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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 15 décembre 2005

103e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

PRÉVENTION ET RÉPRESSION
DES VIOLENCES AU SEIN DU COUPLE

Suite de la discussion d’une proposition de loi
adoptée par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple (nos 2219, 2726).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Mardi matin, l’Assemblée a commencé la discussion des articles, s’arrêtant à l’article 5.

Article 5

M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint, inscrite sur l’article 5.

Mme Muguette Jacquaint. Monsieur le président, mesdames, messieurs, si j’ai déjà déploré l’insuffisance de lieux d’accueil destinés aux femmes victimes de violences au sein du couple, il me semble néanmoins injuste d’orienter les politiques de prévention dans cette seule direction. Les scénarios de protection suggérés aux femmes, comme noter les numéros de téléphone importants, identifier les personnes susceptibles de les aider, informer les enfants, préparer un sac de départ, mettre en lieu sûr les papiers importants, sont nécessaires, mais insuffisants.

Pourquoi la victime devrait-elle quitter son foyer, s’éloigner de son entourage pour un hébergement aléatoire et impersonnel au risque de renforcer son sentiment de détresse, d’isolement et d’abandon ? La peur de la misère et des obstacles matériels, l’appréhension de briser un équilibre en perdant ses repères les plus élémentaires, bref, l’enfermement dans le piège du quotidien, seraient bien moindres si les femmes avaient conscience que c’est à l’agresseur de partir. Elles seraient alors sans doute enclines à porter plainte plus tôt et à ne pas vivre aussi longtemps dans la terreur et la culpabilité. Éloigner l’agresseur du domicile permettrait d’inverser les rôles et de renverser le rapport des forces. Ce serait à la fois une mesure de prévention et de protection.

L’article 138 du code de procédure pénale, dans sa rédaction actuelle, permet déjà d’imposer à l’agresseur de ne pas se rendre dans certains lieux et de s’abstenir de rencontrer certaines personnes. Il n’en demeure pas moins vrai qu’en pratique l’absence de la mention expresse selon laquelle l’interdiction peut s’appliquer au propriétaire du logement ou à son locataire en titre peut entraîner des hésitations. Il est donc nécessaire de mettre un terme à cette ambiguïté.

En permettant au juge de prononcer plus systématiquement l’éloignement du domicile conjugal, on protégerait mieux la victime pendant cette période.

M. Jacques Brunhes. Très juste !

M. le président. Nous en venons aux amendements à l’article 5.

Je suis saisi d’un amendement n° 20.

La parole est à M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour le défendre.

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. L’article 5 est pour ainsi dire la raison d’être de notre présence ici aujourd’hui.

Dans le texte initial voté par le Sénat, l’article 5 visait à renforcer les mesures d’éloignement du conjoint, prévues notamment dans le code civil. Or, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi sur la récidive, notre assemblée a pris l’initiative de reprendre ce dispositif à l’article 35 de ladite proposition pour mieux protéger les victimes de violences conjugales. Elle a été suivie par les sénateurs en commission mixte paritaire, mais ils se sont interrogés sur l’avenir de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui puisqu’elle était vidée d’une partie de sa substance. Le président de la commission des lois et moi-même nous étions alors engagés à ne pas laisser le texte sur les violences conjugales s’enliser et nous avons saisi la première occasion pour le faire inscrire à notre ordre du jour.

Jeudi dernier, le Conseil constitutionnel a validé le texte sur la récidive, qui est donc sur le point de s’appliquer. Plutôt que de supprimer l’article 5, nous avons souhaité procéder à sa réécriture, pour prendre en compte les nouvelles dispositions de l’article 35 du texte concernant la récidive et lui donner une plus grande portée s’agissant de la révocation du contrôle judiciaire. Si celle-ci est efficace quand elle est ordonnée par le juge d’instruction, elle n’est pas prévue expressément quand le contrôle judiciaire a été prononcé par le procureur de la République, le juge des libertés et de la détention ou le tribunal correctionnel. Cette lacune devait être corrigée, et tel est l’objet de l’amendement n° 20.

Avec l’article 35 de la loi sur la récidive et la nouvelle rédaction de l’article 5 du présent texte, nous aurons un dispositif complet et cohérent pour éloigner le conjoint violent, d’autant plus efficace que la révocation du contrôle judiciaire pourra être prononcée si les mesures qu’il prévoit ne sont pas respectées.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 5.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. L’avis du Gouvernement est favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 20.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 5 est ainsi rédigé.

Les amendements nos 33 rectifié de M. Lachaud, 41 de Mme Jacquaint et 34 rectifié de M. Lachaud n’ont plus d’objet.

Nous passons aux amendements portant articles additionnels après l’article 5.

Après l’article 5

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 32.

La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet, pour le défendre.

M. Pierre-Christophe Baguet. Cet amendement étend aux couples non mariés l’interdiction du domicile conjugal à l’auteur de violences quand ce couple a en commun un enfant mineur. Cette disposition de protection a été introduite par la récente loi Perben sur le divorce, mais elle ne s’applique actuellement qu’aux couples mariés. Il est donc indispensable de l’étendre aux autres couples dans la mesure où 40 % des premiers enfants naissent chez des couples non mariés. Il serait injuste de ne pas permettre à une femme victime de violences de rester au domicile conjugal sous prétexte qu’elle n’est pas mariée.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La commission a repoussé l’amendement car l’article 220-1 du code civil auquel il se réfère figure dans un chapitre relatif aux devoirs et droits respectifs des époux. Or ce sont les concubins qui sont concernés. L’amendement est donc fragile au plan juridique alors qu’il est satisfait par la loi sur la récidive, notamment par le biais du contrôle judiciaire et de sa révocation.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Cet amendement étend aux couples non mariés le dispositif applicable aux violences conjugales dès lors qu’un enfant commun vit au domicile. L’extension aux couples non mariés de la procédure d’éviction du conjoint violent du domicile conjugal se heurte à de sérieuses difficultés juridiques. Je vous rappelle que la question a été abordée à l’occasion de l’examen de la loi du 26 mai 2004 relative au divorce, à l’occasion d’un amendement de Mme Pecresse. Il a donné lieu à des débats approfondis dans l’hémicycle et son auteur l’a finalement retiré.

En effet, lorsqu’un couple n’est pas marié, il n’y a pas juridiquement de domicile conjugal. Le lieu de vie du couple obéit au régime civil de droit commun applicable, c’est-à-dire qu’il varie selon l’identité du propriétaire ou du titulaire du bail.

Par ailleurs, ce n’est pas parce que le juge du divorce peut attribuer le domicile conjugal à l’un des époux pendant la procédure de divorce que l’article 220-1 lui permet de le faire également avant. Dès lors, l’attribution de la jouissance exclusive du logement à l’un des membres du couple sans considération aucune du droit de propriété ou de la titularité du bail ne peut se concevoir.

Enfin, l’article 220-1 prévoit que les mesures sont caduques après quatre mois si aucune demande en divorce n’est présentée. Une telle issue n’est évidemment pas possible pour les couples non mariés, de sorte que les mesures ne seraient pas limitées dans le temps.

Vous comprendrez donc qu’il n’est pas possible d’adhérer à une disposition dont le caractère imparfait résulte directement de l’inorganisation juridique choisie par les couples non mariés.

Je demande donc à M. Baguet de retirer l’amendement.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet.

M. Pierre-Christophe Baguet. Les incertitudes juridiques soulevées par cet amendement me conduisent à le retirer. Néanmoins, il a le mérite de poser le problème et je remercie le garde des sceaux et le rapporteur de m’avoir répondu.

M. le président. L'amendement n° 32 est retiré.

Mme Muguette Jacquaint. Je le reprends, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 32 est repris par Mme Jacquaint.

Vous avez la parole, ma chère collègue.

Mme Muguette Jacquaint. J’ai bien entendu les explications de M. le garde des sceaux sur les incertitudes de la loi, mais il appartient précisément au législateur de les lever.

M. le garde des sceaux. J’ai évoqué les incertitudes non pas de la loi, mais de la situation !

Mme Muguette Jacquaint. Certes, monsieur le garde des sceaux, mais que faisons-nous pour les femmes victimes de violences, qui vivent en concubinage ou qui sont pacsées ? L’amendement que M. Baguet a défendu vise à apporter des réponses concrètes à cette question. Nous devrions au moins donner à ces femmes un délai de quelques mois durant lequel elles pourraient rester à leur domicile. Sinon, elles iront vivre à l’hôtel et leurs enfants, si elles en ont, seront placés. Ce serait catastrophique !

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Monsieur le garde des sceaux, vous avez indiqué que le texte était imparfait et vous avez parlé de fragilité juridique. Le problème posé n’en est pas moins réel. La question est simple : n’est-ce pas à nous de corriger le caractère imparfait du texte et de l’améliorer en le rendant juridiquement moins fragile ? Nous sommes là pour ça !

Si chacun constate que l’amendement vise à apporter une solution à un problème réel, il nous appartient de résoudre ce problème et de le résoudre ici. Le législateur, c’est nous !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Je souhaite rappeler que, lors de la discussion générale, j’ai annoncé l’intention du Gouvernement de corriger au Sénat le texte sur la récidive, qui a été promulgué avant-hier, en étendant la mesure d’éloignement à tous les « ex » coupables de violences.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 32.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 57 rectifié, 30 et 48, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement n° 57 rectifié.

M. Patrick Bloche. Seules les mesures d’accompagnement donneront tout leur sens aux dispositions que nous souhaitons inscrire dans le code civil ou dans le code pénal.

M. le garde des sceaux. De telles mesures ne relèvent pas de la loi !

M. Patrick Bloche. Un travail de sensibilisation doit être mené dès le plus jeune âge. C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste a déposé cet excellent amendement qui prévoit que l’enseignement de l’éducation civique prodigué dans les établissements scolaires, des classes primaires au collège, intègre les problématiques de violence, ce qui amènera les enseignants à former les élèves et les collégiens au respect de l’autre, en leur faisant mesurer, dès le plus jeune âge, les conséquences néfastes des actes de violence commis, notamment, au sein des familles.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet, pour soutenir l’amendement n° 30.

M. Pierre-Christophe Baguet. Nous ne saurions bien vivre ensemble si nous ne nous respections pas les uns les autres. C’est un principe que, comme l’a souligné Patrick Bloche, il convient d’expliquer aux jeunes adolescents, qui seront demain des hommes et des femmes responsables. Cet amendement vise donc à intégrer « le respect de l’égalité de l’homme et de la femme, ainsi qu’une sensibilisation aux violences conjugales et aux actes et propos sexistes » dans le programme d’éducation civique, tel qu’il est prévu par le code de l’éducation.

M. le président. Je rappelle que nous avons récemment beaucoup évoqué la question du contenu des manuels scolaires.

La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l’amendement n° 48.

Mme Martine Billard. Cet amendement ne vise pas à obliger les enseignants à prendre parti d’une façon ou d’une autre. Il prévoit simplement une formation au respect de l’égalité entre les femmes et les hommes et au rejet des violences, des actes et des propos sexistes.

Les femmes de ma génération ont pu croire, à un moment donné, qu’en raison de l’évolution des mœurs les violences, les actes et les propos sexistes avaient suffisamment reculé pour que l’on n’ait plus besoin, en la matière, d’appuyer sur l’accélérateur. Or, force est de constater que nous sommes actuellement dans une période de régression. Les violences sexistes reprennent, y compris au sein de la jeunesse, ce qui est particulièrement grave. Il est de notre devoir, en tant que législateur, de traiter cette question : c’est non seulement à l’adolescence, mais dès l’enfance, qu’il convient d’apprendre à tous les enfants de ce pays à se respecter, notamment, comme je l’ai dit lors de la discussion générale, en leur indiquant que ce n’est pas parce qu’on utilise ses poings qu’on est davantage un homme. C’est dans le respect, acquis dès l’enfance, de l’autre, et de la femme en particulier, qu’on se construit en tant qu’être humain et qu’on devient un citoyen de ce pays.

Telle est la raison pour laquelle je tiens à insister sur la mesure prévue à l’amendement n° 48, auquel, je ne l’ignore pas, on opposera qu’il relève du domaine réglementaire. Mais il est fondamental que le droit prenne en compte le refus des violences sexistes et l’égalité entre les hommes et les femmes, qui sont le fondement de la construction d’une société égalitaire. Dois-je rappeler que ce n’est pas le cas de tous les pays et que certains ont pour fondement l’inégalité entre l’homme et la femme ?

L’égalité entre les hommes et les femmes est inscrite dans notre Constitution. Il convient, dans notre droit, de mettre en application un principe constitutionnel qui nous range au nombre des pays considérant une telle égalité comme fondamentale.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les trois amendements en discussion ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Défavorable.

Personne ne conteste le bien-fondé de ces dispositions, mais ce qui est en cause, c’est la forme adoptée, à savoir des amendements à la proposition de loi.

Il est clair que la volonté du législateur n’aura que peu d’effet si elle n’est pas prolongée non seulement par l’action réglementaire du Gouvernement – je ne doute pas que le Gouvernement nous fasse part de ses intentions en la matière comme il a déjà commencé à le faire dans la discussion générale –, mais également dans l’ensemble de la société.

D’aucuns, qui prévoyaient l’avis de la commission, l’ont rappelé : les dispositions prévues dans ces amendements, pour fondamentales qu’elles soient, n’en sont pas moins – je le répète – de nature réglementaire.

Au nom de la commission, je tiens de nouveau à demander au Gouvernement de nous confirmer – ce qu’il le fera, je le sais – sa volonté de prolonger la proposition de loi par les décisions qui relèvent de sa compétence.

Du reste, je tiens à rappeler que, depuis la récente modification de notre règlement, les rapporteurs d’un projet de loi ou d’une proposition de loi ont un devoir de suite : ils doivent, après six mois de mise en œuvre d’une loi, rédiger un rapport sur les conditions dans lesquelles elle a été appliquée. Je compte évidemment, au nom de la commission des lois, publier un tel rapport sur la présente loi, auquel j’intégrerai, dans le cadre du contrôle exercé par le Parlement sur le travail gouvernemental, une évaluation corollaire de la mise en œuvre par le Gouvernement des dispositions réglementaires, dont celle prévue par ces amendements, qui auront accompagné cette loi.

Par ailleurs, si envisager une formation, c’est bien, inviter les acteurs de l’école à se saisir du texte lui-même, c’est encore mieux, car cela leur permettra de bien le connaître. C’est pourquoi je suggère au garde des sceaux et à Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité d’inviter le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche à envoyer à tous les professeurs principaux et à tous les délégués de classe de nos collèges et de nos lycées le texte de cette loi, pourquoi pas accompagnée de nos débats parlementaires, qui sont très éclairants sur la volonté de la représentation nationale en la matière. Un délégué de classe auquel le ministre de l’éducation nationale enverrait le texte de la loi pourrait, dans le cadre de ses fonctions, et avec le professeur principal, informer l’ensemble de ses camarades sur son contenu et provoquer, par exemple dans le cadre des heures de vie de classe, un débat très utile, qui permettrait d’entamer la réflexion et le travail à mener dès le plus jeune âge dans nos collèges et dans nos lycées sur cette importante question.

M. Jean-Pierre Brard et M. Patrick Bloche. Très bien !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. C’est en effet dès le collège et le lycée que les relations entre les jeunes gens et les jeunes filles doivent être éclairées par des textes de loi tels que celui que nous nous apprêtons à voter.

M. Jean-Pierre Brard. En termes pédagogiques, et non énarchiques ! (Sourires.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Défavorable.

Chacun sait que nos textes comportent déjà de telles dispositions. La question qui se pose est celle de leur application.

Mesdames et messieurs les députés, ce que nous cherchons, ce matin, ce n’est pas à ajouter des éléments à la loi, mais à trouver la meilleure solution pour transmettre les informations qu’elle contient.

Telle est la raison pour laquelle, monsieur le rapporteur, j’ai écouté vos remarques et vos suggestions avec un grand intérêt et vous propose concrètement de travailler avec le ministère de l’éducation nationale en vue de diffuser non seulement le texte et – pourquoi pas ? – , les débats parlementaires auxquels il a donné lieu, mais également – c’est un autre outil à notre disposition – la plaquette que nous avons établie pour les professionnels et dont je suis prête, en collaboration avec le ministère de l’éducation nationale, à établir une version à destination des enseignants.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Et des délégués de classe !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Voilà aujourd'hui très concrètement ce que je vous propose de faire : entrer de manière active dans la publicité à donner au texte de loi.

Telle est la raison pour laquelle le Gouvernement est défavorable aux trois amendements : il vaut mieux prévoir l’application des mesures qu’ils préconisent dans le cadre réglementaire plutôt que d’ajouter des éléments au texte.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, et M. Guy Geoffroy, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Dès lors qu’ils reçoivent un accueil aussi favorable de M. le rapporteur et de Mme la ministre, il serait dommage de conclure cet échange productif par une demande de retrait de ces amendements ou, si nous les maintenons, par leur rejet.

Ce serait regrettable car il ne s’agit pas de charger à tout prix la loi ni de donner une sorte de mandat impératif aux enseignants, mais, à travers ce texte, de faire acte de prévention, de traduire la volonté du législateur, de mobiliser l’ensemble de la communauté scolaire. Je pense en effet que la loi, en l’occurrence, possède une vertu réellement pédagogique. Nous devons adresser des signes forts. C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste souhaite vivement que ces amendements – ou au moins l’un d’entre eux, puisqu’ils traduisent la même volonté – soient adoptés.

Certes, M. le ministre de l’éducation nationale s’impliquera pleinement dans la mise en œuvre de ces dispositions, comme l’a souligné M. le rapporteur, mais nous proposons, à travers ces amendements sur la prévention et la répression des violences au sein du couple, une méthode globale qui ne devrait pas être abandonnée.

M. le président. L’amendement n° 57 rectifié du groupe socialiste est donc maintenu.

La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet.

M. Pierre-Christophe Baguet. Je suis sensible à la proposition de M. le rapporteur, mais que voulons-nous tous, ici, sinon en finir avec cette infernale prolongation des violences au sein du couple, année après année ?

Or, si une campagne d’information et de sensibilisation constitue un élément positif, elle n’est malheureusement que ponctuelle et ses effets retomberont vite. Aussi, je crois que nous devons vraiment penser au long terme, d’où mon souhait d’inscrire ces dispositions dans le code de l’éducation afin d’assurer leur pérennité.

En effet, nous devons pouvoir parler de ces problèmes aux élèves pendant plusieurs années scolaires de suite. Il faut donc utiliser la force pédagogique du code de l’éducation pour faire passer le message.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Comme mes collègues, je maintiens l’amendement déposé par les députés Verts.

Nous avons, d’une certaine manière, le même réflexe que notre collègue Pierre-Christophe Baguet. En effet, si les propositions de M. le rapporteur et de Mme la ministre sont très intéressantes, elles ne vaudront que pour cette année ou pour l’année scolaire suivante, les enseignants ne les intégrant pas forcément dans leurs programmes dès cette année. Mais qu’en sera-t-il par la suite ?

Or, nous sommes censés légiférer pour plusieurs années. Certaines dispositions encore en vigueur du code pénal ou du code civil datent même de 1804 ! Cela montre bien qu’une bonne législation peut durer longtemps. C’est pourquoi, compte tenu de l’importance fondamentale de cet aspect des relations hommes-femmes dans notre pays, je maintiens l’amendement n° 48.

M. le président. La parole est à Mme Chantal Brunel.

Mme Chantal Brunel. Je souhaite seulement souligner que la recommandation de mettre en œuvre des actions spécifiques de prévention en milieu scolaire a été adoptée à l’unanimité par la Délégation aux droits des femmes.

M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint. Je pense, comme Mme Brunel, qu’on doit prévenir les comportements sexistes entre filles et garçons dès le plus jeune âge. J’ai eu l’occasion de le dire lors de la discussion générale. En Seine-Saint-Denis, des représentants de l’Observatoire national des violences faites aux femmes et du planning familial se rendent régulièrement dans les collèges et les lycées pour faire réagir les élèves sur ces sujets.

Je peux vous assurer que ces visites sont souhaitées par les professeurs ainsi que par les associations.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Bien sûr !

Mme Muguette Jacquaint. Les élèves eux-mêmes en sont très satisfaits.

Je pense donc que l’éducation nationale doit prendre cette question en compte, et c’est pourquoi je soutiens ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Je commencerai par une remarque de forme.

Je suis quelque peu préoccupé par le fait qu’on se limite à l’éducation civique. Pourquoi, en effet, ne pas aborder dans l’éducation en général le problème des violences au sein des familles ? Peut-être faudrait-il aborder cette question avant la deuxième lecture.

Par ailleurs, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, vous avez marqué votre accord sur le fond, mais déploré la nature réglementaire de ces amendements, si bien que vous en demandez le retrait. Nous avons déjà eu l’occasion d’intervenir, dans la précédente séance concernant ce texte, sur la fragilité de la distinction entre texte réglementaire et texte législatif.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Oui !

M. Jacques Brunhes. L’article 34 de la Constitution définit certes le domaine de la loi, mais d’une manière tellement vague que la question de la différence entre les textes de nature réglementaire et les textes de nature législative mérite un débat de fond.

Je ne suis pas de ceux qui souhaitent l’introduction de trop de dispositions réglementaires dans la loi, mais il faut toiletter nos textes avant qu’ils ne soient évoqués en séance publique où, si j’ose dire, je trouve malséant de nous censurer nous-mêmes.

Permettez-moi, monsieur le rapporteur, de vous rappeler que l’article 34 de la Constitution dispose que la loi « détermine les principes fondamentaux de l’enseignement ». Dès lors, pourquoi la question des violences, notamment au sein des familles, ne figurerait-elle pas dans les principes fondamentaux de l’enseignement ?

Mme Chantal Brunel. Certes !

M. Jacques Brunhes. En effet, je ne vois pas pourquoi ce sujet ne pourrait pas relever du domaine de la loi. C’est la raison pour laquelle nous devons maintenir ces amendements.

Si, par la suite, la délimitation entre les domaines réglementaire et législatif pose problème, nous pourrons avoir un débat de fond sur la question. Mais, puisque nous sommes tous d’accord sur le principe que nous sommes en train de défendre, adoptons ces amendements !

M. le président. La parole est à M. Philippe Houillon, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Je rappellerai un certain nombre de principes, au nom de la commission des lois, garante de la qualité des textes que nous votons et de leur caractère législatif.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Tout à fait !

M. Philippe Houillon, président de la commission. Tous les jours, nous sommes interpellés par des personnes indignées à juste titre par l’inflation législative, par le caractère de plus en plus illisible de nos textes et par l’insécurité juridique qui en découle. Et nous promettons d’y remédier, tout en continuant d’agir comme auparavant.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Tout le monde est d’accord !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. L’avis sur cette question est unanime !

M. Philippe Houillon, président de la commission. En l’occurrence, ce n’est pas le fond de ces amendements qui est en cause, et j’ai bien compris qu’ils recueillaient un accord unanime, mais, comme vient de le dire très clairement Mme la ministre, il existe d’autres méthodes pour atteindre les objectifs qu’ils visent. Arrêtons donc, s’il vous plaît, de voter des circulaires plutôt que des lois !

M. le garde des sceaux et M. Pierre-Christophe Baguet. C’est l’inverse !

M. Philippe Houillon, président de la commission. Non, monsieur le garde des sceaux, ce n’est pas l’inverse ! Je ne me suis pas trompé !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Nous fabriquons des circulaires !

M. Philippe Houillon, président de la commission. Au lieu de faire la loi, mes chers collègues, vous nous proposez de voter des circulaires !

Aussi, de grâce, faisons un effort, d’autant que, j’insiste, le fond des amendements n’est pas en cause, pas plus que la mise en application des mesures qu’ils préconisent puisque d’autres solutions existent.

Mme Martine Billard. Et la loi Fillon sur l’éducation ?

M. Philippe Houillon, président de la commission. C’est donc ès qualités que je vous invite vivement, mes chers collègues, à ne pas voter ces amendements, non pas, encore une fois, que nous y soyons opposés, mais il s’agit d’essayer, modestement, petit à petit, de redonner à nos lois un peu de leur qualité et d’enrayer l’inflation technocratique, source d’illisibilité et d’insécurité juridique, que nous continuons à favoriser chaque jour tout en prétendant vouloir faire le contraire.

M. le président. La parole est à M. Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Je serai très bref. Je ne sais pas si nous venons d’entendre du Philippe Houillon, mais cela aurait pu être du Pierre Mazeaud dans le texte ! (Rires.)

M. le président. C’est un hommage, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Absolument ! Et ce, en vertu de la considération que nous pouvons avoir pour Pierre Mazeaud, son présent et son passé.

M. Philippe Houillon, président de la commission. Il s’agit d’un double compliment !

M. Jean-Pierre Brard. Oui, mais mérité, car tout le monde ne le mérite pas dans cet hémicycle. (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je veux dire : dans cet hémicycle en général, absents compris !

M. le président. Vous ne visiez donc personne en particulier ?

M. Jean-Pierre Brard. Bien sûr que non !

Comment en sommes-nous arrivés là, monsieur le président de la commission des lois ? Les députés, de droite comme de gauche, ne font pas confiance au Gouvernement pour appliquer les textes qu’ils votent. Ce n’est pas un fantasme : c’est la réalité. Et comme nous ne lui faisons pas confiance, nous avons tendance, à tort ou à raison, à vouloir introduire dans nos textes des dispositions que le Gouvernement ne prendra peut-être pas spontanément.

Ensuite, comme l’a fort bien dit M. Geoffroy, l’école est capitale dans l’affaire qui nous occupe. Mais, madame la ministre, dans votre réponse, vous n’avez pas suffisamment évoqué les jeunes eux-mêmes, comme l’avait fait M. Geoffroy ; or, on ne peut pas s’adresser aux enseignants de la même manière qu’aux élèves, fussent-ils délégués de leur classe.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Il faut faire les deux !

M. Jean-Pierre Brard. D’où la nécessité d’un travail pédagogique spécifique, pour l’heure mal assuré par le ministère de l’éducation nationale.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Houillon, président de la commission. M. Brard, d’une certaine manière, dit un peu la même chose que moi, puisqu’il vient implicitement de reconnaître que ces amendements sont de nature réglementaire.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Exactement !

M. Jean-Pierre Brard. Personne ne le conteste !

M. Philippe Houillon, président de la commission. Si j’ai bien compris M. Brard, la raison en est que les engagements pris par le Gouvernement ne seraient pas tenus.

Je rappelle à M. Brard que l’article 86 du règlement de l’Assemblée nationale prévoit que le rapporteur dispose de ce qu’on appelle un droit de suite sur l’application de la loi.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. C’est ce que j’ai dit !

M. Philippe Houillon, président de la commission. Or, nous pouvons nous fier à M. le rapporteur de la commission des lois, particulièrement actif et compétent.

M. Jean-Pierre Brard. C’est un Pierre Mazeaud en devenir ! (Rires.)

M. Philippe Houillon, président de la commission. M. Geoffroy peut s’engager – en tout cas la commission, elle, s’y engage – à surveiller les déclinaisons réglementaires des intentions aujourd’hui exprimées.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Tout à fait !

M. Philippe Houillon, président de la commission. Dans l’hypothèse, mais il n’y a pas de raison qu’elle se vérifie, où le Gouvernement ne tiendrait pas ses engagements, nous exercerions ce droit de suite dont nous souhaitons d’ailleurs la mise en œuvre de plus en plus régulière, conformément au souhait de M. le président de l’Assemblée. Nous pourrions dès lors, éventuellement, intervenir de nouveau pour constater une lacune. Mais de grâce, aujourd’hui, cessons d’introduire aussi souvent des dispositions d’ordre réglementaire dans les textes de loi !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christian Decocq.

M. Christian Decocq. Député de fraîche date, je me suis tellement battu pour siéger dans cet hémicycle que je ne résiste pas à l’envie de participer à un aussi beau débat ! (Sourires.)

Évitons d’opposer des postures qui seraient gratifiantes et d’autres qui seraient ingrates. Ayant été d’abord convaincu, j’aurais volontiers voté ces amendements jusqu’à ce que le président Houillon, dont le crédit et l’autorité viennent d’être encore rehaussés par M. Brard, rappelle le membre de la commission des lois que je suis à sa responsabilité. Entre éthique de conviction et éthique de responsabilité, pour reprendre le partage de Max Weber, je ne pense pas que l’on doive distinguer une position qui serait plus gratifiante que l’autre. Le président Houillon a raison : ici, nous faisons la loi. Soyons-y attentifs.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 57 rectifié.

Mme Muguette Jacquaint. Le groupe des député-e-s communistes et républicains vote pour !

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 30.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 48.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 28.

La parole est à Mme Chantal Brunel, pour le soutenir.

Mme Chantal Brunel. La violence au sein des couples présente des caractéristiques spécifiques par rapport à la violence au sens large, car il existe un lien entre l’agresseur et la victime, et ce lien peut perdurer malgré la violence, notamment lorsque le couple a des enfants. Une politique purement répressive ne peut résoudre tous les problèmes.

Beaucoup d’orateurs l’ont dit lors de la discussion générale : la médiation pénale n’est pas tout à fait appropriée en la matière. En effet, elle aboutit le plus souvent au retrait de la plainte par la plaignante et induit une dépénalisation de la procédure. Le problème de couple est mis au premier plan au détriment du phénomène de délinquance, relégué au second plan. In fine, la médiation entérine le rapport de force entre le conjoint violent et celui subissant les violences, au lieu d’y mettre un terme. Le ministère de la justice, dans son guide de l’action publique relative à la lutte contre les violences au sein du couple, met d’ailleurs l’accent sur le fait que la médiation pénale n’est pertinente que dans des cas circonscrits.

Si une première médiation pénale ne produit aucun résultat, il paraît inutile et inopportun d’en tenter une nouvelle. Tel est l’objet de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Faute d’avoir été défendu, cet amendement a été rejeté par la commission. Il porte sur un sujet longuement débattu en séance mardi dernier, dans un sens plutôt favorable à la mesure proposée. On a répété combien la médiation pouvait, en matière de violences conjugales, avoir des effets pervers.

Certes, la mesure relève plus de la politique pénale du Gouvernement, et donc d’une circulaire du garde des sceaux ; certes, le guide de l’action publique publié en septembre 2004 attire l’attention des magistrats sur « la vigilance particulière quant aux décisions de médiation pénale ordonnées en cas de violences conjugales » ; mais il n’est sans doute pas inutile de donner un signe fort indiquant la volonté du législateur en la matière. C’est pourquoi, à titre personnel, je serais plutôt favorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. L’idée que défend Mme Brunel fait consensus : si une médiation a échoué, il est inutile d’y revenir. Toutefois, la disposition proposée aurait plus sa place dans l’exposé des motifs, étant donné qu’elle relève de la circulaire, même pas du règlement.

Je me permets donc de vous demander de retirer cet amendement, madame Brunel. Tout le monde a compris cette recommandation, qui est de bon sens, et il aura certes été utile de l’évoquer dans ce débat.

M. le président. L’amendement est-il maintenu, madame Brunel ?

Mme Chantal Brunel. Je le retire, monsieur le président. Notez cependant que je ne fais que proposer de ne pas aller au-delà d’une médiation pénale. Les associations qui s’occupent des violences conjugales réclament, elles, la suppression de cette médiation.

Mme Muguette Jacquaint et Mme Martine Billard. En effet !

Mme Chantal Brunel. Je conviens toutefois que cela relève de la circulaire.

M. le président. L’amendement n° 28 est retiré.

Mme Muguette Jacquaint. Je le reprends !

M. le président. L’amendement n° 28 est repris par Mme Jacquaint.

Vous avez la parole, chère collègue.

Mme Muguette Jacquaint. Nous avons discuté de ce sujet tant à la Délégation aux droits des femmes qu’en commission. Toutes les associations, ainsi que les personnels sociaux, sont hostiles à cette médiation. Comment une femme victime de coups, voire mutilée, pourrait-elle avoir envie de se retrouver face à l’auteur des violences ? C’est impensable ! Je considère que la médiation, dans ce cas, n’a pas lieu d’être.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Je pense également qu’il faut écarter le recours à la médiation dans de telles situations. Quand un homme a tapé sur sa femme une première fois, il a brisé un tabou. Soit il se rend compte de son acte et il ne recommencera jamais, qu’il y ait médiation ou pas, soit il recommencera, et l’on sait combien l’alcool ou des situations difficiles telles que le chômage peuvent aggraver la violence de personnes déjà prédisposée. Ce serait aller contre l’esprit de ce texte que de laisser entendre que frapper sa femme, même une seule fois, est moins grave que de frapper quelqu’un d’autre.

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Chacun ici reconnaît les qualités de juriste de notre rapporteur et apprécie la finesse de ses analyses. En l’occurrence, il note que tout le monde est d’accord sur le fond et indique que, si la disposition peut relever pour une part du domaine réglementaire, il soutient l’amendement à titre personnel pour témoigner de notre volonté commune. Cela vient à l’appui de mes propos sur la fragilité du distinguo entre les domaines législatif et réglementaire. Ne nous censurons pas, mes chers collègues, même si le garde des sceaux nous le demande…

M. le garde des sceaux. Mais non ! Puisque nous faisons du droit, utilisez des mots précis !

M. Jacques Brunhes. Il s’agit tout de même d’une censure, monsieur le garde des sceaux, et ce au prétexte qu’une circulaire sera prise.

Comme tout le monde, j’ai pris connaissance la semaine dernière des statistiques sur les lois qui ne sont pas appliquées et sur les circulaires qui ne viennent jamais. Nous traitons d’une question de fond, qui fait l’unanimité des associations et sans doute des parlementaires. Eh bien ! Marquons-le d’une manière forte en votant cet amendement !

M. le président. Notre débat doit s’accélérer.

La parole à M. Jean-Pierre Brard.

M. le garde des sceaux. Vraiment, si l’on continue à débattre alors que tout le monde est d’accord, c’est pour le seul plaisir de parler !

M. Jean-Pierre Brard. Les députés ne sont pas à l’image du ministre, qui, plus que d’autres, aime parler !

Je suis d’accord avec ce qui vient d’être dit sur la médiation. Il me revient à ce sujet des propos qu’on m’a tenus à la maison des femmes de Montreuil : ne rien changer revient, dans les faits, à maintenir les femmes sous la pression du conjoint frappeur, dans la mesure où la cohabitation se poursuit. C’est bien un texte sociétal que nous allons voter, madame la ministre, mais reconnaissez que, derrière, il y a peu de moyens pour permettre une décohabitation rapide et pour offrir une aide juridictionnelle !

À tout le moins, adoptons une mesure qui permettra de mieux protéger les femmes.

Vous objectez, monsieur le garde des sceaux, qu’elle ressortit au domaine réglementaire, mais vous avez certainement relevé que les parlementaires entretiennent en la matière une certaine méfiance vis-à-vis du Gouvernement – quel qu’il soit, d’ailleurs : ce ne sont pas les ministres ici présents qui sont en cause. Votons donc cet amendement et si, à la faveur de la navette, vous rédigez la circulaire, il sera toujours temps d’alléger le texte !

M. le garde des sceaux. Si c’est une circulaire d’application, la loi doit être votée avant !

M. Jean-Pierre Brard. L’expérience nous montre que les textes ministériels ne suivent pas. Je suis plus que vous adepte de saint Thomas, monsieur le garde des sceaux ! (Sourires.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 28.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 45.

La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour le soutenir.

Mme Muguette Jacquaint. Un texte comme celui dont nous discutons mériterait un grand débat car le problème est réel, comme en témoigne la mobilisation des associations, des féministes et des personnels médicaux, sociaux ou d’aide juridictionnelle.

Les femmes victimes de violences en gardent parfois de lourdes séquelles. Selon l’OMS, leur espérance de vie diminue de quatre ans. Il conviendrait donc que les victimes de violences conjugales puissent bénéficier d’indemnisations au même titre que les victimes d’attentats, d’accidents de la route ou de chasse, comme c’est le cas dans d’autres pays européens. Les conséquences des violences conjugales ne sont pas moins graves que celles de la violence routière, par exemple.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons déposé cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Défavorable. Ce n’est pas que le sujet soit négligeable, loin de là, mais la liste proposée est fort disparate. De surcroît, des indemnisations sont déjà prévues au pénal, notamment si les violences ont entraîné une incapacité permanente ou une ITT supérieure à un mois.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Même avis que la commission.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 45.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 29.

Cet amendement fait l’objet de deux sous-amendements, nos 60 et 59.

La parole est à Mme Chantal Brunel, pour soutenir l’amendement n° 29.

Mme Chantal Brunel. Il s’agit là d’un amendement important, qui traite de la polygamie, laquelle réduit trop de femmes en semi-esclavage et place trop d’enfants en situation de souffrance. Il tend à mettre sous tutelle les prestations familiales des pères polygames.

La polygamie est, certes, interdite en France, mais elle existe néanmoins. Elle doit être sanctionnée. Il est reconnu que les prestations sociales sont souvent captées par le père polygame, qui en use comme d’un moyen de violence physique et psychologique sur les femmes.

Mon amendement n’a pas pour but de faire une quelconque économie sur les prestations sociales. Bien au contraire, il a pour but d’en diriger le bénéfice vers les femmes pour les aider à sortir de la cohabitation et à consacrer cet argent à l’éducation des enfants. Avoir des enfants ne peut pas être, dans notre pays, un métier avec un salaire. Donner à un juge la possibilité d’adresser ces prestations à un tuteur extérieur à la famille polygame – membre d’une association ou assistante sociale de mairie – me paraît un bon moyen de rendre aux femmes leur dignité, à laquelle la polygamie porte atteinte.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir sous-amendement n° 60.

Mme Martine Billard. Il s’agit en quelque sorte d’un sous-amendement de repli, car je suis plutôt contre l’amendement.

Si je partage la critique de la polygamie comme une violence faite aux femmes, je pense que le meilleur moyen d’aider celles qui « se font avoir » par ce régime est de donner aux mères qui n’en ont pas une carte de séjour et de favoriser leur accès à un logement. Je connais peu de femmes qui, avec une carte de séjour et un logement, ne quitteraient pas un foyer polygame !

Je comprends bien l’esprit de l’amendement, mais cela me rappelle de vieux débats, quand les femmes cherchaient à empêcher leur mari d’aller au bistrot avec leur paie hebdomadaire. Il y a malheureusement toujours des cas où les femmes ont du mal à contrôler les revenus du ménage quand elles-mêmes ne ramènent pas de salaire. Ce n’est pas une caractéristique propre aux familles polygames. C’est pourquoi cela me gêne qu’on leur applique systématiquement une mise sous tutelle. D’ailleurs, il existe des familles polygames sans problème.

La polygamie est interdite en France, elle est une violence faite aux femmes, tout le monde en convient. Mais je pense que la méthode proposée par Mme Brunel pour rendre leur indépendance à ces femmes n’est pas la bonne. Mieux vaudrait verser les prestations, plutôt que sur le compte de la famille, généralement au nom du père, directement à la femme, sur un compte personnel – bancaire, postal ou d’épargne – ouvert à cet effet. Dès lors, la femme deviendrait indépendante du mari, ce qui répondrait à la préoccupation de Mme Brunel et de la Délégation aux droits des femmes.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir le sous-amendement n° 59.

M. Jean-Pierre Brard. Si nous adoptions les deux sous-amendements, les réserves que vient de formuler Mme Billard n’auraient plus d’objet puisqu’ils feraient disparaître la partie en cause de l’amendement de Mme Brunel en cause. Les femmes victimes de la polygamie ne se font même pas « avoir », car elles ne sont pas du tout partie prenante à la décision nouant la relation polygame. Le mari lui-même participe souvent peu à la décision, que les réseaux familiaux prennent en considérant le migrant comme une source de revenus ayant le devoir de prendre une ou plusieurs co-épouses. En intervenant spécifiquement sur la polygamie, nous contribuerions à régler un problème. Pour ma part, je répète ce que j’ai dit avant-hier : je suis favorable à ce qu’on retire le titre de séjour au mari polygame et à ce qu’on en donne un aux épouses victimes de la polygamie.

Si les deux sous-amendements étaient adoptés, la famille ne serait pas mise sous tutelle, mais des droits seraient reconnus aux femmes qui, on le sait bien, s’occupent des enfants. Les prestations sociales signifient l’indépendance économique, qui marque le début du droit d’exister en tant que personne.

Dans ma bonne ville de Montreuil, je suis souvent confronté à la polygamie. Je sais qu’en adoptant ces mesures, nous donnerions un point d’appui formidable aux femmes, y compris à celles qui la vivent sans jamais en parler – pas plus que d’autres atteintes aux droits des femmes –, parce que leur droit d’agir passe par la discrétion. Certains descendants de Vercingétorix, qui interviennent à tort et à travers sur ce sujet, feraient bien de s’imprégner de la sagesse de ces femmes, qui repose sur une souffrance qu’on mesure mal.

M. le président. Sachez, monsieur Brard, que l’un ou l’autre seulement des sous-amendements pourra être adopté. Il faudra choisir.

Quel est l’avis de la commission sur l’amendement et les sous-amendements ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La commission n’a pas examiné les sous-amendements, qui ont été déposés en séance mardi, et a repoussé l’amendement. La question soulevée est importante mais elle est également délicate.

L’amendement aurait pour conséquence fâcheuse de faire reconnaître par la loi, certes indirectement mais de manière précise, l’état de polygamie. Nous savons que la polygamie existe de fait alors qu’elle est interdite par la loi. La reconnaître dans une loi prétendant la combattre serait, à mon sens, extrêmement dangereux juridiquement. C’est la raison pour laquelle, bien que la question doive être traitée en profondeur dans l’esprit qui a inspiré l’amendement et les sous-amendements, la commission conclut au rejet.

M. Philippe Houillon, président de la commission. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Nul n’ignore le problème posé. Il n’est ni tout blanc ni tout noir et il convient de réfléchir à la réponse à lui apporter. L’argument juridique que vient de donner le rapporteur est malheureusement incontournable : il serait dangereux dans un texte de loi de reconnaître incidemment la polygamie. Ce n’est donc pas la voie à emprunter pour lutter contre ce problème.

L’amendement de Mme Brunel est partiellement, et en esprit, satisfait par l’article L. 552-6 du code de la sécurité sociale, aux termes duquel le juge des enfants peut désigner un tiers pour gérer l’argent des prestations familiales. Cet article permet de régler diverses situations familiales compliquées au cas par cas, ce que je préfère à la proposition de Mme Brunel pour qui le juge « doit » le faire. Cela me paraît nuire à sa liberté d’appréciation et à sa recherche de solution personnalisée. Très honnêtement, je pense que l’article L. 552-6 du code de la sécurité sociale répond mieux au problème en donnant la possibilité de nommer un tuteur.

S’agissant des sous-amendements, je dirai à Mme Billard et à M. Brard que je réfléchis avec eux, notamment aux implications pratiques. Dans mon département, par exemple, certaines femmes, en particulier de la communauté turque, n’ont pas l’habitude de gérer le moindre compte en banque. Si elles en avaient la possibilité, ne serait-ce pas une source de conflit familial, et peut-être de violences ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Je ne réponds pas à la question : je ne fais que pousser la réflexion sur le problème que vous-mêmes avez fort bien posé.

Ne stigmatisons pas nos positions ! Moi, je ne stigmatise pas la vôtre ! Je demande donc si toutes les femmes ont la capacité de gérer un compte en banque, et si, dans certains cas, cela n’engendrerait pas des violences.

Je propose de réfléchir à cette vraie piste le temps de la navette et de trancher peut-être en commission mixte paritaire.

En revanche, je ne suis pas favorable à l’amendement de Mme Brunel. Je crois que la possibilité actuelle laissée au juge des enfants répond mieux que l’obligation qu’elle propose.

M. le président. La parole est à Mme Chantal Brunel.

Mme Chantal Brunel. L’article L. 552-6 dispose, certes, que le juge des enfants peut ordonner le versement des prestations à un tuteur « dans le cas où les enfants donnant droit aux prestations familiales sont élevés dans des conditions d’alimentation, de logement et d’hygiène manifestement défectueuses ou lorsque le montant des prestations n’est pas employé dans l’intérêt des enfants ». Mais cette possibilité n’est jamais utilisée et elle ne vise pas les situations de polygamie. Le rapporteur dit qu’adopter une disposition la concernant serait reconnaître la polygamie. Mais la polygamie existe ! La bigamie étant interdite en France, les femmes sont mariées selon la coutume de leur pays : elles ne passent pas devant M. le maire en France.

La Délégation aux droits des femmes avait envisagé la possibilité de ne verser les prestations qu’aux mères, comme le proposent les sous-amendements. Après discussion, le recours à une tutelle avait été préféré du fait de l’incapacité de certaines de ces femmes de faire face aux complexités de notre administration, ne serait-ce que parce qu’elles ne maîtrisent pas notre langue. Leur dépendance vis-à-vis de leur mari est telle que celui-ci risque de récupérer aisément l’argent des prestations. Cependant, cette mesure peut aider certaines de ces femmes. Pour elles, et pour progresser dans la lutte contre la polygamie, je voterai le sous-amendement de Mme Billard.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Je me réjouis que nous puissions aborder la question de la polygamie sans discours polémique tendant à la rapprocher d’une actualité récente et douloureuse pour la collectivité nationale.

J’ai été surpris par les réponses de la commission et du Gouvernement. Si le droit existant était suffisant, en l’occurrence l’article L. 552-6 du code de la sécurité sociale, cela se saurait, et les élus locaux ne manqueraient pas de moyens pour régler certaines situations problématiques.

Je suis également surpris qu’on se refuse à combattre la polygamie, interdite sur le territoire de la République, en attaquant là où cela fait mal, c’est-à-dire en tarissant une source financière pour le père polygame, parce que le fait d’en parler nous conduirait à la reconnaître. Ainsi, on pourrait lutter contre une pratique interdite par la loi simplement en l’ignorant ? Acceptons la réalité sociale telle qu’elle est et prenons plutôt le problème à bras-le-corps ! Utilisons tous les moyens légalement possibles pour lutter contre la polygamie !

Par ailleurs, les prestations familiales ici visées ne peuvent être considérées comme un revenu pour les parents. Elles doivent servir à élever les enfants.

Mme Muguette Jacquaint. Tout à fait !

M. Patrick Bloche. Si l’on prend en considération l’intérêt des enfants, cet argent ne doit pas être détourné par le père polygame mais doit revenir à celles qui les élèvent. La mission d’information sur la famille et les droits des enfants, Mme Aurillac ici présente pourra en témoigner, s’attache toujours à mettre en avant l’intérêt de l’enfant. Celui-ci justifie que nous votions cet amendement, utilement complété par les sous-amendements de Mme Billard et de M. Brard.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, c’est un sujet très important. En même temps, je le comprends bien, tout le monde ne peut pas en avoir la même perception. Il y en a parmi nous qui y sont plus directement confrontés au quotidien que d’autres.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La question n’est pas là !

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas du tout une critique. C’est un constat. Je peux vous dire que, lorsqu’on est maire et député de Montreuil, on sait mieux ce qu’est la polygamie que dans d’autres zones du territoire. Et croyez bien, madame Aurillac, que je ne vise personne. (Sourires.)

Plusieurs choses ont été dites.

Concernant les juges des enfants, je raisonnerai par analogie. Un jour que je discutais avec une juge de Bobigny sur la situation des enfants qui étaient embringués, via leurs parents, dans des sectes, y compris celle des Témoins de Jéhovah – nous savons à quel point c’est dramatique –, je suis tombé de l’armoire quand je me suis rendu compte que mon interlocutrice ne connaissait rien au sujet et qu’elle avait pris des décisions gravissimes pour les enfants, non pas parce qu’elle adhérait à la logique des sectes, mais parce qu’elle ne savait rien.

Au sujet de la polygamie, c’est la même chose. Souvent, les magistrats ne connaissent rient au problème ni aux souffrances qu’il engendre.

Monsieur le ministre, il ne s’agit pas de satisfaire l’esprit, d’autant que les contours de l’esprit sont fort vagues et ne sont pas de nature législative. Il ne s’agit pas non plus, bien évidemment, de reconnaître la polygamie, mais de constater un état de fait dans notre pays qui est intolérable.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Nous sommes bien d’accord !

M. Jean-Pierre Brard. Les mesures que nous proposons de prendre dans le cadre du présent texte ne régleront pas le problème, tant s’en faut. Mais elles seront une première balise sur la route de notre combat contre la polygamie et du traitement de ce problème au fond.

Je sais que ce n’est pas votre volonté, monsieur le ministre, mais je crains que, par votre opposition, vous n’officialisiez de facto le machisme dominateur et spoliateur qui règne dans les familles polygames.

Personnellement, je n’ai aucun doute sur la capacité des femmes à gérer leurs comptes bancaires. Vous savez, nécessité fait loi, surtout dans les circonstances dans lesquelles vivent ces familles. Je ne vous suivrai donc pas sur ce terrain.

En ne faisant rien, nous acceptons en quelque sorte qu’il y ait une soumission des femmes aux hommes et que les droits ne soient pas partagés au sein de ces familles. Je ne suis pas d’accord.

Dans une famille polygame, il y a un père unique et des mères différentes. Or il y a toujours une des co-épouses qui a l’autorité sur toutes les autres – ce n’est pas forcément la première ; c’est plus volontiers la plus jeune ! – et il s’ensuit des conflits terribles au sein de la famille. S’il y a des violences entre le père et ses différentes femmes, il y en a également entre les co-épouses et cela crée des difficultés très douloureuses entre les enfants.

Nous devons affirmer que tous les enfants sont égaux, que les enfants d’une mère ne peuvent pas valoir plus que les enfants d’une autre mère. Nous ne pouvons pas reconnaître la subordination de co-épouses à l’une d’entre elles.

Vous dites, monsieur le ministre, que la question pourra être tranchée en CMP. Légiférons donc aujourd’hui.

Mon sous-amendement, comme celui de Mme Billard, qui le complète utilement, répond aux réserves formulées sur l’amendement de Mme Brunel. D’ailleurs, pour avoir discuté avec cette dernière, je sais qu’il y a consensus entre nous, ce qui est important car nous connaissons tous les deux bien le problème pour y être confrontés tous les jours sur les territoires dont nous sommes les élus.

Adoptons l’amendement et les sous-amendements. Si le texte reste à parfaire, aidez-nous à le faire, madame, monsieur les ministres, au cours de la navette. Mais envoyons dès aujourd’hui un signal clair.

Décider de ne rien faire, c’est donner un blanc-seing à la poursuite illégale de la polygamie. C’est laisser se perpétrer une atteinte aux droits de l’homme et de la femme, et je souligne le mot femme trois fois !

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Je vous remercie de me redonner la parole, monsieur le président, parce que je compte faire une proposition constructive.

M. le président. Mais vous faites toujours des propositions constructives, madame Billard.

M. Jean-Pierre Brard. Et écologiques !

Mme Martine Billard. Vous n’avez pas toujours dit la même chose, monsieur le président !

Première proposition : la réserve de M. le ministre concernant l’obligation faite au juge des enfants dans l’amendement n’a plus lieu d’être avec mon sous-amendement puisque nous aurions alors la rédaction suivante : « Dans le cas où les enfants donnant droit aux prestations familiales sont élevés par des parents vivant en état de polygamie, les prestations sont obligatoirement versées aux femmes après ouverture d’un compte bancaire ou postal personnel ». Je vous propose d’améliorer la rédaction en ajoutant : « Les conditions d’application sont fixées par décret. »

M. le président. Le sous-amendement n° 60 est ainsi rectifié.

Mme Martine Billard. Par ailleurs, pour répondre à l’objection selon laquelle l’amendement pourrait être interprété comme reconnaissant la polygamie, je suggère – mais je me tourne vers M. le rapporteur et M. le ministre pour leur demander leur avis sur le plan du droit – d’ajouter, après les mots : « vivant en état de polygamie, », les mots : « malgré l’interdiction légale, ». (« Impossible ! » sur divers bancs.)

M. le garde des sceaux. On ne peut pas le dire comme cela !

Mme Martine Billard. Je pose en tout cas la question.

La rédaction que je propose pourra être améliorée, mais elle permet de prendre en compte la réalité.

Une dernière réflexion, sur la capacité des femmes à gérer un compte en banque : je ne suis pas convaincue que les maris sachent mieux parler et écrire le Français et, pourtant, ils se débrouillent.

M. Jean-Pierre Brard. Quant à gérer, monsieur le ministre, mieux vaut une femme aux affaires !

Mme Martine Billard. Je n’irai pas jusque-là, car ce serait « réac », mais, si l’on ajoute que les conditions d’application sont fixées par décret, cela permet à une association d’apporter une aide pour les premiers pas.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Je remercie Mme Billard de vouloir être constructive – et ses propositions le sont – mais, ce faisant, elle fait sentir à toute l’assemblée la difficulté d’application de ce qu’elle propose.

Mme Muguette Jacquaint. Il est sûr qu’il y a une difficulté !

M. le garde des sceaux. Je trouve bonne l’idée de Mme Billard et de M. Brard, mais je constate qu’elle n’est pas encore…

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Mûre !

M. le garde des sceaux. …applicable sur le plan pratique. Je demande donc qu’on y réfléchisse avant de se précipiter.

Mon avis est toujours défavorable, mais j’espère que, au cours des navettes, nous pourrons mettre au point cette intuition fort intéressante.

Je rappelle que je suis défavorable à l’amendement de Mme Brunel puisque le code de la sécurité sociale répond – sans imposer d’obligation – à la question qu’elle pose légitimement.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Il ressort de l’échange que nous venons d’avoir que la question est très importante – nous le reconnaissons tous sur tous les bancs – mais que la manière dont elle nous est présentée, y compris avec les modifications et rectifications proposées, justifie amplement, en l’état actuel du texte, son rejet par la commission.

Je suggère à l’Assemblée de suivre l’avis exprimé par M. le garde des sceaux, c’est-à-dire de profiter de la navette pour prendre le temps de la réflexion afin de voir comment cette très intéressante idée, qui permettrait par ailleurs de travailler en profondeur la question de la lutte contre la polygamie, peut être traitée de manière beaucoup plus raisonnable, raisonnée et efficace.

M. Pierre-Christophe Baguet. C’est la sagesse !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Cela pourra avoir lieu au Sénat ou ici même en dernière lecture.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Nous touchons là à un sujet de fond, qui recouvre plusieurs problèmes.

Mardi, a été évoquée la possibilité de retirer le titre de séjour. Il est proposé ce matin une mesure d’ordre financier. Il ne faut pas oublier non plus que beaucoup de ces femmes sont en situation irrégulière. Nous le savons car nous connaissons tous des cas dans nos circonscriptions.

Nous ne pouvons nous attacher à un aspect particulier du problème. Il faut mettre à profit la navette pour l’examiner dans son ensemble, avec toutes les conséquences juridiques, d’autant que se réunira en janvier le comité interministériel à l’intégration. Des rendez-vous sont donc fixés.

Il nous faut aborder complètement le sujet afin d’apporter de vraies réponses et de mettre fin à un phénomène qui n’est pas acceptable dans notre pays.

M. Pierre-Christophe Baguet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Chantal Brunel.

Mme Chantal Brunel. Je veux dire à mes collègues de l’UMP que beaucoup de familles vivent en état de polygamie.

Je suis allée dans des classes où il y a des enfants issus de familles polygames et l’ensemble du corps enseignant m’a demandé de faire quelque chose.

Nous ne pouvons pas tolérer cette situation, qui est une insulte à la dignité de la femme et qui donne une image très dégradée de la mère aux enfants.

L’adoption de mon amendement et des sous-amendements de M. Brard et de Mme Billard serait un premier signe. Elle montrerait qu’on défend la dignité de la femme.

La polygamie, qui résulte d’un mariage forcé et qui est une violence conjugale, entre bien dans le champ du présent texte.

M. Pierre-Christophe Baguet. C’est un drame réel !

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 60 rectifié.

(Le sous-amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 59.

(Le sous-amendement n’est pas adopté.)

M. Jean-Pierre Brard. Je vais faire venir des femmes polygames. Vous pourrez ainsi connaître leur situation !

M. le président. Monsieur Brard, pas de provocation !

Je mets aux voix l’amendement n° 29.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 49.

La parole est à Mme Martine Billard, pour le soutenir.

Mme Martine Billard. Mon amendement, qui va être rejeté au motif que la disposition qu’il prévoit est d’ordre réglementaire, n’a d’autre but que d’avoir une réponse de M. le garde des sceaux. Je considère, en effet, qu’il serait bien de profiter de la Journée d’appel de préparation à la défense qui s’adresse aux jeunes, garçons et filles, pour instiller une sensibilisation à la question des violences, actes et propos sexistes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Avis défavorable. L’amendement relève en effet du domaine réglementaire.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Mme Billard a satisfaction dans la mesure où l’information sur l’égalité entre les sexes lors de la Journée d’appel de préparation à la défense est déjà prévue par l’article L. 114-3 du code du service national.

Je pense qu’elle peut donc retirer son amendement.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. L’amendement est retiré.

M. le président. L’amendement n° 49 est retiré.

Je suis saisi d’un amendement n° 52.

La parole est à Mme Martine Billard, pour le soutenir.

Mme Martine Billard. L’amendement vise à insérer, après l’article L. 122-8 du code du travail, un article L. 122-8-1 ainsi rédigé :

« Le contrat de travail ne peut être rompu pour le seul motif d’absences liées à des violences conjugales, telles que définies dans le code pénal, signalées. »

Il s’agit, en effet, de ne pas encourir le risque de suspicion de déclaration infondée.

Il est important, je le répète, d’assurer une certaine stabilité de l’environnement à une femme victime de violences, afin qu’elle puisse quitter le domicile conjugal ou porter plainte pour que le mari ou le conjoint violent quitte le domicile conjugal.

Elle doit être assurée de ne pas perdre son emploi, surtout par ces temps de chômage très important.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La commission a repoussé cet amendement.

Comment ne pas se préoccuper de la situation dans laquelle se trouvent ces femmes qui peuvent rencontrer des difficultés avec leur employeur du fait de certaines absences ?

Mais s’en tenir à cette réalité pour inscrire dans la loi ce qui est proposé serait dangereux, car nous butons immédiatement sur le problème très important de la preuve.

Malheureusement, à partir d’un texte comme celui-ci, nous pourrions encourir un nombre incommensurable de détournements de procédure. Si la violence conjugale peut faire l’objet – c’est ce que nous avons déjà prévu dans d’autres articles – de mesures immédiates, notamment l’éloignement du conjoint, le fait de décider de la même manière qu’il y aurait des mesures immédiates, permanentes et définitives interdisant la rupture du contrat de travail pour ce motif mettrait probablement les entreprises et les agents considérés en plus grande difficulté qu’il n’y paraît. Nous n’avons pas eu le temps de procéder à de véritables expertises pour mesurer leur portée.

C’est la raison pour laquelle la commission, tout en notant l’intérêt de se préoccuper de ces questions – et je sais que l’UNEDIC s’en préoccupe à l’heure actuelle –, a conclu au rejet de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Le Gouvernement partage l’analyse du rapporteur.

Madame Billard, la jurisprudence est constante : les absences justifiées ne constituent pas un cas de suspension du contrat de travail. Il ne peut donc pas être procédé au licenciement d’un salarié du fait d’absences justifiées.

Il est donc clair que la nature même de l’amendement est satisfaite, même si, sur le fond, on comprend la nécessité d’accompagner ces femmes. C’est la raison pour laquelle la jurisprudence est constante sur ce sujet.

Avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Non, la jurisprudence ne satisfait pas l’amendement.

Si l’on parle de jurisprudence, cela signifie qu’il faut aller aux prud’hommes et faire appel dans le cas où l’on n’a pas eu gain de cause en première instance. Cela prend environ trois ans. Comme vous avez modifié la loi, l’entreprise n’a pas l’obligation de réintégrer le salarié : elle est simplement tenue à une obligation d’indemnisation si le licenciement est reconnu abusif.

Nous donnons aux femmes victimes de violences le signe que l’on ne fait rien pour les protéger dans leur emploi, si elles en ont un. Je suis consciente qu’il existe une jurisprudence relative aux absences justifiées. Mais, par définition, la décision de justice ne peut intervenir qu’après le licenciement. Il n’existe pas de prévention du licenciement, et c’est la raison pour laquelle j’avais déposé cet amendement, que je maintiens.

M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint. Vous avez parlé, madame la ministre, des prud’hommes. Pour que les femmes victimes de violences mettent fin à leurs souffrances, nous savons que la première condition réside dans leur indépendance financière.

Elles sont souvent hébergées chez des amis – parfois à l’autre bout du département, voire dans un autre département – et les enfants connaissent de grandes difficultés scolaires. Nous savons bien que tout cela aura des conséquences pour leur emploi.

Lorsqu’une plainte est déposée – je ne parle pas d’une simple main courante, qui n’a aucune valeur juridique –, on devrait considérer qu’il s’agit d’un cas de force majeure. La femme, en plus des violences subies, ne devrait pas perdre son travail. Si elle doit rester avec son conjoint, qui est son bourreau, et en supporter toutes les conséquences que l’on peut imaginer, la situation sera inextricable pour elle et pour les enfants.

Cet amendement n’est pas anodin, bien au contraire.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Madame Jacquaint, je ne reviendrai pas sur la jurisprudence, qui est constante.

Je suis, en revanche, comme vous, extrêmement sensible au problème de l’autonomie financière des femmes, notamment de celles qui ne perçoivent pas de revenus. Je suis tout à fait prête à expérimenter le point 7 proposé par votre Délégation, c’est-à-dire le versement en urgence, à la demande du procureur, de prestations à caractère social et familial, qui pourraient constituer une première réponse.

Mme Muguette Jacquaint. Très bien !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Nous avons tous reçu dans nos permanences des femmes en détresse qui ne travaillaient pas et ne percevaient pas de prestations. Je suis prête à réfléchir aux moyens financiers susceptibles d’apporter une première réponse.

Nous devons nous en tenir à la jurisprudence constante en matière de droit du travail. Je reste donc défavorable à l’amendement.

Mme Martine Billard. On va créer de l’assistanat !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 52.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Avant d’appeler l’amendement suivant, je vous indique, mes chers collègues, que je vais devoir accélérer le débat, car je ne voudrais que l’on puisse dire que la discussion du second texte inscrit à l’ordre du jour de ce matin aura été escamotée.

Il est déjà plus de onze heures, et je donnerai désormais la parole sur chaque amendement à un orateur pour et à un orateur contre, et non à trois orateurs, comme je l’ai fait tout à l’heure, pour un groupe.

Je suis saisi d’un amendement n° 50.

La parole est à Mme Martine Billard, pour le défendre.

Mme Martine Billard. Je dois intervenir également sur la proposition de loi suivante. Mais on ne peut pas pour autant minimiser ce débat. C’est la première fois que l’on parle au Parlement français des violences contre les femmes. Il est normal que cela prenne du temps.

M. le président. Il est vrai que cela aurait pu être fait auparavant.

Mme Martine Billard. Nous avons tous dit la même chose. Plus on avance dans le débat, plus on se prend à regretter qu’il n’y ait pas eu de loi-cadre. Cela nous aurait permis d’aborder les sujets plus globalement.

Je ne me fais pas d’illusion sur le sort qui sera réservé à cet amendement. Je voudrais néanmoins appeler l’attention de l’Assemblée sur les émissions publicitaires.

L’amendement vise à donner au CSA la possibilité d’intervenir contre les publicités propageant une vision dégradante des femmes allant jusqu’à l’incitation à la violence. Le débat n’est jamais simple sur ces sujets.

Les femmes se souviennent toutes d’une publicité célèbre établissant un parallèle entre la crème fouettée et les femmes. Après ces publicités, comment s’étonner que certains jugent anodin de taper sur leur femme ?

Actuellement, le Bureau de vérification de la publicité est chargé de la surveillance. On voit ce que cela a donné ! Je demande qu’une réflexion soit engagée – ce n’est pas un problème de mœurs – sur le fait que, dans le but d’accroître les ventes, la publicité utilise parfois le corps de la femme, allant même jusqu’à propager une image dégradante de celle-ci.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La commission n’a pas suivi Mme Billard, même si, sur le fond, elle a raison et si la question qu’elle aborde n’est absolument pas négligeable.

Madame Billard, vous avez probablement fait l’impasse sur l’article 1er de la loi de 1986 relative à la liberté de communication : « L’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, […] par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d’autrui […] » La protection de l’enfance et de l’adolescence est également prise en compte.

Ce texte nous offre tous les moyens juridiques nécessaires pour combattre le type de situation que vous évoquez. L’action publique en la matière devrait sans doute être engagée de manière plus efficace.

Avis défavorable de la commission.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Le Gouvernement partage tout à fait l’analyse du rapporteur.

Des textes existent. Faisons-les appliquer. Comment ?

Premièrement, je vais rencontrer le BVP pour retravailler sur le sujet.

Deuxièmement, je vais écrire au président du CSA pour insister sur ce point.

Mme Chantal Brunel et M. Guy Geoffroy, rapporteur. Très bien !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Nous sommes dans un contexte où il faut faire appliquer les textes que vous avez votés.

Je serai donc défavorable à l’amendement, à moins que vous n’acceptiez, madame Billard, de le retirer.

Mme Martine Billard. Je le retire.

M. le président. L’amendement n° 50 est retiré.

Je suis saisi d’un amendement n° 47.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le défendre.

M. Jean-Pierre Brard. Cet amendement a pour objet de permettre de procéder dans un délai relativement bref, à savoir un an, à la dénonciation des conventions ou traités qui contredisent ou font obstacle aux droits des femmes tels qu’ils sont établis par la Constitution et les lois françaises.

Notre Délégation aux droits des femmes, dans son rapport publié la semaine dernière, décrit très bien la mécanique juridique perverse qui peut, à tout moment, enfermer les femmes, particulièrement celles issues de certaines immigrations – maghrébine, africaine ou turque – dans une nasse conjugale et communautaire.

Je cite ce rapport : « La France a signé avec de nombreux pays des conventions bilatérales qui imposent aux tribunaux français d’appliquer des codes de la famille discriminatoires envers les femmes. » Je vous renvoie à ce qui s’est passé récemment au Québec.

Je poursuis : « Contraires au principe d’égalité entre les hommes et les femmes, les normes appliquées par les juges français conformément à ces conventions sont en conflit, non seulement avec notre système légal interne, mais encore avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de 1’homme et des libertés fondamentales. […] l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a invité les États membres à refuser de reconnaître les codes de la famille étrangers et les lois relatives au statut personnel qui violent les droits des femmes, et à cesser de les appliquer.

« Certains États comme la France ont conclu des traités avec certains pays, le Maroc, par exemple, reconnaissant leurs lois relatives au statut personnel. Il est donc possible, pour les femmes marocaines résidant en France, d’être par exemple unilatéralement répudiées par leur mari, ou de se voir supprimer la garde de leur enfant de plus de sept ans. Il va sans dire que ce sont là de très graves violations des droits de ces femmes, et il serait bon que la France ainsi que tous les autres pays qui ont conclu de tels traités cessent de respecter de manière inappropriée des lois relatives au statut personnel d’autres pays qui violent les droits des femmes, même si cela implique de renégocier des traités d’amitié dans leur ensemble. »

Il convient de fait de s’interroger sur l’opportunité de dénoncer ces conventions, qui maintiennent dans une insécurité juridique inacceptable, non seulement certaines femmes immigrées, mais encore des jeunes filles ou jeunes femmes qui ne sont pas immigrées mais nées en France de parents étrangers. En effet, comme 1’a rappelé le Haut Conseil à 1’intégration :

« Les femmes françaises d’origine maghrébine ignorent souvent que la nationalité marocaine, algérienne ou tunisienne, transmise par le père, ne se perd pas et qu’elles seront donc considérées dans le pays d’origine de leurs parents, comme des ressortissantes soumises à la loi du pays. »

« En tant que Françaises, elles auront la possibilité de demander l’application de la loi française en France. Certaines conventions bilatérales ont cependant établi des dispositions particulières qui excluent le privilège de juridiction, comme la convention franco-marocaine du 10 août 1981. »

C’est très grave, monsieur le garde des sceaux. Nous reconnaissons que toutes les femmes ne sont pas égales dans notre pays puisque, pour certaines, c’est la loi étrangère qui s’applique. Au nom de quoi accepterions-nous que la loi étrangère s’applique uniquement aux femmes, et non aux hommes, qui continuent de bénéficier de la loi française, alors que les uns et les autres sont citoyens français ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La commission a repoussé cet amendement pour des raisons d’ordre constitutionnel. L’article 52 de la Constitution, personne ne l’ignore, prévoit que c’est le Président de la République qui négocie et ratifie les traités. Cet amendement introduit une injonction au pouvoir exécutif qui n’est pas acceptable, car il va à l’encontre de la Constitution.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Sur le fond, monsieur Brard, vous avez toute satisfaction. Je ne sais quel est le juriste qui vous a inspiré cet amendement pour le moins surprenant.

D’ores et déjà, le droit international privé interdit l’application d’une loi étrangère qui serait contraire à notre droit. Premier point.

Deuxième point : la France est signataire de la Convention européenne des droits de l’homme. Toute disposition qui vient contrarier cette convention est évidemment inapplicable en France.

Enfin, avant qu’elles ne soient ratifiées, les conventions internationales font l’objet, tant par le ministre des affaires étrangères que par moi-même, d’un examen attentif, notamment à la lumière de la Convention des droits de l’homme.

Si vous considérez que le travail est mal fait, donnez-nous un exemple précis, monsieur Brard.

En tout état de cause, comme vous avez satisfaction, je souhaiterais que vous retireriez votre amendement. Sinon, j’émettrais un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Je n’aurais jamais imaginé, monsieur le garde des sceaux, un tel angélisme de votre part ! Vous savez fort bien qu’aux termes de certaines conventions internationales – que vous laissez appliquer – des citoyens français sont, en raison de la nationalité de leur père, expropriés de fait de leur citoyenneté française dès lors qu’ils se trouvent sur la terre de leurs ancêtres !

Quant au juriste qui m’aurait inspiré – il ne saurait évidemment être aussi brillant que vous-même (Sourires) – ce n’est autre que la Délégation aux droits des femmes de notre assemblée !

M. le garde des sceaux. Je comprends mieux !

M. Jean-Pierre Brard. Après ce que vous avez dit sur l’aptitude des femmes à gérer les comptes bancaires, j’entends bien que vous n’accordiez pas aux femmes de notre assemblée autant de compétences intellectuelles qu’aux hommes… (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Decocq. Pas d’amalgames !

M. le garde des sceaux. C’est malhonnête.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas moi, mes chers collègues, qui ai mis en doute tout à l’heure la capacité des femmes à gérer un compte bancaire ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Decocq. Amalgame !

M. Jean-Pierre Brard. Qui a douté tout à l’heure, monsieur Decocq, de l’aptitude des femmes à gérer un compte bancaire ?

M. le président. Monsieur Brard, je vous en prie.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas moi, c’est M. Clément !

M. Christian Decocq. Vos propos sont scandaleux, monsieur Brard !

M. le président. Ne répondez pas, monsieur Decocq, aux provocations de M. Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Ce ne sont pas des provocations !

M. le garde des sceaux. C’est inadmissible, monsieur le président !

M. Jean-Pierre Brard. M. Clément se prépare à faire son acte de contrition, ce dont je suis fort aise !

M. le garde des sceaux. Retirez vos propos, monsieur Brard, ou je quitte l’hémicycle.

M. Christian Decocq. Vous avez raison, monsieur le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Je vous ai dit tout à l’heure, monsieur Brard, combien je souhaitais que l’on évite la stigmatisation dans ce débat. Or la seule chose que vous trouviez à faire, c’est de stigmatiser mes propos.

Il y a des limites à la malhonnêteté intellectuelle !

M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes un orfèvre en la matière !

M. le garde des sceaux. Je vous demande, monsieur Brard, de retirer vos propos inacceptables.

M. Jean-Pierre Brard. Que vos propos soient inacceptables, c’est probable.

M. le président. Monsieur Brard…

M. Jean-Pierre Brard. Oui, ou non, monsieur le ministre, avez-vous, prenant l’exemple précis des femmes turques de votre circonscription, douté de leur aptitude à gérer un compte bancaire ?

L’avez-vous dit, oui ou non ?

Mme Muguette Jacquaint. Il l’a dit !

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Sortir, comme vous le faites, des propos de leur contexte est le signe d’une grande malhonnêteté intellectuelle. Moi aussi, j’emploie des mots « forts », …

M. Christian Decocq. Très bien !

M. le garde des sceaux. …parce que cela commence à suffire, monsieur Brard ! Vous dites toujours n’importe quoi en séance, et les gens finiraient par vous croire.

J’ai laissé entendre que, sur le plan pratique, il fallait voir si c’était réaliste. Et si ça l’était, j’y étais favorable. C’est donc le contraire de l’arrière-pensée que vous me prêtez. Je vous demande de le reconnaître.

Cessez, monsieur Brard, de prendre cet hémicycle comme lieu de prédilection pour répandre votre mauvaise foi et de vous en servir comme une tribune pour vos grandes déclarations de principe, en contradiction, du reste, avec le réalisme sur le terrain !

M. Pierre-Christophe Baguet. Rappel au règlement !

M. le président. Monsieur Brard, je vous propose de répondre en quelques mots, puis nous suspendrons la séance quelques minutes.

M. Pierre-Christophe Baguet. J’allais le proposer.

M. Jean-Pierre Brard. Je constate, monsieur le ministre, que vous vous êtes pris les pieds dans le tapis et que vous ne savez plus comment vous en sortir...

M. le garde des sceaux. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Pierre Brard. Que vous fassiez amende honorable, je suis prêt à l’entendre… (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le garde des sceaux. Voilà que vous recommencez ! Vous êtes vraiment malhonnête !

M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes un orfèvre… (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le garde des sceaux. On ne peut pas travailler avec vous ! (« Très bien » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue, pour cinq minutes.

(La séance, suspendue à onze heures vingt, est reprise à onze heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Avant la suspension, l’amendement n° 47 a été défendu par M. Brard. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 47.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 58 rectifié, 38 et 31, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement n° 58 rectifié.

M. Patrick Bloche. Le groupe socialiste tient tout particulièrement à cet amendement qui permet de rétablir au sein de cette proposition de loi le juste équilibre entre le volet répressif, tout à fait indispensable, et le volet préventif nécessaire lui aussi si nous voulons faire reculer les violences au sein du couple. Nombre de nos amendements visent à favoriser un travail de sensibilisation permettant, soit par la persuasion, soit par la conviction, soit par l’éducation, de faire régresser cette violence, du moins de faire en sorte que celle-ci ne se manifeste plus que de façon marginale – du moins l’espérons-nous.

Par notre amendement, nous proposons que les personnels des professions médicales et paramédicales, les travailleurs sociaux, les magistrats ainsi que les agents de la police nationale et de la gendarmerie nationale reçoivent une formation spécifique, dispensée de façon initiale et continue, comme le préconisait le rapport Henrion de février 2001.

Il nous paraît indispensable que ces personnels, en contact direct avec les problèmes de violence au sein du couple, soient formés à recueillir la parole de la victime et soient efficaces en matière de prévention, de dépistage et de protection des victimes.

Notre proposition d’article additionnel est une occasion de rééquilibrer le texte en lui adjoignant un volet préventif plus efficace. Nous souhaitons donc vivement que notre amendement soit adopté.

M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour soutenir l’amendement n° 38.

Mme Muguette Jacquaint. Les femmes victimes de violences rencontrent souvent des difficultés pour aller porter plainte et pour se rendre chez un médecin. Il n’est pas toujours facile de franchir les portes d’un commissariat pour raconter ce que l’on vit.

Certes, les assistants sociaux font un travail de coordination parfois très important, mais il serait nécessaire que les personnels médicaux, paramédicaux, médico-sociaux et policiers reçoivent une formation adéquate, en particulier en psychologie.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet, pour soutenir l’amendement n° 31.

M. Pierre-Christophe Baguet. Subir la souffrance et la douleur est déjà terrible en soi, l’exprimer et s’en ouvrir à un tiers est, on le sait, très difficile. Le professionnel, quel qu’il soit, doit pouvoir comprendre et déceler dans un regard ou une attitude un appel au dialogue. Demander qu’une formation soit donnée aux professionnels n’est pas porter un jugement sur leurs compétences. C’est une démarche qui s’inscrit dans un processus global de lutte contre la violence, et le groupe UDF y est très attaché.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur ces trois amendements ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La commission a rejeté ces amendements, non qu’elle ignore l’importance de la formation des personnels évoqués, mais parce que, une fois plus, ils relèvent du domaine réglementaire, et il reviendra au Gouvernement, dans le droit fil de ce qu’ont clairement affirmé les ministres, de faire en sorte que ces propositions trouvent une suite. Par ailleurs, beaucoup de dispositifs existent déjà en la matière. C’est sur eux qu’il faut s’appuyer, notamment le Guide de l’action publique, auquel il a été fait allusion à de nombreuses reprises. Je vous renvoie également aux échanges qui ont eu lieu au Sénat, au cours desquels Mme Ameline avait fort opportunément rappelé l’ensemble des actions déjà engagées, à poursuivre et à approfondir.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Le Gouvernement est très attentif aux questions soulevées par ces trois amendements, mais elles relèvent du domaine réglementaire et de circulaires. C’est d’ailleurs la politique actuelle menée par le Gouvernement que de dispenser une formation à certains personnels de la police et de la gendarmerie.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 58 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 38.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 31.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 39 rectifié.

La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour le défendre.

Mme Muguette Jacquaint. Il est défendu.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Défavorable également.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 39 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 35.

La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet, pour le soutenir.

M. Pierre-Christophe Baguet. Cet amendement a pour objectif d’attirer l’attention de notre assemblée et du Gouvernement sur le manque de lieux d’accueil, d’hébergement et de soins destinés aux victimes de violences conjugales dans les départements. Dans le texte du Sénat figure un engagement du Gouvernement de dresser un bilan de la question. Mais j’insiste sur le fait qu’il est fondamental que nous puissions lancer un grand plan national de construction de telles structures. Nous savons qu’au-delà des drames vécus dans l’intimité de leur domicile, les victimes doivent pouvoir être prises en charge dans des lieux d’accueil. Ceux-ci ne doivent pas être saturés du fait de leur insuffisante présence sur le territoire national.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 35.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 51.

La parole est à Mme Martine Billard, pour le soutenir.

Mme Martine Billard. Cet amendement porte, comme celui que j’ai présenté tout à l’heure, sur le statut personnel. Je n’ai pas été convaincue par la réponse faite selon laquelle le droit international permettait de tout régler. Il semble bien que ce ne soit pas le cas, car des contradictions entre le droit international privé et des conventions signées par la France avec certains pays subsistent.

Je demande donc que l’État fasse un rapport sur cette question, où figureraient éventuellement les moyens envisagés pour mettre fin à des situations de sujétion. Sur le droit patrimonial, par exemple, on constate encore des différences de traitement pour les femmes de nationalité marocaine ou algérienne.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Cette question est importante, mais elle est très délicate, et je ne crois pas qu’elle relève du domaine législatif.

De surcroît, avec ce texte, nous avons pris le parti qu’il fallait prendre, à savoir ne stigmatiser personne. Or traiter cette question en évoquant explicitement les femmes de nationalité étrangère nous ferait sortir de la ligne que nous avons fixée.

C’est pourquoi la commission, bien qu’elle comprenne l’intérêt manifeste de travailler sur ce sujet, a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Mme Billard faisait très justement allusion à la réponse que j’ai donnée tout à l’heure à un député du groupe communiste. Il est clair que le droit n’est pas en question ici. Il s’agit de situations de fait. Il faudrait d’abord en dresser la liste pour savoir ensuite comment y mettre fin. Le droit international privé s’oppose totalement à l’application de conventions contraires à notre droit.

Ce n’est pas le droit qu’il faut changer, c’est notre vigilance qui doit se renforcer dans la poursuite de faits condamnables. Voilà, très honnêtement, ce que l’on peut dire.

Mme Martine Billard. Je demande justement un rapport !

M. le garde des sceaux. Ce n’est peut-être pas une mauvaise idée.

Mme Martine Billard. Alors donnez un avis favorable à notre amendement !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 51.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 40.

La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour le soutenir.

Mme Muguette Jacquaint. Cet amendement va dans le même sens que les amendements relatifs à l’hébergement des femmes victimes de violence, dont nous avons discuté tout à l’heure et sur lesquels nous sommes d’ailleurs passés très vite. Nous sommes d’accord pour dire qu’il y a besoin de logements et de centres supplémentaires. Mais, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, madame la ministre, je reste très sceptique à l’égard des familles d’accueil, qui ne sont déjà pas en nombre suffisant pour accueillir des enfants. C’est en outre ne pas toujours considérer les femmes à la hauteur du courage dont elles peuvent faire preuve, car c’est en quelque sorte vouloir encore les mettre sous contrôle ou sous tutelle.

Mon amendement vise à ce que le ministère de l’intérieur édite des statistiques sexuées dans son recensement des crimes et délits. La Délégation aux droits des femmes réclame depuis des années que les violences, dans leur ensemble, fassent l’objet de statistiques qui distinguent le sexe de la victime.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La commission a rejeté cet amendement, qui, rappelons-le, avait déjà été présenté par le groupe communiste au Sénat et repoussé. Le Gouvernement avait souligné qu’un nouveau projet informatique de traitement des informations sur les infractions serait opérationnel avant la fin de l’année 2006. Il avait été indiqué en outre que l’Observatoire national de la délinquance devait introduire, à la demande du Gouvernement, une analyse sexuée des violences. La question est donc déjà prise en compte.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Le ministère de l’intérieur est en train de mettre en place un nouveau système informatique de traitement des informations, qui permettra d’obtenir des statistiques sexuées. Votre amendement est donc satisfait, madame Jacquaint. Et si vous en étiez d’accord, vous pourriez même le retirer.

Pour revenir sur la question de l’hébergement, j’aimerais indiquer que j’ai fait établir un bilan précis des structures existantes. Nous devons apporter des solutions plurielles en la matière et savoir exactement quels sont les besoins.

M. Pierre-Christophe Baguet. Pourrons-nous disposer de ce bilan ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Bien sûr ! Il est à votre disposition.

Aujourd’hui, 71 départements ont déjà fourni des réponses. Sur 20 000 places d’hébergement d’urgence, 5 000 sont utilisables par les femmes, dont 400 sont spécifiquement destinées aux femmes victimes de violences ; pour les hébergements d’insertion dans les centres d’hébergement et de réinsertion sociale, 17 000 places sont utilisables par les femmes, dont 800 leur sont spécifiquement dédiées ; sur 750 hébergements d’insertion, 109 sont réservés aux femmes victimes de violence. Nous voyons bien que nous devons aller encore plus loin.

Quant aux familles d’accueil, elles ne sont pas la solution, mais une alternative, madame Jacquaint.

Pour finir, j’indique que nous avons mis en place le référent « hébergement-violences » dans chaque département, car nous devons pouvoir disposer, de façon quotidienne, d’une vision des possibilités d’accueil, de façon que les commissariats aient connaissance des places disponibles.

M. le président. Retirez-vous votre amendement, madame Jacquaint ?

Mme Muguette Jacquaint. Oui, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 40 est retiré.

Article 5 bis

M. le président. Sur l’article 5 bis, je suis saisi d’un amendement n° 21.

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir cet amendement.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. L’article 5 bis prévoit que le Gouvernement dépose un rapport sur le bureau des assemblées. Nous nous sommes posé la question de sa périodicité. Nous aurions pu être tentés par un rythme annuel, mais nous avons convenu qu’il serait difficile à tenir. C’est pourquoi nous avons proposé qu’un rapport soit déposé tous les deux ans, ce qui devrait lui permettre d’avoir du fond et du sens. Nous savons que le Gouvernement voudra bien tenir compte de cette demande de pure sagesse.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Sagesse !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 21.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 42.

La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour le soutenir.

Mme Muguette Jacquaint. Nous souhaiterions qu’il soit indiqué que le rapport porte également sur les soins donnés aux victimes.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La commission a trouvé cet amendement extrêmement positif. Et j’ai plaisir, madame Jacquaint, à lui donner en son nom un avis favorable !

Mme Muguette Jacquaint. Au moins un ! Et moi qui ne croyais plus au Père Noël !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l’amendement ?

M. le garde des sceaux. Sagesse !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 42.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je constate que le vote est acquis à l’unanimité.

Je suis saisi d’un amendement n° 54.

La parole est à Mme Martine Billard, pour le soutenir.

Mme Martine Billard. Monsieur le président, si vous le permettez, je défendrai en même temps l’amendement n° 55.

M. le président. Je vous en prie.

Mme Martine Billard. Le rapport établi par le Gouvernement ne doit pas se limiter à l’hébergement ; il doit s’intéresser aux conditions de logement des victimes, car toutes les femmes ne sont pas prêtes à aller dans un CHRS.

L’amendement n° 55, quant à lui, prévoit que le même rapport aborde la question de l’accès des femmes qui n’auront plus de travail ou qui n’en avaient pas au moment des violences à un revenu autonome de solidarité et aux dispositifs d’accompagnement vers l’emploi.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La commission a repoussé l’amendement n° 54, car il serait prématuré de parler de logement, même si je reconnais que l’hébergement en CHRS n’est pas toujours la solution. Tous ceux qui travaillent sur le terrain – et j’en fais partie – savent que la question du logement vient très souvent bien après celle de la prise en charge immédiate, et donc de l’hébergement. Voilà pourquoi la commission a souhaité en rester au texte initial.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Il faut vraiment faire du « cousu main » en la matière. Aussi, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 54.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 55.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 22.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Le rapport fait état de la prise en charge des victimes, ce qui est très important, mais nous devons faire plus en nous préoccupant du parcours des auteurs de violences.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Bien sûr !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Aussi, l’amendement prévoit que le rapport aborde les modalités de la prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique des auteurs des faits, afin de disposer de l’ensemble du spectre des informations que nous recherchons.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Il s’agit de demander aux juridictions d’élaborer des statistiques pour chacune de leur action en matière de lutte contre les violences conjugales. Or le ministre de la justice que je suis est soucieux du lourd travail qui pèse déjà sur les magistrats. Je crains qu’il ne soit difficile de le leur demander.

Le Gouvernement est donc plutôt défavorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 22.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 43.

La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour le soutenir.

Mme Muguette Jacquaint. Nous souhaitons appeler l’attention de l’Assemblée sur ce qui peut être fait au niveau national, mais aussi régional et départemental concernant les femmes victimes de violences, et présenter des propositions.

Grâce à la création, en Seine-Saint-Denis, de l’Observatoire des violences faites aux femmes, nous disposons d’un réseau de professionnels très important qui travaillent depuis trois ans avec les associations pour mener des campagnes de sensibilisation, former des personnels, prévenir les violences.

C’est pourquoi nous proposons que cette initiative, qui a été saluée par l’ensemble des professionnels, soit étendue à l’ensemble des départements. Certes, une telle mesure a un coût, mais elle répond à une urgence sur laquelle nous sommes en train de discuter.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La commission est sensible au fait que le rapport qui est demandé puisse être élaboré dans les meilleures conditions. Cela dit, il faut faire confiance au Gouvernement pour que, dans le cadre de son action déconcentrée, il permette aux préfets et aux fonctionnaires d’agir de la façon la mieux adaptée. La création d’une telle structure nécessiterait beaucoup de temps, mobiliserait trop d’énergie et viendrait s’empiler sur celles qui existent déjà.

C’est la raison pour laquelle nous proposons de rejeter l’amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Comme Mme Jacquaint, je souhaite que chaque département dispose d’une structure, d’un lieu d’accueil. Pour autant, même si je salue le travail réalisé en Seine-Saint-Denis, et notamment l’excellente campagne menée sur les hommes violents, nous devons, en évitant de disperser les crédits de fonctionnement, nous assurer qu’il y ait partout une commission ou un observatoire, en tout cas un endroit qui agisse et diffuse les pratiques.

En ce qui me concerne, je suis en train de recenser les commissions mises en place dans les départements et d’examiner leur fonctionnement, pour savoir là où il faut aller plus loin.

Je suis donc défavorable à l’amendement mais très active sur le sujet.

Mme Muguette Jacquaint. Alors nous serons actives toutes les deux !

M. le président. Madame Jacquaint, retirez-vous l’amendement ?

Mme Muguette Jacquaint. Non, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 43.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 5 bis, modifié par les amendements adoptés.

(L'article 5 bis, ainsi modifié, est adopté.)

M. le président. Nous passons aux amendements portant articles additionnels après l’article 5 bis.

Après l’article 5 bis

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 23.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La commission a souhaité que des dispositions relatives à la lutte contre les mutilations sexuelles, et en particulier contre l’excision, figurent dans le texte.

L’amendement prévoit, dans son paragraphe I, de réprimer l’excision commise à l’étranger sur une victime mineure qui réside habituellement en France.

Le paragraphe II renforce l’efficacité du dispositif puisqu’il permet la levée du secret professionnel, qui est d’ores et déjà applicable en cas d’atteinte sexuelle.

Les paragraphes suivants portent la prescription à vingt ans à compter de la majorité de la victime, comme c’est déjà le cas en matière d’inceste.

Avec cet amendement, nous souhaitons aller très loin dans la lutte contre les mutilations sexuelles, qui sont des pratiques d’un autre âge.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Le Gouvernement est extrêmement favorable à cet amendement, qui constitue une avancée considérable, tout comme d’ailleurs l’amendement qui a été adopté, mardi dernier, sur l’âge nubile. Voilà donc deux amendements extrêmement importants pour les jeunes filles.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 23.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 25.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Afin de lutter contre le tourisme sexuel, l’amendement n° 25 tend à permettre à la juridiction de jugement de prononcer l’interdiction de quitter le territoire national lorsque de tels faits sont commis sur des mineurs.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Cet amendement renforce l’efficacité de l’arsenal juridique permettant de lutter contre le tourisme sexuel et crée la peine d’interdiction de quitter le territoire national en matière de viol ou d’agression sexuelle sur mineur. Cette peine, demandée par les praticiens, est en effet tout à fait justifiée.

Le Gouvernement est donc très favorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 25.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 24 rectifié.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Cet amendement a pour objet de transposer en droit français la décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 23 décembre 2003 relative à la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie.

Cette décision-cadre doit être transposée dans notre droit français avant le mois de janvier 2006. Il était opportun d’utiliser le véhicule de cette proposition de loi pour le faire. Voilà pourquoi cet amendement a été présenté et adopté par la commission.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Le Gouvernement est très favorable à cet amendement. Il s’agit d’une excellente transposition.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 24 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 26.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. L’amendement n° 25 que nous avons examiné il y a quelques instants visait à interdire à toute personne qui se serait livrée au tourisme sexuel de sortir du territoire. Là, il s’agit, en sens inverse, de permettre au procureur de la République d’ordonner l’inscription des empreintes génétiques dans le fichier national d’une personne de nationalité française ou étrangère mais qui réside habituellement en France et qui aurait été condamnée par une juridiction étrangère pour des infractions de nature sexuelle.

Il s’agit, là encore, de renforcer la lutte contre le tourisme sexuel.

M. Pierre-Christophe Baguet. Très bien !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Le Gouvernement est favorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 26.

(L'amendement est adopté.)

Article 6

M. le président. L’article 6 ne fait l’objet d’aucun amendement.

Je le mets aux voix.

(L'article 6 est adopté.)

M. le président. J’indique d’ores et déjà que, sur le vote de l'ensemble de la proposition de loi, je suis saisi par le groupe des député-e-s communistes et républicains d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Après l’article 6

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 46, portant article additionnel après l’article 6.

La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour soutenir cet amendement.

Mme Muguette Jacquaint. Comme je l’ai déjà indiqué, il serait bon que le Gouvernement crée une commission chargée de se pencher sur les violences en général, et pas seulement sur les violences conjugales, afin d’élaborer une loi-cadre, comme l’ont recommandé d’ailleurs la Délégation aux droits des femmes ainsi que de nombreuses associations et organisations professionnelles.


Il n’est pas possible, en effet, de se limiter aux violences conjugales. De nombreuses dispositions ont été proposées à propos de l’hébergement, de la prévention, de la justice, de la police, des violences conjugales sur la voie publique ou des violences psychologiques et morales : tout cela supposerait un débat et l’adoption rapide d’une loi-cadre. Tel est l’objet de mon amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La commission a rejeté cet amendement pour plusieurs raisons.

En premier lieu, son adoption reviendrait à faire en sorte qu’une loi prescrive une autre loi, ce qui serait surprenant. Par ailleurs, au cours des deux demi-journées de débats que nous avons consacrées à cette proposition de loi, nous nous sommes tous efforcés de substituer au syndrome du verre à moitié vide la mécanique positive du verre à moitié plein. Nous avons fixé des principes, à partir desquels l’action gouvernementale saura se renforcer et produire de meilleurs effets. Nous faisons pleinement confiance au Gouvernement pour qu’il mette en œuvre ces principes dans ses domaines de compétence, mais nous n’y serons pas moins attentifs.

La loi-cadre que certains auraient préférée – et qui, au demeurant, aurait pu être mise en chantier voilà longtemps déjà – n’est pas le choix que nous avons fait. Nous avons saisi l’occasion d’exprimer haut et fort la préoccupation de tous les Français, que nous représentons ici, face au drame des violences conjugales. Le texte permet, de l’aveu de tous, des avancées considérables. Il nous faudra cependant, nous le savons, continuer à avancer.

Je propose donc, dans la logique et dans l’esprit qui ont présidé à nos débats, de ne pas adopter cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Je souscris à l’analyse de M. le rapporteur. Pour le fond, madame Jacquaint, vous avez raison de souligner qu’il faut se réunir. C’est précisément pour cela que j’ai invité la Commission nationale contre les violences, qui est à la fois interministérielle et interassociative, à une réunion de travail le 31 janvier.

Nous avons vu au cours de ces deux demi-journées de discussion qu’il était nécessaire de compléter nos textes – tel était d’ailleurs le sens de ce débat d’initiative parlementaire. Nous avons mesuré également l’impérieuse nécessité d’avancer, tant au niveau réglementaire que dans les faits.

Je considère donc, madame Jacquaint, que votre amendement est partiellement satisfait.

M. le président. Madame, Jacquaint, maintenez-vous votre amendement n° 46 ?

Mme Muguette Jacquaint. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 46.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Titre

M. le président. Sur le titre de la proposition de loi, je suis saisi d’un amendement n° 56.

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir cet amendement.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Tout au long de nos débats, nous avons bien mis en lumière que les violences au sein du couple, si elles ont le plus souvent les femmes pour victimes directes, concernent également, et tout aussi directement, les enfants, les mineurs, qui n’ont que peu de moyens de réagir. Nous avons adopté des amendements qui ont ajouté au texte certains éléments, notamment en matière de lutte contre l’excision et de répression de la pédopornographie et du tourisme sexuel.

La commission a donc retenu mon amendement n° 56, qui tend à élargir le titre de la proposition de loi en précisant qu’elle concerne également les violences commises contre les mineurs.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Favorable.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet.

M. Pierre-Christophe Baguet. Je comprends bien l’esprit dans lequel est proposée cette modification du titre de la proposition de loi, mais elle rend moins fort et moins lisible l’objectif initial du texte. Le titre de Prévention et répression des violences au sein du couple est précis. Lui ajouter les mots : « ou commises contre les mineurs » produit un titre à rallonge, trop long pour les médias et qui affaiblira l’impact du texte.

Je soutiens sans ambiguïté les amendements proposés pour réprimer la pédopornographie et le tourisme sexuel, mais cette modification du titre me gêne.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Je souscris à l’analyse de M. Baguet : il ne faut pas modifier le titre de la proposition de loi. Pour la première fois en effet, notre Parlement légifère sur les violences commises au sein du couple, notamment contre les femmes : ce geste fort ne doit pas être affaibli. Des amendements ont certes été proposés par la commission des lois pour réprimer les violences commises contre les mineurs, mais la modification proposée se traduit par un titre tellement vague qu’on ne sait plus quel est l’objet du texte.

Je propose donc de conserver le titre initial de la proposition de loi.

M. Patrick Bloche. Monsieur le président, je demande la parole.

M. le président. Monsieur Bloche, il convient de ne pas prolonger notre débat, car tous nos collègues venus examiner le second texte à l’ordre du jour de ce matin sont déjà arrivés.

M. Patrick Bloche. Mais je compte moi aussi participer au débat sur cet autre texte !

M. le président. Je ne fais qu’appliquer strictement le règlement.

Je mets aux voix l’amendement n° 56.

(L’amendement est adopté.)

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote sur l’ensemble de la proposition de loi, la parole est à M. Patrick Bloche, pour le groupe socialiste.

M. Patrick Bloche. Je commencerai par intégrer dans mon explication de vote ce que je souhaitais dire, dans la ligne de M. Baguet et de Mme Billard, en réponse à la modification du titre proposée par le rapporteur.

La proposition de loi dont se saisit notre assemblée, et que nous devons à l’initiative des sénateurs socialistes et communistes, nous permet de traiter enfin dans cet hémicycle des violences faites aux femmes au sein du couple. À la fin d’un débat entièrement consacré à cette question, notre rapporteur nous propose des amendements opportuns, visant à la répression de la pédopornographie et du tourisme sexuel, et prévoyant notamment l’intégration d’un texte européen que nous approuvons à l’unanimité parce que nous souscrivons à sa logique répressive.

Je comprends, monsieur le rapporteur, la démarche qui vous fait souhaiter que le titre évoque tous les sujets abordés par la proposition de loi que nous examinons, mais je voulais tout à l’heure vous proposer de retirer votre amendement en ce sens. Je regrette qu’il ait été adopté.

Pour le reste, je serai bref, car la vente à la découpe est un sujet important et je ne souhaite pas que notre assemblée prenne du retard pour en débattre, dans l’espoir que la proposition de loi qui lui est consacrée sera adoptée en seconde lecture ce matin même.

Pour faire écho à l’amendement présenté par Mme Jacquaint, je tiens à dire, au nom du groupe socialiste, notre regret quant à la méthode choisie par le législateur pour légiférer enfin sur les violences au sein du couple. Le sujet était assez important pour que le Gouvernement prenne l’initiative d’une grande loi-cadre, qui aurait pu être le fruit d’un grand débat – mais il ne l’a pas fait. Il ne s’agit pas pour autant de critiquer l’initiative parlementaire et nous nous réjouissons que nous soit soumise cette proposition de loi qui a le mérite d’exister et nous permet de légiférer dans ce domaine.

L’exemple espagnol nous a montré la vertu thérapeutique et pédagogique d’un grand débat de société. Lorsque je me suis rendu à Madrid avec nos collègues Valérie Pecresse et Pierre-Christophe Baguet dans le cadre de la mission d’information sur la famille et le droit des enfants, nos amis espagnols nous ont beaucoup parlé du texte relatif aux violences au sein du couple qui faisait alors l’objet d’un débat dans la société espagnole.

Le sujet, je le répète, aurait mérité une grande loi-cadre. Tout en nous réjouissant des dispositions du texte, que nous allons évidemment voter, nous regrettons néanmoins qu’il soit trop déséquilibré. Si nécessaire que soit le volet répressif, le groupe socialiste aurait souhaité qu’il soit équilibré par un volet préventif. Nous regrettons que la commission et le Gouvernement aient rejeté nos amendements en ce sens, et notamment les dispositions prévoyant pour les magistrats et les personnels de la police ou de la gendarmerie nationale une formation initiale indispensable pour recueillir la parole des victimes.

Cela dit, cette proposition de loi a été l’occasion, dans la ligne des travaux de la Mission d’information sur la famille et les droits des enfants, de légiférer sur les mariages forcés. Cinq amendements consacrés à cette question ont été adoptés unanimement sur ces bancs, et j’en remercie le rapporteur et le Gouvernement. Outre le fait que l’âge minimum du mariage pour les jeunes femmes a été relevé et est désormais le même que pour les hommes, nous pourrons désormais prévenir, comme il est indispensable de le faire, ce vice du consentement.

Pour conclure, et en rappelant que le groupe socialiste votera cette proposition de loi, j’insisterai sur les mesures d’accompagnement, qui sont aussi indispensables que notre travail législatif de ce matin. Les associations jouent en ce sens un rôle primordial et je tiens à rendre hommage à leur travail de sensibilisation, qui a conduit la représentation nationale à se saisir enfin de cette question et à la traiter. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet, pour le groupe UDF.

M. Pierre-Christophe Baguet. Le sujet est grave et sensible, et nous sommes tous unis, sur tous les bancs de cette assemblée, pour lutter contre les violences conjugales – de tels moments sont trop rares pour ne pas être soulignés.

Je me réjouis aussi de l’espoir que nous apportons à toutes les victimes, qui souffrent parfois depuis de nombreuses années. Cet espoir ne doit pas être déçu. On peut regretter que cette proposition arrive si tard et que neuf mois aient été perdus entre son examen par le Sénat et par notre assemblée. J’insiste donc pour que nous suivions très attentivement l’évolution de ce texte et veillions à ce qu’il soit très vite adopté définitivement.

En effet, le groupe UDF est convaincu depuis très longtemps de la nécessité de légiférer sur ce sujet, que ce soit au Sénat ou au sein de notre assemblée, où une proposition de loi a été déposée en novembre 2004.

Je salue donc les avancées de cette loi et les importants amendements qui ont été adoptés, visant notamment à la lutte contre les mariages forcés, à la suite des travaux de la Délégation aux droits des femmes et de la Mission sur la famille et les droits des enfants.

L’UDF souhaite cependant aller plus loin, et nous rappellerons encore au Gouvernement nos propositions portant sur la sensibilisation des élèves aux violences conjugales et au sexisme, sur la formation spécifique destinée aux personnels médicaux et paramédicaux, aux magistrats et aux policiers, sur la coopération accrue entre les différents acteurs de la lutte contre les violences conjugales, sur l’obligation de soins pour les auteurs de violences conjugales et sur un programme de construction de services et d’établissements assurant l’accueil, l’hébergement et le soin aux victimes de violences conjugales.

Je sais que notre rapporteur prendra en compte ces remarques dans le suivi de l’application de la loi. Fondamentalement, les violences conjugales appellent en effet des réponses autres que juridiques. Nous avons aujourd’hui besoin d’un véritable changement des mentalités, indispensable pour mettre fin à ces actes de violence et à ces souffrances. Dans un pays où la devise « Liberté, égalité, fraternité » est inscrite au fronton de tous les édifices publics, comment pouvons-nous tolérer la violence contre les femmes, qui est l’un des plus grands scandales de notre époque en matière de droits humains ?

Malgré la regrettable modification apportée in extremis au titre de la proposition de loi, c’est en pensant aux 10 % de femmes battues et à celles qui, rappelons-le avec beaucoup de tristesse, en meurent – une tous les quatre jours ! –, et parce que cette proposition de loi va dans le bon sens, que le groupe UDF la votera. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

Mme Muguette Jacquaint. Au terme de notre débat, je puis vous dire, avec ma collègue Martine Billard qui a défendu pratiquement les mêmes amendements, que nous voterons cette proposition de loi, même si nous regrettons, madame la ministre, que neuf mois aient passé entre le débat qui s’est tenu au Sénat et l’examen de ce texte par l’Assemblée nationale, et que nous n’ayons plus le temps de discuter sur le fond.

Nous avons adopté des amendements relatifs à des dispositions répressives, mais il aurait été aussi intéressant d’évoquer plus en profondeur l’aspect, ignoré ou trop peu pris en compte, de la prévention.

Vous répondez certes aux questions très importantes du viol dans le couple, du harcèlement et des mariages forcés et vous faites quelques avancées sur la polygamie, mais il est indispensable, dans une perspective de prévention, d’assurer la formation de tous ceux qui interviennent contre ce fléau dont sont victimes les femmes.

Je réitère donc la proposition formulée par mon collègue socialiste et par Martine Billard d’observer les pratiques des autres pays de l’Union européenne, et notamment de l’Espagne, qui a adopté une loi-cadre dans ce domaine et qui insiste fortement, et d’une manière globale, sur toutes les formes de violences.

Vous me direz que l'on vient de voter une loi et que l'on ne va pas en revoter une autre tout de suite après, mais je vous fais tout de même remarquer que cela arrive suffisamment souvent pour que, s'agissant d'un sujet aussi important, on n'exclue pas cette possibilité. Puisqu'une commission est créée, elle peut réunir les représentants des associations, les professionnels concernés, les parlementaires, la Délégation aux droits des femmes – qui a beaucoup travaillé sur cette question et je l’en remercie–, pour que nous puissions examiner prochainement un texte plus global sur les violences faites aux femmes.

M. le président. La parole est à Mme Chantal Brunel, pour le groupe UMP.

Mme Chantal Brunel. Chers collègues, le groupe UMP votera avec une grande satisfaction ce texte inscrit dans le cadre de sa niche parlementaire. En effet, cette loi, résultat du travail important de la Délégation aux droits des femmes, de la Mission famille, de la commission des lois et, bien sûr, de la proposition de loi du Sénat, contient des mesures essentielles pour lutter contre les violences faites aux femmes et pour aider ces femmes à s’en sortir.

On aurait pu aller plus loin ce matin. Mais je voudrais souligner que le groupe UMP attache beaucoup d’importance à l’engagement du Gouvernement, qui a dit se préoccuper de la politique de formation des différents personnels qui ont à connaître de ces drames, qui a dit bien vouloir regarder de près l’enseignement délivré aux jeunes dans les écoles concernant le problème des violences. Nous serons très attentifs à ce que les dispositions soient prises pour aider les femmes dans le monde du travail, pour les aider à se reconstruire et pour donner des aides financières aux femmes victimes de violences qui ne travaillent pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est ouvert.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

L'Assemblée nationale a adopté. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Je constate que le vote est acquis à l’unanimité.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à douze heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Droit de préemption
et protection des Locataires
en cas de vente d’un immeuble

Discussion, en deuxième lecture,
d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d’un immeuble (nos 2599, 2749).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous comprenons bien la situation : il y a une difficulté d’emploi du temps. Nous voudrions simplement rappeler que cela fait à peu près deux ans que l’on parle des problèmes qui font l’objet de cette proposition de loi. Il y avait plusieurs solutions pour s’en sortir, autrement que par le blocage du débat dû à l’heure à laquelle nous commençons l’examen de ce texte.

Je vous confirme que nous souhaitons pouvoir parler de ce texte dans la discussion générale comme nous l’avions prévu. Nous serons attentifs à ne pas prolonger le débat sur des amendements que nous avons déjà vus et revus.

M. Jean Tiberi. Très bien !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Voilà l’état d’esprit dans lequel nous sommes. Mais je demande à chacun de considérer que ce texte est suffisamment important pour justifier que l’on ait tout de même des explications sur son contenu technique.

M. le président. J’ai pris bonne note, monsieur Le Bouillonnec, de votre rappel au règlement.

Je vous précise que j’ai dit ce matin, à plusieurs reprises – mais certains de nos collègues n’y ont pas été particulièrement attentifs –, que plus on faisait durer le débat sur le texte précédent, plus on retardait l’examen de celui-ci.

La parole est à M. Christian Decocq, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Christian Decocq, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Je remercie la présidence d’avoir organisé la fin de cette séance pour que nous puissions réellement avoir ce débat, qui est important.

Monsieur le président, madame la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, mes chers collègues, en cette fin de matinée, nous examinons en deuxième lecture le texte d'une proposition de loi, initialement déposée par Mme Martine Aurillac, qui avait été voté par notre assemblée le 16 juin 2005. Le Sénat a ensuite adopté en première lecture, le 13 octobre 2005, cette proposition de loi, après y avoir apporté quelques modifications, conformément aux conclusions de sa commission des lois.

Les deux assemblées ont donc manifesté leur souci commun de répondre au problème spécifique que posent les ventes d'immeubles par lots dans les plus grandes agglomérations françaises, et plus particulièrement dans l'agglomération parisienne.

La perspective de l'adoption d'une loi sur le logement ne rend pas inutile de répondre au problème des ventes par lots. Le projet de loi portant engagement national pour le logement, qui a été adopté par le Sénat en première lecture le 26 novembre 2005, va bientôt être examiné par notre assemblée. Si ce projet de loi permet de répondre à plusieurs problèmes relatifs au logement social, il ne règle pas celui de la vente par lots. De ce fait, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture conserve toute sa pertinence et toute sa nécessité.

Cette proposition de loi agit sur le problème des ventes par lots à la fois en amont et en aval.

En amont avec l'article 1er, qui vise à empêcher les ventes en bloc successives dans une perspective spéculative. Désormais, la « vente en totalité et en une fois » ne sera possible que si l’acquéreur s’engage à proroger les contrats en cours, afin de permettre à chaque locataire de disposer de son logement pour six ans. À défaut de cet engagement – j’insiste sur ce point –, le locataire pourra exercer un droit de préemption sur son logement. Voilà la mesure forte de cette proposition.

Le Sénat a amélioré cet article 1er en portant le délai de réflexion du locataire pour exercer son droit de deux à quatre mois après notification ; en étendant le dispositif aux cessions de parts ou actions de sociétés, notamment de sociétés civiles immobilières, afin d'éviter un contournement du dispositif par la constitution de telles sociétés ; en améliorant l'information donnée aux locataires afin que ces derniers puissent exercer en toute connaissance de cause leur nouveau droit au stade de la vente « en totalité et en une fois ».

Le Sénat a aussi introduit dans l'article 1er deux dispositions relatives au droit de préemption urbain, afin de permettre aux maires qui le souhaitent d'agir plus efficacement. Les maires pourront dans tous les cas exiger la communication du prix et des conditions de la vente en bloc projetée ; l'exercice du droit de préemption urbain par une commune pourra se fonder sur le seul motif du maintien dans les lieux des locataires. Telle est à mes yeux la seconde mesure forte de ce texte.

La proposition de loi agit aussi en aval, avec plusieurs dispositions relatives à la vente par lots d'un immeuble.

L'article 2 prévoit que le droit d'opposition à l'extension par décret d'un accord collectif de location devra désormais comprendre la majorité de l'ensemble des organisations représentatives des locataires et des organisations représentatives des bailleurs, et non seulement la majorité de l'un ou l'autre des deux collèges. Cela permettra de surmonter les blocages empêchant d'étendre les accords collectifs de location.

Je rappelle aussi que l'article 2 bis, qui a été adopté sans modification par le Sénat, prévoit que si, dans une vente par lots, le congé intervient moins de deux ans avant le terme du bail, ce dernier doit être reconduit de telle sorte que le locataire puisse au moins rester dans les lieux pendant deux ans.

Ces deux articles permettent assurément d’améliorer la situation des locataires ne pouvant se porter acquéreurs de leur logement.

En outre, le Sénat a adopté un article additionnel présenté par le Gouvernement lors de la séance publique. Cet article 1er bis crée une incitation fiscale, qui vise à favoriser le maintien dans les lieux du locataire en place lors d'une vente par lots d'un immeuble. Lorsque l’acquéreur s'engagera à proroger le contrat de bail, il pourra bénéficier d'un taux réduit pour la taxe additionnelle à la taxe de publicité foncière perçue par la commune, que le conseil municipal pourra librement fixer entre 1,2 % et 0,5 %. Lors du débat sur les amendements, je reviendrai sur cette incitation fiscale : l’amélioration que je propose répond à un souci de clarté.

Enfin, soucieux de l'efficacité de ces différentes mesures tant en amont qu'en aval, le Sénat a amélioré l'article 3 en rendant obligatoire l'annulation du congé pour vente, qui permet de sanctionner le non-respect d'une disposition obligatoire d'un accord collectif ; en ajoutant aussi la mention explicite de la nullité du congé pour vente délivré en violation de l'engagement de maintenir le locataire dans les lieux pendant six ans.

Le dispositif s'est donc enrichi et amélioré à chacune des étapes de son examen en commission puis en séance, tant dans l'une que dans l'autre assemblée. Votre rapporteur ne peut que se féliciter de la volonté ainsi manifestée par chacun de contribuer à l'élaboration d'une réponse mesurée, équilibrée et pertinente au problème des ventes par lots.

Il reste néanmoins nécessaire d'apporter au texte adopté par le Sénat quelques corrections. Il faut notamment préciser dans quels cas le nouveau droit de préemption créé en faveur des locataires s'appliquera aux cessions de parts sociales. Nous reviendrons sur ce point un peu complexe.

Le dispositif fiscal introduit au Sénat doit également être amélioré, afin de sanctionner efficacement l’inexécution de l’engagement par l’acquéreur, de répondre aux problèmes que poseraient le décès ou le départ volontaire du locataire, ou la revente du logement par l'acquéreur. Il faut faire en sorte que l’application de ce dispositif ne soit pas trop complexe.

Sous le bénéfice de ces modifications, la commission des lois et son rapporteur vous invitent à adopter ce texte.

Chers collègues, le travail parlementaire, votre travail, a fait son œuvre. Conçu dans l’émotion compréhensible de locataires perturbés dans leur choix de vie, dans un contexte spéculatif dominé par un marché sans état d’âme, ce texte répond aux exigences de droit et de justice. Il renforce le droit des locataires et combat la spéculation. Souhaitons-lui d’atteindre son objectif. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Martine Aurillac.

Mme Martine Aurillac. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes nombreux à nous être émus depuis plusieurs mois d'un phénomène malsain, qui n'est certes pas nouveau mais s'est particulièrement développé dans les grandes villes : la « vente à la découpe », pratiquée par les investisseurs institutionnels, compagnies d'assurances, banques et même municipalités – je pense en particulier à celle de Lyon. Cette pratique consiste à vendre un immeuble en bloc, souvent après appel d’offres, à un intermédiaire qui agit en marchand de biens et revend à un autre intermédiaire, parfois dans un délai très court, et ainsi de suite jusqu'à la phase finale, c’est-à-dire la revente au détail « à la découpe ».

En l'état actuel du droit, les locataires « vendus » – pour ainsi dire – avec l'immeuble ne sont souvent même pas informés et ne disposent pas du droit de préemption prévu par la loi de 1975 modifiée en 2000, sauf dans la phase ultime, et au prix exorbitant alors atteint par l'immeuble. Beaucoup, bien sûr, doivent alors renoncer à acheter.

Pour combattre ce fléau qui frappe les familles, les personnes âgées et de façon générale les classes moyennes, j'ai déposé dès janvier dernier une proposition de loi cosignée par plus de 150 collègues et reprise par le groupe UMP. Parallèlement, le Gouvernement, soucieux de laisser une large place au dialogue social, avait engagé les partenaires à négocier une convention de protection des locataires, fort utile, dont les termes atténuaient nettement la rigueur de la vente. Malheureusement, cet accord du 16 mars dernier a finalement été dénoncé.

Il fallait donc en venir à la loi. Ses principes sont clairs : supprimer autant que faire se peut les plus-values purement spéculatives, étendre l'accord de protection sociale du 16 mars, renforcer les sanctions, et ainsi favoriser l'accession à la propriété, mais aussi la protection de ceux qui ne peuvent pas acheter.

L'exercice était difficile, car les mesures doivent être équitables et équilibrées. Il était d'autant plus malaisé que nous ne pouvons nous affranchir des principes constitutionnels du droit de propriété et de la non-rétroactivité.

Notre commission a donc travaillé avec notre rapporteur Christian Decoq, qui vous a détaillé les éléments de la proposition : information des locataires, maintien du statut pendant six mois, droit de préemption sans faire obstacle aux opérations d'aménagement urbain ni toucher aux petits propriétaires, application des mesures de la convention de protection des locataires, délai supplémentaire de maintien dans les lieux de deux ans dans tous les cas.

Encore une fois, l'équilibre était délicat. Il fallait en effet permettre l'extension du droit de préemption, mais ne pas empêcher un institutionnel de réaliser une partie de son patrimoine si nécessaire – ce qu'autorisait la proposition socialiste qui nous a été soumise en mai dernier, qui bloquait le jeu du marché en rigidifiant un système dont la fluidité est absolument nécessaire.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Elle est indispensable, en effet !

Mme Martine Aurillac. Il convient certes de protéger les locataires, mais gardons-nous de défendre les situations acquises.

La version qui nous parvient du Sénat et nous occupe aujourd'hui conserve très largement tous ces éléments. L'information du maire et du maire d'arrondissement est tout à fait bienvenue. Permettre au locataire ou occupant de bonne foi de disposer de son logement pour six ans, au lieu des termes initialement choisis « maintien du statut locatif pendant six ans », ne nous a pas paru changer l'esprit de la loi.

Nous ne nous opposerons pas davantage au 2° de l’article 2, qui restitue un droit d'opposition aux organisations représentatives, même s'il ne nous semble pas gagner en efficacité en rendant obligatoire le recours au décret d'extension.

Notre commission est aussi revenue au seuil des cinq logements pour les petits propriétaires, ce dont je me réjouis.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. Très bien !

Mme Martine Aurillac. Enfin, l'article nouveau 1er bis, qui institue une incitation fiscale que Christian Decoq et moi-même souhaitions d'ailleurs vivement, a dû être réécrit pour pouvoir être applicable, tant par le département que par la commune.

Pour nécessaire qu'il soit, ce texte ne saurait évidemment résoudre la crise du logement. N'oublions pas que la pénurie, outre la flambée des prix, en est l'une des causes principales. Beaucoup a d'ailleurs déjà été fait : je pense au prêt à taux zéro, au prêt locatif Robien, aux mesures du plan Borloo – 500 000 logements sur cinq ans, ce que les gouvernements socialistes n'ont jamais fait. Une étude sur le prêt hypothécaire devrait aussi être engagée. Rappelons une fois encore que les PLI – prêts locatifs intermédiaires – sont aussi indispensables, notamment à Paris : c'est le moyen de garder nos jeunes familles, qui sont souvent obligées de partir en banlieue.

M. Jean Tiberi. C’est vrai !

Mme Martine Billard. Et les autres n’ont pas le droit de rester ?

Mme Martine Aurillac. L'engagement national pour le logement, qui devrait très bientôt nous être présenté par le Gouvernement, pourrait apporter sur tous ces points des pistes que nous espérons très positives.

En attendant, il était urgent d'enrayer un phénomène pervers et de proposer un texte protégeant les locataires sans figer le marché, tout en favorisant l’accès, souhaité par nos concitoyens, à la propriété de leur logement.

Je voudrais souligner, madame la ministre, que ce texte est très attendu.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. J’en suis parfaitement consciente, madame Aurillac.

Mme Martine Aurillac. Aussi souhaitons-nous vivement que le Sénat puisse statuer à son tour au plus vite.

Sous le bénéfice de ces observations, le groupe UMP votera bien sûr cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je propose que, à l’instar de ce qui a eu lieu au cours du débat précédent, nous modifiions le titre de cette proposition de loi, qui concerne, en effet, plutôt que le « droit de préemption et protection des locataires », celui des propriétaires éventuels.

Nous avons déjà eu l'occasion au printemps dernier, aussi bien lors de l’examen de la proposition de loi de nos collègues socialistes sur la protection des locataires victimes de vente à la découpe que lors de la première lecture de ce texte, d'exposer très largement notre point de vue et nos propositions.

Nous nous étions notamment déclarés plus que jamais favorables à un renforcement du rôle des collectivités territoriales, qui doivent pouvoir défendre l'intérêt général et exercer leurs responsabilités en s'opposant aux opérations d'investisseurs et en particulier, bien sûr, aux ventes à la découpe. C'est en ce sens que nous avions proposé – cela reste pour nous un axe essentiel de réflexion – l'institution d'un véritable « permis de diviser », comme il existe un permis de construire. L'argument qui nous a été opposé selon lequel une telle mesure porterait atteinte au droit de propriété n'est pas recevable.

Je rappelle en effet que le droit au logement et à des conditions de vie décentes est un droit de valeur constitutionnelle, au même titre que le droit de propriété, et qu'il est reconnu comme tel par le Conseil constitutionnel. Or nul ne peut nier que les opérations de vente à la découpe, qui se sont considérablement développées sur la dernière période – à en croire du moins les statistiques notariales – imposent aux locataires qui ne peuvent acheter des conséquences disproportionnées : ils sont notamment obligés de quitter les lieux, ce qui remet en cause leur projet de vie, leur vie familiale et, dans les cas les plus graves, leur emploi.

Nous sommes, en outre, porteurs de l'exigence que soient mises en œuvre des politiques volontaristes, soucieuses de solidarité et de justice sociale. De ce point de vue, l'argument du droit de propriété, derrière lequel se retranchent souvent la majorité parlementaire et le Gouvernement,…

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. C’est un droit fondamental !

M. Patrick Braouezec. …pour repousser toute forme d'interventionnisme et se contenter d'aménagements marginaux, ne nous apparaît pas autrement qu'un droit de prédation, le droit pour quelques-uns de s'enrichir sans frein sur le dos de ceux qui n'ont d'autre ressource que le fruit de leur travail. Nous n’acceptons pas cette logique dont vous êtes coutumiers, car nous estimons que la politique a précisément vocation à rétablir les équilibres là où ils sont rompus et à protéger la liberté des uns contre les appétits des autres.

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui apporte, certes, quelques améliorations, mais elle ne vise que les locataires qui souhaitent acquérir leur logement. C'est donc peu de dire qu'elle se situe très en deçà des enjeux et des questions que soulève le développement du phénomène des ventes à la découpe.

La logique des institutionnels demeure la même : réaliser leurs actifs et bénéficier aussi de mesures d'incitation fiscale dont nous devons l'adoption à votre majorité. Les mesures d'allégement considérables de la fiscalité des sociétés foncières ont donné le coup d'envoi à la frénésie spéculative actuelle. Pourtant, vous ne proposez nullement de revenir sur ces dispositions.

À ces mesures d'« assainissement » indispensables, vous préférez des mesures de replâtrage telles que celles qui sont proposées aujourd'hui, ce qui prouve que, finalement, la philosophie de votre action reste inchangée.

Le 10 mai dernier, lors de notre précédent débat sur ces questions, vous nous aviez d'ailleurs éclairés, madame Aurillac, sur vos intentions et votre façon d'envisager les choses, en affirmant qu'il était « pervers », de prendre des mesures « de nature à bloquer le marché de l'immobilier et à soumettre les bailleurs à des contraintes générales et permanentes nuisant gravement à leurs missions », et vous aviez souligné qu'il fallait rechercher « la fluidité du marché ».

Mme Martine Aurillac. Absolument !

M. Patrick Braouezec. Tout est dit dans ces quelques mots. Qu'importe que les locataires soient condamnés à subir les effets de la spéculation immobilière si les bailleurs y trouvent leur compte ?

Votre proposition se limite donc à aménager les choses, à prévoir de petits arrangements entre « honnêtes gens », pour finalement mieux préserver le statu quo.

Nous ne saurions, bien évidemment, souscrire à une pareille approche, et restons convaincus de la nécessité de mettre en œuvre des mesures ambitieuses, tant sur le plan fiscal que sur le plan social. Il convient de revenir sur le dispositif de Robien, qui n'a permis que d'assurer la rentabilité de l'investissement locatif privé, au détriment des besoins sociaux, mais aussi sur les dispositifs d'exonération des droits de mutation sur les opérations hautement spéculatives, telles que les ventes par lots.

En effet, non seulement ces mesures accompagnent la flambée des prix de l'immobilier, mais elles contribuent à priver l'État des moyens financiers d'une véritable politique de maîtrise foncière et d'aménagement urbain favorisant la mixité sociale et permettant la construction de logements neufs et la réhabilitation du parc existant, que les marchands de sommeil laissent se dégrader.

Il faudrait aujourd'hui avoir l'ambition de faire du droit au logement un droit enfin effectif et opposable. L'ampleur et la profondeur de la crise appellent à desserrer l'emprise des seuls critères marchands sur l'activité de logement. C'est seulement à ce prix que nous pourrons surmonter les difficultés actuelles.

Constatant l'absence de mesures fortes, ainsi que de signes tangibles de la part du Gouvernement montrant son intention d’engager une politique volontariste d'investissement et d'intervention publique, qui protège vraiment les locataires et s’oppose radicalement à la spéculation immobilière, le groupe communiste votera contre cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis de trop nombreux mois, notre hémicycle se fait régulièrement l'écho des graves problèmes posés aux locataires par la recrudescence des ventes à la découpe. Dès l'automne 2004, à l'occasion du débat sur le projet de loi de finances, le groupe socialiste avait alerté le Gouvernement sur les proportions que prenait ce phénomène.

En dépit de nos multiples sollicitations, le Gouvernement n'a pas cru devoir agir directement et a renvoyé aux associations de bailleurs et de locataires la responsabilité de trouver les solutions. Malgré l'échec de la concertation entre ces associations, le Gouvernement et sa majorité ont à nouveau, en mai dernier, dédaigné d'examiner les articles de la proposition de loi du groupe socialiste, que j’avais eu l’honneur de rapporter. Cette proposition de loi offrait pourtant des moyens efficaces pour lutter contre les dérives de la spéculation immobilière qui caractérisent les ventes à la découpe.

Ce matin, nous examinons, en deuxième lecture, la proposition de loi de notre collègue Martine Aurillac. S'il est adopté, ce texte ne devrait pas être publié au Journal officiel, dans le meilleur des cas, avant le printemps 2006, soit, mes chers collègues, plus d'un an et demi après qu'un certain nombre d'entre nous, sur tous les bancs de l’hémicycle, ont alerté le Gouvernement sur l'urgence d'agir.

Pire, lors des débats au Sénat, en octobre, le ministre Jean-Louis Borloo a déclaré que « si l'ensemble des outils [de cette proposition] ne permet pas de régler fondamentalement la situation et que nous devions nous rendre compte que nous nous sommes trompés, il ne serait pas interdit de revenir devant le Parlement » !

Je n'hésite pas à le dire : de tels retards dans l'action sont coupables, car ils livrent, sans défense, des milliers de locataires, à Paris, dans sa banlieue et en province, au jeu des spéculateurs. Pendant que nous discutons lentement – si lentement ! – des ventes à la découpe, ces spéculateurs contraignent, chaque jour, de nouveaux locataires « découpés » à quitter leur logement.

Malheureusement, l'impatience se double désormais d'inquiétude. Bien qu'elle ait été profondément réécrite par les sénateurs, la proposition de loi examinée ce matin ne comporte que des avancées trop timides pour compenser ses inacceptables lacunes.

Lors des débats tenus au Sénat, de légères avancées ont pu être obtenues au profit des locataires victimes des ventes à la découpe. Nous nous en félicitons d'autant plus que ces avancées rejoignent, et souvent même reprennent, des propositions socialistes rejetées lors de la première lecture du texte à l'Assemblée nationale.

Notre satisfaction est pourtant loin d'être totale car la majorité sénatoriale semble, à chaque fois, s'être arrêtée au milieu du gué. Chacune de ces avancées, en effet, reste d'une portée trop limitée pour être pleinement utile aux locataires.

Ainsi, en réécrivant intégralement l'article 1er de la proposition de loi, les sénateurs ont posé l'obligation de joindre à la notification de la vente adressée aux locataires les « résultats d'un diagnostic technique » sur l'état de l'immeuble. Il est effectivement essentiel que les locataires qui décident de se porter acquéreur puissent connaître l'état de leur immeuble avant d'en être propriétaires. C'est pourquoi, au printemps dernier, 1es députés socialistes ont invité, en vain, la majorité à voter leur amendement rendant obligatoire la réalisation d'un audit.

Excellent dans son principe, le dispositif retenu par les sénateurs est pourtant entaché de plusieurs insuffisances. S'il est prévu que le diagnostic doit être « établi par un contrôleur technique [...] ou un architecte [...] qui ne doit avoir avec le propriétaire de l'immeuble ou son mandataire aucun lien de nature à porter atteinte à son impartialité ou à son indépendance », nous pensons que la qualité de ce diagnostic serait mieux assurée s'il était contradictoire.

En outre, la mesure adoptée par les sénateurs ne prévoit nullement que le propriétaire ou son mandataire prennent à leur charge les travaux dont le diagnostic aurait révélé la nécessité. Vous aviez, madame la ministre, abordé ce point d’une manière très intéressante lors de notre premier débat. Nous défendrons donc, à nouveau, notre amendement exigeant la réalisation d'un audit contradictoire à la charge du vendeur.

À l'instar des dispositions de la proposition de loi socialiste, les sénateurs ont également accepté d'allonger de deux à quatre mois le délai prévu pour qu'un locataire réfléchisse à l'offre de vente qui lui est faite. Sachant la brutalité et la soudaineté des ventes à la découpe, il paraît, en effet, dangereux d'astreindre le locataire à prendre sa décision en deux mois. Bien souvent, avant de recevoir la notification de la vente, le locataire n'a jamais nourri le projet de devenir prochainement propriétaire. Pour prévenir tout choix trop hâtif et tout risque de surendettement, il est donc essentiel qu'il puisse vérifier sa situation financière et les conditions de crédit, avant de s'engager dans des emprunts.

Mais, là encore, les sénateurs ne sont pas allés au bout de leur logique. L'extension aurait également dû concerner le délai prévu pour réaliser la transaction entre le locataire et le vendeur. Nous défendrons donc, à nouveau, un amendement prévoyant que ce délai soit porté de quatre à six mois.

Les sénateurs ont, par ailleurs, prévu de diminuer le montant des droits de mutation, pour inciter l'acquéreur d'un immeuble en bloc à conserver le statut locatif de ces logements. Cette disposition ingénieuse figurait dans la proposition de loi du groupe socialiste rejetée par notre assemblée, en mai dernier. Pourtant, nous ne pouvons nous satisfaire du dispositif retenu au Sénat. En effet, contrairement à ce que nous proposions, les sénateurs n'ont pas souhaité compenser la perte de recettes des collectivités locales qui diminueraient les droits de mutation par une majoration de la DGF versée par l'État. Or ce refus réduit presque à néant l'intérêt d'une diminution des droits de mutation. Les communes pauvres, celles précisément qui ont le plus besoin de maintenir un parc locatif accessible, ne pourront jamais se permettre de réduire encore leurs faibles ressources. Elles le pourront d'autant moins que le produit des droits de mutation leur sert souvent à financer la construction ou l'acquisition de logements sociaux. Nous défendrons donc, à nouveau, un amendement prévoyant une compensation financière de l'État.

Enfin, comme les députés socialistes l'avaient demandé lors de la première lecture à l'Assemblée nationale, les sénateurs ont rétabli, dans l'article 2, un pouvoir d'opposition au sein de la commission nationale de concertation. Retirer toute portée aux décisions prises par les associations de bailleurs et de locataires après avoir vanté, pendant des mois, les mérites de la concertation sociale, punir les associations de locataires pour s'être opposées, avec courage, à un accord qu'elles considèrent inefficace, tout cela, mes chers collègues, n'était pas acceptable.

Mais les règles retenues par les sénateurs pour calculer la majorité au sein de la commission nationale de concertation ont été modifiées dans un sens défavorable aux associations représentant les locataires. Désormais, les suffrages des locataires et des bailleurs seront confondus, et non plus comptés séparément. Avec ces nouvelles règles – j’insiste sur ce point –, l'accord du 16 mars dernier, rejeté pourtant par une majorité d'associations représentant les locataires, aurait reçu l'aval de la commission. C’est un tripatouillage qui n'honore pas le législateur ! Nous défendrons donc, à nouveau, un amendement rétablissant pleinement les droits de la commission, tels que la loi les avaient fixés en 1986.

Au fond, une seule avancée adoptée au Sénat nous offre une satisfaction pleine et entière. Il s'agit, vous l'aurez compris, de la reconnaissance, à l'article 1er, de la nullité de la vente lorsqu'elle n'a pas été notifiée aux locataires. En consolidant ainsi la jurisprudence de la Cour de cassation, réitérée dans un arrêt du 16 novembre dernier, les sénateurs ont également confirmé le bien-fondé des arguments que nous avions défendus.

Cependant, cette seule véritable avancée ne saurait, en aucun cas, faire oublier les inacceptables lacunes du texte issu du Sénat.

En premier lieu, si les dispositions de l'article 1er permettent à certains locataires d'acquérir leur logement dans des conditions financières convenables, rien n'a été prévu pour améliorer la protection des deux tiers des locataires qui n'en ont pas les moyens.

Il ne suffit pas, en effet, de renvoyer à une prochaine extension par décret de l’accord du 16 mars 2005, car les protections prévues par cet accord peuvent être trop facilement contournées par les spéculateurs. Si le premier acheteur en bloc revend l’immeuble à un second acheteur, je le rappelle, celui-ci n'est plus lié par aucune obligation à l’égard du locataire qui ne peut acheter. Pour protéger efficacement ces locataires, il est donc impératif d'interdire purement et simplement le congé vente pendant six ans dès lors que l’immeuble a été acheté en bloc. Si le congé vente est un droit pleinement légitime lorsqu'il est mis en œuvre par des bailleurs, il devient une arme gravement préjudiciable lorsqu'il tombe aux mains des spéculateurs.

Par ailleurs, nous regrettons que ni la présente proposition de loi, ni le projet de loi « Engagement national pour le logement » ne contiennent, comme l’avait pourtant promis le Gouvernement, des dispositions pour lutter contre les travaux abusifs et toutes les formes de pression exercée sur les locataires pour les contraindre au départ ou à l’achat. D'évidence, le texte devra donc être très sérieusement amendé si l'on veut qu'il résolve les graves difficultés traversées par les victimes des ventes à la découpe que sont les locataires qui ne peuvent acheter.

En deuxième lieu, aucune mesure efficace n'a été prévue pour permettre aux maires de protéger la mixité sociale de leurs communes en enrayant l'éviction des habitants issus des classes moyennes et populaires. La majorité sénatoriale se prévaut d'avoir explicitement autorisé les maires à recourir au droit de préemption dans l'hypothèse de ventes à la découpe. Mais il a déjà eu l’occasion d’être utilisé de nombreuses fois ! Le maire de Cachan que je suis vous parle d'expérience !

Surtout, malgré son intérêt, le droit de préemption reste trop souvent un outil inefficace pour lutter contre l'éviction sociale. Trop peu de communes, en effet, ont les moyens financiers suffisants pour racheter les logements vendus à la découpe. Pour permettre aux maires de répondre aux problèmes, il faut donc leur reconnaître le droit de suspendre – suspendre, mes chers collègues ! – la mise en copropriété si, à la suite d'une sollicitation d'un tiers des locataires, les conclusions d'une enquête publique aboutissent à cette nécessité.

En troisième lieu, rien n'est prévu pour encadrer l’activité des professionnels de la spéculation immobilière. Le logement n'est pourtant pas un bien comme les autres : trop de choses en dépendent pour qu'il soit soumis, au même titre que les biens de consommation, aux seules lois du marché, nous en convenons tous. Le ministre Jean-Louis Borloo nous rappelle souvent que le premier dessin fait par un enfant – je le dis avec humour et plaisir – est celui d'une maison.

Dans ces conditions, il est donc impératif de poser des règles et des limites aux marchands de bien. Non seulement les moins scrupuleux d'entre eux conduisent des locataires dans des situations inextricables, mais ils contribuent à déstabiliser le marché immobilier en alimentant la flambée des prix.

Lors de notre débat, tous les intervenants avaient reconnu l'importance de la question et la nécessité de lui trouver des solutions, y compris vous, madame la ministre. Devant le Sénat, Jean-Louis Borloo lui-même avait confirmé « la pertinence de la question posée » par nos amendements et avait ajouté que cette question « méritait au demeurant être approfondie, ce à quoi le Gouvernement allait s'employer ».

Il ne faut pas sans cesse remettre au lendemain ce que l'on peut faire le jour même. Nous regrettons vivement que le texte qui nous revient du Sénat ne comporte pas de dispositifs en la matière.

Enfin, aucune mesure n'a été prévue pour répondre aux problèmes posés par les procédures en cours. Cette lacune laisse pantois, car ce sont précisément ces procédures qui ont suscité la mobilisation du législateur. Par ailleurs, les manœuvres, que j’estime dilatoires, du Gouvernement et de sa majorité sont responsables du retard de l'intervention du Parlement. Il paraît donc indécent de laisser sans secours les locataires lors de leur expulsion.

L’exemple des lois sur le logement de 1982 et 1989 montre en outre que l'argument de la non-rétroactivité de la loi n'est pas recevable dès lors qu’il s’agit de logement et de la situation des locataires. Il conviendrait donc de prévoir un moratoire visant les procédures en cours.

Comme vous l'aurez compris, mes chers collègues, le groupe socialiste considère que ce texte ne prend pas suffisamment en compte les vrais enjeux et les graves problèmes soulevés par les ventes à la découpe. Nos concitoyens concernés par ce phénomène attendent bien plus, qu'ils soient susceptibles de se porter acquéreurs ou qu'ils souhaitent rester dans les lieux en qualité de locataires. Si notre assemblée n'amende pas, comme je l’espère, profondément le texte, nous ne pourrons le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Je vous informe, mes chers collègues, qu’en accord avec les différents groupes, nous lèverons la séance à treize heures trente.

La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cela fait plus d'un an que l'Assemblée nationale s'est saisie du problème des ventes à la découpe en adoptant à l’unanimité un amendement que j'avais déposé dans le cadre du projet de loi de finances pour 2005. J’en profite pour remercier les députés de la majorité et notamment le rapporteur général du budget, Gilles Carrez, d’avoir soutenu ma proposition.

Cela fait plus de sept mois qu’à l’initiative des députés socialistes, le processus législatif relatif aux ventes à la découpe a commencé. Nous comprenons mal pourquoi, face à une situation d'urgence, la majorité semble traîner les pieds, voire, comme l'a déclaré notre collègue Annick Lepetit, « freiner des quatre fers ».

Il est pourtant urgent de légiférer efficacement sur le sujet, et non timidement, comme le propose l’UMP en prévoyant des mesures qui ne concernent pratiquement que les locataires qui peuvent acheter, alors que le problème posé par les ventes à la découpe est celui de l'éviction des deux tiers d’entre eux, qui ne peuvent pas acheter le logement qu'ils occupent.

Je me suis déjà exprimé à plusieurs reprises sur les conséquences sociales désastreuses de ces pratiques qui alimentent la bulle spéculative et conduisent les banquiers centraux à siffler la fin de la « récréation ». Les ventes massives à la découpe déstabilisent des quartiers entiers, fragilisent les commerces de proximité et les services publics et portent gravement atteinte à la mixité sociale.

Je souhaite donc, aujourd'hui, faire prendre conscience à la représentation nationale du comportement de certains investisseurs institutionnels, notamment la Caisse des dépôts. Car ces opérateurs ne peuvent plus nier leur responsabilité sociale.

Le groupe Caisse des Dépôts, via ses multiples filiales, intègre tous les acteurs de la vente à la découpe. À tel point que sa filiale de commercialisation – la société Gemco – figure, selon le rapport parlementaire de notre collègue Decocq, parmi les plus gros découpeurs de France avec 1 000 logements vendus à la découpe en 2004 !

Si la multiplication des sociétés intervenant dans un processus de découpe se dissimule souvent derrière l’écran d’une société de marchand de biens, il est néanmoins possible, après un travail minutieux, d'en retracer le schéma. Vous me pardonnerez l'aspect un peu rébarbatif de ma démonstration, mais, pour être convaincant, je dois me montrer précis.

La société Sorege 3 a racheté douze immeubles ou ensembles d'immeubles début 2004. Parmi ces douze adresses, figure le 39 bis, rue de Montreuil, devenu emblématique des ventes à la découpe, et qui se trouve dans ma circonscription. Figure également un ensemble d'immeubles à Cachan, dont mon collègue Jean-Yves Le Bouillonnec connaît parfaitement la situation.

L’immeuble du 39 bis a été construit avec des fonds du 1 % logement, sa vocation étant d'offrir du logement social intermédiaire aux classes moyennes. L'investisseur était la société HLI, dont deux filiales de la Caisse des dépôts – la CNP Assurances et le GFF – sont actionnaires. Ce même GFF est également le constructeur du 39 bis et en a assuré la gestion jusqu'en 2004.

Le 39 bis a d'abord été racheté par la société Soclim, filiale du Crédit foncier.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le premier étage.

M. Patrick Bloche. Le Crédit foncier, intégré dans le périmètre de consolidation comptable de la Caisse des dépôts, est détenu par la Caisse d'épargne, dont la Caisse des dépôts est l'actionnaire stratégique. Or, selon l'analyse du rapport parlementaire n° 2364 sur les ventes à la découpe, les bailleurs institutionnels ont pris la décision stratégique de se désengager de l'immobilier locatif. Une telle décision n'a donc pas pu être prise à l'insu de la Caisse des dépôts.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous le supposons !

M. Patrick Bloche. Le Crédit foncier est actionnaire à 50 % de Sorege 3, qui est désormais propriétaire du 39 bis et dont le président est également gérant de la société Gestrim Transactions – filiale du groupe Perexia, détenu par le Crédit foncier – et directeur général adjoint de Foncier Conseil Développement, appartenant également au Crédit foncier. La société Gemco, chargée de la commercialisation du 39 bis, ainsi que la société Gestrimelec, qui gère le 39 bis depuis son rachat, appartiennent toutes deux au groupe Perexia, filiale, je le répète, du Crédit Foncier.

Derrière le Crédit foncier et le GFF, c'est donc bien le groupe Caisse des Dépôts qui est au coeur de cette vente à la découpe. C’est inacceptable !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Absolument !

M. Patrick Bloche. Je souhaite en outre dénoncer le comportement inqualifiable des marchands de biens qui oeuvrent pour le compte du groupe Caisse des dépôts. La société Sorege 3 a en effet agi, que ce soit à Paris ou à Cachan, dans le plus grand mépris des habitants et a manqué de respect envers les municipalités en revenant sur la parole donnée et en violant les règles de protection des locataires actuellement existantes, ce qui justifie plus que jamais qu'on les améliore et que l’on renforce leur caractère contraignant.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est juste !

M. Patrick Bloche. Le groupe Caisse des dépôts, dont l'évolution vers une logique purement financière ne cesse d 'inquiéter, y compris au sein de ses salariés, ne peut nier plus longtemps sa lourde responsabilité sociale. Que dire de ces 25 000 « déconventionnements » de logements sociaux en banlieue parisienne qui traduisent une autre facette des pratiques bien peu « sociales » de la Caisse des dépôts et augurent sans doute de futures ventes à la découpe ?

Il ne suffit pas d’objecter que le groupe Caisse des dépôts est dans son bon droit pour justifier des pratiques contraires à l'intérêt général et à la mixité sociale. Car la vocation de la Caisse des dépôts n'est pas d’imiter, notamment en matière de logement, le comportement de vulgaires fonds de pension. Elle ne peut se contenter d'afficher une vitrine sociale qui masquerait mal la réalité moins avouable de l'arrière-boutique, qui constitue aujourd’hui, hélas, l'essentiel de son activité. Telles sont les graves dérives que je souhaitais dénoncer à cette tribune.

Dans ce contexte, l'intervention du législateur est nécessaire et urgente, non seulement pour encadrer la pratique des ventes à la découpe et l'activité des marchands de biens, mais aussi pour renforcer la protection des locataires. Bien que le Sénat ait globalement amélioré un texte adopté dans l’improvisation à l'Assemblée nationale en première lecture, celui-ci reste très insuffisant et ne permet pas de maintenir la mixité sociale, objectif que certains semblent redécouvrir après les récents événements dans les banlieues. Jean-Yves Le Bouillonnec l’a largement expliqué dans son intervention.

Pour être juste, la loi devrait protéger tous les locataires…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Exactement !

M. Patrick Bloche. …et pas seulement ceux qui peuvent acheter, en permettant notamment le maintien des locataires sous statut locatif. Pour être efficace, elle devrait donner aux maires la capacité d'agir, soit en créant un permis de diviser, soit en rendant possible le recours à l'enquête publique en cas de demande citoyenne ou associative. Pour répondre à l'urgence sociale, la loi devrait s'appliquer aux opérations en cours, ce qui est possible sans aucune rétroactivité, comme l'a démontré la loi de 1989 validée par le Conseil constitutionnel. Car, chers collègues, pendant que nous débattons, les opérations de vente à la découpe se poursuivent ! J'ajoute que l'argument de la rétroactivité ne peut être pertinent qu'au regard de dispositions pénales. Or la loi n'en comporte aucune. J'en profite également pour rappeler que le maire de Paris a demandé un moratoire et que le Gouvernement ne lui a jamais répondu.

Madame Aurillac, il est vrai que l'adoption de votre proposition de loi aura le mérite de fixer un premier cadre législatif aux ventes à la découpe. Néanmoins, sur ce dossier d’urgence sociale, il faut aller plus vite et plus loin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Tiberi.

M. Jean Tiberi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, bien qu’imparfaite, cette proposition de loi est un bon texte. Nombre de ministres, qu’ils soient de gauche ou de droite, ont essayé d’améliorer les choses, mais aucun n’a voulu toucher à l’équilibre des relations entre propriétaires et locataires.

En 1982, l’Assemblée a adopté la loi Quilliot, qui a donné lieu à de longs débats. Nous n’étions pas d’accord sur tout, mais nous avons fait du bon travail. Aussi, à l’instar de M. Quilliot, restons prudents !

Ce texte va dans le bon sens, car il prévoit des mesures équitables permettant de lutter contre ces pratiques spéculatives, que je condamne fermement, comme tous les orateurs qui m’ont précédé. Il vise en outre à mieux protéger les locataires, et notamment les classes moyennes à Paris.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Jean Tiberi. Celles-ci on en effet un revenu trop élevé pour bénéficier du logement social, sans pouvoir accéder au secteur privé. Nous avons engagé un débat sur ce sujet, car nous estimons que les actions menées par la mairie de Parie en faveur des classes moyennes sont quasi inexistantes.

Je tiens à féliciter le rapporteur, M. Decocq,…

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. Il le mérite !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. C’est un excellent rapporteur !

M. Jean Tiberi. … qui a développé la proposition de loi de Mme Aurillac et l’a encore enrichi après son examen au Sénat. Enfin, sur un texte d’une telle importance, qui vise à l’équité et à la solidarité, il est nécessaire que nous puissions faire le point sur son application.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité et M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. C’est prévu dans six mois !

M. Claude Goasguen. Juste avant les municipales !

M. Jean Tiberi. Ce texte va dans le bon sens et il apportera de sensibles améliorations. C’est pourquoi je le voterai avec conviction et détermination. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Voilà plus d’un an que le scandale des ventes à la découpe est sur la place publique : des investisseurs institutionnels, devenus propriétaires d’immeubles indivis, souvent construits dans le cadre du 1 % logement, cherchent aujourd’hui à les revendre pour trouver de meilleurs profits. Les sociétés d’assurance ont ainsi vendu la moitié de leur patrimoine. En outre, les fonds de pension arrivent massivement sur ce marché, profitant du dispositif fiscal voté en leur faveur par la majorité en novembre 2002, et qui a beaucoup accéléré les opérations de spéculation dans les centres de nos villes, notamment à Paris, Lyon et Marseille, mais aussi dans la Petite couronne et dans d’autres grandes villes de province. Ces sociétés ont ainsi vu leurs bénéfices exploser.

Les locataires victimes de ces ventes spéculatives nous l’ont dit à plusieurs reprises : il est urgent de légiférer. Le moins que l’on puisse dire, pourtant, est que l’on a pris tout son temps pour le faire.

Il ne suffit pas de condamner la situation, ni de pleurer en chœur : il faut agir. À entendre certains orateurs de l’UMP, on a le sentiment que les ventes à la découpe ne concerneraient que les classes moyennes.

M. Jean Tiberi. Je n’ai jamais dit cela !

Mme Martine Billard. C’est l’impression que donnait votre discours.

M. Jean Tiberi. Sur un sujet aussi grave, évitez de vous en tenir à des impressions !

Mme Martine Billard. Ces immeubles abritent des citoyens de toutes catégories. Ceux dont les revenus sont les plus faibles sont donc particulièrement mis en danger.

Bien que ce texte tente d’opérer une distinction entre les « bailleurs traditionnels » et les « découpeurs spéculatifs », il n’est pas du tout à la mesure de la vague d’opérations engagées ou à venir. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : près de 30 000 familles sont actuellement concernées en France, et le processus s’accélère. Le nombre de congés pour vente déjà délivrés est également impressionnant : plus de 10 000 à Paris en seulement dix-huit mois.

Les associations de locataires expriment leur déception : cette proposition de loi ne permettra de régler qu’une faible part des cas résultant des ventes à la découpe survenues pendant que la majorité tergiversait – sans parler de celles à venir. Vous allez simplement permettre à quelques dizaines de familles d’acheter plus facilement leur logement. Tant mieux pour elles, mais je rappelle que les deux tiers des locataires concernés n’en auront pas les moyens.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Exactement !

Mme Martine Billard. Le logement correspond pourtant à un besoin vital. Nous ne pouvons pas le laisser aux mains de spéculateurs sans scrupule qui détruisent le tissu social.

Ce texte ne répond pas non plus à la nécessité de maintenir un secteur locatif en ville. Il ignore deux principales mesures de régulation et de protection générales qui pourraient être appliquées immédiatement à tous les locataires et qui devraient être prises sans délai : la mise en place d’un « permis de diviser », sur lequel j’ai déposé à nouveau un amendement, et l’interdiction du congé pour vente pendant les six années suivant une acquisition en bloc ou une division.

D’autres protections devraient être également inscrites dans cette proposition de loi. Ainsi, le non-respect des dispositions d’un accord collectif rendu obligatoire par décret doit se traduire, sans contestation possible, non seulement par la nullité du congé pour vente – ce qui est désormais prévu par l’article 3 –, mais également par celle de la notification de l’offre de vente. Sur ce point, la rédaction actuelle est source d’incertitude, qui risque d’affecter les procès en cours.

En outre, les mesures protectrices pour les locataires définies par les accords collectifs de location doivent être rendues effectives et opposables, y compris en cas de vente en cascades, comme c’est justement le cas des opérations de vente à la découpe. J’ai à nouveau déposé, à l’article 3, un amendement allant dans ce sens.

Les opérateurs ont fréquemment recours à des travaux abusifs, qui harcèlent moralement les locataires « découpés » – comme ils se nomment parfois eux-mêmes –, et dégradent leur qualité de vie. Or ces comportements ne sont passibles d’une sanction pénale que dans le cadre des baux « loi de 1948 ». Je propose donc, par un amendement, d’encadrer la procédure de notification des travaux, et d’étendre les mesures protectrices contre les travaux abusifs et vexatoires aux baux « loi de 1989 », soit les plus nombreux.

Plus grave encore : sous prétexte d’introduire de la souplesse dans les négociations collectives sur le logement, vous déstabilisez les règles dans un sens moins favorable aux organisations représentatives des locataires – même si la nouvelle rédaction de l’article 2 apporte une légère amélioration.

Plus que de permettre à certains locataires de conserver leur logement, la question qui se pose est de savoir si nous voulons conserver un secteur immobilier locatif dans nos villes. Or vous refusez d’y répondre. L’accession de tous les Français à la propriété n’est qu’un mythe. Tout le monde n’a pas les moyens d’accéder au crédit. En outre, la précarisation de l’emploi amène un nombre toujours plus grand de salariés à devoir changer de lieu de résidence – un phénomène que la majorité tend d’ailleurs à encourager. Dans une telle situation, la formule locative paraît la plus adaptée.

Il est donc important de maintenir dans nos villes, et notamment dans leurs centres, un secteur locatif destiné non seulement aux classes moyennes, mais aussi aux revenus plus modestes, qui n’ont pas toujours accès aux logements sociaux, tant le nombre de ces derniers est encore insuffisant, d’autant plus que certaines communes refusent toujours d’en construire.

Au nom des députés Verts, je voterai donc contre ce texte.

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous voici donc en deuxième lecture d’un texte dont l’initiative, je le rappelle, revient à Mme Martine Aurillac et à de très nombreux députés, qui se sont fortement mobilisés sur le sujet. J’en profite pour saluer l’excellent travail réalisé par votre rapporteur.

M. Bloche a stigmatisé l’un des acteurs du marché immobilier. Je crois que c’est l’ensemble de ceux qui recourent à ces ventes par lots que nous devons viser. Nous pouvons, bien évidemment, dénoncer certaines pratiques, mais n’oublions jamais la première cause de cette situation, qui est la crise du logement.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. Bien sûr ! Il était utile de le rappeler.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. En d’autres termes, si la vente par lots a incontestablement une nature spéculative, …

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est du fric tout de suite !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. …elle n’est, après tout, que l’enfant de la rareté. Nous devons garder en mémoire le fait que cette crise traduit avant tout la faiblesse de la construction de logements, particulièrement notable entre 1997 et 2002.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission. Eh oui !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Comme vous le dites fort justement, madame Billard, les chiffres parlent d’eux-mêmes : à la fin du mois d’octobre, la production de logements dans notre pays était de 393 000, …

M. Jean-Yves Le Bouillonnec…dont seulement 40 000 logements sociaux !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. …et nous dépasserons les 400 000 mises sur le marché en 2005. C’est dire si la dynamique est forte : les grues sont sur notre territoire. Monsieur Le Bouillonnec, alors que 42 000 logements sociaux étaient financés en 2000, l’offre est passée en 2004 à plus de 70 000 logements.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il y a eu 16 000 PLS en 2002 !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Comparez donc ce qui est comparable !

Un mot sur les accords collectifs. Bien entendu, le Gouvernement continue à privilégier la voie contractuelle, dont le passé récent a montré qu’elle pouvait apporter des solutions. Mais la stratégie d’obstruction de certaines organisations, …

M. Claude Goasguen. Les socialistes !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. …qui ont empêché l’extension par décret de l’accord du 16 mars 2005 – pourtant plus protecteur que celui de 1998 –, rend nécessaire le recours à la loi pour enrayer le phénomène des ventes à la découpe et protéger les locataires en place, sans pour autant remettre en cause ni le droit de propriété, ni le délicat équilibre entre locataires et propriétaires.

Je vous rejoins sur un point, madame Billard : une offre locative complémentaire doit être maintenue. Si certains veulent accéder à la propriété, d’autres souhaitent rester locataires. Il faut leur laisser le choix.

Le texte qui nous revient aujourd’hui du Sénat offre aux locataires comme aux propriétaires un réel droit d’opposition à l’extension par décret des accords collectifs de location, qui sera, bien entendu, appliqué aux ventes par lots. Les mauvais accords se heurteront donc à un rejet de la majorité des organisations représentatives. À cet égard, le Sénat a élaboré une solution équilibrée qui, sans être paralysante, respecte le principe, sur lequel nous pouvons tous nous retrouver, de la démocratie sociale.

Le Parlement s’est également soucié de la force légale des obligations résultant des accords collectifs de location quand ils sont généralisés par décret. Il a notamment posé le principe de l’annulation des congés pour vente abusifs.

La mesure phare de cette proposition de loi est la création d’un dispositif de préemption pour les locataires, dont l’objectif est bien de mettre fin aux reventes successives d’immeubles entiers, qui alimentent la spéculation, en offrant aux locataires en place la possibilité d’acheter leur logement. Le texte propose par ailleurs d’autres mesures d’accompagnement, auxquelles le Sénat a apporté des améliorations destinées notamment à donner au locataire le temps de trouver des solutions. Citons l’engagement d’un maintien pendant six ans sous statut locatif, la transmission obligatoire aux occupants du règlement de copropriété et du diagnostic sur l’état général de l’immeuble avant sa vente en bloc – nous avons eu une longue discussion sur ce point en première lecture –, l’élargissement du droit de préemption aux cessions de parts de SCI, afin d’éviter que ce droit ne soit contourné par les propriétaires bailleurs les moins scrupuleux. Ces améliorations donnent une plus grande sécurité aux locataires victimes de découpage, dès lors qu’ils sont en mesure d’acheter leur appartement.

Reste le cas de ceux qui doivent le quitter. Pour eux, monsieur Le Bouillonnec, le texte est aujourd’hui plus équilibré, et offre des protections supplémentaires. Le maire de la commune est destinataire des informations sur les conditions de vente en bloc des immeubles soumis au nouveau droit de préemption, afin de faciliter le suivi de la procédure. En outre, est inscrite dans notre droit positif la faculté pour la commune d’exercer son droit de préemption s’agissant d’immeubles d’habitation dès lors que l’objectif est de maintenir les locataires dans les lieux. Sur la proposition du Gouvernement, possibilité est également donnée aux communes et aux départements, lors de la phase de vente au détail des immeubles, d’abaisser très fortement les droits de mutation sur les appartements occupés dès lors que l’acquéreur final – en général une personne physique – s’engage à maintenir le logement sous statut locatif pendant six ans. Cette dernière incitation fiscale ouvre un véritable droit de suite aux locataires qui ne peuvent pas acheter leur logement découpé. Une telle disposition manquait jusqu’à présent dans l’équilibre général de la proposition de loi. Votre commission vous proposera d’ailleurs de la réécrire sur le plan technique, afin de la rendre plus opératoire.

Je crois, mesdames et messieurs les députés, que ce qui a guidé l’Assemblée nationale en juin dernier, puis le Sénat en octobre, et ce qui nous rassemblera certainement encore aujourd’hui, c’est bien la volonté d’obtenir un équilibre entre le respect du droit de propriété, inscrit dans notre constitution, la nécessité de permettre à des acteurs institutionnels de continuer à investir dans le secteur locatif, et par ailleurs l’obligation de faire le plus grand cas des locataires, qu’ils soient ou non potentiellement acquéreurs de leur logement. Vous avez parfaitement raison, monsieur Tiberi : tous doivent être protégés dans leurs droits et accompagnés dans leurs démarches.

Au total, avec l’accord collectif du 16 mars, qui pourra bientôt être étendu par décret une fois la proposition de loi définitivement adoptée, et grâce aux dispositions de cette proposition de loi, les occupants d’immeubles découpés disposeront de protections efficaces, qu’ils soient ou non en mesure d’acheter le bien qu’ils occupent. Ce résultat, nous l’obtiendrons sans remettre en cause l’équilibre de la loi de 1989. C’est pour cette raison, mesdames et messieurs les députés, que je voudrais vous remercier pour votre implication, laquelle a permis de faire évoluer ce texte. Avec la loi sur la rénovation sociale, avec le plan de cohésion sociale, avec le projet de loi portant engagement national sur le logement, dont vous discuterez ici à partir du 18 janvier, nous aurons mis en place, avec Jean-Louis Borloo, un ensemble de textes susceptibles de donner enfin à nos concitoyens, en matière de logement, les vraies réponses qu’ils attendaient depuis dix ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Par lettre adressée à M. le Président de l’Assemblée nationale, M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement a fait connaître que le Gouvernement a décidé, en application de l’article 48, alinéa premier de la Constitution, d’inscrire la suite de la discussion de la présente proposition de loi en tête de l’ordre du jour de la séance de cet après-midi.

En conséquence, la suite de la discussion de la proposition de loi est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour
des prochaines séances

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi, no 2599, relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d’un immeuble :

Rapport, no 2749, de M. Christian Decocq, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, n° 2612, relatif aux offres publiques d’acquisition :

Rapport, n° 2750, de M. Hervé Novelli, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan ;

Avis, n° 2727, de M. Xavier de Roux, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures trente.)