hallucinations juridiques ?

M. Xavier de Roux, rapporteur. Si quelqu'un a eu des hallucinations, c'est certainement vous, monsieur Giacobbi...

M. Alain Vidalies. C'est une attaque inadmissible contre la Corse ! (Sourires.)

M. Xavier de Roux, rapporteur....ou sinon, nous ne parlons pas du même texte.

M. Arnaud Montebourg. Nous l'avons pourtant bien reconnu !

M. Xavier de Roux, rapporteur. Eh bien moi, je n'ai pas reconnu le projet de loi dans l'exception d'irrecevabilité soulevée par M. Giacobbi. Vous comprendrez dès lors qu'il me soit très difficile de répondre à des critiques qui portent sur des dispositions que l'on sort de son chapeau.

Je tiens en tout cas à saluer votre défense acharnée, monsieur Giacobbi, du droit de propriété. J'en ai été un peu surpris car ce n'est pas quelque chose à laquelle on est habitué sur vos bancs. J'en prends acte, même si le droit positif actuel va moins loin que vous en la matière !

J'avoue avoir ensuite complètement dérapé, (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. Gérard Charasse. Cela se voit !

M. Paul Giacobbi. C'est un aveu !

M. Xavier de Roux, rapporteur....lorsque vous avez parlé de Führerprinzip, de blietzkrieg ou de schizophrénie américaine. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Sans doute, monsieur Giacobbi, êtes-vous polyglotte et d'une culture très étendue, mais si l'on veut démontrer sérieusement l'inconstitutionnalité d'un texte, on s'y prend un peu différemment. Finalement, c'est votre irrecevabilité qui est irrecevable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Philippe Vuilque. C'est un peu facile !

M. Gérard Charasse. Laborieux !

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Marylise Lebranchu, pour le groupe socialiste.

Mme Marylise Lebranchu. Contrairement à M. le rapporteur, j'ai entendu nombre d'arguments dans l'explication, longue et argumentée, de notre collègue. Je ne les reprendrai naturellement pas tous, mais je suis vraiment désolé que M. de Roux n'ait pas réussi à suivre. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nous lui ferons parvenir le texte de l'intervention de M. Giacobbi pour que, d'ici à demain, il puisse réfléchir à certains de ces arguments et au problème soulevé par la différence entre le texte initial et le texte amendé.

Nous soutenons bien évidemment cette exception d'irrecevabilité,...

M. Michel Voisin. Mais non ! Il ne faut pas !

Mme Marylise Lebranchu. ...d'abord pour des raisons tenant à la créance salariale, que notre collègue a très intelligemment exprimées. Je pense, en particulier, à tout ce qui a été fait depuis quelque temps à l'encontre de l'AGS, notamment en matière de compte épargne-temps. Cet organisme rencontrera de vraies difficultés...

M. Philippe Vuilque. Exact !

Mme Marylise Lebranchu. ...si l'on oublie le fait générateur de son existence même.

S'il fallait ajouter une autre raison, je prendrais celle relative à la participation des salariés - ou du salarié du cordonnier, si cher à M. de Roux ! - dans la procédure. Une telle intervention est en effet contraire à notre droit. La consécration du rôle du chef d'entreprise, que nous n'avons jamais contestée, se heurte au principe de la décision solitaire. Nous verrons bien ce qu'en dira le Conseil constitutionnel si, par mégarde, l'exception d`irrecevabilité n'est pas adoptée.

Le texte amendé franchit, en outre, un grand pas en faisant passer le créancier privé, devenu prioritaire, avant le créancier public. Comme notre collègue, j'estime que si les banques trouvent intérêt à ce texte, nombre de petites et moyennes entreprise ne savent pas très bien comment elles pourront l'utiliser puisque l'ordre instauré dans les privilèges des créances pourrait leur sembler plutôt relever du paravent.

M. Jean-Paul Bacquet. Très juste !

Mme Marylise Lebranchu. C'est un peu à une sorte de jeu, sans doute abusif, auquel on assiste, mais qui est devenu moins discret depuis l'intervention de notre collègue, et pour toutes ces raisons nous voterons l'exception d'irrecevabilité. La démonstration vient d'être faite que si les intentions sont lourdes en matière de droit elles ont aussi un sens social, et je remercie M. Giacobbi pour cette clairvoyance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Sur le vote de l'exception d'irrecevabilité, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Michel Vaxès. Ce texte est insatisfaisant à plusieurs égards, mais j'y reviendrai lors de la discussion générale.

Pour ce qui concerne l'exception d'irrecevabilité, le groupe des député-e-s communistes et républicains la votera, pour bon nombre de raisons invoquées par notre collègue Giacobbi, mais surtout pour trois raisons, à nos yeux essentielles.

D'abord, le texte présenté par le garde des sceaux heurte le principe constitutionnel de clarté de la loi, qui découle de l'article 34 de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la déclaration de 1789. Le Conseil constitutionnel, qui ne rate aucune occasion de le pointer dès que cela s'avère nécessaire, ne manquerait pas de le signaler sur un texte dont la lecture se révèle extrêmement complexe.

Sa présentation obscure, avec des articles déplacés, modifiés, abrogés ou créés, rend sa compréhension particulièrement difficile, non seulement pour les néophytes, mais également pour les praticiens. Ce manque de clarté est d'autant plus problématique que les usagers du code du commerce viennent tout juste de se familiariser avec sa nouvelle numérotation qui date de l'ordonnance du 18 septembre 2000. N'aurait-il pas été plus simple pour tout le monde, y compris pour nous qui devons porter une appréciation sur ce texte et proposer d'éventuelles modifications, d'abroger l'ensemble du livre VI du code du commerce, pour le réécrire ? Avec ce texte, les avocats d'affaires ont, à n'en pas douter, de beaux jours devant eux !

Une deuxième raison, plus fondamentale, motive notre vote en faveur de cette exception d'irrecevabilité, c'est le non-respect du principe constitutionnel du droit au travail.

L'alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946 prévoit que chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. La lecture combinée de cette disposition et de l'article 34 de la Constitution a conduit le Conseil constitutionnel à considérer qu'il appartenait au législateur de poser les règles propres à assurer au mieux le droit pour chacun d'obtenir un emploi en vue de permettre l'exercice de ce droit au plus grand nombre possible d'intéressés. Dans sa jurisprudence, il a ainsi reconnu que la valeur constitutionnelle du droit à l'emploi liait le législateur dans l'exercice de ses fonctions.

Or l'amendement de la commission concernant les licenciements économiques pendant la période de sauvegarde, comme d'autres aspects du texte, relègue, dans ces procédures, l'emploi au second plan, au bénéfice des créanciers. Nous voyons là un non-respect des prérogatives du législateur dans la garantie du principe du droit à l'emploi et, en conséquence, une violation brutale du principe de constitutionnalité qui milite en faveur du vote de cette motion.

Enfin, nous voterons cette motion de procédure parce qu'elle est contraire au préambule de la Constitution de 1946, qui entre, je le rappelle, dans notre bloc de constitutionnalité et qui pose le principe suivant : tout travailleur participe par l'intermédiaire de ses délégués à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises.

M. Michel Voisin. Dérive !

M. Michel Vaxès. Le traitement des difficultés d'une entreprise et la mise en œuvre de son redressement font partie intégrante de sa gestion. Or comment prétendre que ce principe est observé si les salariés ne participent pas au redressement des entreprises ? Car il en est ainsi avec ce projet de loi : les salariés ne sont pas considérés comme faisant partie intégrante de l'entreprise et de sa gestion. Les acteurs principaux de la procédure restent le chef d'entreprise et les créanciers, tandis que les salariés doivent se contenter d'être des acteurs de second rôle ou de simples spectateurs. Les salariés subissent le choix du dirigeant de l'entreprise et sont condamnés à assister de manière passive à la dégradation de celle-ci. Pourtant, l'entreprise serait la première bénéficiaire si les salariés étaient partie prenante de son redressement, avant qu'elle ne soit tout à fait défaillante. Mais, alors que le préambule de 1946 pose le principe de la participation des salariés à la gestion de l'entreprise, ce projet de loi écarte toute collaboration des salariés au redressement, pourtant affirmée dans l'exposé des motifs.

M. le président. Monsieur Vaxès, il faudrait conclure.

M. Michel Vaxès. Vous aurez observé, monsieur le président, que le groupe communiste ne s'est pas encore exprimé.

M. le président. Le règlement prévoit cinq minutes pour chaque explication de vote sur une motion de procédure. Vous avez utilisé votre temps de parole. D'ailleurs, les autres groupes ne se sont pas non plus exprimés dans le débat.

M. Michel Vaxès. En dépassant mon temps de parole, je permets à nos collègues de rejoindre l'hémicycle, monsieur le président.

M. le président. Ils sont déjà là.

M. Michel Vaxès. Je conclus, monsieur le président.

Si la législation actuelle a pour objectif essentiel le redressement de l'entreprise et la sauvegarde de l'emploi tout en assurant le paiement des créanciers, il n'en est pas de même avec ce projet de loi, qui inverse les priorités. C'est la raison pour laquelle nous voterons cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix l'exception d'irrecevabilité.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

.......................................................................

M. le président. Le scrutin est ouvert.

.......................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

                    Nombre de votants 79

                    Nombre de suffrages exprimés 79

                    Majorité absolue 40

        Pour l'adoption 21

        Contre 58

L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

M. Gérard Charasse. C'est dommage !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Avant que M. Montebourg n'entame sa question préalable, je voudrais informer les membres de la commission des lois, au cas où certains d'entre eux n'auraient pas le courage d'attendre la fin de l'intervention de M. Montebourg...

M. Jean-Paul Bacquet. Ils auraient tort !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. ...- je ne veux pas le croire, mais j'imagine le pire -que cette commission se réunira demain, à dix heures, pour examiner une centaine d'amendements au titre de l'article 88.

M. Xavier de Roux, rapporteur. La plupart déposés par M. Montebourg.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Je voulais que mes collègues l'apprennent de vive voix avant de recevoir, cette nuit même, la convocation.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, je demande, au nom de mon groupe, une courte suspension de séance.

M. le président. La suspension est de droit.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

Rappel au règlement

M. Arnaud Montebourg. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg, pour un rappel au règlement.

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, cette suspension de séance nous a permis de faire le point sur les conditions, que nous jugeons contestables, dans lesquelles le Gouvernement et la commission des lois nous obligent à travailler.

D'abord, nous avons appris dans la presse que le Gouvernement avait déclaré l'urgence sur ce texte. Celui-ci, même s'il a déjà fait l'objet de multiples concertations et a donné lieu à de longues discussions en commission, sera donc privé d'une lecture essentielle, d'une navette entre les deux chambres, par une décision arbitraire et unilatérale du ministre de la justice dont la commission des lois n'a même pas pris la peine de nous informer. Nous l'avons découverte dans Le Monde de cet après-midi. C'est une première curiosité.

Robert Badinter a eu l'amabilité de m'appeler pour montrer son intérêt sur ce texte et me rappeler les conditions dans lesquelles il avait défendu la loi que nous réformons aujourd'hui. C'est un exemple à suivre, monsieur le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Celle loi est obsolète !

M. Arnaud Montebourg. Elle a vingt ans d'âge et M. Badinter ne conteste d'ailleurs pas qu'elle a besoin d'être transformée. Le sénateur Robert Badinter affirme qu'à cette époque, il n'avait jamais voulu, par principe, déclarer l'urgence, considérant que toutes les parties - l'opposition, la majorité, le Sénat, l'Assemblée nationale - devaient se pencher sur chacun des aspects de ce texte délicat dans la mesure où il fallait trancher entre des intérêts contradictoires. Il ne fallait pas commettre d'injustices. Et M. Badinter ajoutait que, après l'examen de chacun des articles, il demandait aux sénateurs, majoritairement à droite, s'ils voulaient encore s'exprimer pour améliorer son texte.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est faux ! Vous rêvez !

M. Arnaud Montebourg. C'était la façon d'agir d'un ministre respectueux du Parlement.

Actuellement, nous observons la démarche exactement contraire. Dans ce débat, M. le président de la commission des lois - peut-être est-ce dû à son humeur ou à son sens de l'humour si particulier ! - a multiplié les attaques à caractère personnel sur les aptitudes, supposées ou non, des orateurs socialistes et il a renouvelé dans le genre à destination de notre ami et camarade Paul Giacobbi. Tout à l'heure, le rapporteur ne s'est pas privé de dire que ce dernier n'avait pas pris la peine de lire le texte.

M. Jean-Paul Bacquet. C'est inacceptable !

M. Arnaud Montebourg. Ce n'est pas parce que l'on n'est pas membre de la commission des lois que l'on ne lit pas le texte !

Venons-en à la question qui fâche : la manoeuvre qui consiste à attendre que nous déposions des amendements pour les faire tomber par le biais d'autres amendements qui ne seront connus qu'à la fin de la discussion générale. Je rappelle que ce matin nous avons examiné, au titre de la réunion prévue par l'article 88 du règlement, soixante à soixante-dix amendements, dont certains très sensibles du rapporteur qui visent à réécrire des morceaux entiers du texte et pour lesquels ledit rapporteur se prévaut de ses amitiés avec la chancellerie,...

M. le garde des sceaux. Fichtre !

M. Arnaud Montebourg. ...dont nous ne connaissons même pas la position ! Il est donc permis de se poser des questions sur le respect du contradictoire.

La manœuvre dont je viens de parler est inacceptable, car irrespectueuse du droit d'amendement dont dispose tout parlementaire sur un texte aussi sensible qui aurait bien besoin de plus d'une lecture à l'Assemblée nationale et au Sénat tant sont nombreux les dégâts qu'il risque de causer et dont je décrirai certains aspects dans un instant si l'on me donne la parole.

Monsieur le président, je demande donc une nouvelle suspension de séance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Je ne répondrai pas à toutes les provocations de M. Montebourg (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et me contenterai de deux observations.

D'abord, s'agissant de l'urgence, comme j'ai eu l'occasion de le dire dans mon intervention générale, la commission des lois s'est félicitée, au grand dam du garde des sceaux, du retard pris dans l'ordre du jour, car cela nous a donné beaucoup plus de temps - quasiment un an - pour examiner ce texte. Nous avons ainsi pu travailler longuement, en particulier dans le cadre de la mission d'information sur la réforme du droit des sociétés - j'eusse aimé que certains y participassent ! -, et le rapporteur a pu auditionner une quarantaine de personnes.

En outre, si le Gouvernement et le garde des sceaux en particulier ont demandé l'urgence,...

M. Alain Néri. Ce n'est plus l'urgence, c'est la panique !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. ...c'est précisément parce qu'ils veulent que le texte soit appliqué le plus rapidement possible pour sauver un maximum d'emplois en France. (Rires et protestations sur les bancs du groupe socialiste.) J'adore votre sens du dialogue, mes chers collègues ! Dès qu'un argument devient gênant, vous poussez des cris. C'est une forme de rationalité qui m'échappe !

L'urgence n'est donc motivée par aucune arrière-pensée. (Protestations sur les mêmes bancs.) Elle ne vise qu'à permettre l'application la plus rapide possible de ces nouvelles dispositions de droit commercial, dans l'intérêt des entreprises, donc des salariés qui y travaillent. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Néri. L'urgence est décrétée pour tenir les promesses de Raffarin !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Monsieur le président, pouvez-vous demander à ces personnes, qui me paraissent assez excitées, de nous permettre de travailler ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Comportez-vous comme des parlementaires !

Enfin, M. Montebourg prétend que l'examen des amendements prévu demain matin relève d'une manœuvre. Sans vous donner les numéros de ces amendements, je vais donc vous en énumérer les auteurs pour que vous puissiez juger : Montebourg, Vidalies, Vidalies,...

M. Alain Vidalies. Ce sont sûrement de beaux amendements !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. ...Vaxès, Vaxès, Montebourg, Comparini, Cardo, Vaxès, Montebourg, Montebourg (« Encore ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), Cardo, Montebourg, Montebourg, Montebourg, Vaxès, Vaxès, Vaxès, Cardo, Cardo - que l'on n'a d'ailleurs jamais vu en commission, je le souligne au passage -, Vaxès, Vaxès, Vaxès, Montebourg...

M. Arnaud Montebourg. Je vous confirme qu'il s'agit là d'excellents amendements qui méritent un examen approfondi !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Souhaitez-vous que je continue ? (« Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - « Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Tout ce que vous avez dit, monsieur Montebourg, est maintenant réduit à néant. La démonstration de votre mauvaise foi est faite, et je souhaite que nous puissions enfin travailler. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Xavier de Roux, rapporteur. Je précise qu'il n'y a aucun amendement du rapporteur parmi ceux que nous examinerons demain. Nous avons examiné ce matin, en commission des lois, tous les amendements qui ont été déposés dans le temps imparti. Vous en avez déposé une série aujourd'hui, mesdames, messieurs de l'opposition. Nous l'examinerons demain matin parce que nous n'avons pas d'autre solution. Mais vous aviez tout de même suffisamment de temps pour déposer ces amendements avant l'ouverture du débat !

M. le président. Nous allons passer maintenant à l'examen de la question préalable...

M. Arnaud Montebourg. J'avais demandé une suspension de séance !

M. le président. En effet, monsieur Montebourg. La suspension de séance est de droit. Je vais donc suspendre la séance pour une minute.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures cinquante-six, est reprise à vingt-deux heures cinquante-huit.)

M. le président. La séance est reprise.

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « sauvegarde » : le mot est beau ; « sauvegarde des entreprises » : le programme est très beau. La réforme du droit de la faillite est une œuvre difficile.

Les règles relatives à la faillite, à la banqueroute méritent un retour sur leur histoire, tant la faillite est imprégnée de déshonneur public et d'infamie pour ceux qui en sont l'objet, mais aussi pour les créanciers ou les salariés qui les subissent, subissant du même coup un mouvement dans leur vie qu'ils jugent souvent irrémédiable.

En 2004, 150 000 personnes ont été licenciées dans le cadre simplifié des redressements judiciaires ou des liquidations d'entreprise. Environ 500 000 créanciers chaque année voient leur activité économique ou commerciale affectée par l'échec d'un redressement ou l'arrivée d'une liquidation.

Voilà pourquoi, monsieur le garde des sceaux, notre débat appelle une prospection méticuleuse des effets de votre texte et de ses lourdes conséquences. C'est pourquoi, je l'avoue, j'éprouve un grand honneur à soutenir devant vous cette question préalable puisque, de fait, des questions n'ont pas été traitées préalablement à l'adoption de ce texte.

Je crois d'ailleurs que nous pouvons reconnaître une forme de malfaçon dans votre démarche politique. Les salariés, les chefs d'entreprise et les créanciers observent ce texte. À l'occasion de cette question préalable, je souhaiterais précisément soulever quelques problèmes pour éviter les regrets liés aux décisions mal prises que toute majorité, engagée par les excès naturels de son nombre, peut parfois négliger de se poser.

Vous me permettrez, monsieur le garde des sceaux, de m'adresser à l'esprit, que je crois libre, de chacun de nos collègues dans cet hémicycle, en appelant à la réflexion, à l'analyse et à l'expérience ceux qui peuvent raisonner et faire évoluer leur jugement sans entrave ni contrainte.

Vouloir transformer la loi de 1984 organisant les règles de la faillite n'est pas absurde, tant il est vrai qu'une modernisation s'imposait.

Chercher à sauvegarder les entreprises sans attendre qu'elles soient acculées à la faillite et s'enquérir d'un remède le plus tôt possible, cela paraît relever de l'évidence.

Prendre les problèmes dès leur apparition embryonnaire, dès la présentation des tout premiers signes avant-coureurs des difficultés de l'entreprise - incident de paiement, premier problème de trésorerie - est une bonne solution.

Il existe en effet une démarche précoce, voire prématurée, dont le chef d'entreprise doit avoir l'initiative - une démarche surnaturelle, en vérité, qui consiste, pour un dirigeant d'entreprise, à aller se jeter, la peur au ventre, dans les bras d'un tribunal, fût-il de commerce, d'un mandataire de justice ou peut-être même du procureur de la République.

En effet, autant il est naturel, lorsqu'on est malade, de prendre rendez-vous chez le médecin ou, lorsqu'on est en difficulté personnelle, de rechercher un avocat, un expert-comptable, bref, une âme secourable, autant, lorsqu'une entreprise présente les premiers soubresauts, les premiers signes, même minuscules, d'une difficulté, le chef d'entreprise se refuse obstinément à aller voir le président du tribunal de commerce.

Monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, vous êtes-vous interrogés sur les raisons de ce refus systématique ? Les chefs d'entreprise n'ont pas confiance en la justice.

N'allez pas prétendre que cela ne tient qu'à eux et que cette situation vient de leur seul fait. Si l'institution judiciaire ne parvient pas à obtenir leur confiance, ne serait-ce pas, par hasard, parce qu'elle n'en est pas digne ?

Tous les chefs d'entreprise de notre pays, pardon de le dire franchement, sont instruits de vingt ans de scandales à répétition dans les tribunaux de commerce. Ils savent, lorsqu'ils montent les marches de l'un de ces tribunaux, qu'ils risquent, dans 90 % des cas, de finir liquidés, ruinés et peut-être déshonorés. Au fond d'eux-mêmes, ils sont conscients que, dans la main d'un administrateur judiciaire, puis d'un liquidateur, ils perdront leur honneur et que c'est une vie de labeur qui partira en fumée. Pour monter ces marches, il faut donc du courage. Souvenons-nous de ce que disait tout à l'heure notre ami Giacobbi : « En vérité, nous ne savons pas comment tout cela peut terminer. »

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. M. Giacobbi est courageusement allé se coucher. Heureux homme !

M. Arnaud Montebourg. Le malheur, c'est que le projet de loi ignore cette situation, que ce soit sur le plan intellectuel, politique ou économique.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Quel avis nuancé ! (Sourires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Arnaud Montebourg. C'est bien là que le bât blesse. Croyez-vous que les dirigeants d'entreprise, artisans, commerçants, gérants de PME ou entrepreneurs unipersonnels, qui constituent 70 à 80 % de l'économie française, ne sachent pas que celui à qui ils vont confier leurs intérêts, leur travail et leur entreprise, sera celui-là même qui en disposera, qui les jugera et peut-être même, pour rester dans la logique de ce texte, qui les condamnera ?

Mon premier propos, monsieur le garde des sceaux, sera de vous prévenir que vous avez inversé l'ordre des facteurs de la réforme. Avant de réformer le droit de la faillite et d'inventer de nouvelles procédures ou de « tambouiller »...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Quel est ce verbe ?

M. Arnaud Montebourg. ...le contenu de la marmite où vous mitonnez de nouvelles recettes - conciliation, sauvegarde -, regardez-la bien, cette marmite aux parois rouillées, abîmée par des décennies d'inaction face aux juridictions consulaires devant lesquelles, comme devant des vaches sacrées, vous avez décidé de vous incliner.

M. Serge Poignant. Des vaches sacrées ? (Sourires.)

M. Arnaud Montebourg. On ne peut rien toucher ni rien faire, pensez-vous, puisqu'elles font partie de notre patrimoine. Au contraire, il fallait - nous le disons nous-mêmes et cette opinion a sa place dans notre question préalable - commencer par la réforme de l'institution et poursuivre par celle de la faillite. C'était d'ailleurs l'ordre des facteurs de la réforme préparée par la chancellerie, à l'époque où Mme Élisabeth Guigou et Mme Marylise Lebranchu, auxquelles je rends hommage, étaient garde des sceaux.

Comme à l'époque de César Birotteau, c'est-à-dire trois cents ans après la création des premiers tribunaux de commerce, l'absence totale de l'État en leur sein se fait toujours cruellement sentir. Depuis plusieurs siècles, cette exception française est de triste réputation. Ouvrons donc un instant ce dossier et nous pourrons comprendre ensemble que votre réforme, en admettant qu'elle soit de bonne foi, ce dont je ne doute pas,...

M. Hervé Novelli. Merci !

M. Arnaud Montebourg. ...ne peut pas avoir le moindre effet bénéfique. L'institution consulaire est en effet peuplée de juges de voisinage, frères siamois de vos juges de proximité, à ceci près que, en l'espèce, il s'agit plutôt de cousinages qui font courir le risque de conflits d'intérêts.

Chacun sait que, dans les tribunaux de commerce, la cooptation a remplacé l'élection, tant leur corps électoral est étroit. Les artisans d'ailleurs n'y sont pas représentés. C'est l'une des raisons, mais non la seule, pour lesquelles leurs organisations professionnelles soutiennent la réforme que nous appelons de nos vœux.

On peut en effet douter de la représentativité des juges consulaires. Mais la question de leur impartialité n'est pas la seule qui se pose, même si les grandes banques, les grandes entreprises d'affacturage sont toutes présentes dans ces juridictions à travers les cadres qu'elles y délèguent méthodiquement.

Les juges sont souvent indisponibles, pour une raison simple : ils travaillent dans leurs entreprises, leurs boutiques ou leurs affaires. Telle est la raison pour laquelle ce sont - je ne suis pas le seul à le dire - les mandataires, ces fameux professionnels de la faillite, qui souvent dirigent de fait les tribunaux de commerce.

Mme Marylise Lebranchu. Très juste !

M. Arnaud Montebourg. M. Jean-Luc Vallens, magistrat professionnel de l'ordre judiciaire dans une chambre commerciale d'Alsace-Moselle avait expliqué à la commission d'enquête présidée par notre collègue François Colcombet, député de l'Allier, que si, d'après les textes, les mandataires dépendent des tribunaux, les rapports sont inversés dans la pratique, parce que les juges ne sont pas disponibles. En effet, pris par leur travail, ils ne viennent que le soir ou en fin de semaine signer les ordonnances, et prennent connaissance des dossiers la veille de l'audience. Débordés parfois par leurs propres activités professionnelles, ils sont trop heureux que les mandataires leur préparent les ordonnances et les dossiers.

M. Pierre Lyon-Caen, autre magistrat fort honorable, ancien procureur de Nanterre, a fait le même constat et souligné un incroyable renversement de situation, puisque les mandataires sont en réalité les mandants et les mandants, les mandataires. De fait, il n'y a pas de subordination du mandataire à l'égard du mandant, c'est-à-dire du tribunal.

Voilà pourquoi, derrière chaque président de tribunal de commerce, se cache, dans l'esprit de nos concitoyens, et tout particulièrement des chefs d'entreprise, un mandataire vorace, dont la cupidité n'a d'égale que l'habitude que leur ont donnée les pouvoirs publics de gagner leur vie en liquidant les entreprises.

Telle est l'opinion générale. Tels sont les problèmes psychologiques auxquels faisait allusion M. Chartier, rapporteur pour avis, qui voudrait éduquer les chefs d'entreprise de France et de Navarre en leur présentant cette loi avec pédagogie, comme on fait un cours. Mais, monsieur le rapporteur pour avis, si vous voulez transformer toutes les lois sur la faillite en maintenant une institution consulaire sinistrée, où l'on voit bien que ce ne sont pas les juges qui rendent le jugement, soyez certain que vous ne réussirez pas !

C'est pour cela que nous n'avons pas pu nous empêcher de sourire lorsque, tout à l'heure, le rapporteur et le garde des sceaux nous ont expliqué qu'il y avait urgence à sauver les emplois. L'urgence, selon nous, c'est d'abord d'assainir le fonctionnement des tribunaux de commerce.

Où est la justice si les hommes qui la font ont un intérêt objectif à bâtir des fortunes personnelles sur la destruction des actifs et des emplois des entreprises qu'ils liquident ? Où est l'intérêt général si l'homme auquel le chef d'entreprise va se confier n'est que le faux nez d'un mandataire prêt à le dépouiller ?

M. Xavier de Roux, rapporteur. Écoutez-moi cela !

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le garde des sceaux, si vous aviez pris le temps de vous rendre dans les tribunaux de commerce et d'écouter la voix des usagers et des justiciables, vous auriez compris que votre réforme peut être criminelle par son abstention, son omission, son refus de commencer par l'essentiel. Moralisez les tribunaux de commerce, éduquez-les à l'intérêt public ! Après, nous pourrons discuter sérieusement.

Nous avions déjà noté que les tribunaux de commerce prennent quelques libertés avec ce qu'on nomme, dans un langage un peu curieux, les prescriptions du droit processuel, ou ce qu'on appelle, dans d'autres enceintes chargées de faire respecter les droits de l'homme, le respect du contradictoire ou l'obligation de motiver les décisions. Ils oublient. Ils ne savent pas. Ils ont autre chose à faire.

Avocats, magistrats de cour d'appel ou de la Cour de cassation, tous sont venus nous raconter les dénis de justice, la violation fréquente du principe du contradictoire et de l'audition des parties. Certains ont même expliqué que des tribunaux procédaient à des « audiences sauvages » sans convocation ni information des parties au dossier. Et c'est dans ces tribunaux que vous voulez envoyer les chefs d'entreprise en cas de difficulté ? On nous a raconté...

M. Roland Chassain. Qui donc ?

M. Arnaud Montebourg. Des témoins multiples, de tout ressort, attestent que, souvent, il est impossible d'accéder aux dossiers et que les règles fondamentales, dont toute personne devrait pouvoir demander l'application, sont allègrement violées.

Je me souviens, avec d'autres collègues députés, être allé dans un tribunal de commerce où l'on rendait une décision sur un dossier débattu en audience publique trois ans auparavant. Le président du tribunal de commerce, qui jugeait cette affaire, a préféré ne faire aucun commentaire à ce sujet.

Ce sont là des faits, mes chers collègues, des problèmes réels, actuels, qui ne sont pas sortis d'un esprit mal intentionné, mais d'une souffrance collective qui s'exprime chaque jour dans nos permanences.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Tout cela est hors sujet !

M. Arnaud Montebourg. Un magistrat professionnel nous a décrit ainsi les tribunaux de commerce : « Le juge est lié au justiciable par des relations soit professionnelles, soit amicales, soit familiales ; on chasse ou on mange au même endroit ; on fait partie des mêmes loges ou des mêmes clubs ; on s'arrange entre soi dans les affaires à juger ». (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est la définition même de la justice de connivence.

M. Jean-Louis Bernard. Ces propos sont scandaleux !

M. Dominique Tian. Diffamatoires !

M. Arnaud Montebourg. Où est l'impartialité ? Où est l'indépendance ? (« Pas chez vous ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Que deviennent, dans l'institution consulaire, les prescriptions de la Cour européenne des droits de l'homme ?

En passant du pittoresque au scandaleux, nous en arrivons au problème de l'incompatibilité de cette juridiction avec la convention européenne des droits de l'homme, selon laquelle toute personne a droit, je le rappelle, à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et jugée dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, conformément au principe du droit pour tous.

Le problème des juges de proximité commence d'ailleurs à se poser et il faudra que la commission des lois évalue ce dispositif.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Hors sujet !

M. Arnaud Montebourg. Ce droit pour tous, nombre de tribunaux de commerce ne se rendent pas compte qu'ils le refusent.

En 1563, Michel de l'Hospital, statue devant laquelle certains se prosternent encore, ne pouvait avoir connaissance de ce que nous sommes en droit d'attendre légitimement des acquis de la République. C'était bien naturel.

Je viens de dépeindre les juges des tribunaux de commerce très brièvement et sans excès, croyez-le bien.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Non ! Si peu !

M. Arnaud Montebourg. Ne m'obligez pas à peindre un autre tableau, celui du scandale d'avoir laissé en vie les mandataires de justice, les administrateurs judiciaires, les greffiers des tribunaux de commerce, les représentants des créanciers et les liquidateurs. Vous comprendriez comment des fortunes ont pu s'échafauder grâce aux tribunaux de commerce, notamment celle de M. Bernard Tapie ou de M. François Pinault. (« Oh ! sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Serge Poignant. M. Tapie a été ministre sous Mitterrand !

M. Arnaud Montebourg. Fortunes faciles, fondées sur le rachat à vil prix d'actifs bradés, parfois au terme d'enchères inexistantes, permettant, grâce à quelques coups de téléphone opportunément passés à de bons amis mandataires, de réussir de belles affaires. Problèmes déontologiques en cascade. Taux de poursuite extravagant de ces professionnels dont nous avons calculé qu'environ 40 % d'entre eux - excusez du peu - ont été inquiétés ou mis en cause par la justice. Maintien en fonction de la plupart des mandataires poursuivis. Constitution de fortunes personnelles considérables. Mais tout cela n'existe pas ! Continuons d'enfouir la tête dans le sable et réformons tout autre chose que la cruelle réalité des tribunaux de commerce !

Nous avions même publié les déclarations de revenus, bien sûr anonymes, des principales études, montrant que, parmi les plus gros contribuables de nos départements moyens et modestes, figurait toujours le liquidateur local. Beaucoup de ces études dépassaient et dépassent encore en bénéfices, et non en chiffre d'affaires, le million d'euros.

Quelle est donc, monsieur le garde des sceaux, cette société qui rémunère celui qui vit de la destruction des emplois et des actifs d'autrui ? Quelle est cette société qui, plutôt que de payer des savants, des ingénieurs, des professeurs, surpayent des liquidateurs spécialistes des pompes funèbres de l'entreprise et de l'emploi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Combien de témoignages avons-nous accumulé sur ces administrateurs qui se substituent aux tribunaux et aux juges, sur ces professions dont le lucre contraste avec l'infortune et la misère de ceux qui sont entre leurs mains ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Au lieu de réformer maintenant les règles de la faillite, vous auriez dû vous préoccuper d'abord - et c'est le sens de cette question préalable - de moraliser la profession et d'imposer à ses membres le goût de la déontologie. Du reste, une réforme a été votée par l'Assemblée nationale en première lecture en février 2002. Elle n'attendait qu'un geste de votre part, monsieur le garde des sceaux, pour être adoptée. L'échevinage avait été budgétisé, Mme Lebranchu, à qui je rends ici hommage, ayant ouvert une centaine de postes dans la loi de finances pour 2002.

Un mot aurait suffi pour avancer,...

M. Hervé Novelli. Un mot et des moyens !

M. Arnaud Montebourg. ...mais le Sénat, sous le gouvernement Jospin, a ouvert le tir de barrage. Ainsi, votre collègue du RPR - ancienne appellation de l'UMP -, Laurent Béteille, dénonçait la volonté de « mettre la justice consulaire sous tutelle, pour placer un magistrat professionnel » - quel crime ! - « à la tête des chambres qui jugent les contentieux les plus importants, » - quel dépouillement ! - « confinant les juges consulaires dans un rôle subalterne, car ils n'auraient plus qu'à écouter la bonne parole venue du juge professionnel. » M. Béteille poursuivait ainsi : « Il y a là indiscutablement une marque de défiance qui n'est pas admissible. Il faut faire vivre une institution dont la grande utilité a été démontrée et qui mérite donc manifestement d'être conservée. » Conserver, conservateur, conservatisme : voilà votre politique ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Êtes-vous capables d'autre chose que de conserver, mes chers collègues ?

Mais ce n'est pas tout. Partout en France vous avez poussé le monde consulaire à la grève,...

M. Xavier de Roux, rapporteur. Oh !

M. Arnaud Montebourg. ...portant ainsi atteinte à la continuité du service public de la justice, ainsi qu'aux intérêts des chefs d'entreprise et des salariés, afin de bloquer le projet d'intérêt général au détriment de vos amis les juges consulaires. Pourquoi, monsieur le garde des sceaux, depuis deux ans et demi, n'avez-vous pas touché à un cheveu de cette justice contestée ?

M. Xavier de Roux, rapporteur. Ils n'ont pas fait grève pendant ce temps-là !

M. Arnaud Montebourg. Et pour cause !

À la commission des lois, il y a quinze jours, vous avez répondu, d'une façon curieuse et pour le moins inacceptable, que vous aviez trouvé des professions crispées et bloquées. Allons donc ! Voilà M. Perben qui tremble devant 6 000 personnes ! M. Raffarin met des millions de gens dans la rue tous les quinze jours, M. Fillon met la province dans la rue, écrase un million de manifestants par sa loi sur l'école, et M. Perben craindrait d'affronter 6 000 juges qui lui dictent sa politique ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. C'est grotesque !

M. Arnaud Montebourg. Permettez-moi d'ironiser, c'est un plaisir. Nous entrons là dans la vérité de votre politique. Ceux qu'il ne faut pas choquer, crisper ou indisposer sont ceux qui mènent la France par le bout du nez.

Mais vous avez fait pire, monsieur le garde des sceaux - j'approche de vous, tranquillement mais sûrement. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.) Vous avez, par voie de décret, c'est-à-dire de façon unilatérale et hors le contrôle du Parlement, augmenté la rémunération des mandataires de justice.

M. le garde des sceaux. C'est faux !

M. Arnaud Montebourg. Nous avons comparé avec précision les règles de rémunération des administrateurs judiciaires sous le régime du décret de 1985 et sous celui de votre décret du 10 juin 2004, quasi secret et clandestin, en tout cas passé totalement inaperçu. Eh bien, leur rémunération augmente entre 30 % et, pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 4,5 millions d'euros, 350 %. La belle affaire !

Nous avons comparé le droit fixe perçu par les représentants des créanciers et les liquidateurs avant et après votre décret du 10 juin 2004 et nous avons constaté que les émoluments augmentaient de 50 %.

Nous avons comparé la rémunération des représentants des créanciers pour la vérification des créances avant et après votre décret et nous avons constaté qu'elle augmentait entre 25 et 30 %

Nous avons comparé la rémunération des représentants des créanciers pour la simple vérification des créances salariales avant et après votre décret : l'augmentation est de 158 % dans les entreprises de 1 à 9 salariés, de 197 % dans les entreprises de 10 à 19 salariés, de 261 % dans les entreprises de 20 à 49 salariés, de 316 % dans les entreprises de 50 à 99 salariés, de 400 % dans les entreprises de 100 à 199 salariés, de 522 % dans les entreprises de 200 à 500 salariés et de 800 % dans les entreprises de plus de 500 salariés. Merci, M. Perben !

Mme Geneviève Perrin-Gaillard. Bravo !

M. Arnaud Montebourg. Ce n'est malheureusement pas terminé.

Nous avons comparé les rémunérations des liquidateurs pour tout recouvrement d'actifs selon un droit proportionnel avant et après votre décret et nous avons constaté qu'elles augmentent de 200 %, 500 %, 667 % ou, au-delà de la tranche de 7,5 millions d'euros, de 1 000 %.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez parfaitement servi vos amis et ceux-ci, j'en suis sûr, sauront vous le rendre. Je suis obligé, à ce stade de ma démonstration, d'évoquer à cette tribune ce que j'appelle une connivence politique et personnelle avec les réseaux condamnables de l'institution consulaire car, sans cela, on ne peut pas comprendre l'absurdité de ce texte qui inverse les facteurs, transforme le droit de la faillite avant de changer les tribunaux de commerce et modernise avant de moraliser.

Vous me permettrez, monsieur le garde des sceaux, de parler un instant de vos liaisons dangereuses (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), car il n'est pas inutile d'en informer le public. Nous connaissons les liens personnels que vous entretenez, depuis des décennies, dans le département qui nous est commun et cher. Celui qui a été votre suppléant durant de nombreuses années et qui est également conseiller général UMP n'est autre que le président du tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône, ville aux destinées de laquelle vous avez excellemment présidé. Lorsqu'on est un adversaire politique, il vaut mieux ne pas être jugé par un tel président de tribunal. (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Xavier de Roux, rapporteur. C'est lamentable !

M. Arnaud Montebourg. Tout cela est vérifié, public, connu. Le trésorier local de votre parti, monsieur le garde des sceaux, n'était autre que Me Jean-Yves Aubert,...

M. Xavier de Roux, rapporteur. Et alors ?

M. Arnaud Montebourg. ...lui-même suspendu de ses fonctions de mandataire à la liquidation des entreprises,...

M. le garde des sceaux. Par qui ?

M. Arnaud Montebourg. ...mis en examen, en août 2003, par le doyen des juges d'instruction pour abus de confiance aggravé et soupçonné d'avoir détourné plusieurs centaines de milliers d'euros.

M. le garde des sceaux. Monsieur Montebourg, c'est moi qui ai suspendu la personne en question.

M. Arnaud Montebourg. Vous ne pouviez pas faire autrement ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Quelques mois auparavant, vous lui décerniez la légion d'honneur dans les locaux de la chancellerie.

M. Jean-Louis Bernard. C'est d'une bassesse !

M. Arnaud Montebourg. Ce n'est pas une bassesse. (« Si ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est la triste vérité d'un pouvoir qui fonctionne main dans la main avec les tribunaux de commerce et ne veut pas y toucher.

Le journal local relatait ainsi cette remise de décoration : « M. Perben, visiblement heureux, ouvrit cette cérémonie en la plaçant sous le signe de l'amitié et de l'estime. Une amitié de plus de vingt ans lie en effet le garde des sceaux à Jean-Yves Aubert, mandataire-liquidateur, et l'estime va naturellement aux qualités professionnelles du récipiendaire et à sons sens de l'engagement. En effet, Me Aubert s'est constamment engagé, notamment dans la vie politique, au côté précisément de Dominique Perben. "Pour toutes ces raisons", concluait le ministre de la justice que vous êtes, "je suis heureux, au nom du Président de la République, de remettre cet insigne de chevalier de la légion d'honneur à mon ami Jean-Yves Aubert" ». Lequel était poursuivi, quelques mois plus tard, devant un tribunal correctionnel.

Me Aubert n'était pas seulement votre ami, votre trésorier, votre financier, il était aussi le liquidateur richissime de Saône-et-Loire, l'un des plus gros contribuables du département et celui qui, à la tête du Conseil national des administrateurs mandataires judiciaires, finança un lobbying intensif pour résister à la réforme d'Elizabeth Guigou et de Marylise Lebranchu. Il alla même jusqu'à recruter l'un de vos anciens collaborateurs, M. de Montesquiou, qui, avant d'être le serviteur des intérêts conservateurs de Me Aubert, préposé à l'enterrement de nos réformes, avait été membre de votre cabinet. Vous avez donc été au cœur du dispositif qui empêcha la réforme des tribunaux de commerce.

Lorsque votre propre suppléant, lui-même président du tribunal, fut questionné sur les raisons de ces dysfonctionnements, il répondit qu'en Saône-et-Loire et à Chalon-sur-Saône, le mandataire judiciaire peut faire ce qu'il veut - ce qui nous renvoie aux analyses et aux commentaires que font les magistrats professionnels de la justice consulaire.

En clair, monsieur le ministre, nous avons là de quoi nous inquiéter du succès de votre réforme. Compte tenu de vos états de service, nous pouvons douter publiquement, dans cette enceinte, de votre crédibilité et de votre capacité à défendre les entreprises. Vous avez été le protecteur du système consulaire, dont vous saviez qu'il se portait mal - je n'irai pas plus loin. Dès lors, vous comprendrez que le public vous refuse sa confiance.

Celui-ci vous jugera en outre sur les extraordinaires dangers que recèle le texte que vous présentez. Du reste, les interrogations que nous avons exprimées notamment en commission des lois sont partagées par des députés de la majorité qui s'inquiètent, eux aussi, des déséquilibres instaurés par le texte et entrevoient avec nous les échecs auxquels il pourrait nous conduire.

Dans ce débat, nous avons une position constructive (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), comme en témoignent les 190 amendements que nous avons pris le temps et le plaisir de discuter au sein de la commission des lois.

Les questions que nous voulons soulever se posent à tout réformateur du droit de la faillite, mes chers collègues ; elles sont universelles. Lorsqu'une entreprise n'a pas assez d'argent pour prospérer, lorsqu'elle est en difficulté de paiement ou va être confrontée à ce type de situation, le droit de la faillite a pour mission de répartir la charge, le fardeau, le prix du sauvetage. Il doit définir les procédures de répartition de la charge et les possibilités offertes aux différents créanciers, actionnaires, salariés, dirigeants, en hiérarchisant les priorités et en distribuant les inévitables sacrifices.

Chaque système d'administration de la faillite dévoile des choix politiques qu'il veut faire prévaloir. Soit il privilégie la sauvegarde de l'emploi, et il concentre alors l'ensemble de son dispositif vers ce but, en organisant le sacrifice des créanciers au profit des salariés ; soit il privilégie la sauvegarde des intérêts des créanciers, en préfère certains à d'autres, et il assure d'abord leur protection en organisant le sacrifice au détriment de l'emploi.

C'est ce dernier choix que vous avez fait, car votre texte octroie la quasi totalité des nouvelles protections aux organismes de crédit : les créanciers bancaires de l'entreprise en difficulté. En clair, ce n'est pas une loi de sauvegarde des entreprises, mais une loi de sauvegarde des intérêts des banques.

M. Xavier de Roux, rapporteur. N'importe quoi !

M. Arnaud Montebourg. Votre texte crée en effet au profit des créanciers bancaires un super-privilège au titre de l'apport d'argent frais, dont parlait tout à l'heure Paul Giacobbi, qu'ils mettraient dans une entreprise dans le cadre des nouvelles procédures de redressement anticipé.

Dans ces deux procédures, où les banques obtiennent précisément ce super-privilège, le tribunal disparaît.

M. Xavier de Roux, rapporteur. Il n'y a pas que les banques qui obtiennent ce privilège !

M. Arnaud Montebourg. Il n'est plus qu'une sorte d'agent de ratification passive du contrat passé entre les créanciers et l'entreprise en difficulté à travers son débiteur. Le tribunal n'a plus de pouvoir. C'est la privatisation de la faillite ou du redressement.

M. Xavier de Roux, rapporteur. N'importe quoi !

M. Arnaud Montebourg. Les créanciers ont obtenu et pris le pouvoir dans la procédure. Vous verrez, mes chers collègues, que la justice ne se rendra plus au tribunal, mais au guichet des banques car, selon le texte, ce sont elles qui disposent du droit de vie ou de mort sur l'entreprise, sur la négociation et sur la poursuite éventuelle de la procédure.

Elles imposeront leur volonté aux créanciers et décideront notamment de mettre en œuvre ou non le sauvetage de l'entreprise. C'est par l'octroi de ce super-privilège, mais également par la maîtrise absolue de la procédure...

M. Xavier de Roux, rapporteur. Il n'y a pas de super-privilège ! Vous êtes un fumiste, monsieur Montebourg ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Arnaud Montebourg. Vos propos mériteraient un rappel au règlement, voire l'invocation d'un fait personnel. Nous avons passé des heures à discuter en commission de ce super-privilège...

M. Xavier de Roux, rapporteur. ...qui n'existe pas !

M. Arnaud Montebourg, rapporteur. C'est un privilège de paiement au titre de l'apport d'argent frais, dont il est question à chaque ligne de ce texte ! Alors ne venez pas nous dire qu'il n'existe pas !

Le Conseil constitutionnel aura à en discuter, car ce privilège de paiement a également pour effet d'atténuer la responsabilité pour soutien abusif. Que je sache, cette notion de soutien abusif n'est pas une chimère. Elle résulte de l'article 1382 du Code civil, qui énonce dans la prose limpide de Portalis que « Tout fait quelconque qui cause à autrui un dommage... »

M. Xavier de Roux, rapporteur. « Tout fait quelconque de l'homme » !

M. Arnaud Montebourg. ...« oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer », et cela vaut pour les banques. Le Conseil constitutionnel rappelle régulièrement depuis trente ans qu'aucune responsabilité ne saurait être exonérée. Malgré votre activisme, vous ne parviendrez donc pas à restreindre le champ de la mise en jeu de la responsabilité des banques.

Quand vous organisez par avance l'irresponsabilité du système bancaire français, vous ne faites que mettre en place une protection contre un fantasme. En effet, le nombre de procédures ayant abouti se compte sur les doigts d'une main. Nous avons fait les comptes en commission des lois : les condamnations à ce titre ne se sont élevées qu'à 14 millions d'euros l'année dernière, ce qui est bien peu au regard de la rentabilité du système bancaire français, qui accumule des milliards de profit.

Une autre offrande que vous faites aux banques consiste à aggraver le régime des cautions. Jusqu'à présent, l'extinction de la créance principale entraînait celle de la caution pesant sur le dirigeant de l'entreprise. Tel n'est plus le cas avec ce texte. C'est d'autant plus scandaleux que la plupart du temps, ces cautions ne sont pas imposées aux dirigeants de grandes sociétés, mais aux dirigeants de petites et moyennes entreprises, qui en cas de difficultés voient les banques fondre sur eux pour leur arracher cette caution en contrepartie de la poursuite de certaines activités ou de financements.

Restriction de la notion de soutien abusif, privilège de paiement, aggravation du régime des cautions, tout dans ce texte vise à la sauvegarde du système bancaire. Mais le mérite-t-il ? Nous n'en avons guère débattu, puisque la commission aux affaires économiques n'a pas été saisie et que la commission des finances ne s'est saisie que de quelques articles. Il eût pourtant été intéressant de procéder à une étude approfondie sur les raisons de la frilosité du système bancaire à l'égard du financement de l'économie. Le rétrécissement de la prise de risques des grandes banques françaises est d'autant plus étonnant qu'il va de pair avec une explosion des profits qu'elles réalisent.

Plus les entreprises sont petites, plus on leur rationne le crédit. Les difficultés d'accès au crédit concernent principalement les entreprises de moins de 50 salariés et selon les enquêtes statistiques, le refus de prêt est identifié comme la cause de défaillance des PME dans 10 % des cas. On observe également un phénomène de tarification différenciée en fonction de la taille de l'entreprise. Ainsi, le taux bancaire est de 4 % supérieur pour les découverts de moins de 15 000 euros à ce qu'il est pour les découverts de plus de 1,5 million. Vous êtes-vous interrogés sur ces phénomènes, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois ? Pas du tout ! Votre seule préoccupation a consisté à vous assurer de la protection des intérêts des banques en cas de difficultés de l'entreprise.

Enfin, ces vingt dernières années, nous avons dû renforcer le soutien public au financement des petites entreprises. Ainsi la Banque de développement des PME participe-t-elle à hauteur de 7,7 milliards d'euros au financement à moyen et long terme de quelque 56 000 entreprises, et la SOFARIS a-t-elle assuré pour 3,3 milliards d'euros de cautionnement en 2003. Est-il normal que le métier de banquier devienne un métier sans risques ? Préférer la finance à l'économie et au maintien de l'emploi, préférer la rente au risque, ce n'est pas contribuer à une économie innovante et créatrice d'emplois.

Et où sont les contreparties des privilèges que vous offrez à ces banques qui tremblent devant le risque de l'entrepreneur qu'elles auraient à financer ? Les banques ont gagné dans ce texte et elles dicteront désormais leur loi aux autres créanciers sans que le tribunal puisse s'interposer. Privé de tout rôle actif dans la conciliation, celui-ci n'est plus là que pour ratifier l'accord intervenu entre les banques, le débiteur et les autres créanciers. Il est une puissance passive.

Que deviendront les autres partenaires ? Du fait de la possibilité d'abandonner la créance portant non seulement sur les pénalités et les intérêts de retard, mais aussi sur le montant principal, les caisses publiques des collectivités locales, des caisses sociales, des administrations financières de l'État, de la protection sociale, vont devoir prendre en charge le coût du redressement que les banques ne veulent pas assumer. Est-ce aux créanciers publics et sociaux de supporter les conséquences du refus de la prise de risques par les banques ? Leur revient-il de financer la rente bancaire ?

Nul doute, monsieur le garde des sceaux, que cette loi va permettre aux banques françaises de distribuer encore plus de dividendes à leurs actionnaires. Ceux-ci, dont certains se trouvent en ce moment même dans les tribunes afin de ne rien perdre des progrès de leurs intérêts, vous en sauront gré. Mais l'intérêt de l'emploi et de l'économie, l'intérêt général, se confond-il avec l'intérêt financier des créanciers ? Bien sûr que non.

M. Marcel Bonnot. N'importe quoi !

M. Arnaud Montebourg. Quant aux salariés, ce sont les grands sacrifiés de ce texte. Sous couvert de modernisation du droit des faillites, votre projet de loi, aggravé par les amendements du rapporteur, soutenu par le président de la commission des lois, accentue en fait la dérégulation du droit du travail en matière de licenciement. Il permet de se débarrasser à bon compte des salariés sans mettre en œuvre les règles du droit commun du licenciement qui prévoient la consultation des institutions représentatives du personnel, la négociation du plan social et l'obligation de reclassement des salariés.

M. Xavier de Roux, rapporteur. Mais tout cela est maintenu ! Cela devient fatigant, à force !

M. Arnaud Montebourg. L'amendement du rapporteur, qui n'est toujours pas retiré, doublement désavoué par le Gouvernement - par Christian Jacob à l'Assemblée, et par le garde des sceaux dans la presse - n'a pas fait l'objet d'un nouveau débat en commission des lois. Le MEDEF n'avait pas obtenu en 2003 de justifier les licenciements économiques par la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise. C'est désormais chose faite, au prétexte de modernisation du droit des faillites.

Ainsi, pour les banques, les créanciers, et mêmes les actionnaires, c'est la sécurité totale ; pour les créanciers publics, et surtout pour les salariés, l'insécurité maximale

Mme Arlette Grosskost. N'importe quoi !

M. Arnaud Montebourg. Super-privilège pour les uns, abandon des dernières protections pour tous les autres. Avec la conciliation, le juge ne pourra plus suspendre provisoirement les poursuites et faciliter la conclusion d'un accord selon l'intérêt de l'entreprise. Il est privé de tout pouvoir coercitif envers les créanciers, seuls à décider de la « sauvegarde » des entreprises. Comment ne pas y voir une régression ?

Par ailleurs, l'homologation de l'accord pose le problème de la confidentialité. Aux yeux de la loi, le super-privilège que vous avez consenti devra être porté à la connaissance des autres créanciers. Le défaut d'information sur ce point créerait une rupture de l'égalité des créanciers, un principe reconnu constitutionnellement. Or, l'abandon de la confidentialité aura pour conséquence d'affaiblir encore la réputation de l'entreprise auprès de ses fournisseurs, donc d'aggraver ses difficultés. Comme on le voit, monsieur le garde des sceaux, le prix du super-privilège que vous accordez aux banques est très élevé.

De même, au cours de la procédure de sauvegarde, l'entrepreneur va devoir accepter de se jeter dans les griffes du comité des créanciers bancaires et du comité des créanciers fournisseurs.

M. Xavier de Roux, rapporteur. N'importe quoi !

M. Arnaud Montebourg. Le juge est tenu de se conformer à la décision conforme de ces deux comités, qui vont décider du sort de l'entreprise. Selon le texte, le plan de sauvegarde qu'ils ont le pouvoir d'imposer peut prévoir la modification du capital, des changements de dirigeants, des cessions, des arrêts de production, des licenciements. Vous avez d'ailleurs déposé un amendement sur ce point dont nous aurons l'occasion de reparler, monsieur le rapporteur.

L'AGS, assurance pour la garantie des salaires, peut être mise à contribution dans le cadre du plan de sauvegarde, tant pour avancer les salaires impayés que pour régler les indemnités de licenciement lorsqu'il n'y a pas de cessation de paiement. Cette procédure nous semble avoir été conçue pour permettre aux entreprises d'effectuer des restructurations de compétitivité visant à satisfaire prioritairement les actionnaires et les créanciers.

M. Marcel Bonnot. N'importe quoi !

M. Arnaud Montebourg. Suprême provocation, rien n'interdit que les actionnaires puissent continuer à recevoir des dividendes. Notre amendement visant à restreindre cette possibilité a été rejeté par la commission. Nous estimons donc que la procédure de sauvegarde, telle que le texte et votre amendement la prévoient, rend possible les restructurations de compétitivité, c'est-à-dire le rétablissement du taux de profit de l'entreprise effectué sur le dos des salariés.

C'est un alignement sur les standards anglo-saxons qui donnent, en effet, le pouvoir de vie ou de mort sur l'entreprise aux créanciers bancaires, qui contraignent la puissance publique à tous les abandons de créance, obligent les salariés au sacrifice. C'est l'alignement sur la procédure anglaise, plus d'ailleurs que sur le chapter 11 du droit fédéral des États-unis, qui permet à un débiteur, à un dirigeant d'entreprise de se mettre sous la protection de la loi pour faire payer en partie par la puissance publique et par les salariés la restructuration préventive de son entreprise.

Mais comment allez-vous faire admettre qu'une entreprise qui n'est pas en cessation des paiements puisse licencier massivement et de façon souple, sans limite, sans consultation, sans contrepoids, sans négociation de la part des salariés...

M. Xavier de Roux, rapporteur. Où avez-vous lu cela ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Dans quel texte ?

M. Arnaud Montebourg. ...pendant que les actionnaires peuvent se constituer de super-privilèges et les banques se construire une rente...

M. Xavier de Roux, rapporteur. Arrêtez donc de dire n'importe quoi ! Citez le texte avant de faire de telles affirmations !

M. Arnaud Montebourg. ...et que la distribution des dividendes et la rémunération par le taux continuent à produire leurs effets ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Monsieur Montebourg, me permettez-vous de vous interrompre ?

M. Arnaud Montebourg. Oui.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois avec l'autorisation de l'orateur.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Nous sommes tout disposés à avoir la patience de vous écouter une heure et demie puisque tel est le temps qui vous est imparti par le règlement. Mais parlez au moins du texte ! Pour l'heure, vous êtes en plein délire verbal. Vous avez opté pour le genre littéraire épique et on peut trouver, certes, un certain intérêt à vous écouter. Mais l'inflation verbale, l'enflure du style, l'évocation du Grand soir n'ont cependant rien à voir avec le texte.

Vous vous êtes lancé aussi dans l'attaque personnelle. D'un mot, le garde des sceaux a toutefois prouvé que vous étiez en plein roman. Cela ne vous a pas empêché de partir sur des thèmes qui vous arrangent.

Monsieur Montebourg, je vous le rappelle, nous examinons un projet de loi. Parlez donc du texte ! Ne dites pas de contrevérités. Et nous vous écouterons. Sinon, nous vous laisserons tout seul car votre intervention n'a rien à voir avec le texte en discussion. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Depuis près d'une heure, vous ne cessez de donner des leçons à tout le monde. Je ne vous en donnerai qu'une, quant à moi : ne parlez que du texte, n'attaquez plus les hommes et ayez l'amabilité de ne pas dire le contraire de ce que pensent ceux, qui dans la majorité, ont eu l'honneur de défendre ce texte en commission.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !

M. le président. Reprenez, monsieur Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. J'accepte les interruptions car cela permet...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. De vous reposer !

M. Arnaud Montebourg. ...de rendre vivant le débat. Je vous rappellerai cependant, monsieur le président, que tous ces thèmes ont été abordés en commission des lois - le procès-verbal en fait foi. Je n'invente rien. Tous ces arguments ont été échangés avec des députés de la majorité. Apparemment, il vous déplaît que nous fassions entendre notre voix, avec les moyens dont nous disposons. En tout état de cause, il est inacceptable que vous considériez que nous ne sommes pas dans le sujet. Nous n'avons traité que du sujet, rien que du sujet. Ainsi, les tribunaux de commerce sont bien ceux qui appliqueront votre loi. Et s'agissant de la question du licenciement, qui a fait l'objet d'un long débat en commission des lois, nous n'avons jamais obtenu de clarification.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Je vais vous répondre !

M. Arnaud Montebourg. Les positions des uns et des autres semblent contradictoires.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Laissez-moi vous interrompre pour apporter des précisions ! (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Arnaud Montebourg. Non, monsieur le président, je ne vous autorise plus à m'interrompre.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Ici, on fait la loi ! On ne peut pas dire n'importe quoi ! Monsieur Montebourg, laissez-moi vous répondre si vous acceptez la démocratie !

M. Arnaud Montebourg. Je note que vous, vous n'acceptez pas que nous disions quelques vérités. Et si j'ignore ce que signifie faire du droit, je sais en tout en cas que nous discutons de vos choix politiques.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Puis-je parler ?

M. Arnaud Montebourg. Quand j'aurai terminé d'exposer ma question préalable. Ayez donc un peu de patience !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Vous n'avez pas le sens de la démocratie ! (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Arnaud Montebourg. Nous nous sommes exprimés en commission des lois sur la dérégulation du droit du licenciement.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Vous voulez m'empêcher de parler parce que vous avez peur de la vérité ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Vous n'avez pas le courage de m'entendre !

M. Arnaud Montebourg. Y a-t-il un président de séance ?

M. Alain Néri. On n'a jamais vu ça ! Le comportement de M. Clément est inadmissible.

M. le président. Calmez-vous, mes chers collègues !

M. Alain Néri. C'est M. Clément qu'il faut calmer !

M. le président. Monsieur Néri, seul M. Montebourg a la parole ! Cessez donc, les uns et les autres, de hurler ainsi et de donner ce spectacle attristant !

M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole pour un rappel au règlement !

M. le président. Vous ne pouvez faire de rappel au règlement alors que M. Montebourg est en train d'opposer sa question préalable.

M. Arnaud Montebourg. Mais, monsieur le président, je peux accepter que M. Ayrault m'interrompe.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Alors acceptez que moi aussi je vous interrompe !

M. le président. Monsieur le président de la commission des lois, seul M. Montebourg a la parole et il n'est pas obligé d'accepter que vous l'interrompiez une seconde fois.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Cela ne se fait pas !

M. Arnaud Montebourg. Ayant sous les yeux les procès-verbaux de la commission des finances et de la commission des lois, j'ai du mal à comprendre les raisons de l'irritation du président de la commission des lois. La notion de super-privilège, qui m'a d'ailleurs valu d'être traité de « fumiste » par le rapporteur de la commission des lois, a été employée par M. Chartier, rapporteur pour avis. Je vais reprendre ses propos et nous verrons si l'on peut le qualifier de « fumiste », lui aussi.

Voici ce qu'on peut lire dans le procès-verbal de la commission des finances : « M. Chartier a ajouté qu'il avait lui-même déposé un amendement sur le thème du super-privilège des banques. Ce privilège particulier apparaît superflu dans la mesure où l'État lui-même, qui détient pourtant des privilèges significatifs, pourra désormais abandonner tout ou partie de sa créance. Par conséquent, il n'existe plus de raison pour accorder un super-privilège aux banques. En effet, le privilège d'argent frais se traduira concrètement par un apport sur les comptes courants, un apport des associés ou un nouveau crédit. »

Voilà qui montre que, contrairement à ce que voudraient laisser entendre vos attaques personnelles, je jouis encore de toute ma santé mentale.

Au sein de la commission des lois, nous avons également eu une discussion sur ce super-privilège des banques. Le président Pascal Clément a alors insisté sur la nécessité de favoriser ceux qui acceptent de prendre un nouveau risque. « Il s'agit ainsi de faire preuve de pragmatisme et de prendre les dispositions nécessaires pour inciter chacun à accepter d'apporter de l'argent frais », peut-on lire dans le procès-verbal.

M. Xavier de Roux, rapporteur. Ce n'est pas un super-privilège !

M. Arnaud Montebourg. Le débat sur cette question que je traiterais, à vous entendre, de façon délirante, est donc le fruit du délire collectif de la commission des lois et de la commission des finances.

M. Xavier de Roux, rapporteur. Ce n'est pas ce que vous disiez !

M. Arnaud Montebourg. La question du licenciement est importante et c'est votre amendement qui a déclenché la discussion. Or, que je sache, cet amendement n'a pas été retiré.

M. Xavier de Roux, rapporteur. Relisez-le !

M. Arnaud Montebourg. Cet amendement a également provoqué une déclaration de M. Warsmann, absent ce soir, mais qui joue un rôle important au sein de la commission puisqu'il est membre du bureau. Lorsque vous avez présenté votre amendement, M. Warsmann a déclaré qu'il était nécessaire de prévoir des garde-fous. Souffrez que nous en discutions !

Pour quelles raisons vous est-il insupportable d'entendre tout cela ? La procédure de sauvegarde permettra à l'entreprise de licencier, alors qu'elle n'est pas en cessation des paiements. Cela donnera le sentiment qu'une entreprise in bonis peut se débarrasser à bon compte des salariés pendant qu'on constitue de super-privilèges pour les banques, les actionnaires et tous ceux qui cherchent à rémunérer leur investissement dans le capital. Enfin, il n'y aura plus de juge susceptible de s'opposer à ce que les créanciers décideront unilatéralement en contrepartie de la sécurisation de leurs propres investissements.

Monsieur le garde des sceaux, votre loi défend l'intérêt financier du système bancaire et des actionnaires. Elle traduit, je le crains, le désir de s'aligner sur les standards de la mondialisation libérale. J'en veux pour preuve qu'un séminaire sur l'attractivité de la France, qui comptait d'ailleurs un certain nombre de personnalités intéressantes, a fait apparaître que l'amélioration du droit français des affaires était l'un des objectifs politiques de ce gouvernement parmi lesquels figurait précisément la modernisation du droit des procédures collectives.

C'est bien de cela qu'il s'agit : il faut s'aligner sur la compétitivité des dispositifs de mise en faillite ou de sauvegarde des entreprises. Cela revient à rechercher le standard minimal sur lequel, internationalement, la France doit s'aligner.

Mes chers collègues, nous sommes là dans une logique qui peut conduire au désastre. En effet, la privatisation du droit de la faillite entre les mains du système bancaire va engendrer un certain nombre de problèmes. D'abord, et j'y reviendrai dans la discussion des articles - nous verrons alors qui délire et où sont les fumistes -, il y a la question du critère de l'ouverture de cette procédure de sauvegarde qui s'effectuera au détriment des salariés et des créanciers publics et en faveur des actionnaires et des banquiers.

À cet égard, je peux reprendre les observations des membres du Conseil national des barreaux, qui doivent sans doute délirer, eux aussi ! Voici ce qu'ils ont déclaré : « On voit bien que ne manqueront pas de se cristalliser tous les risques de détournement de la procédure de sauvegarde à des fins plus ou moins avouées : dépôt de bilan technique, carambouille légale. Nous avons la crainte » - et c'est là tout le problème de cette disposition que vous êtes allés emprunter au droit anglais et au droit américain - « que la procédure de sauvegarde soit utilisée par des sociétés parfaitement in bonis qui pourraient se présenter comme le malade imaginaire et utiliseraient, par un détournement de procédure, ce qu'ils ne peuvent pas obtenir par d'autres moyens. »

Peut-être pourriez-vous entendre ces propos ? Voire y réfléchir. Peut-être n'est-il pas délirant d'imaginer que vos kyrielles d'amendements, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, prévoient un processus risquant de dériver ?

Si le Conseil national des barreaux, la Conférence des bâtonniers prend le soin d'écrire une note à l'intention de la Chancellerie et de l'ensemble des parlementaires pour exposer le risque que représente ce type de mesures, nous avons véritablement de quoi nous inquiéter.

L'attractivité de la France, dont vous faites l'un des éléments de votre programme, doit-elle passer par la rente de situation offerte aux actionnaires des multinationales, aux fonds de pension américains qui investissent par appartement dans notre économie ? Voilà finalement les termes du débat politique que nous ouvrons. Sommes-nous là pour donner des gages aux retraités de Floride qui attendent des royalties sur leurs investissements européens ? L'attractivité de la France doit-elle passer par la possibilité d'utiliser la procédure de sauvegarde plus aisément avec les risques de rendre plus facile les licenciements ? L'attractivité de la France doit-elle passer par l'insécurité juridique des salariés, la destruction brutale, lente ou silencieuse du droit du travail ? Par le pillage autorisé des caisses publiques ? Vous n'avez pas dit un mot, d'ailleurs, sur la façon dont vous gageriez, à l'égard des collectivités locales, les pertes en ligne.

Nous pensons que l'attractivité de la France passe au contraire par des tribunaux de commerce sécurisés, par des magistrats professionnels compétents, par des professionnels de la faillite assainis et moralisés, par des contrôles déontologiques stricts et normaux, par des émoluments restreints. Elle passe aussi par la restauration du pouvoir judiciaire, qui saura répartir la charge du sacrifice sur l'ensemble des parties, afin qu'il n'y ait ni gagnant ni perdant, mais que l'intérêt collectif l'emporte et que l'entreprise et ses emplois soient préservés. L'intérêt d'une entreprises, ce n'est jamais l'intérêt financier de ses actionnaires ou de ses créanciers bancaires. La sauvegarde de l'emploi ne passe pas par la sauvegarde de l'intérêt des banques.

Pour toutes ces raisons, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je vous demande d'approuver cette question préalable.

M. Jean Launay. Nous allons le faire !

M. Arnaud Montebourg. Je vous remercie de bien vouloir considérer que la discussion politique qui s'engage à cette tribune est une discussion sérieuse et argumentée. Chaque article du texte fera l'objet d'un examen attentif et chaque amendement sera défendu pied à pied. Et nous nous apercevrons peut-être, lorsque nous aurons fabriqué le texte définitif, qu'il comporte des risques graves pour notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Je remercie M. Montebourg d'avoir, dans la deuxième partie de son propos, retrouvé le ton qu'il n'aurait jamais dû quitter. C'est un sujet qui mérite mieux que la politique politicienne. Il s'agit de textes que nous ne modifions que tous les trente ans, mais qui concernent chaque année des milliers d'hommes et de femmes.

M. Jean Launay. Vous dites cela parce que les propos de M. Montebourg vous gênent !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Très honnêtement, adopter un genre littéraire épique, fondé sur l'attaque personnelle, l'inflation verbale et l'enflure du style n'apporte rien au débat.

M. Alain Néri. Répondez sur le fond !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Sur le fond ? Mon cher collègue, après avoir entendu M. Montebourg parler d'autre chose pendant trois quarts d'heure, vous ne pouvez pas me demander de parler du fond dès le début de mon propos ! Ayez au moins la décence de m'écouter quelques minutes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Néri. Le temps de parole relève du règlement !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Vous, cher collègue, je n'ai jamais entendu de votre raisonnement que des cris ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.- Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Néri. Qu'est-ce que cela veut dire ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Ce que cela veut dire ? Que je vous connais depuis vingt-cinq ans...

Revenons sur le fond du propos de M. Montebourg. Il est parfaitement clair que le projet du Gouvernement, que la commission des lois et son rapporteur ont très largement amendé, va réaliser un énorme progrès en organisant une procédure de conciliation préalable qui n'existait pas dans le droit français et qui nous permettra de sauver un grand nombre d'entreprises : une procédure pourra être interrompue avant d'être publique, on pourra opter pour une publicité, avec l'accord du tribunal de commerce. Elle présentera en outre l'intérêt d'être opposable aux tiers. D'ailleurs, monsieur Montebourg, j'observe que vous n'avez jamais critiqué la procédure de conciliation telle qu'elle est prévue dans le texte.

En matière de sauvegarde d'une entreprise, chacun sait qu'il faut s'en préoccuper en amont, le plus tôt possible. Cela relève du bon sens. Mais vous êtes allé chercher une lettre du Conseil national des Barreaux qui indique qu'il pourrait y avoir des abus. Bien sûr qu'il pourrait y avoir des abus, comme dans tous les domaines, mais avec des garanties comme la réunion du comité des banques, des financiers, sous l'égide du tribunal de commerce, le risque est très faible ! Vous tomberez peut-être un jour sur quelqu'un de très malin qui trompera tout le monde, mais c'est assez peu probable. En revanche, ce qui est probable, c'est que nous sauverons de nombreuses entreprises.

M. Jean-Paul Bacquet. C'est un vœu pieu !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Quant à cette affaire de licenciement, elle a été mal interprétée par votre faute, monsieur Montebourg, pour des raisons politiques. J'ai eu l'occasion de vous le dire en tête-à-tête, vous prenez une grave responsabilité pour la France. Je m'explique : l'amendement de la commission était sans doute perfectible, mais l'intention du rapporteur était de préserver un maximum d'emplois en prévoyant une procédure de licenciement adaptée, différente de celle qui s'applique au licenciement de droit commun. Nous avons adapté à la procédure de sauvegarde les délais de licenciement de la liquidation judiciaire. Tel était l'objet de l'amendement. Vous avez préféré, une fois de plus, faire parler de vous, poser une question au Gouvernement un mercredi après-midi, éveiller l'intérêt de médias qui souvent n'ont pas eu le temps d'approfondir la question, obligeant le Gouvernement à déclarer qu'il refuserait un amendement qui n'a pas été compris. Quant à nous, nous ne risquons pas de le retirer, monsieur le vice-président de la commission des lois, puisque nous n'en avons pas le droit !

M. Arnaud Montebourg. Vous ne nous l'avez pas dit !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Je vous le dis maintenant ! Nous présenterons donc notre amendement. Le Gouvernement, comme il l'a dit, donnera un avis négatif. L'Assemblée, probablement, suivra le Gouvernement, et c'est bien dommage... (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Hervé Novelli. Nous allons nous en occuper !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. ...car comment voulez-vous sauvegarder une entreprise tout en respectant les délais de licenciement applicables dans le droit commun, au risque de sacrifier plus d'emplois qu'on n'en préserve ?

Vous préférez la politique politicienne à l'intérêt général, et tant pis pour la France ! Vous en aurez, monsieur Montebourg, la responsabilité. Voilà ce que je voulais vous dire sur le droit de licenciement.

Mme Marylise Lebranchu. Alors nous devons voter cet amendement ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Quant au super-privilège accordé aux banques, c'est un mot que l'on trouve dans la presse, un mot de journaliste. La commission des finances, d'ailleurs, n'a jamais repris, sauf pour le dénoncer, ce mot qui ne correspond à rien et qui relève de la polémique destinée à ceux qui n'ont pas étudié le texte. Quant au « soutien abusif », le projet de loi indique qu'il doit être « manifeste ».

Monsieur Montebourg, en tant qu'ancien avocat, vous savez comme moi que l'on a abusé du « soutien abusif », que les banques, parfois, ne savaient plus si elles devaient accorder un prêt. Lors de la faillite d'une clinique importante, par exemple, j'ai entendu dire que c'était la faute du banquier ! De tels procédés sont ahurissants ! Si certaines personnes, pas toujours de bonne foi, ont détourné le soutien abusif, faut-il le supprimer pour autant ? De toute façon, la jurisprudence n'a pas besoin de la loi pour le conserver. Nous, nous le conservons, mais en précisant qu'il doit être « manifeste ». Vous critiquez cette précision, mais elle relève du bon sens, monsieur Montebourg ! Lisez le projet de loi !

Mme Marylise Lebranchu. Justement, nous l'avons lu !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Par ailleurs, si nous souhaitons que les tiers bénéficient d'un certain nombre d'avantages, le texte n'accorde aucun avantage particulier, ni aux uns, ni aux autres.

Vous critiquez les privilèges, mais vous ne pouvez pas parler de l'argent frais comme d'un privilège, car si vous ne permettez pas à une entreprise de bénéficier d'argent frais, comment voulez-vous qu'elle reparte ?

Je trouve vos remarques aberrantes, car ce texte est fondé sur l'expérience. Depuis plus d'un an, le rapporteur et tous les commissaires qui s'intéressent à ces questions ont rencontré des juges consulaires, des avocats, des professeurs de droit, des chefs d'entreprise, des salariés et des représentants syndicaux. Nous sommes parvenus à une synthèse de bon sens. Mais vous avez préféré politiser le débat, vous faire remarquer. Vous revenez sur les tribunaux de commerce dont vos positions excessives ont empêché toute réforme alors qu'il aurait été utile d'améliorer leur fonctionnement. Et aujourd'hui, vous recommencez avec ce texte, qui est important pour l'économie française. Vous ne rendez pas service à la France, monsieur Montebourg !

Monsieur le président Ayrault, vous qui êtes le responsable du groupe socialiste, ne laissez pas l'un de vos membres, pour des raisons politiciennes, faire en sorte que le texte proposé par le Gouvernement (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), après le travail de la commission des lois, dans l'intérêt des salariés français, soit stigmatisé, incompris, déformé et caricaturé (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. Jean-Paul Bacquet. C'est petit !

M. Pascal Clément, président de la commission. ...au détriment du travail parlementaire et au désavantage des salariés français !

Mes chers collègues, opposons-nous à ce type d'intervention qui, à mes yeux, est dommageable pour la France et ne va pas dans le sens de ce que nous espérons entendre dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Paul Giacobbi. C'est honteux !

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi qui ambitionne de réformer le droit des entreprises en difficulté se trouve privé d'un pilier essentiel : celui de la réforme des tribunaux. Pourtant, en 1985, on regrettait déjà une telle absence.

Une réforme ambitieuse en ce domaine ne peut, il est vrai, s'envisager sans une réorganisation de nos tribunaux de commerce.

En raison des pouvoirs qui leur sont dévolus, il est inopportun, aujourd'hui comme hier, de laisser la procédure se dérouler devant une juridiction consulaire composée uniquement de commerçants élus pas leurs pairs.

D'ailleurs, une amélioration de la transparence des procédures collectives permettrait de mettre fin à la suspicion qui pèse sur les tribunaux de commerce et les magistrats consulaires, souvent suspectés de connivence avec les débiteurs en difficulté ou leurs créanciers qui sont leurs électeurs, mais aussi leurs concurrents ou leurs partenaires.

La mise en place d'un échevinage qui associerait la compétence technique des magistrats professionnels à la connaissance du monde des affaires des magistrats consulaires serait en outre un gage de plus grande efficacité. Il faudrait même aller plus loin en associant aux magistrats élus des représentants des salariés. Autrement dit, il faudrait qu'un magistrat professionnel soit assisté de deux assesseurs, dont l'un serait élu parmi les commerçants et l'autre parmi les salariés.

En effet, les procédures collectives ne sont pas l'affaire des seuls créanciers commerçants. Elles intéressent bien d'autres acteurs, au rang desquels nous trouvons les salariés, le Trésor public, la sécurité sociale, et de plus en plus les collectivités publiques.

En outre, nous ne pouvons pas croire à l'argument du rapporteur, avancé en commission des lois, selon lequel il serait peu opportun d'engager une telle réforme suite à l'émotion provoquée, chez les magistrats commerçants, par le rapport de la commission d'enquête sur les tribunaux de commerce de 1998. Le Gouvernement ne nous a-t-il pas montré, depuis le début de cette législature, que lorsqu'il souhaite faire passer ses réformes il ne s'encombre pas de telles considérations ?

N'avez-vous pas fait voter la réforme des retraites alors que l'opinion publique y était fermement opposée ? Ne vous apprêtez-vous pas à faire passer une réforme de l'éducation nationale alors qu'elle provoque chez les lycéens, les parents et les enseignants une émotion au moins aussi grande que celle des magistrats commerçants en leur temps ?

Oui, nous voterons cette motion de procédure parce que nous sommes convaincus que sans une réforme des tribunaux de commerce, toute amélioration de la législation relative au traitement des entreprises en difficultés est vaine.

Enfin, il y a une autre bonne raison pour que cette question préalable soit votée. Lors de la présentation à la presse de ce projet de loi, le garde des sceaux a placé la sauvegarde de l'emploi au cœur de sa démarche. Il a été on ne peut plus clair en présentant son texte comme une adaptation du droit permettant la sauvegarde des emplois au sein des entreprises fragilisées.

Pourtant, tel n'est pas l'objet de la réforme ici proposée. Il n'est d'ailleurs point besoin de lire les quelques 200 articles de ce projet pour s'en rendre compte. Il suffit de lire l'exposé des motifs : à aucun moment, il ne mentionne un tel objectif. Ce texte s'attache à sauvegarder l'intérêt des créanciers, et pas n'importe lesquels, et à privilégier les intérêts des créanciers, pourtant déjà protégés par leurs sûretés, à savoir les établissements de crédit, les banques.

Parce qu'il est important que ce texte ne passe pas à côté de l'objectif que vous vous étiez assigné, monsieur le ministre, à savoir la sauvegarde des emplois, il est impératif que la représentation nationale vote cette question préalable. C'est ce que fera le groupe des député-e-s communistes et républicains. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies, pour le groupe socialiste.

M. Alain Vidalies. La qualité des arguments développés par notre collègue Arnaud Montebourg méritait mieux que le dérapage du président de la commission des lois. J'invite chacun d'entre vous à vérifier des propos que vous avez pourtant applaudis, mais qui ne sont pas à l'honneur des débats parlementaires. Lorsque le président Clément, manifestement excédé par toute pensée qui n'est pas la sienne, s'écrie : « Arrêtez de dire le contraire de ce que nous pensons dans la majorité ! », on atteint des sommets en matière de débats parlementaires, et cela restera dans l'histoire de la République.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Tolérance zéro !

M. Alain Vidalies. Il aurait peut-être été préférable de proposer une modification de la Constitution avant d'envisager le sacre du futur roi Clément Ier (Rires sur divers bancs. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) qui serait ainsi inscrit dans l'Histoire de France à la place où il se situe lui-même, parce que sa « démonstration » sur la question des licenciements est probablement le plus bel exercice d'humilité que nous ayons entendu dans cet hémicycle depuis très longtemps. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

C'est pourtant bien une question sur laquelle nous avons à exprimer une opinion, voire une inquiétude - j'y reviendrai à l'occasion de la motion de renvoi en commission -, inquiétude que partage l'ensemble des médias et des syndicats, non seulement les syndicats de salariés, mais aussi les associations patronales, qui s'interrogent sur le sens de ce texte, voire le Gouvernement lui-même. Un seul homme a tout compris, et a raison contre tout le monde : le grand président Clément ! Voilà une démonstration d'humilité absolument extraordinaire ! D'autant plus extraordinaire qu'elle suit l'assertion habituelle selon laquelle lui, évidemment, ne fait jamais de politique. Nous sommes les vilains qui font de la politique, et le président Clément fait du droit : du droit à droite, mais du droit quand même ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est la même chose !

M. Alain Vidalies. Il lui arrive pourtant à lui aussi de se tromper, même si le ton employé est toujours exempt du moindre doute. Ainsi, il ose répondre à M. Montebourg que personne, dans aucun rapport, n'a parlé de « super privilège » . Qu'on se reporte au rapport de la commission des finances qui n'a pas été écrit par des journalistes, que je sache ! Selon ce rapport, « le projet de loi prévoit que ce crédit accordé en phase de conciliation est payé par privilège à toutes créances nées avant l'ouverture de la conciliation. En pratique, il s'agit d'accorder un "super privilège" aux créanciers en échange de l'argent "frais" qu'ils apportent à l'entreprise ». Rapport 2099, page 13, quatrième paragraphe !

On voit que ce « super privilège », loin d'être le fruit de l'imagination de M. Montebourg, traduit exactement la réalité du dispositif que vous nous proposez. Le problème qu'il pose, et qui méritait d'être abordé dans la question préalable, est celui de l'existence d'autres créanciers. Il est inconcevable d'organiser une nouvelle hiérarchie entre les créances sans avoir au préalable procédé à une véritable consultation. Les élus locaux, ceux qui ont la responsabilité de la maîtrise de l'impôt local, savent-ils exactement de quoi nous débattons aujourd'hui ? De même, les organisations de salariés, mais aussi d'employeurs, qui ont la charge de la gestion des ressources de la sécurité sociale, savent-ils que vous proposez des remises sur les cotisations sociales - nous y reviendrons ? Pas du tout ! L'affaire a été conduite de telle manière qu'ils ne découvriront qu'après coup comment vous avez organisé la sauvegarde des créances bancaires au détriment des ressources des collectivités locales ou de la protection sociale. De tout cela il n'aurait pas fallu débattre ?

Quant au problème des tribunaux de commerce, vous pouvez prendre la question dans le sens que vous voulez : comment peut-on reprocher à quiconque de se lever pour exprimer son sentiment par rapport à cette institution ? Il ne s'agit pas de dire que tous les tribunaux de commerce fonctionnent mal, telle n'est pas notre position. Mais vous savez bien que l'opinion publique en France, de droite comme de gauche, n'est pas satisfaite de ce système, d'autant que, comme nous, vous êtes régulièrement saisis de ces problèmes. La question de la présence de magistrats professionnels au sein de ces juridictions est posée d'une manière très forte, ne serait-ce que pour sécuriser les procédures que vous organisez. La suspicion dont fait l'objet l'institution rejaillira en effet immanquablement sur ces procédures. De cette question majeure, nous aurions dû également débattre.

Voilà pourquoi, entre autres raisons, les arguments qui ont été développés à l'appui de cette question préalable méritaient d'être écoutés avec attention, et voilà pourquoi le groupe socialiste la votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Perruchot, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Nicolas Perruchot. Je veux préciser, en quelques mots rapides, pourquoi le groupe Union pour la démocratie française ne votera évidemment pas cette question préalable. Certes, j'ai pu, comme chacun d'entre nous, apprécier le talent avec lequel vous avez défendu cette motion, monsieur Montebourg, même si ce talent oratoire est souvent employé dans le but de provoquer l'incident, avec succès encore une fois ce soir.

Je retiendrai tout d'abord, de l'heure que vous avez consacrée à cette motion, mon cher collègue, des attaques multiples, notamment celles, tout à fait condamnables à mes yeux, que vous avez lancées contre le garde des sceaux, mais aussi celles, plus surprenantes, que vous avez lancées contre un ancien ministre socialiste : vous avez en effet cité Bernard Tapie dans votre propos. Vous avez attaqué aussi les hommes et les femmes qui composent les tribunaux de commerce. Je regrette que vous n'ayez pas eu l'occasion de rencontrer les membres du tribunal de commerce du Loir-et-Cher, car cela vous aurait permis de corriger votre propos.

Il ne manquait que l'attaque habituelle contre les éléphants socialistes, mais peut-être viendra-t-elle plus tard.

M. Alain Néri. Qu'est-ce qu'il raconte ?

M. Nicolas Perruchot. C'est en effet une attaque que vous portez régulièrement, cette fois contre votre propre camp. En l'occurrence elle aurait pu prendre de multiples formes.

Vous avez étayé en maints endroits ces attaques d'arguments contraires aux positions du Gouvernement : c'est votre droit, comme il était de votre droit de déposer de nombreux amendements sur ce texte. Mais chacun aura pu y trouver matière à ne pas voter cette question préalable, dont je rappelle que l'objet, selon l'article 91, alinéa 4, est de faire décider qu'il n'y a pas lieu à délibérer. Vos propos nous ont convaincus du contraire. Voilà pourquoi nous ne voterons pas cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Demande de vérification du quorum.

M. le président. La parole est à Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Je vous demande, monsieur le président, la vérification du quorum sur le vote de la question préalable.

M. le président. Je suis saisi par le président du groupe socialiste d'une demande faite en application de l'article 61 du règlement, tendant à vérifier le quorum avant de procéder au vote sur la question préalable.

Je constate que le quorum n'est pas atteint.

Conformément à l'alinéa 3 de l'article 61 du règlement, le vote sur la question préalable est reporté à la prochaine séance.

    2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Aujourd'hui, à quinze heures, première séance publique :

Questions au Gouvernement (1) ;

Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école ;

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 1596, de sauvegarde des entreprises :

Rapport, n° 2095, de M. Xavier de Roux, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République,

Avis, n° 2099, de M. Jérôme Chartier, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à zéro heure vingt.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot

(1) Les quatre premières questions porteront sur des thèmes européens.