Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus intégraux (session ordinaire 2004-2005)

 

Deuxième séance du mardi 3 mai 2005

208e séance de la session ordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

    1

SOLIDARITÉ À L'ÉGARD DE FLORENCE AUBENAS
ET HUSSEIN HANOUN EN IRAK

M. le président. Mes chers collègues, il y a cent dix-huit jours exactement que Florence Aubenas et Hussein Hanoun disparaissaient en Irak, cent dix-huit jours d'attente, d'angoisse, d'espoir que nous partageons avec leurs familles et leurs collègues. Alors que nous célébrons aujourd'hui la journée internationale de la liberté de la presse, j'assure, en votre nom à tous, Florence Aubenas, Hussein Hanoun ainsi que l'ensemble des journalistes de toute notre solidarité. (Applaudissements sur tous les bancs.)

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le Gouvernement s'associe à l'hommage que vient de rendre votre assemblée au journalisme, à la profession de journaliste en cette journée internationale, à la mémoire de ces cinquante-trois journalistes qui sont morts en exerçant leur mission d'information. Je tiens à dire combien nous sommes les uns et les autres sensibles à cette journée, nous qui souffrons de savoir Florence Aubenas et Hussein Hanoun séparés de la France, de leurs familles, de leurs confrères, depuis près de quatre mois, depuis cent dix-huit jours. Je vous assure que l'ensemble des services de l'État sont mobilisés avec plus de cent personnes qui oeuvrent aujourd'hui pour la libération de Florence et d'Hussein, cent personnes qui ont stabilisé des contacts, mais des contacts alternatifs, interrompus par de longues périodes de silence, cependant à chaque fois rétablis. C'est un dialogue difficile, dans une situation particulièrement dangereuse. Mais je veux croire que tant que ce dialogue est maintenu, il y a de l'espoir. Nous sommes tous mobilisés dans cette perspective. Et tout sera fait par les services de l'État pour permettre à Florence et Hussein de retrouver leur famille, leurs confrères et leur pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

    2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

JOURNÉE DE SOLIDARITÉ

M. le président. La parole est à M. Denis Jacquat, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Denis Jacquat. Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'État aux personnes âgées.

Pour beaucoup, la journée de solidarité aura lieu dans moins de quinze jours. À mesure que cette journée approche, nous entendons dire que les fruits de cette journée...

M. Maxime Gremetz. C'est le travail obligatoire !

M. Denis Jacquat. ...ne seront pas destinés intégralement aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Si tout le monde a bien compris que cette journée générera 2 milliards d'euros de recettes, dont 1,2 milliard pour améliorer notamment la vie à domicile des personnes âgées, moderniser les maisons de retraite ou encore assurer leur médicalisation, beaucoup craignent le précédent de la vignette automobile.

Je sais, madame la secrétaire d'État, que le Gouvernement a donné à plusieurs reprises des garanties quant à la bonne utilisation de ces fonds. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Pouvez-vous aujourd'hui donner devant la représentation nationale des preuves tangibles de ces garanties ? Par quels moyens allez-vous vérifier la bonne utilisation de ces fonds ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État aux personnes âgées.

Mme Catherine Vautrin, secrétaire d'État aux personnes âgées. Mesdames, messieurs les députés, en effet, cette journée de solidarité va générer une recette de 2 milliards d'euros : 1,2 milliard pour les personnes âgées, 800 millions pour les handicapés. Le Premier ministre s'était engagé à ce que pas un euro n'aille ailleurs qu'aux personnes âgées et aux personnes handicapées. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Le Président de la République, le 8 février dernier, avait demandé que la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie soit installée dans les trois mois. C'est chose faite. Cette caisse a été installée hier par le Premier ministre. Elle se compose de quarante-huit membres, qui représentent les associations, les professionnels, les élus, l'État. Cette caisse a pour objectif d'assurer une traçabilité parfaite de l'utilisation de l'argent de la solidarité.

M. François Liberti. Comme pour la vignette !

Mme la secrétaire d'État aux personnes âgées. Un gage supplémentaire était hier la présence du Premier président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, qui a expliqué qu'à recettes nouvelles devaient correspondre de nouvelles méthodes de gestion à partir des besoins des personnes en perte d'autonomie. Nous allons maintenant mettre en place une vraie politique pour l'autonomie. Il y aura un moyen de contrôle nouveau (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) : ce sera un rapport de la Cour des comptes dès le mois de décembre 2005, puis un second rapport en juin 2006. C'est ça la transparence. Il y a un effort demandé à nos concitoyens d'un côté et, de l'autre, il y a des résultats. Nous avons eu le courage de faire appel à la solidarité. Nous devons aujourd'hui en assurer la traçabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

JOURNÉE DE SOLIDARITÉ

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, je suis en total désaccord avec ce que vient de dire votre secrétaire d'État, Mme Vautrin. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Car vous savez, et les députés de votre majorité reviennent de leur circonscription avec le même sentiment, que la suppression du lundi férié de la Pentecôte crée la pagaille et surtout l'injustice ! (Mêmes mouvements.) Oui, la pagaille avec un traitement différencié selon les entreprises, les collectivités ou les administrations. Plus personne ne sait qui fera quoi et quand.

M. Lucien Degauchy. Grâce à qui ?

M. Jean-Marc Ayrault. L'exemple tragi-comique du lundi de Pâques dans le Gard et le Gers en est malheureusement la saisissante illustration.

Injustice surtout, car la solidarité que vous invoquez envers les personnes âgées n'est rien d'autre qu'un trompe-l'œil. Elle est supportée par les seuls salariés (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) qui se voient imposer une journée de travail gratuit sans la moindre négociation. Alors, comment ne pas comprendre le mouvement de colère du monde du travail à qui vous demandez, depuis trois ans, de supporter tous les efforts d'adaptation ?

M. Francis Delattre. Bolcho !

M. Jean-Marc Ayrault. C'est toujours à lui que vous demandez des efforts.

Monsieur le Premier ministre, les Français ne sont pas égoïstes. Ils sont prêts au partage quand ils savent qu'il est égal, qu'il est juste, et surtout qu'il est efficace. La solidarité, ce n'est pas la charité ou le travail forcé, mais la responsabilité de tous à travers l'impôt. La solidarité, c'est la solidarité de tous les Français, et d'abord de ceux qui peuvent payer le plus. Et, en l'espèce, ce n'est malheureusement pas le cas. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je comprends le désarroi des députés de la majorité. (Vives exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je comprends leur incapacité à répondre, dans leur circonscription, au mécontentement de leurs électeurs. (« La question ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Pouvez-vous poser votre question, monsieur Ayrault ?

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, la sagesse serait aujourd'hui de retirer cette mesure. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Beaucoup vous le disent, pas seulement sur les bancs de l'opposition ; beaucoup le pensent tout bas sur les bancs de la majorité. Plutôt que de vouloir l'appliquer contre la majorité des Français, êtes-vous prêt à négocier un nouveau dispositif ? En avez-vous, monsieur le Premier ministre, la volonté ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Je n'avais rien à ajouter à la réponse de Catherine Vautrin, mais vous avez dit à nouveau des choses inexactes pour tromper l'opinion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Il ne s'agit pas des seuls salariés, mais aussi des revenus boursiers, des revenus financiers. La solidarité générale de tous est appelée pour cette journée de solidarité.

M. Augustin Bonrepaux. Pas de tous ! Vous mentez !

M. le Premier ministre. Il est vrai que la conscience sociale du Gouvernement l'a conduit à exclure de cet effort le livret A et le livret d'épargne populaire, pour protéger ces revenus. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Peut-être est-ce cela que vous regrettez ! Mais, vraiment, parler de tragi-comédie quand il s'agit de faire face à des problèmes graves que notre pays a eus à affronter, quand il s'agit de morts, quand il s'agit de difficultés sociales majeures ! Notre pays doit-il réagir ou rester spectateur devant ces difficultés ? La majorité a eu le courage de mobiliser l'ensemble du pays pour que nous puissions dégager les moyens financiers...

M. Augustin Bonrepaux. Vous mentez !

M. le président. Monsieur Bonrepaux !

M. le Premier ministre. ...pour aider les personnes âgées. Vous, vous aviez créé une prestation pour les personnes âgées que vous n'avez même pas financée ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. - Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Et vous osez nous reprocher de financer nos mesures sociales ! Pour nous, le progrès social n'est pas achevé tant qu'il n'est pas financé.

Monsieur Ayrault, je vois pourtant votre nom et celui d'un certain nombre de vos collègues, dont M. Fabius, sur cette pétition de cent députés soutenant la création d'une journée de solidarité publiée dans l'hebdomadaire La Vie. Vous préconisez que l'on demande aux Français une journée de solidarité, une journée de fraternité. Vous le proposez, vous signez des pétitions, et aujourd'hui vous n'assumez pas votre signature ! (Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Cela dit, je vous remercie de votre question car elle me permet de rappeler à tous ce qui nous rassemble, la devise de la République : la liberté, l'égalité, mais aussi la fraternité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

RÉFORME DE LA FORMATION EN ALTERNANCE

M. le président. La parole est à M. Yvan Lachaud, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Yvan Lachaud. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

La réforme de la formation en alternance que nous avons votée en mai 2004 a remplacé les contrats d'insertion, de qualification et d'adaptation par des contrats de professionnalisation. Le Gouvernement s'était fixé un objectif de 40 000 contrats signés à la fin 2004. Fin janvier 2005, seuls 1 400 l'avaient été.

M. Alain Néri. Et encore !

M. Yvan Lachaud. Sans doute ce dispositif a-t-il été voté dans l'urgence, sans doute nombre de branches professionnelles n'ont-elles pas signé de conventions. Reste que les résultats de cette réforme posent problème : des milliers de jeunes, notamment issus de milieux défavorisés, se retrouvent sans contrat et des professionnels du milieu de l'apprentissage sans emploi, alors que la formation par alternance avait fait la preuve de son efficacité.

Au nom du groupe UDF, je demande au Gouvernement comment il compte, en concertation avec tous les partenaires, remettre sur la bonne voie cette filière de formation dont nos jeunes, nos entreprises et notre pays ont tant besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État à l'insertion professionnelle des jeunes.

M. Laurent Hénart, secrétaire d'État à l'insertion professionnelle des jeunes. Monsieur le député, la réforme que le Parlement a votée en mai 2004, dont vous avez souligné l'ampleur, fait suite à un accord unanime de tous les partenaires sociaux, de la CGT au MEDEF.

Elle a deux objectifs.

Le premier est de garantir les débouchés des contrats d'alternance puisque ce sont les branches professionnelles et les employeurs qui en définissent dorénavant le contenu.

Le second est de concourir à la formation tout au long de la vie : le contrat de professionnalisation est ainsi ouvert jusqu'à soixante ans et exonéré de charges pour les plus de quarante-cinq ans - ce qui est une révolution par rapport au contrat de qualification.

Depuis le 1er janvier, 10 000 contrats de professionnalisation ont été enregistrés, auxquels il convient d'ajouter 15 000 contrats de qualification, puisque nous continuons, bien sûr, à enregistrer les contrats signés. Il n'y a donc pas de recul de l'alternance.

L'État doit maintenant, d'une part, garantir que le nouveau dispositif remplace avantageusement l'ancien - nous avons donc suivi avec Gérard Larcher la signature des accords de branche : 85 couvrant les trois quarts des salariés - et, d'autre part, rappeler que le contrat de professionnalisation est ouvert par la loi, dans la limite d'un an : nous sanctionnons donc les OPCA qui refusent d'enregistrer des contrats et veillons au respect de la loi.

Je réunirai en mai les partenaires sociaux pour qu'ils aillent plus loin dans la mise en œuvre de ce contrat, avec trois priorités : les jeunes sans qualification, la cible nouvelle des jeunes diplômés, qui ont besoin d'être accompagnés dans le premier emploi, et les plus de quarante-cinq ans qui, eux aussi, ont besoin qu'on les aide à mettre le pied à l'étrier dans le marché du travail. J'attends les propositions des représentants des organismes de formation, que j'ai déjà reçus à trois reprises depuis janvier. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Maxime Gremetz. Où est le ministre de l'emploi ?

JOURNÉE DE SOLIDARITÉ

M. le président. La parole est à M. Gilbert Biessy, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Gilbert Biessy. Monsieur le Premier ministre, la suppression du lundi de Pentecôte comme jour férié (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) est une véritable escroquerie, comme l'ont scandé des milliers de manifestants le 1er mai. Sous prétexte de solidarité avec les personnes âgées, vous rétablissez la corvée.

Au moment où les profits des grands groupes explosent - près de 60 milliards d'euros en un an - et où leurs PDG bénéficient de rentes exorbitantes, comme celui de Carrefour qui s'offre une retraite de plus de 38 millions d'euros, vous imposez le travail gratuit.

Les salariés et les retraités en ont marre : après le blocage des salaires et des pensions, la diminution continue de leur pouvoir d'achat, l'allongement de la durée du travail, l'application prochaine d'une directive européenne qui permettra de travailler jusqu'à 65 heures par semaine, voilà maintenant la suppression d'un jour chômé ! C'est un véritable scandale.

Cela rappelle la tentative de M. Giscard d'Estaing, rédacteur de la Constitution européenne, de supprimer le 8 mai lorsqu'il était Président de la République. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

Le monde du travail est la cible privilégiée de votre gouvernement, comme du projet de traité constitutionnel, qui prône une concurrence « libre et non faussée ».

Le textile en est le triste exemple : il a perdu 20 000 emplois, tandis que l'Europe peine à endiguer la déferlante des produits chinois. Le traité constitutionnel, qui autorise le patronat à proposer aux salariés d'aller travailler en Roumanie pour 150 euros par mois, est une véritable provocation à l'égard des travailleurs.

Les salariés ont raison de multiplier les protestations. Ils pourront saisir l'occasion du référendum du 29 mai pour, en votant non, faire barrage à la politique de votre gouvernement qui s'inscrit dans la lignée de ce traité libéral et donner une nouvelle chance à une autre Europe, sociale et solidaire.

M. le président. Monsieur Biessy, veuillez poser votre question.

M. Gilbert Biessy. Monsieur le Premier ministre, entendez le mécontentement grandissant des salariés contre la suppression d'un jour férié. D'autres moyens existent pour financer la solidarité. Une suggestion, si vous le permettez : regardez du côté du CAC 40 ! Là, vous trouverez des financements ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État aux personnes âgées.

Mme Catherine Vautrin, secrétaire d'État aux personnes âgées. Mesdames, messieurs les députés, notre pays, vous le savez, doit faire face à un véritable défi : celui de la révolution de la longévité. Il faut donc trouver de nouvelles ressources, le corollaire de l'allongement de l'espérance de vie étant le grand vieillissement.

Deux solutions s'offraient à nous. La première, celle que vous auriez choisie, était de peser, une fois encore, sur le pouvoir d'achat par l'instauration de taxes. Ce n'est pas ce que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a choisi. Il a préféré créer de la richesse par une journée de travail supplémentaire.

Le Conseil d'État vient d'ailleurs de nous donner raison. Dans la réponse qu'il a donnée, cet après-midi, au recours de la CFTC, il déclare que cette mesure ne constitue pas « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de travail du salarié ».

M. Maxime Gremetz. Ce n'est pas une atteinte grave, mais c'est quand même une atteinte !

Mme la secrétaire d'État aux personnes âgées. Il s'agit donc de se mobiliser pour améliorer la protection sociale et aider nos concitoyens à bien vieillir.

Monsieur le député, vous avez fait allusion à la Constitution européenne. La charte des droits fondamentaux (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) reconnaît le droit de vieillir dans la dignité. C'est exactement ce que nous mettons en application avec cette mesure. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

TEXTILE CHINOIS

M. le président. La parole est à M. Christian Vanneste, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Christian Vanneste. Monsieur le ministre délégué à l'industrie, on craignait l'abolition des quotas sur les importations de textile chinois à partir du 1er janvier. Bien pire qu'une déferlante, ce fut un tsunami !

Les exportations chinoises en Europe ont augmenté de 50 % au premier trimestre et, pour le seul mois de février, de 119 % en valeur et de 1 500 % en volume. Pour certains articles, la hausse est impressionnante : elle a atteint pour les pull-overs 534 % en valeur sur trois mois.

L'accord d'adhésion de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce conclu en 2001 prévoyait explicitement une mesure spéciale de limitation des exportations textiles au cas où celles-ci déstabiliseraient les marchés. Nous en sommes là : entreprises et emplois sont menacés dans ce secteur non seulement en Europe mais aussi dans l'ensemble des pays méditerranéens. En Europe, 165 000 emplois ont été perdus l'année dernière. En France, on craint d'en perdre entre 7 000 et 24 000 cette année.

Devant cette situation, les États-Unis ont déjà fait jouer la clause de sauvegarde. Sous l'autorité du commissaire Peter Mandelson, l'Europe a lancé, le 24 avril dernier, une enquête approfondie qui débouchera, éventuellement, sur une mise en œuvre de sauvegarde, mais pas avant 150 jours, soit cinq mois. Or chaque mois qui passe, des entreprises ferment, des emplois disparaissent.

Entre les États-Unis et l'Europe, c'est un peu le jeu du lièvre et de la tortue. Cette dernière espère finir par l'emporter mais ce sera difficile car elle est aussi cigale face à la fourmi chinoise.

M. le président. Veuillez poser votre question, monsieur Vanneste.

M. Christian Vanneste. Voici dix ans que la situation est connue.

La Chine vient de désigner un négociateur spécial. La France et douze pays européens ont demandé que soient prises des mesures d'urgence. Vous avez eu raison, monsieur le ministre, de faire cette démarche. Quelle chance a-t-elle d'aboutir ? Aujourd'hui, le textile est pris en étau entre les quotas chinois et la taxe professionnelle qu'augmentent inconsidérément les collectivités locales socialistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. C'est avec la Chine que nous avons le plus fort déficit commercial - 11 milliards d'euros - et nos exportations ne couvrent que 32 % des importations. C'est dans ce contexte que se pose le problème crucial du textile. Il est vrai qu'il était prévisible depuis dix ans et la France s'y est préparée.

Aujourd'hui, outre les chiffres que vous avez donnés, on constate une baisse des prix de l'ordre de 50 % sur certains produits. Dès lors, il y a soupçons de dumping. Comme 50 % de la production du textile chinois est issu de magasins ou d'entreprises d'État, nous n'avons aucune assurance sur le calcul des coûts de revient et, par conséquent, sur la vérité des prix. En outre, 70 % des textiles de contrefaçon saisis sont d'origine chinoise.

Dès lors, que faisons-nous ?

Plusieurs députés du groupe socialiste. Rien !

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous qui n'avez rien fait, ne venez pas nous donner des leçons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.- Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Nous avons saisi en extrême urgence et par écrit, bien que ce ne fût pas nécessaire, le commissaire Mandelson pour lui demander de prendre des mesures de sauvegarde. Nous sommes en situation d'en bénéficier puisqu'elles ont été définies par une décision de la Commission du 6 avril 2005 qui s'applique pleinement à nous. Nous ne sommes pas les seuls à avoir saisi M. Mandelson.

En même temps, nous menons une politique nationale de réplique, que vous connaissez, monsieur Vanneste, puisque vous y avez été associé.

Enfin, nous privilégions également le dialogue. Ce grand pays qu'est la Chine, conscient de son avantage commercial, y est tout à fait ouvert. M. Breton a reçu le ministre du commerce chinois aujourd'hui même et je me rendrai moi-même en Chine dans deux semaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

SITUATION DE L'EMPLOI

M. le président. La parole est à M. Francis Saint-Léger, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Francis Saint-Léger. Monsieur le ministre délégué aux relations du travail, les derniers chiffres indiquent que le nombre de chômeurs a augmenté de 6 700 au mois de mars. (« Eh oui ! sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Mais le nombre d'offres d'emplois déposées à l'ANPE est en forte progression et a augmenté de 6,6 % sur un mois et de 9,7 % sur un an. Cela montre que notre économie recèle un réel potentiel d'emplois salariés pour les mois à venir. L'accélération de la mise en œuvre des mesures du plan de cohésion sociale devrait accentuer cette tendance et faire reculer le chômage.

Monsieur le ministre, vous avez reçu ce matin, avec Jean-Louis Borloo, les organisations patronales et syndicales signataires de l'accord sur les conventions de reclassement personnalisé afin de l'officialiser. Cet accord offrira aux personnes licenciées pour raisons économiques une sécurité accrue.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous faire part de votre analyse sur les derniers chiffres du chômage et réaffirmer la mobilisation et la détermination du Gouvernement à lutter pour l'emploi, grâce notamment au plan de cohésion sociale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux relations du travail.

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail. Monsieur le député, les derniers chiffres du chômage sont pour le Gouvernement un sujet de préoccupation et l'objet d'une totale mobilisation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Le Gouvernement se mobilise en effet sur la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier dernier, dont nous avons longuement débattu.

Le 29 mars dernier, nous avons mis en place les premiers contrats d'avenir et, au mois d'avril, le nombre de contrats signés a été de 27 000, chiffre jamais atteint jusqu'à présent dans notre pays.

Parallèlement, en moins de trois mois, les partenaires sociaux ont engagé la sécurisation des parcours professionnels en se fondant sur un principe simple : la volonté du Gouvernement de réduire les inégalités entre les licenciés économiques des grandes entreprises et ceux provenant des petites et moyennes entreprises. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Dès le mois prochain, les licenciés économiques effectueront un stage de formation professionnelle pendant huit mois et bénéficieront de la validation des acquis de l'expérience ainsi que d'une meilleure indemnisation - 80 % les quatre premiers mois, puis 70 %. Enfin, ils seront accompagnés pendant six mois dans leur nouvel emploi.

Un député du groupe socialiste. C'est le paradis !

M. le ministre délégué aux relations du travail. Jamais une telle sécurisation du parcours de l'emploi n'a été mise en place : cela montre la vigueur du dialogue social dans notre pays (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), contrairement à ce que certains veulent nous faire croire ici. Les partenaires sociaux viennent de le démontrer : quand il s'agit d'emploi, ils sont responsables ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Où est Borloo ?

POLITIQUE SOCIALE DU GOUVERNEMENT

M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour le groupe socialiste.

M. Gaëtan Gorce. Monsieur le Premier ministre, contrairement à ce que vous avez répondu à Jean-Marc Ayrault, les socialistes, pas plus que les Français, ne refusent la solidarité. Ce qu'ils refusent, c'est votre politique. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Depuis trois ans, votre gouvernement est une machine à fabriquer de la désespérance sociale. (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est là qu'il faut chercher la cause du malaise ressenti par les Français, qui nourrissent contre votre politique une colère légitime.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Démago !

M. Gaëtan Gorce. Si l'on fait le bilan de ces trois dernières années, la cause de votre échec n'incombe ni à l'Europe ni à je ne sais quelle cause extérieure. Elle tient en quelques mots : vous vous êtes trompés. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. François Grosdidier. Et vous, vous trompez les Français !

M. Gaëtan Gorce. Au plan économique, on peine à trouver une cohérence à votre ligne de conduite qui fait alterner les baisses d'impôt au profit des plus favorisés et les hausses de prélèvements pour les plus modestes, les promesses de dépenses nouvelles et les appels à la rigueur budgétaire. Vous offrez une vision zigzagante de l'économie, relayée par une kyrielle sans précédent d'éphémères ministres des finances.

M. Yves Nicolin. Baratin !

M. Gaëtan Gorce. Par ailleurs, vous avez brisé un à un les outils de la politique de l'emploi, jusqu'à prendre récemment la responsabilité d'encourager les entreprises à augmenter le nombre d'heures supplémentaires plutôt qu'à embaucher.

Monsieur le Premier ministre, l'emploi est l'angle mort de votre politique, le grand oublié des années « Chirac-Raffarin ». Vous avez remplacé les 2 millions « d'emplois Jospin » par 250 000 nouveaux « chômeurs Raffarin ». Aujourd'hui, la seule chose qui baisse dans notre pays est la confiance dans le Gouvernement. Votre promesse de faire baisser le chômage de 10 % s'est évanouie en quelques mois, y compris devant l'incrédulité de votre propre ministre de l'emploi, qui s'en est publiquement démarqué.

Nous, socialistes, nous savons qu'il existe d'autres perspectives pour la France (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), qui passent par une autre politique de l'emploi, par le renforcement de la coopération européenne au service de la croissance et par l'alternance électorale en 2007.

M. le président. Monsieur Gorce, posez votre question !

M. Gaëtan Gorce. Mais, pour l'heure, la menace pour notre pays dans les grands choix qu'il doit faire est la perte de confiance dans la parole publique. Aussi, monsieur le Premier ministre, plutôt que de troubler l'opinion par des déclarations tonitruantes et des promesses non tenues, je vous demande d'assumer vos choix qui sont néfastes pour l'emploi et, par conséquent, vos échecs : le courage et la vérité y gagneront ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux relations du travail.

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail. Monsieur le député, je viens de répondre à M. Saint-Léger sur la volonté du Gouvernement en matière d'emploi.

S'agissant de la parole publique du Gouvernement, je me réjouis de constater que cinquante départements de toutes les sensibilités politiques, du Pas-de-Calais aux Yvelines, de l'Yonne aux Charentes, se seront engagés dans le plan de cohésion sociale avant la fin du mois de mai...

Un député du groupe socialiste. Vous serez parti !

M. le ministre délégué aux relations du travail. ...pour bâtir des contrats d'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je suis heureux de constater que de nombreux élus, dont des maires éminents, de tous bords, comme le maire de Tulle, veulent une maison de l'emploi. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Jean-Paul Anciaux engagera cet après-midi même la mise en place des maisons de l'emploi.

Par ailleurs, la convention tripartite permettra de faire travailler ensemble l'ANPE, l'UNEDIC et l'État...

M. Bernard Roman. Ce n'est pas la question !

M. le ministre délégué aux relations du travail. ...à la mise en œuvre d'un dossier unique du demandeur d'emploi pour un meilleur accompagnement, une meilleure formation, une capacité de mobilisation autour des demandeurs d'emploi à travers les maisons de l'emploi, ainsi qu'un renforcement nécessaire des contrôles. Cela facilitera la réussite du plan de cohésion sociale et le redressement de l'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

LUTTE CONTRE LES MARIAGES BLANCS

M. le président. La parole est à Mme Maryse Joissains-Masini, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

Mme Maryse Joissains-Masini. Monsieur le garde des sceaux, je vais vous parler du quotidien des maires de France face à l'immigration clandestine. Les services d'état civil des mairies sont de plus en plus sollicités pour célébrer des mariages entre des Français et des étrangers en situation irrégulière sur notre territoire au regard des lois de la République.

Depuis le début de l'année 2005, dans ma seule commune, près de soixante mariages de ce type ont été célébrés ! L'ensemble de ces cas a fait l'objet d'une saisine du procureur de la République qui doit rechercher l'intention matrimoniale manifestée dans ces occasions.

Le système actuel n'offre en réalité aucun moyen aux officiers d'état civil de lutter contre l'immigration clandestine car, bien entendu, la plupart de ces mariages sont des mariages blancs (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) et l'intention matrimoniale est quasiment impossible à prouver.

M. Maxime Gremetz. C'est l'amour !

Mme Maryse Joissains-Masini. Les officiers d'état civil se trouvent ainsi contraints de célébrer des unions alors qu'ils savent pertinemment qu'il s'agit de mariages blancs.

J'ajoute que, très souvent, des jeunes femmes voilées sont conduites dans les salles de mariage alors que, nous le savons, il s'agit de mariages forcés.

M. le président. Auriez-vous l'obligeance de poser votre question, madame ?

Mme Maryse Joissains-Masini. Je n'épiloguerai pas sur le paradoxe qui consiste à régulariser par le mariage la situation d'individus qui n'ont pas d'existence légale sur notre territoire.

Monsieur le ministre, eu égard aux difficultés des maires officiers d'état civil, quelles mesures comptez-vous prendre pour lutter contre cette forme d'immigration clandestine ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la députée, vous avez raison de poser cette question concrète, préoccupation de très nombreux maires, qui en ont fait part lors de leur dernier Congrès, et que vous relayez ici.

Il n'est pas question de tolérer que l'institution du mariage soit utilisée à d'autres fins que la construction d'une conjugalité réelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Comment aider concrètement les maires et les procureurs de la République ? J'ai établi un document très précis qui va être envoyé à tous les maires de France et à tous les procureurs de la République. Il rappelle que l'officier d'état civil a la possibilité, et je dirai même le devoir, lorsqu'il y a un doute, d'entendre séparément les futurs époux. Cela permettra d'éclairer sa réflexion.

Un député du groupe socialiste. Comment ?

M. le garde des sceaux. En convoquant séparément les futurs époux et en leur posant des questions sur leurs intentions matrimoniales.

Si l'officier d'état civil a un doute sérieux sur les véritables intentions des personnes concernées, il pourra, grâce à cette circulaire, constituer un dossier précis à transmettre au procureur de la République. En indiquant, par exemple, s'il y a eu des hésitations sur l'indication précise des domiciles respectifs des deux personnes ou s'il y a eu à plusieurs reprises un retard dans la transmission des pièces nécessaires pour le bureau d'état civil, ou encore s'il y a à l'évidence des difficultés de compréhension entre les époux faute d'un langage commun. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Cela s'est déjà vu.

S'agissant du voile, je le dis clairement devant la représentation nationale, les officiers d'état civil doivent vérifier l'identité des futurs époux et des témoins.

D'autres mesures ont été proposées : la création d'une incrimination pénale permettra de poursuivre ceux qui auraient participé à la préparation d'un mariage simulé. Par ailleurs, plusieurs parlementaires ont proposé, avec mon soutien et celui de Nicole Ameline, de relever l'âge légal du mariage des filles à dix-huit ans, pour lutter contre les mariages forcés.

Ce que je veux, madame la députée, c'est que ces mariages forcés ou simulés soient définitivement derrière nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

AIRBUS

M. le président. La parole est à M. Christian Cabal, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Christian Cabal. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

Il y a huit jours, un objet volant parfaitement identifié s'élançait des pistes de Toulouse, pistes historiques qui ont vu l'envol de Caravelle et du Concorde. Ce vol inaugural, parfaitement réussi, de l'A 380 augure bien de la réussite technique et commerciale de l'avionneur européen qu'est Airbus. Cet avion est le fruit du génie européen, qu'il s'agisse des efforts communs de recherche et développement accomplis dans le cadre de programmes européens ou du travail fourni par les ingénieurs et les techniciens dans les instituts de formation européens, et par les ouvriers dans plus de cinquante usines européennes. Ils ont concouru tous ensemble à la fabrication de cet appareil : ailes et réacteurs anglais, carlingue à la fois française, allemande et espagnole, poste de pilotage français - serait-ce un symbole ? - dont l'assemblage a été réalisé en France et la finition en Allemagne.

Une très grande réussite, donc, d'autant plus - signalons-le au passage - que cet appareil est respectueux de l'environnement.

Ce formidable succès suscite bien entendu des envies et des jalousies. Sachant qu'Airbus veut maintenant produire un nouvel appareil, l'A 350, pouvons-nous compter sur l'appui de l'Europe pour que la concurrence avec l'autre grand du secteur, Boeing, soit vraiment libre et responsable, et que les investissement nécessaires soient engagés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Lorsque le 27 avril, à dix heures vingt-neuf, les roues de l'A 380 se sont élevées du sol de Toulouse, un formidable sentiment de fierté a été partagé par tous les Français et tous les Européens. La lecture de la presse étrangère montre d'ailleurs que cette admiration est ressentie dans le monde entier.

On peut dire que l'A 380 est le porte-étendard de la réussite du modèle européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Seulement quatre pays sont concernés !

M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Des milliers d'emplois, dont 15 000 en France, sont créés dans les onze pays européens qui soutiennent Airbus.

M. Maxime Gremetz. Ils sont quatre !

M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Airbus enregistre aujourd'hui un total de 3 839 appareils livrés, et son carnet de commandes s'élève à 1 531 unités. Mais vous avez raison de parler de l'avenir. L'avenir, pour l'entreprise, ne peut se passer des aides de l'Europe en matière de recherche et de développement. Le concurrent américain, qui s'est vu dépassé au cours de l'année 2004, a réagi en les remettant en cause, mais ces aides sont parfaitement transparentes et conformes à l'accord de 1992. L'Europe soutient Airbus : c'est un commissaire européen, M. Mandelson, muni d'un mandat de tous les États participants, qui va défendre les intérêts d'Airbus, qu'il s'agisse de l'A 380 ou des modèles à venir, tel que l'A 350.

J'ajoute, monsieur le président, que vous aurez le plaisir de voir l'A 380 au prochain salon du Bourget, qui s'ouvre dans six semaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. S'il pouvait survoler l'Assemblée nationale, ce serait encore mieux !

SITUATION AU TOGO

M. le président. La parole est à M. Serge Janquin, pour le groupe socialiste.

M. Serge Janquin. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères.

Le dimanche 24 avril, les Togolaises et les Togolais ont voté pour élire leur président de la République. Ces élections, loin d'apaiser les esprits après des années de dictature, ont prolongé et dramatiquement aggravé les frustrations démocratiques. Manipulation des listes électorales, urnes volées par les militaires, tirs à balles réelles de la police sur des opposants, réfugiés fuyant par milliers au Bénin, incendie du centre culturel allemand, menaces sur les résidents français... La transition espérée tourne au fiasco.

Les autorités de fait, photographiées et filmées une main dans l'urne et l'autre sur la gâchette du fusil, ont fermé le Togo à la presse indépendante ; les médias privés togolais ont été interdits de reportage ; l'envoyé spécial du Figaro a été refoulé ; les émissions de RFI ont été suspendues. Le chef de l'État autoproclamé, fils du président défunt, court d'une capitale africaine à l'autre en quête de reconnaissance, à défaut de celle de ses compatriotes. Il a obtenu au passage celle de la France. Votre commentaire, monsieur le ministre, qualifiant les élections du 24 avril de « globalement satisfaisantes », était pour le moins déplacé.

Permettez aux députés socialistes de vous le dire avec gravité : reprenez-vous tant qu'il en est encore temps. Votre fausse non-ingérence égare dangereusement la France de la démocratie et des libertés ; elle compromet la sécurité de nos concitoyens au Togo ; elle risque, après la confirmation constitutionnelle du résultat électoral, attendue dans la journée, d'embraser des foyers de guerre civile alimentés par les exactions militaires. Votre non-ingérence, qui ne trompe personne, perturbe les amis de la France, en Afrique comme en Europe. Hier, la Côte d'Ivoire en a souffert ; aujourd'hui, c'est le Togo. Que nous réserve l'avenir ? Heureusement, la diplomatie de l'Afrique du Sud a pris, en Côte d'Ivoire, le relais d'une France défaillante. Faites en sorte, monsieur le ministre, que la France ne soit pas à nouveau obligée de déléguer à d'autres le soin de défendre les valeurs de la démocratie, du droit, du respect du choix des électeurs.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. La question !

M. Serge Janquin. Reprenez-vous, monsieur le ministre ! Revenez sur votre déclaration, et engagez la France dans une médiation internationale, pour apporter toute la lumière sur le scrutin et faire oublier le faux pas togolais. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie.

M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Je vous prie d'abord d'excuser, monsieur le député, l'absence de Michel Barnier, retenu au Sénat.

Les élections du 24 avril se sont déroulées, comme vous le savez, grâce à la médiation et sous l'égide de l'organisation régionale africaine, la CEDEAO, et en accord avec l'Union africaine. Je rappelle par ailleurs que l'expression, que vous avez évoquée, de « conditions globalement satisfaisantes » a été utilisée par ces institutions, donc par les Africains eux-mêmes, et qu'en l'occurrence la France ne faisait que prendre acte de leurs déclarations. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

J'ajoute que les résultats, pour l'instant provisoires, ont été transmis à la Cour constitutionnelle qui va les proclamer dans les prochaines heures, une fois examiné le recours introduit par M. Akitani-Bob.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ils sont déjà proclamés ! Sauvez les Togolais, monsieur le ministre !

M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. De fait, l'annonce des résultats provisoires, au début de la semaine dernière, a provoqué des violences, qui ont non seulement visé des Français, mais aussi des Libanais et des Chinois. Elles ont surtout provoqué le décès, dans des conditions épouvantables, de huit Maliens et d'un Nigérien.

Que se passe-t-il aujourd'hui sur le terrain ? En liaison avec la CEDEAO et l'Union africaine, tout le monde appelle bien évidemment au respect des résultats officiels tels qu'ils seront proclamés, au dialogue politique et à la constitution d'un gouvernement d'union nationale - dont le principe, je le signale, est désormais accepté par l'opposition modérée. La France reste donc attentive. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

En ce qui concerne les interdictions opposées à certains ressortissants ou les difficultés qui ont pu leur être faites, elles étaient de nature à protéger leur vie, monsieur le député. J'estime donc, en l'occurrence, que la France a bien fait de les approuver.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Même s'agissant des militants des droits de l'homme ?

M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. M. Barnier l'a affirmé à juste titre : nous ne nous ingérons pas dans la vie politique togolaise. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Il appartient aux responsables politiques togolais, en liaison avec les institutions africaines, très investies dans ce dossier, et grâce à leur médiation, de prendre les décisions politiques qui engagent leur avenir. Nous soutenons donc les positions prises par les organisations africaines : elles permettront de ramener le calme et de reprendre le chemin du dialogue politique, seul à même de permettre la réconciliation nationale. J'estime que les propos de nature à jeter de l'huile sur le feu sont ici déplacés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

CRISE VITICOLE

M. le président. La parole est à M. Philippe Dubourg, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Philippe Dubourg. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité.

Monsieur le ministre, la filière viticole traverse depuis plusieurs années une crise profonde. Comme votre prédécesseur, vous suivez avec attention, nous le savons, l'évolution de la santé économique de la viticulture française et la situation des exploitants de ce secteur. Dans ce sens, vous avez reçu, le 31 janvier, après une première rencontre le 14 décembre 2004, les représentants de la filière, pour leur annoncer une série de mesures de soutien et plusieurs dispositifs destinés à apporter un soutien aux exploitations fragilisées.

Par ailleurs, pour favoriser l'élimination des volumes qui pèsent sur le marché, vous avez sollicité le 16 février un prix majoré, compte tenu du poids des appellations d'origine contrôlée dans ces excédents.

Monsieur le ministre, pouvez-vous aujourd'hui nous dresser un état de la mise en œuvre de votre plan d'aide à la filière viticole, et nous indiquer le montant global afférent ? De plus, pouvez-vous nous dire si la Commission européenne a autorisé l'ouverture, pour toute la France, d'une distillation de crise ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité.

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. Monsieur le député, vous avez, hélas ! raison de le rappeler : certains vignobles de notre pays sont en crise. C'est pourquoi nous avons annoncé un premier volet de mesures. Nous avons ensuite discuté vignoble par vignoble, en Saône-et-Loire, dans le Bordelais, dans le Languedoc-Roussillon et dans d'autres régions encore...

M. Michel Roumegoux. Cahors !

M. Maurice Leroy. Le Loir-et-Cher !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. Je ne peux les citer toutes, tant les terroirs sont nombreux dans notre pays. Heureusement, monsieur Leroy, ils ne sont pas tous en difficulté.

Ce dialogue nous a conduits à juger insuffisants les moyens du premier plan. Le Premier ministre m'a donc autorisé à en doubler le montant : ainsi, 25 millions d'aides directes et 71 millions de prêts de consolidation sont aujourd'hui débloqués. Avec Nicolas Forissier, nous mettons également en place un dispositif important ciblé sur l'exportation. Nous avons bien vu, en effet, en particulier lors du déplacement du Premier ministre en Chine, qu'un gros effort est nécessaire pour mieux faire connaître notre vin dans les grands pays potentiellement consommateurs.

J'ai également demandé à M. Breton si des mesures d'aménagement de certaines dettes fiscales pourraient être prises pour les exploitations en difficulté. Enfin, nous avons appris une très bonne nouvelle en provenance de l'Europe. Nous avions en effet demandé une distillation de crise. Celle-ci a été ouverte pour 1,5 million d'hectolitres, à un prix, de 3,35 euros par degré et par hectolitre, que la France n'avait jamais obtenu jusqu'à présent. Cela va nous permettre d'évacuer du marché une série de vins, y compris d'AOC et, je l'espère, de faire en sorte que notre viticulture reparte sur des bases saines. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

COOPÉRATION DOUANIÈRE EUROPÉENNE

M. le président. La parole est à M. Patrick Delnatte, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Patrick Delnatte. Monsieur le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, vous avez présenté, début janvier, les résultats des services douaniers pour l'année 2004. Ces bons résultats démontrent, s'il en était besoin, la grande implication du Gouvernement et la forte mobilisation des 20 000 agents des douanes pour lutter contre toutes les formes de trafic.

Élu d'une circonscription frontalière, je constate la réalité du travail des douanes et de l'importance des saisies. Au premier trimestre 2005, ce sont 12 tonnes de cigarettes et 400 kilos de cannabis qui ont été saisis dans le Nord-Pas-de-Calais, une région qui doit faire face non seulement à du grand trafic de transit, mais aussi à la diffusion de petits trafics qui conduisent à développer la toxicomanie.

Ces résultats traduisent également l'efficacité de la coopération douanière avec nos voisins européens, tant en termes d'échanges d'information que de collaboration opérationnelle. L'espace européen peut être le garant de la sécurité de nos concitoyens face aux divers trafics. Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer quel est aujourd'hui le niveau de la coopération douanière de la France avec ses voisins européens, et en particulier avec ses partenaires frontaliers ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, je voudrais d'abord saluer une remarquable opération accomplie par nos douaniers la semaine dernière. Ils ont en effet saisi 37 tonnes de cigarettes de contrebande. C'est la plus grosse prise de toute notre histoire, et c'est la démonstration que nous avons des douaniers remarquablement efficaces. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Les fraudes de toute nature, les contrebandes et les trafics se développent, et c'est aussi pour cette raison que nous avons besoin d'Europe. On l'a vu avec les prises réalisées, l'année dernière, avec nos amis belges en matière de contrebande de cigarettes - neuf tonnes -, ou avec nos amis espagnols - 2,5 tonnes de cannabis saisies.

Cela signifie que nous avons trouvé un bon équilibre, et la constitution européenne, si elle est adoptée, va renforcer encore notre efficacité. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur certains bancs du groupe socialiste.) D'un côté, en effet, les États conservent une compétence dans le domaine douanier, et contribuent à la coopération ; de l'autre - et Dieu sait si cela était attendu -, des outils tels que Europol et Eurojust sont renforcés. C'est cela que les Français attendent : l'efficacité de la lutte contre tous les trafics. De ce point de vue, c'est vrai, la dimension européenne est absolument essentielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur certains bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance 

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Jean Le Garrec.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC,

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

    2

RÉGULATION DES ACTIVITÉS POSTALES

Explications de vote et vote par scrutin public sur l'ensemble d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi relatif à la régulation des activités postales (nos 2157, 2229).

La parole est à M. Jacques Bobe, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Jacques Bobe. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, monsieur le rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, mes chers collègues, la seconde lecture à l'Assemblée nationale de ce projet de loi s'est inscrite dans la logique des évolutions intervenues lors des différentes lectures depuis janvier 2003. Ce texte, totalement centré à l'origine sur la transposition des deux directives postales de 1997 et 2002, est devenu aussi, peu à peu, un instrument du rééquilibrage de la situation de La Poste face au contexte de concurrence auquel elle doit faire face.

Deux éléments symbolisent cet effort de mise en place des instruments juridiques devant servir au rétablissement de la situation de La Poste : l'extension de la gamme des services financiers à travers la mise en place d'une filiale ayant le statut d'établissement de crédit et la fin de l'exclusion du bénéfice des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires.

Mais il convenait également de clarifier les modalités de la présence postale. L'article 1er bis, créé en première lecture par notre assemblée, introduit, d'une part, une norme minimale d'accessibilité afin de maintenir les 17 000 implantations de La Poste et institue, d'autre part, un « fonds postal national de péréquation territoriale » destiné à financer la participation de La Poste à l'aménagement du territoire.

La seconde lecture a introduit explicitement la contrainte d'un maillage des points de contact au niveau départemental tenant compte en particulier des spécificités des zones de montagne. Les premières simulations effectuées par La Poste sur la base du critère de maillage retenu - 90 % de la population à moins de cinq kilomètres d'un point de contact - permettent d'ores et déjà d'envisager des réaménagements dans douze départements au moins se traduisant par la création de nouveaux points de contact.

Notre assemblée s'est également résolument engagée à ce que la mise en place du « fonds postal national de péréquation territoriale » s'opère en liaison avec les collectivités territoriales au travers d'un contrat tripartite avec leurs principales associations représentatives. Ce fonds aura principalement pour rôle de répartir les 150 millions d'euros correspondant à l'abattement dont bénéficie La Poste sur les taxes locales, au service de la mise en place de nouveaux « points Poste » et agences postales communales. Les ressources du fonds provenant notamment de l'abattement, d'autres contributions de l'État ou des collectivités territoriales seront recevables.

Ainsi, le dispositif est beaucoup plus lisible en raison d'un maillage raisonnable et ciblé ; les moyens disponibles sont plus clairs et nous avons la certitude que l'aide publique accordée sera utilisée de la manière la plus efficace.

Par ailleurs, l'Association des maires de France et La Poste ont signé, le 28 avril dernier, un protocole d'accord relatif à l'organisation d'agences postales communales et intercommunales permettant d'offrir 95 % des services d'un bureau de poste et de maintenir une présence postale forte dès lors que les collectivités territoriales considérées voudront s'engager dans ce processus.

Le rééquilibrage de la situation de La Poste par rapport à son contexte concurrentiel est également assuré par des dispositions uniformisant les conditions d'activité des opérateurs postaux avec la mise en place, et c'est nouveau, d'un régime de responsabilité.

La Poste avait d'elle-même ressenti le besoin d'évoluer dans ce domaine en offrant à ses clients professionnels des dispositifs de responsabilité contractuelle et des possibilités de remboursement en cas de performance insuffisante par rapport à l'engagement sur la qualité de service.

Notre assemblée a mis en place, dès la première lecture, un régime de responsabilité complet traitant à égalité tous les opérateurs que le Sénat a appuyé directement sur le code civil. Il s'agit d'une réelle avancée à l'avantage de tous : un régime simple et transparent de responsabilité, comme y invite la directive de 1997, permettant de retrouver la confiance du consommateur.

En seconde lecture, une dimension nouvelle a été prise en compte, car il est apparu nécessaire de circonscrire le champ d'application du nouveau régime juridique postal par rapport à deux types d'opérateurs : les opérateurs de prestations «express » et les porteurs de presse. Par l'introduction du critère de la distribution « dans le cadre de tournées régulières », nous avons exclu de ce régime juridique les opérateurs de prestations « express », levant ainsi pour eux tout risque d'insécurité juridique. Quant aux porteurs de presse, la question s'est posée de les autoriser à bénéficier du privilège d'accès aux boîtes aux lettres institué par le projet de loi. En milieu urbain, l'accès aux boîtes aux lettres est de plus en plus problématique. En effet, malgré la directive de 1997 établissant un « droit au service universel postal », il n'existe pas, aujourd'hui, de droit au courrier à domicile. Les prestataires du service universel et les prestataires autorisés pourront désormais accéder aux boîtes aux lettres des destinataires d'envois postaux, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'État. Obligation est également faite aux propriétaires de donner accès aux boîtes aux lettres particulières afin de rétablir une certaine égalité concurrentielle entre les différents opérateurs. Considérés aussi comme des opérateurs d'envois postaux lorsqu'ils distribuent des journaux portant l'adresse du destinataire, les porteurs de presse auront maintenant droit au privilège d'accès aux boîtes, sous réserve d'obtenir l'autorisation prévue pour les opérateurs de courrier.

En conclusion, ce projet de loi assure une transposition des deux directives de 1997 et 2002 en prévoyant toutes les dispositions nécessaires à un fonctionnement amélioré du secteur postal permettant une concurrence la plus équilibrée possible et préservant pour La Poste des missions de service public, mais dans des conditions mieux définies, tout particulièrement en ce qui concerne sa participation à l'aménagement du territoire.

Notre groupe apporte donc un soutien sans réserve à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour le groupe socialiste.

M. François Brottes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1962, Roberto Farias, réalisateur brésilien, faisait entrer dans la légende "l'attaque du train postal", qui a depuis inspiré bon nombre de scénaristes auxquels Belmondo et Bourvil ont prêté main-forte. Monsieur Copé, si votre collègue, ministre délégué à l'industrie - à nos côtés pendant ces débats et visiblement excusé aujourd'hui - avait souhaité entrer dans la légende, il ne s'y serait pas pris autrement. Il y a, en effet, désormais, une nouvelle version de « l'attaque du train postal ». Scénariste : Jean-Pierre Raffarin. Réalisateur : Patrick Devedjian. Dialoguistes : les parlementaires UMP ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Marc Nudant. Vous avez oublié Jospin !

M. Jean Proriol, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Qui a signé la directive ?

M. François Brottes. Malheureusement, ce n'est ni une comédie ni une histoire à suspens !

Nous venons de vivre une sorte de scénario catastrophe pour La Poste, les postiers et le service public postal, orchestré par mon collègue Proriol.

La majorité, au fil des débats sur ce texte relatif à la régulation des activités postales, a planté l'une après l'autre, avec précision et minutie, toutes les « banderilles », permettant de fragiliser La Poste et le service public postal, en allant le plus souvent bien au-delà de l'esprit et de la lettre des directives européennes qui encadrent ce secteur.

M. Jean Proriol, rapporteur de la commission des affaires économiques. C'est faux !

M. François Brottes. Il est vrai qu'à l'origine, l'histoire est banale, presque anodine : transposer dans notre droit la partie de la directive concernant l'organisation de la régulation du secteur postal. Il convenait simplement d'instaurer une autorité de régulation dédiée, d'énoncer les modalités d'accès au marché pour les concurrents de La Poste, enfin de préciser les garanties d'une bonne exécution du service public postal. Mais, vous ne vous en êtes pas tenu à cette feuille de route. Vous avez, en effet, présenté au Conseil d'État un projet de loi dépourvu des questions qui fâchent, par exemple celle de la banque postale, qui est arrivée nuitamment au Sénat par voix d'amendement, comme pour laisser croire que le Gouvernement n'y avait pas pensé avant !

Certes, vous avez autorisé La Poste à augmenter le prix du timbre et à engager une forte réduction du nombre de bureaux de poste sur le territoire... À chacun sa conception du service public !

Certes vous avez assigné au président de La Poste l'objectif d'être le meilleur opérateur postal européen en 2010, tout en lui reprochant de ne pas dégager assez de marge nette par rapport à ses homologues européens. Mais cela ne vous empêche pas de lui faire supporter sur son propre budget des charges de retraites bien supérieures à celles de ses concurrents, un soutien à la diffusion de la presse que La Poste autofinance à hauteur de 415 millions d'euros et, maintenant, un fond, dit de péréquation, à hauteur de 150 millions d'euros, qui constitue pour elle une dépense nouvelle.

Monsieur le ministre, le Gouvernement demande à La Poste de courir le cent mètres plus vite que ses concurrents en lui attachant des boulets aux pieds... À chacun sa conception des entreprises publiques !
Justement, sur ce point ne nous y trompons pas : dans votre stratégie, tout est fait pour démontrer dans quelque temps qu'il est difficile pour La Poste de s'en sortir, argument classique pour annoncer une décision de privatisation qui alors, selon vous, s'imposera.

Car, dans ce dossier votre hypocrisie est totale et votre cynisme imbattable ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Marc Nudant. N'exagérez pas !

M. François Brottes. Vous annoncez l'ouverture totale de l'offre des services financiers proposés par La Poste pour qu'elle ne perde pas, par exemple, ses jeunes clients qui aujourd'hui ne peuvent pas contracter de prêts à la consommation.

Mais en fait, dans le contrat de Plan que vous avez signé avec La Poste, vous ne l'autorisez pas à proposer cette offre. C'est donc bien un faux-semblant.

Au prétexte de ne pas vouloir faire de La Poste la « banque des pauvres », vous avez refusé nos amendements qui visaient à lui assigner, par le biais d'un établissement financier détenu à 100 % par elle, une mission qu'elle remplit déjà en matière de service universel bancaire. Vous voulez en faire une banque banale, comme les autres. Demain, ce sera inéluctablement la banalisation du livret A et l'application d'une stricte rentabilité au guichet, ce qui ne manquera pas d'aggraver les phénomènes d'exclusion.

Vous n'imposez aucune contrepartie aux concurrents de La Poste, qui pourront désormais, en toute sérénité, faire ce qu'on appelle de l'écrémage, c'est-à-dire prendre tous les marchés rentables et laisser ce qui coûte cher, sans rapporter beaucoup, à la seule charge de La Poste. Vous n'imposez pas non plus une contrepartie de couverture du territoire, ni de cautionnement de la garantie de bonne fin de la prestation rendue aux clients, ni encore l'abondement d'un fonds de compensation des missions de service public accomplies par La Poste. Cela constitue l'aveu d'un abandon progressif de ces missions de service public.

En revanche, les concurrents pourront tranquillement « picorer », même à l'intérieur du secteur réservé à La Poste. J'en veux pour preuve l'accès banalisé aux digicodes permettant d'accéder aux boîtes aux lettres, au prétexte de faciliter la distribution de la presse, la possibilité pour n'importe quel opérateur d'assurer le service des envois en recommandé, ou encore cette disposition dite « d'autoprestation » qui permettra à toute entreprise ou organisme d'être son propre opérateur postal.

Ce sont quelques gros clients qui font le chiffre d'affaires courrier de La Poste. Combien en restera-t-il demain ? La Poste, EDF, la SNCF, France Télécom : le discours d'instrumentalisation de l'Europe est-il vérité ou mascarade ? Il s'agit bien là de votre choix politique libéral avec cette certitude que le marché fera mieux que le service public. D'ailleurs, au cours de ce débat, vous-mêmes et certains députés de l'UMP ont pris un malin plaisir à dénigrer le service rendu par La Poste. Je reconnais bien là au moins quelques accents de sincérité de M. Devedjian, en le renvoyant aux propos qu'il a tenus lors de l'examen de la question des lettres recommandées. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Gérard Léonard. C'est faux !

M. François Brottes. Je ne pourrai conclure mon propos sans dénoncer le rideau de fumée que ce Gouvernement a utilisé pour traiter la question de l'aménagement du territoire et de l'égalité d'accès de tous nos concitoyens au service public postal.

Vous avez décidé d'inscrire dans la loi que 10 % au moins de la population de chaque département pourra être exclue de la proximité d'un bureau de poste, sachant que les autres ne pourront être éloignés de plus de cinq kilomètres à vol d'oiseau, ce qui peut représenter vingt kilomètres de trajet en zone de montagne. Vous avez refusé de vous engager à défendre, au niveau européen, la pérennité d'un secteur réservé à La Poste. Vous avez refusé de garantir le prix unique du timbre par type de produit, sur tout le territoire.

M. Michel Vergnier. Eh oui !

M. François Brottes. Vous avez refusé de garantir la distribution du courrier au domicile de chacun. Les boîtes aux lettres seront-elles regroupées demain au niveau des chefs-lieux de canton ? Quelle en sera la conséquence pour ceux qui attendent chaque jour comme un nouvel espoir le passage du facteur ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Marc Roubaud. C'est mesquin !

M. François Brottes. Vous n'avez donné aucune garantie sur la pérennité du fond de péréquation. Vous avez refusé de consacrer la neutralité et la confidentialité de toutes les personnes fournissant le service postal, notamment dans vos fameux points Poste.

M. le président. Monsieur Brottes, il faut conclure !

M. François Brottes. Je termine, monsieur le président.

Vous n'avez apporté aucune précision sur la responsabilité des maires qui géreront le personnel des agences postales communales dans un nouveau contexte de concurrence entre opérateurs financiers et postaux.

En conclusion, au cours de nos débats ce sont bien deux conceptions opposées des missions de service public qui se sont exprimées. Bien sûr, tout cela est très technique et les conséquences de vos choix ne se feront sentir que petit à petit, alors même que vous aurez veillé à ce que chacun ait oublié que ce sont bien les dispositions de ce texte qui auront multiplié les fermetures de bureaux de poste, la suppression massive d'emplois, l'augmentation du prix du timbre avec des différences de tarif entre les zones rurales et la ville, ou encore favorisé la consécration de la seule logique de rentabilité auprès des clients les plus en difficulté.

Votre « attaque du train postal » est parfaitement réussie. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Mais parce que nous ne pouvons accepter que l'avenir du service public postal soit rangé au rayon des faits divers, le groupe socialiste votera contre votre projet et continuera à en dénoncer les méfaits déjà visibles et tous ceux qui ne sont pas encore perceptibles et qui demain seront douloureux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Avant de donner la parole à l'orateur suivant, je vais, d'ores et déjà, faire annoncer le scrutin.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. Brottes a fait preuve d'une grande culture cinématographique. Pour notre part, pour reprendre une formule célèbre, nous dirons que tout ce qui est excessif est insignifiant. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Après deux lectures dans chacune de nos assemblées, nous voici arrivés au terme de l'examen de ce texte, en attendant bien sûr la réunion de la commission mixte paritaire.

Au-delà du débat et des interrogations chargées, parfois, de bien d'hypocrisies sur la fermeture des bureaux de poste, notamment en zones rurales, il était urgent de procéder à une réorganisation et à une modernisation de La Poste, à l'heure de l'ouverture aux opportunités mais aussi, il faut bien le dire, aux risques du marché intérieur européen.

Cette exigence nous est dictée par la transposition d'une directive, cheminement de la construction européenne à laquelle nous souscrivons pleinement. À l'UDF, nous sommes des Européens pragmatiques, et nous souhaitons simplement combler notre retard en matière de transpositions

Cette loi de modernisation était devenue indispensable. L'Europe et les entreprises postales allemandes, hollandaises, anglaises, nous ont montré la voie à suivre. Elles ont su être un véritable moteur pour nous. Trop d'emplois - 300 000, dont 1 400 dans mon département - sont en jeu pour que nous fassions l'économie d'une telle modernisation.

L'ouverture à la concurrence permettra aussi d'offrir à nos concitoyens des services de qualité. Cette loi est donc moderne, notamment au travers du développement du réseau mais aussi des perspectives de développement de l'établissement bancaire.

Ce texte a permis également de définir la présence territoriale de La Poste. Le groupe UDF a insisté particulièrement sur ce point au cours du débat, tant il nous semble être au cœur de ce texte.

L'instauration d'un fonds national de péréquation répond à nos questions quant à l'évolution territoriale de la présence postale. Cet enjeu majeur du fonds de péréquation a fait l'objet de nombreuses discussions et l'UDF se félicite de constater que le travail parlementaire a fait avancer le débat sur ce point.

Des interrogations subsistaient, notamment après la deuxième lecture au Sénat. Nous avions notamment soulevé la question fondamentale de la gestion de ce compte, qui ne devait et ne pouvait être effectuée par La Poste seule. Nous l'avons répété à de nombreuses reprises : le fonds doit être exclusivement réservé au financement des agences postales communales et des points Poste. Il ne doit pas servir à la modernisation du réseau qui restera à l'entreprise postale. Nous avons donc déposé un amendement visant à inscrire le fonds de péréquation dans un compte spécifique de La Poste, qui en assure la gestion comptable et financière. En adoptant cet amendement, l'Assemblée nationale a permis de lever toute ambiguïté quant à l'utilisation de ce fonds.

En outre, nous avons constaté avec satisfaction que la gouvernance tripartite État-Poste-collectivités avait été rétablie par le rapporteur Jean Proriol. Ceci constitue une bonne orientation tant cette convention nous semble être la garantie d'une meilleure efficacité.

De même, le groupe UDF s'est réjoui de l'inscription de l'intercommunalité au titre de la majoration promise dans le fonds de péréquation. L'intercommunalité est maintenant une réalité territoriale. Il aurait été regrettable de ne pas utiliser ses élus, ses structures pour définir au plus près du terrain la future présence territoriale.

Cette deuxième lecture aura donc été l'occasion d'affiner et d'améliorer le dispositif mis en place.

Le groupe UDF se félicite que soit résolue la question liée aux porteurs de presse. En leur permettant d'accéder aux boîtes aux lettres qui sont de plus en plus protégées, nous contribuons à pérenniser des emplois et surtout à garantir la continuité de l'information. Cette mesure permettra d'asseoir durablement le portage à domicile qui représente désormais plus d'un tiers de la diffusion de la presse.

En conclusion, nous souhaiterions insister une dernière fois sur la modernisation dont la Poste a besoin. Inscrire cette évolution dans une organisation territoriale d'avenir, l'intercommunalité, n'oublier aucun de nos territoires, ni rural, ni quartier en difficulté : voilà la direction dans laquelle le groupe UDF souhaitait s'engager. Nous approuvons les transformations liées à la présence postale et le groupe UDF s'est réjoui d'avoir été entendu sur ces amendements. À La Poste, à l'État aux collectivités territoriales de faire vivre cette modernisation dans l'esprit du législateur. Nous serons vigilants quant à l'application de ce texte car la vérité viendra du terrain. Nous saurons lire les résultats concrets de la loi sur la réalité du service public offert à nos citoyens, mais le cadre législatif obtenu est sain. Voilà pourquoi le groupe UDF votera ce texte, tel qu'il résulte de la deuxième lecture à l'Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Daniel Paul. Monsieur le ministre, après l'ouverture à la concurrence et l'ouverture du capital de France Télécom, la libéralisation progressive des transports, la libéralisation des secteurs énergétiques, l'installation du dumping social dans le domaine maritime avec le RIF, vous procédez au démantèlement de la Poste, pilier du service public.

Cette évolution est au cœur de la construction européenne. Prétendre que le projet de Constitution conforterait les services publics alors que leur mise en concurrence, la séparation de leurs activités et leur démantèlement sont à l'ordre du jour, relève de la mystification.

Mais La Poste n'est pas un service public comme les autres. Elle est constitutive de l'organisation de nos territoires, ce qui ne vous empêche pas de réduire son maillage. Elle touche à la vie quotidienne de nos concitoyens, mais vous décidez de remettre en cause leur égalité devant le service postal. Les réactions à vos projets demeurent vives et l'actualité référendaire vous a poussés, Premier ministre en tête, à surenchérir dans les promesses, pour tenter de calmer les inquiétudes et les colères. Le 29 mai valait bien cela !

Votre texte entérine la séparation des différentes branches d'activité de l'opérateur postal et réduit le secteur réservé. Vous ajoutez votre touche personnelle avec la filialisation et l'ouverture au privé des activités financières. Certes, vous nous promettez que La Poste y restera majoritaire, mais que vaut une telle promesse si le projet de Constitution européenne est adopté ? L'évolution de France Télécom est à ce sujet éloquente.

À terme, c'est l'étranglement de l'entreprise, car vous privez La Poste de rentrées financières conséquentes, auxquelles s'ajouteront la fuite de clients industriels qui représentaient une part non négligeable de son chiffre d'affaires courrier et la mise en péril de l'activité de certains petits bureaux où les opérations financières constituaient l'essentiel de l'activité.

Nous vous aurons pourtant mis en garde. Nous nous sommes appuyés sur les évolutions en cours à La Poste, mais aussi sur les résultats de nos voisins européens qui ont déjà livré ce secteur à la concurrence. Ainsi, en Suède le prix du timbre a doublé en dix ans, le nombre de bureaux de poste a été divisé par cinq et l'entreprise a réduit de moitié le nombre de ses salariés. Usagers et employés sont les grands perdants de ces changements économiques, les mêmes que vous voulez nous imposer ici.

Mais La Poste force déjà son chemin, comme en témoignent la hausse du prix du timbre, les fermetures de bureaux de plein exercice en zone rurale et urbaine, l'arrêt de l'embauche de fonctionnaires, la réduction de la masse salariale.

La presse économique se félicite d'ailleurs de la hausse de 85 % du bénéfice net de La Poste en 2004, mais en ajoutant qu'il faut encore faire plus pour concurrencer les Allemands et les Néerlandais, ce qui signifie encore plus de productivité, avec moins de postiers et plus de contribution des collectivités locales.

Devant ces évolutions à haut risque et parce que des enseignements sont à tirer des expériences déjà anciennes de nos voisins, nous n'avons cessé de vous demander qu'un bilan soit dressé avant d'engager La Poste sur le même chemin. Rien n'y a fait. Au prétexte d'une vague promesse d'un vague bilan européen à venir, vous avez refusé que notre Assemblée se fasse sa propre opinion, ce qui en dit long sur l'autonomie, que vous revendiquez pour notre pays, face aux instances européennes.

D'ores et déjà, dans de nombreux quartiers urbains les postiers doivent réaliser des tournées plus longues qu'auparavant. Le fameux rééquilibrage du réseau que vous avez fait miroiter n'est en fait qu'un mensonge pour mieux faire passer la pilule amère que vous administrez aux zones rurales.

D'une part, le principe d'égalité de traitement entre les usagers exigerait que La Poste ne structure pas son réseau en s'appuyant sur de simples règles de rentabilité économique ; d'autre part, les populations urbaines ne tirent aucun bénéfice de la « restructuration du réseau » que vous avalisez dans ce projet de loi. Malheureusement, il est difficile de compter sur le fonds de compensation du service universel, dont le financement est aléatoire, pour que La Poste puisse continuer à assurer toutes ces missions de service public, que vous déclarez pudiquement vouloir « sauvegarder », avouant vous-même ainsi qu'elles sont largement menacées par l'ouverture à la concurrence.

Vous avez même accepté que les correspondances administratives et judiciaires soient dorénavant acheminées par le privé. Il s'agit là d'un véritable scandale, qui prouve, s'il en était besoin, que vous êtes prêt à aller au-delà des exigences libérales européennes.

Les services financiers constituaient un service de proximité, ouvert à toute personne désireuse d'ouvrir un compte, alimentant en particulier le logement social. Quand on sait que le contrat de plan en vigueur, jalon complémentaire de votre texte, autorise déjà La Poste à faire passer dans leur totalité les fonds CCP du Trésor à Efiposte, avec une gestion privée et boursière - sans d'ailleurs demander aux clients ce qu'ils en pensent - on peut craindre que ces missions fondamentales, qui ne sont bien sûr pas à même de garantir aux actionnaires une rentabilité juteuse, ne soient remises en question.

On le comprend, les raisons du mécontentement sont nombreuses. Vous les ignorez et confiez l'arbitrage du secteur postal à une « agence de régulation », qui ne se distingue pas par sa représentativité ! Elle ne portera ni la voix des usagers, ni celle des salariés, et ne relèvera pas davantage du Parlement. Vous qui pestez contre les dérives d'un secteur public et traitez ses salariés de nantis, (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) vous organisez la dérive vers une agence dont l'objectif sera d'organiser la concurrence « libre et non faussée » au détriment de La Poste ! Autant dire qu'elle sera à l'écoute des concurrents. Nous voterons évidemment contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix l'ensemble du projet de loi.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

                    Nombre de votants 506

                    Nombre de suffrages exprimés 506

                    Majorité absolue 254

        Pour l'adoption 349

        Contre 157

L'Assemblée nationale a adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j'adresse les remerciements du Gouvernement aux membres de la majorité comme à ceux de l'opposition. Les deux lectures de ce texte ont été l'occasion de rappeler que cette réforme était une réforme de grande ampleur, dont le principal objet est de pérenniser un service postal moderne et adapté aux contraintes de demain. Compte tenu des grands enjeux que doit relever notre pays, cela constitue évidemment une décision majeure.

Je voudrais saluer plus particulièrement le président de la commission, M. Ollier, ainsi que M. le rapporteur, M. Proriol. J'ai le sentiment que le travail de la commission mixte paritaire permettra de trouver le compromis équilibré qui s'impose sur ce texte essentiel à la modernisation du service postal dans notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures.)

M. le président. La séance est reprise.

    3

LOIS DE FINANCEMENT
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Discussion d'un projet de loi organique
adopté par le Sénat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par le Sénat, relatif aux lois de financement de la sécurité sociale (nos 2216, 2246).

La parole est à M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie.

M. Xavier Bertrand, secrétaire d'État à l'assurance maladie. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, madame et messieurs les députés, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

M. Claude Évin. Il s'intéresse encore à la sécurité sociale ?

M. Jean-Marie Le Guen. Ce ne sont que des questions d'argent, voyons !

M. le président. Monsieur Évin, monsieur Le Guen, je vous en prie !

M. Céleste Lett. Ne commencez pas !

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. Je voudrais vous dire combien je suis heureux de présenter aujourd'hui une nouvelle réforme majeure concernant la sécurité sociale, troisième réforme du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin en matière sociale, après celle des retraites, en 2003, et celle de l'assurance maladie en 2004.

2005 sera l'année qui verra adopter une loi organique donnant naissance à une nouvelle génération de lois de financement de la sécurité sociale, et 2006 celle de sa première application. Ces trois lois constituent un ensemble cohérent et complémentaire de réformes. Les lois relatives à la retraite et à l'assurance maladie ont modifié profondément les règles de fond et, pour l'assurance maladie, les règles de gouvernance qui touchent les deux branches majeures de la sécurité sociale.

Le projet de loi organique qui vous est soumis aujourd'hui s'attache à réformer et à renforcer sensiblement le pilotage de l'ensemble d'une politique publique essentielle : celle qui est menée en matière de sécurité sociale. Ce projet de loi a été longuement mûri. Il est le fruit d'une réflexion conduite sur la base d'une analyse de près d'une décennie d'application de la loi organique du 22 juillet 1996 voulue par Alain Juppé, alors Premier ministre.

Cette réflexion n'est d'ailleurs pas le seul fait du Gouvernement. Au contraire, elle a d'abord été conduite par le Parlement et le Gouvernement a bénéficié du travail et des analyses des parlementaires sur ce sujet. À ce titre, je voudrais souligner ici l'apport des propositions de loi de votre ancien collègue, M. Jean-Pierre Delalande, comme celles d'un ancien sénateur, M. Charles Descours, qui ont tous deux souligné dès 2001 les atouts et les faiblesses des lois de financement actuelles, ainsi que l'opportunité et les moyens de les améliorer. Je tenais aussi à saluer la contribution beaucoup plus récente du vice-président Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances.

Je voudrais également souligner l'importance des réflexions et des critiques constructives émises chaque année par les rapporteurs désignés par les commissions compétentes des deux assemblées - je pense, naturellement, à la commission des affaires sociales et à son président, M. Jean-Michel Dubernard.

M. Maxime Gremetz. Et nous, alors ?

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. Je me suis contenté de citer le président de la commission, monsieur le député !

Dans le cadre de la préparation du projet de loi organique, qu'il me soit enfin permis de saluer le travail accompli par MM. Jean-Luc Warsmann, rapporteur pour avis de la commission des lois, Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances,...

M. Maxime Gremetz et M. Claude Évin. Encore !

M. Jean-Marie Le Guen. Fayot ! (Sourires.)

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. ...et Jean Bardet, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.

Le Gouvernement s'est appuyé sur ces analyses et je ne doute pas que, dans le cours de notre débat, il continuera de bénéficier de vos apports afin d'améliorer le contenu d'un texte-clé pour la conduite de la politique de sécurité sociale. Le Sénat a déjà enrichi le projet du Gouvernement, comme j'aurai l'occasion de le noter au cours de la présentation des principaux axes du projet que je vais vous exposer.

La réforme qui vous est présentée aujourd'hui est en effet une réforme très importante, en ce qu'elle exprime le souci profond de mieux organiser le débat démocratique et politique sur une institution essentielle de notre société : la sécurité sociale, dont nous célébrerons en octobre prochain le soixantième anniversaire.

Rappelons d'abord l'apport considérable qu'a constitué la réforme constitutionnelle de 1996, qui a introduit dans notre droit les lois de financement de la sécurité sociale. Avant cette date, le rôle du Parlement était limité et fragmentaire. Les assemblées n'avaient pas le moyen de piloter, ni même de connaître véritablement l'ensemble de la politique de sécurité sociale.

Depuis neuf ans, quelle que soit la majorité au pouvoir, le Parlement est appelé tous les ans, à l'automne, à jouer un rôle central en fixant le cadre de cette politique. Cette discussion, madame et messieurs les députés, vous permet de voter sur les priorités d'une politique dotée de plus de 350 milliards d'euros par an - d'une politique qui met donc en jeu des masses financières bien supérieures à celles du budget de l'État. Et cette discussion se fait, en dépit des craintes d'« étatisation » émises en 1996, sans que la démocratie sociale ait été remise en cause à quelque moment que ce soit.

L'association des partenaires sociaux à la gestion de la sécurité sociale est une réalité bien vivante, qui s'exprime de plusieurs manières. Elle se traduit notamment par la négociation de conventions pluriannuelles d'objectifs et de gestion, dont le contenu et la solidité des engagements réciproques ont crû avec les années.

La réforme de la loi organique se situe également dans le contexte de l'adoption, en 2001, d'une nouvelle loi organique relative aux lois de finances. Le présent projet de loi a été conçu en s'inspirant autant que possible des nouveautés introduites par cette réforme majeure.

Cependant, ce rapprochement a des limites. Les lois de financement de la sécurité sociale ne constituent pas, en effet, des lois budgétaires. L'essentiel des dépenses de la sécurité sociale - les dépenses de prestations - ne sont pas et ne sauraient, par nature, être considérées comme des dépenses susceptibles d'être encadrées dans des crédits limitatifs.

M. Jean-Marie Le Guen. Ça, c'est intéressant !

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. Nous parlons toujours d'objectifs, et non pas d'enveloppe limitative.

M. Claude Évin. Il n'y a pas longtemps que nous avons entendu le contraire !

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. Le rapprochement avec les nouvelles lois de finances est donc à rechercher ailleurs. Il consiste essentiellement en l'introduction d'une démarche adaptée d'« objectifs / résultats », qui permet de rendre compte de l'efficacité de la politique publique menée en matière de sécurité sociale et, surtout, de l'évaluer dans sa diversité - j'aurai l'occasion d'y revenir.

Neuf exercices ont donc permis de mettre en lumière les apports majeurs de la création des lois de financement en 1996.

Au premier rang de ces apports figure l'attribution de nouveaux pouvoirs au Parlement en matière de finances sociales, sans remise en cause pour autant du rôle des partenaires sociaux. Symétriquement, pour le Gouvernement, la loi de financement est devenue l'instrument essentiel de sa politique en matière de sécurité sociale.

Malgré ses réussites, force est de reconnaître que le dispositif actuel rencontre des limites, mises en lumière aussi bien par le débat parlementaire que par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ces limites affaiblissent la portée du vote du Parlement en rendant le texte insuffisamment clair, voire parfois incomplet.

Les lois de financement sont peu lisibles, tout d'abord, en raison des modalités actuelles de présentation. Aujourd'hui, le Parlement vote d'un côté les recettes par catégorie et, de l'autre, les objectifs de dépenses par branche, sans rapprochement possible entre les deux et donc sans que vous puissiez vous prononcer sur des soldes.

Elles sont peu lisibles, ensuite, en raison de l'enfermement du Parlement dans un cadre annuel trop contraignant. Or la nature spécifique des recettes et des dépenses de sécurité sociale, fortement liées à la conjoncture, milite fortement, pour une double évolution : d'une part, pour une appréciation de l'équilibre sur l'ensemble du cycle économique, et donc de manière pluriannuelle ; d'autre part, pour l'adoption de mesures de recettes et de dépenses que les experts désignent comme étant « à effet différé », c'est-à-dire qui ne s'appliquent pas nécessairement dès l'exercice directement concerné par la loi.

Les lois de financement actuelles sont peu lisibles, enfin, en raison du vote global de l'ONDAM, peu significatif dans la mesure où cet ensemble recouvre plusieurs sous-catégories - soins de ville, hôpital, secteur médico-social - dont les dynamiques et les facteurs d'évolution sont très différents les uns des autres.

Dans sa forme actuelle, la loi de financement est également incomplète, notamment parce que certains sujets pourtant étroitement liés à l'équilibre financier de la sécurité sociale sont partiellement ou totalement exclus de son champ actuel - je pense, en particulier, aux dispositions relatives aux différents fonds concourant au financement des régimes obligatoires ou gérant une partie des dépenses de sécurité sociale. Je pense encore aux dispositions relatives à l'amortissement de la dette ou à la mise en réserve de recettes au profit des régimes.

C'est à toutes ces limites qu'entend répondre le projet de loi organique qui vous est présenté aujourd'hui. Il a pour ambition de donner plus de portée, de crédibilité et de sens aux lois de financement de la sécurité sociale.

Il vise tout d'abord à leur donner plus de portée.

En premier lieu, il permettra un vrai débat sur l'équilibre de chacune des branches de la sécurité sociale - maladie, vieillesse, retraite et famille. Le vote des recettes par branches, et non plus par catégories, permettra au Parlement de se prononcer sur le solde des régimes obligatoires de base. Cela sera possible à travers le vote de tableaux d'équilibre par branche de l'ensemble des régimes obligatoires et, de manière spécifique, dans un tableau d'équilibre par branche du régime général.

En second lieu, il atteindra l'objectif fixé en instituant un vote du Parlement sur les différentes composantes de l'ONDAM.

Ainsi, grâce à cette loi organique, vous aurez la possibilité d'avoir un débat beaucoup plus clair. Cela nous permettra de savoir précisément quels sont les moyens affectés à la médecine de ville, à l'hôpital ou au secteur médico-social.

Je tiens à souligner très clairement que l'ONDAM sera déterminé conformément aux orientations dégagées par la réforme de l'assurance maladie que vous avez votée l'été dernier, à partir d'une analyse des besoins de santé et en tenant compte des propositions des trois principales caisses nationales d'assurance maladie. Dans son article 39, la loi du 13 août 2004 a introduit ce principe, qui garantit la pertinence des objectifs fixés par l'ONDAM. Ainsi, les lois de financement ne sont pas, et ne seront pas à l'avenir, des lois strictement financières : c'est bel et bien la maîtrise médicalisée qui guide notre action et notre réflexion.

La portée des lois de financement est également élargie : leur périmètre intégrera les fonds qui participent au financement de la sécurité sociale. C'est, par exemple, le cas du Fonds de solidarité vieillesse et du Fonds de financement des prestations sociales agricoles, le FSV et le FFIPSA. Je sais que ces mesures vont dans le sens d'une plus grande transparence que vous réclamiez, à juste titre, depuis bien longtemps. Le Sénat, là encore, a enrichi le contenu du texte en créant une annexe qui retrace les comptes des fonds financés par les régimes de sécurité sociale.

Le projet veut, ensuite, donner plus de crédibilité aux lois de financement de la sécurité sociale en présentant au Parlement un cadrage pluriannuel des prévisions financières. Chaque loi de financement fixera les perspectives des recettes et des dépenses pour les quatre années à venir, permettant ainsi de renforcer le pilotage financier de la sécurité sociale et de répondre à une attente forte de l'ensemble de ses acteurs.

Cette pluriannualité était déjà présente dans la loi réformant l'assurance maladie et le Conseil constitutionnel nous y avait encouragés dans sa décision d'août 2004. Elle correspond en effet à la logique de la « maîtrise médicalisée » des dépenses engagée avec la réforme de l'assurance maladie.

Le Sénat a tenu à accorder davantage de lisibilité aux lois de financement, afin qu'elles offrent aux parlementaires, en plus des perspectives pluriannuelles, une vue rétrospective du dernier exercice clos, dont les comptes seront désormais approuvés par le Parlement. Le vote des lois de financement permettra ainsi à ce dernier de disposer d'une vue d'ensemble couvrant, outre l'exercice passé et l'exercice en cours, les exercices à venir sur une durée de quatre années.

La sincérité des lois de financement sera aussi confortée par l'introduction d'un dispositif de certification des comptes du régime général par la Cour des comptes, qui se prononcera également sur la cohérence des tableaux d'équilibre des régimes du dernier exercice clos. Là aussi, en élevant au niveau organique l'obligation pour les régimes et les organismes de sécurité sociale de présenter des comptes sincères, réguliers et fidèles, le Sénat a voulu renforcer l'affirmation des principes de bonne gestion financière et comptable.

Le projet a également pour ambition de donner plus de sens aux lois de financement en introduisant une démarche « objectifs / résultats » dont j'ai déjà évoqué les motivations, importantes aux yeux du Gouvernement. Une annexe de la loi présentera ainsi les « programmes de qualité et d'efficience » de la politique de sécurité sociale dans chacune de ses branches pour les exercices à venir.

Ces programmes s'appuieront sur un diagnostic de situation - par exemple l'état de santé de la population pour la branche maladie ou le niveau de vie des retraités pour la branche vieillesse. À partir de cet état des lieux, ces programmes fixeront aux branches des objectifs d'efficience qui seront évalués au moyen d'indicateurs chiffrés. À titre d'exemple, je pourrais citer l'évolution des capacités d'accueil des jeunes enfants dans le cadre de la politique familiale ou, pour la branche maladie, le nombre de médecins engagés dans une procédure d'évaluation de la qualité de leur pratique. Ces programmes permettront aussi d'identifier les moyens mis en œuvre pour atteindre ces objectifs et, surtout, de bien vérifier que les résultats sont réellement obtenus.

La sécurité sociale s'est déjà engagée dans cette voie depuis 1996 avec des conventions d'objectifs et de gestion liant l'État et les caisses nationales de sécurité sociale. Les programmes par branche qui accompagneront la loi de financement renforceront cette démarche sans remettre en cause la démarche de partenariat entre l'État et les caisses.

Ainsi, madame et messieurs les députés, la réforme de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale nous permettra de répondre clairement à trois questions que peuvent légitimement se poser nos concitoyens en matière de sécurité sociale. D'abord, à quoi servent les 350 milliards d'euros consacrés à la sécurité sociale ? Quels sont, ensuite, les objectifs que nous fixons aux politiques de sécurité sociale ? Enfin, les résultats obtenus sont-ils à la hauteur des objectifs fixés ?

Cette loi organique représente une évolution en profondeur dans les lois de financement de la Sécurité sociale. Elle n'impose pas une révolution de leur contenu. Elle en préserve les spécificités et nous permettra de répondre avec clarté et transparence aux questions de nos concitoyens.

Je sais pouvoir compter sur la volonté de l'Assemblée nationale de faire aboutir et d'enrichir cette réforme majeure pour l'avenir de nos comptes sociaux et, surtout, pour la pérennité de notre système de protection sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord remercier le Gouvernement de proposer à l'examen du Parlement une modification de la loi organique fixant les règles selon lesquelles nous examinons les lois de financement de la sécurité sociale. Les précédentes dispositions avaient été votées en 1996 : dix ans après, il est temps de dresser le bilan de ce qui a fonctionné, et de faire le tour des critiques constructives dont elles ont pu faire l'objet. Tel est l'objectif du texte proposé, qui comprend de très nombreuses et très importantes avancées, telles que le vote sur les tableaux d'équilibre ou le cadrage pluriannuel.

Prenant la mesure de l'importance de ce texte, monsieur le secrétaire d'État, la commission des lois a travaillé de la manière la plus sérieuse et la plus transparente possible, procédant en particulier à de très nombreuses auditions : ainsi nous avons entendu l'ensemble des dirigeants de la sécurité sociale ayant participé à l'élaboration et à la mise en œuvre des lois de financement sous les différents ministres qui se sont succédé depuis leur institution en 1996 - M. Jacques Barrot, Mme Martine Aubry, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-François Mattei, et aujourd'hui M. Philippe Douste-Blazy. Ces auditions informelles ont été ouvertes à tous les membres de la commission des lois, de la majorité comme de l'opposition, ainsi qu'aux rapporteurs pour avis des commissions des affaires sociales et des finances.

L'esprit qui a présidé à nos travaux excluait toute polémique, conscients que nous sommes de la responsabilité qui est la nôtre dans ce débat : il s'agit de définir les meilleures règles possibles, sachant qu'elles devront permettre au Parlement, probablement pendant une dizaine d'années au moins, de voter de la manière la plus transparente et la plus efficace les prochaines lois de financement de la sécurité sociale.

Permettez-moi, monsieur le secrétaire d'État, d'insister sur les principales améliorations qui nous semblent devoir être apportées au texte qui nous vient du Sénat. Nous souhaitons d'abord, dans un souci de clarté, structurer les lois de financement de la sécurité sociale en quatre parties : une première partie devrait comprendre expressément les dispositions relatives au dernier exercice clos ; une deuxième partie serait consacrée aux dispositions relatives à l'année en cours ; enfin les troisième et quatrième parties rassembleraient les dispositions ayant trait aux prévisions de recettes et aux objectifs de dépenses de l'année suivante. Permettez-moi de vous décrire à grands traits chacune de ces parties.

Les dispositions en vigueur en matière d'examen du dernier exercice clos souffrent d'un grave défaut, notamment en matière de dépenses d'assurance maladie, où les prévisions sont les plus difficiles. Ainsi, en dépit du dépassement des prévisions de dépenses en matière d'assurance maladie constaté ces dernières années, les lois de financement ne prévoyaient absolument aucune disposition de couverture de ces déficits. Ils n'étaient mentionnés qu'au détour de l'article par lequel le Parlement autorisait le « découvert bancaire » de l'Acoss auprès de la Caisse des dépôts et consignations.

C'est pour remédier à ce défaut que nous souhaitons que la partie de la loi de financement relative au dernier exercice clos prévoie, soit les modalités d'affectation des excédents éventuels, soit les modalités de financement des déficits éventuels. Il est en effet inadmissible que des milliards d'euros restent ainsi en quelque sorte « en lévitation ». Cette procédure sera d'autant plus fiable que les comptes que nous aurons à examiner auront été certifiés par la Cour des comptes.

Nous souhaitons ensuite fixer une limite très précise au recours à l'endettement. Il n'est pas question, bien évidemment, s'agissant d'une loi organique, de restreindre la latitude de choix des majorités et des gouvernements qui se succéderont dans les années à venir en matière de gestion de la politique de santé. Notre proposition n'a pas non plus pour objet d'imposer à la sécurité sociale l'obligation d'être en équilibre chaque année, mais de l'être sur un cycle économique.

M. Jean-Marie Le Guen. Quatre septennats de déséquilibre financier...

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. C'est pourquoi la commission des lois souhaite très vivement qu'une disposition limite les possibilités de transfert des déficits cumulés de la sécurité sociale à la Caisse d'amortissement de la dette sociale. En effet, dans ses conditions actuelles, ce transfert va à l'encontre de la gestion cyclique que nous souhaitons, et aboutit à un transfert intergénérationnel de la charge des dépenses excédentaires de la sécurité sociale. Au rythme actuel d'abondement de cette caisse par affectation de la CRDS, l'amortissement de la dette transférée à la CADES en 1996, en 1998 et de 2004 à 2006 ne serait total qu'entre 2021 et 2022. Il n'est pas raisonnable de laisser la durée de remboursement de cette dette s'allonger à l'infini. Je serai très clair : si d'ici 2010, voire 2015 ou 2020, le Gouvernement ne réalise pas les réformes propres à assurer une évolution raisonnable des dépenses de l'assurance maladie, il sera de son devoir d'assurer l'année suivante le financement des dépassements constatés une fois l'exercice clos. Et s'il estime que la conjoncture économique du moment n'autorise que l'endettement, l'avenir même de notre sécurité sociale exige au minimum que ce gouvernement dégage les financements suffisants pour que le rythme d'amortissement de la dette sociale cantonnée à la CADES n'excède pas dix ans.

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Très bien !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur Si nous voulons bien lisser d'éventuels déficits, nous refusons tout transfert intergénérationnel de la dette : c'est là un point absolument fondamental, au moment où chacun pressent - et toutes les personnes que nous avons auditionnées ont évoqué cette éventualité - que les dépenses d'assurance maladie seront en hausse dans les années à venir (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)...

M. Jean-Marie Le Guen. Ah tiens !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.... du fait notamment du progrès scientifique et du vieillissement de la population, facteurs que certains semblent découvrir aujourd'hui !

Il est donc indispensable d'introduire dans cette loi organique une disposition propre à assurer la réussite de cet objectif, faute de quoi nous n'aurions pas satisfait à nos devoirs en matière de finances sociales. Je crois pour ma part que la sauvegarde de notre sécurité sociale, qui est un des biens auxquels nos concitoyens sont les plus attachés...

M. Maxime Gremetz. Et qu'ils paient !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.... passe par le rétablissement de ses finances.

J'en viens maintenant à la question des dispositions rectificatives. Nous proposerons par voie d'amendement l'obligation pour la loi de financement de l'année à venir d'être aussi une loi de financement rectificative de la précédente loi de financement. Nous estimons en effet qu'il est indispensable, au moment de voter la loi de financement, de redéfinir précisément les objectifs de dépenses et les prévisions de recettes en fonction des réalités constatées.

Concernant les dispositions de l'année suivante, nos amendements traduisent deux exigences. Il s'agit d'abord d'améliorer l'élaboration de la loi de financement. Dans cet objectif nous avons voté une disposition renforçant les pouvoirs du Gouvernement et lui permettant de disposer de toutes les données chiffrées nécessaires. Nous avons également étendu l'obligation de sincérité, qui s'applique déjà en matière d'exercice clos dans le texte qui nous vient du Sénat, aux prévisions de recettes et aux objectifs de recettes. En effet il nous semble indispensable de permettre au Conseil constitutionnel, par des règles organiques suffisamment précises, à l'instar de celles posées par la loi organique relative aux lois de finances, de contrôler la sincérité des prévisions de recettes et des objectifs de dépenses des lois de financement de la sécurité sociale, au-delà de sa jurisprudence fondée sur la seule erreur manifeste.

Nos amendements visent également à mieux définir l'ONDAM, notamment par sa ventilation en dix sous-objectifs au minimum. Chacun en effet a pu constater, à l'examen des lois de financement des années passées - notamment en 1999, 2000 ou 2002 - de très importants dérapages par rapport aux objectifs initialement votés. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Là encore, si nous voulons exercer de la manière la plus honnête les responsabilités que nous avons envers nos concitoyens, nous devons nous donner la possibilité de fixer cet objectif de la manière la plus précise et la plus réaliste possible. J'avais même, dans un premier temps, proposé que le comité d'alerte sur les dépenses d'assurance maladie, créé en août dernier, émette un avis préalable sur l'ONDAM. Mais cette proposition n'ayant pas recueilli un franc soutien, notamment auprès des intervenants des autres commissions, j'ai préféré retirer cet amendement. Nous conservons cependant le souci que les objectifs de dépenses soient fixés de la manière la plus sérieuse possible.

Nous avons également proposé des dispositions relatives à l'exécution des lois de financement, visant notamment à faciliter la participation des députés de l'opposition au contrôle de l'exécution des lois de financement. De telles dispositions, qui contribuent à la réalisation d'un véritable statut de l'opposition, améliorent le fonctionnement du Parlement.

Nous proposerons aussi une disposition visant à rendre obligatoire une information claire du Parlement en ce qui concerne les dettes de l'État envers les régimes de sécurité sociale. Cette disposition me tient à cœur pour deux raisons : les différentes dettes de l'État envers les régimes de sécurité sociale font naturellement peser sur ces derniers une charge d'agios qui peut être significative. Par ailleurs de telles avances de trésorerie peuvent avoir pour effet d'amoindrir d'autant les dépenses budgétaires en reportant le remboursement à un exercice budgétaire ultérieur, même si ces données sont redressées en ce qui concerne la définition des déficits publics au sens de l'Union européenne. Voilà pourquoi nous estimons qu'il est indispensable que le Parlement soit informé deux fois par an de l'état de ces dettes.

Tels sont, mes chers collègues, quelques-uns des principaux amendements issus du travail de notre commission. Ils traduisent notre volonté d'être le plus honnêtes possibles, pour permettre à l'Assemblée de disposer des meilleurs outils au moment d'examiner les lois de financements de la sécurité sociale. Je rends hommage à tous mes collègues de la commission des lois, qui ont su mener ce travail loin de tout esprit de polémique. Il ne sert à rien de nous reprocher les uns aux autres les politiques qui ont été menées durant les décennies précédentes.

M. Jean-Marie Le Guen. C'est à M. Douste-Blazy qu'il faut le dire !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. L'important, comme l'a montré la hauteur des débats relatifs à la loi organique relative aux lois de finances, c'est que, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons, nous sachions trouver les solutions les plus propres à améliorer le travail du Parlement et à assurer la sauvegarde d'un des biens les plus précieux aux yeux de nos concitoyens : notre système de sécurité sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la loi organique du 22 juillet 1996, qui a permis de prendre conscience de l'importance des finances sociales dans l'ensemble des finances publiques, à néanmoins montré ses limites, du fait notamment d'objectifs de dépenses délibérément sous-estimés et donc systématiquement dépassés, ou de la manipulation peu glorieuse des comptes, au profit du FOREC par exemple, et à cause du manque de volonté de la majorité précédente d'engager une réforme en profondeur de notre système de solidarité sociale.

Aujourd'hui nous franchissons un pas supplémentaire vers une plus grande transparence et une plus grande sincérité, conditions nécessaires d'une plus grande rigueur dans la gestion des finances sociales.

Si les échanges actifs que nous avons eus avec le Gouvernement nous ont déjà permis d'affiner cette loi, je suis certain que le débat nous permettra de perfectionner encore les outils grâce auxquels le Parlement pourra faire son travail de contrôle et participer ainsi au sauvetage de nos régimes sociaux.

Ce projet de loi organique doit d'abord renforcer les principes de bonne gestion financière de la sécurité sociale, afin que chacun ait les moyens d'assumer ses responsabilités.

La mise en place d'un cadrage pluriannuel constitue une avancée significative vers l'instauration d'un cadre temporel cohérent avec le programme de stabilité et de croissance des finances publiques, et nous permettra de dégager des marges de manœuvre significatives, inscrites et évaluées dans la durée.

Les orientations du projet de loi organique, précisées par les amendements adoptés par la commission des finances, permettent de mieux articuler le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances, au lieu de les opposer inutilement. Je souhaite qu'un débat d'orientation budgétaire sur les évolutions des finances sociales permette au Parlement de disposer d'une présentation générale et coordonnée de l'ensemble des finances publiques.

Le débat qui s'engage portera sur des questions importantes, comme la compensation des exonérations de charges sociales, l'extension de l'exigence de transparence à tous les fonds sociaux, en particulier à Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA, les difficultés soulevées par la banalisation du rebasage de l'ONDAM, sans oublier notre exigence d'une gestion plus responsable des organismes de sécurité sociale.

Après de nombreux échanges, il nous a semblé que la tentation de poser au niveau organique le principe de compensation intégrale à la sécurité sociale des pertes de recettes qui pourraient résulter pour elle de mesures d'exonération de cotisation ou de transferts de charges opérés par l'État était une disposition disproportionnée par rapport à la situation globale des finances publiques.

M. René Couanau et M. Jean-Luc Préel. Vous avez raison !

M. Yves Bur, rapporteur pour avis. Pourquoi en effet priver le Gouvernement et le Parlement de la possibilité de proposer et de voter des mesures d'exonération en utilisant toutes les possibilités fiscales à leur disposition ?

La vraie question est celle de savoir si de telles politiques, qui visent à atténuer les charges pesant sur l'emploi et les salariés pour améliorer notre compétitivité, ont un réel impact sur la création durable d'emplois.

M. Claude Évin. Il est temps de se poser la question !

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances. Nous devons nous garder d'une action publique désordonnée où prévaudrait la tentation de généraliser ces exonérations. La responsabilité réclamée doit être assumée par tous, y compris par le Gouvernement.

En ce qui concerne les fonds sociaux, l'exigence de transparence est normale, car ces organismes gèrent des flux financiers considérables : 14 milliards d'euros pour le FSV, 13 milliards pour le FFIPSA. La CADES et le FRR doivent être intégrés aux lois de financement,...

M. Jean-Marie Le Guen et M. Gérard Bapt. Très bien !

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances. ...afin que le Parlement se prononce explicitement sur leur évolution. Notre exigence sera, bien sûr, la même pour tous les fonds retraçant le financement de dépenses spécifiques. Je pense notamment à la dotation de l'ONIAM, dont nous avons débattu l'an dernier sans connaître réellement la situation financière de ce fonds.

M. Jean-Marie Le Guen. On ne la connaît pas davantage aujourd'hui d'ailleurs !

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances. Compte tenu des enjeux que représentent les dépenses croissantes consacrées aux personnes âgées et aux personnes handicapées, il nous apparaît que la CNSA aurait également sa place en loi de financement, non seulement parce qu'une part de ses recettes provient de contributions de nature sociale, mais aussi parce qu'elle est un organisme gestionnaire de l'ONDAM médico-social et redistributeur de recettes de nature sociale - les dépenses obligatoires des départements continuant, quant à elles, de relever des finances locales. Le débat sera utile pour trancher cette question sans remettre en cause l'autonomie des élus départementaux.

Un débat est également nécessaire sur les difficultés soulevées par la banalisation du rebasage de l'ONDAM, pratique qui a été instituée par Martine Aubry en 2000 et qui a fait perdre beaucoup de sa crédibilité à cet objectif de dépenses. Même s'il est hors de question de le rendre opposable - c'est toute la différence avec le droit budgétaire de la LOLF -, le moment semble venu de se donner les moyens de rapprocher l'ONDAM voté de l'ONDAM exécuté. Plusieurs facteurs plaident en ce sens.

Tout d'abord, le chantier de la médicalisation de l'ONDAM progresse et la création de sous-objectifs permettra de mieux cerner l'évolution des dépenses de santé.

M. Jean-Marie Le Guen. Ce n'est pas sûr !

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances. Il n'est nullement dans nos intentions de stopper celles-ci, mais n'oublions pas qu'en 2005, avec un objectif de croissance de 3,2 %, pourtant considéré comme trop ambitieux par vous et vos amis, monsieur Le Guen, une rallonge de plus de 4 milliards d'euros a été votée qui sera entièrement financée par la dette, c'est-à-dire par les générations à venir. Personne ne peut parler de maîtrise comptable !

Ensuite, la mise en place du comité d'alerte va créer un climat de responsabilité et de vigilance accrue, ce qui est vertueux.

Enfin, le fait d'avoir engagé une réforme structurelle visant à transformer les comportements des usagers et du corps médical doit nous permettre d'envisager le retour à l'équilibre en 2007.

Compte tenu de ces éléments encourageants, je propose la suppression du rebasage de l'ONDAM, qui pourrait s'exercer selon plusieurs options : par l'imputation de chaque dépassement au titre d'un objectif de dépenses sur le même objectif de l'année suivante ; par l'obligation pour le législateur de se prononcer sur le sort d'éventuels dépassements de dépenses ou d'excédents de recettes - et je rejoins en cela la position de M. Warsmann et de la commission des lois - ou en habilitant le Gouvernement, afin de le placer face à ses responsabilités, à prendre par ordonnance les mesures d'ordre législatif nécessaires pour assurer le respect des objectifs de dépenses.

Indépendamment de ces options, il me paraît essentiel de nous prononcer sur le traitement à réserver aux déficits comme aux excédents constatés en première partie de la loi de financement.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Absolument !

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances. La transparence doit devenir la règle, afin d'éviter que l'on efface les dépassements d'ONDAM, qui ont tout de même représenté, entre 1998 et 2004, un montant de 15 milliards d'euros.

Forte de l'expérience initiée par la LOLF pour améliorer le contrôle parlementaire des finances publiques, la commission des finances a eu le souci d'adapter les objectifs de transparence et de sincérité aux exigences particulières des finances sociales.

La commission des finances a ainsi adopté 90 amendements qui traduisent certaines attentes du Parlement en matière d'information et de contrôle - et je tiens à souligner l'excellent esprit de coopération dans lequel nous avons travaillé avec les deux autres rapporteurs. Nos propositions doivent nous permettre d'adapter les outils législatifs aux objectifs des réformes engagées par la majorité pour sauver notre système de retraite et notre système de solidarité face à la maladie.

Pour moi, mes chers collègues, la loi organique n'est pas un outil technique de maîtrise comptable, mais un outil de rigueur morale au service de l'intérêt général. Ce qui me hante, c'est l'irresponsabilité au regard de l'accumulation de dettes que nous transférons avec une inconscience, voire une insouciance coupable, aux générations futures.

M. Pascal Terrasse. La faute à qui ?

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances. Vous êtes mal placé pour donner des leçons.

Assurer plus de transparence, plus de sincérité dans la gestion des finances sociales, c'est nous contraindre à accepter les évolutions et les adaptations indispensables à la survie de notre système de solidarité. Comme dans bien d'autres domaines, cela est de notre responsabilité, celle de la France et des Français, pas des autres, pas de l'Europe. Ayons le courage de les assumer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bardet, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean Bardet, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les débats de l'été dernier sur la réforme de l'assurance maladie ont à nouveau souligné les limites des lois de financement de la sécurité sociale.

Après neuf exercices, nous sommes en mesure de relever les apports majeurs de la réforme de 1996 : le rôle des partenaires sociaux n'a pas été remis en cause, la discussion du projet de loi de financement est devenue un rendez-vous important de la vie parlementaire et politique et elle permet de mettre en évidence, chaque année, pour l'ensemble des acteurs, notamment pour les citoyens et les assurés, les enjeux financiers des régimes de la sécurité sociale.

Cependant, le dispositif actuel présente des limites, tant au niveau de la procédure que du contenu, qui ont été révélées par le débat parlementaire, par la jurisprudence du Conseil constitutionnel ou par les remarques des experts et des partenaires sociaux. Ces limites tiennent à la portée toute relative du vote du Parlement, qui ne porte pas sur les soldes de chaque régime ou de chaque branche, à l'annualité dans laquelle sont enfermées ces lois, à la définition trop étroite de leur champ et, enfin, au caractère très formel du débat sur le rapport annexé, compte tenu de l'absence de lien entre les moyens engagés et les politiques mises en œuvre.

À l'expérience, il apparaît que ces lois de financement ne seront jamais des lois de finances. Les finances sociales présentent des particularités sans doute irréductibles.

Le présent projet, adopté par le Sénat en première lecture le 24 mars dernier, cherche à surmonter ces difficultés. En effet, aux termes de ce projet, la loi de financement de la sécurité sociale met en regard, par branche, des dépenses et des recettes. Elle comprend également les dépenses et les recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base, et non plus des seuls régimes comptant plus de 20 000 cotisants. Le Parlement se prononce sur les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses de différents organismes distincts des régimes de base, comme le fonds de solidarité vieillesse et le fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles. Le ministre nous précisera la place à aménager pour la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie - qui est davantage un organisme de protection sociale qu'un organisme de sécurité sociale - afin que le Parlement puisse suivre l'intégralité de ses circuits de financement.

Désormais, la loi de financement de la sécurité sociale fixe, conformément à une demande récurrente des parlementaires, les sous-objectifs de l'ONDAM, dont il sera possible de modifier les enveloppes, comme le souhaitaient notamment certains membres de la commission.

Par ailleurs, le projet donne une dimension pluriannuelle aux lois de financement. Désormais, un rapport annexé présentera, pour les quatre années à venir, l'ONDAM ainsi que des prévisions de recettes et des objectifs de dépenses par branche des régimes obligatoires de base et du régime général. Les comptes définitifs du dernier exercice clos seront pris en compte. Même si la notion de « loi de règlement social » n'existe pas en tant que telle, la loi de financement de l'année en cours pourra être rectifiée. La loi pourra également contenir des dispositions affectant l'équilibre financier de la sécurité sociale, non seulement pour l'exercice à venir, mais aussi pour les exercices ultérieurs.

La sincérité des lois de financement de la sécurité sociale est confortée par la certification des comptes du régime général par la Cour des comptes. Toujours dans cet objectif de sincérité, ces lois doivent impérativement prendre en compte toutes les dispositions affectant les objectifs de dépenses et les prévisions de recettes, même si celles-ci sont inscrites dans un autre texte législatif ou réglementaire.

Une démarche reliant objectifs, indicateurs et résultats est introduite. Ainsi, une annexe présentera les programmes de qualité et d'efficience - les PQE - de la politique de sécurité sociale pour chacune de ses branches pour les exercices à venir. J'espère que la direction de la sécurité sociale et la direction générale de la santé seront capables de fournir, dès 2005, le travail supplémentaire exigé par ce texte et que ces PQE permettront aux parlementaires de pouvoir mieux suivre le financement de l'action du Gouvernement en matière de politique de santé. Je vous demanderai, monsieur le secrétaire d'État, quelle sera l'articulation de ces PQE avec les conventions d'objectifs et de gestion, les « programmes » de la loi de finances et les objectifs du rapport annexé à la loi relative à la politique de santé publique.

Tirant les leçons de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le champ de la loi de financement est élargi à des sujets qui en étaient jusqu'à présent exclus, alors qu'ils sont indissociablement liés à l'équilibre de la sécurité sociale. Les lois de financement pourront ainsi comprendre des dispositions ayant trait à l'amortissement de la dette des régimes de sécurité sociale, à la mise en réserve de recettes au profit de ces régimes et, en partie, aux organismes concourant au financement des régimes obligatoires de base ou gérant des dépenses encadrées par l'ONDAM.

Il importe cependant de veiller à ce que les lois de financement, qui bénéficient notamment de la procédure d'urgence et dont les délais d'adoption sont strictement encadrés, ne deviennent pas des lois « portant diverses dispositions ». Leur spécificité doit en effet être préservée.

Les annexes sont modifiées. Une annexe détaillée rendra ainsi compte de l'application de la règle de compensation intégrale de toute perte de recettes ou transfert de charge par le budget de l'État.

Même si ce texte paraît technique, il est très important. Afin de l'améliorer, la commission des affaires culturelles, qui s'en est saisie pour avis, vous propose d'adopter un certain nombre d'amendements, dont certains sont, compte tenu de la configuration de la discussion, communs à la commission saisie au fond et à l'autre commission saisie pour avis : structuration de la loi de financement de la sécurité sociale en quatre parties, coïncidence des dates de dépôt du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale devant l'Assemblée nationale, évolution des modes de prise en charge de la dépense nationale de santé retracée dans une annexe, information des commissions parlementaires dès qu'est prise une mesure réglementaire ayant un impact significatif sur les recettes et les dépenses.

Par ailleurs, des amendements élèvent au niveau organique des dispositions du code de la sécurité sociale relatives au contrôle parlementaire et consacrent le rôle de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, la MECSS, créée au sein de la commission en vertu de la loi relative à l'assurance maladie.

Enfin, la commission a adopté deux amendements relatifs à la compensation des exonérations de cotisations sociales et des diminutions des ressources affectées à la sécurité sociale - problème récurrent de nos finances sociales qui n'a trouvé qu'une réponse partielle dans la loi relative à l'assurance maladie.

L'un vise à modifier la LOLF afin d'élever au niveau organique le principe de la compensation intégrale. Cet amendement, déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution, ne pourra pas être discuté dans cette enceinte. Je le regrette, car cela aurait au moins permis au Gouvernement de donner à la représentation nationale toutes les garanties qu'elle attend dans ce domaine.

L'autre amendement réserve aux lois de financement de la sécurité sociale le monopole de la décision d'exonérations de cotisations. Je sais qu'il peut paraître très contraignant à mes collègues comme au Gouvernement, mais il me semble qu'il s'agit d'un bon signal, qui pourrait avoir une vertu pédagogique dans la mesure où cette mesure permettrait à chacun de disposer d'une vue d'ensemble de l'impact des dispositifs d'exonérations sur les finances de la sécurité sociale.

Ce projet est un bon projet qui, dans la lignée de la réforme des retraites et de l'assurance maladie, témoigne de l'ardeur réformatrice de ce gouvernement et de la majorité, qui, tout en restant dans une vision médicalisée des dépenses de santé, ont pour objectif un équilibre de ses dépenses. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Exception d'irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

Je rappelle que, en vertu d'une décision prise ce matin par la conférence des présidents, les explications de vote et le vote sur cette exception d'irrecevabilité auront lieu au début de la prochaine séance, à vingt et une heures trente.

La parole est à M. Jean-Marie Le Guen.

M. Jean-Marie Le Guen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l'adoption en 2002 de la loi organique relative aux lois de finances, dite LOLF, a constitué une réforme importante du fonctionnement de nos institutions dont chacun se souvient - si je puis dire, puisque l'on en est encore à la perspective de sa mise en œuvre. À l'évidence, cette réforme allait dans le sens d'un meilleur contrôle du Parlement sur l'action de l'exécutif et d'une organisation plus transparente du débat sur l'action publique. En tant que telle, cette réforme a indéniablement apporté plus de démocratie et d'efficacité à l'action publique. Peut-on en attendre autant de la réforme de la loi de financement de la sécurité sociale ? Malheureusement, nous ne le croyons pas.

Les propositions du ministre des solidarités sont, comme souvent, ambiguës, insuffisantes, confuses. Pourtant, nul ne niait au départ l'intérêt de la réforme de la loi de financement de la sécurité sociale. Mais encore eût-il fallu, pour commencer, adopter une démarche conforme aux objectifs, ce qui n'a pas été le choix du Gouvernement : il n'a pas voulu mettre en œuvre une démarche qui nous rassemble.

Quelle était cette démarche que nous regrettons de ne pas retrouver aujourd'hui ? Vous avez tout d'abord décidé d'opérer la modification de la loi de financement au travers d'un projet de loi alors que le gouvernement précédent avait souhaité que l'initiative de la réforme de la LOLF appartienne au Parlement.

M. Pascal Terrasse. Absolument ! C'est ça, la démocratie !

M. Jean-Marie Le Guen. Le choix de cette méthode n'est pas innocent. Il ne l'était pas quand le gouvernement précédent décidait de laisser l'initiative aux parlementaires, majorité et opposition rassemblées, il ne l'est pas plus aujourd'hui quand on le leur retire.

M. Pascal Terrasse. Très juste !

M. Jean-Marie Le Guen. La seconde raison de douter du bien-fondé de votre démarche tient à votre choix de soumettre un texte de finances publiques d'abord à l'examen du Sénat, alors même que la Constitution prévoit très explicitement les prérogatives de l'Assemblée nationale en la matière. Cet argument viendra, n'en doutons pas, alimenter le débat relatif à notre motion d'irrecevabilité, mais peut-être aussi celui qui aura lieu devant le Conseil constitutionnel. En tout cas, ce choix compliqué et injustifié sur le fond n'a pas semblé rencontrer beaucoup de succès auprès des sénateurs, c'est le moins que l'on puisse dire. En effet, nos collègues de la commission des affaires sociales du Sénat - en l'occurrence, plutôt votre majorité - ne semblent pas avoir réservé l'accueil que vous attendiez à ce texte et il n'est pas exagéré de constater que celui-ci a beaucoup déçu, voire découragé certains.

La troisième critique que nous formulons est relative à l'organisation confuse des débats au sein même de notre assemblée. Nous regrettons le refus de la majorité - et le peu d'empressement qu'a montré le ministre à l'y pousser - de constituer, comme le demandait le président Ayrault, une commission spéciale qui aurait pu synthétiser les approches des différentes commissions saisies au fond ou pour avis sur ce texte, permettant un travail beaucoup plus efficace. Le choix d'un débat éclaté dans trois commissions a ajouté à la confusion et à l'absence de vrai débat parlementaire.

M. Gérard Bapt. Il va falloir renvoyer le texte en commission !

M. Jean-Marie Le Guen. La quatrième critique à propos de la méthode choisie par le Gouvernement se rapporte au temps accordé pour ce débat : à peine deux jours pour examiner des dispositions législatives qui touchent à la gouvernance d'un budget de 350 milliards d'euros ! Il est vrai que ce gouvernement ne s'est jamais passionné pour les questions financières de la sécurité sociale, j'en veux pour preuve l'absence de M. le ministre Douste-Blazy, alors même que nous abordons une réforme dont il nous avait annoncé cet été qu'elle constituait un élément fondamental de son dispositif.

M. Pascal Terrasse. Il est toujours absent ! On ne le voit qu'à la télévision !

M. Jean-Marie Le Guen. Nous constatons aujourd'hui que M. le ministre a mieux à faire que de venir discuter avec les parlementaires d'un certain nombre de sujets tout à fait essentiels pour la transparence du débat public et pour l'efficacité de l'action publique.

M. Gérard Bapt. Lors du débat sur la lutte contre la toxicomanie, il n'était déjà pas là !

M. Jean-Marie Le Guen. C'était pour marquer sa réprobation, et j'imagine que s'il n'est pas là aujourd'hui, c'est pour la même raison. Finalement, il ne fait que cela, marquer sa réprobation en étant absent ! (Sourires.)

Chacun a compris l'intérêt poursuivi au moyen de ce calendrier précipité et de cette absence. Ce choix répond tout d'abord au souci d'esquiver le débat sur l'action du Gouvernement. Il a fallu, monsieur le secrétaire d'État, que vous vous hâtiez afin de ne pas ouvrir un débat public sur la sécurité sociale en juin ou un peu plus tard au moment où vous savez que se situeront les premiers rendez-vous douloureux du processus que vous avez engagé : comité d'alerte, mise en place du médecin traitant, revendications après les catastrophes budgétaires que vous préparez pour l'hôpital public... Le ministre souhaite éviter de se retrouver devant l'Assemblée nationale lorsqu'il aura à rendre des comptes, et on le comprend aisément.

Vous préférez parler de votre réforme - soliloquer, en quelque sorte - tant qu'un bilan complet ne peut vous être opposé. Vous préférez, en vous appuyant sur une politique de communication particulièrement dispendieuse, multiplier les déclarations d'autosatisfaction, avancer des arguments chiffrés sans véritable objet et, surtout, éviter que l'on vous rappelle vos annonces précédentes. D'ailleurs, dès à présent, faute d'argumenter sur sa politique, M. Douste-Blazy choisit face à toute question d'engager la polémique sur les responsabilités passées des uns et des autres, oubliant de façon peu élégante que son prédécesseur appartenait à la même majorité et que ladite majorité, au pouvoir depuis trois ans, accumule les déficits de la sécurité sociale et les reculs sociaux. Vous ne serez pas surpris que nous saisissions cette occasion pour vous rappeler quelques vérités à propos de votre politique.

Il est paradoxal de voir ce gouvernement s'attacher aujourd'hui à proposer des dispositions pour améliorer la gestion de la sécurité sociale, alors même qu'il organise sa faillite par les déficits dans laquelle il la laisse se débattre, par la dette qui enfle et menace notre avenir social. Il est paradoxal de prétendre renforcer le contrôle du Parlement sur les comptes publics alors qu'aujourd'hui encore le Gouvernement s'applique à masquer la situation financière dans laquelle notre protection sociale s'enfonce.

Chacun se souviendra de cette funeste loi du 13 août 2004 où vous avez non seulement décidé de transformer les déficits accumulés sur la dette sociale mais où, pour la première fois, vous avez fait le choix d'accepter les déficits à venir en décidant, de façon anticipée, de les transformer en dette sociale en les versant sur la CADES. De ce qui constituait jusqu'à présent un expédient critiquable - appliqué de façon inégale par les différentes majorités -, vous avez fait un choix politique. Aujourd'hui, peut-être pris de remords, certains de nos collègues proposent de limiter dans le temps cette indignité. Nous sommes curieux d'entendre le Gouvernement sur ce point.

L'un des débats emblématiques du financement de la sécurité sociale est en effet celui de la compensation par l'État de l'exonération des charges consécutives lors de la mise en œuvre de différentes politiques, notamment en matière d'emploi.

Il est paradoxal pour le Gouvernement de prétendre assumer la sanctuarisation des finances de la sécurité sociale alors même qu'il s'apprête à s'en affranchir en grande partie dans quelques semaines, par exemple dans le cadre des contrats d'avenir de la loi Borloo, à continuer à ne pas verser à la sécurité sociale son dû, notamment les taxes spécifiques sur l'alcool et le tabac.

On se souvient de la polémique sur le FOREC que vous avez menée, chers collègues de la majorité, et de vos déclarations définitives sur la sanctuarisation des recettes sociales.

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances. Le FOREC que nous avons supprimé !

M. Jean-Marie Le Guen. Vous avez supprimé le FOREC, mais pas le détournement d'un certain nombre de finances publiques qui, alors qu'elles devaient revenir à la sécurité sociale, sont aujourd'hui affectées aux finances d'un État qui peine à atteindre l'équilibre en raison de la politique que vous menez.

Il est vrai qu'en 1994, la loi Veil avait déjà prévu le remboursement intégral des exonérations par l'État. Mais cette loi, faute d'un niveau de contrainte juridique suffisant, n'a jamais été vraiment respectée par aucune majorité. Fallait-il alors revenir à l'affirmation absolue de la compensation intégrale - ce que proposent un certain nombre de nos collègues - ou bien essayer de sortir de l'opportunisme qui a prévalu jusqu'à maintenant pour essayer de fixer des règles à ces remboursements partiels ?

Lors du débat sur la loi du 13 août, M. le ministre Douste-Blazy avait clairement fait son choix en déclarant : « Ce projet de loi organique contiendra des mesures de nature à garantir l'autonomie financière de la sécurité sociale, comme le Sénat en a déjà exprimé le souhait. Il doit permettre notamment de donner une valeur juridique supérieure aux mesures prévues à l'article 39 de la présente loi et à celles de la loi de 1994 de Mme Veil [...] Ainsi, l'autonomie financière de la sécurité sociale aura une valeur quasiment constitutionnelle ».

M. Gérard Bapt. Belle déclaration !

M. Jean-Marie Le Guen. En effet. Aussi, quelle a été la surprise de nombre de parlementaires, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, de constater qu'il n'y avait pratiquement rien dans ce projet de loi concernant un engagement de principe sur lequel le ministre s'était montré si ferme. En guise de dérivatif, il est simplement prévu que figurent en annexe les mesures nouvelles de réduction des charges. Comment ne pas comprendre alors l'émotion de notre collègue Vassel, président de la commission des affaires sociales du Sénat, vigoureux et rigoureux combattant du FOREC, qui ne pouvait admettre qu'à votre tour, vous ne respectiez pas des engagements moult fois répétés ? M. Douste-Blazy est sans doute le seul à connaître la valeur qu'il convient d'accorder à ses promesses.

Mais laissons l'ironie pour nous intéresser au fond. Comment ne pas avoir le sentiment que les efforts demandés aux bénéficiaires de la sécurité sociale, usagers ou professionnels de la santé, ne sont ni justifiés ni nécessaires puisque l'État lui-même ne remplit pas ses engagements ? Cette question, plus grave qu'il n'y paraît, est en fait à l'origine de bien des blocages.

Reconnaissons, d'une part, la force de la nécessité : celle des finances publiques, qui, à un certain niveau de faiblesse, amène à confondre finances de l'État et finances sociales ; celle, ensuite, de la réalité économique, qui nous suggère que la baisse des charges peut à un moment donné relancer l'emploi, donc devenir un facteur potentiel de ressources nouvelles pour la sécurité sociale. C'était l'argument justifiant la création du FOREC, un argument fondamental que vous consacrez aujourd'hui en justifiant le fait que vous n'intégrez pas une compensation intégrale des charges sociales. La messe est dite, et le FOREC se trouve réhabilité dans son principe. Alors que vous l'avez combattu pendant des années, vous le remettez aujourd'hui à l'ordre du jour. A contrario, nous devons aussi admettre que l'État ne peut pas disposer des ressources de la protection sociale comme variable d'ajustement de sa propre impéritie.

Dès lors, si l'on veut apaiser le débat, i1 nous faut sans doute oublier vos engagements et, sûrement, aller plus loin que vos propositions actuelles. C'est le sens de nos amendements et de ceux de Yves Bur, notre rapporteur.

Moins de promesses et plus de volonté politique : c'est une suggestion qui vaut peut-être au-delà des questions de financement de la sécurité sociale.

S'agissant de la situation financière de l'assurance maladie, monsieur le secrétaire d'État, vous avez cru pouvoir faire, au vu du déficit 2004 de l'assurance maladie, des déclarations pleines d'autosatisfaction. Celui-ci ne serait plus en effet « que » de 12 milliards d'euros ! Il est vrai qu'il faut savoir saisir son bonheur partout... Rappelons cependant la réalité : il s'agit là d'un déficit historique, le plus important jamais atteint, et encore est-il amoindri artificiellement grâce notamment à une recette exceptionnelle de 1,1 milliard d'euros.

L'objectif que s'était fixé le Gouvernement en novembre 2003 dans le PLFSS était pourtant de 11 milliards d'euros. Certes, en septembre, on s'attendait à plus de 13 milliards. Il y a donc eu une amélioration par rapport à la crainte de la détérioration d'un résultat qui était déjà catastrophique. Mais, notons-le au passage pour en tirer toutes les leçons, cette amélioration est due à une croissance inattendue - et pas forcément soutenable - des recettes alors que les charges demeureraient conformes aux prévisions pessimistes.

Dans le même temps, une note de l'ACOSS, dont nous savons désormais, et contrairement à ce qu'avait annoncé le ministre, qu'elle émane bien des services de l'assurance maladie, n'a fait que reprendre les chiffres de la CNAM. Elle indique une prévision de hausse des dépenses de 4,8 % au premier semestre 2005.

Soyons plus précis dans les prévisions financières pour 2005 : en ce qui concerne les recettes, les encaissements restent figés sur une tendance de progression de la masse salariale qui plafonne à 3,1 %. Or la loi de financement de la sécurité sociale de 2005 prévoit une hausse de 4 % de la masse salariale. Le « manque à gagner », si d'aventure la situation ne se détériorait pas encore davantage en matière de croissance et d'emplois, sera en fin d'année de 1,5 à 2 milliards d'euros. Mais peut-on se permettre d'être aussi optimiste ?

En ce qui concerne les dépenses, l'ACOSS confirme qu'au deuxième trimestre 2005, le rythme des dépenses du régime général sera élevé. Après la hausse de 2,8 % du premier trimestre, nous en serons sans doute à 5,7 % au deuxième trimestre. Pour l'assurance maladie, la progression sera de 2,9 % au premier trimestre et de 6,6 % au deuxième trimestre.

Pour atteindre votre objectif pour 2005 de baisse de 5 milliards, dont pourtant 4 milliards sont liés à des prélèvements supplémentaires, il faudrait alors limiter les dépenses du second semestre à 1,6 %. Ce n'est pas crédible en soi, les dépenses du second semestre étant souvent plus importantes que celles du premier. Mais c'est d'autant moins crédible que vont s'ajouter à partir du 1er juillet les dépenses liées à l'application de la convention médicale, l'effet de la T2A sur les budgets hospitaliers, la mise en place de la nouvelle CCAM, et l'application partielle des différents plans que vous avez avancés ainsi que d'autres plans sociaux qui ne manqueront pas de s'imposer.

À côté de la situation calamiteuse de l'assurance maladie, pour l'exposé de laquelle je n'ai cité que les chiffres de votre propre administration, il faut rappeler le contexte global de nos finances sociales.

Le plan Hôpital 2007, dont vous ne cessez de vanter la politique d'investissement, se traduit d'abord, faute de financement de l'État, par la croissance brutale de l'endettement hospitalier qui atteint désormais 11 milliards d'euros, 15 sans doute à la fin de cette année. Ces sommes devront être récupérées sur la sécurité sociale dans les années à venir. Il faudrait ainsi les rajouter aux 35 milliards d'euros déjà transférés sur la CADES sous votre responsabilité et prendre en compte les 15 autres pour les années 2005 et 2006. Ce sinistre bilan ne s'arrête pas là, malheureusement.

À la fin de 2005, le FIPSA, ancien BAPSA, connaîtra une perte cumulée de 2,4 milliards, la branche ATMP, 1,3 milliard sans tenir compte de l'indemnisation à venir des victimes de l'amiante, le fonds de solidarité vieillesse sera déficitaire de 3 milliards, plongeant la CNAV dans un trou de 5 milliards d'euros. Enfin, l'UNEDIC - certes, cet organisme ne relève pas directement de votre responsabilité, mais il est logique que nous l'évoquions ici - connaîtra près de 13 milliards d'euros de déficit cumulés.

M. Pascal Terrasse. C'est la faillite !

M. Jean-Marie Le Guen. L'absence de plan économique, et donc de croissance et d'emploi, le laxisme de la gestion de la dépense maladie, l'irresponsabilité plongeront nos comptes sociaux dans un abyme financier jusque-là inégalé et imaginé.

Un document communiqué par M. Copé à M. Méhaignerie, président de notre commission des finances, montre que, dans l'hypothèse même des scénarios positifs avancés par le Gouvernement, en matière de retraite - texte emblématique pour vous -, le gain structurel associé à la réforme serait de 1 ou 1,5, soit une réduction d'un tiers de l'effort nécessaire, les besoins de financement passant de 3 % du PIB avant la réforme à 2 % après. Pour l'assurance maladie, le gain serait de 0,7, soit moins d'un quart, puisqu'on passerait de 3,1 % à 2,4 %.

Mais puisque notre rôle aujourd'hui consiste à travailler sur l'avenir et la transparence des lois de financements, avançons dans cette discussion.

S'agissant de la méthode, nous sommes édifiés : un débat tronqué, une copie faussée de la réforme de la loi de finances. Qu'en est-il alors des objectifs que vous prétendez fixer à ce texte ?

Les lois de financement de la sécurité sociale ont été instituées en 1996 par la réforme Juppé sur l'assurance maladie. Parler de la réforme Juppé, c'est toujours douloureux pour votre majorité. Depuis 1997, et singulièrement depuis 2002, vous ne songez pour l'essentiel qu'à racheter vos péchés vis-à-vis de certaines clientèles médicales. C'est d'ailleurs une des rares constantes de l'action des gouvernements depuis 2002, et un des rares engagements que vous tenez contre vents et marées. En fait, vous aménagez avec ces réformes successives un véritable chemin de croix. Il est vrai que ce sont les finances de la sécurité sociale qui seront crucifiées.

S'agissant donc de la réforme Juppé, si personne ne conteste plus le vote du Parlement, et nous nous en félicitons comme nous l'avions fait à l'époque, l'élaboration du projet de loi de financement de la sécurité sociale était, elle, très critiquée comme le symbole de la maîtrise comptable, il vous fallait donc totalement la réformer pour mieux la renier.

Il est vrai que si la réforme de 1996 donnait au Parlement l'occasion de débattre et de voter sur les lois de financement de la sécurité sociale, ce dispositif n'a jamais été de nature à permettre l'exercice de véritables choix, notamment de maîtriser les dépenses ou de mesurer l'efficience de notre assurance maladie. Rarement, pour ne pas dire jamais, l'ONDAM ne fut respecté.

Mais avant de faire à mon tour la critique justifiée du dispositif actuel, je voudrais rappeler qu'il a contribué à faire en sorte que l'équilibre financier de la sécurité sociale soit respecté, du moins quand la volonté politique du gouvernement était celle-là.

Rappelons donc quelques chiffres concernant la sécurité sociale : le déficit est de 5 milliards d'euros en 1997, et de 2,5 milliards en 1998. Mais à partir de 1999, on passe à 0,5 milliard d'excédent, puis à 1 milliard d'excédent en 2000 et à 1,3 milliard d'excédent en 2001.

Or, contrairement à ce que vous prétendez, ces résultats sont le fruit, non du hasard des circonstances, mais de la politique de la croissance et de l'emploi menée alors. Il y avait la volonté politique d'affecter à la sécurité sociale les ressources dont elle avait besoin alors que, depuis que vous êtes aux responsabilités, les déficits s'accumulent. Je ne reviendrai pas ici sur les chiffres que chacun connaît.

M. Frédéric Soulier. La croissance est deux fois moins forte !

M. Jean-Marie Le Guen. Mes chers collègues, après avoir été élus, vous êtes censés mener une politique économique. Ces dernières années, notamment l'an passé, la croissance mondiale a été parmi les plus fortes qu'on ait connues depuis vingt ans. Mais vous n'avez pas été capables de conduire une politique économique permettant à notre pays d'en bénéficier. En revanche, grâce à la politique économique que nous avons menée, nous avons enregistré en 1998, en 1999 et en 2000 des résultats supérieurs à ceux de la moyenne européenne et la France a profité à l'époque de la relance mondiale. Il est donc singulier, aujourd'hui, d'entendre le Gouvernement nous expliquer qu'il ne peut rien faire compte tenu du taux de la croissance. Ce n'est cependant pas tout à fait exact car il fait de temps en temps des prévisions qui, malheureusement, sont systématiquement contredites par les faits.

Le débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, malgré toutes ses imperfections, a contraint chacun - gouvernement, majorité, opposition - à prendre ses responsabilités.

Ainsi, dès novembre 2002 - je vous renvoie au Journal officiel -, le débat nous a permis d'interpeller le Gouvernement sur les erreurs évidentes et grossières de ses prévisions. Alors même que vous engagiez des ONDAM ou des prévisions de recettes qui n'étaient pas crédibles, vous avez refusé de prendre en compte les démonstrations de l'opposition.

Ce rappel n'est pas là pour laisser penser que certains comptent mieux que d'autres. Il montre simplement que certains ont voulu se bercer d'illusions ou plus exactement, n'ont pas hésité à bercer d'illusions les Français pour justifier leur politique laxiste et, par la suite, profiter de la dramatisation crée par des déficits abyssaux pour faire reculer les droits sociaux et notre protection sociale.

M. Gérard Bapt. Très juste !

M. Jean-Marie Le Guen. S'il faut critiquer la loi de financement dans sa version de 1996, il faut aussi rappeler qu'aucun texte de loi ne peut se substituer à la volonté politique d'un gouvernement, quand elle existe, de maîtriser les déficits de la sécurité sociale et de l'assurance maladie.

Dès son origine, la loi de financement de la sécurité sociale a donc été critiquée par de nombreux acteurs comme un outil conçu exclusivement pour mettre en œuvre la maîtrise comptable, dont on nous a rebattu les oreilles.

Face à ces critiques, beaucoup ont convenu qu'il fallait préférer la maîtrise médicalisée. Votre majorité, pas en 1996, ni en 1997, mais au mois de juin, était déjà beaucoup plus favorable à la maîtrise médicalisée.

La question posée, et qui l'est implicitement depuis des mois, autour de la réforme des lois de financement était : comment faire pour imposer cette maîtrise médicalisée ? C'est ainsi que l'idée de réformer la détermination de l'ONDAM s'est imposée puisque l'élaboration de celui-ci était au cœur des polémiques. Ce fut l'objet du rapport que demanda votre prédécesseur, Jean-François Mattei, à Alain Coulomb. Ce rapport, sorti il y a déjà deux ans, reçut un consentement très large. Il prévoyait notamment de fixer un objectif des dépenses de santé en fonction de critères objectifs, voire opposables. Malheureusement, ce rapport est désormais aux oubliettes.

Il n'en reste effectivement rien dans votre texte de loi : malgré tous les rapports annexés qui envisagent d'éclairer et de justifier les choix effectués en matière de recettes et de dépenses, on peut constater que la volonté de médicaliser l'ONDAM constitue le premier abandon notable de ce projet de loi au regard des ambitions qu'il se fixe. Malgré toutes les modifications introduites, aucune ne va dans le sens de cet ONDAM médicalisé. Il est vrai que ce concept d'ONDAM médicalisé amènerait à aborder l'analyse de l'offre de soins avec une autre vision que celle qui est la vôtre : en fait, vous faites preuve d'une absence totale de regard sur notre offre de soins. Réfléchir sur la médicalisation de l'ONDAM pose le problème de la qualité des soins, de leur efficience. Il porte en lui une véritable réforme de l'offre de soins, à l'opposé de la démarche qui a présidé à votre réforme, essentiellement basée sur la pénalisation des comportements des assurés.

Faute d'avoir un ONDAM médicalisé, le PLFSS demeurera donc purement comptable. Pour autant, pourra-t-on parler de maîtrise, c'est-à-dire du souci de préserver la dépense publique ?

C'était l'autre raison de ce projet de loi. Si, dans vos discours, la médicalisation de l'ONDAM était du domaine du souhaitable, la nécessité de la réforme de la LOLFSS, et plus précisément encore de ce projet de loi organique, est apparue avec certitude dans le cours de la préparation de la loi de réforme de l'assurance maladie, cet été. D'abord, la rumeur est apparue, subreptice et réservée à certains interlocuteurs ; cette idée de la loi organique qui allait réformer les lois de financement s'est affirmée avec plus de publicité quand les doutes sur la crédibilité financière de votre réforme se sont développés, et pas seulement dans l'opposition, si je m'en souviens bien. L'idée était que cette loi organique viendrait à l'automne - nous sommes un peu en retard, mais il n'y a pas de gravité en la matière - pour rassurer ceux qui étaient inquiets sur la crédibilité financière de l'assurance maladie.

Une anecdote. Interrogeant le MEDEF dans le cadre de la préparation de la réforme, le groupe socialiste interpellait l'organisation patronale sur la manière dont l'équilibre financier de l'assurance maladie devait être assuré. Il nous a été répondu que nous devions comprendre que l'ensemble du dispositif reposerait « in fine » sur cette fameuse loi organique qui devait venir boucler le processus, comme le couvercle sur la marmite. Le dispositif dit «du comité d'alerte» préfigurait, en quelque sorte, ce que devait être le fonctionnement à venir des lois de financement. Il s'agissait, nous disait-on, d'obliger clairement les dépenses à réintégrer l'enveloppe préalablement fixée ou, à tout le moins, d'obliger le Parlement à revenir, par le vote, sur de nouvelles dispositions affectant soit les recettes, soit les dépenses afin d'assurer l'équilibre financier de l'année.

On ne trouve rien de la sorte dans votre projet de loi. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez été parfaitement clair : vous avez bien expliqué que ceux qui attendaient cela de la loi organique avaient mal entendu, que c'était l'inverse qui allait se produire et qu'il n'y avait aucune volonté de la part du Gouvernement de mettre les dépenses de la sécurité sociale, et singulièrement de l'assurance maladie, sous enveloppe.

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. Vous voilà rassuré !

M. Jean-Marie Le Guen. Au moment où vous le disiez, certaines de vos expressions ont même confirmé mon impression première !

On ne trouve rien de la sorte, disais-je, dans votre projet de loi. Faut-il s'en réjouir ou le regretter ? À l'évidence, le regretteront tous ceux pour qui l'avenir de nos finances publiques, et plus généralement de nos finances sociales, suscite aujourd'hui une très grande inquiétude. Ils sont déjà nombreux et le seront encore davantage demain lorsque l'on mesurera mieux la situation dans laquelle vous allez laisser la sécurité sociale. Le regretteront aussi tous ceux qui doutent de l'esprit et de la capacité de réforme - que les acteurs et les usagers de soins sont capables de mettre en œuvre - en pensant que seule une contrainte financière forte peut obliger le système à se transformer.

Le plan Juppé reposait sur cette vision. À l'époque, nous l'avions critiqué ; vous l'avez abandonné pour y substituer une fuite en avant dont personne ne sait où elle s'arrêtera. Aussi, si nous partageons les inquiétudes de beaucoup - y compris parmi vos amis - devant l'accumulation des déficits, nous refusons pourtant de mettre les dépenses d'assurance maladie dans le cadre d'une enveloppe préétablie. Ce serait en effet une transformation de la nature de notre assurance maladie : nous ne serions plus dans un système d'assurance sociale, d'inspiration bismarckienne, comme le disent certains, mais dans un système de prestations sociales, de fait étatisé, d'inspiration beveridgienne.

Reconnaissons pourtant que cette querelle théorique a aujourd'hui atteint ses limites pratiques. Pour aller vite, constatons que les recettes sont, pour beaucoup, de nature fiscale ou parafiscale et représentent de moins en moins, dans la conscience des assurés, une cotisation. Reconnaissons aussi que l'ouverture universelle des droits l'éloigne de son origine professionnelle. Enfin, que la gestion est aujourd'hui, surtout après la loi du 13 août, non plus confiée au paritarisme, mais presque totalement étatisée ; nous aurons l'occasion d'y revenir.

Ainsi, on est loin du modèle initial et, au fur et à mesure des années, on se rapproche du modèle beveridgien, sans avoir pourtant les avantages d'un système géré par l'État et contrôlé démocratiquement. En matière de prestations, la différence entre le modèle assurantiel et l'État providence a pourtant d'autres vertus. Si nous refusons cette mise sous enveloppe des dépenses de l'assurance maladie, ce n'est pas simplement par attachement au modèle assurantiel ; c'est aussi parce que nous voulons croire que la régulation peut et doit se faire à partir des dépenses de santé et non à partir des remboursements. On mesure là encore l'aspect fragile et assez théorique de cette position dans la mesure où, et ce n'est pas un aspect mineur de la réforme que vous avez votée cet été, vous avez opéré sur ce point précis - sans beaucoup de protestations des partenaires sociaux, je veux le souligner - un changement de paradigme en inscrivant votre politique non plus dans la maîtrise des dépenses de santé, mais dans celle des dépenses de l'assurance maladie, laissant paradoxalement aux organismes complémentaires le devoir de régulation. On verra dans les mois à venir ce que cela donnera.

C'est d'ailleurs, sur ce point, une rupture fondamentale avec la réforme Juppé qui se fixait comme objectif la régulation des dépenses de santé. Ramener la régulation à cet objectif financier des dépenses de l'assurance maladie et non plus à un objectif économique pour les dépenses de santé : on mesure, là encore, la relative vanité du débat entre la logique « assurantielle » et la logique étatiste.

À ceux qui ne seraient pas encore convaincus des glissements que vous opérez, on peut conseiller d'analyser les articles de la loi qui organisent la discussion de la LOLFSS, telle que vous la proposez dans cette loi organique.

En effet, en prenant prétexte du parallélisme avec la LOLF, on votera désormais les recettes avant les dépenses et, de façon plus précise encore, les plafonds de trésorerie. C'est surtout en termes de trésorerie qu'on va bientôt gérer la sécurité sociale ! Pour l'essentiel, si l'on vous suit, la LOLFSS est structurée comme une loi organisant la maîtrise comptable, à la différence près, déjà soulignée et illustrée par plusieurs amendements dont ceux de notre collègue Bur, qu'en réalité, la sanction n'existe pas et que le dépassement d'une année n'est pas réintégré l'année suivante.

Ainsi, on pourrait dire que l'on a une musique de maîtrise médicalisée, une esthétique de maîtrise comptable et, en réalité, l'absence de tout contrôle. Les tenants de la défense des comptes publics en seront pour leurs frais, mais les champions de la dépense, quelle que soit leur catégorie, feraient mieux d'y regarder à deux fois. En effet, une fois installée la logique de l'approche comptable, sous la pression des déficits, il ne restera plus d'autre solution que celle de fermer le couvercle, pour de vrai cette fois-ci !

La maîtrise comptable, ce sera donc pour demain !

Une fois encore, M. le ministre des solidarités excelle à repasser à ses successeurs la conclusion douloureuse des mutations qu'il met en œuvre, mais qu'il n'assume pas. C'est ce qu'il a appelé - je l'ai lu dans un hebdomadaire - l'art du déminage. Pour un Toulousain, c'est d'ailleurs une drôle de façon de parler ! Je pensais que le ministre aurait préféré au déminage des comparaisons rugbystiques ! La passe dans les chaussettes me paraissait une expression plus appropriée.

La sanction comptable, ce n'est pas pour aujourd'hui, mais l'abandon des principes financiers sur lesquels s'est construit le modèle de la sécurité sociale, vous le mettez en œuvre dès aujourd'hui.

Si la médicalisation de l'ONDAM et la maîtrise des dépenses publiques ne sont pas au rendez-vous de ce projet de loi, ne faut-il pas chercher la logique de ce texte plutôt dans le souci du parallélisme des formes législatives avec la LOLF ? Les lois de financement de la sécurité sociale ne mériteraient-elles pas une procédure aussi minutieuse, réfléchie, démocratique que les lois de finances publiques ? Cette nouvelle structure de la LOLFSS fera-t-elle avancer la modernisation de la gestion publique ? C'était le sens de la réforme de la LOLF qui permettra, dès l'année prochaine, un meilleur contrôle démocratique et une gestion plus rationnelle de la dépense publique.

Là encore, seule une approche superficielle peut laisser croire à une convergence de démarche. D'abord, il est vrai, on l'a déjà dit, parce qu'il ne s'agit pas encore de dépenses budgétées, mais de financement de prestations assurantielles. Cette évidence tend pourtant à disparaître aujourd'hui dans le texte par l'emploi d'un vocabulaire et de formes juridiques propres aux lois de finances, avant de réapparaître demain dans la réalité sous la pression des déficits.

Mais les différences de nature de la dépense n'expliquent pas tout. Et ceux qui ne sont pas trop pressés de voir assimiler le budget de la sécurité sociale à un budget de l'État bis vont néanmoins regretter la qualité et la transparence des procédures adoptées par la LOLF en considérant celles que vous nous proposez pour la LOLFSS. Il est vrai que l'objet à contrôler est de moins en moins identifiable. Ce n'est malheureusement pas l'aménagement des procédures d'élaboration des lois de financement de la sécurité sociale qui pourra, à lui seul, venir combler le déficit démocratique introduit après la création de l'UNCAM.

Ainsi aurait-on pu espérer que le Gouvernement ne limite pas la présentation des fonds sociaux aux annexes, mais les intègre pleinement à la loi de financement, comme le proposait notre collègue Yves Bur dans sa proposition de loi. Il paraît que cela a choqué la pudeur du Gouvernement ! Il ne souhaitait pas troubler notre Assemblée par une vision trop crue des déficits cachés que j'ai eu l'occasion de rappeler tout à l'heure.

Il n'est d'ailleurs pas anodin de constater que cette pudeur s'exerce tout particulièrement sur la situation financière des deux institutions financières qui portent le bilan, dans tous les sens du terme, des deux réformes dont se flatte ce Gouvernement : celle des retraites et celle de l'assurance maladie, à travers la CADES et le FSV.

Une exposition plus franche de la situation financière de la CADES et du fonds de réserve des retraites modérera peut-être les déclarations d'autosatisfaction gouvernementales. Là encore, j'espère que le Parlement remédiera à ces faiblesses.

Chers collègues, rappelez-vous les déclarations du ministre au début de l'été : avant de présenter sa réforme, il nous chantait les vertus cardinales du paritarisme rénové. À l'énoncé de ses propositions, nous avions, en tant qu'opposition, dénoncé l'étatisation de l'assurance maladie dont la conduite était confiée pour l'essentiel au bon vouloir du proconsul. Au regard des quelques mois qui viennent de s'écouler, plus personne ne vient désormais contester nos analyses : il suffit de se rappeler comment a été négociée la nouvelle convention médicale pour constater à quel point ont été relégués les partenaires sociaux.

Aujourd'hui, ce n'est pas seulement d'étatisation qu'il faut parler, mais de tentative de politisation de l'institution de l'assurance maladie. Sa communication se met docilement au service de la politique gouvernementale. Cela n'a pas toujours été le cas, et l'on pourrait citer des exemples fameux sous le précédent gouvernement, lorsqu'on a vu un directeur de la CNAM tenir un langage différent de celui du ministre. Je regrette qu'on cède aujourd'hui à la tentation de détourner l'assurance maladie de sa tradition de service public pour la soumettre tout entière à des objectifs politiques : ainsi, on peut trouver surprenant que ce soit un directeur de l'UNCAM qui réponde au président de l'UDF lorsque celui-ci, faisant usage d'un droit démocratique élémentaire, prend l'initiative d'une consultation.

Mais revenons au processus d'étatisation que vous avez mis en œuvre avec la loi du 13 août : faute d'être assumée et organisée, aucune autorité légitime n'exerce plus désormais de véritable contrôle démocratique sur l'action de l'assurance maladie. Exit les partenaires sociaux, et les parlementaires n'ont pas, et n'auront pas davantage après le vote de cette loi, de véritable contrôle sur la gestion de ces 150 milliards d'euros.

Contrôle des finances publiques, maîtrise médicalisée, procédure parlementaire : ces concepts peuvent paraître bien abstraits à nombre de nos concitoyens et, il faut bien le reconnaître, la discussion des articles du projet de loi ne sera pas toujours de nature à les éclairer. Pourtant, derrière l'évocation des moyens mis en œuvre pour atteindre ces objectifs, il y va souvent de la crédibilité d'une politique.

Je voudrais rapidement rappeler quelques-unes des promesses que vous avez égrenées depuis un an alors même que vous prétendez faire baisser les dépenses de l'assurance maladie de 10 milliards d'euros : le 5 mai 2004, plan canicule, 20 à 40 millions d'euros ; le 15 juin, plan hospitalisation à domicile, 70 millions d'euros ; le 4 juin, plan médicaments génériques, non chiffré ; le 20 janvier 2004, avenir de la chirurgie à l'hôpital, 80 millions d'euros, avec l'accord des chirurgiens en août ; le 2 février, programme de prévention du cannabis, 10 millions d'euros ; le 4 février, plan de santé mentale, 1 milliard d'euros ; le 21 octobre, T2A, 200 millions d'euros de crédits supplémentaires ; le 10 septembre, plan alzheimer, 105 millions d'euros ; le 8 novembre, plan périnatalité, 270 millions d'euros ; le 20 novembre, plan maladies rares, 100 millions d'euros sur quatre ans ; le 3 février, plan cancer à dix mois, 120 millions d'euros en 2004, 200 millions d'euros en 2005 ; le 28 février 2005, convention d'objectifs et de gestion ATMP, 950 millions d'euros au fonds de prévention ; le 9 mars, budgets hospitaliers, 366 millions d'euros pour la périnatalité, le cancer, la santé mentale, les maladies rares ; le 9 mars, plan La France des proximités, 90 millions d'euros ; le 29 mars, le plan psychiatrie à la suite de la tragédie de l'hôpital de Pau, 6,6 millions d'euros, plus 1,3 million d'euros de reports de charges et 300 000 euros de financements exceptionnels ; le 31 mars, plan urgences, 150 millions d'euros pour 2004 et 175 millions d'euros pour 2005 ; le 31 mars, valorisation du statut des PH, 180 millions d'euros ; le 13 avril, soins palliatifs, 65 millions d'euros ; le 17 avril, gardes titulaires, 60 millions d'euros. Et je n'ai pas la prétention d'être exhaustif.

M. Gérard Bapt. Vous en avez oublié !

M. Jean-Marie Le Guen. Je veux bien le croire !

À aucun moment lors de ces annonces, vous n'avez fait référence à des recettes nouvelles, à un redéploiement quelconque des dépenses de l'assurance maladie en général ou à un transfert au sein des sous-objectifs de l'ONDAM tels que vous les aviez fixés.

Certes, on peut supposer que certaines de ces dépenses sont redondantes et que leur financement est parfois déjà inclus dans une annonce précédente. D'autres gouvernements ont fait cela. On sait aussi que l'annonce d'une ouverture de crédits ne se traduit pas nécessairement par des dépenses, dans la mesure où il est souvent plus facile de créer un financement de postes de professions de santé que de trouver des personnes physiques pour les occuper.

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. Nous ferons le nécessaire !

M. Jean-Marie Le Guen. Mais aujourd'hui, dans l'inflation de promesses qui caractérise votre discours, ce qui domine, c'est le décalage complet entre les chiffres annoncés et la réalité. Car, bien sûr, notre système comptable, budgétaire, statistique, n'est en rien opposable au déferlement des annonces. Cette facilité n'est pas sans conséquences sur la capacité de gouvernance et la confiance qui doit exister entre, d'une part, les responsables − qui peuvent ainsi se dispenser de rendre des comptes − et, d'autre part, le citoyen ou l'assuré qui, en entendant ces discours, peut avoir l'impression que, en matière d'assurance maladie, il n'y a pas de contraintes financières. Comment réformer, comment gérer lorsqu'on laisse entendre que tout est possible, lorsqu'on se garde d'assumer des priorités, lorsqu'on ne met pas de recettes en face des dépenses ?

C'est pourquoi, tant par souci de gestion que par respect de la démocratie, nous aurions besoin d'un cadre budgétaire ou financier beaucoup plus clair, qui nous dispenserait des facilités d'annonces mirobolantes qui ne laisseront place, demain, qu'aux frustrations.

J'en viens maintenant à l'étude du texte lui-même. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Bardet, rapporteur pour avis des affaires culturelles. Enfin !

M. Jean-Marie Le GuenJe vais étudier les articles du texte, car je crois avoir parlé de ses principes − mais, si vous le souhaitez, je peux recommencer. (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Bardet, rapporteur pour avis des affaires culturelles. À condition d'arrêter là !

M. Jean-Marie Le Guen. Mais vous n'avez pas tout entendu. J'ai vu que, à un moment donné, certains se sont assoupis : je peux recommencer pour eux.

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances. Où est l'irrecevabilité, monsieur Le Guen ?

M. Jean-Marie Le Guen. Elle a été justifiée dès la troisième ligne, mon cher collègue. Vous le voyez, vous suivez mal. Je peux reprendre ma première page.

M. le président. Ce n'est pas la peine, M. Bur est convaincu ! (Sourires.)

M. Jean-Marie Le Guen. Nous demanderons au Conseil constitutionnel de se pencher sur ce projet de loi.

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances. Il sera saisi de toute façon !

M. Jean-Marie Le Guen. Je l'imagine, puisqu'il s'agit d'un projet de loi organique.

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances. Vous défendez donc une motion un peu superflue !

M. Jean-Marie Le Guen. Mon cher collègue, nous avons déféré la loi de réforme de l'assurance maladie du 13 août et, plus tard, le projet de loi de financement de la sécurité sociale, en arguant notamment de l'irresponsabilité des recettes et des dépenses programmées. Le Conseil constitutionnel a estimé difficile de se prononcer sur la validité de ces engagements, mais peut-être sa jurisprudence sera-t-elle amenée à évoluer, au vu de nos travaux et des engagements qui seront ou ne seront pas pris.

La première partie de l'article 1er détermine et fixe les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale en ce qui concerne l'année à venir. Il s'agit donc bien d'un vote sur un solde limitatif − déficit ou excédent −, non sur un objectif. Il y a là un glissement de sens, en tout cas un abus de langage : nous savons que nous votons sur un solde, mais le niveau de contrainte politique et juridique que nous fixons est plutôt un objectif.

Plusieurs tableaux d'équilibre retracent ce solde : tableau par branche des régimes obligatoires ; tableau par branche du régime général ; tableau des organismes concourant au financement de la sécurité sociale.

Ces votes sont le principal argument que vous avancez pour vanter un renforcement du pouvoir du Parlement. En réalité, comme le note l'excellent rapport pour avis de la commission des finances du Sénat − pour une fois, ce n'est pas votre rapport que je cite, monsieur Bur −...

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances. Merci de m'épargner ! (Sourires.)

M. Jean-Marie Le Guen. ...« la portée du vote du Parlement n'est pas, en tant que telle, renforcée » par cet article, car « aucun mécanisme contraignant n'est introduit par le présent projet de loi en cas de dépassement de ces objectifs, à la différence de ce qui existe dans les lois de finances ». Il n'y a donc pas de mise en œuvre de la maîtrise.

Pourtant, cet artifice ne garantit en rien la possibilité d'une maîtrise médicalisée, non plus qu'un réel contrôle du Parlement. Nous le verrons lorsque nous examinerons les amendements. En effet, si le solde venait à s'écarter de celui qui avait été voté, le Parlement ne sera pas appelé à débattre des moyens permettant de respecter ce dernier solde. Il n'aura pas non plus les moyens de prévoir un nouveau solde, compte tenu des modifications de l'environnement économique et social − par exemple pour éviter, en voulant tenir à tout prix le solde initial, de prendre des mesures procycliques qui pourraient aggraver la situation. Les mesures de pilotage du solde sont en effet entièrement renvoyées à l'UNCAM et au Gouvernement, alors qu'il devrait revenir au Parlement, dans le cadre d'un collectif social, de se prononcer sur les mesures qu'il juge légitimes : hausse des recettes, baisse des dépenses qui peut prendre de multiples formes comme le démontre le Gouvernement actuel.

M. Gérard Bapt. Très juste !

M. Jean-Marie Le Guen. Des amendements émanant des différents groupes de l'Assemblée nationale entendent corriger ces graves lacunes. Nous espérons qu'ils seront étudiés et adoptés.

Par ailleurs, la loi prévoit, par branche, les recettes des régimes obligatoires de base et des organismes concourant à leur financement, ainsi que leur affectation. Il s'agit bien d'une prévision de recettes et non d'une autorisation de perception des recettes, comme c'est le cas pour la loi de finances. Là encore, on joue sur les mots, pour faire croire que la loi de financement sera ce qu'elle ne sera pas.

Cela signifie que le domaine exclusif de la loi de finances, précisé par l'article 34 de la LOLF, reste entier : l'autorisation de perception des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l'État et l'affectation à d'autres organismes de ressources préalablement affectées à l'État restent du domaine exclusif de la loi de finances. De même, cette dernière continue de disposer d'une compétence partagée en matière d'impositions affectées, de vote des taux ou de l'assiette. Concrètement, elle pourra toujours intervenir en matière de CSG ou de CRDS, contrairement au souhait de beaucoup d'entre nous et de certains commentateurs.

Nous défendrons des amendements pour améliorer ce dispositif, comme l'a d'ailleurs proposé en son temps la commission des affaires sociales du Sénat.

Je ne parle pas des éléments de trésorerie, sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir.

La seconde partie est relative aux dépenses. Ici encore, les lois de financement diffèrent des lois de finances, car le vote a lieu sur des objectifs de dépenses et non sur des plafonds de crédits de dépenses, comme je l'ai déjà souligné.

La question centrale des objectifs accompagnant les prévisions de dépenses est largement ignorée. Le Gouvernement prétend en effet introduire une démarche « objectif résultat », sans réellement préciser de quelle façon seront fixés les objectifs et sans faire correspondre la structure de la loi de financement avec cette volonté affichée. Alors que la décomposition des lois de finances en missions et programmes permet d'échapper aux découpages administratifs traditionnels, aucune indication n'est ici donnée d'une présentation des dépenses sociales en fonction de leur finalité. Tout au contraire, la notion de sous-objectifs semble réservée à une décomposition du seul ONDAM, sans rien prévoir pour les autres risques.

On peut néanmoins s'interroger sur la définition qui pourrait être donnée des sous-objectifs pour chaque branche, qui permettrait de substituer à une logique de moyens ou de nature des dépenses, une logique de finalité.

Vous avez dit tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'État, que vous teniez pour un progrès que le Parlement ait à voter sur un ONDAM hospitalier ou sur un ONDAM ambulatoire. Nous comprenons bien que l'annonce n'est pas la réalisation, mais, alors que nous sommes tous ou presque tous d'accord pour considérer que l'avenir de notre système de santé passe par la fongibilité des enveloppes, il nous paraît que voter sur des ONDAM verticaux est une régression profonde, qui risque d'entraîner le blocage ou la sclérose du système.

M. Jean-Luc Préel. C'est une erreur que de mettre cela dans une loi organique !

M. Jean-Marie Le Guen. C'est une grave erreur.

Cette question de la définition des sous-objectifs est proche, sans la recouvrir totalement, de celle relative au débat sur les dépenses d'investissement des caisses de sécurité sociale que ce texte n'aborde pas.

Des plans d'investissement tels que « Hôpital 2007 », ou la mise en place du dossier médical partagé, ne seront pas, contrairement à ce qui se passe actuellement, identifiés dans les lois de financement. Ces deux dépenses majeures semblent ainsi passer au travers de toute prévision financière, de tout contrôle, de toute évaluation.

S'agissant de l'examen de la loi de financement, nous butons sur l'objet juridiquement non identifié que représente la CNSA. S'agit-il d'un cinquième risque, comme l'avance souvent le Gouvernement et comme le suggèrent certains de nos collègues ? Dans ce cas, il devrait bénéficier d'un statut complet, d'un fonctionnement à l'image des autres risques et être introduit dans la loi de financement, ce qui, à l'évidence, n'est pas le cas. C'est pourtant ce à quoi notre collègue Bur, si je ne dénature pas sa pensée, propose logiquement de remédier.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Caricature !

M. Jean-Marie Le Guen. Nous sommes opposés à ce principe du cinquième risque, avec l'ensemble des organisations syndicales. Nous redoutons en effet, et plus que tout, un nouveau cloisonnement du champ de l'assurance maladie, voire un risque de démantèlement. La manière dont est traitée cette caisse dans le projet de loi de financement et l'incertitude sur l'objet de ses financements témoignent d'ailleurs de la confusion qui règne sur ce dossier.

Mais à propos de la CNSA, il est bien sûr impossible d'éviter le débat sur la pagaille et sur l'injustice qu'a introduit le fameux jour de travail gratuit - je ne parlerai pas de « travail forcé » comme le président de la CFTC. Faisant, une fois de plus, monsieur le secrétaire d'État, semblant de ne pas entendre la protestation massive des Français, vous exercez un chantage à la solidarité envers les personnes âgées et vous jouez sur l'émotion, née après l'épisode dramatique de la canicule, pour justifier des prélèvements contestés non pas en raison de leur finalité mais parce qu'ils sont injustes. En effet, la suppression d'un jour férié fait reposer essentiellement sur le travail l'effort de solidarité sans qu'aucune contribution des entreprises ne soit sollicitée. En outre, l'idée du jour travaillé gratuitement est symbolique d'un rapport au travail culpabilisant et régressif : la corvée, que je sache, ne ressortit pas, dans l'histoire du salariat ou de la fiscalité, à la forme de solidarité la plus moderne qui soit !

Vous vous vantez de ne pas créer d'impôts supplémentaires. Vous rétablissez seulement la corvée médiévale !

M. Jean-Louis Bernard. Oh !

M. Jean-Marie Le Guen. Qui plus est, en vous braquant sur le choix du lundi de Pentecôte, c'est la pagaille assurée !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Vous êtes sans cœur !

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances. Quel égoïsme !

M. Jean-Marie Le Guen. Avec les Français, toutes les organisations syndicales et vos propres élus protestent. Pourtant, vous vous entêtez, poussant l'autosatisfaction jusqu'au ridicule en proclamant gaillardement que tout est sous contrôle... sauf, sans doute, le Gouvernement : tandis que M. Borloo annonçait des revirements attendus, vous-même, monsieur le secrétaire d'État, inauguriez la campagne pour la suppression de cette journée fériée de Pentecôte en déclarant que ce mode de financement était bien insuffisant. Irez-vous jusqu'à annoncer la semaine de travail gratuit ou bien cachez-vous aux Français de nouveaux prélèvements à venir...

M. Gérard Bapt. Bonne question !

M. Jean-Marie Le Guen. ...puisque, je le répète, vous déclarez vous-même qu'un tel mode de financement n'est pas suffisant ? Mais peut-être est-ce une polémique gratuite (Sourires) car une troisième solution a peut-être été trouvée. Je crois, en effet, avoir enfin compris quelle était la politique du Gouvernement en la matière : pour sauver les vieux, nous dit M. Douste-Blazy, faites des bébés ! Faudra-t-il donc que nous transformions le lundi de Pentecôte en une journée consacrée à faire des bébés ? (Rires.)

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances. Ce sera plus intéressant que de vous écouter ! (Sourires.)

M. Jean-Marie Le Guen. Ce serait surtout une proposition plus populaire que celles que le ministre a jusqu'à présent mises en œuvre !

M. Gérard Bapt. C'est la procréation assistée !

M. Jean-Marie Le Guen. Assistée par le ministre ! On comprend en tout cas, à lire de telles déclarations, que le Gouvernement ait besoin d'être aidé pour faire prendre conscience du problème.

Pour autant, les personnes âgées tireront-elles, comme vous le prétendez, monsieur le secrétaire d'État, un bénéfice de ce gâchis social ? Non. Malgré tous vos discours et vos promesses, la CNSA en tant que telle ne créera pas en 2005 un seul poste de travail supplémentaire en faveur des personnes âgées dans les établissements. En effet, si l'ONDAM « personnes âgées » augmente de 100 millions d'euros cette année, dont 20 seront, paraît-il, affectés au plan Alzheimer, cette progression correspond seulement à un financement d'une demi-heure par jour et par établissement. Le reste des ressources de la CNSA sera affecté pour moitié au plan « Handicap », chantier présidentiel de législature parfaitement légitime encore que cela ne corresponde pas à l'objet initial, et l'autre moitié à l'APA, puisque vous avez débudgétisé cette prestation que nous avions créée : c'est ainsi que vous supprimez un jour férié pour financer ce désengagement de l'État.

M. Gérard Bapt. Eh oui !

M. Jean-Marie Le Guen. Dans le même temps, vous avez supprimé 5 500 emplois-jeunes dans les établissements pour personnes âgées, ce qui leur coûtera 170 millions d'euros. Cela, pourtant, c'était aussi de la solidarité, une solidarité active qui était portée par tous et qui ne relevait pas simplement des salariés !

M. Gérard Bapt. Très juste !

M. Jean-Marie Le Guen. En fait, en 2005, l'État et la sécurité sociale financeront à un niveau moindre qu'en 2003 les établissements pour personnes âgées.

S'agissant des conventions tripartites, il serait particulièrement intéressant de connaître leur nombre - encore qu'il conviendrait d'accélérer le rythme de leurs signatures - et, surtout, les sommes versées. Ainsi serions-nous éclairés sur la réalité de l'effort fourni par l'assurance maladie et par le Gouvernement en la matière.

Selon la nouvelle loi de financement, l'ONDAM se décomposera en sous-objectifs d'initiative gouvernementale. Cette décomposition était demandée par la plupart des commentateurs. En revanche, la catégorie des « sous-objectifs » n'est pas clairement définie.

D'une part, leur existence n'est affirmée que dans le cadre de l'ONDAM - il n'y est, en effet, pas fait référence pour les autres branches -, leur création, je le répète, relevant du seul pouvoir exécutif.

D'autre part, ces sous-objectifs semblent uniquement construits par référence au mode d'organisation actuelle, non aux résultats à atteindre. Par exemple, on maintiendra le découpage actuel entre hôpital et médecine ambulatoire, ce qui n'a qu'un sens relatif - ce qui ne se veut pas une critique de ma part - en matière de soins, et les parlementaires seront ainsi dans l'impossibilité de créer un sous-objectif « réseaux de soins ». Pour être plus clair, ces sous-objectifs sont contraires à la logique que l'on voudrait voir prévaloir dans notre système de santé.

Enfin, réserver au Gouvernement l'initiative du découpage en sous-objectifs constitue un singulier recul par rapport à la volonté affichée d'étendre le pouvoir d'amendement du Parlement, notamment au regard des règles de la recevabilité financière. Si la logique retenue dans la LOLF était respectée, l'assimilation entre ONDAM et missions, d'une part, et entre sous-objectifs et programmes, d'autre part, devrait, au contraire, lui permettre cette possibilité de créer des sous-objectifs, puisque dans la LOLF, seules les missions sont d'initiative gouvernementale.

Il faut noter à cet égard que la proposition de loi organique de notre collègue Yves Bur prévoit de façon beaucoup plus claire que la branche, définie comme correspondant à une catégorie de risque social, correspond à la mission, et qu'elle est dans tous les cas subdivisée en sous-objectifs, auxquels sont associées des orientations précises définies en fonction de finalités d'intérêt général, cette définition étant reprise de celle des programmes de la LOLF. Dans ce cadre, l'ONDAM est lui aussi considéré comme une mission à part entière.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Cette connivence avec M. Bur va finir par paraître suspecte !

M. Jean-Marie Le Guen. Quant à la catégorie des lois de financement rectificatives, ou collectifs sociaux, les analyses convergent pour estimer qu'elle n 'aura que peu de raisons de se développer, compte tenu de la possibilité d'adopter des mesures relatives à l'année en cours en première partie.

Comme le note le rapport pour avis de la commission des finances du Sénat - encore une convergence, monsieur Dubernard ! - « la nature hybride de la première partie...

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. « Hybride » !

M. Jean-Marie Le Guen. ...pourrait renforcer la « tendance actuellement observée à ne jamais déposer de projet de loi de financement rectificative ».

S'agissant des compétences partagées, la commission des affaires sociales du Sénat, toujours elle, avait jugé nécessaire, conformément aux préconisations du Conseil des impôts en matière de mesures fiscales, d'assurer aux lois de financement le monopole des mesures ayant un impact sur les recettes sociales, tels les allégements de charges. Elle a également tenté de revenir sur le monopole établi par l'article 36 de la LOLF en proposant un mécanisme d'affectation d'une ressource en loi de finances ou en loi de financement selon qu'elle relève majoritairement de l'État ou de la sécurité sociale.

Ces amendements, malgré leur importance, ont été retirés avant de pouvoir être discutés en séance publique. En débattre montrerait notre considération pour les finances de la sécurité sociale et pour le travail de l'Assemblée.

L'article 2 précise la liste et la nature des documents joints obligatoirement au dépôt de la loi de financement. Sans entrer dans le débat sur les annexes, je pense que le Conseil constitutionnel - encore lui, monsieur le président de la commission des affaires sociales ! - émettra, comme il l'a fait dans le cas de la LOLF, une réserve d'interprétation sur leur caractère obligatoire, en considérant qu'un retard ou leur absence ne peut entraîner l'inconstitutionnalité de la loi de financement votée. Cette remarque est très importante parce que, lorsque nous demanderons par amendement que des informations soient incluses dans la loi, le Gouvernement ne pourra nous opposer qu'elles figurent déjà dans les annexes.

Toujours à l'article 2, il est prévu, dans le paragraphe I, qu'un rapport sera remis décrivant les évolutions sur quatre ans des prévisions de recettes et les objectifs de dépenses par branche des régimes obligatoires de base, du régime général, ainsi que l'ONDAM. On peut regretter - mais j'imagine qu'il s'agit d'une simple erreur d'écriture que le Gouvernement corrigera - qu'il ne soit pas question de cohérence avec le programme de stabilité, également pour quatre ans, que la France doit dresser pour la Commission européenne, d'autant que les informations transmises dans ce cadre peuvent différer, parfois assez sensiblement comme ce fut le cas dernièrement, des déclarations faites par le Gouvernement au niveau national.

M. Gérard Bapt. Bel esprit européen !

M. Jean-Marie Le Guen. N'est-ce pas ?

S'il n'est pas possible, à l'occasion de ce débat, de faire le tour des problèmes que rencontre notre système de santé, ni de faire le bilan de votre réforme, la convention médicale en a dévoilé, à ceux qui en doutaient encore, la nature délétère, qui commencera vraiment à apparaître au second semestre. J'appelle cependant l'attention sur la situation budgétaire et financière particulièrement alarmante des hôpitaux publics, qui, ajoutée au reste, contribue à tendre la situation sociale au sein des établissements du fait de la forte inquiétude des personnels au regard des budgets qui leur sont présentés.

Publiée après plusieurs mois de retard, la circulaire budgétaire confirme d'ailleurs nos inquiétudes. Tout se conjugue pour accroître la déstabilisation de nos hôpitaux publics : le retard avec lequel vous avez adressé les informations budgétaires, la faiblesse insoutenable de l'ONDAM hospitalier, la mise en œuvre cafouilleuse et spoliatrice de la tarification à l'activité - la T2A - dont les tarifs sont beaucoup plus bas que ceux annoncés précédemment par vos services.

Aux difficultés inhérentes à la mise en œuvre de la T2A, vous avez en outre imposé, faussant délibérément le jeu, la convergence tarifaire entre public et privé au grand bénéfice de ce dernier. La conséquence en sera l'abandon au privé d'une part considérable de l'activité hospitalière et, en premier lieu, de la chirurgie.

C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, nous vous demandons solennellement de vous engager à suspendre ce processus de convergence entre le public et le privé, faute de quoi le mécontentement social sera tel qu'il vous faudra renoncer à la réforme nécessaire du fonctionnement et du budget des hôpitaux publics.

Vous n'échapperez pas, dans les prochaines semaines, à la nécessité de sortir des normes que vous avez fixées pour l'ONDAM hospitalier. Est-ce d'ailleurs étonnant alors que vous avez calculé celui-ci en fonction d'une croissance d'activité limitée à 1 %, dans une année où s'appliquera avec le plus de force la T2A, ce qui provoquera justement une certaine croissance ? Est-ce vraiment sérieux ? Vous avez d'ailleurs, par une circulaire d'avril, déjà accordé 390 millions d'euros supplémentaires hors ONDAM - ce qui ne sera pas suffisant -, et, il y a quelques jours, une rallonge de 15 millions d'euros au maire de Marseille pour les hôpitaux de cette ville.

Vous ne pouvez multiplier les annonces de plans sans prévoir de traduction budgétaire. Vous ne pouvez pas continuer à appliquer à l'hospitalisation publique une politique de saupoudrage clientéliste et de rallonges ponctuelles.

Monsieur le secrétaire d'État, je souhaitais terminer mon intervention en attirant votre attention sur la situation particulière de l'hospitalisation publique car si vous ne prenez pas les devants, je crains que les événements sociaux ne vous rappellent à vos devoirs.

Si ce projet de loi est adopté, le Parlement votera des recettes qui seront à l'évidence insuffisantes, des soldes qui seront vite dépassés, des dépenses qui ne seront pas maîtrisées. Le Parlement financera une offre de soins sans pouvoir rien dire ni sur son organisation ni sur sa qualité. Il définira des priorités de santé publique sans bâtir de programmes financiers pour les soutenir ni prévoir les moyens nécessaires. Nous constituerons une dette sans contrôle de sa gestion.

Après l'adoption de cette réforme que vous nous proposez aujourd'hui, la loi de financement de la sécurité sociale restera un exercice plus formel que réel, et l'assurance maladie un système qui ne trouvera sa régulation, malheureusement, qu'à travers ses déconvenues. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. J'ai écouté avec beaucoup d'attention l'intervention de M. Le Guen. Je n'ai entendu aucun argument qui démontre le bien-fondé d'une exception d'irrecevabilité. La commission des lois appelle donc à rejeter cette exception d'irrecevabilité.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, je voudrais rappeler un certain nombre de choses après les propos qu'a tenus Jean-Marie Le Guen.

Tout d'abord, sur la forme. Vous avez regretté, monsieur Le Guen, que ce projet de loi organique ne résulte pas d'une initiative parlementaire, comme cela avait été le cas pour la LOLF, en 2002. Je vous rappelle que le dépôt de ce texte résulte d'un engagement pris par le Gouvernement à l'été dernier devant les assemblées parlementaires de compléter la réforme de l'assurance maladie par une réforme des lois organiques.

Le texte lui-même résulte des concertations approfondies menées avec les commissions des lois, les commissions des finances et les commissions des affaires sociales des deux assemblées, je l'ai indiqué tout à l'heure, et s'est largement inspiré de travaux de parlementaires, notamment de M. Yves Bur ici présent, dont nous connaissons tous l'intérêt soutenu pour ces questions.

M. Jean-Luc Préel. Et la compétence !

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. La critique me semble donc, monsieur Le Guen, pour le moins injustifiée. Nous ne pouvons que regretter qu'un texte aussi important soit analysé avec un esprit aussi partisan et une mémoire aussi sélective alors que vous avez assisté à l'ensemble des débats qui se sont déroulés cet été.

Sur le fond, vous regrettez que le texte n'aille pas plus loin dans la voie de la compensation des charges. S'agissant des contrats d'avenir, vous savez pertinemment que ceux-ci prennent la suite des CES et des CEC et même si ces contrats sont antérieurs à la loi de 1994 voulue par Mme Veil, rien n'interdisait au gouvernement de l'époque d'en compenser les coûts à la sécurité sociale - celle-ci existait déjà, bien évidemment.

Quel paradoxe également de reprocher à ce texte de ne pas aller suffisamment loin dans la rigueur lorsque l'on a soutenu un gouvernement qui a organisé un détournement massif des recettes de la sécurité sociale au travers du FOREC afin de financer les 35 heures !

Vous avez aussi évoqué les prévisions de l'ACOSS, ces prévisions infra-annuelles de trésorerie, du flux d'encaissement et de tirage. Vous avez certainement lu avec attention la note de l'ACOSS. Vous aurez constaté que celle-ci prenait la précaution, soulignée avec insistance, de mentionner qu'il n'était méthodologiquement et conceptuellement pas possible de déduire de prévisions de trésorerie infra-annuelles des prévisions d'exécution de dépenses et de respect ou non des objectifs de dépenses figurant dans les lois de financement de la sécurité sociale.

M. Jean-Marie Le Guen. Il le faut bien pourtant !

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. Que vous commettiez cette double erreur, à la fois méthodologique mais également conceptuelle, me surprend fort.

Certes, la prévision de tirage en trésorerie pour le second semestre semble élevée mais vous oubliez de mentionner que, pour le premier trimestre, l'ACOSS confirmait bien le ralentissement des dépenses d'assurance maladie à 3,8 %. Plutôt que de nous perdre en argutie sur les prévisions de trésorerie, mieux vaut étudier les résultats déjà constatés.

Pour les trois premiers mois de l'année 2005, nous constatons une hausse de 3,8 % par rapport à la même période de 2004. Malgré les effets d'un certain nombre de maladies, d'épidémies ont même dit certains, en février, nous avons pour l'instant une augmentation de 1,7 % sur les soins de ville, de 0,2 % sur les honoraires, et une confirmation de la baisse des indemnités journalières de 3,2 % sur les trois premiers mois de l'année. Il ne s'agit pas là de spéculation, mais bien de résultats concrets.

Pour le reste, je serais tenté de vous donner rendez-vous à la fin de l'année. Nous nous sommes fixé un objectif, ambitieux ont dit certains, j'assume tout à fait ce choix, de 8 milliards d'euros de déficit pour l'assurance maladie. Nous verrons exactement ce qu'il en est, mais vous avez face à vous un secrétaire d'État à l'assurance maladie particulièrement confiant en la matière.

Au-delà de ces données économiques, il faut savoir que les comportements évoluent. Sur les indemnités journalières, nous sommes passés d'une progression de plus 9 % à plus 13 % par an à un rythme de moins 5 % à moins 3,8 %. Sur les antibiotiques, symbole d'un comportement qui, paraît-il, ne changerait jamais - on disait que jamais les Français, les patients, les prescripteurs ne modifieraient leurs habitudes -, nous connaissons aujourd'hui une baisse de la consommation de 19 % en deux ans. Concernant les génériques, pour lesquels une évolution des comportements n'était pas envisageable, nous nous apercevons que nous sommes passés d'une boîte sur treize à une boîte sur huit, et nous allons passer à la vitesse supérieure.

Nous nous réjouissons avec Philippe Douste-Blazy de ces premiers résultats, mais nous restons extrêmement vigilants et déterminés à aller jusqu'au bout de cette réforme que le Parlement a votée l'an dernier.

Sur le respect de l'ONDAM entre 1998 et 2001, je ne peux pas laisser dire que le précédent gouvernement aurait mené une politique de maîtrise des finances sociales. Si cela avait été le cas, cela se saurait.

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances. Tout à fait !

M. Jean-Marie Le Guen. Eh bien, cela se sait !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Et nous ne serions pas là aujourd'hui.

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. Il s'agit de résultats en trompe-l'œil.

M. Jean-Marie Le Guen. Ah !

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. Face à des recettes supplémentaires que vous saviez purement conjoncturelles et temporaires, vous avez laissé filer et vous avez accumulé des dépenses qui étaient, elles, pérennes.

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances. Ils ont dépensé sans compter !

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. C'est une marque de fabrique des socialistes en la matière.

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances. Tout à fait !

M. Jean-Marie Le Guen. Nous avons créé deux millions d'emplois !

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. Mais vous ne pouvez pas dire que vous avez été de bons gestionnaires car votre comportement était tout sauf cela. Et c'est bien pour éviter à l'avenir de telles pratiques que nous avons prévu d'introduire dans ce texte une dimension pluriannuelle afin d'éclairer le Parlement sur la crédibilité de l'ONDAM.

Je voudrais également revenir sur une question qui faisait partie, selon moi, des vieilles lunes et qui ne méritait pas qu'on s'y attarde, je veux parler de l'étatisation de la sécurité sociale que vous avez évoquée. Vous êtes l'une des rares personnes, monsieur Le Guen, à persister dans votre analyse alors que la réforme de l'assurance maladie a, au contraire, reposé sur une association très étroite des partenaires sociaux, et qu'aucun des aspects du projet de loi organique qui vous est soumis n'est de nature à remettre en cause la gestion paritaire de la sécurité sociale, qui se trouve aujourd'hui largement redynamisée avec tous les partenaires sociaux autour de la table.

M. Jean-Marie Le Guen. Comment pouvez-vous dire cela ?

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. Tout simplement parce que nous avons, nous, l'habitude de dialoguer avec les partenaires sociaux. C'est vrai que ceux-ci avaient perdu l'habitude de dialoguer avec les représentants gouvernementaux. Vous n'étiez pas au gouvernement, monsieur Le Guen, mais vous savez que les ministres de la santé qui se sont succédé parmi vos amis n'étaient pas de fervents partisans du dialogue social.

En ce qui nous concerne, nous avons le sentiment, avec Philippe Douste-Blazy, que prendre le temps de la concertation, ce n'est perdre son temps, et c'est dans cet esprit que nous travaillons. Les partenaires sociaux ont d'ailleurs été largement associés à l'élaboration de ce projet de loi organique.

Il est un autre point sur lequel il me semble nécessaire de remettre les pendules à l'heure : voter un solde serait sans signification dès lors qu'il n'y a pas de maîtrise automatique de ce solde. Sur ce point précis, qui peut sembler technique mais qui est davantage que cela, l'avancée par rapport à la situation antérieure est, contrairement à ce que vous dites, importante. Avant, le Parlement se prononçait sur des objectifs de dépenses et de recettes qui n'avaient pas le même champ et qui ne pouvaient donc pas être rapprochés. Désormais, recettes et dépenses seront rapprochées pour faire apparaître un solde et pour mieux apprécier l'équilibre, et je compte bien sûr sur la liberté de parole des uns et des autres pour s'exprimer largement sur ce point.

Bien évidemment, si vous considérez que la transparence n'a aucun intérêt, vous pouvez porter le jugement que vous avez exprimé tout à l'heure, mais, en ce qui me concerne, je préfère la clarté aux nébulosités.

Vous dites que le solde serait sans portée car aucun mécanisme d'équilibrage automatique n'existe. Cela ne me semble pas frappé au coin de la cohérence parce que j'ai cru comprendre que vous n'étiez pas pour la maîtrise comptable - le Gouvernement non plus d'ailleurs n'est pas pour la maîtrise comptable. Il ne faut donc pas regretter qu'il n'y ait pas ce mécanisme d'équilibrage automatique, à moins de préférer la maîtrise comptable à la maîtrise médicalisée. Ce qui n'est pas le cas : ce Gouvernement est bel et bien dans une logique de maîtrise médicalisée.

Vous avez terminé votre intervention sur le financement des hôpitaux. Je voudrais repréciser un certain nombre de points, après que Philippe Douste-Blazy l'a déjà fait plusieurs fois.

Par rapport à l'an dernier, 2 milliards d'euros supplémentaires seront alloués aux établissements de santé en 2005. C'est l'ONDAM hospitalier qui a été voté. Concrètement, ce sont près de 2 milliards d'euros qui seront injectés dans les établissements de santé en 2005.

En outre, les mesures salariales supplémentaires qui seront mises en œuvre par le Gouvernement en 2005 donneront lieu, le moment venu, à un financement par des crédits complémentaires par abondement des budgets des établissements.

Enfin, l'étape, en 2005, du passage à la tarification à l'activité comporte deux modifications importantes qui ont suscité des questions chez un certain nombre de gestionnaires d'établissement.

D'une part, la nécessité de prévoir la part des recettes qui seront directement liées à l'activité alors qu'auparavant, le montant de la dotation globale était fixé forfaitairement pour toute l'année.

D'autre part, la réduction du périmètre des dépenses prises en compte. Sont désormais suivies les seules dépenses à la charge de l'assurance maladie. C'est pourquoi la comparaison des budgets 2005 avec les budgets 2004 n'est pas pertinente si on n'y ajoute pas les autres recettes, notamment la participation des assurés.

Par ailleurs, la création d'une dotation spécifique pour financer les missions d'intérêt général, ainsi que l'augmentation importante des forfaits urgences, le remboursement, en plus des tarifs des séjours, des prothèses orthopédiques, et d'autres dispositifs coûteux, ont conduit à diminuer la base de calcul de ces tarifs. La diminution des tarifs qui en résulte n'est donc pas une diminution des financements des hôpitaux car les nouvelles sources de financement mises en place permettent au contraire de garantir la pérennité des missions de service public de l'hôpital qui ne peuvent pas être financées à l'activité. Vous connaissez suffisamment bien les uns et les autres ces questions pour savoir que l'enseignement, la recherche, l'innovation et l'urgence répondent à d'autres logiques que la seule tarification à l'activité. C'est pour cela qu'il existe la tarification à l'activité et les missions d'intérêt général.

Nous avons aujourd'hui des moyens pour répondre aux problèmes et aux inquiétudes. Vous avez devant vous un Gouvernement qui milite pour l'hôpital public et qui fera en sorte que notre système de santé puisse s'appuyer sur ces différents piliers. Vous avez en tout cas, avec cette loi organique, toutes les raisons de continuer à soutenir et à consolider notre régime de protection sociale.

Je souhaitais, monsieur Le Guen, apporter ces éléments d'information à la sagacité de l'Assemblée, qui aurait pu, si elle n'avait entendu que votre point de vue, être abusée. Merci de m'avoir permis de remettre un certain nombre de choses au point. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Les explications de vote et le vote sur l'exception d'irrecevabilité sont renvoyés à la prochaine séance.

    5

SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION

M. le président. J'informe l'Assemblée que la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, a décidé de se saisir pour avis des articles 15 à 20 du projet de loi pour la confiance et la modernisation de l'économie (n° 2249).

    6

ORDRE DU JOUR
DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi organique, adopté par le Sénat, n° 2116, relatif aux lois de financement de la sécurité sociale :

Rapport, n° 2246, de M. Jean-Luc Warsmann, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République ;

Avis, n° 2244, de M. Jean Bardet, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales ;

Avis, n° 2245, de M. Yves Bur, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quinze.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot