Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus intégraux (session ordinaire 2005-2006)

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire
Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 20 octobre 2005

26e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LUC WARSMANN,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

Loi de finances pour 2006

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2006 (nos 2540, 2568).

Hier, l’Assemblée a continué d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

Discussion générale (suite)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Yves Cousin.

M. Jean-Yves Cousin. Monsieur le président, je tiens tout d’abord à remercier Gérard Bapt, qui a accepté d’inverser l’ordre de passage.

Monsieur le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, le principe républicain commande que le citoyen soit traité à égalité avec l’État. Notre société connaît encore trop souvent ce que les juristes appellent le « fait du prince » et, s’il est un domaine où ce sujet est le plus sensible, c’est sans doute en matière fiscale.

En 2003, j’ai remis au président de la commission des finances, Pierre Méhaignerie, un rapport sur l’amélioration des relations entre les contribuables et l’administration fiscale. Dans ce rapport, je n’avais pas manqué de relever l’inégalité choquante entre l’intérêt de retard de 9 % appliqué au citoyen en cas de retard dans la déclaration de ses revenus et l’intérêt moratoire de 3,25 % payé par l’État au citoyen en cas d’erreur envers celui-ci. Il y a donc deux poids, deux mesures : « Selon que vous serez puissant ou misérable… »

J’ajoute que le taux d’intérêt de retard de 9 % pouvait avoir un sens à une époque où le loyer de l’argent était relativement élevé. Mais celui-ci étant aujourd’hui plus proche de 3 %, nous sommes devant une double injustice : l’État paie un intérêt de retard de 3,25 % et non de 9 %, alors que le loyer de l’argent est d’environ 3 %.

Cette mesure était en outre particulièrement inique : lorsqu’un salarié avait omis de déclarer une partie de ses salaires, il se voyait supprimer le bénéfice des 20 % d’abattement sur les salaires, à quoi s’ajoutait le taux d’intérêt de retard de 9 %. Cette mesure impliquait des conséquences pécuniaires très lourdes pour les personnes aux revenus les plus modestes. J’avais proposé dans mon rapport que l’État soit traité comme le citoyen : l’intérêt de retard devait être identique à l’intérêt moratoire supporté par l’État.

Monsieur le ministre, vous préconisez une harmonisation des taux de l’intérêt de retard et de l’intérêt moratoire. Vous proposez un taux de 4,80 % proche des loyers de l’argent, et donc inférieur de moitié au taux de l’intérêt de retard à 9 %.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. C’est une excellente disposition !

M. Jean-Yves Cousin. C’est une mesure courageuse. Cependant, il existe un autre dispositif, codifié à l’article 62 du code de procédure fiscale, qui précise que la contrepartie de la régularisation spontanée d’une erreur entraîne la réduction de moitié du taux d’intérêt de retard. Ce dispositif conduit à diminuer le taux d’intérêt de 9 à 4,50 %. Avec le nouveau régime proposé, il passerait de 4,80 % à 2,40 %. J’appelle l’attention sur l’effet d’aubaine possible. Je proposerai donc, afin d’éviter cette éventualité, un amendement visant à porter cette réduction de 50 à 70 %.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. C’est un très bon amendement !

M. Jean-Yves Cousin. Merci, monsieur le rapporteur général.

Cette précision étant apportée, l’initiative que vous avez prise sur l’intérêt de retard, monsieur le ministre, corrige une profonde inégalité. C’est une mesure courageuse, car elle a un coût budgétaire certain. Mais elle ne pénalisera plus les plus modestes : c’est une véritable mesure de justice fiscale qui établit une stricte égalité entre les droits et les devoirs de l’État et de ses citoyens et une confiance accrue de ces derniers dans leurs rapports avec l’administration fiscale. C’est vous, monsieur le ministre, qui la mettez en place, et je m’en réjouis. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt.

M. Gérard Bapt. Monsieur le président, je souhaite associer à mon intervention Pascal Terrasse qui, ne pouvant être présent ce matin, a eu l’obligeance de me céder son temps de parole.

Monsieur le ministre, « presque tout pour un petit nombre, pas grand-chose pour un grand nombre », c’est ainsi que je serais tenté de qualifier le projet de budget que vous nous présentez pour 2006 ainsi que la réforme fiscale 2006-2007.

Que le projet de loi de finances profite toujours aux mêmes, nous nous y attendions. Qu’il contribue à la poursuite de la dégradation des comptes publics, nous y étions, hélas, habitués depuis le début de la législature : le déficit public n’est jamais revenu au-dessous du niveau atteint par le précédent gouvernement entre 1997 et 2002.

Mais que, pour la première réalisation d’un budget sur le mode défini par la loi organique du 1er août 2001, vous atteigniez ce point d’insincérité, je juge cela déplorable tant à l’égard de la représentation nationale que des auteurs de notre nouvelle constitution financière, laquelle a successivement associé majorité et opposition – je pense notamment à Didier Migaud – au cours de deux législatures. C’est honteux, enfin, à l’égard des citoyens français à qui vous voulez faire croire en un « zéro volume » totalement artificiel.

Pis encore, ces manipulations budgétaires, en soi répréhensibles, ne sont pas neutres puisque, par des tours de passe-passe dont vous semblez seuls avoir le secret, ce sont les comptes de la sécurité sociale qui sont désormais clairement menacés. Après les collectivités locales, auriez-vous trouvé là une nouvelle victime du délestage de l’État ?

C’est autour de ces quatre points que je souhaite exprimer mon opposition, car votre budget est faussé, injuste, anti-économique et il transfère votre imprévoyance sur les comptes des collectivités locales et de la sécurité sociale.

Votre budget, mal ficelé, est faussé en raison de trucages tels que le caractère artificiel de la règle du « zéro volume ».

Considérons la plus jolie ficelle que recèle votre projet de loi : celle du financement des allégements de charge, à l’article 41. Vous avez décidé de comptabiliser les allégements de charges sociales que l’État compense, non plus en dépenses du budget général, mais en moins-values de recettes. À ce compte-là, il est certain que les 18,6 milliards d’euros qui seront versés aux organismes de sécurité sociale n’iront pas grossir la colonne des dépenses et vous pouvez afficher une progression de 1,8 % en valeur, selon le niveau d’inflation attendu l’an prochain.

La sécurité sociale, quant à elle, servira de trésorerie aux entreprises en attendant la régularisation qui ne pourra intervenir, en compensation, que deux ans plus tard. Gageons que cela alimentera la reprise de la dette de la sécurité sociale par la CADES.

À ce propos, monsieur le ministre, je souhaite vous poser une question précise concernant le retard apporté à la mise en place du conseil de surveillance de la CADES. Le mandat précédent étant échu depuis plusieurs mois, il n’est pas acceptable que la CADES n’ait plus de conseil de surveillance où, je le rappelle, siègent des représentants de notre assemblée. Je souhaite donc savoir, puisque la tutelle de la CADES est double – économie et finances d’une part, santé d’autre part – quand le conseil de surveillance pourra se réinstaller.

D’une façon générale, rarement un projet de loi de finances n’aura été si difficile à lire ! Je ne pense pas, monsieur le ministre, que l’objectif de la LOLF était de rendre si périlleuse la comparaison du projet de loi de finances pour 2006 avec le projet de loi de finances initiale pour 2005. Vous vous êtes d’ailleurs bien gardé de communiquer sur l’évolution des crédits, poste par poste.

Votre budget est injuste. À cet égard, un grand quotidien économique rapportait récemment les propos de M. Thierry Breton qui, devant les parlementaires de la majorité réunis pour un déjeuner de travail, indiquait qu’il s’agissait d’un bon budget, parce que de droite. Je dois reconnaître à ce ministre le mérite de la sincérité ! Classique pour un budget de droite, il est tout entier au service de quelques clientèles : il est dans « la bonne direction », a approuvé le MEDEF.

Est-ce vraiment, au lendemain de la Journée mondiale du refus de la misère, une manière pertinente d’agir que de faire des économies de bouts de chandelles sur le dos des plus modestes – je pense aux 20 millions d’économies par rebasage du forfait logement pour l’accès à la couverture maladie universelle complémentaire des familles les plus modestes ?

Mais ce sont vos cadeaux fiscaux à certaines catégories de Français qui sont les plus choquantes. Si l’on s’en tient à vos propos, l’État va accorder une baisse d’impôt de 500 millions d’euros à 126 000 contribuables, soit une baisse moyenne de 4 000 euros par contribuable ; mais ce que vous ne dites pas, c’est que cette baisse est très inégalement répartie : elle profitera aux 9 000 plus gros contribuables, ces derniers voyant leur impôt fondre de 25 000 euros. Les Échos de ce matin rendent publique l’étude de l’OFCE, parue hier, qui confirme les propos de l’opposition : 38 % des gains de la réforme seront engrangés par 30 % des ménages appartenant aux couches moyennes, dites-vous. En vérité, il s’agit des couches supérieures. Ce sont en effet 10 % des ménages les plus aisés qui, toujours selon l’OFCE, bénéficieront de 40 % des gains, dont 31 % iront aux 5 % les plus riches.

S’agissant à la fois de la baisse de l’impôt sur le revenu et de la prise en compte de la prime pour l’emploi, l’OFCE conclut que la réforme creuse les inégalités de revenus. Monsieur le ministre, sommes-nous en situation de creuser ces inégalités, qui sont déjà excessives ?

Conséquence de la réforme de l’impôt sur le revenu pour 2006 et 2007 : la mort programmée de l’impôt citoyen. Le Premier ministre avait pourtant eu l’habileté de se donner une double ambition : faire œuvre de simplification et alléger la pression fiscale.

Le système français des impôts est, il est vrai, particulièrement opaque, et tend à pénaliser les couches moyennes de la population. Mais la réforme a-t-elle vraiment pour but d’avantager celles-ci ? Et la simplification est-elle vraiment le but poursuivi ?

À première vue, l’ambition de simplifier apparaît logique. Les impôts, en France, sont en effet d’une complexité rare, notamment l’impôt sur le revenu, truffé de niches multiples, d’exonérations en tout genre et d’abattements innombrables qui alimentent tout autant de privilèges, passe-droits ou inégalités. Comment, dès lors, ne pas souscrire au souci de simplification technique revendiqué par le Premier ministre et vous-même ? Ainsi, grâce à la suppression de l’abattement forfaitaire de 20 %, les contribuables découvriraient que le taux d’imposition marginal n’est pas de 48 %, comme beaucoup le croient, mais en réalité de 38 %.

Cependant, une telle présentation des choses relève de la supercherie. L’opération consistant à supprimer l’abattement forfaitaire et à réduire d’autant les taux d’imposition n’est pas, en effet, un jeu à somme nulle, pour une raison méticuleusement analysée dans un rapport publié en juin 2000 par le Conseil des impôts : l’intégration de l’abattement de 20 % dans le barème serait favorable aux revenus qui n’en bénéficient pas jusqu’à présent, y était-il noté avec bon sens.

Quels sont les revenus qui n’en bénéficient pas ? Certains revenus fonciers ou de capitaux mobiliers, les plus-values immobilières, les revenus professionnels de non-salariés, mais aussi ceux des contribuables dont le revenu imposable dépasse le plafond – 117 900 euros en 2005 – au-delà duquel l’abattement ne joue plus.

Ce seul chiffre permet de prendre la mesure du problème. Un contribuable qui atteint ce seuil de revenu imposable peut-il légitimement être classé dans la catégorie des classes moyennes, alors que, selon la dernière statistique connue de l’INSEE, valable pour 2003, le revenu médian est en France de 17 463 euros ? En réalité, il figure parmi les 10 % les plus riches, ceux qui, pour l’essentiel, tireront avantage du nouveau dispositif. Le Conseil des impôts était lui-même conscient des effets pervers d’une telle réforme, puisqu’il préconisait des mesures pour les corriger, comme la création d’une nouvelle tranche d’imposition au niveau de ce plafond.

L’annonce du second volet de la réforme, visant à réduire à quatre le nombre de tranches d’imposition, contre sept actuellement, peut faire l’objet d’une critique similaire : en gommant la progressivité de l’impôt sur le revenu, la mesure profite aux revenus les plus élevés. Nous sommes donc inquiets de sa mise en œuvre, d’autant plus qu’elle pourrait durer au-delà de 2007 si par malheur votre politique était poursuivie après l’élection présidentielle.

Depuis des lustres, la progressivité de l’impôt était une des valeurs de la République, en vertu du principe édicté, contre les privilèges de l’Ancien Régime, par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés. »

Par deux décisions célèbres, en 1990 puis en 1993, le Conseil constitutionnel, en marge du débat autour de la CSG, avait rappelé que la montée en puissance de ce prélèvement proportionnel était possible, mais à la condition que cela ne remette pas en cause le principe de la progressivité, garanti dans certaines limites par la Constitution.

À petits pas, la France est pourtant en train d’enterrer, selon les vœux de l’aile la plus libérale de votre majorité, le seul grand prélèvement progressif dont elle dispose – « l’impôt citoyen », comme on l’appelle souvent – et se dirige vers un système de prélèvement proportionnel. M. le Premier ministre, Dominique de Villepin, qui, dans son dernier ouvrage, Le requin et la mouette, affichait sa foi dans « l’éternité de l’homme né un soir de 1789 », s’apprête ainsi dans le même temps à tourner le dos à quelques-uns des grands principes, notamment fiscaux, sur lesquels la République s’est construite.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Vous avez d’excellentes lectures !

M. Gérard Bapt. Assurément, mais je n’ai pas précisé à qui il pensait en évoquant le requin et la mouette. (Sourires.) Nous le constatons de jour en jour : la mouette, ce sont les classes populaires, qui souffrent de votre politique fiscale et budgétaire !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Pour une fois que j’avais un mot gentil… On ne m’y reprendra plus ! (Sourires.)

M. Gérard Bapt. Vous nous présentez donc un budget faussé, injuste et antiéconomique qui, au prétexte d’une relance de la croissance – d’ailleurs largement surestimée –, organise la poursuite de l’endettement. En effet, le poids de la dette publique – et donc sa charge – va continuer de croître pour atteindre des sommets inégalés : 65 % du PIB, alors qu’elle atteignait 58,2 % à la fin de 2002, la politique de la gauche s’étant traduite par une diminution de 2,7 points entre 1999 et 2001. Hors charge de la dette, le budget de 2001, rappelons-le, était en excédent. Aujourd’hui, du fait de votre gestion calamiteuse, cette charge est devenue le deuxième poste budgétaire de l’État avec 3 % du PIB, et ce malgré des taux d’intérêt exceptionnellement bas.

Dans un budget prétendument axé sur la « croissance sociale », je ne vois, monsieur le ministre délégué, ni croissance, ni social ! Vos baisses d’impôts n’auront aucun effet positif sur la croissance, dont la relance, condition nécessaire à la création d’emplois, passe par celle du pouvoir d’achat. Les Français l’ont bien compris le 4 octobre, qui réclamaient, avec la gauche, des mesures telles que la réactivation de la TIPP flottante, mise en place par le gouvernement Jospin avec le concours de Didier Migaud, ou l’ouverture de négociations dans la fonction publique et, par branche, dans le secteur privé, pour définir une politique pluriannuelle des salaires.

À l’opposé, vous faites des collectivités territoriales autant de boucs émissaires. Elles seront pourtant, d’une manière ou d’une autre, victimes du bouclier fiscal que vous mettez en place pour les plus riches ! De même, elles seront gravement affectées par votre réforme de la taxe professionnelle.

Sans doute jaloux – la jalousie est un mauvais sentiment –de la réforme de l’assurance maladie signée par M. Douste-Blazy et M. Bertrand, vous instaurez en effet un ticket modérateur sur les collectivités locales ! Celui-ci coûtera cher : 177 millions de pertes pour les départements, 217 millions pour les régions, 56 millions pour les intercommunalités.

Le groupe socialiste dénonce un budget manquant de transparence, inéquitable, incompatible avec une véritable politique de croissance, et dont l’exécution se fera au détriment des collectivités territoriales et de la sécurité sociale. Il s’attachera à en démontrer le caractère outrancièrement libéral, comme il le fera, la semaine prochaine, à l’occasion de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Chamard.

M. Jean-Yves Chamard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si, après avoir injecté un peu de proportionnelle dans notre système électoral, nous nous étions retrouvés, comme les Allemands, contraints de discuter sur un programme commun à la gauche et à la droite,…

M. Jean-Louis Idiart. Et de renoncer à la baisse de l’impôt sur le revenu ?

M. Jean-Yves Chamard. …le débat d’aujourd’hui porterait sur la question de l’augmentation du déficit, nos collègues de gauche poussant, comme toujours, à l’accroître au-delà de l’acceptable.

M. Jean-Louis Dumont. Il faut un déficit dynamique. (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Yves Chamard. En Allemagne, et alors même que le pays connaît une situation comparable à la nôtre, on se demande, au contraire, comment le diminuer. Le SPD propose une réduction de 15 milliards d’euros, la CDU, une réduction de 30 milliards.

M. Jean-Louis Idiart. Et la CSU ?

M. Augustin Bonrepaux. Vous, en tout cas, vous ne le réduisez pas beaucoup !

M. Jean-Yves Chamard. Un compromis sera probablement trouvé autour d’un montant de 20 milliards d’euros.

Lorsque les principaux responsables de la commission des finances, ici présents, ont suggéré de réduire le déficit de 2 milliards d’euros – c’est-à-dire dix fois moins –, ils se sont fait traiter d’irresponsables. On leur a demandé de se montrer raisonnables, ce qui s’est traduit par un montant voté par la commission de 500 millions d’euros. Quarante fois moins que l’effort consenti en Allemagne !

Il s’agit, je le crois, d’une bonne illustration de la culture de la dépense publique qui sévit en France. Elle est évidemment entretenue par une gauche démagogique – lisez le programme de M. Fabius (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) –,…

M. Jean-Louis Idiart. On croirait entendre M. Sarkozy !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Il a raison !

M. Jean-Claude Sandrier. Il faut bien corriger les dégâts causés par votre politique !

M. Jean-Yves Chamard. …mais aussi par une droite et un centre qui n’ont pas toujours le courage de dire la vérité aux Français.

Le moment me semble venu de rompre avec cette attitude. Il faut tout dire à nos concitoyens.

Ainsi, le déficit du budget de l’État n’est pas de 3 %, comme beaucoup le croient, par confusion avec la part qu’il représente par rapport au PIB, mais de 20 % ; la dette accumulée est supérieure à 1 000 milliards d’euros, et s’accroît de 30 000 euros à la minute – je vous laisse calculer de combien elle aura augmenté pendant la discussion du budget ! – ; nous nous soignons à crédit sur le dos de nos enfants ; la réforme des retraites, bien que très courageuse, ne comble que la moitié des besoins de financement ; la formation d’un élève, dans l’enseignement secondaire, coûte 25 % de plus que la moyenne des pays de l’OCDE, alors que les résultats sont strictement dans la moyenne, comme le démontrent, année après année, les enquêtes PISA ; plus de 20 000 enseignants sont sans classe, sans activité pédagogique, sans décharge statutaire ; il y a deux fois plus d’agents à la SNCF par kilomètre parcouru que de cheminots allemands ; …

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Exact !

M. Jean-Yves Chamard. …la gestion publique de la SNCM était totalement calamiteuse, …

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Voire frauduleuse !

M. Jean-Yves Chamard. …chaque jour qui passe nous apportant son lot de révélations à ce sujet. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Ce n’est qu’une petite partie des choses qu’il faut dire si nous voulons que nos concitoyens se responsabilisent.

Certains pensent qu’il suffit de promettre toujours plus pour gagner les élections. Peut-être était-ce le cas dans le passé, mais les mentalités changent. D’ailleurs, mes chers collègues de la majorité, nous serons toujours dépassés à ce jeu par les socialistes, qui ont la dépense dans le sang. Il suffit de voir ce qu’ils viennent de faire dans les régions ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. C’est vrai !

M. Jean-Louis Idiart. Nous avons même inoculé le virus à Chirac ! Il est de plus en plus social-démocrate !

M. Jean-Yves Chamard. Je crois d’ailleurs qu’en 2007, les enjeux des élections seront, comme en 2002, d’ordre sociétal. En 2002, c’est la sécurité qui a permis de trancher. En 2007, le grand débat portera probablement sur l’immigration, subie ou choisie.

Si nous parions sur le sens des responsabilités des Français, nous dirons que ce budget est raisonnable – pas formidable, monsieur le ministre –, compte tenu des engagements passés, des contraintes présentes, du choix que nous avons fait collectivement de mettre l’emploi au premier rang.

J’exprimerai cependant trois regrets.

D’abord, nous sommes loin du « zéro volume », comme l’a démontré le rapporteur général, ou notre collègue Charles de Courson, dont je ne partage pas toujours les conclusions, mais dont les chiffres sont en général exacts.

M. Jean-Louis Dumont. Ils le sont toujours !

M. Jean-Yves Chamard. Les dépenses liées à l’Europe, aux collectivités locales, à la sécurité sociale sont en effet de vraies dépenses. Ce n’est, certes, pas la première fois que nous observons ce jeu subtil entre la première et la deuxième partie de la loi de finances.

Ensuite, un regret plus important : pourquoi avoir baissé la garde en matière de productivité des agents publics ? Je rappelle qu’ils sont 2 350 000, et qu’un point de productivité équivaut à 23 000 postes. Or environ 65 000 départs en retraite auront lieu cette année. En 2003, nous avons réduit l’emploi public d’environ 2 000 emplois, de 4 500 en 2004 et de 8 500 en 2005. Il me paraissait logique d’arriver à 12 500 cette année, soit l’équivalent d’un gain d’un demi-point de productivité. Dans bien d’autres endroits, on parle plutôt de deux points de compétitivité ! Ce chiffre de 12 500 ne représentait pourtant qu’un départ en retraite sur cinq non compensé. Avec 4 500, nous en sommes à un sur quatorze. Et je ne tiens pas compte des 25 000 contrats d’avenir dans l’éducation nationale.

Enfin, troisième regret, le budget dont je suis le rapporteur spécial, et qui représente 60 milliards d’euros, ne donne aucun indicateur de coût. Combien coûte un élève dans le primaire, dans le secondaire, dans tel établissement ou dans tel autre ?

M. Jean-Louis Idiart. À quel prix pourra-t-on le vendre ? Quel bénéfice pourra-t-on en tirer ?

M. Jean-Yves Chamard. De même, il n’existe aucune comparaison internationale, ce qui serait pourtant indispensable.

Que faut-il faire à l’avenir ? D’abord, revoir le périmètre de l’action de l’État – le président Méhaignerie le dit souvent – ainsi que ses modes d’organisation. Ensuite, passer un accord avec les fonctionnaires, afin que les bénéfices d’éventuels progrès de productivité soient répartis entre une augmentation des salaires et une diminution des dépenses.

Monsieur le ministre, avec mes collègues de l’UMP membres de la commission des finances, nous sommes décidés à vous aider, vous et Thierry Breton, afin de remettre les finances publiques sur la bonne voie.

Bravo pour les audits ! Enfin ! La commission des finances conduira également les siens. Elle a déjà ouvert le capot s’agissant des enseignants sans classe ni activité pédagogique. Nous serons évidemment très vigilants sur les suites qui seront données à vos audits et aux nôtres – ils se recouperont très probablement. De même, nous communiquerons sur l’état exact des finances, comme Thierry Breton l’a fait il y a quelques semaines.

Nous vérifierons en outre que les projets de loi budgétivores seront financés par redéploiement. La question va d’ailleurs se poser très vite avec la grande loi sur le logement qui nous a été annoncée.

Enfin, nous expliquerons à nos concitoyens où veulent les emmener les socialistes dépensophiles. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Claude Sandrier. C’est insultant !

M. Jean-Louis Dumont. Méprisant !

M. Jean-Louis Idiart. C’est petit !

M. Jean-Yves Chamard. Car si nous sommes dans cette situation, c’est d’abord et en grande partie à cause d’eux, qui ont utilisé toutes les marges de croissance des années 1997 à 2000 pour générer de nouvelles dépenses et créer des bombes à retardement !

Ce sont eux qui ont créé une APA non financée, à l’origine d’une augmentation de 20 % de la fiscalité départementale. Ce sont eux qui lancent les régions qu’ils dirigent dans la course folle à la dépense. Il leur faut un sacré culot pour donner aujourd’hui des leçons à un gouvernement qui va dans la bonne direction !

M. Jean-Louis Idiart. Et qui parlait sans cesse de « cagnotte » fiscale ? Quelle contradiction !

M. Jean-Yves Chamard. Pour toutes ces raisons et pour beaucoup d’autres, je voterai le budget de 2006. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Louis Idiart. Bravo Sarkozy !

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Dumont.

M. Jean-Louis Dumont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen d’un projet de loi de finances est une occasion pour aborder des sujets nombreux et souvent de qualité, prouver qu’il est possible de faire autrement et, peut-être aussi, d’améliorer tous ensemble le mode de fonctionnement de l’État.

On débute toujours par un article 1er, traditionnel,…

M. Jean-Louis Idiart. C’est mieux ! (Sourires.)

M. Jean-Louis Dumont. …historique, indispensable, puisqu’il a pour objet d’autoriser le gouvernement en place à percevoir l’ensemble des impôts et des taxes qui vont permettre d’alimenter les dépenses. À cette occasion, on peut s’interroger sur certaines conséquences de la LOLF. On nous annonce par exemple qu’il ne pourra plus y avoir de report, mais, selon des campagnes de presse, sauf éventuellement pour le ministère de la défense. On comprend donc bien qu’aucun ministère n’échappera à la régulation.

Cette perception des impôts et des taxes nous amène à nous interroger sur la fonction publique de l’État, sur ces agents que, d’une façon générique, on appelle fonctionnaires et qui suscitent chez certains de nos collègues des réactions dont on pourrait dire qu’elles sont exagérées si, à certains moments, elles n’étaient pas simplement féroces. Pourtant, que ferait-on sans la qualité de leurs interventions ?

Néanmoins, nous sommes en 2005 et, quand on veut préparer l’avenir, il faut se soucier de la gestion des ressources humaines, et vous particulièrement, monsieur le ministre, qui êtes à la tête de dizaines de milliers d’agents qui jouent un rôle considérable d’accueil et de conseil dans les réseaux du Trésor public. J’ai pu mesurer leur mobilisation et la qualité de leurs conseils à propos des fonds européens, dont la répartition sur le territoire est un levier puissant de dynamisation et de réponse aux élus locaux.

Vous avez parlé hier, monsieur le rapporteur général, de ces tuyaux dont l’un d’entre eux était gros, comme si, pour le prélèvement de 18 milliards qui sera sans doute voté lundi après-midi au bénéfice de l’Europe, il n’y avait pas de retour. Je suis un peu choqué car, si, demain, monsieur le président de la commission des finances, ils étaient prélevés sous forme d’un nouvel impôt, européen, dont l’assiette concernerait l’ensemble du territoire de l’Union européenne, dont le mode de perception serait unique pour tous, je ne doute pas qu’on diminuerait d’autant les recettes de la loi de finances nationale. Nous ferions comme nous avons tous fait, maires ou présidents d’intercommunalité : lorsqu’une partie des recettes a été transférée à l’intercommunalité, la commune initiale a diminué d’autant son prélèvement. Je n’ose pas penser que vous ne l’ayez pas fait, comme j’ai eu l’occasion de le faire moi-même.

Je reviens à la gestion des ressources humaines dans votre ministère, monsieur le ministre. Y en a-t-il une d’ailleurs ? Au-delà des missions techniques données à ces personnels, y a-t-il une mission plus générale quant à la qualité du travail, au déroulement des carrières, au renouvellement même des postes et des qualifications ? Je m’étonne par exemple que, dans la fonction publique d’État, on puisse répondre à telle ou telle personne qui demande une promotion qu’elle l’aura à condition de signer un papier indiquant qu’elle partira à la retraite dans six mois ou un an.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Non !

M. Jean-Louis Dumont. Si, monsieur le ministre, et c’est choquant !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. C’est surtout faux !

M. Jean-Louis Dumont. Ils ne sont pas malheureux, ceux qui signent un tel papier, puisque ce sont les conservateurs des hypothèques. Mais, moi, je m’interroge chaque année, et ce n’est pas la première fois. Du temps de Mme Parly, j’avais déjà évoqué cette question. Au Conseil économique et social, j’avais fait un rapport sur les terrains à construire, et je m’étais interrogé au regard de ce qui se passe en Alsace et en Moselle sur le grand livre foncier. Au moment où le ministre de la cohésion sociale et du logement veut assurer le renouvellement urbain, relancer la construction mais aussi mettre sur le marché du foncier, on peut s’interroger sur notre capacité à moderniser nos moyens. Vous attendez beaucoup de la fonction publique, monsieur le ministre. Nos politiques ne réussissent que parce que les fonctionnaires accomplissent leur mission, dans des conditions parfois difficiles. Ils ont besoin de visibilité, et, manifestement, on ne leur en donne pas.

J’ai lu avec le plus grand intérêt vos réponses aux questions posées par le journal Le Losange, ce journal qui représente les plus de 31 000 débitants de tabac, que l’on n’appelle plus aujourd’hui que du nom générique de buralistes, et en particulier ceux qui sont près des frontières. Et j’y pensais lorsque j’entendais ce matin à la radio que le Gouvernement allait se mobiliser contre le travail au noir, mener de grandes opérations. Le silence du ministère de l’économie et des finances l’année dernière sur le devenir de ce réseau a permis de mettre en place un commerce parallèle, une économie souterraine,…

M. Jean-Louis Idiart. Eh oui !

M. Jean-Louis Dumont. …faite de deux tuyaux, le tout-petit, le multiple, les fourmis, et puis le gros. Celui-là, les douanes s’en occupent. Quand on est sur l’autoroute A4, on voit souvent les douaniers à l’œuvre, et ils obtiennent souvent satisfaction. Le tabac est devenu une économie parallèle, voire autorisée. L’on interdit en effet aux buralistes de vendre à des jeunes du papier et des filtres, parce que, on ne sait jamais, ça pourrait être utilisé pour autre chose, et qu’il y a aussi une question de santé, mais, à quelques mètres, on vend la même chose dans une épicerie. Il faut donc aller jusqu’au bout de la démonstration : ou le tabac est dangereux, et vous l’interdisez, ou c’est un phénomène de société qu’on doit mieux maîtriser, et vous vous en donnez les moyens. Aujourd’hui, on annonce une politique, mais on ne se donne pas les moyens de la maîtriser.

J’ai relevé aussi un certain nombre de contradictions, et je voudrais parler de l’article 48, dont M. Balligand notamment a déjà parlé. La création d’une nouvelle société d’État, c’est tout de même étonnant alors que des tenants de la majorité comme M. Mariton ou M. Tron annoncent avec force et conviction à la commission des finances qu’il faut dégraisser l’État et supprimer un certain nombre d’organismes !

Une telle société, pour quoi faire ? Pour vendre des biens immobiliers qui appartiennent ou appartiendraient à Réseau ferré de France. Dix ans après la loi qui l’a créé, on n’a encore pas entièrement terminé la répartition des biens entre la SNCF et RFF ! Quel sera le rôle de la nouvelle société ? Simplement acheter à RFF à leur valeur comptable les biens qui pourraient être mis immédiatement sur le marché, et les vendre, mais avec un multiplicateur, qui sera de trois, et la différence ira dans le budget général de l’État.

Monsieur le ministre, ce n’est pas le premier gouvernement qui a besoin, pour équilibrer son budget, de prélever ou de préempter, de spolier ont même dit certains. D’autres l’ont fait avant vous, de toutes les majorités. Mais, là, vraiment, ce n’est pas seulement faire les fonds de tiroir : c’est agir en prédateur.

M. Augustin Bonrepaux. C’est scandaleux !

M. Jean-Louis Dumont. Bien sûr !

M. Augustin Bonrepaux. On prélève sur les pauvres ! RFF n’a pas d’argent !

M. Jean-Louis Dumont. On pourrait dire par exemple à RFF, à moins que son patron ne vous écoute pas – on peut supposer que l’ancien, qui avait été préfet de la République, a démérité puisqu’il est parti… mais le nouveau, qui n’est tout de même pas n’importe qui, doit écouter ses ministres de tutelle –, de vendre les terrains disponibles. Que l’État récupère une partie de la vente, bien évidemment, mais il n’est pas admissible que l’on puisse de cette manière spolier RFF qui, je le rappelle, a repris l’ensemble des déficits de la SNCF.

Il y a manifestement avec l’article 48 une contradiction entre le discours politique et l’action du Gouvernement, et la commission des finances, dans sa grande sagesse, l’a rejeté.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je vous répondrai et je vous convaincrai.

M. Augustin Bonrepaux. Ce sera difficile !

M. Jean-Louis Dumont. Je ne demande qu’à être convaincu, monsieur le ministre, du bien-fondé d’une politique économique…

M. le président. Mon cher collègue, je crains qu’il ne vous faille conclure.

M. Jean-Louis Dumont. Je viens à peine de commencer (Rires)

M. le président. Vous aviez dix minutes, cela fait treize minutes que vous parlez.

M. Jean-Louis Dumont. Je ne suis pas sûr que nous ayons le même chronomètre !

Je vais terminer sur un autre sujet, sur lequel M. Balligand est intervenu hier.

J’étais dans cet hémicycle lorsqu’on a créé un soir le fonds de garantie de l’accession sociale à la propriété. Nous avions eu à l’époque une grande discussion. Au départ, il y avait la caisse de garantie du logement locatif social. Elle a aujourd’hui un avantage, celui d’être un établissement financier, et vous ne pouvez donc plus prélever, mais d’autres avant vous avaient prélevé ce qui venait de l’État, et je crois même que trois ministres avaient signé un courrier explicatif, qui nous avait peut-être convaincus à l’époque,…

M. le président. Vous devez vraiment conclure : nous en sommes à quatorze minutes.

M. Jean-Louis Dumont. Si l’on veut convaincre, monsieur le ministre, il faut tenir ses engagements. Depuis, pas un sou n’est arrivé à la CGLLS. Par contre, vous allez prendre 1,4 milliard au FGAS, non seulement des apports des gouvernements successifs mais aussi de ceux des banques, y compris des banques de l’économie sociale.

M. le président. Cela fait un quart d’heure…

M. Jean-Louis Dumont. J’ai terminé, mais j’interviendrai sur des articles pour dire quelle est notre analyse, notre vision des choses. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Monsieur le ministre, je m’associe aux interventions d’un certain nombre de mes collègues qui ont à juste titre souligné la sincérité et la volonté qui caractérisent ce budget, mais je voudrais revenir sur deux points plus précis, et d’abord, en associant à mes propos M. Yves Censi, qui n’a pas pu intervenir dans ce débat, sur un sujet difficile : la situation du fonds de financement des prestations sociales agricoles. Ce fonds fait suite au BAPSA, et nous l’avions trouvé en 2002 très fortement déficitaire.

En dépit de tous les efforts réalisés dans les lois de finances successives, le déficit reste malheureusement important. Le déficit hérité du BAPSA est de l’ordre de 3,2 milliards, et le déficit enregistré par le FIPSA depuis lors est de l’ordre de 1,5 milliard.

Dès lors, plusieurs questions se posent.

Comment rembourser la dette du FIPSA qualifiée par la Cour des comptes de « dette de l’État » ? Le comité de surveillance du FIPSA, auquel appartient M. Yves Censi, a proposé un emprunt dont le remboursement s’étalerait sur dix ans.

Comment doter le FIPSA de ressources suffisamment diversifiées et stables pour que ces déficits ne se renouvellent plus ?

Enfin, comment revoir les règles de la compensation démographique, notamment en matière de dépenses de vieillesse et de maladie, compte tenu du vieillissement de la population et de la fuite des actifs du secteur agricole ?

À ces questions vient s’ajouter celle de la situation des retraités agricoles. Il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine pour garantir d’équité. Nous espérons donc que la proposition du président de la commission des finances, Pierre Méhaignerie, approuvée par le ministre de l’agriculture, Dominique Bussereau, de constituer, dans le cadre de la commission des finances, une mission dont l’objet sera de retrouver l’équilibre financier du FIPSA et d’assurer l’équité en faveur des retraités agricoles, verra bientôt le jour et pourra rendre ses conclusions très rapidement. Elle associerait Yves Censi, moi-même et éventuellement Marc Le Fur ou Jean-Yves Cousin, qui se sont particulièrement impliqués sur ce sujet.

Monsieur le ministre, je souhaiterais également rebondir sur les propos que vous avez tenus voilà deux ou trois jours sur la nécessité d’une comparaison de notre système avec celui des autres. C’est une idée excellente pour trois raisons.

D’une part, parce que la comparaison est en elle-même utile. C’est ce que l’on appelle le benchmarking. Pourquoi certains pays ont-ils une croissance supérieure à la nôtre. Pourquoi le taux de chômage y est-il plus faible ? Pourquoi la dépense publique de recherche y est-elle plus efficace ? Cette démarche est d’ores et déjà engagée à l’Assemblée nationale – pour preuve l’excellent rapport sur la « flexsécurité » au Danemark ou les travaux de la délégation pour l’Union européenne sur le rapport d’Édouard Landrain sur l’aménagement du temps de travail, ou sur le financement de l’assurance maladie. C’est une démarche extrêmement efficace que nous aurions intérêt à systématiser.

De plus, ces comparaisons ne sont pas neutres : l’évolution du système fiscal et de protection sociale chez nos voisins ne se fait pas en vase clos. Nous sommes en concurrence. Il est beaucoup question aujourd’hui de TVA sociale. Le système de la flat tax, qui est un impôt à taux unique avec un seuil d’exonération, a déjà été adopté par les pays Baltes et la République tchèque. Le débat est en cours aux États-Unis et au Royaume-Uni. Si ces deux pays adoptaient ce système, ce ne serait pas sans incidence en termes d’attractivité et de concurrence entre les états. Il est essentiel que nous soyons très attentifs à ces aspects.

Nous appartenons à un ensemble commun, l’Union européenne. Certes, l’harmonisation sociale et fiscale n’est pas une obligation, mais il n’en reste pas moins vrai que nous avons tout intérêt à progresser dans ce sens.

M. Tony Blair, après avoir envisagé d’organiser un sommet européen sur les modèles sociaux, s’est vu contraint de proposer la simple tenue d’une réunion informelle d’une seule journée à la fin du mois d’octobre. Comment envisagez-vous d’aborder ce débat ?

Par ailleurs, il y a quelques mois, dans le cadre de la relance de la stratégie de Lisbonne, il était prévu d’établir des programmes nationaux de réforme dans chacun des États de l’Union européenne. Je sais qu’un programme national de réforme est actuellement en cours de préparation. Dans quelle mesure le Parlement français sera-t-il associé à son élaboration et son adoption ? Nous sommes là au cœur des questions d’harmonisation sociale et fiscale.

Il est tout à fait important que nous sortions du caractère franco-français de nos débats et que nous fassions l’effort de nous comparer aux autres.

Sous ces réserves, monsieur le ministre, j’apporte mon entier soutien à votre budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. François Guillaume.

M. François Guillaume. Monsieur le ministre, votre exercice budgétaire me fait penser à ce livret scolaire sur lequel un professeur aurait écrit : « Peut mieux faire. »

M. Didier Migaud. Voire « à refaire » !

M. Jean-Louis Idiart. Ou encore : « Peut mieux faire, mais ne mérite pas de redoubler. »

M. François Guillaume. Généralement, cette annotation veut exprimer un encouragement plutôt qu’une critique. C’est tout le sens de mon intervention.

Tout d’abord, laissez-moi m’inquiéter de votre équation budgétaire. Comment peut-on à la fois diminuer les impôts, maintenir la dépense en euros constants et revenir sous la barre des 3 % de déficit en 2006, quand le taux d’activité reste médiocre ? Ce ne peut être qu’au moyen d’une nouvelle cession d’actifs détournée d’un objectif à mes yeux prioritaire, le dégonflement de la dette publique, ou encore au prix d’un mauvais arbitrage entre crédits de fonctionnement et crédits d’équipement au détriment de ceux-ci, pourtant créateurs d’emplois marchands.

De grâce, monsieur le ministre, il ne faut plus que les crédits de l’investissement public servent de variable d’ajustement budgétaire. Je m’étonne aussi de l’insuffisance de la réduction des effectifs de la fonction publique. Elle se limite à quelques milliers de personnes alors que la France, comparativement à ses partenaires et concurrents des pays industrialisés, est suradministrée, ce qui n’est pas sans inconvénients pour les entreprises et les citoyens. Pourquoi n’avez-vous pas saisi plus largement l’occasion du départ en retraite de 70 000 fonctionnaires pour réduire le train de vie de l’État et introduire un peu plus de productivité dans certains services ? Car au poids des retraites dues vont s’ajouter les rémunérations des nouveaux embauchés : la dépense de personnel ne sera donc pas stabilisée mais accrue.

Au chapitre des bonnes décisions figure le relèvement de la prime pour l’emploi, qui élargit fort opportunément l’écart entre le revenu d’assistance et le revenu du travail. Cependant, le dispositif ne sera, à mon sens, complet et dissuasif pour les chômeurs professionnels que lorsque les indemnités de chômage seront supprimées à tous ceux qui refusent sans raison majeure le deuxième emploi qui leur est proposé.

Mais votre meilleure proposition est sans conteste le plafonnement de la globalité des prélèvements directs. En premier lieu, il a le mérite de supprimer le caractère confiscatoire de l’impôt, qui décourage le travail et l’épargne, favorise l’expatriation des plus performants et la délocalisation des entreprises. La modalité du retour au contribuable du trop-perçu en cas de dépassement, qui oblige autant les collectivités que l’État à y participer chacun au prorata de ses prélèvements propres est, au-delà de son caractère équitable, une opération de clarification sur les torts partagés de la hausse générale de la pression fiscale.

En effet, les allégements d’impôt décidés par nos gouvernements depuis trois ans ont été chaque fois plus que compensés par les hausses appliquées par les collectivités territoriales qui n’en finissent pas d’étoffer leurs services avant même tout transfert de décentralisation. Il faut en finir avec la manie bien française d’empiler les structures administratives. Ne vous laissez pas fléchir, monsieur le ministre, par tous ceux qui en réfèrent à la liberté pour les collectivités de fixer l’impôt. Liberté oui, mais encadrée par la loi qui doit protéger le citoyen des éventuelles dérives de ses élus locaux !

À cet égard, l’explosion de la pression fiscale dans les régions nouvellement dirigées par la gauche est significative des abus que des majorités en place peuvent commettre quand elles ont la bride sur le cou.

Un autre avantage du plafonnement est d’éviter que l’impôt sur le patrimoine ne s’apparente, pour de nombreux redevables – stupéfaits d’être considérés comme fortunés – à une véritable spoliation qui peut les conduire au dénuement. Chacun a en mémoire les cas aberrants de l’île de Ré où les prix de l’immobilier et des terres atteignent des niveaux faramineux. De petits propriétaires, retraités ou non, se voient réclamer des sommes effarantes dont ils ne peuvent s’acquitter qu’en vendant leur patrimoine pour y faire face. Il est foncièrement injuste, voire inhumain, de dépouiller ainsi ces paysans dont les ascendants se sont succédé de génération en génération sur ces fermes et ont cultivé leurs champs sans rien demander à personne. Bénéficiaires d’une toute petite retraite, ils ne payent pas l’impôt sur le revenu, mais sont néanmoins taxés à l’ISF. Votre règle des 60 % ne répond pas à leur problème : elle réduit certes de 40 % l’impôt, mais ne le supprime pas et le délai d’un an nécessaire au remboursement des trop-perçus exige une trésorerie dont évidemment ils ne disposent pas. Comment pourraient-ils comprendre qu’on les impose sur leurs biens familiaux non seulement quand les œuvres d’art sont exonérées de l’ISF, sur l’insistance d’un certain Jack Lang et avec votre appui, messieurs les socialistes, mais, pis encore, quand les plus-values réalisées lors des reventes spéculatives de ces biens culturels le sont aussi. C’est pour mettre fin à cette injustice que j’ai déposé des amendements raisonnables et bien ciblés. J’attends votre aval, monsieur le ministre, sinon je crains que la rancœur ne soit profonde et durable. Une telle décision de justice lèverait les réserves qui pèsent encore sur votre projet de budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Étienne Pinte.

M. Étienne Pinte. Monsieur le ministre, de 1978 à 2001, les dépenses de l’État sont passées de 22,1 % à 22,5 % du produit intérieur brut, celles de la sécurité sociale de 18,9 % à 24 % et celles des collectivités territoriales de 7,6 % à 10 %. Ces dépenses ont donc augmenté respectivement de 1,8 % pour l’État, de 25 % pour la sécurité sociale et de 30 % pour les collectivités territoriales.

Il est donc possible de conclure de ces données simples que les collectivités territoriales ont dû financer en grande partie les compétences transférées sans que l’État, corrélativement, diminue sa part de prélèvements dans le produit intérieur brut. En clair, l’État en fait moins mais ce sont les collectivités territoriales qui sont obligées de régler la facture.

La France continue à superposer deux systèmes non aboutis qui ont la même vocation : déconcentration et décentralisation. Décentraliser est considéré comme un dogme alors qu’il faut simplifier. Simplifier, c’est accepter de faire le bilan de nos structures et de leur efficacité. C’est donc reconnaître que la déconcentration, qui correspond plus à l’état d’esprit national que la décentralisation, n’est pas achevée.

M. Jean-Pierre Brard. Excellent !

M. Étienne Pinte. C’est accepter de reconnaître que la décentralisation, dans le système actuel, provoque plus de lourdeurs et d’iniquités et qu’elle coûte très cher. Tant que l’État voudra tout réguler, le système sera mauvais. Pour preuve, l’usine à gaz que constituent les dotations et les compensations.

Pour ma ville, Versailles, la liste de nos désaccords avec l’État est longue. Elle est aussi représentative de ce que subissent les grandes villes de France.

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. Étienne Pinte. La perte annuelle de recettes due aux modifications successives de réglementation budgétaire est très importante. L’État régule son budget en réduisant de manière constante ses concours aux collectivités locales. Pour le budget de ma ville, la perte due au cumul des différentes mesures prises depuis 1992 s’élève à 8,4 millions d’euros, soit plus de vingt points d’impôts.

M. Jean-Pierre Brard. Et dire que, pendant ce temps-là, on ne pense qu’à réduire l’ISF !

M. Étienne Pinte. En outre, depuis 1990, à partir d’une base 100, la dotation globale de fonctionnement est passée à 108,5 en 2003, alors que durant la même période l’inflation atteint 125 : c’est donc 1,2 million d’euros qui s’ajoutent aux 8,4 millions d’euros dont je viens de parler.

Nous sommes donc déjà à 23 points d’impôts supplémentaires. Il n’est alors que trop compréhensible, monsieur le ministre, que l’impôt local flambe, comme le disent certains de vos collègues.

Les charges supportées par nos villes pour assurer des missions régaliennes à la place de l’État sont de plus en plus insupportables.

M. Jean-Pierre Brard. Écoutez, monsieur le ministre, ça vous instruira !

M. Étienne Pinte. Elles s’ajoutent bien sûr au chiffre que je viens de rappeler, pour un montant de 6 points d’impôt : nous en sommes aujourd’hui à 29 points d’impôts supplémentaires, dus essentiellement à l’État.

M. Jean-Pierre Brard. Voilà un homme libre !

M. Augustin Bonrepaux. Un élu vertueux et courageux !

M. Étienne Pinte. Il faut lever les ambiguïtés que comporte le statut des maires. Selon certains textes, le maire agit, dans certaines circonstances, au nom et pour le compte de l’État. Ce dernier en profite pour confondre l’action elle-même et les moyens qu’elle nécessite. Il serait logique que le maire, quand il doit exercer des missions relevant de l’État, les accomplisse avec les moyens financiers de l’État.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. C’est le cas.

M. Étienne Pinte. Non.

Le principe selon lequel l’impôt local et les dotations locales doivent être uniquement affectés à l’action locale devrait être intangible. Pourtant, nous supportons de plus en plus de charges transférées par l’État sans compensation financière : police municipale, alors qu’en principe c’est l’État qui doit être le garant des libertés, de la sécurité et de l’application des lois ;…

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. Étienne Pinte. …prise en charge des contraventions et des régies d’État ; gestion des objets trouvés ; instruction des demandes de cartes nationales d'identité et de passeports – à ce propos, j'ai fait condamner l'État, cette année, à reprendre à sa charge la gestion des passeports et à financer celle des cartes d'identité – ; délivrance des attestations d'accueil – L'État abandonne ici une partie de sa souveraineté en morcelant les modalités d'accueil des étrangers, alors que l'entrée sur le territoire relève de la sécurité nationale – ; prise en charge des sans-domicile-fixe, qui relève des attributions de l’État ; envoi des agents municipaux dans les lycées et les collèges afin – tenez-vous bien ! – d'y assurer le recensement militaire et d’en améliorer les résultats : on se demande pourquoi on n'envoie pas l'armée.

Je pourrais parler aussi de la télétransmission des actes à la préfecture – il serait question de la rendre payante pour les villes, alors que ce système économisera des moyens pour l'État ! – ou de la lutte contre l'insalubrité dans l'habitat et contre le saturnisme. Je ne reviendrai pas sur le financement des conservatoires nationaux de région qui, comme leur nom l'indique, ne devraient d’aucune façon être à la charge de la commune, ou sur la prise en charge des professeurs d’éducation physique, notamment de natation scolaire dans le cadre de la scolarité obligatoire.

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. Étienne Pinte. Par contre, monsieur le ministre, j'attire votre attention sur une démarche plus insidieuse des ministères en charge des compétences les plus incontestablement régaliennes.

Est-il normal, monsieur le ministre, que le ministère de la justice sollicite des communes leur concours à la réalisation d'une cour d'appel, faute de quoi leur dossier ne serait pas prioritaire ?

M. Jean-Louis Idiart. C’est du racket !

M. Étienne Pinte. Est-il raisonnable que le ministère de la défense demande aux communes de participer au financement de la dépollution des terrains qu'il envisage de céder à ces mêmes communes ?

M. Jean-Louis Dumont. C’est un réquisitoire implacable !

M. Étienne Pinte. Je pourrais multiplier les exemples qui prouvent que, pour l'État, la décentralisation n'est qu'un concept de communication.

M. Michel Bouvard. Ce n’est pas nouveau !

M. Étienne Pinte. Quel sens donner à tout cela si, au bout de vingt ans, il n'a pas été possible d'atteindre la moindre stabilité et un minimum de lisibilité ?

Si décentralisation il y a, on doit d’abord consacrer des moyens à solder le passé, comme cela s’est fait, d’une manière très intelligente et grâce à un dialogue constructif, en matière de transports collectifs entre l'État et la région Ile-de-France. C’est seulement à cette condition que l'acte III de la décentralisation pourra être réellement fondateur.

Il faut que les transferts de compétences s'inscrivent dans une véritable vision de ce que doit être la France dans les vingt années à venir. Ils doivent apporter une plus-value opérationnelle et un meilleur service à nos concitoyens. Encore faut-il que l'État soit honnête avec les collectivités territoriales et leur donne les moyens d'exercer les responsabilités transférées. Ce n'est malheureusement pas encore le cas du projet de budget que vous nous présentez pour 2006. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire, du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Monsieur le président, mesdames, messieurs, je comprends parfaitement la demande de clarification et de lisibilité d’Étienne Pinte, d’autant qu’il y a un grave malentendu. Ce qu’il vient de dire est probablement vrai : il a pu arriver à l’État de transférer des responsabilités sans transférer les moyens correspondants. Je voudrais cependant, en me limitant au cas de Versailles, souligner qu’une part de plus en plus importante de la taxe d’habitation et de la taxe professionnelle est prise en charge par l’État.

Il faut que nous engagions un vrai débat afin d’apporter la nécessaire clarification sur les relations financières entre les collectivités locales et l’État, qui nous évitera de nous accuser les uns les autres. Si on se limite à un seul point de vue, on arrive aux conclusions d’Étienne Pinte. Si en revanche on se place de l’autre point de vue, on doit reconnaître qu’entre 1995 et 2005 les dégrèvements supplémentaires et exonérations pris en charge par l’État ont représenté 11 milliards d’euros.

M. Michel Bouvard. Avec une prime pour ceux qui ont augmenté les impôts !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. En effet.

Si on ne rappelle pas ces faits, on lance trop facilement des accusations injustes à l’encontre de l’État. Il est temps de mettre un terme à ce genre de débat.

M. le président. Je suis saisi de plusieurs demandes de rappel au règlement.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, l’intervention d’Étienne Pinte dans notre débat est à marquer d’une pierre blanche. Chacun connaît ici la réputation de notre collègue, et si nos convictions sont différentes, la sincérité de son engagement, que nous reconnaissons tous, parle en faveur de la sincérité de son propos.

Le réquisitoire qu’il vient de dresser, implacable, ne fait que dire ce qui est. Comme le fil à plomb se contente d’indiquer la verticalité, sans idéologie, de même notre collègue se contente de décrire ce qui est, sans faire d’idéologie, et sa description est accablante.

Il n’est pas sans intérêt sur le plan symbolique que ce soit le maire de Versailles qui tienne ses propos, c’est-à-dire le maire de la ville où se tinrent les États généraux, qui virent la victoire du tiers état sur les privilégiés. Je sens bien que cela vous donne le grand frisson, monsieur Guillaume, à vous et à quelques autres. Mais après tout, la gauche n’a pas le monopole des idées généreuses, et il arrive que des élus qui ne partagent pas toutes ses convictions la rejoignent sur ses valeurs fondamentales.

M. Bertho Audifax. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. Jean-Pierre Brard. Vous venez de parler, monsieur Méhaignerie, d’un grave malentendu – c’est un euphémisme ! – tout en reconnaissant que ce qu’avait dit M. Pinte était probablement vrai.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Ce n’était que la première partie de mon intervention !

M. le président. J’avoue, monsieur Brard, ne pas avoir trouvé d’article dans le règlement sur lequel fonder votre rappel. Mais je continue à chercher !

M. Jean-Pierre Brard. Il s’agit d’apporter de la clarté à nos débats.

Le problème fondamental est simple : quand on siphonne les caisses publiques pour alimenter les coffres-forts, il ne faut pas s’étonner qu’il manque les sous nécessaires pour financer les transferts de compétences aux collectivités locales. On ne peut pas distribuer deux fois le même argent, une fois aux privilégiés, et une fois à ceux qui en ont besoin.

M. le président. La parole est à M. Augustin Bonrepaux, pour un rappel au règlement.

M. Augustin Bonrepaux. Il n’est pas d’usage que le président de la commission des finances réponde à l’intervention d’un orateur au cours de la discussion générale.

M. le président. Cher collègue, notre règlement autorise le président de la commission concernée à intervenir quand il le souhaite.

M. Augustin Bonrepaux. Je relève simplement que c’est exceptionnel. Cela souligne l’extrême importance de l’intervention de notre collègue Étienne Pinte.

Je m’étais pour ma part limité aux transferts des déficits sur les départements et les régions car j’ignorais toutes les conséquences des délestages de l’État sur les communes. C’est pourquoi je remercie M. Pinte de nous les avoir décrites.

Et c’est parce que vous avez très bien vu le trouble dans lequel cette description a jeté l’Assemblée, monsieur le président de la commission, que vous avez jugé bon d’intervenir. Et le trouble sera encore plus grand dans vos rangs, mes chers collègues, quand vous prendrez connaissance des simulations qui démontrent que les prélèvements de l’État se font désormais au détriment des collectivités les plus pauvres. Et qu’est-ce que ce sera, mes chers collègues, lorsque nous disposerons des simulations des effets de la réforme de la fiscalité !

M. le président. Il s’agit là d’une intervention de discussion générale, monsieur Bonrepaux. Je vous demande de bien vouloir conclure.

M. Augustin Bonrepaux. Je vous mets en garde, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission : si nous ne disposons pas de ces simulations, nous ne pourrons pas débattre ce soir des articles concernant les collectivités locales. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton, pour un rappel au règlement.

M. Hervé Mariton. La conséquence la plus claire de ce type de débats, ce sera la fin du cumul des mandats. Il faut que notre assemblée soit capable de sortir d’une attitude purement syndicale, qui oppose, à travers des revendications conventionnelles, l’État et les collectivités locales.

Plusieurs députés du groupe socialiste. C’est vous qui le faites !

M. Didier Migaud. C’est vous qui ne cessez pas de faire le procès des collectivités locales !

M. Hervé Mariton. Nous sommes ici les représentants de la nation. Et si nous pensons qu’il est cohérent et utile aux citoyens que nous puissions aussi détenir des mandats locaux, cela ne doit pas nous amener à opposer constamment les finances de l’État et celles des collectivités locales.

M. Didier Migaud. Vous ne faites que ça !

M. Hervé Mariton. En effet, la seule réponse institutionnelle raisonnable à ce dilemme, ce sera la fin du cumul des mandats.

Considérons la situation actuelle : l'augmentation des concours de l’État aux collectivités locales est une des contraintes du budget de 2006.

M. Didier Migaud. C’est ce que prétend le rapport partisan et partial dont vous êtes l’auteur !

M. Hervé Mariton. On ne peut pas faire dire à la réalité comptable le contraire de ce qu’elle dit !

M. Didier Migaud. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. Hervé Mariton. Il y a ensuite le sujet, déjà abordé et qui le sera à nouveau ce soir, de l’évolution des relations entre l’État et les collectivités locales.

M. Didier Migaud. Ce n’est pas un rappel au règlement : c’est une réponse à un orateur !

M. Hervé Mariton. Au moment où nos compatriotes demandent que l’impôt ne monte pas jusqu’au ciel, au moment où l’onon demande à l’État d’améliorer ses performances et sa gestion, il n’est pas scandaleux que cette discipline s’applique aussi aux collectivités.

Nous, parlementaires, sommes souvent aussi des élus locaux : nous ne sommes pas sur deux planètes distinctes ! Soit nous arrivons – et nous y arriverons – à coordonner intelligemment les différents objectifs financiers que nous poursuivons, soit nous ne parvenons pas à résoudre ces contradictions, et il faudra alors en tirer les conclusions en termes de cumul des mandats. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laffineur, pour un quatrième rappel au règlement. Ce sera le dernier : il y en aura eu deux pour la majorité, et deux pour l’opposition.

Je compte sur vous, monsieur Bonrepaux, pour rappeler qu’un rappel au règlement se fonde sur le règlement ! (Sourires.)

Vous avez la parole, monsieur Laffineur.

M. Marc Laffineur. Monsieur le président, mon rappel au règlement est, comme les précédents, extrêmement important, et se fonde sur le même article du règlement.

M. Jean-Pierre Brard et M. Didier Migaud. Lequel ?

M. Marc Laffineur. Je voudrais simplement rappeler que l’État est le premier contribuable des collectivités locales, puisqu’il leur donne 65 milliards d’euros à titre de compensations.

M. Augustin Bonrepaux. Vous dites n’importe quoi !

M. Jean-Louis Idiart. Il leur « donne » ? M. l’État est trop bon ! Pourquoi ne pas dire qu’il leur « octroie » 65 milliards d’euros ?

M. Marc Laffineur. Je crois que les collectivités locales bien gérées peuvent continuer à baisser leurs impôts.

M. Augustin Bonrepaux. Vous n’y connaissez rien !

M. Marc Laffineur. Ça fait vingt ans que je suis maire, et c’est la sixième année consécutive que je baisse les impôts. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Didier Migaud. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. Marc Laffineur. Suite à la réforme de l’année dernière, les dotations de solidarité urbaine et de solidarité rurale en faveur des communes les plus pauvres ont connu une augmentation extrêmement importante, puisqu’elle a été de l’ordre de 20 %. Voilà la vérité, dont on ne parle jamais de l’autre côté de l’hémicycle.

Reprise de la discussion

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Augustin Bonrepaux. Ces attaques de la majorité sont inacceptables !

M. le président. Monsieur Bonrepaux, veuillez laisser s’exprimer l’orateur qui a la parole.

M. Marc Laffineur. Ne vous énervez pas, monsieur Bonrepaux, je ne voudrais pas être obligé de vous réanimer !

M. Augustin Bonrepaux. Surtout pas ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. C’est la loi du bâillon !

M. le président. Monsieur Lurel, vous avez la parole.

M. Jean-Pierre Brard. Les étrangleurs veulent nous empêcher de nous exprimer !

M. Victorin Lurel. Ces échanges augurent bien de nos débats sur les finances des collectivités locales ! D’un côté comme de l'autre, nous reconnaissons qu’il y a là de graves problèmes – et j’en suis particulièrement conscient en ma qualité de président de région.

M. Hervé Mariton. Il y a des causes à cela !

M. Victorin Lurel. Oui : la politique du Gouvernement.

Monsieur le ministre, un grand nombre de collègues, de la majorité comme de l’opposition, l’ont démontré hier et ce matin même à cette tribune : votre budget ne répond pas, hélas, aux attentes et aux besoins du pays. Votre projet de loi de finances est inefficace, irresponsable et injuste.

C’est, d’abord, un budget inefficace. Les hypothèses qui le sous-tendent sont irréalistes et les conséquences de son exécution ne manqueront pas d’aggraver la situation économique et sociale du pays. Votre projet est bâti sur une hypothèse de croissance moyenne pondérée de 2,25 %, alors même que tous les experts – y compris des membres éminents de notre commission des finances – s’accordent pour qualifier cette prévision au mieux d’optimiste, au pire d’irréaliste, pour ne pas dire fantaisiste. De même, M. Migaud a mis en évidence un ensemble de tours de passe-passe budgétaires illustrant parfaitement cette insincérité. Je serai magnanime en ne citant pas la férocité de notre excellent collègue Charles-Amédée de Courson, qui appartient à votre majorité.

Votre projet se traduira pour l’immense majorité des Français par une absence de gain de pouvoir d’achat, alors que c’est en donnant du grain à moudre que vous relancerez la consommation et, partant, la croissance. Vous avez donc déjà déserté par anticipation la bataille sur le champ de l’emploi.

Votre projet ne permettra en aucune façon de relancer le dialogue social et de créer les conditions économiques et sociales d’une nécessaire relance dans notre pays.

Les facteurs de la croissance sont en panne et vous vous refusez, par dogmatisme, à agir sur les facteurs de production. Dès lors, au-delà des illusions statistiques et des présentations avantageuses, le chômage reste toujours orienté à la hausse, et singulièrement outre-mer, contrairement à ce qui a été parfois claironné. Corollaire malheureux, la précarité et l’exclusion progressent également dans notre pays.

Ce budget est inefficace, car c’est un budget d’accompagnement, un budget de renoncement. Alors qu’il eût fallu un budget de transformation, vous renoncez à l’arme budgétaire en présentant une épure, un projet procyclique : votre budget est celui du chien crevé au fil de l’eau (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), celui d’une politique qui va à vau-l’eau.

Votre budget est aussi un budget irresponsable. S’il peut paraître excessif, ce qualificatif est, hélas, parfaitement adapté à votre politique. La responsabilité consiste à assumer les conséquences de ses actes. En l’espèce, ce ne sera pas le cas.

Illustration du fossé béant, du grand écart permanent entre le dire et le faire, hélas généralisé au sommet même de notre République, ce projet oblitère notre avenir : il nous enchaîne pour plusieurs années. Vous légiférez pour 2007 et ce sont vos successeurs qui écoperont et paieront la note des cadeaux que vous faites à votre clientèle électorale. Oui, vous préemptez la démocratie. Vous préemptez l’avenir.

Au lieu de tenter de revenir aux équilibres fondamentaux, vous augmentez les déficits de l’État et de la sécurité sociale. Vous augmentez la dette, qui atteindra 66,2 % du PIB – ce qui représente une hausse de huit points en quatre ans – et entraînez vos successeurs et les Français dans une spirale infernale : la charge de cette dette s’élève à 45 milliards d’euros, ce qui équivaut pratiquement au montant de notre déficit et fait de la charge de la dette le deuxième poste de dépenses de l’État, après l’éducation.

Pis, vous demandez aujourd’hui aux collectivités locales de cofinancer cette politique et, sans le dire, à vous aider, face à Bruxelles, à maintenir le déficit au-dessous de la barre des 3 % du PIB ou à ne pas trop vous en éloigner. En instituant le bouclier fiscal, vous leur imposez des oukases et n’hésitez pas, dans votre désarroi, à violer le principe constitutionnel d’autonomie fiscale des collectivités. Mais, in fine, cette augmentation lancinante et obsédante de la dette sera supportée par les générations futures.

Oui, elle est irresponsable, cette politique qui transmet le fardeau non seulement à vos successeurs – j’en sais quelque chose, à la tête de la région Guadeloupe ! –, mais également à nos enfants et petits-enfants.

Irresponsabilité et inefficacité ne suffisent pourtant pas à qualifier parfaitement votre projet : c’est manifestement l’injustice qui en est le trait le plus cruel.

Car votre projet de budget est un projet injuste. Adossé aux théories libérales qui ont cours aujourd’hui, courant après les fameuses flat taxes et l’impôt proportionnel, ou s’en approchant, il condamne au pilori l’impôt progressif, qui est pourtant un outil essentiel de justice sociale.

C’est un budget qui ponctionne les classes moyennes et laborieuses pour donner aux puissants. Non, il n’améliore pas la situation des travailleurs. Oui, il diminue l’impôt sur les grandes fortunes et favorise donc les plus fortunés. Comme diraient nos amis communistes, c’est bien d’un budget de classe qu’il s’agit.

M. Jean-Pierre Brard. C’est même un budget de troisième classe !

M. Victorin Lurel. Dans votre aveuglement et votre dogmatisme – pour ne pas dire : votre théologie – économique, vous croyez que les inégalités sont un accélérateur de croissance, et vous en créez allègrement. C’est bien la raison pour laquelle votre Gouvernement pratique sans vergogne une régulation budgétaire féroce – et l’on peut s’interroger, à cet égard, sur l’utilité du vote du Parlement.

Vous annulez 4 milliards d’euros de crédits budgétaires en cours d’année, essentiellement sur les dépenses les plus importantes. En outre-mer, par exemple, le fonds pour l’emploi et la ligne budgétaire unique servant au logement social subissent une glaciation budgétaire sans précédent depuis maintenant trois ans.

Votre gouvernement procède à l’augmentation importante des tarifs publics. Votre gouvernement procède à une véritable extorsion de rente pétrolière, par ponction de la grande majorité des Français. Votre gouvernement privatise de façon précipitée des sociétés publiques et opère un bradage du patrimoine immobilier de l’État pour boucler ses fins de mois.

M. Michel Bouvard. Voulez-vous que nous reparlions de la privatisation de la première partie d’ASF ?

M. Didier Migaud. Vous, vous en êtes à la liquidation du fonds !

M. Victorin Lurel. Le choix du taux d’actualisation pour la valorisation des sociétés d’autoroutes en est un exemple emblématique.

Enfin, vous décidez maintenant de taxer de 18 euros chaque malade qui aura le malheur d’avoir besoin de plus de 92 euros de soins !

Votre politique générale de défausse sur les collectivités locales est une autre illustration de l’injustice de votre politique. Les effets de ce délestage général de l’État sur les collectivités locales, calamiteux en métropole, sont dramatiques outre-mer. En un mot comme en mille : l’État est absent dans mon pays.

Comme dans bien des régions, l’État est absent pour contrôler les sorties des lycées ou pour les entretenir. L’État est absent pour contrôler les frontières. L’État est absent pour aider nos voisins de la Caraïbe. L’État est absent pour aider les boursiers. L’État est absent de l’Université, qui est pratiquement en cessation de paiements. L’État est absent pour indemniser les planteurs de canne qui n’ont pas pu faire la récolte en raison des intempéries. L’État est absent dans nos hôpitaux, comme il a été financièrement absent pendant plusieurs longs mois après le séisme qui a touché la Guadeloupe en novembre dernier.

M. Jean-Louis Dumont. C’est vrai aussi pour le logement !

M. Hervé Mariton. Si l’État était absent, ça se saurait !

M. Victorin Lurel. Dans tous ces domaines et bien d’autres, les régions n’ont d’autre solution que de pallier l’absence de l’État. Dans un territoire pauvre comme celui dont je suis l’élu – et que son PIB par habitant place au 211e rang des régions d’Europe, dois-je vous le rappeler ? –, dans un territoire insulaire et éloigné où la commande publique est primordiale, cette carence étatique est, absolument condamnable.

En revêtant ma tunique d’élu local, je donnerai pour conclure deux illustrations précises de cette politique du mistigri, de la défausse permanente. Elles me donneront l’occasion de vous poser deux questions très précises sur des engagements budgétaires que je vous demande de tenir.

Tout d’abord, respecterez-vous – enfin ! – les engagements pris lors des assises des libertés locales par Mme Girardin,…

Plusieurs députés du groupe socialiste. Qui ça ?

M. Victorin Lurel. …alors ministre de l’outre-mer, et par M. Devedjian,…

Plusieurs députés du groupe socialiste. Qui ça ?

M. Victorin Lurel. …alors ministre délégué aux collectivités locales, de rembourser aux communes de Guadeloupe la DGF amputée en 2000, 2001 et 2002 ? On avait alors parlé d’un véritable hold-up et il serait totalement injuste de ne rembourser que les communes ayant engagé un contentieux contre l’État – au nombre de quatre sur trente-quatre.

Par ailleurs, vous restez devoir, sur le remboursement du contingent d’aide sociale au conseil général, l’équivalent de 160 millions de francs.

Ma deuxième question sera elle aussi très précise. En effet, le Gouvernement – et vous-même tout particulièrement, monsieur Copé – dénoncez régulièrement la création d’« impôts socialistes » dans les régions. Or, en Guadeloupe, la chambre régionale des comptes elle-même, dans ses avis des 15 février et 10 juin derniers, établissait que le déficit que la nouvelle majorité régionale aura à résorber s’élève à 58 millions d’euros en 2004 et 104 millions de déficit cumulé sur deux ans au 31 décembre 2004.

La complaisance des services de l’État envers la gestion régionale au cours de ces deux dernières années est révélatrice non seulement d’un véritable retrait, mais même de cette véritable absence gouvernementale que je stigmatisais tout à l’heure.

En pesant mes mots, je vous dis solennellement, de la tribune de notre hémicycle, que les cabinets noirs de sinistre mémoire sont encore ouverts en outre-mer. J’en ai fait personnellement l’expérience : des colonels de gendarmerie sont mis en examen contre moi, et des préfets devraient l’être. C’est une véritable affaire d’État.

Ainsi, dans le contexte d’appel permanent à l’aide de la région en raison des défaillances de l’État et du déficit de plus de 104 millions que nous vaut la gestion assurée avant moi par l’UMP, j’ai transmis officiellement une demande de subvention exceptionnelle pour réparer les dégâts du passé et faire face aux besoins de la population.

Ma question est donc simple : allez-vous enfin accorder à la région Guadeloupe la subvention de 40 millions d’euros nécessaire pour participer, comme chaque Guadeloupéen est malheureusement obligé de le faire aujourd’hui – car j’ai dû augmenter les impôts sans autre motif que la mauvaise gestion précédente –, à l’apurement du passif hérité de la gestion de l’UMP et accentué par un retrait sans précédent de l’État ?

J’évoquerai enfin les nouvelles attaques dont est victime l’outre-mer dans votre projet de loi de finances. En 2006, en effet, l’outre-mer n’aura pas un euro supplémentaire par rapport à 2005 !

L’effort de l’État en faveur des outre-mers devrait être considérablement accentué en raison de l’immensité des besoins en matière d’équipement, de lutte contre le chômage, de logement, d’éducation et de santé dans ces territoires les plus pauvres de la République. Or les crédits affectés aux missions du ministère de l’outre-mer – lesquelles restent exactement les mêmes que l’année précédente malgré la réforme budgétaire – sont en stagnation, compte tenu de la prévision d’inflation de 1,8 %.

Aucun effort supplémentaire en faveur de l’outre-mer n’est donc prévu dans ce budget de pure continuité. Cette continuité se loge jusque dans la dénonciation, une nouvelle fois, des avantages prétendument indus dont bénéficieraient nos régions.

En effet, après les attaques réitérées de la majorité parlementaire contre ces prétendus privilèges, c’est désormais le Gouvernement lui-même qui prend le relais et s’apprête, avec l’aide de sa majorité, à procéder à un réel déni de justice à l’égard de l’outre-mer.

Si les articles 61 et 73 de votre projet de loi sont discutés avec les articles non rattachés à la mi-novembre, nous, députés d’outre-mer, sommes très déçus de constater que, dans les arbitrages budgétaires, le nouveau ministre de l’outre-mer, pourtant bien introduit,…

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Et très sympathique !

M. Victorin Lurel. …n’a pu, contrairement à sa prédécesseure, conserver les dispositifs spécifiques à l’outre-mer tirés de la loi de programme pour l’outre-mer prévue pour quinze ans.

Ainsi, les dispositifs d’incitation économique, de défiscalisation et d’exonération de charges sociales, pourtant mis en place par ce gouvernement avec l’accord de Bruxelles, sont remis en cause par ces articles 61 et 73. Or ces dispositifs appliqués outre-mer sont pleinement justifiés, nécessaires – et même, en l’état, insuffisants.

Je rappelle que, malheureusement, l’investissement public est totalement insuffisant : à titre d’exemple, la ligne budgétaire unique destinée à la construction de logements sociaux et à la résorption de l’habitat insalubre outre-mer a été réduite des deux tiers entre 2001 et 2004, ce qui ramène les crédits de paiement à 451 millions d’euros.

M. Jean-Louis Dumont. Tout à fait ! Il y a une crise du logement !

M. Victorin Lurel. Dans ces conditions et faute d’un « plan Marshall » franco-européen que l’outre-mer attend pour voir se concrétiser l’égalité réelle, l’investissement privé doit bénéficier d’incitations fortes et d’une nécessaire stabilité juridique. Ce que vous dénoncez comme un insupportable privilège n’est qu’une norme fiscale indispensable pour prendre en compte les spécificités et les handicaps structurels de l’outre-mer, reconnus tant par notre droit constitutionnel que par les traités communautaires. En appliquant une norme fiscale unique à des réalités différentes, vous renoncez de fait à mener une politique de discrimination positive territoriale, seule à même de traiter nos réalités.

Je m’interroge d’autant plus sur vos intentions lorsque j’apprends que nos amis corses ont su mieux défendre leurs spécificités.

Soyez assuré que le mercredi 15 novembre, jour où ces deux articles seront examinés, l’ensemble des députés ultramarins sera là pour vous rappeler ces vérités. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Je suis de nouveau saisi de demandes de rappel au règlement.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Augustin Bonrepaux, pour un rappel au règlement.

M. Augustin Bonrepaux. Les propos de notre collège Hervé Mariton sont inacceptables. C’est une insulte à tous les parlementaires qui sont aussi élus locaux parce qu’il a laissé entendre que, de ce fait, ils n’auraient pas le souci de l’intérêt national.

M. Didier Migaud. C’est exactement ce qu’il a voulu dire !

M. Augustin Bonrepaux. Il est vrai notre collègue Étienne pinte a jeté un trouble en venant dire ici quels sont les problèmes des communes, notamment des grandes. Mais n’est-ce pas justement le rôle de ces élus d’informer, et d’expliquer pourquoi les communes ont des difficultés ?

M. Victorin Lurel. Bien sûr !

M. Augustin Bonrepaux. N’est-ce pas le rôle des députés, en particulier celui du président de la commission des finances, de les écouter et de trouver des solutions ?

C’est pourquoi, monsieur le président, en vertu de l’article 58, alinéa 3 de notre règlement, je demande une suspension de séance.

M. le président. Elle est accordée, monsieur Bonrepaux…

M. Augustin Bonrepaux. Notre groupe doit apprécier les conséquences de ces propos parce que dans ce budget, et sous la houlette de M. Mariton, il y a une véritable attaque contre les collectivités locales (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), qui sont des boucs émissaires auxquels M. Mariton s’en est déjà pris en déformant tous les propos tenus dans le cadre de la commission d’enquête…

M. Hervé Mariton. Non !

M. Augustin Bonrepaux. …pour faire passer uniquement les avis et les orientations de l’UMP !

M. le président. Avant de suspendre la séance, je vais donner la parole est à M. Brard, qui me l’a demandée...

M. Jean-Pierre Brard. Il y a des gens qui n’ont pas de chance…

M. le président. Monsieur Brard, rassurez-moi : il s’agit bien d’un rappel au règlement ?

M. Jean-Pierre Brard. C’est un rappel au règlement dont la conclusion viendra en son temps, monsieur le président.

Je disais qu’il y a des gens qui n’ont pas de chance. Quand on parle de Canossa, on pense « capitulard » ; quand on parle de Vichy, on pense « Pétain » ;…

M. Marc Laffineur. Moi je pense « PC » !

M. Jean-Pierre Brard. …quand on parle de Versailles, on pense « Thiers », le massacreur de la Commune. Notre collègue Étienne Pinte est en train de redonner ses lettres de noblesse à la ville de Versailles,…

M. Hervé Mariton. Montreuil a beaucoup évolué ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. …la ville où la Révolution a fait ses premiers pas et où fut adoptée la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui définit le rôle de l’impôt.

Le débat que nous avons est très intéressant, et la réaction de notre collègue Hervé Mariton également. On sait bien qu’il y a toujours eu, depuis la Révolution, deux droites : celle qui a la fibre nationale, qui croit au Contrat social de Rousseau, et une droite de l’abandon, du renoncement, de la capitulation (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), la droite aujourd’hui thatchéro-bushienne.

M. Hervé Mariton. C’est scandaleux !

M. Marc Laffineur. C’est inadmissible, invraisemblable !

M. le président. Monsieur Brard, nous sommes à des années-lumière de l’application du règlement de notre assemblée.

M. Jean-Pierre Brard. Pas du tout, monsieur le président, attendez ma conclusion. Nous n’avons pas la même conception…

M. Hervé Mariton. De la démocratie !

M. Jean-Pierre Brard. …de la physique. Vous allez voir que les années-lumière, je ne les compte pas dans les mêmes unités que vous, monsieur le président !

Je voulais dire simplement qu’à chaque fois que notre pays a connu des conditions difficiles, des ponts se sont établis entre la gauche et, à droite, ceux qui portaient des valeurs fondamentales de notre État. Mais quand M. Mariton entend quelqu’un décrire la réalité, il veut casser le thermomètre ! Il manie la menace ! De quoi rêve M. Mariton ?

M. Hervé Mariton. Je ne vous donne pas la propriété de mes rêves ! Laissez-les moi !

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Il rêve que ce ne soit plus les électeurs qui choisissent les candidats, mais que, dans le cadre du cabinet secret, des cabinets noirs qu’a évoqués notre collègue Victorin Lurel, ce soit un tandem composé du président de l’UMP et de celui du MEDEF qui le fasse, alors que ceux qui ont les mains dans le cambouis, qui viennent dire, d’expérience,…

M. Marc Laffineur. Délires !

M. Jean-Pierre Brard. …ce qu’il en est, ce que votre politique a de désastreux, il faudrait les bâillonner ! Mariton, c’est le bâillon ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures cinq, est reprise à onze heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Marc Le Fur.

M. Michel Bouvard. Les socialistes sont partis !

M. Marc Le Fur. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, je vais vous parler de la famille, parce que la famille c’est « une affaire publique », selon le titre d’un récent rapport du conseil d’analyse économique signé de Michel Godet et d’Évelyne Sullereau.

M. Jean-Pierre Brard. Il y a les sans-famille, mais aussi les « deux cents familles » !

M. Marc Le Fur. J’ajoute que la famille, c’est aussi une question fiscale. Au cœur de notre politique familiale, il y a un principe simple : celui du quotient familial. Pour établir l’impôt, on tient compte des revenus, mais aussi des charges de famille. Nous devons d’autant plus manifester notre attachement à la politique familiale que notre continent est en pleine crise démographique. L’Europe préfère les cercueils aux berceaux, d’où le déclin, d’où le doute, d’où le repli. À cet égard, notre pays est un peu moins mauvais que les autres. Nous le devons à une tradition, qui remonte à 1939 et à la Libération ; nous le devons aussi à ce que l’on appelle « le modèle français ». J’entends, monsieur le ministre, le chef de l’État et le Premier ministre évoquer le modèle français. Eh bien, pour le coup, conservons celui-ci !

Il faut d’autant plus manifester notre attachement à la familialisation de l’impôt sur le revenu que celui-ci est devenu relativement modeste par rapport à d’autres contributions.

M. Jean-Pierre Brard. Ça, c’est bien dit !

M. Marc Le Fur. Ainsi, la funeste CSG, créée par Michel Rocard, c’est aujourd’hui une fois et demie le produit de l’impôt sur le revenu ! Le total de la TVA et de la TIPP, c’est aujourd’hui trois fois ce que rapporte l’impôt sur le revenu !

Je constate, monsieur le ministre, dans votre budget, des coups de canif à la familialisation de l’impôt. J’en veux en particulier pour preuve le plafonnement des niches à 8 000 euros par foyer fiscal. C’est là où le bât blesse. Il est vrai que vous rajoutez 750 euros par enfant, mais il n’en demeure pas moins qu’on sort de la logique qui voudrait que le plafonnement s’applique non pas au foyer, mais par part. La logique supposerait donc – je défendrai un amendement dans ce sens – que nous familialisions le plafonnement des niches : 4 000 euros par part, soit 8 000 euros par couple, soit 12 000 euros pour une famille avec deux enfants.

Cette modification est également nécessaire en termes de transparence fiscale. Prenons deux célibataires relativement aisés, jeunes cadres : dans l’hypothèse où on familialise à 8 000 euros par foyer fiscal, chacun d’entre eux peut bénéficier d’une niche jusqu’à 8 000 euros, ce qui à deux fait 16 000 euros. Mais s’ils se marient, on les toise à 8 000 euros, c’est-à-dire qu’ils n’ont donc aucun avantage fiscal à convoler.

M. Jean-Pierre Brard. Et s’ils se pacsent ?

M. Marc Le Fur. Nous sommes en train de rompre avec la nécessaire neutralité fiscale dans les choix matrimoniaux de nos compatriotes.

À l’extrémité inférieure en termes de revenus, il y a les familles pauvres, pour lesquelles se pose le problème de la décote. Aujourd’hui, la décote est une mesure intéressante pour les célibataires, ceux par exemple qui sont au SMIC. Il n’en demeure pas moins que si deux concubins au SMIC se marient, ils paieront désormais l’impôt sur le revenu du fait de l’addition des deux SMIC dans un foyer fiscal unique. Ils paieront 410 euros d’impôt. C’est pourquoi je défendrai un autre amendement tendant à familialiser la décote. C’est une proposition de bon sens.

Ne pourrait-on, comme le proposent les amendements de M. Pierre Méhaignerie, remonter en priorité les premières tranches de l’impôt sur le revenu ? Cela équivaudrait à familialiser la décote, et profiterait aux familles.

Revaloriser la prime pour l’emploi est une bonne idée. Mais que l’on ne s’y trompe pas : cette prime est un impôt négatif. Elle doit, comme l’impôt, tenir compte des charges de famille. Le montant maximum de la PPE est actuellement fixé à 538 euros ; l’État n’y ajoute que 37 à 68 euros par enfant. Dans les budgets de 2006 et 2007, on prévoit de relever la PPE de plus de 50 %. Il faut s’en féliciter, mais la part familiale, elle, n’augmente que de 2 euros : une misère ! On est en train de défamilialiser la PPE. C’est un danger, y compris d’un point de vue constitutionnel. J’appelle donc les uns et les autres à la responsabilité.

En 2000, pour encourager la reprise d’activité professionnelle, le gouvernement de gauche de l’époque entreprit de réformer la CSG. Alors minoritaires, nous déposâmes un recours devant le Conseil constitutionnel. Celui-ci nous donna raison, au motif que la réforme ne prenait pas en compte les charges de famille.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. En effet.

M. Marc Le Fur. D’où la création de la PPE. Encore faut-il que celle-ci maintienne sa familialisation ! Au vu des réformes proposées, ce n’est guère la cas. Or, je le répète, tout impôt, fût-il négatif, doit tenir compte des charges de famille.

Tels sont les éléments que notre majorité devrait prendre en compte. La famille doit être soutenue par une politique fiscale : ne tombons pas dans les errements du parti socialiste qui, avec la motion de M. François Hollande, propose de fiscaliser les allocations familiales ! (« C’est honteux ! C’est scandaleux ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Bouvard. Le parti socialiste est d’ailleurs absent de l’hémicycle !

M. Marc Le Fur. La majorité doit condamner cette proposition ; encore faut-il, pour que cette condamnation soit crédible, qu’elle se garde de donner un coup de canif à la nécessaire familialisation de l’impôt. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. M. Le Fur est inspiré !

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny.

Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis trois ans, notre majorité défend la promotion des biocarburants. Avec nombre de ses collègues UMP et UDF, Xavier Bertrand, alors député, a ainsi été à l’origine d’avancées importantes.

Les biocarburants – personne ne le conteste plus aujourd’hui – présentent des perspectives largement positives pour notre pays : des débouchés crédibles et solides pour notre agriculture, des investissements massifs pour notre industrie, des créations d’emplois pour nos territoires ruraux et, je veux y insister aussi, sur la réduction des gaz à effet de serre.

Ainsi, nous avons donné à nos agriculteurs, à nos industriels, à nos élus des territoires ruraux un véritable espoir. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas, nous ne devons pas les décevoir.

Je veux d’ailleurs vous dire ce que j’entends comme beaucoup d’élus à ce sujet. Depuis trois ans, si nous faisons souvent un pas en avant sur ce dossier – et je m’en réjouis –, cette avancée est trop souvent suivie d’un recul. L’article 13 du projet de loi de finances qui nous est proposé en est l’illustration.

En effet, les agriculteurs et les industriels concernés nous font part de leur crainte que toutes nos bonnes intentions restent lettre morte, et qu’elles ne se traduisent pas dans les faits.

Qu’en est-il de l’incorporation de biocarburants ? Celle-ci est toujours un objectif, maintes fois réaffirmé. Mais aujourd’hui, la baisse proposée de la TGAP enlève tout caractère coercitif pour les pétroliers.

Qu’en est-il des débouchés crédibles pour nos agriculteurs ? Aujourd’hui, rien n’incite les industriels à utiliser des matières premières françaises quand celles-ci arrivent en masse d’autres pays.

Qu’en est-il des investissements massifs dans nos campagnes ? Les différents industriels concernés nous expliquent que les usines ne pourront sortir de terre s’ils ne bénéficient pas de garanties plus solides.

Qu’en est-il de l’indépendance énergétique de la France ? Si l’un des objectifs du développement des biocarburants est bien de garantir pour notre pays la plus grande autonomie possible dans sa production de carburants, des quantités importantes d’éthanol arrivent d’Amérique du Sud ou d’Asie pour être mélangées aux hydrocarbures.

Qu’en est-il enfin de la production de biocarburants en France ? Monsieur le ministre, tous les agréments donnés dans notre pays ont-ils été effectivement honorés par les industriels ? On peut se poser la question.

Le texte qui nous est aujourd’hui proposé peut et doit nous permettre d’aller beaucoup plus loin. Il s’agit de garantir les investissements nécessaires pour nos industriels et les débouchés pour nos agriculteurs. C’est pourquoi, je le répète, nous devons être beaucoup plus ambitieux.

Des amendements importants ont été adoptés en commission des finances. D’autres seront proposés, afin de permettre l’essor de la filière éthanol, et de donner aux industriels et aux agriculteurs des perspectives claires. Je pense notamment à l’obligation d’incorporer des biocarburants dans les carburants. Donnons les agréments à nos distilleries ; respectons enfin nos engagements !

Je souhaite, comme l’ensemble de la filière concernée, l’adoption de ces amendements. N’attendons plus un nouveau texte de loi pour faire avancer durablement les choses : soyons dès aujourd’hui au rendez-vous des énergies renouvelables ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Bertho Audifax.

M. Bertho Audifax. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous mesurons tous l’effort des services de l’État pour soumettre aux représentants de la nation un projet de budget.

Que de statistiques, de modèles économiques, d’hypothèses de croissance, de contraintes européennes pour aboutir aux documents qui nous sont aujourd’hui soumis ! Combien de hauts fonctionnaires, de spécialistes de l’économie et du social, se sont rassemblés dans la préparation de ce document, tous persuadés qu’ils mettent la France en chiffres, comme chaque année, afin de dégager la meilleure ligne de conduite possible ! Quel travail pour notre commission des finances et nos rapporteurs !

M. Michel Bouvard. En effet !

M. Bertho Audifax. Et pourtant, toutes ces intelligences rassemblées, toutes ces heures de travail, peuvent presque paraître vaines dans le contexte mondial que nous subissons. Depuis le début de cette discussion budgétaire, nous sommes, pour notre part, persuadés de présenter le meilleur budget possible dans un contexte difficile, quand nos opposants se persuadent d’avoir à leur disposition demain une martingale gagnante qui leur permettra miraculeusement de retrouver la croissance et d’avoir des marges de manœuvre.

Le budget, exercice suprême de la nation, peut-il encore traduire une volonté politique ? Nous voulons tous le croire, mais un vertige peut nous saisir si nous associons avec lucidité quelques événements mondiaux récents. Permettez-moi de le faire avant l’examen de ce projet de budget.

Voilà encore quelques années, nos experts disaient ou écrivaient que les nations riches devaient laisser aux nations en voie de développement les secteurs de l’industrie à forte main-d’œuvre pour se consacrer à l’innovation, aux technologies de pointe à forte valeur ajoutée et nécessitant un fort potentiel de formation. Ce schéma s’est réalisé sous nos yeux, avec son cortège de délocalisations. Mais hier, deux cosmonautes chinois rentraient d’un séjour dans l’espace : déjà se profile la concurrence chinoise sur le marché des fusées porteuses.

À l’heure où nous parlons, les avancées informatiques se font plus en Inde et en Asie qu’en Amérique et en Europe.

M. Jean-Jacques Descamps. Eh oui !

M. Bertho Audifax. Notre budget repose d’abord sur la stabilité économique, sur la croissance. Que peuvent aujourd’hui nous conseiller nos experts en stratégie économique ? Si nos sociétés capitalistiques ne s’appauvrissent pas, si notre nation reste encore puissante, le chômage gangrène le cœur de nos cités et mine notre tissu social.

Au-delà de l’économie mondialiste, nous avons encore tous en tête ces images terribles d’un exode forcé de populations misérables détournées et réprimées au-delà du supportable. Le désert est-il si loin, quand, dans nos cités, des foyers de misère s’agglutinent malgré nos lois, malgré nos lois sociales, malgré nos spécialistes humanitaires ? Quelles barrières peuvent endiguer le flot naturel de la misère, de l’insécurité et de la peur vers nos pays aisés, stables et respectueux des droits de l’homme ?

M. Jean-Pierre Brard. Le co-développement !

M. Bertho Audifax. La misère du monde frappe à notre porte, et nous ne pouvons qu’entrebâiller celle-ci, sous peine de perdre notre unité nationale.

Sommes-nous loin du budget en faisant cette constatation, en souhaitant une ligne politique claire, acceptable à la fois par l’humanisme français, par nos valeurs et par les capacités sociales, économiques et culturelles de notre pays ? Non, car ces choix pèseront lourdement sur nos budgets sociaux et notre avenir commun.

J’ai été effrayé de lire dans l’un des hebdomadaires les plus sérieux de la presse française la déclaration d’un important syndicaliste français jugeant qu’il n’y avait pas de limites au déficit social, que l’État ne pourrait jamais être en faillite et qu’il fallait éviter de se poser la question de la valeur du modèle social et économique français.

La sagesse et le bon sens font-ils encore partie de notre culture ?

M. Michel Bouvard. Bravo !

M. Bertho Audifax. Que serait une nation sans budget ? Dans quelle vision peut-elle s’inscrire, si elle ne tient pas compte des réalités financières ? Que serait une nation où l’intégration ne serait plus qu’une affirmation superficielle et non un but partagé ?

Dans ce contexte mondial de crise pétrolière, de guerre économique, où l’Europe, faute d’un vrai souffle politique, est devenue un « machin » à règlements de plus en plus mal accepté par nos concitoyens ; dans ce contexte national de gestion hasardeuse depuis 1981, de déficits budgétaires et d’endettement, nous mesurons, monsieur le ministre, la difficulté de votre tâche. Votre budget est la traduction d’une stratégie politique : toutes les marges de manœuvre sont consacrées à l’emploi. Voilà un objectif clair !

Aussi, permettez-moi de m’étonner de la remise en cause, aux articles 61 et 73, de certaines dispositions de la loi de programme sur l’outre-mer. L’objectif numéro un de cette loi était en effet l’emploi. Sa réussite se mesure d’ailleurs depuis deux ans par la baisse régulière des courbes du chômage outre-mer, en particulier à la Réunion.

Qui pourrait comprendre et accepter dans cette assemblée que la loi de finances pour 2006 remette en cause certains aspects du plan de cohésion sociale au moment où ils commencent à porter leurs fruits ? C’est pourtant ce qui est en train de se passer pour l’outre-mer avec la remise en cause de la loi Girardin ! Chaque année, hélas, le même scénario se produit : dès que l’on cherche un bouc émissaire budgétaire, on se tourne vers l’outre-mer.

M. Jean-Jacques Descamps. Pas seulement…

M. Bertho Audifax. C’est devenu un réflexe ! N’y a-t-il pas là un certain manque d’imagination des experts de Bercy qui se focalisent sur les « plus » de l’outre-mer par rapport à l’Hexagone, et omettent les « moins », pourtant nombreux ! Quelle collectivité hexagonale de 35 000 habitants supporterait un taux de chômage voisin de 40 % sans aucune entreprise de grande taille pour le résorber ? C’est le cas de la commune de Saint-Benoît, dont j’ai l’honneur d’être le maire.

Pouvez-vous, dans ces conditions, mes chers collègues, imaginer les permanences du maire ? On ne peut, sur tous les bancs de cette assemblée, à la fois affirmer que la France d’outre-mer apporte à notre pays une dimension mondiale et refuser à nos compatriotes ultramarins une priorité budgétaire pour leur développement, car aux quatre coins du monde, ils sont les témoins du savoir faire et de l’humanisme français.

M. Jean-Pierre Brard. M. Mariton va vous régler votre compte !

M. Bertho Audifax. La loi-programme est un engagement de l’État sur quinze ans ; nous l’avions votée sur cet engagement, parce qu’il apportait une garantie aux investisseurs potentiels. La parole de l’État doit être tenue. Gardez-vous bien de tarir la source des investissements extérieurs en réveillant la méfiance vis-à-vis des engagements de l’État !

Une évaluation est prévue en 2006 ; réalisons la sereinement, région par région, et apportons les corrections qui apparaîtront nécessaires à tous.

Si la loi sur l’outre-mer était remise en cause, les entreprises de la Réunion seraient atteintes de plein fouet dans leurs projets de développement. L’emploi en pâtirait immédiatement : nous irions à l’opposé des objectifs que le Gouvernement s’est fixés à cet égard !

Les parlementaires d’outre-mer, unanimes, refuseront d’adopter, en l’état, les articles 61 et 73. (Applaudissements sur de plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Menuel.

M. Gérard Menuel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 1er août 2001 assure un nouveau cadre budgétaire et comptable à ce rendez-vous de discussion sur la loi de finances pour 2006.

Certes, cette « première » rend difficile une mise en calque sur l’année précédente. Mais la nouvelle présentation assure davantage de transparence sur le plan comptable et devrait permettre au législateur de mieux assumer son rôle et sa responsabilité de contrôle. C’est le but affiché ; on en jugera à l’usage.

Grâce à une plus grande précision du coût des politiques publiques, à une meilleure connaissance des emplois affectés à chaque ministère, cette méthode devrait permettre une meilleure adéquation entre les objectifs et les moyens à y consacrer. Cela suppose une meilleure définition des priorités, et peut-être aussi une culture budgétaire différente qu’il faudra faire admettre dans tous les ministères.

Monsieur le ministre, un projet de budget s’appuie, et vous l’avez très justement dit, sur des éléments de cadrage, sur des prévisions macroéconomiques – croissance externe et interne, évolution des prix à la consommation – mais aussi sur les rapports monétaires entre les grandes zones d’échanges et sur ce qui a coûté beaucoup en croissance, en 2005, le prix du baril de pétrole.

Je serai, pour ma part, plus optimiste que Pascale Gruny pour ce qui concerne l’énergie : saluons, à ce propos, la prise en compte des aspects fiscaux du problème des biocarburants. Cela a des conséquences non négligeables sur la croissance : 0,7 point pour l’année 2005. Il faut bien reconnaître que c’est le gouvernement actuel qui a fait aboutir plusieurs dossiers concernant ce problème.

Priorité à l’emploi et à la justice sociale, a dit et répété le Premier ministre. Mais, à travers toute intervention d’ordre fiscal, une approche plus large, macroéconomique, s’impose.

Personne ne peut nier que la TVA à 5,5 % dans le bâtiment se révèle une bonne chose, sur tous les plans, y compris celui de la ressource fiscale. Elle a de nombreux autres effets positifs, notamment en limitant le travail au noir et en contribuant au plein-emploi dans ce secteur. Ne faudrait-il pas porter le même regard, plus global, sur quelques autres métiers ou services ?

De même, n’ayez pas une approche inflexible concernant les niches fiscales. Le plafonnement des avantages fiscaux à 8 000 euros par foyer est séduisant, mais il peut être contreproductif dans certains secteurs et décalé par rapport aux objectifs fixés en matière d’emploi.

J’en citerai un exemple, celui de la rénovation du patrimoine dans nos villes. De nombreuses collectivités ont – avec l’État – fait le choix de sauver le patrimoine bâti et ont imposé, dans des quartiers entiers, un niveau de réhabilitation qui produit des surcoûts dépassant souvent 30 % voire 50 %, pour atteindre même, parfois, 100 %. Ont été établis, pour ce faire, des cahiers des charges très stricts, financièrement très lourds. C’est vrai pour l’immobilier relevant de la loi Malraux, mais aussi pour les secteurs sauvegardés ou encore les ZPPAUP, zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager.

De nombreux particuliers, plus passionnés qu’intéressés par les avantages financiers, ont répondu à l’appel des collectivités et du bien commun. Il ne faudrait surtout pas les décourager !

On sait combien le niveau d’exigence est élevé pour les réhabilitations, ce qui génère des coûts supplémentaires, mais nécessite aussi un savoir-faire artisanal, ce savoir-faire qui est transmis de génération en génération. Remettre en cause les dispositions fiscales antérieures bloquerait inéluctablement l’élan observé dans de nombreuses agglomérations.

Cet exemple, qui mérite certes qu’on y prête attention, ne me fera pas pour autant douter du bien-fondé de ces propositions qui clarifient un système vieillissant, fait d’exceptions et de particularismes.

Mais les dispositions du projet de loi de finances prennent trop peu en compte la mutation industrielle actuelle. Dans un contexte d’économie globalisée, et dans un pays qui délocalise chaque jour sa production industrielle,…

M. Jacques Myard. Inadmissible !

M. Gérard Menuel. …il faut poser la question de la participation des importations aux efforts consentis par les entreprises et leurs salariés pour ce qui est du coût social. C’est peut-être parce que je suis immergé dans les difficultés du textile que connaît mon département de l’Aube que je suis plus sensible à cette question.

M. Jacques Myard. Surtout plus lucide !

M. Gérard Menuel. C’est bien dire que j’espère que tous les sujets peuvent être évoqués, y compris celui de la TVA sociale : ce ne doit pas être considéré comme un gros mot, un sujet tabou, une voie à ne jamais explorer.

Ces quelques éléments de réflexion ne doivent pas obérer les aspects globalement positifs du projet de loi de finances qui nous est proposé. Dans un cadre contraint – que personne ne conteste – il s’inscrit dans une logique que je partage, avec, en particulier, la mise en place du plafonnement fiscal, la refonte en profondeur du barème de l’impôt sur le revenu et la prime pour l’emploi, laquelle constitue un meilleur encouragement au travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Fourgous.

M. Jean-Pierre Brard. Un libéral qui s’assume !

M. Jean-Michel Fourgous. Merci, monsieur Brard, pour ce compliment !

M. Jean-Pierre Brard. C’était une flèche !

M. Jean-Michel Fourgous. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la première question que nous devons nous poser est : comment créer les richesses qui seront redistribuées ?

Il y a beaucoup de monde pour redistribuer, car la famille « répartitionniste » est extraordinairement importante dans ce pays ! Mais il y en a beaucoup moins quand il s’agit de produire !

La croissance, la croissance, la croissance, tout le monde en parle !

M. Hervé Mariton. Ça peut aider à la faire venir !

M. Jean-Michel Fourgous. Mais sait-on ce que c’est ?

M. Jacques Myard. La poussée lors de l’adolescence ! (Sourires.)

M. Jean-Michel Fourgous. La croissance – je n’en ai pas la même définition que M. Brard –…

M. Hervé Mariton. La gauche, elle, est plutôt favorable à la décroissance !

M. Jean-Michel Fourgous. …c’est l’addition – et la multiplication ! – du capital, gros mot tabou,...

M. Jean-Pierre Brard. C’est plutôt un best-seller !

M. Jean-Michel Fourgous. …du travail et de l’innovation.

Mais quelle est notre capacité collective à créer de la croissance ? Quels acteurs peuvent travailler ensemble sur ce sujet ?

Pour ma part, je vais m’attarder sur l’un de ces facteurs : le capital.

La France souffre d’un mal étrange, la schizophrénie, qui est une dissociation de la personnalité. La France est un pays de capitalistes…

M. Jean-Pierre Brard. Vous parlez de vos collègues de l’UMP !

M. Jean-Michel Fourgous. …mais qui n’aime pas le capital !

J’ai aussi la liste de nos collègues socialistes, monsieur Brard !

Notre pays subit les discours les plus archaïques sur le capital, alors même que la réalité économique est très différente puisqu’on y compte plus de sept millions d’actionnaires individuels et près de vingt-deux millions d’épargnants – et le chiffre augmente régulièrement. Il est pour le moins curieux de constater que la classe politique, encore arc-boutée sur les vieilles lunes marxistes, est en retard sur les Français qui, eux, sont capitalistes !

Sur les dix dernières années, la France est douzième sur quinze en Europe pour son taux d’investissement productif. C’est faible ! Or c’est d’abord sur les activités productives qu’il faut investir…

M. Jean-Pierre Brard. Ah oui ! Un vrai marxiste !

M. Jean-Michel Fourgous. …pas sur les autres, même s’il faut en soutenir aussi !

M. Jean-Claude Sandrier. Demandez-vous pourquoi l’investissement va ailleurs !

M. Jean-Pierre Brard. Dénoncez le capitalisme rentier !

M. Jean-Michel Fourgous. Les entreprises françaises naissent petites et elles le restent, hélas. Au bout d’un an, une entreprise française compte deux fois moins de salariés et deux fois moins de capital qu’une entreprise britannique. Au bout de sept ans, pour celles qui ont survécu, c’est-à-dire un peu plus d’un tiers, c’est pire : quatre fois moins de capital et quatre fois moins de salariés, en moyenne.

Avec une fiscalité parmi les plus punitives – merci à nos collègues socialistes –, la France se prive ainsi du principal levier de création d’emplois, de richesses et de croissance : les jeunes entreprises. Car les particuliers n’ont aucun intérêt à investir dans les jeunes entreprises, à cause de ce mot tabou qui commence par un I, finit par un F et comporte un S au milieu. Pourquoi, en effet, faire le pari d’un investissement risqué dans une PME, alors qu’il faudra payer des impôts, même si l’investissement ne rapporte rien ? Il y a donc dix fois moins de business angels en France qu’en Grande-Bretagne, cent fois moins qu’aux États-Unis.

Sortons de l’hypocrisie, arrêtons la musique de ce « bal des faux-culs » comme disait notre collègue Charles de Courson. Écoutons le sénateur Michel Charasse, ministre du budget entre 1988 et 1991, le concepteur de l’ISF, qui déclarait récemment : « C’était naïf de créer l’ISF en 1981, c’était bête de le rétablir en 1988. »

Ceux qui connaissent l’entreprise savent très bien que le premier ingrédient pour vivre et survivre, c’est le capital.

M. Jacques Myard. Vive le capital !

M. Jean-Michel Fourgous. L’argent existe en France.

M. Jacques Myard. Plus qu’ailleurs !

M. Jean-Michel Fourgous. Il y a aussi celui qui est parti, en Suisse, en Angleterre ou au Luxembourg…

M. Jacques Myard. Il peut revenir !

M. Jean-Michel Fourgous. La forte épargne des Français prouve qu’il y a de l’argent, mais il s’agit aujourd’hui de la débloquer – de « faire travailler l’argent qui dort » – de la mobiliser en faveur de l’investissement productif, au lieu de la détourner pour financer la dette de l’État.

M. Jacques Myard. Il a raison !

M. Jean-Michel Fourgous. Est-il si difficile de choisir entre financer les chèques de l’État et financer la réussite de la France ? Un transfert habile est-il donc impossible, tout en protégeant les deux parties ?

Je profite de l’occasion pour remercier M. Copé à qui l’on doit la levée du gage qui va nous permettre de débloquer l’épargne. Il a fait preuve d’une belle audace, incontestablement, quand on se souvient que Dominique Strauss-Kahn, pourtant ministre des finances, n’y avait pas réussi.

M. Jean-Pierre Brard. Je crains qu’il ne vous nuise, monsieur le ministre ! (Sourires.)

M. Jean-Michel Fourgous. Pour le sang comme pour le capital, un garrot a le même effet sur le fonctionnement respectivement du corps humain et de l’entreprise !

M. Jean-Pierre Brard. Quand je serai malade, je n’irai pas vous voir !

M. Jean-Michel Fourgous. La France est un pays de petits propriétaires, attachés à leur patrimoine. Elle compte, je le répète, sept millions d’actionnaires, parmi lesquels de plus en plus de jeunes et de « petits portefeuilles ».

La France est un grand pays capitaliste. En effet, sur les cinquante premières banques mondiales, elle se situe au deuxième rang, derrière les États-Unis, avec six banques. Sur les cinquante premières compagnies d’assurance du monde, elle se hisse au deuxième rang aussi, avec cinq entreprises.

Les systèmes de participation ou d’intéressement touchent d’ores et déjà 37 % des salariés. Ils leur permettent de recevoir une part des profits de l’entreprise, réconciliant le travail avec le capital. L’épargne consacrée rien qu’à l’assurance-vie est passée, en un an, de 840 milliards à 923 milliards.

Attention, monsieur Brard, vous le voyez, le capitalisme progresse !

On ne peut en dire autant des discours politiques : les profits, les revenus du capital, l’investissement, sont considérés comme une source éternelle d’impôts et de taxes. Les débats sur les retraites, sur l’assurance maladie et, plus récemment, sur le prix du pétrole l’ont bien montré, à chaque fois qu’il faut de l’argent, le discours démagogique donne la réponse : allons le chercher sur les profits, sur le capital !

Aux États-Unis, on est content d’avoir des riches, parce qu’ils redistribuent beaucoup. En France, un riche, est quelqu’un qui a beaucoup volé !

M. Jean-Pierre Brard. Mme Bettencourt et d’autres !

M. Jean-Michel Fourgous. Pourtant, l’État prendra plus de 50 % du chiffre d’affaires TTC d’une entreprise – pour construire des hôpitaux, des écoles, payer les députés et les fonctionnaires – alors que le vilain actionnaire, le vilain capitaliste, lui, en percevra, net d’impôts, 1 à 2 %. Il faut être conscient de la manière dont les richesses sont produites. Quant au logement, la France est douzième sur quinze pour le taux de ménages propriétaires de leur logement. On mesure notre archaïsme culturel.

M. le président. Monsieur Fourgous, il vous faut conclure.

M. Jean-Michel Fourgous. En conclusion, notre pays ne pourra échapper longtemps à cette question : quelle est vraiment notre capacité collective à créer de la richesse ? Face au club des diviseurs, qui ne pensent qu’à diviser le travail et les richesses, il y a celui des multiplicateurs, qui ont compris que c’est en additionnant les efforts, en multipliant les richesses et le travail…

M. Jean-Claude Sandrier. Surtout les cadeaux !

M. Jean-Michel Fourgous. …que l’on peut redistribuer. En 2007, le débat aura lieu, et je vous promets d’y participer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jean-Pierre Brard. M. Myard est arrivé au terme de la lecture du Capital ; ce n’est pas le cas de M. Fourgous !

M. Jacques Myard. Monsieur le ministre, la discussion générale d’un projet de loi de finances doit être, me semble-t-il, une réflexion sur la macro-économie, avant d’entrer dans le détail de chacune des missions de l’État. Que les choses soient claires. Sur le plan technique, j’ose dire que votre budget est bon : il est optimal dans le cadre qui vous et qui nous est imposé et la réforme de l’IRPP, si l’on peut discuter certains de ses aspects, va dans le bon sens.

M. Jean-Pierre Brard. Tu faiblis !

M. Jacques Myard. Il est louable et même indispensable de maîtriser la dépense publique afin de maîtriser le déficit public, mais n’oublions pas que celui-ci peut avoir deux causes : un excès de dépenses, voire la gabegie qu’il faut bien sûr éliminer, mais aussi l’atonie des recettes. M. Breton a déclaré que la France vit au-dessus de ses moyens.

M. Jean-Pierre Brard. C’est lui qui vit au-dessus des moyens de la France !

M. Jacques Myard. Je me permets de le contredire. La France produit au-dessous de ses capacités réelles – ce qui n’est pas tout à fait la même chose –, et ce en raison des choix macroéconomiques qui ont été faits depuis vingt ans, quel que soit le Gouvernement, et qui se révèlent être aujourd’hui contraires à nos intérêts.

J’examinerai ces choix un par un, en commençant par celui du tout Europe – rassurez-vous, je ne relancerai pas le débat de la campagne référendaire. « La France est notre patrie, l’Europe notre avenir. » Cette formule a été répétée à satiété à nos entreprises, si bien qu’elles ont privilégié l’Europe dans leur approche exportatrice. Or ce choix se révèle être une faute stratégique, en raison de l’implosion démographique que nos partenaires connaissent actuellement. Le fameux axe franco-allemand devient, en matière économique, un marché de dupes car si l’Allemagne continue à exporter, notamment vers la Chine, grâce à ses spécificités économiques, elle ne nous achète plus.

Le Rapport sur les comptes de la nation 2004 indique ainsi : « Sur l’ensemble de l’année, les exportations en volume ont augmenté bien moins rapidement que le commerce mondial : elles ont souffert d’une orientation géographique accordant une place importante aux marchés européens et une faible place aux marchés asiatiques en forte croissance. » Voilà comment des choix politiques aboutissent à des contrevérités économiques. Nous avons commis une faute en mettant tous nos œufs dans le même panier européen, et il nous faut redresser la barre.

Quant à l’identité commerciale européenne, elle n’existe plus. L’Europe est devenue une sous-zone de la globalisation, le tarif extérieur douanier – à 4 % ad valorem – a disparu et la Commission, notamment le fameux socialiste Lamy, a poussé à l’ouverture totale des frontières, contre nos intérêts. Selon lui, c’est du « gagnant-gagnant ». C’est édifiant ! La France a perdu la moitié de ses emplois industriels en dix ans. Si l’on en croit le professeur Allais, cette évolution a commencé dès 1974, avec la destruction de 50 000 emplois chaque année. On me répliquera qu’ils ont été tertiarisés. C’est faux, car il s’agit bien d’une perte sèche. Dans son ouvrage intitulé La Mondialisation – La destruction des emplois et de la croissance, Maurice Allais avait prédit les résultats de cette ouverture forcenée des frontières. Comment, en effet, concurrencer des États tels que la Chine ou l’Inde dont la monnaie est artificiellement maintenue dans un rapport de un à cinquante ou de un à soixante-dix avec la nôtre ?

Il faut donc rétablir la préférence communautaire. Et que l’on ne vienne pas me dire que ce serait du protectionnisme ! Regardez ce que font les Américains : je suis admiratif de la manière dont ils conduisent leur politique commerciale. Ils ne font pas d’idéologie, ils agissent empiriquement, en fonction des résultats. Il faut s’en inspirer. Que M. Barroso retourne donc à l’école du pragmatisme !

M. Jean-Pierre Soisson. Peter Mandelson aussi !

M. Jacques Myard. En outre, la Commission a développé une idéologie de la concurrence, qui est une sottise bien habillée, mais qui est une sottise avérée, car ce libéralisme théorique n’existe nulle part ailleurs. Nous devons bien entendu privilégier une politique industrielle. À cet égard, le démantèlement de Péchiney est contraire à nos intérêts : c’est un crime contre l’économie française. Cependant, je me félicite que le Gouvernement ait confié à Bernard Carayon une mission sur l’intelligence économique, car il faut être capable de maîtriser ce monopoly industriel. Dans ce domaine, évitons de nous en remettre à la « main invisible », qui ne permet pas la construction d’une politique économique à long terme.

Enfin, la monnaie unique a été un instrument de décroissance, car elle n’est pas adaptée à une zone économique non optimale : l’histoire et la réalité le démontrent. Comme l’a écrit encore récemment le professeur Lafay dans Les Échos, l’euro cher coûte cher à notre économie et à notre industrie. Nous avons ainsi perdu 40 % de productivité ces dernières années, en raison de l’appréciation de l’euro face au dollar et aux autres monnaies. Voilà la réalité ! C’est pourquoi il est urgent que la BCE soit à nouveau placée sous le contrôle du Conseil. Confier la politique monétaire à des fonctionnaires qui n’ont de compte à rendre à personne est une aberration qui défie la raison et la démocratie.

Mais il faut être honnête et ajouter aux carcans européens les pesanteurs françaises. Je pense notamment au rationnement du travail avec les 35 heures et à l’interdiction du cumul emploi-retraite à l’heure où l’on parle d’employer les seniors, qui pourraient apporter leur expérience et leur valeur ajoutée à l’économie – j’ai d’ailleurs rédigé une proposition de loi en ce sens sur laquelle j’attire votre attention, monsieur le ministre.

Je pense surtout au matraquage du patrimoine et de l’épargne, comme l’a rappelé M. Fourgous. Il est clair, en effet, que, dans une économie de marché ouverte, l’ISF, l’IS, les droits de succession et l’impôt sur les plus-values sont des pousse-au-crime. Si l’on ne revient pas à une saine taxation du capital, il ne faudra pas s’étonner que les Français continuent à investir les 17 % d’épargne de leurs revenus disponibles en Chine, en Pologne ou en Roumanie, plutôt qu’en France. Nous sommes revenus en 1914, lorsque les Français se payaient le tramway de Shanghai et les emprunts russes, avec le résultat que l’on sait. Aujourd’hui, on constate que nos investissements se sont effondrés. Or, comme le disait un socialiste, le Chancelier Schmidt, l’épargne d’aujourd’hui, ce sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain.

Il faut, certes, faire la guerre à la gabegie, mais, de grâce, ne ressuscitons pas Laval ! Ne nous focalisons pas sur la nécessité de couper dans la dépense, au moment où il faut faire des dépenses d’investissement. Les Français sont prêts à travailler davantage, ils ont le savoir-faire et l’épargne. Alors desserrons ces étaux macroéconomiques mondiaux, européens et français et allons de l’avant ! C’est à ce prix que nous réussirons ensemble. Sinon, nous échouerons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Brard. M. Fourgous, qui s’est, semble-t-il, lancé dans la lecture, il est vrai ardue, du Capital, doit encore progresser dans ses recherches. En effet, la théorie économique distingue le capital que l’on investit dans les machines, le capital mort, et le capital représenté par les personnes qui produisent les richesses, le capital vivant. Or M. Fourgous fait l’impasse sur ce dernier, et c’est cela que nous lui reprochons. Les capitalistes pour lesquels il a les yeux de Chimène mangent le capital, de sorte qu’il n’est même plus possible de le renouveler une fois qu’ils se sont servis. M. Fourgous ne pense qu’aux actionnaires, et pas au capital « vivant », qui doit être sans cesse enrichi grâce à la formation.

Enfin, monsieur le président, M. Myard a indiqué qu’il fallait surveiller la dépense publique et, en particulier, éviter la gabegie. Aussi, je renouvelle la question que j’ai posée hier et à laquelle je n’ai pas eu de réponse : quel est le nombre exact des gendarmes qui ont été mobilisés pour le mariage de Delphine Arnault ? Combien cela a-t-il coûté aux finances publiques ?

M. le président. Nous sommes là très loin du règlement.

Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2006.

Reprise de la discussion

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j’ai évidemment écouté très attentivement l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés lors de la discussion générale et je souhaite prendre le temps nécessaire de répondre à chacun d’entre eux. Ce sera aussi l’occasion, pour moi, de préciser certains points avant que ne débute l’examen des articles.

Monsieur Carrez, vous avez souligné que le budget que nous vous présentons est…

M. Hervé Mariton. Fantastique !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. …« raisonnable » – mais d’autres termes peuvent être choisis, monsieur Mariton – et ambitieux. Pour un début de discussion, ce n’est pas si mal.

M. Jean-Pierre Brard. Ils sont fascinés !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. De fait, nous sommes à tous les rendez-vous que nous nous étions fixés : celui de la LOLF, celui de la réforme fiscale et celui de la responsabilité, dans un contexte très difficile, puisque nous stabilisons la dépense en volume pour la quatrième année consécutive, le déficit et la dette. Le budget pour 2006 que nous présentons au Parlement est ainsi en cohérence avec les priorités gouvernementales attendues par les Français et le souci de bonne et raisonnable gestion que vous appelez de vos vœux. Nous y retrouvons l’ensemble des grandes réformes pour lesquelles vous avez voté la confiance au Premier ministre et au Gouvernement.

Je regrette comme vous que trop de dispositions fiscales soient encore à l’extérieur des projets de loi de finances. Néanmoins, j’ai le sentiment que les choses ont avancé, et si nous devons entamer ensemble une réflexion pour faire en sorte que la loi de finances soit bien le lieu du débat fiscal, j’ai le sentiment que c’est bien ici, dans le cadre de cette discussion, que se disent les choses essentielles. Nous aurons, du reste, l’occasion de le constater à nouveau lorsque nous examinerons la réforme fiscale que le Gouvernement soumet à votre assemblée.

En tout état de cause, nous aborderons lors de l’examen du projet de loi de finances l’essentiel des thèmes propres au débat fiscal, à savoir la régulation, la maîtrise de la dépense, l’évolution des prélèvements.

Monsieur le président de la commission des finances, sachez que je partage votre détermination à placer la réduction des déficits au cœur de notre stratégie budgétaire : il en va de la possibilité de créer les marges de manœuvre dont nous avons besoin. J’ai fait preuve d’ouverture et d’enthousiasme – pour reprendre un mot que vous utilisez souvent quand vous évoquez notre budget – lorsqu’il s’est agi de travailler avec vous à la réduction de la dépense publique. Je l’ai dit et je le redis, je considère que sur ce point il reste beaucoup à faire. Nous avons évoqué la somme de 500 millions d’euros. Toutefois, cette réduction doit se faire de manière très attentive pour ne surtout pas aboutir à des blocages de l’action gouvernementale, mais au contraire nous inciter à trouver des moyens d’améliorer l’efficacité de l’État. Sur ce point, le lancement des audits, dans lequel je serai moi-même très impliqué, va constituer une bonne occasion de faire progresser notre connaissance du fonctionnement de l’État et la mise au point des remèdes qu’il convient d’y apporter.

Je vous rejoins également sur la question des bas salaires, notamment sur le risque d’une trappe à bas salaires, monsieur Méhaignerie. Le soutien au pouvoir d’achat est l’un des objectifs majeurs de notre politique économique, mais nous nous trouvons confrontés à un vrai dilemme, consistant à savoir où nous devons placer le curseur. Le premier combat à mener, et il sera difficile, est celui contre la pauvreté et l’inactivité. Aujourd’hui, les Français comprennent mal qu’une personne percevant les minima sociaux – le RMI, l’ASS, l’Allocation de parent isolé – puisse subir une perte de revenus si elle reprend un travail. C’est pourtant la réalité : un certain nombre de prestations et avantages, fondés sur le principe de solidarité, viennent se cumuler au RMI : la CMU, la CMUC, l’exonération de redevance audiovisuelle ainsi que d’un certain nombre de taxes locales, la gratuité des transports ainsi que de la cantine des enfants dans la majeure partie des grandes villes, les gardes d’enfants gratuites ou facilitées. Tout cela est retiré du jour au lendemain à la personne qui reprend un emploi.

C’est pourquoi l’un des éléments majeurs de la réforme que nous proposons, qui vise évidemment à favoriser le pouvoir d’achat, mais aussi la reprise du travail, consiste en une augmentation très importante de la prime pour l’emploi. On pourrait craindre un effet néfaste sur les salaires situés juste au-dessus du SMIC, mais il n’en est rien : je vous démontrerai au cours de ce débat qu’il reste un différentiel significatif entre les deux, même après l’augmentation de la prime pour l’emploi. Le plan d’incitation au retour à l’emploi annoncé par Dominique de Villepin comprenant une réforme du service public de l’emploi, la fixation de rendez-vous obligatoires, le renforcement des contrôles et parfois des sanctions, participe également de ce combat pour la reprise de l’emploi dont nous avons fait notre priorité.

En ce qui concerne la réforme fiscale, le maître mot a été la justice. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux. Drôle de conception de la justice !

M. Gérard Bapt. En quelle langue l’écrivez-vous, ce mot ?

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. L’autre mot-clé est la compétitivité de la France (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), mais j’y reviendrai tout à l’heure.

En ce qui concerne les relations entre l’État et les collectivités locales, vous avez évoqué un nécessaire partage des responsabilités. Je partage entièrement cette analyse et j’y ajouterai volontiers l’exigence de transparence. Tous les Français doivent savoir ce que représentent les dégrèvements : 51 milliards d'euros, soit environ le montant de l’impôt sur le revenu.

M. Augustin Bonrepaux. Qui les a décidés ? Pas les collectivités locales !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. C’est l’État, monsieur Bonrepaux, et il assume cette décision, mais, pour autant, les Français doivent en être informés.

M. Augustin Bonrepaux. Cela a été décidé par faiblesse !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. M. Strauss-Kahn a-t-il fait preuve de faiblesse en décidant un allégement brutal de l’ordre de 14 milliards d'euros de dégrèvements d’impôts locaux ?

M. Augustin Bonrepaux. C’était de la faiblesse, parfaitement !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je serais ravi d’entendre M. Strauss-Kahn sur ce sujet, mais il n’a malheureusement pas été très présent depuis le début de ce débat sur la loi de finances.

M. Augustin Bonrepaux. Il vous répondra, et à moi aussi, par la même occasion !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Monsieur Mariton, je vous remercie de vos encouragements ainsi que de votre contribution à l’ensemble de nos débats sur le projet de loi de finances, notamment lors de sa préparation.

M. Jean-Pierre Brard. M. Mariton reconverti en idéologue !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Le Gouvernement a besoin du soutien de la majorité pour mener à bien les réformes difficiles et ambitieuses qu’il a engagées, qui correspondent à des attentes fortes et pour lesquelles nous devons faire œuvre d’explication.

M. Jean-Pierre Brard. D’intoxication, voulez-vous dire ! De mise en condition, de perversion !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Nous sommes en train de préparer l’avenir, de créer les conditions du retour à une croissance équilibrée, qui ne laisse personne sur le bord du chemin mais vise d’abord à relancer la baisse du chômage par la création d’emplois. Dans ce domaine, comme vous l’avez dit, l’objectif est la maîtrise dans la durée de la dépense publique. C’est l’un des sujets sur lesquels vous êtes le plus engagé et nous y travaillerons ensemble, monsieur Mariton, dans les fonctions que j’exerce aujourd’hui mais également dans celles dont j’aurai la charge à l’avenir.

M. Jean-Pierre Brard. Personne ne doute de votre prochain départ !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. L’exécution de la loi de finances sera une opportunité majeure pour réaliser des gains de productivité pour l’État au service du contribuable, qui veut en avoir pour ses impôts, mais aussi au service de l’usager. On ne dira jamais assez qu’un usager du service public qui paie ses impôts est un client du service public, et le client est roi. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Pierre Brard. Il ne manquait plus que ça ! Vous avez du talent pour le théâtre, monsieur Copé !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Les gains de productivité de l’État doivent également profiter aux fonctionnaires. La réforme de l’État ne réussira que si elle est portée par les hommes et les femmes de l’administration de notre pays, qui doivent mériter la considération de nos concitoyens à travers le travail qu’ils accomplissent et les résultats qu’ils obtiennent, et c’est à cela que nous allons travailler ensemble.

M. Jean-Pierre Brard. Ils vous ont dit le 4 octobre dernier ce qu’ils en pensaient !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Monsieur Bonrepaux, vous avez comme à votre habitude adressé beaucoup de reproches au Gouvernement.

M. Jean-Pierre Brard. Justifiés !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. J’aurai l’occasion d’y revenir tout au long de notre débat, mais je voudrais d’ores et déjà répondre à l’un d’entre eux en particulier, qui a trait au prélèvement sur Réseau ferré de France. Permettez-moi, monsieur Bonrepaux, de vous dire que ce que nous faisons s’inscrit dans le cadre d’une politique en faveur du logement.

M. Augustin Bonrepaux. C’est faux !

M. Jean-Pierre Brard. Qu’est-ce que cela a à voir avec les rails et le ballast ? Vous déraillez !

M. Jean-Louis Dumont. Quelle politique du logement ? Vous ponctionnez le Fonds de garantie à l’accession sociale à la propriété !

M. le président. Veuillez laisser M. le ministre s’exprimer !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Nous avons dans ce domaine un seul objectif, consistant à apporter une réponse globale aux problèmes que connaissent nos compatriotes en matière de logement. Nous en avons déjà fait la démonstration en augmentant de manière considérable le rythme de construction de logements neufs, surtout par comparaison avec ce qui constitue certainement l’un des plus grands échecs du gouvernement Jospin.

M. Jean-Pierre Brard. Mais on vous parle du rail !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. À quel problème sommes-nous principalement confrontés en matière de logement, notamment en région Île-de-France ? Au manque de terrains.

M. Jean-Pierre Brard. Vous allez loger les gens dans les compartiments des trains ?

M. Jean-Louis Dumont. L’ancien préfet qui dirigeait RFF était incompétent ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. C’est la raison pour laquelle il nous a semblé indispensable de faire œuvre de volontarisme vis-à-vis de l’un des établissements publics qui dispose de la plus grande réserve foncière, à savoir Réseau ferré de France. Notre décision est partie d’un constat, celui que RFF existe depuis maintenant dix ans et que le rythme de cession foncière n’a pas été très dynamique durant cette période – c’est le moins que l’on puisse dire.

L’État, lui non plus, n’a pas rempli ces dernières années les objectifs de la politique de cession d’actifs domaniaux qu’il aurait dû atteindre, par défaut de volonté politique. Je vous renvoie sur ce point à l’excellent rapport de Georges Tron et de la MEC. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de prendre les choses en main, en fixant des objectifs quantitatifs ambitieux, mais que j’ai bien l’intention de tenir, à savoir 600 millions d’euros de cessions pour cette année – ce qui sera le plus gros volume de ventes de ces dernières années.

M. Jean-Pierre Brard. Vous ne répondez pas à la question ? Pourquoi RFF ?

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Il m’a semblé que Réseau ferré de France avait besoin d’être « boosté ». C’est pourquoi j’ai décidé la création d’une structure juridique qui ne sera certainement pas une usine à gaz – ce serait mal me connaître que de penser l’inverse – mais un dispositif très opérationnel destiné à réaliser des cessions en bloc, rapides et souples, le cas échéant au moyen de partenariats, éventuellement avec la Caisse des dépôts.

M. Jean-Louis Dumont. Mais RFF dispose déjà d’équipes compétentes ! Pourquoi cette structure ?

M. Augustin Bonrepaux. Pourquoi 350 milliards ?

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Nous avons prévu un double retour pour Réseau ferré de France : l’intégralité de la valeur comptable des terrains, ainsi qu’une participation à la plus-value. Cet accord me paraît donc clair et équilibré.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas un accord, mais un ukase !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je souhaite que les emprises de Réseau ferré de France puissent participer largement de la politique de logement et je n’en démordrai pas.

M. de Courson a centré son intervention, comme il le fait souvent, sur la norme « zéro volume », et a prétendu que le Gouvernement ne respectait pas son objectif de maîtrise des dépenses. On a longuement débattu, à l’occasion du débat d’orientation budgétaire, des allégements de charges transférés à la sécurité sociale. Ceux-ci étant de moindres prélèvements obligatoires, il est logique de les compenser par des transferts de recettes plutôt que par des crédits budgétaires.

Loin de nous l’idée de vouloir recréer un FOREC ! Celui-ci était une boîte opaque dans laquelle on ne voyait strictement rien. Là, il n’y pas d’établissement intermédiaire, mais un transfert direct à la sécurité sociale avec les recettes fiscales correspondantes. Nous voulons même aller plus loin avec la barémisation des allégements de charges. Nous affichons aux yeux du monde un taux de cotisations de 46 % pour le SMIC alors que le niveau réel est de 20 %. Il est bon de faire apparaître la vérité sur ce point, comme nous le faisons avec l’impôt sur le revenu. C’est cela, la transparence.

M. Augustin Bonrepaux. Bien sûr !

M. Jean-Louis Dumont. On verra à l’usage !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Par ailleurs, une polémique infondée s’est engagée avec Charles de Courson au sujet des prélèvements sur recettes. Je voudrais y mettre fin une bonne fois pour toutes, en rappelant que le Conseil constitutionnel a validé leur présentation budgétaire, qu’il s’agisse des prélèvements sur les recettes des collectivités locales ou de l’Union européenne. Quand il est question dans la LOLF de « rétrocession directe de recettes », cela signifie des recettes moindres pour l’État, et non des dépenses. Il est donc logique que, dans le tableau d’équilibre du budget, les prélèvements sur recettes n’apparaissent pas dans les dépenses, mais en réduction des recettes nettes de l’État.

M. Michel Bouvard. Tout à fait !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Tout le reste n’est que vaine polémique à laquelle je ne veux pas participer, mais je ne laisserai pas dire que notre budget est insincère.

Pour faire à M. de Courson une réponse complète, j’ajoute que basculer les dotations aux collectivités locales en dépenses budgétaires signifierait implicitement supprimer leur caractère automatique, donc risquer de les voir se réduire. Je suis persuadé que personne ne le souhaite.

Enfin, je rappelle que l’AFIT a été créée à la demande expresse du Parlement afin d’améliorer les infrastructures de transport de notre pays, renforcer notre avantage comparatif et garantir des ressources pérennes. C’est exactement ce que nous avons fait en appliquant les règles de la charte de budgétisation. D’un total invariant depuis 1999 et annexé au projet de loi de finances, la progression des dépenses de l’État est bien limitée à l’inflation – plus 1,8 % – et je ne laisserai ni M. de Courson, ni personne d’autre, faire croire aux Français que nous ne sommes pas sincères. J’expliquerai ce point aussi longtemps qu’il le faudra.

M. Jean-Pierre Brard. Nous ne sommes pas sortis de l’auberge !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. J’allais justement en venir à vous, monsieur Brard. En vous écoutant, j’ai constaté, certes sans surprise, que d’innombrables désaccords nous séparent en matière de choix budgétaires et fiscaux.

M. Jean-Pierre Brard. Jusque-là, nous sommes d’accord ! (Sourires.)

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Notre débat sur la réforme fiscale en est une claire illustration ; j’y reviendrai tout à l’heure.

M. Jean-Pierre Brard. Et les comparaisons avec l’étranger que j’ai faites ?

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Vous refusez malheureusement de comprendre que la France doit s’adapter à un contexte international en rapide mutation.

Si je plaide sans cesse pour que nous regardions ce qui se fait de mieux ailleurs,…

M. Jean-Pierre Brard. Je vous ai cité des chiffres !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. …c’est parce que j’ai l’ambition que les choses changent dans notre pays. De votre côté, vous souhaitez que rien ne bouge…

M. Jean-Pierre Brard. Des chiffres !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. …vous appelez de vos vœux une glaciation de notre modèle, là où nous voulons au contraire le faire évoluer. La fuite des jeunes talents, des entrepreneurs, des investisseurs, tout laisse à penser qu’il est temps de réagir.

Moi, je vous le dis, monsieur Brard, il ne faut pas s’y tromper. La question de l’attractivité et de la compétitivité de notre pays est majeure. Elle se pose dans le domaine social comme dans le domaine fiscal. À nous de prendre nos responsabilités. Si nous ne le faisons pas, nous n’aurons plus que nos yeux pour pleurer lorsque nous verrons, tous les mois, des entreprises quitter nos territoires pour aller s’installer ailleurs.

Nous devons donc mettre en œuvre une compétitivité fiscale et sociale digne de ce nom et, en même temps, préserver notre modèle afin que chaque Française et chaque Français puissent bénéficier d’un service public de qualité, mais qui se modernise, d’une législation du droit du travail équilibrée, c’est-à-dire qui encourage à l’embauche tout en protégeant les salariés, et, enfin, d’un système de protection sociale ouvert à tous et soucieux de maîtriser ses comptes.

Voilà notre objectif ! Et, à travers ce projet de budget, nous apportons déjà beaucoup d’élément de réponse.

Monsieur Bouvard, je veux vous adresser mes remerciements comme je l’ai fait pour M. Mariton mais dans un registre différent.

M. Jean-Pierre Brard. Il est vrai que M. Bouvard est moins ultra-libéral !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Vous avez en effet accompli à nos côtés un travail remarquable pour l’élaboration de la LOLF.

M. Gérard Bapt. Avec M. Migaud !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Vous le savez, la flagornerie n’est pas dans mes habitudes. Je tiens donc ici très sincèrement à saluer votre contribution. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Votre diagnostic sur le volet « performance » va guider nos travaux tout au long de l’année 2006. Nous sommes au rendez-vous du premier mardi d’octobre mais l’essentiel est encore devant nous. Ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, je suis très attentif et je sais que vous l’êtes aussi, à présenter aux Français cette nouvelle Constitution budgétaire afin qu’ils voient combien la dépense publique sera désormais traçable. Chacun saura précisément à l’avenir où va le produit des impôts et comment on pourra en mesurer l’efficacité. Le changement est majeur.

Il va donc falloir maintenant expliquer. J’ai demandé à mes équipes de regarder ce qui se fait ailleurs afin de présenter les documents les plus lisibles et les plus opérationnels. Un forum sur la performance sera ouvert à compter du 1er janvier sur Internet pour permettre à tous les Français qui le souhaitent de participer à ce débat. C’est nouveau. Mais je sais qu’en matière d’innovation, la commission des finances et vous-même, monsieur Bouvard, serez en pointe.

Sur les allégements de charges, je suis moi aussi favorable à toutes les évaluations pour toutes les politiques publiques. Nous aurons un débat sur les charges sociales. La « barémisation » m’intéresse beaucoup et je sais que vous êtes nombreux à vouloir travailler sur cette question.

M. Hervé Mariton. Le sujet est complexe !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. C’est vrai, monsieur Mariton, mais il est aussi très important et le débat doit être clairement posé.

S’agissant du compte d’affectation spéciale relatif au produit des amendes des radars, il a pour vocation à financer les dépenses d’investissement et de gestion des systèmes de radars automatiques. Il prend en outre en charge les frais du permis à un euro. Voilà pour les dépenses de sécurité envisagées sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir dans le débat.

Monsieur Pajon, vous avez été très caricatural dans votre description du projet de loi de finances. Je le rappelle, 80 % du gain de la réforme fiscale bénéficiera aux ménages modestes.

M. Didier Migaud. Ce n’est pas vrai !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Monsieur Perruchot, vous êtes bien plus sévère à la tribune que dans la vraie vie. J’ai donc considéré que, lorsque vous vous exprimiez avec autant de dureté sur ce budget, vous ne pouviez pas décemment penser tout ce que vous disiez.

M. Gérard Bapt. Ce propos est insultant pour notre collègue !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Ou alors, c’est à désespérer. Moi, je connais un maire de Blois ouvert, généreux et attentif à la contribution permanente de l’État à ses côtés pour développer notamment l’image culturelle de sa ville. Votre sévérité sur un budget dont vous pouvez vous réjouir car nous partageons, par ailleurs, les mêmes valeurs m’a surpris. N’ayant pas retrouvé le sympathique Nicolas Perruchot que je connais, j’en ai déduit que vous ne pensiez pas tout ce que vous disiez.

M. Nicolas Perruchot. Il ne tient qu’à vous de me montrer que j’avais tort !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Cela dit, il s’agit là d’un syndrome que nous connaissons tous à un moment ou à un autre de nos parcours. En vieillissant, on essaie de l’éviter.

M. Gérard Bapt. Ce n’est pas votre cas ! Vous devez rajeunir, monsieur le ministre ! (Sourires.)

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Si vous avez des doutes sur le sujet et si vous voulez être sûrs de ne pas pratiquer la langue de bois, relisez François Guillaume dans le texte…

M. Jean-Pierre Brard. Non, Étienne Pinte !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Vous verrez que, dans ce domaine, la source est intarissable. (Sourires.)

Monsieur Laffineur, vous avez rappelé avec beaucoup de précision combien les priorités de notre budget correspondaient aux attentes de nos concitoyens et aux engagements que nous avons toujours pris en la matière. Qu’il s’agisse de l’abaissement du coût du travail avec la pérennisation des allégements de charges ou de l’allégement des lourdeurs qui pèsent sur les entreprises et pénalisent l’emploi, nous avons des résultats qui peuvent être mis à notre actif. Dieu sait, pourtant, si à gauche, dans cet hémicycle, on déploie de l’énergie pour montrer des indicateurs au rouge, entretenir la morosité, la psychose, voire l’anxiété.

Il est donc de notre devoir, afin de rétablir l’équilibre, de faire savoir que certains indicateurs économiques sont encourageants. Je pense à la consommation, à l’investissement, et à la baisse du chômage depuis peu. Certes, il n’y a pas de quoi pavoiser. Mais compte tenu de la faible croissance de ces dernières années, les résultats obtenus sont encourageants,…

M. Jean-Pierre Brard. Et l’augmentation du nombre de RMIstes ?

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. …surtout lorsqu’on constate dans le même temps le formidable succès du contrat nouvelles embauches avec près de 100 000 signatures.

M. Jean-Pierre Brard. Tu parles !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Philippe Auberger, je tiens à mon tour à vous remercier pour vos mots d’encouragement. Vous avez, quant à vous, choisi les termes de « sérieux » et « solide » pour qualifier ce budget.

M. Jean-Pierre Brard. C’est le vigneron qui a parlé ! (Sourires.)

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je sais combien les mots comptent. Je suis donc très sensible à ce que je peux considérer comme un compliment.

Sur l’évolution des effectifs de la fonction publique, je partage votre diagnostic. Je vous sais, comme d’autres, très volontariste en la matière. Nous allons continuer de travailler ensemble. Mais, plutôt que de procéder de manière brutale, évaluons et voyons, notamment à travers les rapports d’audits de cette année, comment faire le meilleur service public au meilleur coût, en abordant tous les aspects et en particulier celui de la gestion des hommes.

Vous m’avez par ailleurs interrogé sur la réforme des plus-values. C’est un sujet auquel je suis comme vous très attentif. J’ai pris des engagements à la suite de ce qu’a souhaité le Président de la République. Je les tiendrais. Je vous donne rendez-vous au projet de loi de finances rectificative de fin d’année pour procéder à un toilettage et à une mise en cohérence de tous les dispositifs existants, et, surtout, pour prévoir un mécanisme permettant de supprimer toute imposition en cas de détention longue de manière à inciter les actionnaires à être fidèles à leurs entreprises. Ce sont là des sujets essentiels, notamment au regard de notre volonté d’enrayer les délocalisations et de stabiliser l’actionnariat face à des OPA dont on pourrait penser qu’elles sont hostiles. Nous avons pu en faire les frais par le passé.

Monsieur Giacobbi, je voudrais saisir votre intervention pour tordre le cou à vos contestations en matière d’hypothèses économiques. D’abord, je veux redire ici que l’écart entre notre hypothèse de croissance et le consensus à l’instant t de l’ensemble des économistes est exactement dans la même fourchette d’incertitude. Nous avons fixé une hypothèse à 2-2,5 % avec une moyenne à 2,25 % pour la croissance là où le consensus est entre 1,8 et 2,3 %. Nous sommes bien dans la fourchette d’incertitude. Pour autant, M. Breton a rappelé qu’il y avait des divergences historiques entre les deux.

En tout état de cause, il n’y a pas de lien entre les prévisions de recettes et la croissance économique. J’en ai fait hier la démonstration.

M. Didier Migaud. On se porte mieux avec davantage de croissance !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Monsieur Deniaud, je partage tout à fait votre analyse sur la nécessité de renforcer nos infrastructures, pour lesquelles nous bénéficions d’un avantage comparatif. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place avec l’AFITF un outil performant qui, je l’espère, répondra à toutes les attentes, notamment en matière de contrat de plan.

Monsieur Descamps, vous avez fait référence au verre à moitié vide. Nous avons souvent ce débat ensemble. Sachez que, pour ce qui nous concerne, nous ne serons pas inertes ni dans la mobilisation pour l’emploi ni dans notre détermination à réformer la fiscalité.

Monsieur Claeys, vous avez été très sévère à propos des finances locales.

M. Augustin Bonrepaux. À juste titre !

M. Jean-Pierre Brard. M. Claeys a été moins sévère que M. Pinte !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Nous aurons l’occasion d’en débattre ce soir. Nous évoquerons notamment la création d’une conférence des finances publiques pour tout mettre à plat.

Madame Billard, la réaction du Gouvernement sur la crise pétrolière a été fondée sur deux exigences : une exigence de vérité et une exigence de transparence avec la commission Durieux.

M. Didier Migaud et M. Augustin Bonrepaux. Pour la transparence, c’est plutôt raté !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Le rapport qu’elle a remis la semaine dernière montre que l’État ne bénéficie d’aucune recette d’opportunité. Tout est clair et transparent.

M. Jean-Pierre Brard. Vous avez oublié de dire qu’il ne fallait pas faire de peine aux pétroliers !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Monsieur Novelli, vous avez qualifié ce budget d’imaginatif. Je note qu’en additionnant les divers adjectifs, on arrive finalement à un bon budget, ce dont je me réjouis. (Sourires.) Bien sûr, je vous rejoins dans votre combat contre les dépenses inutiles ou inefficaces.

Monsieur Balligand, vous avez, vous aussi, contesté nos prévisions économiques. Je n’y reviens pas.

M. Jean-Louis Dumont. C’était une excellente intervention !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Certes. Mais elle était redondante avec les précédentes.

M. Gérard Bapt. Dites plutôt qu’elle vous gêne !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je mets donc ma réponse antérieure en facteur commun.

Monsieur Edmond-Mariette, vous m’avez interrogé sur l’outre-mer. Vous le savez, le Premier ministre a engagé une concertation avec les élus d’outre-mer. Il vous a reçu mardi et vous reverra jeudi. Tout peut donc encore évoluer. Le projet initial du Gouvernement me paraît juste et fondé. Il n’est pas illégitime de s’interroger sur les allégements de charges outre-mer ou sur les niches fiscales. Nous allons y travailler ensemble. Nous avons pour objectif de mettre en œuvre avec succès la loi de programmation et de développement de l’outre-mer, telle que Mme Girardin l’a présentée en 2003.

M. Victorin Lurel. Tous les agréments sont bloqués à Bercy !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je vais vous répondre, monsieur Lurel. Ne soyez pas impatient !

Monsieur Tron, vous avez rappelé l’exigence de maîtrise de la dépense et la nécessaire modernisation de la fonction publique. C’est un sujet que vous connaissez bien. Je sais que nous travaillerons beaucoup ensemble tout au long de l’année à venir, à travers les audits et notre politique immobilière.

Monsieur Cousin, vous avez salué notre budget et je veux ici vous en remercier, s’agissant notamment de la question des intérêts de retard. C’est un point majeur, en effet.

Monsieur Bapt, vous avez, quant à vous, été très sévère.

M. Gérard Bapt. Avec raison !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Et cela ne me surprend pas car vous l’êtes très souvent, hélas pour nous ! J’aurais préféré que vous nous rejoigniez mais on ne peut pas non plus tout demander. (Sourires.) Le moins que l’on puisse dire, c’est que vous ne faites pas dans la nuance, notamment lorsque vous parlez de la réforme fiscale alors même que, dans ce domaine, nous avons pris des mesures qui me paraissent profondément justes. Je pense en particulier à ce qui concerne le barème et la prime pour l’emploi, sur lesquels je reviendrai.

Monsieur Chamard, il nous arrive d’avoir de petites divergences. Votre intervention a été très applaudie. J’en ai donc déduit qu’elle était très bonne et je n’ai pas beaucoup d’autres commentaires à faire. (Sourires.) Nous reviendrons dans le cours du débat sur les différents points que vous avez abordés. Ce sera l’occasion de montrer à nouveau que nous partageons les mêmes objectifs. Après, tout est une affaire de mise en œuvre et tout est dans l’art de l’exécution. Je suis certain que vous saurez partager le même esprit de responsabilité que moi.

Monsieur Dumont, vous vous êtes montré sévère, et je l’ai beaucoup regretté, dans vos interrogations sur la politique des ressources humaines conduite au ministère des finances. S’il y a bien un ministère sur lequel je suis, à titre personnel, profondément engagé en matière de ressources humaines, c’est bien celui des finances. Qu’il s’agisse de la généralisation des contrats de progrès, de l’expérimentation de la rémunération au mérite, de la réalisation des gains de productivité, nous avons, dans tous ces domaines, beaucoup travaillé avec les fonctionnaires.

M. Jean-Louis Dumont. Les critères doivent être transparents !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Ils le sont, monsieur Dumont. Je ne laisserai pas dire le contraire.

Monsieur Guillaume, vous avez été sévère, et même très sévère.

M. François Guillaume. Comme toujours !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Oui, c’est ce que j’ai dit tout à l’heure.

M. Jacques Myard. Qui aime bien, châtie bien, monsieur le ministre !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Certes.

Monsieur Guillaume, nous aurons, dans la suite du débat, l’occasion de satisfaire au moins une partie de votre impatience – légendaire. L’impatience n’est d’ailleurs pas toujours un défaut.

Monsieur Pinte, nous sommes vraiment en désaccord sur le constat que vous dressez des finances locales. Prenez garde à la chimère de la simplification ! À propos des relations entre les collectivités locales et l’État, on peut, c’est vrai, au cours d’un colloque, évoquer l’abolition des financements croisés, mais quand on est un élu local, on sait bien que, pour boucler le financement d’un projet important, il faut accepter les crédits, d’où qu’ils viennent, et conclure des partenariats avec l’État.

M. Jean-Pierre Brard. M. Pinte n’est-il pas un peu élu local ?

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Gardez-vous aussi d’une vision excessive des choses. On peut toujours démontrer que le compte n’y est pas entre l’État et les collectivités locales, d’un côté comme de l’autre. Le maire, par exemple, considérera toujours que le coût des projets qu’il met en œuvre au service de ses administrés est trop élevé.

M. Jean-Pierre Brard. C’est votre avis !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Mais, en tant que maire de Meaux, je peux en témoigner : jamais je n’aurais pu engager la restructuration urbaine de la ville de Meaux sans un appui financier majeur de l’État : zone franche urbaine, grand projet de ville, contribution de l’Agence nationale de rénovation urbaine. Cette restructuration profonde de la ville n’aurait jamais pu être menée à bien sans le concours de l’État.

M. Jean-Louis Dumont. L’ANRU, ce n’est pas uniquement l’État, mais l’argent des salariés !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Ce n’est pas uniquement l’État, mais, en l’occurrence, il s’agissait bien de l’État !

Sans doute, monsieur Pinte, la solidarité nationale et la péréquation sont-elles nécessaires. Vous parlez de Versailles, mais la ville de Meaux reflète aussi les difficultés de la société française : avec 53 % de logements sociaux, 27 nationalités, la moitié du territoire communal en zone franche, nous pouvons parler longuement des difficultés et des anxiétés de la France d’aujourd’hui. Dans ce domaine, les efforts de l’État pour aider notre ville à se redresser méritent d’être soulignés, au même titre que ceux réalisés par le maire de Versailles, qui a des difficultés à boucler son budget.

M. Jean-Pierre Brard. Comme dirait M. Mariton, attention au cumul !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Quant aux simulations, monsieur Bonrepaux, je vous les dois, mais au rythme qui est le nôtre. Ce soir, lorsque notre débat portera sur la DGE, vous aurez les simulations que vous avez demandées. Lorsque, dans la deuxième partie de ce débat budgétaire, nous discuterons de la taxe professionnelle, vous aurez les simulations.

M. Didier Migaud. Quand ?

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Avant que nous en discutions en séance, naturellement !

M. Augustin Bonrepaux. Pourquoi les cachez-vous ? Vous appelez cela la transparence ?

M. Jean-Louis Dumont. Chat échaudé craint l’eau froide !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Monsieur Lurel, vous vous êtes livré à un réquisitoire caricatural sur la politique du Gouvernement. Cela ne m’a pas surpris, car vous n’êtes dans ce domaine jamais surprenant. Vous m’avez pourtant fait très plaisir quand je vous ai vu, avec des trémolos dans la voix, prendre la défense de la loi de Mme Girardin relative à l’outre-mer.

M. Victorin Lurel. Cette loi est insuffisante !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Cela m’a beaucoup touché. Si en ce moment même RFO nous écoute, cela vaut peut-être la peine de rappeler à nos concitoyens domiens les propos que vous teniez en juin 2003, lors du vote de la loi de Mme Girardin. Je vous cite, monsieur Lurel : « Le groupe socialiste se fera un honneur et un devoir de voter contre un tel texte qui n’apporte rien à l’outre-mer. » (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Victorin Lurel. La démonstration est faite ! D’ailleurs, le chômage repart !

M. Jean-Louis Dumont. Vous avez tout bloqué !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Vous entendre, des trémolos dans la voix, nous expliquer que sa remise en question serait dramatique était un moment de bonheur dans l’océan de vos critiques, qui nous ont fait oublier la contribution majeure de la France et de l’État au service de nos compatriotes d’outre-mer, dont nous pouvons collectivement nous enorgueillir. C’est cela aussi la fraternité nationale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Monsieur Garrigue, vous avez évoqué le FIPSA. Je vous réponds sans tarder sur un sujet qui a mobilisé de nombreux acteurs : le FIPSA est en déséquilibre pour 2006 puisqu’il souffre d’une dette héritée du BAPSA…

M. Gérard Bapt. Il souffre de votre dette !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. …et ne bénéficie pas assez de la solidarité, notamment démographique, des autres régimes. Je vous rappelle que cette question relève du PLFSS, mais l’État ne saurait se désintéresser de cette question et je puis d’ores et déjà vous annoncer que nous vous proposerons, d’ici à la fin de ce débat, de majorer les recettes du FIPSA sans dégrader le déficit budgétaire.

En outre, dans la seconde partie du budget, nous vous proposerons la reprise par l’État d’une fraction de la dette, lorsque la possibilité de mieux faire jouer les solidarités entre les régimes sera clarifiée. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet, qui fait l’objet de toute mon attention.

Madame Gruny, nous partageons votre intérêt pour les biocarburants. Nous vous proposerons dans ce projet de budget d’accélérer la montée en puissance de l’incorporation et de la TGAP et de diminuer la défiscalisation – moins que ce qu’aurait exigé la hausse du pétrole. Vous verrez par ailleurs que je suis favorable à un amendement de la commission des finances sur le mode de calcul de la TGAP due par ceux qui n’incorporent pas assez de biocarburants.

Monsieur Audifax, je partage tout à fait votre analyse, en particulier sur la nécessité de renforcer les fonctions régaliennes de l’État et de mener une politique globale de l’immigration dans ses aspects d’ordre public et d’accompagnement social. Telle est la volonté du Gouvernement. Au-delà de vos préoccupations concernant l’outre-mer, je vous propose de travailler main dans la main sur ce thème.

Monsieur Menuel, vous vous inquiétez de la suppression de l’avantage lié à la loi Malraux. Rassurez-vous, les travaux pourront toujours être déduits dans des proportions importantes puisque la possibilité d’imputer le déficit foncier à hauteur de 10 700 euros sera intégralement maintenue et l’avantage fiscal de 8 000 euros calculé par rapport au taux moyen d’imposition. Un ménage à hauts revenus peut donc déduire environ 40 000 euros au-delà de 10 700 euros, soit plus de 50 000 euros, et plus encore pour un ménage à revenus moyens. Comme vous le voyez, il reste de la marge, ce qui ne nous empêchera pas d’y travailler encore.

Monsieur Fourgous, comme cela arrive souvent, j’ai bu vos paroles. Vous êtes un orateur de talent et, même si je ne partage pas toujours votre enthousiasme, il est évident que nous devons encourager la création d’entreprises, la prise de risques et l’investissement. Dans tous ces domaines, ce projet de budget répond largement à vos attentes.

Monsieur Myard, vous et moi ne sommes pas d’accord sur tout : je suis profondément favorable à l’Europe, vous l’êtes nettement moins.

M. Jean-Pierre Brard. Il est pour une Europe où la France a la meilleure place !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Néanmoins, monsieur Myard, les règles relatives au pacte de stabilité relèvent du bon sens, elles jouent le même rôle que les glissières sur les autoroutes.

M. Jacques Myard. Elles sont anti-économiques !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Si nous voulons redresser nos comptes publics, c’est avec une approche de père de famille que nous devons le faire, et le pacte de stabilité correspond parfaitement à cette approche.

M. Jacques Myard. Je préfère la dynamique économique !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Voilà, mesdames et messieurs les députés, ce que je voulais vous dire. Nous entrerons cet après-midi, avec la discussion des articles, dans le détail de la réforme fiscale. Cela me donnera l’occasion d’affirmer que cette réforme est juste et indispensable pour le développement économique de notre pays. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Motion de renvoi en commission

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission, déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. Didier Migaud.

M. Didier Migaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je n’ai pas l’intention d’abuser du temps qui nous est imparti, mais je souhaiterais revenir sur un certain nombre de sujets qui justifient, aux yeux des députés du groupe socialiste, que ce texte revienne devant la commission des finances.

M. Hervé Mariton. On se lasse !

M. Didier Migaud. Non, monsieur Mariton, car, quand on aime, on ne se lasse pas (Sourires), et la matière budgétaire nous intéresse : parler de justice fiscale, des moyens des collectivités locales, de l’emploi ne nous lasse pas, mon cher collègue, et nous sommes tout à fait disposés à en débattre.

Malheureusement, monsieur le ministre, votre projet de loi de finances ne répond pas, contrairement à ce que vous prétendez, aux préoccupations des Français. Il ne vous suffit pas de mettre en avant la justice sociale et la solidarité pour qu’elles deviennent les priorités de votre politique, bien au contraire. Il ne suffit pas d’utiliser certains mots pour qu’ils deviennent la réalité.

Je voudrais revenir sur certaines questions que nous vous avons posées et sur certaines perles que j’ai pu entendre depuis le début de ce débat. Monsieur le ministre, vous pouvez répondre avec tout le talent que nous vous connaissons sur le plan de la forme, cela ne peut cacher une certaine insuffisance sur le fond. Après M. Breton, qui nous expliquait l’autre jour ce qu’était un budget, le ministre du budget nous affirme aujourd’hui qu’il n’y a pas de lien entre la croissance et les recettes !

M. Gérard Bapt. C’est un dérapage sincère !

M. Didier Migaud. J’avoue que c’est assez extraordinaire d’entendre un ministre du budget…

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je n’ai pas dit cela !

M. Didier Migaud. Vous l’avez dit, sauf si vous corrigez le compte rendu des débats. C’est exactement ce que nous avons entendu : il n’y a pas de lien entre la croissance et les recettes. J’avais pourtant cru comprendre qu’une baisse de la croissance pouvait avoir des conséquences sur les recettes.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Monsieur Migaud, m’autorisez-vous à vous interrompre ?

M. Didier Migaud. Je vous en prie, monsieur le ministre !

M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l’autorisation de l’orateur.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Permettez-moi de réagir vivement sur un tel sujet : les recettes fiscales d’aujourd’hui se fondent sur la base des années passées. Les prévisions de croissance correspondant, par définition, à l’avenir. Elles ne peuvent être qu’une intuition. Le lien n’est pas direct, je crois que vous l’avez bien compris !

M. le président. Poursuivez, monsieur Migaud.

M. Didier Migaud. Que le lien ne soit pas direct…

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je suis sûr que vous l’aviez compris !

M. Didier Migaud. Permettez-moi de le répéter : il existe un lien direct entre la croissance et les recettes.

Un certain nombre de nos questions sont malheureusement restées sans réponse de votre part. Au cours de la discussion générale, notamment dans les motions de procédure, nous vous avons demandé de nous indiquer combien rapportera à l’État le plafonnement des niches fiscales. Nous attendons toujours votre réponse. Le plafonnement à 60 % de l’impôt profitera, dites-vous, à 93 000 contribuables. Parmi ceux-ci, combien seront assujettis à l’ISF ? Quelle sera la réduction moyenne de l’impôt de ces contribuables ? Cette question a suscité une polémique, même au sein de l’UMP, ce qui prouve que vos mesures fiscales sont excessivement injustes, contrairement à ce que vous prétendez.

Selon un rapport récemment publié par l’OFCE et les statistiques de certains cabinets de conseil, ce sont les Français les plus aisés qui bénéficieront le plus des mesures que vous proposez, tant en ce qui concerne le bouclier fiscal que les nouvelles mesures de réduction de l’impôt sur le revenu et de l’impôt de solidarité sur la fortune.

Nous souhaitons que vous nous apportiez quelques précisions en la matière, car il ne suffit pas d’affirmer un certain nombre de choses, il faut les prouver. Or, jusqu’à présent, nous ne vous avons pas entendu contester ce qui a été dit ici ou là par l’OFCE, le syndicat national des impôts et plusieurs cabinets de conseil. Cessez de nous parler du nombre de gagnants, car cela n’a guère de sens, dites-nous plutôt quelle est la part du coût de vos réformes, qu’il s’agisse de l’impôt sur le revenu ou du bouclier fiscal, qui s’adressera aux 10 % des Français les plus aisés.

S’agissant de la prime pour l’emploi, vous n’avez pas confirmé le chiffre annoncé par le rapporteur général : compte tenu du relèvement à 30 euros du plancher au-dessous duquel l’État n’estime plus utile de la verser, combien de personnes vont perdre le bénéfice de la prime pour l’emploi ?

Cela me permet d’ailleurs de vous interroger sur un autre point car, puisque vous estimez qu’en dessous de 30 euros, cela ne vaut pas la peine que l’État intervienne, que faites-vous alors de la réduction de 20 euros en cas de déclaration de revenus par Internet ? Cette mesure est-elle maintenue dans le prochain budget ? Combien a-t-elle coûté l’année dernière et combien va-t-elle coûter cette année à partir du moment où vous prévoyez vous-même que vos services pourront répondre à pratiquement 10 millions de contribuables faisant leur déclaration par Internet ? Pensez-vous que cette dépense soit utile, efficace ? N’y a-t-il pas un effet d’aubaine ? Ne croyez-vous pas qu’il y a deux poids deux mesures : d’un côté, on accorde 20 euros de réduction ; de l’autre, en dessous de 30 euros, on supprime la prime pour l’emploi pour, semble-t-il, plusieurs centaines de milliers de bénéficiaires ? Si c’est votre conception de la justice fiscale, en tout cas, ce n’est pas la nôtre et il y a un vrai désaccord entre nous sur ce point.

Nous voulions également savoir comment allaient s’articuler entre elles les mesures de plafonnement des niches fiscales et de plafonnement à 60 % de la somme de des impôts directs, mais vous n’avez pas non plus souhaité répondre à nos questions. Nous espérons que la suite de la discussion vous le permettra.

Monsieur le ministre, je voudrais aussi vous interpeller à propos de certaines questions d’actualité sur lesquelles vous devez, je pense, être sensible, et qui sont de plus en plus dénoncées par les organisations syndicales ou la presse. Je veux parler des montages fiscaux réalisés par certaines multinationales. Des articles parus dans la presse encore ce matin font apparaître que cette pratique se développe.

M. Gérard Bapt. Comme Hewlett-Packard, qui délocalise les emplois !

M. Didier Migaud. Que faites-vous, monsieur le ministre, pour tenter d’enrayer ce dispositif ? Selon des organisations syndicales – je pense notamment à la CFDT à Colgate-Palmolive –, si ces pratiques se généralisaient à 80 % des multinationales présentes en France, elles pourraient représenter plus d’une trentaine de millions d’euros. Confirmez-vous ce chiffre et quelles mesures comptez-vous prendre pour enrayer ce phénomène d’optimisation fiscale réalisé par plusieurs entreprises multinationales ? Hewlett-Packard est un exemple, mais il y en a malheureusement beaucoup d’autres. Il ne suffit pas de discourir, il faut aussi prendre des décisions concrètes. Nous croyons savoir que des propositions ont été formulées au niveau de votre ministère à ce sujet. Où en êtes-vous et comptez-vous nous faire des propositions ?

La commission devrait aussi se pencher de nouveau sur les dépenses pour essayer de comprendre la réalité des choses. Monsieur le ministre, vous continuez d’affirmer que les dépenses de l’État n’augmentent pas davantage que l’inflation, mais, d’après le rapport de la Cour des comptes sur l’exécution 2004 – et je crains que le rapport sur l’exécution du budget 2005 ne fasse apparaître aussi un décalage entre ce que disent la Cour des comptes et le rapporteur général de la commission des finances et vous-même –, les dépenses augmentent bien plus que vous ne le dites. À cet égard, je me suis permis de prolonger le tableau du rapporteur général sur l’évolution de la dépense selon l’agrégat de la commission des finances et de faire des comparaisons entre 1998 et 2006. Je constate que, contrairement à votre discours – et je pense que cela peut intéresser le président de la commission des finances –, la progression, d’une année sur l’autre, en loi de finances initiale puis en exécution depuis 1998 est édifiante, et c’est pourquoi il est tout à fait intéressant d’en débattre à nouveau. 1998 : + 1,3 % ; 1999 : + 1,6 % ; 2000 : + 0,9 % ; 2001 : + 3 % ; 2002 : + 0,9 % ; 2003 : + 3,5 % ; 2004 : + 0,5 % ; 2005 : + 1,2 % ; 2006 : + 4,9 %. Quelle belle démonstration à partir du rapport général de la commission des finances ! Pour la progression en exécution par rapport à l’année précédente, là aussi, les augmentations les plus importantes sont sous votre responsabilité, monsieur le ministre ! 2002 : + 5,3 % ; 2003 – un accident – : - 1,2 % ; 2004 : + 2,3 % ; pour 2005, nous attendons les chiffres. C’est la preuve, monsieur le ministre, que votre fameuse norme d’évolution de la dépense publique n’est absolument pas respectée, et ceux qui l’analysent objectivement, que ce soit la Cour des comptes ou la commission des finances dans sa tradition de calcul, prouvent qu’elle ne correspond pas à la réalité. Répéter un mensonge, monsieur le ministre, ne le transforme pas en vérité.

Je voudrais terminer, sachant que nous aurons l’occasion de revenir sur beaucoup d’autres sujets dans le cadre de la discussion budgétaire, sur les collectivités locales. Je tiens à saluer ce qui a pu être dit sur ce sujet, y compris par des collègues de l’UMP. D’une certaine façon, ils ont le courage de dire, ici, dans l’hémicycle, ce que beaucoup pensent tout bas ou disent même dans les associations d’élus, voire dans des conversations en privé. Étienne Pinte, qui est un esprit libre – on le connaît depuis longtemps –, a parfaitement exprimé ses idées, avec beaucoup de liberté et de vérité. Je comprends que son discours sur les collectivités locales vous déplaise, mais il n’est pas le seul à formuler un certain nombre d’observations.

Il y a quelques jours, M. Jean Puech, UMP, ancien ministre, président de l’observatoire de la décentralisation, regrettait le déficit de dialogue de la part de l’État avec les collectivités locales.

M. Marc Censi, président de l’Assemblée des communautés de France, lui aussi membre de votre majorité, s’exprime avec beaucoup de sévérité. Je suis horrifié, dit-il, par l’agressivité à l’égard de l’intercommunalité. Depuis quelques mois, nous sentons poindre une agressivité à l’égard de l’intercommunalité ; à mon avis, c’est le symbole d’une réaction de la technostructure jacobine française, poursuit-il. Il dit également que lorsqu’un gouvernement – et là, sa parole est d’or – a l’intention de restreindre la fiscalité locale, il a tout intérêt à affirmer que les collectivités dépensent trop. Monsieur le ministre du budget, voilà ce que déclare Marc Censi ! Je regrette que M. le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale se prête beaucoup trop à ce discours en oubliant que lui-même a été élu local. Je trouve assez insultant de la part de M. Mariton de considérer qu’un député, parce qu’il est également élu local, en oublie l’intérêt général et l’intérêt de l’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Hervé Mariton. Il y a des moments où l’on se pose la question !

M. Didier Migaud. En tout cas, ce n’est pas notre cas et nous regrettons que M. Mariton utilise les moyens de l’intérêt général que représente l’Assemblée nationale pour développer des thèses partisanes et partiales avec un rapport de commission d’enquête parfaitement mensonger, car pratiquement rédigé avant même que les auditions aient eu lieu et donc en complète contradiction avec la plupart d’entre elles. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Cela a été dit avec force, avec conviction par le président de la commission d’enquête, Augustin Bonrepaux, et cela doit être redit.

M. Hervé Mariton. Le rapport a été voté à l’unanimité, moins une voix !

M. Didier Migaud. Monsieur le ministre, vous avez pris un certain nombre d’engagements sur des simulations à venir. Or, nous n’avons toujours pas ces simulations, notamment sur la DGE laquelle est à l’ordre du jour de la séance de ce soir. Les donner au dernier moment pour que l’opposition ne soit pas en mesure de les évaluer ne correspond pas tout à fait, permettez-moi de vous le dire, à l’esprit qui devrait présider à nos travaux. Ou alors il est indispensable que la commission des finances puisse se réunir cet après-midi, en tout cas avant la séance de ce soir, afin de nous permettre d’en débattre et d’apprécier la pertinence des simulations en question. Et pour la discussion de la seconde partie, monsieur le ministre, il est essentiel que nous puissions également avoir ces simulations, et pas au dernier moment, compte tenu des conséquences que pourront avoir le « bouclier fiscal » et le plafonnement de la taxe professionnelle sur les budgets locaux.

Tout le monde reconnaît que sans les collectivités locales, beaucoup d’investissements, beaucoup de politiques publiques en direction d’un grand nombre de nos concitoyens ne seraient pas possibles. Ne remettons pas en cause la capacité à agir des collectivités locales ou, tout au moins, soyons en mesure d’apprécier les conséquences des mesures que nous prenons ici sur les budgets des collectivités locales. Vous avez fait modifier la Constitution pour affirmer l’autonomie financière des collectivités locales. Vous avez modifié des textes pour réaffirmer la libre administration des collectivités locales. Or vous n’arrêtez pas de multiplier les atteintes à cette libre administration depuis que vous êtes revenus au pouvoir.

Voilà monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, les raisons pour lesquelles le groupe socialiste demande un renvoi en commission des finances de ce projet de budget : il reste encore beaucoup trop de sujets à approfondir. Ainsi, monsieur le ministre, nous vous proposons de vous aider car ce renvoi en commission nous permettrait de gagner du temps pour la suite de nos débats. Rien n’est pire que de rester dans le malentendu et l’ambiguïté. J’invite donc l’Assemblée à adopter cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Monsieur le président, monsieur le ministre, j’ai écouté avec beaucoup de plaisir et d’attention l’ensemble de la discussion générale, et elle m’a inspiré deux réflexions.

La première est qu’un auditeur extérieur installé dans les tribunes aurait bien du mal à qualifier le budget. On a tout entendu – je cite en ordre décroissant – : « solide », « sérieux », « juste », « raisonnable », « imaginatif », « peut mieux faire ». Tout est faux ! Je pense donc qu’un peu de rigueur et de vérité sont de mise pour le débat qui va s’engager.

Deuxième réflexion sur le taux de croissance. Il est important, car il détermine tout le reste. Or personne ne peut contester que, sur la moyenne des deux dernières années, notre taux de croissance est meilleur que la moyenne des pays européens.

M. Didier Migaud. Ce n’est pas sûr !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. L’inverse a été dit.

C’est vrai, ce taux n’est pas l’idéal, mais nous sommes dans un ensemble européen où, si nous faisons mieux, c’est déjà un premier résultat.

Il y a aussi un problème de fond touchant à la compétitivité des entreprises françaises : vous dites que le coût horaire du travail est inférieur en France à la moyenne des pays européens. Celle-ci est de 24,90 euros : or, le coût est de 27,70 euros en France et de 27,93 en Allemagne. Ainsi, d’après les dernières statistiques, la France se situe au deuxième rang. Ce n’est pas indifférent quand on sait que les rigidités réglementaires sont aussi un obstacle à l’adaptation et à la vitalité des entreprises.

La troisième observation concerne les investissements étrangers. De ce point de vue, on note une convergence entre le Gouvernement et l’opposition : le Gouvernement rappelle l’importance de ces investissements, en se fondant sur les chiffres de Mme Gaymard…

M. Michel Bouvard. Les statistiques de l’Agence ne veulent rien dire ! Elles sont bidons, et je le prouverai !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. …et l’opposition explique qu’il ne faut pas toucher à la fiscalité dans ce domaine, puisque la France est le troisième pays pour les investissements étrangers. Monsieur le ministre, il serait souhaitable que nous ayons un véritable débat sur ce sujet, car la nature des investissements étrangers nous permettrait de relativiser nos résultats. Compte tenu de l’impôt sur le patrimoine, je crains que, pour une personne qui achète une PMI en France, le bilan ne soit négatif au bout de quelques années.

M. Michel Bouvard. C’est vrai !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Je l’ai, pour ma part, vérifié en Ille-et-Vilaine : on ne nous communique que les éléments positifs, et jamais le passif. Il est temps que nous ayons un vrai débat sur ce point.

M. Michel Bouvard. C’est un vrai problème !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. En ce qui concerne les collectivités locales − c’est mon quatrième point −, il doit y avoir un malentendu. M. Bonrepaux a raison de dire que les lois décidées par l’État et la majorité − comme celles sur le handicap ou les SDIS − coûtent souvent cher aux collectivités locales. Mais, dans le même temps, toute une partie de notre assemblée refuse de voir que, de plus en plus, par des dégrèvements et des exonérations, l’État prend à son compte une partie très importante de cette charge. C’est bien l’élu local parlementaire qui a imposé ces dégrèvements, ce n’est pas l’exécutif. La vérité, monsieur Migaud, c’est qu’il faut désormais arbitrer entre les dépenses collectives et le pouvoir d’achat des familles. De toutes les collectivités locales européennes, celles de France sont celles qui ont le plus augmenté leurs dépenses.

M. Jacques Myard. Heureusement qu’elles ont investi !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Acceptons cette réalité, confirmée par un rapport de la Commission européenne, et reconnaissons qu’une croissance des dépenses publiques locales de 4 % par an en volume n’est saine ni pour l’endettement du pays ni pour le pouvoir d’achat des Français.

Le dernier point concerne les grandes fortunes. Nous savons bien que, quand nous en discutons entre nous, vous tenez un langage totalement différent, car les décisions que prend aujourd’hui le Gouvernement ne sont pas différentes de celles sur le plafonnement qu’adoptait Michel Rocard en 1988.

M. Jacques Myard. Il était très bon, Michel Rocard !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Il avait fixé un plafond de 70 %. Certes, il prenait en compte la CSG, non les impôts locaux.

M. Augustin Bonrepaux. Ce n’est pas du tout la même chose !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Mais chacun sait bien que nombre de délocalisations sont dues à notre système et que cette anomalie est coûteuse.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Monsieur le ministre, pour avoir un débat de vérité, encore faut-il se fonder sur un diagnostic qui ne soit pas erroné.

Notre collègue Jean-Yves Chamard a raison : le déficit public représente un problème pour la France. Quand je vois la CDU et le SPD se mettre d’accord sur une réduction des déficits de 15 à 30 milliards d’euros, et quand, dans le même temps, j’entends chez nous des appels permanents à l’État, quand j’observe la culture de la dépense publique, je suis tenté de rappeler les mots de François Furet à propos de la campagne électorale de 1997 : « Sur l’emploi, la droite n’a pas dit grand-chose, de peur de déplaire, et la gauche a dit des choses fausses, pour plaire. »

M. Didier Migaud. Caricature !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Non, ce n’est pas une caricature, et nous n’avons guère dévié de ces lignes politiques, refusant de regarder la réalité en face et de comparer notre situation à celle des autres pays européens. Je souhaite que nous puissions travailler ensemble pour maîtriser la dépense publique et améliorer ainsi la situation du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je voudrais, très brièvement, inviter votre assemblée à rejeter la motion défendue par M. Migaud. Sur le fond, je la juge très excessive, déformant ce que nous essayons de mettre en place. Mais je voudrais surtout répondre à propos de la réforme fiscale. Je le dis avec la plus grande force : je suis en désaccord total avec l’étude de l’OFCE que vous avez citée.

M. Didier Migaud. Je vous comprends !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Elle est malheureusement partiale, entachée d’erreurs qui pervertissent le message et la réalité des choses aux yeux de l’opinion publique.

Notre réforme fiscale n’a que deux objectifs. D’une part, elle entend améliorer la compétitivité de notre pays. La compétitivité, c’est l’emploi. Quand on décide de mettre en place un plafonnement global, de diminuer le taux marginal à 40 % en supprimant l’abattement, c’est pour être comparable aux autres pays et, ainsi, faire la vérité des prix vis-à-vis des contribuables français et des investisseurs étrangers.

D’autre part − et c’est le véritable objectif −, elle se veut une réforme de justice. Lorsque l’on additionne − ce que n’a pas fait l’OFCE − le nouveau barème de l’impôt sur le revenu et l’augmentation très significative de la prime pour l’emploi, on voit que 80 % du coût de la réforme profitera aux deux premières tranches du barème. Ce sont les classes moyennes et modestes, des Français qui, aujourd’hui, ont entre 1 000 et 3 500 euros de revenus mensuels qui en bénéficieront. Notre objectif est simple : il s’agit de valoriser les gens qui travaillent, ceux qui ne bénéficient jamais d’aucune réforme. C’est donc d’abord à eux que nous avons pensé en mettant en place cette réforme fiscale. J’aurai l’occasion de le répéter au cours de ce débat, car il s’agit d’un élément essentiel : l’ambitieuse et courageuse réforme de l’impôt sur le revenu profite d’abord aux Français qui travaillent, aux catégories modestes et moyennes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Didier Migaud. Les Français arbitreront !

M. le président. Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Jean-Claude Sandrier, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jean-Claude Sandrier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voterons bien sûr la motion de renvoi en commission, pour deux raisons principales. Bien que la première ait été abondamment évoquée, je veux y revenir un instant : les hypothèses de croissance retenues n’ont aucune fiabilité. Je ne m’attarderai pas sur les chiffres, mais je rappellerai les paroles de M. Breton et celles de notre rapporteur général. Quand M. Breton disait : « Ce budget, ces chiffres, j’y crois », le rapporteur général nuançait : « Je croise les doigts pour y croire ». Ces deux expressions sont vraiment significatives du peu de crédit qu’on peut accorder à ce budget.

La deuxième remarque ne lui en accorde pas davantage : c’est la réflexion de fond de M. Copé qui s’est dit favorable au divorce entre l’économie et l’idéologie. Une telle déclaration décrédibilise totalement ce budget. Chercheriez-vous à cacher que vous faites de l’idéologie ? Une fois de plus, je rappellerai l’analyse de M. Stiglitz, cet excellent, cet extraordinaire prix Nobel d’économie qui parle de l’idéologie du libéralisme et de l’idéologie du libre marché. Ainsi, peut-être faisons-nous tous de l’idéologie ; dans votre cas, c’est une certitude : sans doute, ce n’est pas une maladie, mais l’orientation que vous avez prise est mauvaise.

M. Stiglitz souligne par ailleurs deux particularités du libre marché : d’une part, il est incapable de s’autoréguler et, d’autre part, les partisans de la libre entreprise ont surestimé le rôle des marchés. C’est donc bien qu’il est nécessaire de réglementer, d’organiser, de réguler le marché et d’avoir le courage de dire, comme nous, qu’il est irresponsable de prôner l’indépendance totale de l’économie par rapport aux politiques. Je ne sais pas si c’est encore de l’idéologie : en tout cas, c’est un choix politique − le nôtre, pas le vôtre.

La politique doit maîtriser l’économie, c’est une simple question de respect à l’égard de l’intérêt général et de la démocratie. Si, comme vous le proclamez, la politique ne doit pas diriger l’économie, qui pilote, qui gouverne ? M. Tietmeyer l’a révélé à Davos, devant des chefs d’État auxquels il a dit : « Désormais, vous êtes sous le contrôle des marchés financiers. » Vous parlez de pragmatisme : c’est bien joli, vous avez l’air de dire qu’il faut se contenter de suivre le mouvement. Et c’est bien ce que vous faites : vous suivez, vous abandonnez, vous laissez faire.

Comment assurer une vraie maîtrise politique, conforme à l’intérêt de la majorité de nos concitoyens ? Ce budget ne répond nullement à cette question. C’est pourquoi il mériterait, pour le moins, de retourner en commission.

M. le président. La parole est à M. Augustin Bonrepaux, pour le groupe socialiste.

M. Augustin Bonrepaux. Monsieur le ministre nous a parlé de transparence, mais j’attendrai, pour poursuivre, qu’il termine une conversation particulière sans doute très importante et qu’il soit plus attentif à mon intervention.

M. Michel Bouvard. Ce n’est pas le ministre qui vote ! C’est nous que vous devez convaincre !

M. le président. M. le ministre vous écoutait. Poursuivez, monsieur Bonrepaux.

M. Augustin Bonrepaux. Monsieur le ministre, vous nous parlez de transparence, mais, depuis le début de notre débat, Didier Migaud vous demande des précisions et vous ne nous en apportez aucune. Nous demandons des simulations, en vain. Vous appelez de vos vœux un débat sur les finances des collectivités locales, mais les seules informations qu’on nous fournisse à cet égard annoncent que vous allez rembourser 460 millions aux départements. Or vous commencez par leur en prendre 200. Vous avez beau parler de compensations à l’euro près, on est loin du compte. Et vous avez beau parler de justice, tout cela n’est pas parfaitement équitable.

Vous nous proposez une réforme fiscale : soit vous disposez de simulations, soit vous n’en avez pas. Si vous voulez vraiment la transparence, donnez-nous-les. Si vous ne les avez pas, c’est de l’imprévoyance, ce qui est encore plus grave. Monsieur le ministre, donnez-nous ces simulations. On ne peut pas commencer aujourd’hui un débat sur les collectivités locales sans savoir à quelle sauce elles seront mangées dans trois semaines, puisque vous vous apprêtez, selon les injonctions de M. Mariton, à les empêcher de prendre la moindre initiative.

Vous êtes seul à vanter la justice de votre réforme, alors que nous ne sommes pas seuls à la trouver injuste. L’OFCE a même produit un rapport expliquant que votre réforme fiscale profite essentiellement aux contribuables les plus aisés. Nous nous contentons de reprendre ce que montrent des simulations que vous vous gardez bien de préciser et que nous avons dû réaliser nous-mêmes. Dans tout cela, monsieur le ministre, où voyez-vous de la justice ? Où voyez-vous de l’équité ? Dès lors que vous réduisez la fiscalité pour les plus aisés, vous obligez les collectivités locales à augmenter la fiscalité des ménages.

Il faudrait, d’autre part, que M. le président de la commission des finances soit un peu plus objectif. Le Centre d’études de l’emploi fait en effet apparaître que la France n’occupe pas en Europe une position aussi particulière qu’on le croit et qu’elle demeure légèrement en dessous de la moyenne européenne pour le travail à temps plein. Vous n’avez de cesse de dire que ce sont les 35 heures qui nous font perdre de la compétitivité, mais il faudrait être un peu plus respectueux de la réalité.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Cinq minutes !

M. Augustin Bonrepaux. Vous dites que, pour attirer les investisseurs étrangers, il faut baisser l’ISF. Pourtant, un département excentré comme l’Ariège reçoit de temps en temps les propositions d’investisseurs étrangers.

M. Hervé Mariton. Ils sont fous ! (Rires.)

M. Augustin Bonrepaux. Qu’attendent-ils du conseil général de l’Ariège ? Qu’il améliore le réseau routier ou qu’il installe le très haut débit, pas qu’il baisse les impôts ! Or vous réduisez vos investissements dans les infrastructures et paralysez le développement des territoires ruraux.

M. Marc Laffineur. Il ne devait parler que cinq minutes !

M. Augustin Bonrepaux. Tout à l’heure, monsieur le ministre, vous avez répondu à côté de la question. Nous ne vous avons pas demandé pourquoi vous vendiez le patrimoine de Réseau ferré de France, mais pourquoi vous préleviez, sur ce patrimoine, 350 millions pour le budget de l’État, alors que RFF a tant besoin de cet argent pour entretenir les voies de chemin de fer.

Tout à l’heure, monsieur le ministre, vous avez répondu à côté de la question. La véritable question que nous vous avons posée, ce n’est pas pourquoi vous vendez le patrimoine de Réseau ferré de France mais bien pourquoi vous prélevez 350 millions sur ce patrimoine pour le compte du budget de l’État quand Réseau ferré de France a tellement de besoins pour entretenir son réseau ferré.

Réseau ferré de France n’a pas suffisamment de moyens. Vous ne leur en donnez pas assez. Le réseau ferré est dans un état déplorable, qui ne permet pas aux trains de circuler sur 1 000 kilomètres, et vous, vous prélevez 350 millions dans la caisse. Vraiment ce n’est pas sérieux !

M. Michel Bouvard. Pour leur redonner !

M. Marc Laffineur. Monsieur le président, ça fait cinq minutes !

M. Augustin Bonrepaux. Un mot enfin sur les exonérations. Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, vous nous dites que l’État compense aux collectivités locales. Mais l’État ne compense aux collectivités locales que ce qu’il leur a pris au cours des siècles. Certes, l’État attribue aux collectivités locales la dotation globale de fonctionnement.

M. Michel Bouvard. Votre temps est épuisé.

M. Jean-Louis Dumont. Écoutez, chers collègues.

M. Augustin Bonrepaux. Mais cette dotation est la compensation de la suppression de la taxe locale.

M. le président. Monsieur Bonrepaux, il va falloir conclure.

M. Augustin Bonrepaux. Je ne vais pas retracer toute l’histoire, mais quand vous nous dites que l’État compense, il ne compense, je le répète, que ce qu’il a pris en privant les collectivités locales d’autonomie et de capacités de décisions. Il ne faut pas exagérer.

Parfois, nous n’avons pas eu, c’est vrai, je l’ai déjà dit, le courage d’engager les réformes nécessaires – je pense à la réforme de la taxe d’habitation, que nous voulions faire reposer sur les revenus, ou à la réforme de la taxe professionnelle, que nous voulions voir reposer sur la valeur ajoutée, et non plus sur les salaires. Alors, évidemment, aujourd’hui, il faut compenser.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Bonrepaux.

M. Augustin Bonrepaux. Mais il ne faut pas en tirer argument pour étrangler, comme vous le faites, les collectivités locales. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton, pour le groupe UMP.

M. Hervé Mariton. Je suis d’accord avec Didier Migaud pour poser la question de l’optimisation fiscale. Il s’agit d’un sujet important, mais qui ne pourra peut-être pas être réglé dans le projet de loi de finances et qui ne justifie pas un renvoi en commission. Pour autant, notre groupe n’y est pas insensible. Je propose que nous travaillions – le président de la commission des finances en sera certainement d’accord – avec le Gouvernement sur cet enjeu.

M. Augustin Bonrepaux. Nous n’avons pas l’autorisation de travailler, nous ?

M. Hervé Mariton. M. Migaud a soulevé d’autres points sur lesquels je suis moins d’accord et qui ne justifient pas davantage le renvoi en commission qu’il propose.

Je voudrais revenir sur trois sujets rapidement.

D’abord, vous négligez et même vous méprisez, monsieur Migaud, le nombre de gagnants à la création d’un bouclier fiscal. La notion du nombre vous est indifférente. Chacun d’entre ceux qui seront, demain, mieux protégés par le bouclier fiscal appréciera.

Ensuite, la réforme du barème de l’impôt sur le revenu. Celle-ci peut susciter un certain nombre de commentaires, voire de critiques. Encore convient-il de prendre en compte un élément fondamental pour expliquer les courbes que nous obtenons aujourd’hui : cette réforme part du principe, qui me paraît bon, qu’il ne doit y avoir aucun perdant.

M. Didier Migaud. Cela coûte 4 milliards d’euros quand même !

M. Hervé Mariton. C’est une contrainte plutôt intelligente. Une réforme qui s’engage avec des gagnants mais également des perdants est une réforme qui ne construit pas la confiance que nos concitoyens doivent avoir dans le système fiscal, dans le barème de l’impôt et dans la réforme fiscale. Le fait de vouloir qu’il n’y ait aucun perdant donne une première dimension à cette réforme. Ce n’est pas un mauvais démarrage.

M. Didier Migaud. Si, pour la justice.

M. Hervé Mariton. Je reviendrai à la justice.

Enfin, la prime pour l’emploi. Celle-ci est mieux dirigée vers ceux qui en ont davantage besoin. La logique de la prime pour l’emploi évolue au profit d’une reprise du travail. Faire en sorte que la prime pour l’emploi soit davantage un élément de motivation qu’un élément de complément de rémunération est une démarche qui nous convient.

Vous avez par ailleurs évoqué, au début de votre intervention, cher collègue, trois enjeux.

Premièrement, celui de la justice fiscale. Ce projet de loi prend en compte la justice fiscale, en termes à la fois de solidarité et de responsabilité, à travers la réforme du barème.

Deuxièmement, s’agissant de la responsabilité envers les collectivités locales, celle-ci doit être partagée sur l’évolution des finances publiques et des prélèvements.

Cependant, les débats nombreux que nous avons eus ce matin ou que nous aurons dans les jours et semaines qui viennent me conduisent à penser – et je fais cette proposition à tous nos collègues, au président de la commission, au Gouvernement – qu’il est urgent de réorganiser nos débats de façon que les enjeux de collectivités locales soient discutés à un moment précis de l’examen du projet de loi de finances, et non au fil des différentes étapes, parce que, aujourd’hui, le débat budgétaire d’ensemble est totalement dévoré par la question des collectivités locales.

M. Jean-Louis Idiart. Ce n’est pas nouveau !

M. Didier Migaud. Il n’y a pas que ça !

M. Hervé Mariton. Cette question n’est ni négligeable ni méprisable, elle est essentielle. J’en mesure toute l’importance en tant que parlementaire et en tant qu’élu local. Mais, égrenée au fil du débat budgétaire comme elle l’est aujourd’hui, elle vampirise l’organisation de ce débat, et ce n’est pas la meilleure explication que nous puissions donner à nos compatriotes. Nous avons besoin qu’un temps, mais un seul, soit consacré dans le débat budgétaire aux questions des collectivités locales.

M. Jean-Yves Chamard. Très bien !

M. Jean-Louis Idiart. La méthode ne changera rien à la réalité !

M. Hervé Mariton. Troisièmement, sur l’emploi, je pense que les propositions contenues dans ce projet de budget constituent une raison supplémentaire de rejeter cette motion de renvoi en commission.

Au final, comme l’a rappelé le ministre tout à l’heure, ce qui nous préoccupe, c’est que l’impôt que nous allons lever, qui est justifié quand il est justifiable au regard de la dépense, soit apprécié pour que le contribuable en ait pour son argent. Là est le véritable enjeu. Passons maintenant aux travaux pratiques.

M. le président. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2006 est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour
des prochaines séances

M. le président. À quinze heures quinze, deuxième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2006 (n° 2540) :

Rapport, n° 2568, de M. Gilles Carrez, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures vingt.)