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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Troisième séance du mardi 21 février 2006

146e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. RENÉ DOSIÈRE,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures.)

prévention et répression
des violences au sein du couple

Communication relative à la désignation d’une commission mixte paritaire

M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre, une lettre m’informant qu’il avait décidé de provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.

réforme
des Successions et des libéralités

Discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant réforme des successions et des libéralités (nos 2427 rectifié, 2850).

La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi portant réforme des successions et des libéralités que j’ai l’honneur de présenter devant votre assemblée aujourd’hui constitue, après les réformes du divorce et de la filiation, un nouveau volet de la réforme d’ensemble du code civil engagée par le Gouvernement.

Le droit des successions et des libéralités n’a pratiquement pas évolué depuis 1804. Or il est, pour une large part, devenu inadapté et la rigidité de ses règles ne se justifie plus aujourd’hui. Ce droit doit désormais faire face à de nouveaux enjeux démographiques, sociologiques et économiques.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’espérance de vie a augmenté, la structure familiale a évolué et le besoin d’une meilleure prise en compte des situations personnelles particulières se fait sentir à l’égard des familles d’enfants handicapés, qui se heurtent à de grandes difficultés pour préparer avec sérénité l’avenir de leur enfant ou pour transmettre efficacement leur patrimoine. Enfin, et de façon toute aussi préoccupante, la question de la transmission des entreprises appelle des adaptations. Le décès du chef d’entreprise entraîne trop souvent la disparition pure et simple de la société et des emplois liés, faute de savoir organiser la gestion, puis la reprise par les héritiers, ou la cession. Chaque année, près de 10 000 entreprises disparaissent suite au décès de l’entrepreneur.

Au-delà de la réponse à ces différents défis, notre droit des successions et des libéralités a besoin de plus de simplicité, de souplesse et de sécurité juridique.

Plus de simplicité, cela signifie qu’il faut instaurer les conditions d’une bonne gestion du patrimoine de la succession et d’un partage facilité. Ces deux points constituent actuellement, dans un grand nombre de cas, une source de blocage. On ne peut plus admettre que certaines personnes soient véritablement prisonnières de leurs cohéritiers mal intentionnés ou négligents pendant dix ou quinze ans, souvent au détriment d’une gestion efficace des biens.

Plus de souplesse, cela implique de revenir sur le caractère d’ordre public de certaines règles encadrant la réserve héréditaire, qui empêchent la transmission du patrimoine dans les meilleures conditions possibles. Il faut favoriser la transmission anticipée, qui permet un dialogue entre les parents et leurs enfants et prévient les difficultés parfois très importantes que génèrent les opérations successorales.

Plus de sécurité juridique, cela nécessite de définir précisément la latitude dont bénéficieront les héritiers au lendemain du décès en leur offrant la possibilité d’accomplir avec sérénité certains actes permettant la conservation des biens. Cette démarche est indispensable, en particulier pour la transmission d’entreprises.

Telles sont les grandes lignes du projet qui vous est soumis, lequel doit faire du droit des successions et des libéralités un droit plus efficace.

La préparation de ce projet a, depuis de nombreuses années, largement mobilisé universitaires et praticiens. Sous l’impulsion d’un groupe de travail dirigé par le doyen Carbonnier et le professeur Catala, plusieurs projets de loi ont été élaborés, en 1988, 1991 et 1995. C’est dire si la nécessité d’une réforme profonde de ce droit est ressentie depuis longtemps. Pourtant, jusqu’à présent, aucun texte n’a pu aboutir. Le moment est donc venu de moderniser l’ensemble du droit des successions et des libéralités. Tel est l’objet des dispositions du projet de loi, que je vais maintenant vous présenter.

Tout d’abord, ce projet vise à simplifier et à accélérer le règlement des successions. Nos concitoyens, qui connaissent mal ce droit aride et technique, subissent néanmoins les désagréments des successions : lenteur, lourdeur des procédures, blocages résultant des désaccords familiaux, difficultés pour parvenir à un partage. Ce constat est révélateur. Certaines successions restent bloquées pendant plusieurs années et les causes de ces blocages sont nombreuses. Elles peuvent résulter, dès l’origine, d’une difficulté à identifier les héritiers, de la négligence ou de la passivité de certains d’entre eux, de l’imprécision des règles applicables à l’option héréditaire et de l’excès de rigidité du régime du partage successoral.

La réforme du droit des successions traite de chacun de ces problèmes et entend leur apporter une solution adaptée.

Premier problème : il faut identifier les héritiers.

Aujourd’hui, seule la consultation du livret de famille permet de connaître les enfants du défunt. Or ce document peut avoir été égaré ou ne pas avoir été mis à jour. Afin de sécuriser, dans l’avenir, l’identification des héritiers, le projet de loi prévoit que les enfants seront inscrits en marge de l’acte de naissance de leurs parents. Une simple copie de l’acte de naissance permettra de les identifier rapidement. Par ailleurs, le projet de loi comble une lacune du droit actuel en sanctionnant des peines du recel le fait de dissimuler un cohéritier. Il s’agira d’une sanction civile qui sera dissuasive et qui contraindra les héritiers à révéler immédiatement l’existence des autres cohéritiers.

Second problème : il faut savoir si les héritiers acceptent la succession ou y renoncent. Sur ce point, le projet permettra d’être fixé plus rapidement.

Le projet généralise d’abord l’action interrogatoire qui permettra aux créanciers, aux cohéritiers, aux héritiers de rang subséquent ou même à l’État de sommer l’héritier inactif de prendre position. À défaut d’option, il sera considéré comme ayant accepté la succession purement et simplement. Cette mesure s’accompagnera d’un délai de prescription désormais plus court, passant de trente à dix ans. Au-delà de ces dix ans, l’héritier inactif que personne n’aura sommé de choisir sera tenu pour avoir renoncé à la succession.

En outre, le projet rénove dans son ensemble l’acceptation sous bénéfice d’inventaire. Cette option est aujourd’hui rarement choisie en raison de la lourdeur, de l’imprécision et du coût de son régime. En effet, la judiciarisation de ce dispositif effraie souvent les héritiers, qui préfèrent soit accepter purement la succession, au risque que celle-ci soit déficitaire, soit y renoncer par prudence. Cette situation n’est satisfaisante ni pour les héritiers ainsi privés de l’accès à un régime juridique qui pourrait les protéger contre l’incertitude entourant certaines successions, ni pour les créanciers qui, en cas de renonciation, voient souvent le patrimoine se dégrader et leur gage diminuer d’autant.

L’acceptation sous bénéfice d’inventaire changera de nom : elle s’appellera désormais « l’acceptation à concurrence de l’actif ». Ce changement terminologique doit être entendu comme le signe d’une réforme en profondeur du dispositif.

Le nouveau régime repose sur trois mesures essentielles.

Premièrement, la déclaration de l’acceptation à concurrence de l’actif est soumise à une publicité permettant une information effective des créanciers. Ces derniers disposent désormais d’un délai fixe pour se faire connaître. Le projet ouvre à cette fin un délai de deux ans. Votre commission a souhaité réduire ce délai à quinze mois. Je n’y suis pas opposé, dans la mesure où cette mesure est conforme à l’un des objectifs de la réforme : accélérer le règlement des successions. Toutefois, il ne me semble pas possible d’aller en deçà, car il est essentiel que ce délai ne soit pas inférieur à un exercice comptable et social, afin que tous les créanciers aient effectivement le temps de se déclarer.

Deuxièmement, le rôle de l’inventaire est augmenté. Actuellement, celui-ci sert à déterminer la composition du patrimoine. Le projet de loi lui donne désormais un rôle estimatif. Établi par un officier public ou ministériel, il servira aussi à en déterminer la valeur. Il permettra ainsi aux créanciers d’avoir une vision chiffrée du patrimoine et d’évaluer les chances de recouvrement de leur créance. Ce sera une garantie de transparence.

Enfin, l’héritier retrouve un rôle central. Contrairement au dispositif actuel, il disposera d’un véritable pouvoir quant au sort des biens successoraux. Deux possibilités lui seront offertes : soit la vente des biens, soit leur conservation. Dans les deux cas, sa décision sera publiée et il aura la responsabilité de payer les créanciers.

Permettez-moi de souligner ce dernier point, qui est fondamental. En effet, la procédure d’acceptation sous bénéfice d’inventaire reposait sur l’idée que la protection des droits en présence était garantie par la lourdeur de la procédure mise en place. L’acceptation à concurrence de l’actif participe d’une tout autre logique. L’héritier sera investi de pouvoirs et de responsabilités importants. Toutefois, s’il détourne ces pouvoirs, il s’exposera à ce que le juge lève la protection dont il bénéficie et il pourra être poursuivi sur ses biens personnels.

Afin de diminuer les risques encourus par les héritiers lors de l’acceptation de la succession, la réforme offre la possibilité à l’héritier ayant accepté purement et simplement la succession d’être déchargé d’une dette qu’il avait de justes raisons d’ignorer.

Cette protection, qui constitue une dérogation au principe de l’irrévocabilité de l’acceptation pure et simple, permettra d’éviter certaines conséquences parfois catastrophiques pour les héritiers qui peuvent se trouver ruinés par la survenance tardive d’une dette qu’ils ignoraient.

Le troisième problème, enfin, après l’identification des héritiers et l’exercice de leur option, est celui consistant à simplifier les conditions du partage. En effet, l’étape du partage constitue souvent la principale source de blocage ; pour cette raison, le projet a souhaité la réformer en profondeur.

Premièrement, le projet de loi favorise le partage amiable et limite le recours au partage judiciaire aux seuls cas où il existe un véritable litige. Ainsi, pour le cas d’un héritier taisant mais non opposé au partage, le projet met en place une procédure de représentation nécessitant une intervention judiciaire simplifiée et limitée.

Les nouvelles mesures concernant le partage en présence d’un présumé absent ou d’une personne protégée suivent la même logique. Alors qu’aujourd’hui, l’intervention du juge est systématique, le projet de loi met en place un partage amiable sur autorisation du conseil de famille ou du juge des tutelles. Cela évitera le recours à une procédure lourde et souvent inutile aboutissant principalement à retarder les opérations de partage.

Enfin, la promotion du partage amiable suppose également une limitation des conditions de remise en cause des actes de partage déjà réalisés. Ainsi, lorsque le partage lèse les droits d’un héritier, alors que le droit actuel frappe l’acte de nullité, ce qui oblige à recommencer les opérations de partage, la réforme choisit de permettre le versement d’un complément au profit de celui qui n’a pas reçu toute sa part.

En outre, le délai pour agir en cas de lésion est ramené de cinq ans à deux ans, ce qui évitera les contestations tardives.

Deuxièmement, la réforme simplifie et accélère le partage judiciaire. Le notaire se voit confier un véritable rôle de liquidateur, permettant de passer outre l’inertie d’un copartageant. Le projet de loi lui en donne les moyens, notamment en lui permettant de demander au juge la représentation du copartageant défaillant.

La plupart des dispositions relatives au partage sont toutefois d’ordre réglementaire et feront l’objet d’un décret d’application. Ce sera l’occasion de supprimer l’ancien code de procédure civile, dont la disparition est attendue depuis la parution du nouveau code en 1975.

J’en viens maintenant au deuxième grand objectif du projet : faciliter et simplifier la gestion du patrimoine successoral. À cet égard, deux questions doivent être abordées.

La première se pose dès le lendemain du décès et concerne les premiers actes de gestion. Les règles en cette matière sont insuffisamment claires : au lendemain du décès, lorsqu’il existe une incertitude, les héritiers ne savent pas quelle attitude adopter. Ils redoutent de faire certains actes sur le patrimoine de peur d’être considérés comme ayant accepté, malgré eux, la succession.

La seconde question concerne la gestion des successions sur le plus long terme, lorsque le désaccord des héritiers, la minorité ou l’incapacité de l’un d’eux rendent particulièrement difficile l’administration du patrimoine.

Le projet de loi comprend à cet égard plusieurs mesures.

Le texte protège d’abord les héritiers contre les risques d’une acceptation tacite de la succession. Les héritiers pourront désormais, sans risque d’être considérés comme acceptant tacitement la succession, effectuer l’ensemble des actes nécessaires à la conservation et à l’administration provisoire de la succession.

Ils pourront également, sur autorisation du juge, prendre toute mesure dans l’intérêt de la succession. À l’avenir, les héritiers pourront par conséquent éviter la détérioration des biens dont la conservation nécessite un certain entretien et assurer la continuation immédiate de l’entreprise sans risque.

Votre commission propose de préciser et d’étendre ces mesures, pour les entreprises, aux opérations d’investissement que le défunt avait engagées sans pouvoir les mener à terme. Je partage cet objectif, dans la mesure où l’équilibre entre la protection des héritiers, l’intérêt de la succession et celui des créanciers est respecté.

Par ailleurs, afin de faciliter la gestion du patrimoine transmis, le projet de loi développe le recours au mandat. À côté du mandat conventionnel, qui n’est qu’une application classique du droit commun, le texte met en place deux mécanismes nouveaux.

En premier lieu, le projet introduit dans le code civil le mandat à effet posthume. Ce mandat permettra au défunt de désigner, de son vivant, un mandataire avec la mission d’administrer tout ou partie du patrimoine transmis. Il pourra en aller ainsi si les héritiers ne sont pas aptes à le faire eux-mêmes en raison soit de leur jeune âge ou de leur inaptitude, soit des compétences particulières que requiert cette gestion.

Ce nouveau mécanisme répond à une double attente. D’une part, celle des familles d’enfants handicapés, qui craignent parfois que le patrimoine transmis ne soit pas géré au mieux des intérêts de l’enfant. D’autre part, celle des entreprises : lorsque les enfants du chef d’entreprise ne sont pas en âge de continuer l’activité, un mandat donné à un proche ou à un collaborateur permettra d’éviter la cession et d’attendre que les héritiers soient aptes à prendre la suite.

Comme vous le voyez, ce mandat a des conséquences importantes. Il nécessite donc un encadrement.

Ainsi sa validité sera subordonnée à l’existence d’un intérêt sérieux et légitime au regard soit du patrimoine transmis, soit de la personne de l’héritier, et son exécution sera limitée dans le temps, sauf dans le cas où l’inaptitude de l’héritier paraîtra devoir durer. Là encore, le projet s’attache à protéger la gestion du patrimoine transmis dans l’intérêt des enfants handicapés.

Votre commission souhaite, par une démarche constructive que je salue ici, apporter des modifications permettant de préciser le fonctionnement de ce mandat. J’y suis tout à fait favorable.

En second lieu, le projet de loi permet la désignation d’un mandataire en justice. Cette désignation interviendra sur demande de tout intéressé dans des hypothèses de mésentente entre les héritiers, de carence ou de faute de l’un d’entre eux dans l’administration de la succession. Les pouvoirs de ce mandataire seront déterminés par le juge, auquel il devra rendre compte de sa mission.

Enfin, il est nécessaire d’assouplir les règles de gestion de l’indivision. En effet, l’accord unanime des indivisaires pour l’ensemble des actes d’administration est parfois impossible à obtenir, ce qui entraîne une mauvaise gestion des biens indivis ou un recours fréquent et inutile au juge.

Pour les actes d’administration de l’indivision, le projet de loi remplace la règle de l’unanimité, source de nombreux blocages, par une majorité qualifiée : les deux tiers des indivisaires pourront décider de ces actes d’administration. Il ne me semble pas possible d’envisager un assouplissement supplémentaire. Le respect du droit de propriété impose que, pour les actes de disposition, la règle de l’unanimité soit conservée.

Avec cette majorité qualifiée, les indivisaires pourront effectuer l’ensemble des actes nécessaires au bon fonctionnement de l’indivision, en préparation du partage.

Le troisième objectif de cette réforme est de donner plus de liberté pour organiser sa succession.

Cette question renvoie d’abord à la notion de réserve héréditaire, qui garantit que l’on ne pourra, par des donations ou des legs, priver ses enfants de l’intégralité de son patrimoine. La liberté de disposer à titre gratuit de son patrimoine ne s’exerce en effet que sur une partie, « la quotité disponible ».

La réserve conserve aujourd’hui toute son utilité. Au-delà, elle poursuit un triple objectif.

D’abord, elle garantit la solidarité familiale : elle prolonge, dans la succession, l’obligation alimentaire. À l’heure où l’on déplore le recul des solidarités familiales, la réserve est donc essentielle : ceux qui ne bénéficieraient plus de cette solidarité viendraient grossir les rangs de ceux qui en appellent à la solidarité nationale.

Ensuite, la réserve héréditaire protège les enfants contre les risques d’un abus d’autorité de leurs ascendants. La liberté de déshériter peut constituer une menace terrible, en permettant aux parents de décider, au-delà du raisonnable, des orientations de vie de leurs enfants.

Enfin, la réserve peut permettre de garantir le maintien de certains biens dans la famille.

Tous ces arguments justifient pleinement le maintien du principe de la réserve héréditaire. Nos concitoyens y sont très attachés.

Pour autant, il est nécessaire d’assouplir les conditions d’application des règles qui protègent la réserve. Il faut en effet permettre aux familles de s’organiser à l’avance et de décider de la distribution des biens, sans que la différence de valeur de ces biens ne puisse constituer un obstacle à ce partage.

Ainsi, le projet de loi instaure le pacte successoral. Il s’inspire sur ce point de dispositions qui existent dans certains droits voisins des nôtres, en particulier le droit allemand. Grâce au pacte successoral, un héritier réservataire pourra renoncer par anticipation, avec l’accord de celui dont il a vocation à hériter, à exercer son action en réduction contre une libéralité portant atteinte à sa réserve héréditaire.

Ce nouveau mécanisme sera encadré par des règles précises. En particulier, le bénéficiaire de cette renonciation devra être déterminé. Votre commission, soucieuse de garantir plus encore la liberté de celui qui fera une telle renonciation, entend encore apporter de nouvelles garanties. Je puis d’ores et déjà vous assurer que je suis favorable aux amendements qu’elle a adoptés en ce sens.

Vous l’aurez compris, il s’agit non pas de mettre à mal le principe de la réserve héréditaire, mais d’autoriser les familles à anticiper, au mieux des intérêts de chacun et en dehors des mécanismes existants, la transmission du patrimoine. Ainsi, le pacte successoral permettra de sécuriser les transmissions de patrimoine, sans qu’il soit systématiquement nécessaire de recourir à une donation-partage. Il offrira davantage de liberté dans la répartition de ses biens, notamment lorsqu’un enfant handicapé figurera parmi les héritiers.

Poursuivant le même objectif d’assouplissement de la réserve, la réforme affirme le principe d’une réserve héréditaire en valeur. L’abandon de la réserve héréditaire en nature entraîne deux conséquences : d’une part, il permettra aux bénéficiaires de libéralités excessives de conserver les biens donnés, à charge pour eux de verser une indemnité à la succession ; d’autre part, le partage, désormais gouverné par une égalité en valeur, s’en trouvera facilité.

Cette mesure permettra de mieux respecter la volonté de celui qui aura décidé de disposer en faveur d’une personne déterminée. Elle sera également un gage de sécurité juridique, dans la mesure où la propriété du bien donné ne pourra être remise en cause.

La représentation des héritiers renonçants constitue également une évolution importante qui offre une liberté nouvelle dans le droit des successions. En l’état du droit, le principe veut que l’on ne représente pas les héritiers qui ont renoncé à la succession. Cependant, la représentation des descendants renonçants est un corollaire logique à la donation-partage trans-générationnelle que j’évoquerai dans un instant. En outre, elle est conforme au souhait de permettre de diriger les richesses vers des personnes dont les besoins de consommation sont plus importants.

Nous avons vu récemment que des dispositions fiscales encourageant la transmission de sommes d’argent aux petits-enfants ont rencontré un franc succès. Sur ce point, la réforme met en place les conditions civiles pour que de telles transmissions puissent se perpétuer.

Votre commission souhaite élargir cette possibilité de représentation aux héritiers en ligne collatérale. J’approuve le principe d’une telle extension qui est parfaitement cohérente avec l’objectif poursuivi par ce projet.

Le projet réforme en profondeur la donation-partage.

D’une part, son champ d’application a été élargi afin qu’elle puisse intervenir au profit de tous les héritiers présomptifs et non seulement des descendants. C’est un gage de souplesse supplémentaire. Ainsi, une personne sans enfants pourra désormais distribuer et partager ses biens entre ses frères et sœurs ou ses neveux et nièces.

D’autre part, le projet instaure la donation-partage trans-générationnelle, qui permettra de faire concourir à une même donation-partage des descendants de générations différentes. Dans ce mécanisme, la part dévolue aux petits-enfants sera imputée sur la réserve du descendant direct, lequel devra intervenir à l’acte pour l’accepter.

La réalité sociologique des familles recomposées nécessitait une adaptation des règles. En permettant à des enfants issus d’unions différentes de participer à une même donation-partage, le projet répond à une forte attente, tant des familles que des professionnels.

Enfin, le projet consacre les libéralités résiduelles. Celles-ci permettront de faire une libéralité vers un premier bénéficiaire qui, à son décès, aura l’obligation de remettre le reliquat à un second gratifié préalablement désigné.

La jurisprudence a accepté un tel dispositif sans en organiser le régime juridique, ce qui limite le recours à un tel mécanisme. En outre, il sera étendu aux donations, et pas seulement aux legs.

Permettez-moi d’illustrer cette proposition par un exemple.

Dans le cadre d’une famille ayant un enfant handicapé, les parents pourront laisser à ce dernier, au moyen d’une libéralité résiduelle, un portefeuille de valeurs mobilières dont les revenus dégagés par sa gestion lui permettront de mener une existence normale, même s’il n’est pas en état d’y pourvoir lui-même. Si les besoins de cet enfant changent et qu’ils nécessitent des frais importants, la personne chargée de veiller sur lui pourra vendre les valeurs mobilières. Dans le cas contraire, le portefeuille continuera à être géré normalement. Au décès de l’enfant vulnérable, les frères et sœurs, ou leurs descendants, qui pourront avoir été désignés comme second gratifiés, récupéreront le portefeuille.

Comme vous le voyez, ce mécanisme souple permet une transmission utile et efficace du patrimoine au profit de plusieurs bénéficiaires.

Votre rapporteur propose ici une innovation importante : introduire dans le projet de loi les libéralités graduelles. Celles-ci suivent la logique des libéralités résiduelles, avec cette différence importante que le premier gratifié est obligé de conserver les biens pour les transmettre au second gratifié. Cette proposition rejoint celle du doyen Carbonnier et du professeur Catala. J’y suis favorable.

Ces mesures compléteront utilement le projet de loi en offrant un nouvel outil à la disposition des familles et des professionnels pour organiser au mieux la transmission des patrimoines.

J’en viens maintenant aux amendements qui ont été déposés par le Gouvernement.

Ainsi ce dernier a souhaité que l’examen de la réforme des successions soit l’occasion de modifier certains aspects du régime juridique du pacte civil de solidarité dans le domaine patrimonial, notamment en cas de décès du partenaire. Il ne s’agit pas de modifier la nature contractuelle du pacs, ni les grands équilibres qui le guident. L’objectif est de répondre à certaines insuffisances ou imprécisions du régime juridique adopté par la loi du 15 novembre 1999.

Les orientations retenues par ces amendements reprennent les conclusions du rapport de votre mission d’information sur la famille et les droits des enfants rendu public le 26 janvier dernier.

Le premier objectif poursuivi est d’améliorer la publicité du pacs. Le régime actuel n’est pas satisfaisant : il n’assure pas une publicité effective du pacte, alors que les droits des tiers sont affectés par la conclusion d’un tel contrat ; il oblige les greffes des tribunaux d’instance à tenir plusieurs registres et ainsi à répondre chaque année à plus d’un million de demandes de « certificat de non pacs ».

Ainsi, tout en conservant le principe d’une déclaration au greffe du tribunal d’instance, le premier amendement prévoit que l’existence d’un pacs sera mentionnée en marge de l’acte de naissance de chacun des partenaires. Toutefois, afin de garantir la vie privée des intéressés, cette mention n’indiquera ni l’identité ni le sexe de l’autre partenaire.

Cet amendement rejoint la disposition du projet de loi qui prévoit l’inscription des enfants en marge de l’acte de naissance de leur auteur. Ces deux dispositions cohérentes permettront ainsi de connaître aisément et rapidement des informations essentielles sur la situation juridique d’une personne.

Le second amendement réforme le régime patrimonial du pacs. Cette réforme est particulièrement nécessaire. La complexité et la rigidité du régime d’indivision forcée prévu par la loi de 1999 seront sources de difficultés notamment lorsqu’il faudra liquider les successions d’un partenaire décédé. Il est nécessaire de simplifier ce dispositif et de donner le choix aux partenaires entre un régime de séparation des patrimoines et un régime d’indivision organisé.

Enfin, deux amendements améliorent la situation du partenaire d’un pacs après le décès de l’autre partenaire. La loi de 1999 avait prévu la possibilité, pour le partenaire survivant, de demander, dans le partage, l’attribution préférentielle sur le logement commun. Cette attribution était néanmoins subordonnée à l’accord du juge. L’amendement prévoit que cette attribution sera de droit lorsque le testament du partenaire défunt l’aura prévu.

Enfin, un amendement institue un droit temporaire de jouissance en faveur du partenaire survivant sur le logement commun. Ce droit d’une année lui permettra de réorganiser plus sereinement sa vie, sans craindre de devoir quitter précipitamment le logement.

Mesdames, messieurs les députés, au terme de mon propos, je veux remercier à nouveau votre commission des lois, en particulier son président et son rapporteur, pour l’excellent travail qui a été accompli. Celui-ci, à la fois rigoureux et très constructif, permet en effet d’apporter de réelles améliorations au projet de loi.

Nous partageons le souci commun de rénover le droit de la famille, attentifs aux évolutions de notre société ainsi qu’aux attentes de nos concitoyens, et respectueux des principes et des valeurs qui fondent le code civil.

Cette réforme marquera une étape historique dans la construction d’un droit moderne et adapté aux besoins de nos concitoyens. Je vous remercie de participer à l’élaboration de cette loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Sébastien Huyghe, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la réforme des successions et des libéralités, tant attendue des praticiens, des « usagers » et des entreprises, est enfin en vue, deux cents ans après l’entrée en vigueur du code civil – dont plus de la moitié des articles concernés sont demeurés inchangés depuis leur origine – et vingt ans après la première tentative sérieuse de réforme globale.

Chacun connaît cette image d’Épinal du notaire recevant, quelques jours après le décès, les héritiers du défunt pour l’ouverture du testament. Après la lecture de celui-ci c’est le choc, chacun découvre ce qu’il reçoit ; c’est alors la foire d’empoigne qui commence, les rancœurs des uns et des autres remontent, et c’est tout juste si le défunt ne reçoit pas des noms d’oiseau.

L’enjeu de la réforme est justement de faire disparaître cette image. Il s’agit donc de donner plus de souplesse et de liberté pour organiser sa succession, de faciliter la gestion du patrimoine successoral, d’accélérer et de simplifier le règlement des successions, et de s’assurer que les dernières volontés du défunt sont respectées dans la plus grande transparence;

Ainsi, cette réforme permettra de mettre fin à des situations de blocage aberrantes, dont tous – professionnels comme citoyens – ne peuvent que déplorer l’existence : indivisions impuissantes en l’absence d’unanimité et laissant se dégrader des biens parfois jusqu’à leur ruine ; inadaptation complète de l’acceptation sous bénéfice d’inventaire, qui devrait logiquement être la procédure la plus utilisée car la mieux à même de protéger les héritiers sans léser de manière excessive les créanciers ; disparition de plus de 7 000 entreprises par an, faute d’héritiers capables de les gérer ou d’outils permettant au dirigeant de garantir la bonne gestion et donc la pérennité de l’entreprise après sa disparition ; règlements retardés par des héritiers taisants par pure mauvaise volonté ; impossibilité d’organiser des successions à l’amiable dans le cadre familial, y compris pour favoriser un enfant handicapé, et ce, en raison du caractère intangible et d’ordre public de la réserve héréditaire.

Chacun connaît de tels cas, que tous regrettent mais qui sont aujourd’hui inévitables faute de règles appropriées. Plus généralement, chacun, un jour ou l’autre, a eu ou aura à connaître de la législation en matière de succession ou de libéralité, qui constitue un droit de masse, puisque l’on déplore en France environ 530 000 décès par an, et que l’on constate 201 000 donations et 167 000 dons manuels. Seuls le conjoint survivant et l’enfant adultérin ont récemment bénéficié d’une modernisation du droit qui leur est applicable en cas de succession, ce qui témoigne d’une prise en compte de l’évolution de la société.

Dans le même temps, l’espérance de vie et l’âge moyen au moment d’hériter augmentent chaque année de près d’un trimestre, affaiblissant toujours plus l’utilité économique de la succession comme moyen de faire circuler la richesse. Ce constat justifie donc que l’on encourage les transmissions trans-générationnelles.

Le projet de loi présenté par le Gouvernement, auquel praticiens et experts ont pu utilement contribuer, a l’ambition de définir de nouvelles règles. Là où la loi n’est plus adaptée, la réforme envisagée devra permettre de faire face aux évolutions de la société déjà constatées. Elle devra cependant également permettre d’affronter l’avenir. En effet, le droit des successions, qui constitue un véritable ciment juridique de la famille et, plus généralement, de la société, ne peut supporter des modifications trop fréquentes.

La présente réforme doit donc être une grande réforme, adaptée aux situations d’aujourd’hui, mais également construite pour durer.

Après une cinquantaine d’auditions ayant permis d’entendre soixante-quinze personnes – praticiens, professeurs de droit, associations, représentants des entreprises ou de nos concitoyens, administrations –, il apparaît possible de proposer d’améliorer encore le projet de loi sur divers points, tout en en conservant son orientation jugée unanimement excellente.

Je vous proposerai donc, par voie d’amendements, un certain nombre d’améliorations du texte.

Il s’agira d’abord de la suppression de la réserve des ascendants dont l’existence ne semble plus en phase avec les aspirations de notre société. Les ascendants resteront bien sûr protégés par une obligation alimentaire, et conserveront leur vocation successorale ab intestat, mais, en l’absence d’enfant, l’existence de cette réserve est souvent mal vécue par certains conjoints survivants lors des successions, notamment dans les familles où les liens entre le défunt et ces ascendants étaient distendus ou dans certaines familles recomposées lorsque, à la suite d’un divorce ou d’une séparation des parents, le lien avec l’un d’entre eux a été rompu dès le plus jeune âge de l’enfant. Toutefois, la suppression de cette réserve s’accompagnera corrélativement de la mise en place d’un droit de retour systématique, en nature ou en valeur, pour les biens qui ont fait l’objet d’une donation au défunt par ses ascendants.

Je vous proposerai, par ailleurs, un meilleur encadrement des conditions d’élaboration du pacte successoral dans le cadre de la renonciation anticipée à l’action en réduction. Il s’agit en effet de s’assurer que le renonçant procède à cet acte grave en toute connaissance de cause, libre de toute contrainte physique ou morale, afin d’éviter les pressions relevant de traditions culturelles ne devant pas ou plus avoir cours dans notre pays, telles que celles ayant pour objet de favoriser l’enfant mâle, ou l’aîné d’une fratrie.

Il me semble également nécessaire d’introduire dans notre droit la possibilité pour les majeurs en tutelle de faire un testament. L’ouverture de ce nouveau droit nous est réclamée par les associations de parents de personnes protégées. Néanmoins il convient également d’encadrer strictement les conditions de rédaction du testament afin d’éviter tout détournement. Aussi le dispositif proposé soumet-il la rédaction du testament par l’incapable majeur sous tutelle à l’autorisation du conseil de famille, lequel est présidé de droit par le juge des tutelles, et à la forme authentique ce qui implique l’intervention du notaire qui garantira l’existence de la volonté de tester de la personne protégée.

Je souhaite ensuite vous inviter à créer les libéralités graduelles, dont le principe consiste pour un disposant de transmettre tout ou partie d’un patrimoine à un premier gratifié, à charge pour lui de conserver obligatoirement les biens reçus et de les transmettre à son tour à un second gratifié nommément désigné. Le second gratifié sera alors réputé détenir ses droits du disposant et non du premier gratifié.

Ce mécanisme, qui diffère de la libéralité résiduelle proposée par le projet de loi par l’obligation de conserver pour transmettre qui pèse sur le premier gratifié dans la libéralité graduelle, alors que la libéralité résiduelle ne fait peser sur lui que l’obligation de transmettre ce qui reste des biens qu’il aura reçus, offrira au disposant une plus grande liberté de choix dans l’expression de ses dernières volontés, notamment afin d’assurer les moyens de subsistance d’un enfant handicapé qui pourrait être le premier gratifié, quitte pour ses frères et sœurs à recevoir les biens dans un second temps en qualité de seconds gratifiés.

Dans ce cas, ce dispositif prendra toute son ampleur dans une combinaison comportant la renonciation anticipée à l’action en réduction de la part desdits frères et sœurs au profit du premier gratifié, c’est-à-dire l’enfant handicapé.

Je vous demanderai également de vous prononcer sur l’extension de la représentation des renonçants en ligne collatérale, ou de donner au légataire la possibilité de cantonner son émolument.

Toutes ces propositions procèdent de la même philosophie que celle qui a présidé à l’élaboration du projet de loi qui nous est soumis : donner à nos concitoyens la plus grande liberté en matière de transmission de patrimoine, pour favoriser les solidarités intrafamiliales et la paix des familles.

Enfin, je tiens à saluer l’attitude du Gouvernement qui a accepté, dès la discussion de ce texte, de traduire par voie d’amendements dans la loi un nombre non négligeable de propositions de la mission d’information sur la famille et les droits des enfants en ce qui concerne l’évolution du pacte civil de solidarité, plus communément dénommé pacs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. François Rochebloine.

M. François Rochebloine. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en ces temps d’inflation législative et de prolifération juridique, le droit des successions constitue une relative exception puisque, depuis sa codification en 1804, il n’a connu que peu de changements, malgré les évolutions de la société.

Néanmoins, les évolutions profondes que notre société a connues au cours de ces dernières années ont conduit le législateur à modifier les règles du droit successoral. En effet, la famille se décline désormais au pluriel et l’accroissement des familles recomposées ou monoparentales ainsi que l’allongement de l’espérance de vie ont conduit au dépôt de projets successifs visant à adapter notre droit au plus près de ces évolutions.

Pourtant seule la loi du 3 décembre 2001 a marqué une évolution notable du droit des successions, puisqu’elle a permis de donner au conjoint survivant une meilleure place successorale et de lui attribuer un droit spécifique au logement ainsi qu’un droit à pension. Malheureusement, comme cela a été souligné, cette loi ne répondait pas en totalité aux aspirations des praticiens, qui réclamaient une simplification des successions et libéralités et une meilleure adéquation de ces dispositions à la réalité.

C’est pourquoi le projet de loi qui nous est présenté vise à alléger la complexité des règles en se fixant trois objectifs : d’abord, donner davantage de liberté à chacun pour organiser sa succession en introduisant la règle nouvelle du pacte successoral ; ensuite, faciliter la gestion du patrimoine successoral en sécurisant la période séparant le décès du partage ; enfin, accélérer et simplifier le règlement des successions en réformant la procédure du partage.

Accélérer et simplifier forment les deux principaux piliers de ce texte, piliers que nous approuvons. Cette orientation doit guider notre activité législative.

Les règles successorales sont devenues d’une grande complexité et aboutissent à des liquidations parfois conflictuelles en raison de difficultés juridiques croissantes. Il apparaissait dès lors opportun d’apporter des mesures de simplification qui permettront, d’une part, de procéder à des liquidations de succession moins complexes et, d’autre part, d’accélérer les procédures.

Parmi les mesures novatrices de ce texte, je souhaite souligner l’apport considérable dans notre droit de la donation-partage trans-générationnelle. Cette mesure très attendue permettra de faire bénéficier les générations les plus jeunes de la donation-partage et de faire concourir des descendants de générations différentes. En effet, de nombreux bénéficiaires d’une donation-partage la reçoivent à un âge souvent avancé. Dorénavant, ils pourront accepter que leurs propres enfants bénéficient de la donation à leur place.

Cette disposition permettra également, sur le plan économique, d’insuffler une dynamique dans ces donations-partages, des bénéficiaires plus jeunes étant plus à même de recourir à des investissements que des bénéficiaires en retraite.

En outre, s’agissant des familles recomposées, la donation-partage pourra être étendue aux demi-frères et demi-sœurs et un partage égal entre enfants issus de mariages différents pourra être effectué. En élargissant à tous les héritiers présomptifs et non plus uniquement aux ascendants, nous assistons à une véritable innovation qui a vocation à se généraliser et présente des gages de dynamisme économique.

S’agissant de la situation des héritiers, le projet de loi vise à sécuriser leur option en créant notamment l’acceptation à concurrence de l’actif, qui remplace l’acceptation sous bénéfice d’inventaire. Ce qui n’était jusqu’alors qu’une option va devenir la règle, et l’héritier découvrant une dette qui risque d’obérer gravement son patrimoine, et qu’il avait de justes raisons d’ignorer, pourra demander à en être déchargé.

Cette disposition présentera également l’avantage pour l’héritier de lui permettre de conserver tout ou partie des biens de la succession, à charge pour lui de verser aux créanciers le prix des biens en fonction de leur valeur fixée dans l’inventaire. Le principe d’égalité en nature, en vigueur dès 1804 dans le concept de partage, est en effet abandonné au profit du principe d’une égalité en valeur. Cette nouveauté se révèlera moins préjudiciable pour la préservation des unités économiques et permettra de diminuer le recours à la vente des biens indivis.

Afin de simplifier les démarches des héritiers, le projet de loi permet l’administration de la succession par un mandataire, soit désigné à titre posthume, soit choisi par les héritiers, soit désigné en justice.

Enfin, pour remédier à la mauvaise gestion des biens indivis, le texte facilite la gestion de l’indivision en supprimant le recours à l’unanimité et en permettant aux indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis d’effectuer à cette majorité les actes d’administration et les actes de disposition nécessaires au paiement des dettes et charges de l’indivision.

Dans l’optique de rendre le droit des successions plus accessible, le texte avait pour objectif d’accélérer le partage des successions. Au-delà du changement du principe d’égalité en nature au profit d’une égalité en valeur, que j’ai évoquée précédemment, il est prévu de faciliter les opérations de partage. Pour cela, le texte consacre la technique de l’imputation. Cette dernière consiste à placer l’indemnité de rapport dans le lot du donataire, qui sera recueilli en imputation sur sa part. Une fois de plus, cette règle évitera la vente des biens de la succession.

Parallèlement, il s’agit d’éviter la remise en cause du partage et l’action de rescision du partage pour lésion de plus du quart sera remplacée par une action en complément de part, qui deviendra non plus une exception mais un principe.

Éviter de recourir à des ventes de biens, ne pas rompre des entités économiques, telles sont les orientations qui sous-tendent ce projet de loi. Le droit des successions doit s’adapter aux réalités économiques et ne doit pas être un frein ou, pire, une forme de disparition de l’évolution des patrimoines.

Le second volet du projet de loi, qui porte sur le droit des libéralités, a été élaboré dans le même esprit puisqu’il consacre le principe de réduction des libéralités en valeur et non plus en nature. Ce principe n’empêchera plus le donataire non réservataire de disposer du bien et il ne portera plus atteinte au respect de la volonté du défunt qui a souhaité attribuer des biens déterminés.

Dernière innovation conséquente : le pacte successoral qui permettra à un héritier réservataire de renoncer par anticipation, avec l’accord de celui dont il a vocation à hériter, à exercer son action en réduction contre une libéralité portant atteinte à sa réserve. Concrètement, cette règle permettra la transmission plus libre de patrimoine dès que l’accord de tous les intéressés aura été recueilli. L’héritier autorisera son parent à donner directement ce patrimoine à la personne désignée. Cette règle a un intérêt pour les enfants sans descendance, dont le parent pourra léguer une partie de sa réserve à des neveux ou nièces, mais également pour la transmission d’entreprise, en permettant aux cohéritiers de choisir ensemble l’héritier repreneur. Elle a, en outre, un grand intérêt pour les parents ayant des enfants handicapés.

Simplification et modernisation, volonté de dynamiser les patrimoines tout en protégeant leur unité : telles sont les idées que le groupe UDF a retenu de ce projet de loi, que nous voterons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons poursuit trois objectifs : donner plus de liberté à chacun pour organiser sa succession ; faciliter la gestion du patrimoine successoral ; accélérer et simplifier le règlement des successions.

Si ces objectifs sont ambitieux, les motifs qui ont poussé le Gouvernement à déposer ce projet de loi tiennent largement au constat du retard de notre pays dans l’adaptation de notre législation aux réalités nouvelles et à l’évolution des mœurs.

Rappelons notamment que, en 2001, la France avait été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir limité les droits successoraux des enfants adultérins, alors que la question des enfants nés hors mariage était pourtant loin d’être nouvelle. Il aura fallu attendre 2001 pour que, dans la précipitation et sans grand débat, une proposition de loi soit adoptée sur ces points particuliers.

C’est dire que si notre pays aime à légiférer, comme certains semblent le regretter, les occasions de modifier notre code civil restent rares et sont souvent empreintes d’une trop grande prudence et d’une certaine timidité. Ainsi la réforme globale de notre droit de la famille reste largement à faire et demeure un chantier ouvert, qui ne saurait en tout état de cause se limiter à une réforme du droit de succession, fut-elle, comme c’est le cas, indispensable.

Pour en venir au texte du projet de loi lui-même, je ferai tout d’abord une remarque de méthode : je ne suis pas certain que la méthodologie qui a été privilégiée soit totalement en adéquation avec les attentes de nos concitoyens.

Certes, la commission a auditionné près de soixante-quinze personnes – praticiens, professeurs de droit, associations, représentants des entreprises, administrations – et s’est appuyée sur l’expérience des praticiens, objectivée à travers une vaste enquête menée au début de l’année 2004 et à laquelle ont été soumis tous les notaires de France. Ainsi ont été identifiées les principales difficultés auxquelles sont notamment confrontés les praticiens dans le règlement des successions.

Si l’on peut apprécier le travail réalisé et noter le consensus des praticiens sur certaines propositions concrètes, il ressort de cette enquête que les notaires souhaitent une simplification du droit des successions et des libéralités et une meilleure adéquation de ces dispositions à la réalité sociale, familiale et économique.

Sans constituer une référence indépassable, les demandes des plus de trois mille professionnels des successions constituent manifestement un élément de référence précieux afin que la réforme des successions et des libéralités soit effectivement applicable et résolve au mieux les principaux problèmes rencontrés sur le terrain. Il n’en demeure pas moins que, aussi précieuses soient ces constatations, l’enquête ne met guère en relief certaines préoccupations des usagers eux-mêmes, sur lesquelles il serait pourtant utile de revenir.

À raison de ces quelques lacunes et d’un certain manque d’ambition, au regard des quelque vingt ans que cette réforme est engagée, comme celle des tutelles d’ailleurs, restée lettre morte à ce jour, le projet de loi laisse ainsi sciemment de côté la question fiscale, la problématique de l’assurance-vie ou encore le régime successoral applicable aux partenaires du pacs, en liaison avec les conclusions de la mission d’information sur le droit de la famille.

Tel est, en particulier, le cas pour l’assurance-vie. Chacun sait, en effet, que le succès des assurances-vie tient essentiellement à des lacunes de notre code civil qui protège assez mal les droits des conjoints, qu’ils soient mariés, concubins ou pacsés, obligeant nos concitoyens à souscrire à ces contrats de droit privé pour pallier ces insuffisances et garantir au conjoint survivant des moyens de subsistance.

Loin d’apporter des solutions, votre texte revient sur certaines dispositions protectrices du conjoint survivant, incluses dans le cadre de la loi du 3 décembre 2001.

Une autre question, connexe au régime des droits de succession, est celle de l’absence de réversion des pensions en cas de concubinage ou de pacs. Un tel versement permettrait, là aussi, de garantir des ressources au conjoint.

On le voit, l’essentiel serait aujourd’hui – car c’est une lacune constante de notre droit civil – de placer enfin le conjoint au cœur de la réflexion et de s’efforcer de nourrir une conception plus large de la notion de conjugalité, qu’il faudrait élargir à toutes les formes d’union stable.

C’est un leitmotiv de l’engagement des députés communistes sur ces questions, mais force est de constater que notre pays est, à cet égard, très en retard sur nombre de ses voisins, et que notre droit est en flagrant décalage avec les évolutions de notre société et les attentes de nos concitoyens.

Il est également indispensable de concevoir ce type de réforme dans l’optique d’un meilleur équilibre entre les souhaits individuels qui peuvent s’exprimer en matière successorale et l’intérêt général. Nous sommes très loin du compte et le présent projet de loi n’a certes pas l’ambition d’engager ce profond mouvement de réforme dont a pourtant besoin notre société.

Certaines options retenues par le projet de loi sont enfin contestables, mais je ne m’y attarderai pas. Tel est notamment le cas du choix de rendre « acceptant pur et simple » l’héritier « taisant » sommé d’opter, plutôt que de le réputer « renonçant » d’office, ce qui ne peut être source que de complications dans le règlement des successions.

En conclusion, je dirais que si le présent projet apporte des réponses à certaines questions, de façon d’ailleurs fort pragmatique, voire procédurière – mais on ne saurait lui en faire trop reproche – il reste néanmoins en deçà de nombre des enjeux que soulève la question de la réforme de notre droit des successions et conséquemment de notre droit de la famille.

Malgré ses insuffisances, nous ne saurions donc nous prononcer, en l’état, contre ce texte, mais nous réservons notre vote final, dans le souci que nos débats viennent enrichir ce texte.

M. le président. La parole est à M. Francis Delattre.

M. Francis Delattre. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui en première lecture le projet de loi attendu portant réforme des successions et des libéralités. Il tend à modifier en profondeur notre code civil afin de l’adapter aux évolutions de notre société qui se traduisent par de nouvelles attentes de la part des familles et des professionnels.

Les règles applicables en matière d’héritage n’ont pratiquement pas été modifiées depuis 1804, tout le monde l’a relevé. Seule, la loi relative aux droits du conjoint survivant du 3 décembre 2001 a constitué une première étape vers une meilleure prise en compte des évolutions sociologiques qui doivent se traduire dans notre droit successoral. Toutefois, ce texte n’a porté que sur des aspects particuliers du droit des successions. Les dispositions relatives à l’option des héritiers, à l’administration et au partage des successions n’ont, elles, pas été modernisées.

Or le règlement patrimonial des successions s’accompagne aujourd’hui de démarches dont la lourdeur et la complexité sont dénoncées unanimement par les familles et par ceux qui sont chargés de l’administration des successions. L’inadéquation de ces règles résulte de plusieurs facteurs qui concourent à la complexité du dispositif, notamment l’allongement de la durée de la vie et l’évolution des situations familiales, avec notamment un nombre croissant de familles recomposées ou de personnes décédant sans enfants.

Certaines situations appellent en outre des solutions spécifiques en matière de transmission de patrimoine. C’est le cas des familles des personnes handicapées, qui nécessitent une meilleure prise en compte de leurs besoins.

Enfin, l’évolution économique de notre pays s’accompagnera, dans les années à venir, d’un nombre élevé de transmissions d’entreprises, de PME, liées au décès de leur dirigeant ou de leur propriétaire, auquel notre droit n’est pas préparé.

Le projet de loi qui nous est aujourd’hui proposé, le garde des sceaux l’a rappelé, sans toucher aux principes fondamentaux qui établit notre doctrine, répond aux attentes concrètes de nos concitoyens. Il s’inscrit dans le cadre de la réforme globale du droit de la famille et fait suite à deux réformes importantes : celle du divorce et celle de la filiation. Il a vocation à constituer un véritable socle juridique pour les familles confrontées à la disparition d’un proche.

À cet effet, le projet de loi poursuit trois objectifs : faciliter la gestion du patrimoine successoral en sécurisant la période séparant le décès du partage ; accélérer et simplifier le règlement des successions en réformant la procédure de partage ; enfin, donner davantage de liberté aux personnes pour organiser leur succession de leur vivant.

En premier lieu, le projet de loi prévoit d’accélérer et de simplifier la procédure de règlement des successions. La réforme est notamment dictée par le souci de sécuriser l’option des héritiers : le choix d’accepter ou de refuser une succession doit intervenir dans un délai raisonnable afin de réduire la période d’incertitude, source d’insécurité juridique. Certaines familles sont en effet confrontées à des successions bloquées pendant plusieurs années, au motif qu’un héritier néglige ou bloque l’ensemble des opérations de partage, sans qu’il existe nécessairement de contentieux.

Afin de mettre un terme à ces difficultés, le texte s’efforce d’améliorer la procédure d’identification des héritiers en prévoyant que les actes de naissance mentionnent l’identité des enfants déclarés ou reconnus par le défunt.

Le projet de loi raccourcit également les délais et prévoit la possibilité de passer outre la carence de certains héritiers : le délai au cours duquel une personne pourra revendiquer une succession sera ainsi limité à dix ans, contre trente aujourd’hui.

En outre, le texte autorise les héritiers les plus diligents à imposer aux autres de se prononcer officiellement sur leur position : dorénavant, quatre mois après la survenance d’un décès, une sommation pourra être délivrée à un héritier pour savoir s’il accepte ou refuse la succession. Passé un délai d’un mois, l’héritier silencieux sera réputé avoir accepté la succession.

Le projet de loi permet également aux héritiers d’accomplir certains actes de gestion courante, tels que le règlement de loyers ou de frais d’obsèques, sans prendre le risque de supporter personnellement tout ou partie du passif de la succession. Cela sera vrai tant en cas d’acceptation pure et simple de la succession, qu’en cas d’acceptation à concurrence de l’actif, nouveau nom de l’acceptation sous bénéfice d’inventaire. Le projet de loi prend également en compte l’entreprise, en permettant aux héritiers d’effectuer les opérations courantes nécessaires à la poursuite immédiate de l’activité.

Ce dispositif devrait accélérer le règlement des successions. En effet, auparavant, 1es héritiers, soucieux de ne pas être considérés comme héritiers acceptants, étaient fréquemment conduits à se désintéresser de la succession. Grâce à la réforme, la crainte de devoir supporter le poids d’une succession déficitaire, qui est aujourd’hui un facteur de retard du règlement des successions, devrait disparaître.

Par souci de sécuriser l’option des héritiers, le projet de loi prévoit enfin d’accorder à un héritier ayant accepté la succession d’être déchargé d’une dette qu’il avait de justes raisons d’ignorer lors du règlement de la succession, lorsque le paiement de cette dette risquerait d’obérer gravement son patrimoine personnel.

Par ailleurs, sans pour autant remanier en profondeur les règles de l’indivision, le projet de loi facilite sa gestion en supprimant le recours systématique à l’unanimité. Les règles actuelles de l’indivision sont lourdes dans la mesure où elles requièrent le consentement de tous les indivisaires. Or la règle de l’unanimité conduit souvent à une mauvaise gestion des biens ou au recours au juge pour passer outre l’inertie d’un indivisaire négligent, défaillant ou récalcitrant.

C’est pourquoi le projet de loi autorise la prise de décision à la majorité des deux tiers dans le cas des actes de gestion les plus urgents, notamment le règlement des dettes. Seules les opérations plus lourdes de conséquences, telles que la vente d’un bien immobilier, nécessiteront toujours l’unanimité.

Enfin, la réforme prévoit plusieurs mesures destinées à favoriser le partage amiable et à éviter de recourir à un partage judiciaire.

En 1804, les rédacteurs du code civil ont consacré un principe d’égalité en nature dans le partage. Dans les faits, lorsque le partage est impossible et que les héritiers ne trouvent pas d’accord, la vente des biens est souvent inévitable. C’est pourquoi le projet de loi prévoit de remplacer cette égalité en nature par une égalité en valeur, afin de faciliter les opérations préalables au partage.

Par ailleurs, à ce jour, faute d’accord unanime sur tous les points, les copartageants n’ont d’autre solution que de s’en remettre aux tribunaux. À compter de la réforme, le partage amiable sera possible en présence d’un héritier défaillant : le juge pourra désigner, à la demande des autres héritiers, une personne qualifiée pour le représenter. Les modalités de mise en vente du patrimoine de la succession s’en trouveront ainsi allégées, le juge n’intervenant que pour nommer le représentant et non pour contrôler la validité des opérations de partage.

Dans le même ordre d’idée, le projet de loi s’efforce de limiter la remise en cause complète du partage : le texte met en place une procédure de partage complémentaire, permettant de réparer d’éventuels préjudices subis par un héritier, sans pour autant devoir procéder à l’annulation du partage déjà établi.

Enfin, le projet de loi accorde une attention particulière à la continuité des entreprises. En effet, chaque année, près de 10 000 entreprises disparaissent en raison des difficultés liées à la succession de l’entrepreneur décédé, et l’on estime à 450 000 le nombre d’entreprises qui devraient être transmises suite au décès de leur dirigeant dans les dix ans à venir.

C’est pourquoi le projet de loi permet aux héritiers d’effectuer immédiatement les actes nécessaires à la poursuite de l’activité, ouvre le maintien de l’indivision à tout type d’entreprise, et autorise l’attribution préférentielle à l’héritier le plus compétent, afin d’éviter l’éclatement de l’entreprise.

Le deuxième volet de la réforme, qui regroupe les dispositions relatives aux libéralités, revêt un caractère particulièrement novateur parce qu’il privilégie la liberté individuelle en matière de transmission du patrimoine : la loi confère davantage de liberté à nos concitoyens pour organiser leur succession de leur vivant.

Le principe d’égalité entre les enfants et l’ordre de détermination des héritiers sont maintenus. Toutefois, dans un souci de transmission efficace du patrimoine, la réforme autorise les «pactes successoraux».

Traditionnellement interdits en droit français, de véritables pactes sur successions futures pourront désormais être conclus. Le projet de loi prévoit en effet la faculté d’aménager pour l’avenir, dans le cadre d’un pacte de famille, les conditions d’application des droits réservataires de chacun.

Par exemple, un enfant pourra décider, par avance, et du vivant de ses parents, de renoncer à tout ou partie de la succession future, dans le cadre d’une négociation générale. Cette renonciation pourra conduire à priver l’héritier réservataire de la totalité de sa part de réserve, ou d’une quotité. La loi autorisera également un héritier à renoncer par avance à contester une libéralité faite à l’un de ses frères ou sœurs, libéralité pouvant porter sur un bien déterminé, un bien immobilier par exemple. En pratique, ce dispositif sera particulièrement utile dans le cas des familles de personnes handicapées.

La souplesse qu’ouvre ce dispositif sera toutefois très encadrée au plan juridique : le pacte successoral devra être reçu devant notaire, afin de s’assurer de la réalité du consentement de l’héritier.

Autre disposition particulièrement novatrice, la réforme étend le domaine des donations-partages. Actuellement, donations et testaments-partages sont limités aux seuls descendants. Le projet de loi ouvre donc la voie aux donations-partages trans-générationnelles et aux donations effectuées au sein de familles recomposées.

L’évolution démographique de notre pays, qui se caractérise par le vieillissement de sa population, reporte l’âge auquel nos compatriotes héritent de leurs ascendants : cinquante-deux ans aujourd’hui. C’est pourquoi le projet de loi autorise les donations-partages transgénérationnelles, qui permettront à un enfant de renoncer à un héritage ou à une donation, en faveur de ses propres descendants.

Par ailleurs, le développement des familles recomposées nécessite une adaptation des règles des donations-partages. L’objectif de la réforme est donc de clarifier la situation en permettant à des enfants issus d’unions différentes de participer à une même donation-partage pour y recevoir, de leur parent uniquement, des biens personnels ou communs.

Enfin, la loi autorise une personne sans descendants à distribuer et à partager, de son vivant, l’ensemble de ses biens entre ses frères et sœurs ou neveux et nièces, qui sont ses héritiers présomptifs. Auparavant, ces héritiers ne pouvaient faire l’objet que de donations isolées. L’ouverture de la donation-partage aux autres héritiers que les descendants devrait permettre de faire de ce mécanisme un outil généralisé du règlement anticipé des successions.

Un autre outil susceptible de faciliter la gestion du patrimoine successoral est constitué par le recours au mandat : il permettra en effet de pallier les difficultés rencontrées en présence d’héritiers négligents ou incapables de faire valoir leurs droits. Outre le mandat conventionnel, qui préexiste au texte, et le mandat judiciaire, limité aux situations litigieuses, le projet de loi introduit le « mandat posthume », qui constitue une véritable nouveauté dans notre tradition juridique.

De son vivant, une personne pourra désigner un mandataire en le chargeant à son décès de gérer tout ou partie de sa succession, en lieu et place de ses propres héritiers. Le recours à un tiers pour effectuer la gestion sera envisagé dans deux situations particulières : lorsque les héritiers n’auront pas la capacité de gérer eux-mêmes la succession − enfants mineurs ou handicapés −, ou lorsque la succession requerra des compétences particulières, comme dans le cas de la gestion d’une entreprise.

Toutefois, le mandat posthume ne conduira pas à l’introduction d’une véritable fiducie successorale en droit français, car le mandataire n’aura ni la propriété des biens qui lui seront confiés ni le pouvoir d’en disposer.

Enfin, la loi consacre la jurisprudence relative au legs résiduel, disposition testamentaire permettant à une personne de léguer ses biens à un premier légataire ayant l’obligation de remettre, à son décès, les biens restants à un second bénéficiaire désigné, sans être tenu par l’obligation de conserver les biens. Ce mécanisme des libéralités résiduelles constituera un moyen de transmission efficace, notamment pour les familles des personnes handicapées : soucieux d’assurer à un enfant handicapé des conditions d’existence satisfaisantes après leur disparition, des parents pourront choisir de l’avantager, avec l’accord de leurs autres enfants, pour que le capital transmis lui garantisse une certaine sécurité matérielle. Ce qui subsistera du bien légué à l’enfant handicapé reviendra, après son décès, aux autres enfants, comme s’ils l’avaient reçu en droite ligne de leurs parents.

Enfin, pour compléter le dispositif, la commission des lois a adopté plusieurs amendements préconisés par la mission sur la famille et les droits des enfants concernant les ajustements au régime successoral du partenaire survivant d’un pacs. Le groupe de l’UMP les soutiendra.

Donner davantage de liberté aux personnes pour organiser leur succession ; faciliter la gestion du patrimoine successoral en sécurisant la période séparant le décès du partage ; accélérer et simplifier le règlement des successions en réformant la procédure de partage, mieux appréhender ainsi les évolutions sociétales, tels sont les principaux objectifs auxquels répond ce volumineux et complexe projet de loi.

Tous les foyers sont un jour confrontés à l’épreuve du deuil. Outre la douleur que provoque la perte d’un être proche, le règlement patrimonial de la succession peut être source de difficultés et de tensions. Préparée en concertation avec les professionnels, la réforme qui nous est proposée aujourd’hui ouvre la voie à des successions plus rapides, grâce à la simplification des démarches effectuées par les héritiers. Elle confère également davantage de liberté aux personnes pour organiser leur succession de leur vivant, et s’adapte à la diversité des situations familiales qui caractérisent notre société. À ce titre, il s’agit d’une réforme de grande ampleur, qui marquera notre droit par son caractère à la fois équilibré et novateur.

Voilà pourquoi, mes chers collègues, le groupe de l’UMP votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi portant réforme des successions et des libéralités est l’aboutissement d’une histoire singulière qui a permis à certains d’évoquer un projet serpent de mer et à d’autres l’Arlésienne de notre droit civil.

Il est vrai que certaines dispositions de ce projet auraient mérité d’entrer dans le droit positif avant 2006. Toutefois cela ne justifie pas qu’on réécrive l’histoire pour donner à ce texte une importance qu’on jugera usurpée si on le compare notamment à la loi du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins.

En matière de succession, deux questions sont majeures : l’ordre successoral et la fiscalité. C’est en effet au travers des réponses politiques apportées à ces deux questions que se révèlent de véritables choix de société.

Ainsi, lorsque nous avons déposé une proposition de loi dont l’objectif essentiel était d’améliorer le droit des conjoints survivants en les plaçant dans l’ordre successoral avant les frères et sœurs et en leur garantissant un droit viager au logement, nous engagions, avec le groupe socialiste, un débat sur la nature même du lien familial et sur notre volonté de privilégier, dans l’ordre successoral, le lien de l’affection et non plus le lien du sang.

Si, en 2001, notre assemblée fit à cette proposition un accueil plutôt consensuel, le Sénat fut plus nuancé et de vieilles préoccupations relatives au maintien de l’unité de la propriété foncière s’exprimèrent plus ou moins franchement. Heureusement, le rapporteur du Sénat ne s’était pas inscrit dans cette démarche.

Je tenais à rappeler le contexte et les circonstances particulières qui, pour une proposition de loi comportant dix articles, amenèrent le Sénat à proposer, par voie d’amendement, la modification de 250 articles du code civil relatifs au droit des successions. C’était probablement une manière feutrée et assez élaborée d’enterrer une réforme que l’on n’osait pas combattre frontalement.

Ce fut pourtant une réforme essentielle. Ainsi, en présence d’enfants, le conjoint survivant qui, jusqu’en 2001, ne recueillait qu’un quart en usufruit obtenait désormais un quart en pleine propriété ou la totalité en usufruit en présence uniquement d’enfants communs.

En présence des père et mère du défunt, le conjoint survivant qui n’avait précédemment que la moitié en usufruit, recueillait, à partir de cette loi, la moitié en pleine propriété et même les trois quarts en pleine propriété en présence d’un seul des père et mère du défunt.

En présence des seuls frères et sœurs du défunt, le conjoint survivant recueillait désormais la totalité de la succession, à l’exception des biens de famille partagés par moitié avec les collatéraux privilégiés.

Enfin, cette loi apportait la sécurité des conditions de vie au conjoint survivant par la création d’un droit viager d’habitation et d’usage sur l’habitation principale.

Je rappelle ces dispositions essentielles de la loi de 2001 que vous osez qualifier de réforme inachevée dans votre rapport.

M. Francis Delattre. Il y a des chefs-d’œuvre inachevés !

M. Alain Vidalies. Permettez-moi de penser, avec beaucoup de commentateurs, que, quel que soit l’intérêt des dispositions du présent projet de loi, nous ne sommes pas dans la même échelle de valeurs.

Votre projet de loi ne traite ni de l’ordre successoral ni de la fiscalité qui auraient pourtant permis de sortir de la subtilité du droit notarial pour aborder la réalité des inégalités de patrimoine dans notre pays.

Ainsi, si l’on reprend les travaux de M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, on relève qu’une succession sur deux est d’un montant inférieur à 55 000 euros, mais que 10 % des successions dépassent les 550 000 euros.

Or, dans le budget pour 2005, vous avez à nouveau abaissé les droits de succession, mais pour seulement 20 % des ménages les plus aisés et pour un coût de 600 millions d’euros, équivalents à une baisse d’un point du barème de l’impôt sur le revenu.

Vous avez poursuivi votre politique toujours au service des mêmes dans le budget de 2006 avec de nouveaux abattements et une réduction du délai entre deux donations en franchise de droit. Faut-il rappeler que, en France, en 2006, la moitié des ménages les plus pauvres ne détiennent que 10 % du patrimoine total, alors que les 10 % les plus riches en détiennent 50 % ?

Votre projet ne parle ni de l’ordre successoral ni de la fiscalité, mais, au surplus, il oublie aussi, pour l’essentiel, de traiter de l’assurance-vie. Or cette spécificité bien française est une question majeure puisqu’elle figure dans le patrimoine de 59 % des ménages, soit avant même la résidence principale.

Selon la fédération française des sociétés d’assurances, l’encours des contrats d’assurance en cas de vie s’élevait à 837 milliards d’euros à la fin de 2004. Vous n’avez même pas accepté notre amendement de création d’un fichier national des assurances sur la vie…

M. Sébastien Huyghe, rapporteur. J’en ai déposé un !

M. Alain Vidalies. …accessible uniquement aux fins de connaître l’existence de toute assurance sur la vie après l’ouverture de la succession du défunt qui l’avait souscrite. Or de nombreuses assurances souscrites sont conservées par les sociétés d’assurances qui ne sont pas informées du décès de l’intéressé.

L’accord de méthode intervenu le 25 juin 2002 entre les notaires et les assureurs n’a rien réglé et seule la création de ce fichier national permettrait le respect des droits de chacun et, d’abord, de la volonté du défunt.

Il n’est pas non plus question dans votre texte des conséquences prévisibles du livret vert sur les successions transnationales adopté par la Commission européenne.

Nous avons bien noté que le rapporteur avait eu la sagesse de ne pas prendre d’initiatives en la matière. Nous le soutenons sur ce point, car chacun comprendra que l’adoption anticipée de la règle de l’unicité de la loi applicable permettrait une nouvelle fois d’encourager le dumping fiscal au bénéfice des patrimoines les plus importants.

Votre projet de loi ignore ces questions majeures et, au surplus, n’est pas, contrairement à ce qui a été dit, unanimement reçu par les spécialistes. Dans un article récent publié dans le Répertoire du notariat Defrénois, M. Philippe Malaurie, professeur émérite à l’université de Paris, écrit : « Le projet actuel a été préparé dans le secret, écartant pour des raisons mystérieuses la transparence que la rédaction de ces textes majeurs appelle pourtant. Rien sur les débats, les aspirations et les objectifs, sauf un discret exposé des motifs. Il a, pour l’essentiel, délibérément mis de côté beaucoup des suggestions de “l’offre de loi”, peut-être parce que le notariat, principal intéressé, n’avait pas été associé à l’élaboration de ce texte. A été ainsi abandonné l’idée d’une réécriture et d’une refonte rationnelle de l’ensemble, le projet se cantonnant à un assemblage composite d’une pluralité de réformes techniques et fragmentaires ; pour fragmentaires et composites qu’elles soient, elles sont néanmoins d’une grande cohérence. »

M. Francis Delattre. Il n’a pas l’air très cohérent, le professeur ! C’est un original !

M. Alain Vidalies. Notez bien que ce n’est pas nous qui avons formulé ce diagnostic, qui paraît assez effroyable. Cette appréciation, due à l’un des meilleurs spécialistes français du droit des successions, a au moins le mérite de ramener ce texte à sa juste mesure, au-delà de l’enthousiasme forcé du rapporteur et du ministre.

M. Sébastien Huyghe, rapporteur. Pas forcé du tout !

M. Alain Vidalies. Votre projet est utile dans la mesure où il répond à l’évolution, notamment démographique, de notre population. Il a surtout pour vocation de mettre fin à des procédures dont la longueur n’a d’égal que la complexité.

Ainsi, nous approuvons le principe de la réserve héréditaire en valeur qui permettra aux bénéficiaires d’une libéralité excessive de conserver le bien donné à charge de verser une indemnité à la succession.

La création d’un pacte successoral offrira davantage de libertés dans la répartition des biens et répondra au besoin de sécurité des familles, notamment lorsqu’un enfant handicapé comptera parmi les héritiers.

L’extension du champ d’application de la donation-partage à tous les héritiers présomptifs et son élargissement aux donations-partages transgénérationnelles répondent aussi à la nécessité de modernisation et d’adaptation de notre droit.

Nous approuvons également les dispositions de nature à permettre la simplification et l’accélération du règlement des successions.

La création du mandat posthume, qui permet au défunt de désigner de son vivant un mandataire chargé d’administrer tout ou partie du patrimoine transmis, est une bonne initiative, même s’il est à craindre que la formule retenue dans le projet de loi − à savoir « un intérêt sérieux et légitime au regard, soit du patrimoine transmis, soit de la personne de l’héritier » − n’entraîne un contentieux chaque fois qu’un héritier s’estimera lésé.

Sur le plan pratique, l’assouplissement des règles de gestion de l’indivision et l’abandon de la règle de l’unanimité au profit de la majorité qualifiée des deux tiers applicable aux seuls actes d’administration méritent aussi d’être approuvées.

Pour le groupe socialiste, à ce stade du débat, il subsiste des réserves sur quelques choix techniques, deux oppositions de fond sur le droit du conjoint survivant et sur le pacs, et quelques interrogations visant les sujets non traités ou les amendements du rapporteur.

Concernant nos réserves sur les choix retenus dans le projet de loi, j’ai déjà évoqué le risque de contentieux ouvert par la formule de « l’intérêt sérieux et légitime au regard soit de la personne de l’héritier, soit du patrimoine successoral », qui constitue à l’évidence un « nid à procès », pour reprendre la formule du professeur Malaurie.

Notre réserve principale, d’ordre technique, porte sur le choix de déclarer acceptant pur et simple l’héritier taisant qui, même après avoir reçu sommation de prendre partie, reste silencieux. S’il s’agit bien de simplifier et d’accélérer les règlements successoraux, c’est manifestement le choix inverse qui s’imposait, à savoir que l’héritier taisant soit déclaré renonçant.

Chacun en est bien conscient, la principale difficulté que rencontrent les praticiens réside dans l’inertie d’un héritier qui ne répond à aucun courrier, à aucune sommation, et ne se présente à aucune procédure. Si le tribunal peut passer outre et si le projet de loi prévoit un mécanisme de représentation, la mise en œuvre de ces principes nécessitera de nouvelles procédures. Dès lors, pourquoi retenir que le silence ou l’inertie d’un héritier vaut acceptation ? Chacun a le droit de se désintéresser d’une succession, d’ignorer les procédures en cours, mais pourquoi ce droit au désintérêt ou à l’inertie entraînerait-il des complications pour les cohéritiers ?

La réponse apportée par le nouvel article 772, alinéa 2, reste d’autant incompréhensible que c’est la solution inverse que retenait aussi la proposition de loi déposée au Sénat par MM. About et Hyest. En conséquence, nous avons déposé un amendement visant à inverser la logique de cet article 772, alinéa 2, en déclarant renonçant l’héritier taisant.

Après ces réserves d’ordre technique, je ferai état de deux oppositions de fond qui concernent la modification des droits du conjoint survivant et les droits issus du pacs.

À propos du conjoint survivant, nous avons eu la surprise de découvrir dans l’article 21 du projet de loi un nouvel article 1094-2 ainsi rédigé : « Pour le cas où l’époux laisserait un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux ou les descendants de ces enfants, il pourra disposer en faveur de l’autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger, soit d’un quart de ses biens en propriété et d’un autre quart en usufruit, soit encore de la moitié de ses biens en usufruit seulement. »

II faut bien comprendre que ce texte réduit le champ des libéralités pour les veuves ou les veufs en présence d’enfants non communs : dans cette circonstance, le de cujus ne pourra ajouter par donation ou testament qu’un quart en usufruit au lieu des trois quarts aujourd’hui. Cette réduction considérable des droits du conjoint survivant en présence d’enfants non communs est proprement stupéfiante, et le Gouvernement n’a en rien expliqué cet aspect du projet de loi.

Le rapport est, en revanche, révélateur. Je le cite : « Divers interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur ont souligné l’importance des problèmes qui peuvent, dans de tels cas, résulter de l’application de l’actuel article 1094-1 du code civil : à titre d’exemple, l’attribution, à un conjoint beaucoup plus jeune, d’un usufruit grevant la totalité des biens du défunt, peut, de fait, revenir à priver des enfants plus âgés, pendant toute leur vie, de leurs droits réservataires ». Et voilà comment ressurgit le mythe du mariage tardif avec la jeune infirmière, scénario préféré des opposants au droit du conjoint survivant ! (Sourires.) C’est un débat de fond sur le mariage et la famille qui est ainsi rouvert, entre ceux qui restent attachés au lien du sang et ceux qui choisissent d’abord le lien de l’affection. Tels étaient déjà les termes du débat avant la loi de 2001.

Il est pour nous inacceptable que cette évolution majeure soit quasi clandestinement remise en cause, même partiellement. Nous avons, en conséquence, déposé un amendement de suppression auquel, vous l’aurez compris, nous attachons une importance particulière.

Notre seconde opposition de fond porte sur le pacs et, notamment, sur l’impossibilité dans laquelle vous nous mettez, de reprendre l’ensemble des propositions issues de la mission d’information sur la famille et les droits des enfants, au premier rang desquelles la reconnaissance du droit viager au logement.

Vous ne pouvez pas à la fois vous opposer à la reconnaissance du mariage de personnes de même sexe – au risque de nous placer une nouvelle fois à la traîne en Europe – et refuser à ces couples, à qui vous interdisez le mariage, le droit à la sécurité à propos de leurs conditions de vie.

J’évoquerai, pour finir, quelques interrogations.

Concernant d’abord la modification des procédures qui relèvent du règlement, le Gouvernement doit nous donner des informations tant sur sa teneur que sur son calendrier.

Je m’interroge aussi sur les conséquences de la déjudiciarisation de la procédure de changement de régime matrimonial, prévue par un amendement du rapporteur, alors que la garantie du contrôle du juge paraît essentielle et qu’au surplus, cette initiative risque de déclencher des oppositions sévères – et je pèse mes mots – parmi les professionnels du droit.

Il serait également souhaitable que le Gouvernement s’exprime sur la règle de l’unicité, envisagée dans le Livre vert de la Commission européenne et sur laquelle j’ai déjà exprimé nos inquiétudes.

En définitive, le groupe socialiste attend les réponses de la majorité et du Gouvernement aux critiques formulées sur les mesures concernant le conjoint survivant et le pacs. En l’absence d’évolutions majeures sur ces deux questions, nous voterons contre le texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Aurillac.

Mme Martine Aurillac. Lequel d’entre nous, autour de lui ou à sa permanence, n’a pas rencontré un héritier, déjà dans la peine, exaspéré par les formalités ésotériques qu’entraîne le plus modeste héritage : acte de notoriété, acceptation avec ou sans bénéfice d’inventaire, envoi en possession, paiement des dettes de la succession, le tout pimenté de contentieux pour peu que les cohéritiers ne s’entendent pas entre eux, sans parler de l’indivision interminable ou des conséquences du décès du chef d’une entreprise artisanale ? Rien de surprenant si l’on veut bien se rappeler que, pour l’essentiel, ce droit remonte au code civil de 1804.

Cette réforme, monsieur le garde des sceaux, vient donc à propos et répond manifestement à un besoin. À des problèmes techniques, elle apporte des solutions techniques que vous avez, comme notre rapporteur, largement détaillées. Aussi, je bornerai mon propos à cinq points essentiels du projet de loi, qui répondent à certaines préoccupations de nos concitoyens et qui seront donc particulièrement appréciés.

Le premier a trait à l’acceptation de la succession, qui est humanisée et simplifiée. L’acceptation à concurrence de l’actif n’engage plus sur les dettes de l’ensemble du patrimoine, mais seulement dans les limites de l’actif net, toutes dettes de la succession déduites, y compris les dettes fiscales qui ne sont plus transmissibles à l’héritier, si j’ai bien compris – ce que je vous serais obligée, monsieur le garde des sceaux, de bien vouloir confirmer. Quant à l’acceptation pure et simple, elle ne peut être tacite que sous des conditions précises, que la loi énumère.

Le deuxième point est relatif à l’indivision, source de bien des tensions en raison de l’obligation d’unanimité, qui est rendue plus gérable grâce à la nouvelle règle de la majorité des indivisaires et au droit donné à chacun d’engager l’indivision dans des dépenses urgentes pour la sauvegarde du bien, par exemple en cas de dégât des eaux.

Le troisième point fort de la réforme consiste à ébranler un principe ancien de notre droit, l’interdiction de tout pacte sur succession future. Cette règle archaïque, abandonnée à l’étranger, même dans des droits proches du nôtre, est en fait tournée par la donation entre vifs, mais celle-ci ne résout pas tout.

Dans des conditions bien encadrées, le pacte sur succession future devient possible sous le nom de « pacte successoral », aux termes duquel un héritier réservataire – en pratique, un enfant – pourra renoncer, par anticipation et avec l’accord de celui dont il doit hériter, à exercer son action en réduction d’une libéralité portant atteinte à sa réserve, jusqu’à présent intangible. Cette possibilité permettra d’avantager un enfant handicapé, un conjoint survivant ou de viser une libéralité faite sur un bien immobilier, par exemple la maison de famille.

Le quatrième point porte sur les entreprises artisanales, industrielles, commerciales et libérales, auxquelles est étendue une disposition connue du code rural, destinée à éviter le démembrement. La loi permet l’attribution préférentielle de toute entreprise, quelle que soit la nature de son activité, au copartageant jugé le plus apte à la gérer.

Enfin, notre commission a heureusement introduit plusieurs amendements pour tenir compte, dans son aspect patrimonial, de cette réalité de plus en plus tangible que sont les familles recomposées. De même, je remercie le Gouvernement d’avoir déposé plusieurs amendements relatifs au régime successoral du partenaire d’un pacs – publicité, régime patrimonial, droits du survivant en matière de logement –, toutes mesures recommandées par notre mission sur la famille. Je ne puis que me réjouir, en tant que l’un de ses membres, de cette bonne coordination entre le Parlement et le Gouvernement.

J’aurais voulu conclure en complimentant les auteurs du texte pour leur souci de simplification. Certes, des décrets d’application viendront certainement apporter d’autres précisions. Mais pour l’avoir fait lire à des administrés qui ne sont ni professeurs de droit ni avocats, je n’ai pas eu l’impression qu’il avait été totalement compris.

L’aspect technique, et c’est bien naturel, tend parfois à masquer les idées simples et généralement partagées. Il y aura toujours des chicaneurs et des héritiers peu scrupuleux, et il y faut des parades. À ce titre, le texte insiste sur le rôle irremplaçable des hommes de l’art, notamment des notaires : leurs responsabilités sont renforcées et clarifiées, pour une plus grande sécurité des héritages et la paix des familles.

La paix des familles endeuillées, n’est-ce pas, finalement, la plus belle ambition de ce projet de loi, que je voterai, bien sûr, très volontiers ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Monsieur le garde des sceaux, vous venez de nous livrer les dernières statistiques relatives au pacs, celles de l’année 2005. Nous apprenons ainsi que, l’année dernière, 60 000 pacs ont été signés contre 40 000 en 2004, soit une augmentation de 50 %. Ce sont donc 400 000 pacs qui, à l’heure où nous abordons la discussion de ce projet de loi, ont été conclus depuis la mise en œuvre de la loi du 15 novembre 1999. Le constat est clair : six ans après sa création, le pacs est entré dans les mœurs.

Les Français se le sont d’autant plus approprié qu’il répondait à une demande sociale. Il représente un élément de liberté de choix, dont usent un nombre croissant de nos concitoyens pour organiser leur vie commune. En cela, le pacs est, moins que jamais, un mariage bis ou un sous-mariage.

Dès lors, il est dommage que la majorité d’aujourd’hui qui, hier dans l’opposition, l’avait combattu avec tant de hargne et de violences verbales – même si ses acteurs les plus en pointe de l’époque ne sont pas présents ce soir – ne lui trouve quelque vertu que pour rejeter la revendication du mariage homosexuel qui a émergé dans notre pays au printemps 2004.

Ni repentance ni amende honorable – mais peut-être était-ce trop demander de votre part : telle est donc votre attitude à l’égard d’une loi qui a fait tomber le tabou de l’homosexualité en France et a supprimé une discrimination, devenue de plus en plus insupportable, en inscrivant le couple homosexuel dans le code civil.

Mais plus encore que cela, le texte d’origine parlementaire qui créait le pacs ouvrait indifféremment ce nouveau contrat de vie commune à tous les couples, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels. Ce réflexe républicain de refus de toute dérive communautariste qui nous animait alors avait été vécu comme une provocation par les tenants de l’ordre hétérosexuel dominant, lesquels, dans leur opposition souvent haineuse au pacs, jugeaient finalement moins subversif que celui-ci ne serve qu’à donner un statut spécifique aux couples homosexuels.

M. Alain Vidalies. Très juste !

M. Patrick Bloche. Avec le temps cependant, les couples hétérosexuels, en venant gonfler les statistiques du pacs, leur ont donné tort. C’est une fierté que peuvent ressentir tous ceux qui, à l’époque, ont porté cette grande réforme de la gauche.

En faisant référence au nombre croissant de couples hétérosexuels qui font le choix du pacs, je ne fais que me fonder sur de simples constats et analyses empiriques, qui font le désespoir des démographes et des statisticiens. Pourtant, depuis la loi d’août 2004 portant, à l’heure d’Internet, réforme de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, nous devrions être en mesure de savoir qui sont les pacsés, tout en préservant naturellement la confidentialité de leur identité. Or, deux gouvernements successifs n’ont tout simplement pas appliqué la loi.

Je me suis donc permis, en qualité de président de la mission d’information sur la famille et les droits des enfants, d’écrire à ce sujet à M. Perben, au début de l’année 2005, puis, plus récemment, à son successeur, c’est-à-dire à vous-même, monsieur le garde des sceaux. Or nous ne disposons toujours pas de données chiffrées.

Sans vouloir faire de procès d’intention, nous pourrions, le temps passant, être conduits à penser que la chancellerie fait preuve de mauvaise volonté, voire persiste dans sa défiance d’origine à l’égard du pacs.

Devant ce refus opposé depuis un an et demi à une simple demande statistique, une question plus essentielle se pose : la majorité actuelle assume-t-elle vraiment le pacs, plus de six ans après le vote de la loi de 1999 ? N’est-elle pas tout simplement opportuniste – je pose la question sans intention polémique – à l’heure où des sociétés européennes ou nord-américaines, qui ressemblent furieusement à la nôtre, sont de plus en plus nombreuses à ouvrir le mariage aux couples de même sexe ?

La France, pionnière en 1998-1999 avec le pacs, est aujourd’hui à la traîne sur le chemin de l’égalité des droits. Les personnes homosexuelles, sans vouloir toutes se marier – loin s’en faut – souhaitent que tombe enfin une interdiction qui tend à devenir une exception française. N’est-il pas temps, dans la patrie des droits de l’homme, que les couples de même sexe bénéficient de la même liberté de choix que les autres couples pour organiser leur vie commune, entre mariage, pacs et concubinage ? L’amélioration du pacs apparaît dès lors comme une mauvaise réponse apportée à cette revendication légitime.

La majorité n’assume pas ses choix : j’en veux pour preuve le refus surprenant de toute communication et l’absence criante de visibilité donnée à la réforme du pacs, réalisée par petits bouts, alors qu’un projet de loi spécifique avait été annoncé à plusieurs reprises – au point de mettre en émoi la rapporteure de la mission d’information sur la famille et les droits des enfants à quelques semaines de la remise de son rapport.

À l’automne 2004, c’est M. Sarkozy, alors ministre de l’économie et des finances, qui avait ouvert le feu, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2005, en faisant tomber le délai de trois ans nécessaire au bénéfice de l’imposition commune pour les couples pacsés. J’avais alors tenu à souligner la suspicion que la droite continuait à entretenir à l’égard du pacs : le code général des impôts, ainsi modifié, prévoit en effet que le retour à l’imposition séparée se fait automatiquement lorsque le pacs est dissous l’année de sa signature, mais aussi lorsqu’il l’est l’année suivante. Aujourd’hui, par la voie – très discrète, avouons-le – d’amendements au projet de loi portant réforme des successions et des libéralités, déposés le matin même de la réunion de la commission des lois, c’est le code civil qui est concerné.

Le groupe socialiste considère néanmoins que les modifications proposées par le Gouvernement vont dans le bon sens. Elles sont inspirées par les rapports du groupe de travail mis en place par M. Perben, par les conclusions de la mission d’information sur la famille et les droits des enfants, rendues publiques fin janvier, et peut-être par des propositions plus anciennes, puisque, par exemple, l’inscription du pacs en marge de l’acte de naissance de chacun des partenaires est une suggestion que nous avions faite, Jean-Pierre Michel et moi-même, en novembre 2001, lors d’un bilan de l’application de la loi instaurant le pacte civil de solidarité. J’avais d’ailleurs obtenu sur ce point, en 2004, un vote positif de la commission des lois de l’Assemblée nationale et même de celle du Sénat, ce qui constitue un exploit. Toutefois, le Gouvernement avait alors jugé nécessaire d’attendre. Nous aurons donc attendu près de deux ans.

En ce qui concerne la modification du régime des biens, et sans revenir sur l’histoire du pacs, je rappelle que Jean-Pierre Michel et moi-même avions souhaité dès le départ que celui-ci se fonde sur la séparation de biens. C’est en raison de la pression parlementaire et de la pétition des maires que le gouvernement d’alors, celui de Lionel Jospin, avait fait le choix de la dématrimonialisation du pacs, nous imposant, à nous, co-auteurs et rapporteurs de la proposition de loi, le régime de l’indivision, décrié depuis, et qui, il est vrai, pose quelques problèmes en cas de dissolution.

Par ailleurs, il est bon d’augmenter les protections pour le partenaire survivant d’un pacs, ce qui est d’ailleurs une façon de revenir à la genèse de l’institution. En effet, c’est malheureusement la pandémie du sida qui avait suscité, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, la revendication d’une reconnaissance du couple homosexuel, dans le but de permettre la transmission du droit au bail ou le bénéfice de la protection sociale pour le conjoint. De ce fait, nous approuvons bien évidemment le fait que le partenaire survivant puisse bénéficier pendant un an d’un droit temporaire de jouissance du logement commun et de l’attribution préférentielle du logement lorsqu’il existe une disposition testamentaire en ce sens.

Toutefois, nous espérons vivement que la discussion parlementaire permettra d’aller plus loin. J’appelle dès maintenant votre attention sur certains de nos amendements auxquels nous tenons beaucoup. On a souvent dit, à juste titre, que le pacs n’était pas un testament – cela restera d’ailleurs le cas après l’adoption du projet de loi. Faute de testament, les partenaires pacsés ne peuvent pas hériter l’un de l’autre, ni bénéficier du droit au maintien dans le logement ou du droit d’attribution préférentielle de la propriété de celui-ci. Nous proposons donc, par un sous-amendement à l’amendement n° 16 du Gouvernement, de permettre aux partenaires de désigner, dans la convention passée entre eux, le survivant comme légataire.

Cette proposition rejoint la préoccupation du rapporteur, dont un amendement à l’article 12 vise à supprimer la réserve dont disposent aujourd’hui les ascendants du défunt, qui sont de toute façon protégés par l’obligation alimentaire. Une telle disposition me paraît correspondre parfaitement à la situation de nombreux couples pacsés.

La demande est forte pour permettre au partenaire survivant d’un pacs de bénéficier d’un droit viager sur le logement et d’un droit d’usage sur son mobilier, à condition, bien sûr, que le défunt l’ait prévu dans son testament. Cette proposition a recueilli l’unanimité au sein de la mission d’information sur la famille et les droits des enfants, bien représentée ce soir par Martine Aurillac, Michèle Tabarot et Sébastien Huygue – Valérie Pécresse, rapporteure de la mission, sera sans doute présente au moment de l’examen de l’article 22.

J’ai dit que la réforme du pacs était malheureusement présentée petit bout par petit bout, sans grande visibilité. On nous avait annoncé un grand projet de loi, mais celui-ci, nous l’avons compris, ne viendra jamais. Le groupe socialiste souhaite donc que l’examen du projet de loi de finances pour 2007 soit l’occasion de revoir la fiscalité des successions en ce qui concerne les couples pacsés. La mission d’information sur la famille et les droits des enfants a proposé de leur accorder l’abattement supplémentaire de 50 000 euros dont bénéficient aujourd’hui les couples mariés, ce qui réduirait le décrochage intervenu depuis le vote de la loi de novembre 1999. Nous souhaiterions également que les droits de succession du pacsé survivant soient au minimum – selon une suggestion de la rapporteure de la mission – alignés sur ceux des frères et sœurs, voire sur ceux des couples mariés. Il nous restera alors à modifier le code du travail, notamment pour faire bénéficier le pacsé survivant du droit à pension de réversion, comme le propose également la mission d’information.

Il faudra donc, monsieur le garde des sceaux, sans doute encore beaucoup d’audace pour aboutir à une vraie réforme du pacs, à la mesure du succès que les Français ont bien voulu lui accorder depuis six ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Émile Blessig.

M. Émile Blessig. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi intervient dans un contexte démographique et sociologique marqué par le vieillissement de la population et par une complexité croissante de la configuration des successions, en raison de l’augmentation du nombre de familles recomposées. Je souhaite pour ma part insister sur les apports du texte dans certaines situations particulières concernant des enfants handicapés ou des majeurs protégés. L’objectif est de donner plus de liberté dans l’organisation des successions et de mieux respecter la volonté de celui qui décide la transmission de son patrimoine, le tout dans l’intérêt de l’héritier protégé.

Plusieurs dispositions générales me paraissent constituer des avancées notables. Le principe d’une réserve héréditaire en valeur entraîne un partage gouverné par une égalité en valeur plutôt qu’en nature, tandis que l’assouplissement des règles de renonciation, l’autorisation, sous certaines conditions, des pactes successoraux et la représentation des héritiers renonçants reviennent à autoriser les donations transgénérationnelles, importantes pour les familles d’enfants handicapés.

À côté de ces principes généraux, je souhaite consacrer ma courte intervention à trois points plus précis.

Le premier concerne une mesure de simplification. Lorsqu’un partage de succession implique un incapable majeur, et que l’un des successibles est donc sous tutelle, le conseil de famille approuvera désormais seul l’état liquidatif, sans avoir à passer par un contrôle judiciaire ou une homologation du TGI.

Le deuxième point a trait à un droit nouveau. Un amendement du rapporteur donne à un majeur incapable la possibilité de tester avec l’accord du conseil de famille. Cette plus grande égalité de traitement me paraît une bonne chose, mais pourquoi imposer la forme authentique, alors que les successions concernées sont souvent modestes ? Le conseil de famille, je le rappelle, est présidé par un juge d’instance, ce qui semble offrir une garantie suffisante. J’ai donc déposé sur ce point un sous-amendement sur lequel nous aurons l’occasion de revenir au cours de la discussion des articles.

Troisième et dernier point : l’aménagement spécifique de la réserve héréditaire dans le cas particulier des enfants handicapés. Il s’agit d’autoriser les parents à transmettre à leur enfant handicapé tout ou partie de sa part de réserve en usufruit.

Cette disposition, dans le même esprit, complète la procédure de renonciation anticipée à l’action en réduction et permet de conclure, au sein des familles, une répartition des biens, dérogeant aux règles de la réserve héréditaire. Les héritiers peuvent ainsi renoncer à tout ou partie de leur réserve au profit d’un frère ou d’une sœur handicapée.

Autoriser l’enfant handicapé à percevoir sa part d’héritage en usufruit est, dans bien des cas, une solution simple, compréhensible par les parents comme par les frères et sœurs cohéritiers, de nature à garantir un toit ou un revenu à l’enfant handicapé jusqu’à la fin de ses jours, ce qui est la priorité des familles. Voilà qui illustre bien la notion de réserve héréditaire en valeur plutôt qu’en nature.

Selon le rapporteur, il serait possible d’aboutir au même résultat avec la technique des libéralités résiduelles ou graduelles. C’est certainement vrai et je lui fais confiance sur ce point, mais c’est un mécanisme beaucoup plus complexe. Or nous souhaitons des mesures simples, compréhensibles et d’application immédiate. Le recours à des mécanismes compliqués peut être parfois utile, mais pas dans la généralité des cas.

Cette mesure est attendue par les familles d’enfants handicapés. J’espère qu’elles seront entendues au cours de nos débats. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Béatrice Vernaudon, dernier orateur inscrit.

Mme Béatrice Vernaudon. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi présente plusieurs avantages pour la Polynésie française, notamment dans ses dispositions relatives à la gestion de l’indivision. Il est pour moi l’occasion de défendre plusieurs amendements, fruits de la réflexion de professionnels et des membres du Haut conseil de la Polynésie française, mis en place par le statut d’autonomie de février 2004.

Ces amendements tendent à adapter les dispositions du code civil au contexte local. L’indivision y est en effet généralisée et les trois quarts des actions réelles immobilières devant les tribunaux sont des demandes de partage judiciaire. La mise en état est rendue difficile par le nombre de cohéritiers à appeler dans la cause.

La plupart de mes amendements n’ont pas été retenus en commission parce que le Gouvernement ne souhaite pas créer de particularismes. Néanmoins, monsieur le garde des sceaux, vous conviendrez qu’il n’est plus possible aujourd’hui de ne pas doter la Polynésie des moyens juridiques adaptés pour améliorer sa situation foncière. Son développement en dépend tant la terre y est une denrée rare.

Aussi me paraît-il incontournable d’avoir recours aux dispositions de notre nouveau statut dont l’article 31 autorise les autorités polynésiennes à participer à l’exercice des compétences conservées par l’État dans les domaines législatif et réglementaire. Les successions et libéralités y sont expressément citées. L’Assemblée de la Polynésie française pourra proposer au ministère de l’outre-mer un projet de loi de pays dont le gouvernement central devra, par décret, accepter tout ou partie ou bien refuser les dispositions jugées nécessaires.

Je souhaiterais, monsieur le garde des sceaux, que vous me confirmiez que cette alternative est la bonne et que nous pourrons compter sur la collaboration de votre ministère pour mener à bien ce projet. Ce sera la première loi de pays dans le domaine des compétences partagées.

Je voudrais aussi rappeler qu’outre le code civil, d’autres outils indispensables au règlement de la question foncière en Polynésie attendent d’être mis en œuvre. Il s’agit du tribunal foncier et de l’aide juridictionnelle.

L’article 17 de la loi ordinaire complétant la loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française a institué un tribunal foncier en Polynésie. Cet article autorisait le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de nature législative relatives à l’organisation du tribunal, à son fonctionnement ainsi qu’au statut de ses assesseurs. Même si le délai imparti a été largement dépassé, votre ministère peut préparer cette ordonnance sur la base de l’article 74-1 de la Constitution. Les personnalités les plus qualifiées, dont les chefs de cour, ont travaillé sur cette question. Je salue leur démarche et m’associe à leurs recommandations.

Les six points sur lesquels l’unanimité a été possible vous ont été communiqués en mai 2005. Parmi eux, j’attire votre attention sur la nécessité d’octroyer au tribunal de Raiatea et à celui des Marquises le statut de sections détachées du tribunal foncier. Le recrutement des assesseurs du tribunal foncier devra être exigeant car ceux-ci auront voix délibérative et devront pouvoir préparer les jugements. Il sera essentiel que ces personnes soient de véritables magistrats. Ce seront donc des juges de proximité ou des professionnels ayant un statut similaire.

Enfin, si l’actuelle commission de conciliation en matière foncière doit disparaître, le principe d’une recherche de conciliation préalable à la saisine du tribunal foncier doit être maintenu. Sa mise en œuvre sera intégrée au tribunal foncier, à l’instar de la procédure en vigueur devant le juge aux affaires familiales pour certaines procédures de divorce. Il est évident que, pour fonctionner efficacement, le tribunal foncier devra être doté des moyens humains qualifiés pour la mise en état, l’interprétariat, le greffe et la délivrance des actes d’état civil.

La deuxième réforme concerne l’assistance judiciaire. II est désormais expressément inscrit dans l’article 14 de la loi organique de 2004 que l’aide juridictionnelle relève de la compétence de l’État. Il y a deux ans, lors de l’examen de la loi sur le nouveau divorce, j’avais interrogé votre prédécesseur, monsieur le garde des sceaux, sur la mise en œuvre de cette réforme. M. Perben m’avait assuré que l’État entendait assumer ses responsabilités. Je sais que vos services y travaillent. Toutefois permettez-moi de rappeler que la question de l’assistance judiciaire est indissociable de la question foncière et donc des successions. Lorsque le Centre d’expérimentation nucléaire s’est installé en Polynésie, le mode de vie a changé : de nombreuses familles, qui vivaient en quasi-autarcie, ont pu compter sur des revenus fixes. Les ménages ont alors voulu emprunter pour construire « en dur ». Il a donc fallu qu’ils sortent de l’indivision pour disposer d’un lot que la banque pouvait hypothéquer. Face à la demande, le territoire a créé, en 1964, un service des affaires de terres avec un avocat salarié.

En quarante ans, financés par le Trésor local, les avocats de la direction des affaires foncières ont rendu d’énormes services à la population et le maintien de leur bureau fait l’unanimité. C’est une des raisons pour lesquelles la réforme ne pourra pas être la transposition pure et simple de l’aide juridictionnelle telle qu’elle existe en métropole. Les autorités et les avocats de la Polynésie souhaitent qu’une convention soit signée entre l’État et la Polynésie et ont demandé au haut-commissaire qu’une mission de la chancellerie se rende sur place.

Le territoire serait disposé à assurer le financement de l’assistance judiciaire directement liée au fonctionnement du bureau des avocats de la direction des affaires foncières auxquels les dossiers fonciers seraient toujours adressés en priorité, tandis que l’État pourrait assurer le financement des désignations d’avocats dans toutes les autres matières et accessoirement en matière foncière. Il conviendra de ne pas négliger le coût très élevé des mesures ordonnées avant dire droit, notamment lorsque les géomètres, désignés pour constituer les lots, doivent se rendre avec leur équipe dans des îles éloignées.

La réforme foncière ainsi que le projet de reconstruction du centre pénitentiaire de Tahiti, sur lequel votre ministère travaille également, étaient des engagements de campagne des deux députés polynésiens. Leur réalisation constituera une partie substantielle du nouveau pacte de confiance entre l’État et la Polynésie, que la population de nos îles appelle de ses vœux.

Vous étant rendu en Polynésie en 2003 avec des membres de la commission des lois que vous présidiez alors – dont d’ailleurs notre président de séance – je ne doute pas, monsieur le garde des sceaux, que vous aurez à cœur de faire aboutir ces projets et je souhaiterais que vous me le confirmiez.

Je voterai bien évidemment ce projet de loi, que je considère comme une avancée majeure dans la modernisation de notre République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Ma chère collègue, l’intérêt que la présidence porte à la Polynésie l’a poussée à vous laisser dépasser votre temps de parole. Mais que ne ferait-on pas pour la Polynésie !

La discussion générale est close.

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Je remercie tous les orateurs qui ont bien voulu prendre part à cette discussion. Elle a fait apparaître, pour l’essentiel, un accord sur la partie « succession », et pour certains d’entre vous elle a porté sur les amendements du Gouvernement concernant le pacs.

M. Rochebloine a insisté sur la protection des personnes handicapées. J’y suis, comme lui, très sensible et je pense que les dispositions du projet de loi, qu’il s’agisse du pacte successoral ou des libertés résiduelles – et bientôt les libertés graduelles, lorsque nous aurons adopté l’amendement de votre commission – permettront de répondre à cet objectif.

M. Dutoit s’est inquiété de la disposition selon laquelle l’hériter taisant, après sommation, sera déclaré acceptant pur et simple. Mais c’est la règle dégagée actuellement par la jurisprudence, et elle est très logique. Si la sanction du silence de l’héritier était la renonciation, les créanciers n’auraient plus intérêt à faire de sommation. Cela aurait pour effet de laisser les successions dans un état indéterminé pendant de nombreuses années.

M. Delattre s’est félicité que l’on puisse procéder à divers actes d’administration sans être pour autant déclaré acceptant. Cette orientation permettra en effet de faciliter la transmission des entreprises et la préservation des patrimoines. Plus généralement, je partage le souhait de M. Delattre que notre droit facilite la continuité des entreprises. C’est notamment l’objet de la disposition qui généralise à l’ensemble des entreprises la possibilité de maintenir l’indivision pour assurer leur pérennité.

M. Vidalies a rappelé l’importance de la réforme des droits du conjoint survivant. Je le rejoins sur ce point, même si je ne partage pas son appréciation sur l’ampleur de la réforme que j’ai l’honneur de vous présenter. Je pense honnêtement qu’elle est objectivement supérieure, même si je ne méconnais pas son travail de l’époque. S’agissant du fichier des assurances vie, la loi du 15 décembre 2005 permet à un particulier d’interroger les fédérations professionnelles pour savoir s’il est bénéficiaire d’un contrat souscrit par une personne décédée.

Par ailleurs, l’accord passé en avril 2002 entre les notaires et les assureurs prévoit que ces derniers communiquent aux notaires les primes versées par le souscripteur afin qu’ils vérifient si elles ne sont pas manifestement excessives par rapport à ce qu’il possédait. Je tiens enfin à rassurer M. Vidalies sur l’amendement adopté par la commission et relatif à la déjudiciarisation du régime matrimonial : je souhaite, comme lui, le maintien du contrôle du juge et je m’opposerai donc à cet amendement.

Mme Aurillac s’est félicitée de la simplification du vocabulaire juridique opérée par le projet de loi. C’est en effet l’un de mes objectifs, dans ce texte comme dans tous les autres. Je ne pense pas que le droit perde en précision avec la disparition de mots comme « préciput » ou « avancement d’hoirie ». En revanche, je suis sûr que l’on y gagne en compréhension et donc en acceptation du droit.

M. Bloche a centré son intervention sur le pacs. Je suis heureux qu’il ait salué les amendements déposés par le Gouvernement. J’ai préparé le décret d’application de la loi du 6 août 2004 sur le fichier statistique relatif au pacs. Il sera prochainement transmis au Conseil d’État. À ma connaissance, voilà déjà plusieurs jours, monsieur Bloche, que je vous en ai informé par courrier.

Monsieur Blessig, vous vous êtes félicité de l’amendement du rapporteur relatif à la possibilité pour le majeur sous tutelle de tester. Je partage votre appréciation et je donnerai un avis favorable à cet amendement. En revanche, je suis très réservé sur une extension non encadrée d’une possibilité pour les personnes handicapées d’opérer une donation. Chacun perçoit le danger d’une telle orientation.

Madame Vernaudon, vous avez insisté sur la question de l’indivision en Polynésie française. Un certain nombre de modifications proposées ne relèvent pas de la compétence de l’État mais de celle du territoire et donc de la loi de pays. Je vous confirme que mes services travaillent actuellement à l’adaptation à la Polynésie française du dispositif de l’aide juridictionnelle en matière civile. Je vous remercie de votre soutien sur le texte et je termine en vous confirmant mon attachement personnel et celui du Gouvernement à la Polynésie française.

Voilà les quelques éléments de réponse que je pouvais apporter à l’ensemble des parlementaires qui ont participé à la discussion générale sur le projet de loi portant réforme du droit des successions et des libéralités.

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

ordre du jour
des prochaines séances

M. le président. Mercredi 22 février 2006, à quinze heures, première séance publique :

Questions au Gouvernement.

Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.

Suite de la discussion du projet de loi, n° 2427 rectifié, portant réforme des successions et des libéralités :

Rapport, n° 2850, de M. Sébastien Huyghe, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures quinze.)