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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 28 mars 2006

183e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe socialiste.

contrat première embauche

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, voilà plus de deux mois que le CPE bloque notre pays. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Voilà plus de deux mois qu'il dresse les Français contre votre gouvernement. Tout a été dit, avec force, sur les raisons de leur refus. Vous seul ne les entendez pas ; vous seul ignorez l'esprit de responsabilité des organisations syndicales et étudiantes. Toutes récusent la précarité du CPE (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), mais elles sont également conscientes de la nécessité de bouger, de rénover le parcours professionnel des jeunes. Toutes sont prêtes à négocier dès lors que vous ferez le geste de retirer le CPE. (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mais ce geste ne vient pas ! Où allez-vous ? Que voulez-vous ? Le CPE semble être devenu pour vous une affaire personnelle, pour démontrer que vous êtes capable de faire ployer l'échine à tout un peuple ! Je vous le dis avec gravité, monsieur le Premier ministre : votre obstination est lourde de périls. Vous jetez la jeunesse dans la rue. Vous l'exposez à la violence des casseurs et à la riposte des forces de l'ordre. Vous provoquez une grève nationale en plein marasme économique. Vous réveillez les feux mal éteints des banlieues. Non, monsieur le Premier ministre, on ne construit pas un destin personnel contre son propre peuple ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Comme nous, je le crois, vous aimez la France. Comme nous, vous croyez qu'elle est capable des plus beaux sursauts lorsqu’elle est unie. Alors ne pensez plus qu'à elle, à son image, à son intérêt, à son unité. Oubliez votre orgueil, retirez le CPE, faites la paix avec les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Une telle décision ne serait pas une défaite : ce serait donner sa chance à la négociation, ouvrir la voie à un compromis social, rassembler autour d'un projet partagé. On se grandit plus sûrement à convaincre qu'à vaincre, à entraîner qu'à contraindre. Monsieur le Premier ministre, la réponse est entre vos mains. Désormais, vous êtes le seul responsable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Il ne sert à rien de vous énerver !

M. Claude Bartolone. Que de mépris !

M. Christian Bataille. Il se moque du Parlement !

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Monsieur le président Ayrault, de tous les gouvernements, celui de Dominique de Villepin n’a pas le monopole des manifestations. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany. Continuez comme cela !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Lorsqu’il y a des manifestations, la principale préoccupation est de tout mettre en œuvre – et, pour les croyants, de prier –…

M. Jean Glavany. Où est le Premier ministre ?

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …pour qu’aucun incident grave…

Mme Chantal Robin-Rodrigo. La faute à qui ?

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …n’arrive aux jeunes et à ceux qui manifestent dans leur droit le plus strict. (Bruits continus sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous ne pouvez pas résumer un sujet qui a été traité dans la continuité de l’apprentissage et de la formation, des contrats de professionnalisation, du recrutement de 3 500 personnes dans les ANPE pour recevoir les jeunes et tenter de leur trouver, plutôt que des stages et des petits boulots, un emploi durable (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) à une affaire personnelle. Cela est très déplacé ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Marcel Dehoux. Vous ne croyez pas ce que vous dites !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Le Premier ministre (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Plusieurs députés du groupe socialiste. Où est-il ?

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …a dit lui-même, la semaine dernière, qu’il y aurait débat sur les modalités de la rupture et sur la durée de la période de consolidation. Il souhaite, avec le Gouvernement, avancer dans le dialogue.

M. François Hollande. Alors qu’il parle !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Néanmoins, à un moment réel de crise, il faut beaucoup de respect mutuel (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. René Rouquet. La preuve !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …et même de supplément d’âme, car c’est de nos jeunes qu’il est question. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Claude Bartolone. Ce ne sont pas vraiment des applaudissements nourris !

M. Patrick Roy. Ce n’est qu’un début, continuons le combat !

M. le président. Monsieur Roy, vous réveillez tout le monde ! (Sourires.)

contrat première embauche

M. le président. La parole est à M. Hervé Morin, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Hervé Morin. Monsieur le Premier ministre, un grand sentiment d’inquiétude monte dans le pays. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Depuis près de huit semaines, les manifestations succèdent aux manifestations. Les rassemblements qui ont eu lieu ce matin en province montrent que la mobilisation des jeunes, lycéens et étudiants, prend chaque jour plus d’ampleur dans un climat d’extrême tension.

Dans le même temps, on assiste à un dialogue de sourds entre le Gouvernement, les partenaires sociaux et les syndicats d’étudiants. La France ne peut pas se payer le luxe de s’enfermer durablement dans la crise. Honnêtement, le CPE n’est pas à ce point fondamental pour l’avenir du pays que la France doive continuer à se déchirer et à s’enfoncer dans la crise.

Monsieur le Premier ministre, c’est à vous qu’il revient de rétablir les conditions du dialogue et de l’apaisement.

M. Marcel Dehoux. Voilà !

M. Hervé Morin. Comme l’UDF vous l’a demandé depuis des semaines, il est temps de prendre des initiatives pour sortir de la crise et éviter que les Français se divisent un peu plus. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. (Protestations sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Manuel Valls. Incroyable !

M. Jean-Marie Le Guen. Rendez-nous le Premier ministre !

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Monsieur le président Morin, le Gouvernement entend aussi l’inquiétude qui monte du pays. Elle se manifeste aujourd’hui dans la rue, mais nous la connaissons depuis longtemps. Elle tient à la précarité à laquelle sont confrontés les familles et les jeunes.

M. Jean-Marie Le Guen. Il a perdu quelque chose, le Premier ministre ?

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. La précarité n’est pas une découverte qui date de deux mois : elle existe malheureusement depuis vingt ans !

M. Jean Glavany. Continuez !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. La loi sur l’égalité des chances, à la suite de la loi de cohésion sociale, entend répondre à certaines situations inacceptables, dont un taux de chômage des jeunes de 23 % qui traduit de réelles difficultés d’accès à l’emploi.

Vous avez évoqué le dialogue.

M. Christian Bataille. Le mépris oui !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Le Premier ministre…

M. Jean Glavany. Où est-il ?

M. Claude Bartolone. Où ?

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. …a souhaité l’engager. (Huées sur les bancs du groupe socialiste.) Malgré un démarrage difficile, il se poursuit, se construit. Naturellement, c’est du dialogue social que sortiront les solutions ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Marie Le Guen. Nul !

M. Jean Glavany. Aucun applaudissement pour M. Larcher !

contrat première embauche

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jacques Brunhes. Monsieur le Premier ministre, le 16 janvier dernier, vous présentiez la mesure phare du Gouvernement en faveur des jeunes de dix-huit ans à vingt-cinq ans : le CPE,…

M. Patrick Roy. Retirez-le !

M. Jacques Brunhes. …auquel votre majorité réservait un accueil enthousiaste.

Soixante et onze jours après, le pays s’y oppose à travers le mouvement social le plus puissant, le plus unitaire que la France ait connu ces dernières années. Des millions de jeunes lycéens et étudiants, de parents, de salariés, de retraités manifestent dans tout le pays. Les député-e-s du groupe communiste et républicain se sont joints au cortège d’aujourd’hui, ce qui explique leur absence de l’hémicycle.

M. Pierre Lellouche. Quel événement !

M. Jacques Brunhes. Ces citoyens disent leur détermination à refuser la mise en pièces du droit du travail et l’institutionnalisation de la précarité, d’abord pour la jeunesse puis pour l’ensemble du salariat.

Face à ces enjeux de société, vous avez choisi, monsieur le Premier ministre, de jouer le pourrissement, d’utiliser des manœuvres dilatoires pour provoquer les jeunes et les syndicats, de souffler le chaud et le froid, de tenter de diviser au risque d’aviver les tensions et les confrontations violentes. Jouer ainsi avec le feu est terriblement dangereux, pour la démocratie comme pour la France.

En dépit de ces médiocres et irresponsables tentatives, 63 % des Français se disent solidaires du mouvement de contestation, soit 10 % de plus que lors de la grève historique contre le plan Juppé. Vous n’avez pas retenu la leçon – pourtant simple – que l’on ne gouverne pas contre le pays. Vous proposez un dialogue portant seulement sur des aménagements du texte, d’autres évoquent une suspension du CPE, toutes perspectives refusées par les organisations concernées puisque cela reviendrait à accepter au préalable le maintien du CPE.

Monsieur le Premier ministre, tout peut rentrer dans l’ordre dès demain : la machine éducative et universitaire peut repartir immédiatement et la grève cesser. Retirez le CPE ! Ouvrez de vraies et nécessaires négociations ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Claude Bartolone. Ah, enfin ! (Rires.)

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Monsieur Jacques Brunhes, comme vous le dites vous-même, les Français dénoncent la précarité car elle est un état de fait aujourd’hui. Or notre gouvernement cherche précisément à apporter des solutions parce que le chômage des jeunes n’est pas une fatalité. Nous avons commencé à apporter des réponses, qu’il s’agisse des contrats aidés ou de la formation en alternance. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Michel Lefait. Baratin !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Le CPE est un des outils que nous proposons et le Gouvernement a entendu les demandes qui s’expriment à son sujet, qu’il s’agisse de la période de consolidation ou des modalités de rupture.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Baratin !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Il faut dire et répéter qu’un chef d’entreprise qui recrute un jeune avec la volonté de le former, souhaite l’accompagner, car cela constitue à la fois un investissement humain et un investissement pour l’entreprise. Son objectif n’est pas de le licencier le lendemain. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Retrouvons-nous ! Débattons ensemble de ce CPE ! Tel est le sens du dialogue qui est proposé aujourd’hui. Discutons surtout du monde qui évolue car c’est cela la raison de l’inquiétude des jeunes aujourd’hui : comment s’adapter à une économie qui bouge ?

En tout cas, l’important est de sortir ensemble de cette crise car elle est dangereuse pour la sécurité publique, pour les examens des jeunes (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains),…

M. Jean Glavany. À qui la faute ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. …pour l’image de la France (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), donc pour la croissance économique, laquelle recèle les emplois de demain. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Bruno Le Roux. Zéro !

contrat première embauche

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean Leonetti. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. Il ne répond pas !

M. Jean-Marie Le Guen. Il ne veut pas répondre !

Mme Annick Lepetit. Mais peut-être va-t-il daigner vous répondre !

M. Jean Leonetti. Mes chers collègues de l’opposition, par-delà nos divergences – naturelles en démocratie –, il est au moins un élément sur lequel nous pouvons être d’accord, à savoir le diagnostic : notre jeunesse est durement frappée par le chômage et vit une situation de précarité, en particulier celle qui a le moins d’expérience, le moins de qualification et le moins de diplômes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Chacun, dans ce pays,…

M. Jean Glavany. Dites « notre pays », au lieu de « ce pays » !

M. Jean Leonetti. …est aussi profondément attaché au respect des lois votées, des lois républicaines, et conscient de la nécessité d’un dialogue social qui permette de trouver un terrain d’entente conforme à l’intérêt général.

Monsieur le Premier ministre, vous avez récemment réuni les représentants des syndicats et des étudiants pour étudier les aménagements à apporter au contrat première embauche, (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains)…

M. Claude Bartolone. Il était temps !

M. Jean Leonetti. …et vous avez clairement affirmé votre ouverture sur les deux points qui cristallisent l’angoisse de la jeunesse dans ce dispositif, à savoir la durée de la période de consolidation de l’emploi et les modalités de rupture du contrat.

M. Jean Glavany. C’est-à-dire le CPE lui-même !

M. Jean Leonetti. Monsieur le Premier ministre, ma question est double.

D’abord, dans quelles conditions ces négociations peuvent-elles se poursuivre, dans l’attente de la promulgation de la loi ?

Plusieurs députés du groupe socialiste. Après le retrait !

M. Christian Bataille. Qu’en pense M. Sarkozy ? N’a-t-il pas de réponse ?

M. Jean-Marie Le Guen. Oui, où est M. Sarkozy ?

Plusieurs députés du groupe socialiste. À la manif ! (Rires.)

M. Jean Leonetti. Ensuite, ne serait-il pas utile, au-delà du dispositif du contrat première embauche, qui n’est qu’un outil parmi d’autres dans la lutte contre le chômage des jeunes, d’ouvrir plus largement les discussions avec l’ensemble des partenaires sociaux sur l’amélioration globale de l’accès des jeunes à l’emploi ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Claude Bartolone. Où est Sarkozy ?

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mes chers collègues, vous criez quand le Premier ministre ne s’exprime pas et vous criez encore plus quand il prend la parole ! (Une partie des députés du groupe socialiste se lèvent et font claquer leurs pupitres. – Mme et MM. les députés du groupe Union pour la démocratie française quittent l’hémicycle en signe de protestation.)

Soyez cohérents avec vous-mêmes et rasseyez-vous !

Monsieur le Premier ministre, vous avez la parole.

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, il y a dans notre pays une anxiété sociale réelle. C’est celle-ci qui se manifeste aujourd’hui et c’est à elle qu’il nous faut répondre. (Huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Ayez au moins la politesse d’écouter !

M. le Premier ministre. Ne nous y trompons pas ! Ce qui est en cause aujourd’hui, c’est le sentiment de précarité, la crainte de l’avenir et le manque de projet collectif. Ce n’est – et nous le savons tous – que dans l’action que nous parviendrons à convaincre tous les Français…

M. Claude Bartolone. Ils sont dans la rue les Français !

M. Manuel Valls. Les Français ne veulent pas du CPE !

M. le Premier ministre. …que demain peut être meilleur qu’aujourd’hui. Cela est vrai en particulier pour les jeunes, qui sont les premiers – je dis bien les premiers – à payer le prix des renoncements et de l’immobilisme. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Patrick Roy. Retrait !

M. le président. Écoutez donc la réponse au lieu de vociférer ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le Premier ministre. On avait promis des diplômes pour tous et des lendemains faciles mais nous avons eu un chômage qui augmente, des diplômes qui ne garantissent plus la promotion sociale et un avenir incertain. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Bruits continus.)

Alors oui, il est temps de faciliter l’entrée des jeunes dans la vie active, et pas seulement pour ceux qui, détenant de bons diplômes, trouvent rapidement un CDI, un logement et s’installent rapidement dans la vie active, mais également, et surtout, pour tous ceux qui n’ont ni diplôme, ni qualification, ni expérience et dont le taux de chômage dépasse les 40 %. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Pensons d’abord à eux ! Pensons à ces jeunes auxquels personne ne donne de chance ! C’est une question de justice…

M. Jean Glavany. Pas vous !

M. le Premier ministre. …et d’égalité des chances. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

L’enjeu (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), ce pour quoi je me bats depuis le premier jour, c’est la lutte contre la précarité et l’insertion professionnelle des jeunes.

Cela se joue dès l’université.

Mme Hélène Mignon. Avant !

M. le Premier ministre. Aidons les jeunes à s’orienter, à faire leur choix en connaissance de cause. Développons les filières professionnelles et l’alternance qui peuvent permettre un accès rapide à l’emploi. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Cela se joue aussi – nous le savons – sur le marché du travail. Donnons plus de souplesse à l’employeur, pour offrir plus d’emplois aux jeunes. Cela marche (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) et le succès du contrat nouvelles embauches, monsieur Ayrault, (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) en est l’exemple. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean Glavany. C’est un véritable succès devant les tribunaux !

M. le Premier ministre. En contrepartie il appartient à l’État d’apporter toutes les garanties nécessaires aux salariés (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), des garanties réelles, nouvelles (Mêmes mouvements), comme la prise en charge du complément de rémunération lorsque le contrat du salarié est rompu et que celui-ci entre en formation. C’est l’engagement que nous avons pris. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean Glavany. Continuez !

M. le Premier ministre. Oui, avançons ! Ne restons pas immobiles, sans quoi rien ne pourra s’améliorer pour les jeunes dans notre pays !

Je suis prêt, comme certains syndicats l’ont demandé, à ouvrir un grand débat (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) sur les liens entre l’université et l’emploi. Les présidents d’université l’ont demandé.

Je suis prêt à définir avec les partenaires sociaux un plan d’action concerté pour l’emploi des jeunes, qui traitera de tous les problèmes qu’ils rencontrent aujourd’hui sur le marché du travail. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean Glavany. Retrait du CPE !

M. Bruno Le Roux. C’est terminé !

M. le Premier ministre. C’est bien dans cet esprit d’action concertée, avec comme seule volonté le développement de l’embauche des jeunes, que nous avons élaboré le contrat première embauche. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Jamais personne auparavant n’avait attaqué ce problème. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Certainement pas vous, mesdames, messieurs de l’opposition ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

J’ai souhaité, dans la période actuelle, ouvrir les discussions les plus larges car je vois bien les interrogations qui se portent sur certains points du contrat. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste)

M. Marcel Dehoux. Quand même !

M. le Premier ministre. …en particulier sur la période de consolidation de l’emploi et sur les modalités de la rupture.

Je l’ai dit : je suis prêt à engager le dialogue (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) et à aménager le contrat sur ces deux points. (Les députés du groupe socialiste scandent « Le retrait ! Le retrait ! »)

M. le président. Mes chers collègues, le spectacle que vous donnez est loin d’être édifiant. Veuillez cesser, je vous prie !

M. le Premier ministre. La République, ce n’est pas les préalables, ce n’est pas l’ultimatum ! Ce n’est pas non plus quand certains membres de la représentation nationale contestent la règle républicaine ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains qui scandent de nouveau : « Le retrait ! Le retrait ! »)

Je l’ai écrit aux syndicats et je leur ai proposé d’en discuter demain à Matignon. Ils ont refusé la main tendue. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean Glavany. Ils n’ont plus confiance en vous. Vous leur avez tellement menti !

M. le Premier ministre. Je leur renouvelle devant vous tous cette proposition. S’ils veulent s’engager dans la voie du dialogue, s’ils veulent réduire la période des deux ans et s’ils veulent prévoir un entretien lors de la rupture du contrat, j’y suis prêt.

M. Jean Leonetti. Très bien !

M. Jean Glavany. Eh bien, il faut retirer le CPE !

M. le Premier ministre. Il reste du temps utile. Mettons-le à profit pour dialoguer.

Cela étant, s’il est une chose que je n’accepte pas, monsieur Ayrault, (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Glavany. C’est l’atteinte à votre orgueil ! Vous ne pensez qu’à vous !

M. le Premier ministre. …c’est bien de rester les bras croisés face au chômage des jeunes, chômage dont vous n’avez jamais parlé jusqu’ici. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Ce que je n’accepte pas non plus, c’est de choisir la résignation lorsque les Français réclament des résultats.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Les Français, ils sont dans la rue !

M. le Premier ministre. Nous avons rendez-vous chaque mois. Je serai présent à chaque rendez-vous. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Je n’accepte pas non plus de regarder vers le passé quand tous nos compatriotes ont soif d’avenir. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Claude Bartolone. Ils sont dans la rue nos compatriotes !

M. Jean Glavany. Dans quel monde vivez-vous, monsieur le Premier ministre ?

M. le Premier ministre. Aujourd’hui, le rendez-vous que nous avons tous, c’est de défendre une ambition sociale tout en étant fidèles à une exigence républicaine. C’est bien le rendez-vous que tient ce gouvernement et c’est celui-là que vous refusez. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations puis huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. Debout ! Debout !

Élections en ukraine et en biélorussie

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour le groupe UMP.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le ministre des affaires étrangères (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) au cours des deux dernières semaines, viennent de se tenir, dans deux républiques de l’ancienne URSS, des élections toutes deux majeures mais qui se sont passées de façon fort différente.

En Biélorussie, il y a dix jours, à la suite de fraudes massives, le dernier dictateur d’Europe centrale, Alexandre Loukachenko a été massivement réélu. Il a ensuite utilisé la force et la répression contre l’opposition démocratique.

Ce dimanche, en Ukraine, les élections législatives ont été organisées dans des conditions irréprochables de transparence et d’honnêteté, dont je peux attester puisque, en tant que président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, j’étais chargé, avec mes collègues du Parlement européen, du Conseil de l’Europe et de l’OSCE ainsi qu’un certain nombre de collègues ici présents, sur tous les bancs, d’observer ce scrutin.

Le président ukrainien, M. Viktor Iouchtchenko, ainsi que Mme Timochenko avec lesquels je me suis entretenu hier après-midi à Kiev (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) comptent tous les deux sur l’aide de la France pour conforter l’évolution de leur pays vers la démocratie.

Il existe cependant un point commun entre ces deux élections : l’interférence permanente que tente d’exercer la Russie sur les processus internes de ces pays, notamment par le biais du chantage sur le prix et les livraisons de gaz. Je vous avoue mon inquiétude à l’égard de certaines évolutions en cours en Russie ces dernières années, aussi bien en matière intérieure – avec la suppression des élections régionales, la mainmise sur la presse, la disparition des partis libéraux –, qu’extérieure, avec des actions pour le moins critiquables en Tchéchénie, en Georgie et dans le Caucase sud.

Au lendemain du sommet européen sur les questions énergétiques, qui s’est tenu la semaine dernière, je souhaite savoir, monsieur le ministre : premièrement, ce que compte faire le France pour aider l’opposition démocratique en Biélorussie ; deuxièmement, quelle est l’appréciation que porte le Gouvernement français sur les élections de ce dimanche en Ukraine ; troisièmement, quelle est l’attitude que la France compte observer vis-à-vis de la Russie.

M. Yves Coussain. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, comme vous l’avez rappelé, la France a participé à la commission d’observation électorale de l’OSCE durant la dernière élection présidentielle qui s’est tenue en Biélorussie le 19 mars dernier. Avec le conseil européen, elle a condamné les fraudes électorales constatées à cette occasion.

À cet égard, je formule trois remarques.

Premièrement, la France et ses partenaires européens envisagent des sanctions directes contre le président Loukachenko, qu’il s’agisse d’interdiction de visas ou de gels d’avoirs personnels et de biens financiers.

Deuxièmement, nous demandons la libération des prisonniers politiques, dont le nombre s’élèverait, d’après les organisations non gouvernementales, à un millier depuis le 19 mars.

Enfin, il nous paraît essentiel de continuer à parler avec le candidat de l’opposition, M. Milinkevitch que j’ai reçu le 9 janvier au Quai-d’Orsay. L’ambassadeur de France en Biélorussie a également été convoqué lundi dernier au Quai-d’Orsay pour répondre d’une campagne menée contre l’ambassade de France à Minsk.

En ce qui concerne l’Ukraine, l’OSCE et l’Union européenne ont estimé que les élections ont été justes et transparentes et doivent donc être respectées. Ce n’est que lorsque les résultats officiels seront proclamés que nous saurons quelle coalition sera mise en place jeudi ou vendredi. Je souhaite que l’action de réforme engagée depuis la révolution orange se poursuive. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

blocage des universités

M. le président. La parole est à Mme Josiane Boyce, pour le groupe UMP.

Mme Josiane Boyce. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, depuis plusieurs semaines maintenant, de nombreuses universités sont bloquées, souvent par une minorité d'étudiants. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) D'autres sont partiellement perturbées. (Mêmes mouvements.)

Or ces blocages ne sont, dans la plupart des cas, que le résultat de l'action de quelques poignées d'individus, dont certains parfois étrangers à la communauté étudiante, qui paralysent le bon déroulement de l'ensemble des enseignements.

Est-il normal qu'une minorité perturbe à ce point les établissements scolaires et universitaires (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), alors que les étudiants, dans leur grande majorité – majorité silencieuse –, veulent assister à leurs cours, accéder aux bibliothèques universitaires et travailler sereinement ?

Aujourd'hui, tous ces étudiants sont inquiets parce que la période des examens approche ; inquiets parce que les nombreuses heures de cours perdues ne pourront être rattrapées ; inquiets enfin de voir les efforts constants et assidus qu'ils ont fournis, depuis la rentrée de septembre, devenir vains à cause d'une minorité. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Monsieur le ministre, que comptez-vous faire ?

Plusieurs députés du groupe socialiste. Rien !

Mme Josiane Boyce. Comment entendez-vous rassurer l'immense majorité des étudiants, soucieux de leurs études et de leur avenir ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame Boyce, vous savez qu’en France, à la demande des universités, des étudiants, les diplômes délivrés sont nationaux. C’est la loi.

Il faut, pour que ces diplômes universitaires nationaux aient une valeur, que l’intégralité du programme universitaire ait été enseignée.

M. Patrick Roy. Retirez le CPE ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous ne pouvons nous résoudre à ce que des diplômes soient sous-évalués, parce qu’une partie du programme n’aurait pas été enseignée. C’est la raison pour laquelle, j’ai demandé, avec François Goulard, aux présidents d’université de bien vouloir nous communiquer leur plan de rattrapage, ainsi qu’un calendrier précis, afin que cette année universitaire ne soit en aucune façon une année blanche.

Je voudrais d’abord m’adresser à celles et ceux qui bloquent les amphithéâtres. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ils causent du tort (« Villepin ! Villepin ! » sur les bancs du groupe socialiste), le plus grand tort à leurs camarades et, surtout, à ceux qui sont les plus modestes.

M. Marcel Dehoux. C’est la faute du Premier ministre !

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. En effet, ce sont les étudiants les plus modestes qui souffrent le plus. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Les étudiants les plus modestes ont besoin des mois de juillet et août pour, le cas échéant, faire des petits boulots, leur permettant de financer leurs études et de poursuivre ainsi leur cursus universitaire. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Paul. Et les bourses ?

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ceux qui bloquent les amphithéâtres rendent donc un bien mauvais service à leurs camarades. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Au nom d’une prétendue solidarité, ils commettent une profonde injustice. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Il est vrai que ce sont souvent des minorités qui utilisent la force, les muscles (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste), contre l’immense majorité des étudiants qui veulent poursuivre les cours, recevoir un enseignement et obtenir des diplômes.

M. Jean Glavany. Continuez à croire cela !

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les responsables sont passibles des sanctions prévues par la loi. Ils commettent un véritable déni de justice. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Ils feraient bien d’y réfléchir. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

circulaire du garde des sceaux
sur le contrat nouvelleS embaucheS

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg, pour le groupe socialiste. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie ! M. Montebourg n’a encore rien dit ! Ne criez pas !

Monsieur Montebourg, vous avez la parole.

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous enfin daigner descendre de votre statue équestre (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) pour répondre aux représentants du peuple que nous sommes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Votre garde des sceaux, ministre de la justice vient d'adresser à tous les procureurs de France une circulaire consacrée au contrat nouvelles embauches, créé l’été dernier par ordonnance, grand frère du CPE.

Cette circulaire demande aux procureurs - c’est un fait sans précédent dans l'histoire de la justice (Rires et protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) -

M. Claude Goasguen. C’est faux !

M. Arnaud Montebourg. …d’aller dans les conseils de prud’hommes, d’intervenir dans les litiges entre employeurs et salariés et de soutenir les CNE, tous menacés d'annulation par la justice prud’homale.

M. Christian Paul. C’est incroyable !

M. Arnaud Montebourg. Comme vous le savez, le CNE, comme le CPE, viole nos engagements internationaux (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) qui interdisent le licenciement discrétionnaire et la période d'essai arbitraire de deux ans.

C'est donc bien naturellement que, soucieux du respect de l'État de droit, …

M. Claude Goasguen. Vous n’avez pas lu la circulaire !

M. Arnaud Montebourg. …les conseils de prud'hommes écartent l'application du CNE et appliquent, conformément à notre État de droit et à la Constitution, nos engagements internationaux.

Vous venez de décréter, monsieur le garde des sceaux, dans cette circulaire, une mobilisation politique sans précédent des procureurs, en les chargeant de mettre sous contrôle la justice prud’homale (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) qui, composée d’employeurs et de salariés, juge pourtant en toute indépendance.

M. Claude Goasguen. Et le tribunal de commerce ?

M. Arnaud Montebourg. Plus grave, vous mettez les procureurs de France au service des intérêts d’une partie – les employeurs – au détriment d'une autre, les salariés (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) –, alors qu'ils devraient être au service de l’État de droit, impartial et républicain.

Vos procureurs, monsieur le Premier ministre, sont-ils encore des procureurs de la République ou sont-ils devenus des procureurs de l'illégalité, des procureurs du mépris du droit ? (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Claude Goasguen. N’importe quoi !

M. Arnaud Montebourg. Cette circulaire démontre avec tristesse que, après avoir additionné le mépris pour le Parlement, le mépris pour les partenaires sociaux, vous ajoutez, monsieur le Premier ministre, le mépris pour la justice, pour l'État de droit et pour l’indépendance de l’institution judiciaire.

Devant le spectacle d'une République aux institutions dévoyées, perverties, instrumentalisées par votre idéologie aveugle et votre ambition sans limite, les principes fondamentaux de la démocratie commandent impérieusement, monsieur le Premier ministre, que vous retiriez sans délai cette invraisemblable circulaire. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste. – Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, tout le monde connaît dans cet hémicycle le caractère excessif des interventions de M. Montebourg. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Dieu sait que ce qu’il vient de dire n’a que fort peu de rapports avec la réalité d’une circulaire que j’ai effectivement envoyée le 2 mars dernier, comme tant d’autres circulaires, très régulièrement, pour expliquer une nouvelle loi, décrire un nouveau dispositif, demander que, s’il en était fait une mauvaise application,…

Plusieurs députés du groupe socialiste. Quel aveu !

M. le garde des sceaux. …il puisse y avoir appel.

M. Christian Paul. Triste sire !

M. le garde des sceaux. Je vais vous donner d’autres exemples.

Le 2 avril 2005, mon prédécesseur a rédigé une circulaire sur les mariages blancs.

M. Christian Paul. Ce n’était pas mieux !

M. le garde des sceaux. Je peux aussi donner une autre référence, qui intéressera beaucoup les députés du groupe socialiste.

En 1989, le garde des sceaux, alors de gauche, puisqu’il était socialiste, a rédigé une circulaire concernant les étrangers relative à la loi sur la nationalité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Il avait employé des mots qui me choquent et que je me serais bien gardé d’utiliser. Il considérait qu’il fallait que les juges du siège se fassent une opinion parce qu’ils n’étaient pas suffisamment éclairés. Vous ne trouverez pas cela sous ma plume.

Il est tout à fait normal qu’une circulaire vise à uniformiser le droit. Nous ne sommes pas dans un pays où le droit à Caen n’est pas le même qu’à Tourcoing ou à Aix. Il n’y a qu’un seul droit. Cette charge revient au garde des sceaux. Vous devriez, au contraire, vous féliciter qu’il y ait encore en France un ministère de la justice qui garantisse à tous une loi identique. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Harkis

M. le président. La parole est à M. Daniel Spagnou, pour le groupe UMP.

M. Daniel Spagnou. Monsieur le ministre délégué aux anciens combattants, je suis député, comme vous le savez, d’une circonscription où vit une très nombreuse communauté de harkis.

Au cours de mes rencontres, j’ai pu mesurer combien leur désarroi est grand, leur peine immense et leur colère intense, suite à la déclaration de Georges Frêche (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), président du conseil régional de Languedoc Roussillon.

M. Marcel Dehoux. Encore !

M. Jean Glavany. Diversion !

M. Daniel Spagnou. Je ne veux pas que l’on oublie cette déclaration.

Georges Frêche n’en est pas à son premier dérapage, …

M. Jacques Godfrain. Ce n’est pas un dérapage !

M. Daniel Spagnou. … mais il a, cette fois, dépassé les limites, en insultant des hommes et des femmes qui portent haut les valeurs du patriotisme français.

Cette plaie ouverte est comme une blessure infligée à notre fierté nationale. Elle n’est pas près de se refermer, car les harkis attendent des sanctions fortes à l’encontre de Georges Frêche, qui doit répondre de son infamie.

M. Jacques Godfrain. Très bien !

M. Daniel Spagnou. C’est d’abord le parti socialiste, auquel appartient Georges Frêche, qui doit réagir…

M. Lucien Degauchy. On n’entend plus les députés socialistes !

M. Daniel Spagnou. …en l’excluant purement et simplement et non en prononçant une simple suspension. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Le parti socialiste se grandirait en accomplissant ce geste, en signe d’apaisement et de reconnaissance vis-à-vis de la communauté harkie.

Monsieur le Premier secrétaire du parti socialiste, je vous demande avec force et cœur (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) de prendre vos responsabilités sans faux-semblant, suivant ainsi la demande de plusieurs parlementaires socialistes, qui souhaitent l’exclusion de Georges Frêche. (« Le retrait ! Le retrait ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Où en sont, monsieur le ministre, les poursuites engagées contre Georges Frêche, notamment en vertu de l’article 5 de la loi portant reconnaissance envers les rapatriés, que nous sommes fiers d’avoir votée en février 2005 ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux anciens combattants.

M. Hamlaoui Mekachera, ministre délégué aux anciens combattants. Monsieur Spagnou, j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur ce sujet, au sein de votre assemblée.

Dès la déclaration de M. Frêche, que nous regrettons tous, j’ai immédiatement saisi M. le garde des sceaux, en application de l’article 5 de la loi du 23 février 2005. Le garde des sceaux a, à son tour, saisi le procureur de la République, qui a décidé d’ouvrir une information judiciaire. M. Frêche a ensuite été mis en examen pour injures à caractère racial.

M. Jean Glavany. C’est le problème central de la société française !

M. le ministre délégué aux anciens combattants. Cette procédure suit son cours. Il n’appartient pas au Gouvernement de commenter une action judiciaire. Mesdames, messieurs les députés, nous faisons tout naturellement confiance à notre justice.

Cette affaire, qui a attristé tout le monde républicain et démocrate, nous a interpellés. L’émotion demeure particulièrement forte, je peux en attester, au sein de cette composante de la communauté nationale.

M. Jean Glavany. Ce n’est pas comme le Premier ministre qui est aveugle et sourd !

M. le ministre délégué aux anciens combattants. Elle a su garder son calme, face à une agression aussi injuste, mais la blessure reste d’autant plus vive, qu’elle a le sentiment que les regrets exprimés par l’auteur de ces agressions ne sont que de pure forme.

Je tiens donc à assurer les harkis de la solidarité du gouvernement de Dominique de Villepin. Nous sommes attentifs aux plus faibles. Nous nous tenons à leurs côtés pour défendre leurs droits. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Roy. Retirez le CPE !

M. le président. Monsieur Roy, n’en profitez pas !

DéveloppemeNT du trafic maritime

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Besselat, pour le groupe UMP.

M. Jean-Yves Besselat. Monsieur le ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer, sous l’impulsion de M. le Président de la République et sous la vôtre, la France, s’appuyant sur une croissance exceptionnellement forte du trafic maritime – plus 10 % en un an – a mis en place une vraie politique de la mer. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Maxime Bono. C’est faux !

M. Jean-Yves Besselat. Je prendrai pour illustrer cette politique, deux exemples majeurs.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Le Clemenceau !

M. Jean-Yves Besselat. D’abord, le 30 mars, vous allez inaugurer au Havre le chantier Port 2000, lancé en 1995 par le Président de la République, Jacques Chirac.

Il s’agit d’un chantier exceptionnel d’un montant supérieur à 2 milliards d’euros, qui offrira à la France et à la ville du Havre une capacité de développement exceptionnelle. Grâce à cet équipement, le trafic de « boîtes » – comme on appelle les conteneurs – passera de 2,2 millions à plus de 6 millions par an au cours des prochaines années, ce qui représente une augmentation du nombre de tonnes transitant par Le Havre de 75 millions à 100 millions dans les sept prochaines années, et une création de 4 000 emplois nets.

Pour accélérer le transit terrestre par la voie ferrée, la mise en place d’autres équipements est nécessaire. Pouvez-nous nous indiquer le calendrier de la réalisation de cet équipement ?

Par ailleurs, le second registre international français est entré en vigueur en février.

M. Jacques Desallangre. Sans marins français !

M. Maxime Bono. C’est un scandale : il n’y a plus de marins français !

M. Jean-Yves Besselat. Ce nouveau pavillon doit permettre à la flotte de commerce de passer de 200 à 300 navires et d’opérer un redressement significatif de notre pavillon. Notre filière maritime sera ainsi puissamment redynamisée.

Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, la date de publication de la circulaire relative aux revenus des marins ?

Sous votre impulsion, après celle de vos deux prédécesseurs, la France est en passe de relever les défis maritimes auxquels elle est confrontée. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur Roy, vous n’avez rien dit ! Il y a eu comme un blanc ! (Sourires.)

La parole est à M. le ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer.

M. Dominique Perben, ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer. Vous avez raison, monsieur Besselat, de souligner l’importance de ces investissements dans le domaine de l’économie maritime.

Le trafic maritime connaît une très forte croissance au niveau international. Il est donc très important que la France ait une capacité d’ouverture maximale, d’où les investissements considérables qui ont été réalisés, en particulier au Havre. Et nous serons ensemble jeudi prochain, monsieur le député, pour l’inauguration du nouveau port.

L’arrière-pays et l’ensemble de l’économie doivent pouvoir profiter du développement de cette capacité portuaire, et il faut faire en sorte d’éviter que les conteneurs supplémentaires se retrouvent sur nos routes. C’est pourquoi a été élaboré le projet de déviation ferroviaire au nord de la région parisienne, lequel nécessitera de gros travaux d’électrification et c’est aussi la raison pour laquelle il est essentiel d’améliorer le trafic fluvial afin de faire circuler plus de conteneurs par voie d’eau.

Je prendrai donc, avant l’été, les décisions nécessaires pour la future écluse maritime du Havre, monsieur le député, à laquelle vous êtes très attaché. Par ailleurs, j’ai autorisé les péniches fluviales à se rendre jusqu’à Port 2000, sous certaines conditions de sécurité.

Par ailleurs, en ce qui concerne le registre international français, élément essentiel de reconquête du pavillon français, l’ensemble du dispositif réglementaire est en place. La France mène, sous l’autorité du Premier ministre, une vraie politique maritime, et tous les acteurs maritimes le savent bien. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

cohérence de l’équipe gouvernementale

M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour le groupe socialiste.

M. Gaëtan Gorce. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre, même si j’ai bien compris, monsieur le Premier ministre, que vous ne répondiez pas à ceux qui vous contredisent. (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

À cette heure, si grave pour notre pays, permettez-moi, comme un grand nombre de Français, de m’interroger sur la cohérence de votre équipe gouvernementale et sur l’image qu’elle donne.

Au moment où se déroulent des manifestations d’une très grande ampleur, on aurait pu penser que votre ministre de l’intérieur aurait eu mieux à faire que de disserter sur votre action, puisqu’il est en charge de l’ordre public. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)

À l’entendre, on comprend que sa première urgence est de dresser, en ces moments si difficiles pour vous et votre majorité, un réquisitoire en règle contre la méthode que vous avez suivie. C’est ce qu’il a fait, hier, à Douai, dénonçant « l’absence d’esprit de compromis » et rappelant « qu’il ne doit pas y avoir de textes gouvernementaux en matière sociale qui n’aient pas fait l’objet d’une concertation préalable ». Se faisant psychologue, il s’est même cru autorisé à préciser que « la fermeté n’est pas la rigidité. »

Comment pouvez-vous accepter que votre ministre de l’intérieur vous fasse ainsi la leçon ? (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. René Dosière. Absolument !

M. Gaëtan Gorce. Cette autorité, dont vous prétendez faire preuve à l’encontre de notre jeunesse, ne serait-elle pas mieux employée si elle s’exerçait à l’égard de vos ministres ? (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Démago !

M. Gaëtan Gorce. De deux choses l’une en effet.

Soit votre ministère de l’intérieur a de meilleures recettes que les vôtres, mais alors que fait-il encore dans votre gouvernement ?

M. René Couanau. C’est nul !

M. Gaëtan Gorce. Je veux du reste rappeler à ceux qui l’auraient oublié qu’il a dit, le 2 février, sur LCI, qu’il n’y avait pas de meilleure solution possible que le CPE.

Soit il n’a pas de meilleures recettes, et il cherche seulement à se démarquer dans son seul intérêt électoral ; si tel est le cas, il manque à ses responsabilités et même à ses devoirs.

La France en a assez de ce jeu de rôles par lequel vous prenez l’un et l’autre en otage les intérêts de l’État. Le devoir de l’opposition est de vous rappeler que c’est l’avenir de notre jeunesse, la stabilité de notre économie, la cohésion de notre société qui sont en jeu.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Démago !

M. Gaëtan Gorce. Quand cesserez-vous, monsieur le Premier ministre, de faire de la République le champ clos de vos rivalités personnelles avec M. le ministre de l’intérieur ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.– Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Marcel Dehoux. Donnez-nous Borloo ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Calmez-vous !

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. La situation de centaines de milliers de jeunes au chômage, de centaines de milliers de jeunes qui galèrent depuis des années, ce n’est pas un jeu, mais une réalité, monsieur Gorce ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Vos allusions à de prétendus jeux politiques sont bien loin des préoccupations des jeunes et de leurs familles. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.- Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Pour notre part, nous voulons répondre au problème du chômage des jeunes, et non pas à vos petits jeux politiciens. (Mêmes mouvements.) Tel est l’engagement du Gouvernement. Telle est l’action que nous conduisons, unis derrière le Premier ministre, avec Jean-Louis Borloo, avec Catherine Vautrin, avec Gilles de Robien, avec François Goulard ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.– Protestations sur les bancs du groupe socialiste dont les députés scandent : « Au Sénat ! Au Sénat ! »)

M. le président. Mes chers collègues, un peu de dignité. Le spectacle que vous donnez n’est même pas digne de l’Opéra comique !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Il faut faire en sorte que les jeunes cessent de galérer et qu’ils n’entrent pas dans l’emploi par des CDD ou des contrats en intérim. Le seul jeu qui compte, c’est de faire gagner la jeune génération ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Rires et vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

développement des biocarburants

M. le président. La parole est à M. Gérard Menuel, pour le groupe UMP.

M. Gérard Menuel. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche et concerne l’évolution du dossier des biocarburants, éthanol et diester.

Au début des années 90, la France avait une avance considérable que ce soit en matière de recherche ou de projets prêts à être développés. Quinze ans après, force est de constater qu’elle a perdu sa position de leader européen. Des pays comme l’Espagne, l’Allemagne, mais aussi la Pologne produisent désormais davantage de biocarburants que la deuxième puissance agricole mondiale que nous sommes.

Il y a quelques semaines, dans cette même enceinte, nous débattions des blocages qui nuisent à la mise en place d’une politique ambitieuse d’utilisation des biocarburants dans notre pays. On connaît les groupes de pression qui essaient de freiner l’inéluctable évolution d’un secteur qui, sur le plan environnemental, ne comporte que des avantages : réduction des émissions de gaz carbonique, renforcement de notre indépendance énergétique, création de 40 000 emplois.

Cependant, depuis quelques mois, des perspectives plus heureuses se dégagent. Cette dynamique se traduit par une multiplication des biocarburants défiscalisés grâce aux appels d’offre et l’on envisage la construction de plusieurs unités de production dans tout l’hexagone.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous rappeler les perspectives nouvelles dégagées par ces récents agréments, nous indiquer les futures étapes accompagnant cette évolution et nous garantir que la méthode retenue permettra de respecter l’ensemble de nos engagements ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche.

M. Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture et de la pêche. Monsieur le député, nous allons rattraper notre retard et donner à nos agriculteurs de nouveaux horizons. Non seulement, ils nourriront nos compatriotes, exporteront leurs produits et porteront notre industrie agroalimentaire – premier employeur industriel de France – mais ils fourniront aussi une partie importante de l’énergie de notre pays à un moment où l’énergie est chère et où les ressources fossiles diminuent. De surcroît, avec les biocarburants, nous entrons dans un cycle vertueux du respect des accords de Kyôto et de l’amélioration de notre environnement.

Le Premier ministre a annoncé des objectifs ambitieux pour notre pays : 5,75 % de nos besoins en énergie en 2008, 7 % en 2010 et 10 % en 2015. Nous étions les mauvais élèves, assis au fond près du radiateur ; à l’issue de ce programme nous serons les premiers en Europe. Aux six usines déjà annoncées par Jean-Pierre Raffarin, Dominique de Villepin en a ajouté dix nouvelles.

Les biocarburants représentent 25 000 emplois et des investissements sur tout le territoire. C’est un espoir pour notre agriculture. C’est un nouveau visage de la France. C’est la raison pour laquelle cette majorité et le Gouvernement se sont courageusement engagés en faveur des biocarburants. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

enquête sur la catastrophe de charm el-chekh et sécurité aérienne

M. le président. La parole est à M. François-Michel Gonnot, pour le groupe UMP.

M. François-Michel Gonnot. Monsieur le ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer, les autorités égyptiennes ont enfin rendu public ce week-end le rapport d’enquête final sur l’accident de Charm El-Cheikh qui a fait 148 victimes le 3 janvier 2004 en mer Rouge dont 134 Français. Les familles des victimes ont été surprises de découvrir que les Égyptiens mettaient en cause le Boeing 737 de la compagnie Flash Airlines alors que notre bureau d’enquêtes et d’analyses dont la crédibilité n’est pas contestée avait mis en cause les pilotes. Cette divergence posera de nombreux problèmes en termes de procédures et d’indemnisations.

À l’initiative de notre président, notre assemblée s’était, après l’accident, penchée sur le problème de la sécurité du transport aérien de passagers. J’avais eu l’honneur d’être le rapporteur de la mission d’information qui avait proposé une quarantaine de mesures pour essayer de renforcer, aux niveaux international et européen, la sécurité du transport aérien de passagers. Nous avions notamment proposé la publication d’une liste noire : en fin de semaine dernière, l’Union européenne a rendu publique la sienne alors que la France l’avait fait il y a déjà quelques mois. Nous avions souhaité un rôle croissant pour l’Europe, et je sais que le Gouvernement travaille depuis de nombreux mois pour essayer de construire une Europe de la sécurité aérienne du transport de passagers. Nous avions enfin proposé une meilleure information des passagers.

Nous souhaiterions, monsieur le ministre, connaître votre opinion sur l’actualité récente concernant la catastrophe de la mer Rouge et le drame des familles des victimes. Pensez-vous, notamment pour les Français qui vont prendre l’avion au moment des prochaines vacances, que nous avons atteint un niveau de sécurité aérienne suffisant, voire maximal ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer.

M. Dominique Perben, ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer. S’agissant des conclusions apportées par les autorités égyptiennes sur l’accident de la Flash Airlines, j’ai veillé à ce que les familles des victimes françaises puissent, dès samedi, connaître le contenu du rapport et qu’elles soient reçues au Bourget par le bureau d’enquêtes et d’analyses afin que les experts français et égyptiens leur présentent leurs conclusions. J’ai observé en effet des divergences d’analyse très nettes entre les responsables égyptiens de l’enquête et notre bureau d’enquêtes et d’analyses.

Par ailleurs, j’ai décidé de transmettre aux autorités judiciaires égyptiennes et françaises le rapport des services du ministère de l’équipement français. L’enquête judiciaire devra maintenant se dérouler.

Sur le fond, vous avez souligné, monsieur le député, l’importance du rôle de la France dans l’évolution de la politique européenne en matière de sécurité aérienne. Comme vous l’aviez souhaité, nous avons poussé l’Europe à bouger. À la suite de votre rapport, je vous rappelle que, sur vos quarante propositions, trente-six sont aujourd’hui mises en œuvre, ce qui témoigne à la fois de la pertinence du rapport et de la bonne collaboration entre le Parlement et les services du ministère de l’équipement. Notre action a permis des améliorations dans trois domaines.

Premièrement, le renforcement des contrôles en escale sur le territoire français : à la suite des accidents de l’été dernier, j’ai donné des instructions très précises. La DGAC a vu ses moyens renforcés et je crois pouvoir dire que la France est aujourd’hui un modèle en la matière.

Deuxièmement, la liste noire : la France a donné l’exemple. J’avais décidé cet été, avec l’accord du Premier ministre, de rendre publique la liste française. Nous avons été suivis. La liste européenne me paraît être un outil de dissuasion extrêmement important.

Troisièmement, la France agit auprès de l’Europe et de l’Organisation de l’aviation civile internationale, l’OACI. Il faut bien comprendre que la sécurité aérienne ne peut être garantie que si chacun des États respecte les règles fixées par cette instance. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire d’améliorer la transparence dans le transport aérien. Le décret que je viens de faire paraître il y a quelques jours oblige ainsi les vendeurs de billets et de séjours touristiques à indiquer à leurs clients le nom des compagnies sur lesquelles ils voleront. L’Europe va d’ailleurs probablement adopter la même réglementation dans quelques semaines.

Telles sont les principales étapes de notre combat pour une meilleure sécurité aérienne. Nos concitoyens ont le droit de savoir quels risques ils encourent et ceux dont ils sont protégés. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Mes chers collègues, je vais recevoir le Roi d’Espagne à la présidence et je vous rappelle que vous êtes tous invités.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à dix-sept heures trente, sous la présidence de M. René Dosière.)

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ DOSIÈRE,
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

transparence et sécurité
en matière nucléaire

Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d’urgence

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (nos 2943, 2976).

La parole est à Mme la ministre de l’écologie et du développement durable.

Mme Nelly Olin, ministre de l’écologie et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, que j’ai l’honneur de présenter devant vous au nom du Gouvernement, est un texte de première importance.

Il rénove en profondeur le cadre législatif applicable aux activités nucléaires et à leur contrôle, il marque des avancées importantes concernant la transparence en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection, et il crée, conformément au vœu du Président de la République, une haute autorité chargée du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, ainsi que de l’information du public dans ces domaines.

Cette loi est particulièrement nécessaire au moment où la France opère des choix importants pour le nucléaire civil. En effet, le maintien d’un haut niveau de sûreté, l’amélioration continue de ce niveau de sûreté et la poursuite des progrès en matière de transparence figurent parmi les conditions d’un nucléaire au service des générations présentes et respectueux des générations futures.

Compte tenu de la place qu’occupe le nucléaire dans notre politique énergétique, aux côtés des économies d’énergie et du développement des énergies renouvelables, le Gouvernement est particulièrement attentif au respect de ces conditions.

Pour préparer avec soin l’échéance de 2006 concernant les déchets radioactifs, il a souhaité un débat public, mené sous l’égide de la commission nationale du débat public. Un projet de loi de programme sur la gestion des matières et des déchets radioactifs a été adopté par le conseil des ministres et déposé sur le bureau de votre assemblée le 15 mars.

Quant au présent projet de loi, je suis particulièrement heureuse de vous le présenter. Le Gouvernement reconnaît ainsi que le ministère de l’écologie et du développement durable est un ministère majeur, qui occupe une place centrale dans le contrôle des activités pouvant présenter des risques pour les personnes et l’environnement.

Avant de vous présenter les grands objectifs du projet de loi, revenons d’abord sur les raisons qui ont conduit le Gouvernement à souhaiter son examen.

Tout d’abord, un constat : la base législative du contrôle de la sûreté des grandes installations nucléaires est aujourd’hui ancienne et incomplète. Elle est constituée de quelques articles de la loi sur l’air de 1961. Certes, la France n’a rien à envier aux meilleures pratiques étrangères en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection, puisque leur contrôle est efficace, la qualité internationalement reconnue et que la transparence a fait d’importants progrès au fil des années. Néanmoins notre législation n’est plus à la hauteur de notre pratique et de nos résultats. Nous nous devons donc d’y remédier.

Ce constat avait d’ailleurs été fait très clairement dès 1998 par Jean-Yves Le Déaut, alors président de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Son rapport sur le système français de radioprotection, de contrôle et de sécurité nucléaire, qui portait un sous-titre prémonitoire – La longue marche vers l’indépendance et la transparence – avait déjà débouché en 2002 sur une première réforme de l’organisation du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.

Le gouvernement de Lionel Jospin avait, à l’époque, envisagé la création d’une autorité administrative indépendante chargée du contrôle de la sûreté nucléaire, préconisée par le rapport de M. Le Déaut, mais y avait renoncé et, en lieu et place, il avait déposé, en 2001, sur le bureau de l’Assemblée nationale le projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.

Sans esprit partisan, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin l’a transféré au Sénat en 2002, pour ne pas perdre le bénéfice du travail accompli.

Toutefois, le Gouvernement, estimant que le dispositif proposé manquait d’ambition et qu’il pouvait et devait être considérablement amélioré, l’a modifié au moyen d’une lettre rectificative, qui introduit deux nouveautés majeures : d’une part, la création d’une haute autorité de sûreté nucléaire, chargée de contrôler la sûreté nucléaire et la radioprotection et de participer à l’information du public ; d’autre part, un renforcement significatif des outils de contrôle de la sûreté des grandes installations nucléaires et des transports de matières radioactives.

La France opère actuellement des choix importants concernant le nucléaire civil, lesquels conduiront bientôt à des décisions opérationnelles. Les débats publics qui se sont déroulés ont mis en évidence des attentes fortes en matière de transparence et d’indépendance du contrôle.

Le Gouvernement estime indispensable que les décisions à venir, dans les prochains mois ou les prochaines années, soient prises dans le cadre d’une nouvelle organisation institutionnelle du contrôle et sur la base d’une législation rénovée, aptes à renforcer la confiance des Français.

Un travail approfondi a été mené par le rapporteur, Alain Venot, afin d’améliorer encore le projet de loi, après une première lecture constructive et fructueuse au Sénat. Je tiens à saluer la très grande qualité de son travail et l’intérêt des amendements qu’il propose. J’en évoquerai plusieurs dans la suite de mon propos.

J’en viens maintenant aux quatre grands objectifs du projet de loi.

Le premier objectif est de poser les grands principes applicables aux activités nucléaires.

Le projet de loi décline les grands principes de la Charte de l’environnement, texte majeur qui fait partie de notre acquis constitutionnel depuis un an. Il confirme que les grands principes en matière de protection de l’environnement s’appliquent aux activités nucléaires, à savoir les principes de prévention, de précaution, de pollueur-payeur, de participation et d’information du public.

Le Gouvernement estime utile d’y ajouter un principe fondamental en matière de sûreté nucléaire, inscrit dans le droit international, celui de la responsabilité première de l’exploitant. Il estime également indispensable que la loi énonce le rôle et les responsabilités de l’État en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection. Sur ces points, les amendements du rapporteur contribuent à faire progresser encore la pertinence et la lisibilité politique du texte.

Le deuxième objectif est de créer une haute autorité de sûreté nucléaire, chargée de contrôler la sûreté nucléaire et la radioprotection, et de participer à l’information du public dans ces domaines.

Le Président de la République a voulu cette réforme institutionnelle majeure, car l’acceptation des activités nucléaires par le public repose notamment sur la confiance qu’il accorde au dispositif mis en place pour le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.

Actuellement, les services chargés de ce contrôle sont intégralement placés sous l’autorité du Gouvernement, ce qui suscite des interrogations chez certains de nos concitoyens. Le Gouvernement doit en effet assumer d’autres responsabilités, toutes aussi importantes pour la collectivité, comme veiller à l’approvisionnement énergétique ou jouer son rôle d’actionnaire principal des grands opérateurs du secteur nucléaire.

Le Gouvernement a considéré qu’il fallait apporter une réponse sans ambiguïté à ces interrogations. C’est pourquoi il a inséré dans le projet de loi un nouveau titre qui donne le statut d’autorité administrative indépendante à la structure chargée, au sein de l’État, du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Il a également veillé à conserver les pouvoirs nécessaires à l’exercice de ses missions essentielles.

J’indique d’emblée que le Gouvernement n’a pas de doute sur la conformité du dispositif avec la Constitution. En effet, le Conseil d’État a été consulté, comme il se doit, sur la lettre rectificative et n’a pas soulevé d’objection.

La haute autorité de sûreté nucléaire sera constituée par un collège de cinq membres nommés pour six ans par le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat. Ces membres seront inamovibles et astreints à un devoir d’impartialité.

Le Gouvernement continuera à définir la réglementation s’appliquant aux activités nucléaires et à prendre les décisions individuelles majeures présentant une forte dimension d’opportunité politique, à savoir les autorisations de création et de démantèlement des grandes installations nucléaires. En cas de risque grave, il pourra suspendre le fonctionnement d’une installation et, en cas d’accident, il conservera toutes ses responsabilités en matière de protection de la population ou de mesures sanitaires.

La haute autorité de sûreté nucléaire sera consultée sur les projets de textes réglementaires. Elle sera chargée du contrôle des activités nucléaires, à la fois les grandes installations nucléaires et les installations nucléaires dites de proximité : laboratoires de recherche ou installations industrielles mettant en œuvre des sources radioactives, installations médicales. Elle pourra définir des prescriptions techniques individuelles s’appliquant à ces activités. Elle aura également la responsabilité de contribuer à l’information du public sur la sûreté nucléaire et la radioprotection.

La haute autorité disposera des services relevant aujourd’hui de la direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection et de ses onze divisions territoriales. Le Gouvernement entend évidemment conserver au sein de son administration les moyens nécessaires à l’exercice de ses compétences et il définira une organisation adaptée de ces moyens.

Votre rapporteur propose des améliorations très utiles, pour mieux garantir un fonctionnement collégial et une réelle solidarité entre les membres du collège.

Le troisième objectif est de garantir les conditions effectives de la transparence en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection.

La transparence est une notion qui paraît évidente à tout un chacun. Or cette évidence est trompeuse. L’ambition du projet de loi est de dépasser les incantations trop souvent entendues et de donner un contenu concret à cette notion. Je le rappelle, la transparence c’est d’abord la mise à la disposition du public d’une information complète sur la sûreté nucléaire et la radioprotection. Y concourent notamment les amendements visant à renforcer le contrôle du Parlement sur la haute autorité, ainsi que la possibilité pour le Gouvernement d’adresser des demandes à celle-ci.

Le Gouvernement estime qu’un point d’équilibre satisfaisant est atteint avec l’amendement de votre rapporteur qui récapitule les compétences du Gouvernement et de la haute autorité de sûreté nucléaire.

Depuis de nombreuses années, sous l’impulsion du Gouvernement, l’administration a réalisé des efforts importants en la matière : informations données quotidiennement sur Internet, par exemple sur les lettres adressées aux exploitants à l’issue des inspections ou les incidents significatifs avec leur classement sur l’échelle internationale des événements nucléaires, revue mensuelle et rapport annuel sur la sûreté nucléaire et la radioprotection.

Les exploitants ont, de même, réalisé des efforts notables, il est juste de le reconnaître. Le projet de loi donne un cadre et une légitimité nouvelle à ces efforts.

La transparence passe aussi par l’existence d’un droit d’accès effectif à l’information. S’agissant de celle détenue par les autorités publiques concernant la sécurité nucléaire et la radioprotection, ce droit existe déjà en vertu du code de l’environnement. Le projet de loi porte l’exigence bien au-delà en instituant un droit d’accès du public à l’information détenue par les exploitants d’installations nucléaires et les responsables de transport de matières radioactives. Cette innovation majeure distinguera les activités nucléaires des autres activités industrielles qui, elles, ne sont pas soumises à une telle obligation.

La transparence requiert enfin des lieux spécifiquement consacrés à l’information et au débat pluriel sur la sûreté nucléaire et la radioprotection, au premier rang desquels figurent les commissions locales d’information, appelées CLI. Les CLI ont été créées au fil des années autour de grandes installations nucléaires en application d’une circulaire du Premier ministre de 1981. Le projet de loi leur donne un statut législatif, consacre l’implication des collectivités territoriales, notamment des conseils généraux, dans leur fonctionnement et en pérennise le financement.

M. François Sauvadet. Très bien !

Mme la ministre de l’écologie et du développement durable. Le texte prévoit également la création d’une fédération des CLI, pour donner une assise à l’association nationale qui existe déjà.

Le deuxième lieu de débat est constitué par le haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire qui est destiné à prendre la relève du conseil supérieur de la sûreté et de l’information nucléaires. Il contribuera à la diffusion de l’information. Ouvert, il comprendra en particulier des parlementaires, des représentants des CLI, des associations et des organisations syndicales, de l’administration ainsi que des personnalités qualifiées.

Il n’y a pas, pour le Gouvernement, de confusion possible entre le rôle du haut comité et celui de la haute autorité. Cette dernière est chargée du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, et elle participe à l’information du public. C’est un organisme au caractère opérationnel marqué. La mission du haut comité – le pendant des CLI au niveau national en quelque sorte – est centrée sur le débat et l’information, sa composition permettant l’expression d’une pluralité de points de vue. C’est pourquoi le Gouvernement note avec intérêt l’amendement de votre rapporteur visant à mieux préciser la mission du haut comité.

Le quatrième objectif est de rénover la législation relative à la sûreté des grandes installations nucléaires, des installations nucléaires de base et du transport des matières radioactives.

Le projet de loi met en place une inspection de la sûreté nucléaire, dotée de pouvoirs importants. Il adapte la panoplie des sanctions administratives pouvant être prises à l’encontre des exploitants en cas de manquement. Il rénove les sanctions pénales en cas d’infraction, qui sont aujourd’hui trop faibles par rapport à ce qu’elles peuvent être pour d’autres activités.

Considérant que le projet de loi initial manquait d’ambition, le Gouvernement l’a considérablement renforcé sur plusieurs points par la lettre rectificative.

Il définit plus clairement les intérêts à protéger, en prenant acte de la conception élargie de la sûreté nucléaire aujourd’hui mise en pratique : prévention des accidents, mais aussi protection de la santé des personnes et de l’environnement.

Il précise les conditions posées à la délivrance de l’autorisation de création d’une installation, en faisant toute leur place aux mesures de prévention et de limitation, conformément à la Charte de l’environnement. En particulier, il affiche clairement que le risque zéro n’existe pas et que les mesures prises ont pour objet de prévenir et limiter les risques dans le cadre des connaissances scientifiques et techniques du moment. Le Gouvernement estime que de telles dispositions font partie intégrante de la transparence et du respect que nous devons aux Français.

Enfin, la haute autorité de sûreté nucléaire aura le pouvoir d’imposer à l’exploitant des prescriptions techniques complémentaires tout au long de la vie de l’installation, y compris lors de son démantèlement, par exemple pour corriger une anomalie ou prévenir un risque particulier identifié.

Votre rapporteur a proposé des amendements permettant d’améliorer encore la qualité du dispositif. Je pense aux dispositions spécifiques pour l’arrêt définitif et le passage en phase de surveillance des installations de stockage de déchets radioactifs, et aux dispositions améliorant l’information du propriétaire du terrain d’assiette d’une installation nucléaire de base. Le Gouvernement a également noté avec intérêt les amendements du rapporteur visant à améliorer l’implication des salariés dans la prévention des risques dans les installations nucléaires de base.

Je conclus en insistant sur l’importance du projet de loi qui vous est soumis. C’est le premier texte qui donne un cadre législatif général aux activités nucléaires et à leur contrôle. Il crée une haute autorité de sûreté nucléaire et prend acte des aspirations de notre société en matière de transparence. Il met la législation en cohérence avec la pratique, en portant le secteur nucléaire à la pointe dans ce domaine.

Il s’agit d’un texte indispensable pour fonder le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection sur des bases solides au moment où notre pays prend des décisions importantes en matière de nucléaire civil. Ce projet de loi est attendu depuis de nombreuses années, souvent annoncé, souvent reporté : le Gouvernement entend aujourd’hui le faire aboutir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M.  rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Alain Venot, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, adopté par le Sénat le 8 mars dernier, présente la particularité d’avoir été déposé par un gouvernement issu de la précédente majorité. Il a ensuite été modifié par une lettre rectificative, qui tend paradoxalement à prendre en compte les recommandations formulées sous la précédente législature par notre collègue Jean-Yves Le Déaut.

Tel qu’il a été adopté par le Sénat, le projet de loi comporte cinq titres et cinquante-huit articles. Sa présentation exhaustive figure dans mon rapport écrit et Mme la ministre vient de faire un excellent exposé. Je me bornerai donc à présenter très brièvement les titres II et III du projet de loi.

Le titre II est le plus novateur puisqu’il crée une autorité administrative indépendante en charge de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et de l’information du public dans ces domaines. Cette autorité administrative indépendante disposera de prérogatives importantes, en particulier en matière de contrôle. Son organisation présentera peu de différences avec les autorités administratives indépendantes qui assurent la régulation d’un secteur particulier de l’activité économique.

L’État, qui est de très loin le principal exploitant des grandes installations nucléaires – par l’intermédiaire d’entreprises publiques ou d’établissements publics – verra donc clairement distinguée en son sein une structure de contrôle de la sûreté, indépendante de ses préoccupations d’actionnaire ou de tutelle administrative. Toutefois, compte tenu de la nature des missions qui lui sont confiées et de l’enjeu pour la sécurité publique, nous avons veillé, comme le Sénat avant nous, à ce que le Gouvernement conserve les prérogatives fondamentales.

Ainsi, il ressort du jeu combiné des dispositions des titres II et III que la définition des règles générales de sûreté appartiendra aux ministres. Elles ne pourront, comme les règles de radioprotection, être complétées que de manière générale, et seulement par des décisions à caractère purement technique, dont l’entrée en vigueur sera subordonnée à l’accord des ministres qui devront les homologuer. Les décisions les plus importantes de la vie d’une installation – en particulier l’autorisation de création et l’autorisation de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement – demeureront de la compétence du Gouvernement puisqu’elles relèveront de décrets. La suspension du fonctionnement d’une installation en raison des risques qu’elle présente demeurera également de la compétence des ministres, sauf en cas d’urgence. Enfin, les sanctions administratives prises par l’autorité seront également soumises à l’homologation des ministres. Vous trouverez, dans mon rapport, page 33 et suivantes, un tableau de synthèse présentant l’évolution de la répartition des compétences.

Le titre III, qui améliore l’information du public en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection, a été substantiellement modifié par le Sénat.

La rédaction initiale du projet de loi confiait en effet, dans le secteur nucléaire, au haut comité qui était créé les compétences qui sont celles de la commission d’accès aux documents administratifs, la CADA. Dans un souci d’efficacité, et compte tenu du fait que la CADA fonctionne à la satisfaction générale, le Sénat a préféré étendre les compétences de cette commission à l’accès aux documents détenus par les exploitants nucléaires, qu’il s’agisse ou non de documents administratifs. Il a donc parallèlement recentré le haut comité sur sa mission fondamentale de concertation. Il s’agit là, me semble-t-il, d’une amélioration essentielle du texte, de nature à conforter nettement le droit à l’information en rendant son exercice plus efficace.

Notre commission a examiné ce projet de loi d’une manière extrêmement constructive, sous l’impulsion du président Ollier, et elle vous présentera quatre-vingt-dix-neuf amendements afin de l’améliorer.

Beaucoup d’entre eux sont de nature formelle. Ils ne sont pas dépourvus d’importance pour autant et je tiens, en particulier, à rappeler que c’est à l’unanimité que la commission a décidé de retenir la dénomination d’autorité de sûreté nucléaire au lieu de celle de haute autorité de sûreté nucléaire.

M. Daniel Paul. C’est la nuit du 4 août ! (Sourires.)

M. Alain Venot, rapporteur. Cela ne doit pas être pour vous déplaire, monsieur Paul !

M. Daniel Paul. En effet !

M. Alain Venot, rapporteur. Cela vous encouragera peut-être à voter le texte ! (Sourires.)

M. Daniel Paul. Il en faudrait plus.

M. Alain Venot, rapporteur. Les amendements rédactionnels mis à part, les principales propositions de la commission sont les suivantes.

Nous vous proposons, tout d’abord, par l’amendement n° 11, de rappeler, en préambule à la loi, quelles sont les autorités compétentes pour exercer les attributions prévues en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection. La question du partage des compétences est, en effet, absolument fondamentale. Notre discussion en commission a montré que nous étions tous attachés à la préservation des compétences régaliennes de l’État. Le texte les préserve, je l’ai dit, et nous l’améliorerons sur ce point. Il en résulte un partage fin des compétences entre le Gouvernement, les ministres et l’ASN qu’il nous a semblé utile de présenter de manière globale.

Dans le même esprit, l’amendement n° 14 souligne que le pouvoir d’homologation des ministres n’est pas une compétence liée et qu’ils doivent pouvoir exercer un veto à l’encontre de décisions de l’ASN.

L’amendement n° 26 prévoit l’homologation du règlement intérieur de l’ASN,...

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Alain Venot, rapporteur. ...sachant qu’il n’est pas d’usage qu’une autorité administrative fixe elle-même, sans contrôle, son règlement intérieur.

Nous avons également souhaité renforcer le contrôle parlementaire sur l’ASN. Tel est l’objet de l’amendement n° 21 qui permet la convocation du président de l’autorité par les instances du Parlement, et de l’amendement n° 22 qui fait obligation à l’ASN de déférer aux demandes qui lui sont adressées par les autorités politiques.

M. Claude Gatignol. Juste équilibre !

M. Alain Venot, rapporteur. S’agissant de l’information du public, la commission vous propose de reprendre l’architecture générale du texte telle qu’elle a été améliorée par le Sénat.

Toutefois, s’inspirant d’une proposition de notre collègue Christian Bataille, l’amendement n° 34 vise à étendre le droit à l’information au-delà des seuls exploitants d’INB, c’est-à-dire aux détenteurs de substances radioactives et aux personnes responsables de leur transport lorsque les quantités détenues ou transportées le justifient.

En ce concerne les commissions locales d’information, il nous est apparu important de prévoir systématiquement, par l’amendement n° 39, la représentation en leur sein des organisations syndicales. Nous avons également jugé utile que la loi précise la composition du haut comité et le nombre de ses membres : tel est l’objet de l’amendement n° 50.

Sur le titre IV relatif aux installations nucléaires de base et au transport de matières radioactives, les amendements de la commission sont, pour l’essentiel, d’ordre technique, comme le sont, du reste, les dispositions du projet de loi.

Toutefois, nous vous proposons de compléter ce titre par un chapitre consacré au rôle des salariés ; il s’agit d’un point fondamental, que vous avez vous-même évoqué, madame la ministre. Il est en effet d’autant plus regrettable que les salariés soient les grands absents du projet de loi qui nous a été transmis que leur rôle en matière de prévention des risques est irremplaçable : la loi du 30 juillet 2003 l’a d’ailleurs largement reconnu pour ce qui concerne les installations industrielles non nucléaires les plus dangereuses.

J’ai donc proposé à la commission, qui a bien voulu les adopter, quatre amendements, nos 79 à 82, tendant à aligner, quant au rôle des salariés dans la prévention des risques et sous réserve des spécificités du secteur nucléaire, le régime des installations nucléaires de base sur celui des installations industrielles non nucléaires les plus dangereuses.

Il vous sera ainsi proposé de reprendre les dispositions relatives à l’accroissement des compétences des comités d’hygiène de sécurité et des conditions de travail – les CHSCT – ainsi que celles permettant de tenir compte des risques spécifiques liés à l’intervention d’entreprises extérieures en cas de sous-traitance.

Enfin, toujours en matière de droit du travail, la commission vous propose de ne pas modifier l’articulation actuelle des compétences entre les inspecteurs du travail et les inspecteurs de la sûreté nucléaire.

De nombreuses idées ont été exprimées en commission par des collègues siégeant sur tous les bancs : pour l’opposition, je pense notamment à MM. Jean-Yves Le Déaut, François Brottes, Christian Bataille et Daniel Paul, et, pour la majorité, à MM. Claude Gatignol et Claude Birraux.

Ces suggestions, venant notamment de ceux de nos collègues qui sont d’éminents spécialistes des questions nucléaires, ce que je ne suis pas, m’ont très souvent semblé d’un grand intérêt et j’ai travaillé avec eux pour les mettre en forme. J’ai donc bon espoir que notre commission accepte d’autres amendements et que nous pourrons monsieur le président, comme ce fut le cas en commission, travailler de manière sereine et non partisane en séance publique à l’amélioration d’un texte que la commission vous appelle naturellement à adopter, modifié par les amendements qu’elle présente.

Je tiens enfin, madame la ministre, à vous remercier de votre écoute attentive, dans le respect des objectifs du projet de loi, et à remercier vos services dont l’assistance sur un sujet aussi technique a été très précieuse. Leur compétence, leur efficacité et leur disponibilité sont particulièrement rassurantes pour tous ceux qui se préoccupent de la qualité des personnels en charge de la sûreté nucléaire et de la radioprotection dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Ce projet de loi s’inscrit dans le prolongement de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, dans laquelle nous avons réaffirmé la nécessité de maintenir notre filière nucléaire. Il sera complété par le projet de loi de programme pour la gestion des déchets et matières radioactifs, que M. Loos est venu nous présenter en commission et dont M. Birraux, ici présent, est le rapporteur. Cette législature aura donc permis à la majorité, pour la première fois, de définir les objectifs de la politique énergétique et de confirmer le choix nucléaire, tout en créant un cadre juridique d’ensemble régissant les activités nucléaires, l’aval du cycle compris.

Je tiens à remercier notre rapporteur, M. Venot, pour son excellent travail. Il s’est dépensé sans compter sur ce texte et il a réussi à convaincre la commission d’adopter l’ensemble des amendements qu’il a proposés.

L’actuel projet de loi relatif à la transparence tient une place centrale dans l’édifice global. Il permet de parfaire l’information des citoyens et de conforter l’indépendance du contrôle et de la sûreté nucléaires, confiés à une autorité administrative indépendante, dont la création a suscité des interrogations.

J’ai moi-même eu de nombreux doutes, étant a priori peu favorable à ce type d’organisme. Le travail remarquable du Sénat a permis d’en lever la plupart, en garantissant que les autorités politiques conserveront des prérogatives étendues, notamment le pouvoir de prendre les décisions les plus importantes. Je tiens du reste à rendre hommage au travail accompli par nos collègues du Sénat, notamment par M. Henri Revol et M. Bruno Sido, les rapporteurs du projet de loi, et par mon homologue, le président Jean-Paul Emorine, travail sur lequel notre rapporteur s’est appuyé et qu’il revenait à notre commission de prolonger. Je crois, monsieur le rapporteur, que nous y sommes tous ensemble parvenus et que c’est de manière apaisée et dans un quasi-consensus – je prends à témoin M. Le Déaut et M. Daniel Paul –, que nous avons pu trouver des solutions aux problèmes les plus importants. Nous pourrons ainsi avancer rapidement et permettre au Sénat de poursuivre son travail.

Je tiens à remercier, pour l’UDF, notamment M. Sauvadet, qui a pris une part importante aux travaux de la commission et, pour l’UMP, M. Birraux et M. Gatignol, qui ont été les interlocuteurs permanents du rapporteur. Il est important également de souligner, madame la ministre, que la commission a accepté de nombreux amendements présentés par l’opposition.

M. Jean-Yves Le Déaut. C’est si rare !

M. Patrick Ollier, président de la commission. C’est pourquoi, je remercie MM. Le Déaut, Brottes, Bataille et Daniel Paul, de leur attitude responsable.

M. Claude Gatignol. Et de la qualité de leurs propositions !

M. Jean-Yves Le Déaut. Comme toujours. (Sourires.)

M. Patrick Ollier, président de la commission. La commission peut se féliciter d’avoir su hisser ses travaux au-dessus de cet esprit partisan, auquel il nous arrive parfois de nous laisser aller.

M. François Sauvadet. Si rarement !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Mon vœu, et celui de la majorité, est que nous poursuivions dans cette voie jusqu’à la fin de l’examen du texte et que, tous ensemble, nous produisions la meilleure loi possible dans le cadre des objectifs que nous partageons tous, par-delà des divergences essentielles. Madame la ministre, vous pouvez être certaine à la fois de notre soutien et de notre désir, qu’a rappelé le rapporteur, d’améliorer le texte.

Je tiens à évoquer rapidement deux points.

Le premier concerne l’autorité administrative indépendante : si la gestion quotidienne du contrôle doit être de son ressort, tout ce qui relève du pouvoir régalien doit rester à l’État.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Je répète que j’accepte volontiers la création d’une telle autorité à partir du moment où elle n’entraîne aucune équivoque quant au partage des rôles : l’organisation des pouvoirs prévue par la loi devra clairement laisser à l’État ses prérogatives tout en interdisant à l’autorité de décider en opportunité, puisque telle n’est pas, à nos yeux, sa mission.

M. François Sauvadet. Parfait !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Oui, monsieur Sauvadet, et c’est grâce au travail du rapporteur qu’un consensus a pu être trouvé sur la question.

L’indépendance de l’autorité vis-à-vis du Gouvernement ne doit donc concerner que la gestion quotidienne. Dois-je rappeler que le Gouvernement demeure l’actionnaire principal et l’autorité de tutelle des grands exploitants nucléaires ? L’autorité indépendante ne saurait donc se montrer irresponsable vis-à-vis du peuple français, de ses représentants ou du Gouvernement auquel il doit appartenir, je le répète, de fixer les orientations générales et de prendre les décisions les plus importantes.

Un second sujet me tient à cœur : si nos débats en commission ont été apaisés, c’est que, tous, nous avions conscience que ce texte, qui vient de loin – c’est vous, chers collègues de l’opposition, qui l’avez déposé en 2001 – n’était plus objet de polémique. Dès lors, je regrette que l’urgence ait été déclarée.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour. J’allais le dire !

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous le regrettons aussi !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Je le dis au nom de la commission tout entière : si la procédure d’urgence peut se justifier pour d’autres textes,…

M. Jean-Yves Le Déaut. Elle ne se justifiait pas pour le CPE non plus !

M. Patrick Ollier, président de la commission. …elle n’est pas adaptée au présent texte (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française) : attendu depuis cinq ans, il mérite d’être examiné avec sérénité par les deux assemblées. Je tiens d’ailleurs à noter, madame la ministre, que c’est le fait d’avoir pris l’engagement devant la commission, qui m’a mandaté à cet effet de manière consensuelle, de vous demander de ne pas provoquer la réunion de la commission mixte paritaire à l’issue de nos séances, qui a été de nature à apaiser nos travaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. – « Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.))

C’est pourquoi, madame la ministre, je souhaite, au nom de la commission des affaires économiques, que vous accédiez à notre demande en réponse à notre promesse de ne pas faire durer le débat, mais d’aller à l’essentiel et de légiférer dans l’intérêt général en dépassant les polémiques politiciennes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme la ministre de l’écologie et du développement durable. Monsieur le président de la commission, soucieuse, comme vous, de la sérénité de nos débats, et compte tenu de la qualité du travail des membres de votre commission et de son rapporteur, je vous propose de ne pas faire usage de la faculté du Gouvernement de convoquer une CMP à l’issue de nos séances et de laisser la navette se poursuivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Patrick Ollier, président de la commission. Madame la ministre, je vous en remercie au nom de la commission des affaires économiques.

Exception d’irrecevabilité

M. le président. J’ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une exception d’irrecevabilité, déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

Je vous rappelle que la conférence des présidents a fixé à trente minutes la durée maximale de l’intervention.

La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous devons examiner un texte dont l’initiative a été prise en 1999 avant de faire l’objet d’un premier projet de loi. Il était devenu essentiel que le Parlement l’examine, puisqu’il vise à accroître la transparence en matière nucléaire dans le contexte actuel de restructuration du secteur énergétique et de transformation en société anonyme d’un des principaux exploitants de la filière électronucléaire.

Toutefois, depuis 2001, que d’atermoiements et de confusions dans la procédure suivie par le Gouvernement : inscription à l’ordre du jour du projet de loi, puis ajournement à la suite de l’annonce du Président de la République de la création d’une autorité indépendante chargée du contrôle de la sécurité et de l’information ; adoption, enfin, d’une lettre rectificative venant sensiblement modifier le texte originel. Reconnaissez, madame la ministre que, sur la forme, ces décisions contradictoires sont symptomatiques d’un dysfonctionnement majeur au sein de l’exécutif !

Et voilà que le Gouvernement, à l’issue un tel parcours, déclare, après cinq ans, l’urgence et veut abréger un débat aussi attendu que nécessaire. Pourquoi ? Vous ne pouviez pas justifier cette décision par une volonté présupposée de l’opposition de vouloir tronquer ou retarder le débat. La proposition du président Ollier révèle la gêne de votre majorité en la matière : vous l’avez bien sentie, puisque vous avez répondu favorablement à la demande de la commission.

Du reste, comme le démontre l’historique du projet de loi, notre volonté de participer à l’élaboration d’un texte de qualité ne pouvait être mise en doute. Cette décision, visant à abréger l’examen du texte, était source de suspicion, alors que notre objectif commun – je l’espère du moins – est de bannir un tel sentiment du débat sur le nucléaire.

L’affaire qui nous occupe est déjà ancienne. Nous ne contestons d’ailleurs pas les motifs d’opportunité qui ont pu conduire l’actuel gouvernement à se saisir de nouveau d’un tel projet. Je rappelle toutefois que la colonne vertébrale de ce texte, à savoir la mise en place d’une autorité indépendante en matière de nucléaire civil, avait initialement fait l’objet d’un avis négatif du Conseil d’État. Je ne sais si la lettre rectificative du Gouvernement, qui est venue, depuis lors, amender le texte, lève les préventions du juge administratif puisque l’avis de celui-ci restera secret tant que le Gouvernement n’acceptera pas de révéler son contenu au Parlement en vue d’éclairer ses travaux.

Madame le ministre, nous vous demandons de rendre public cet avis, comme vous en avez le pouvoir, car la question de la pertinence de la création de cette autorité de contrôle reste, à l’évidence, posée. En effet, nous restons convaincus que nous ne saurions substituer au principe de la maîtrise publique, celui d’un simple contrôle public, surtout dans un domaine aussi stratégique que la transparence et la sécurité en matière nucléaire.

Depuis quelques années, nous ne pouvons que déplorer ce mouvement continu de translation de la logique de maîtrise vers celle de contrôle, mouvement qui accompagne le désengagement de l’État et la libéralisation de secteurs entiers de notre économie. C’est le motif essentiel de la présente exception d’irrecevabilité.

Par ailleurs, l’avenir de la filière électronucléaire repose en grande partie sur l’amélioration de la perception par les citoyens de ses avantages et de ses dangers. L’instauration ou la restauration de la confiance passe nécessairement par l’amélioration qualitative et quantitative de l’information mise à la disposition de tous. Le mot « nucléaire » ne doit plus être de ceux que l’on prononce à voix basse. Si nous voulons lever la suspicion actuelle de l’opinion publique, il faudra lui prouver qu’un mensonge aussi gros que celui prononcé à l’occasion de la catastrophe de Tchernobyl, selon lequel le nuage radioactif se serait arrêté à notre frontière, ne sera plus possible demain.

Les réformes qui iraient en ce sens seraient donc les bienvenues, mais cela risque de ne pas être l’effet du présent projet, insuffisant à bien des égards, le contexte ayant profondément changé depuis que vous avez décidé de mettre entre les mains de personnes de droit privé l’ensemble des réacteurs nucléaires.

Auparavant, les centrales françaises étaient possédées par une personne publique, un EPIC soumis à la tutelle de l’État et guidé par le seul intérêt général. Or depuis que vous avez changé le statut d’EDF et ouvert largement son capital, tous les outils de production énergétique sont soumis aux lois du marché, et guidés par la volonté des actionnaires. Les installations nucléaires les plus importantes étant maintenant entre les mains d’opérateurs privés, il faut recréer les mécanismes de contrôle que la tutelle assurait auparavant correctement. En effet, demain, ce ne sera pas uniquement EDF qu’il faudra contrôler, mais aussi Suez, ENEL ou encore EON.

Ainsi, la nécessité du contrôle par une autorité administrative indépendante est directement liée à l’abandon de la maîtrise publique de l’énergie par le Gouvernement, alors que l’énergie est un bien vital pour nos concitoyens et pour notre économie.

Or, le contexte de la discussion du présent projet de loi – la loi du 9 août 2004 qui a marqué la fin du monopole d’EDF sur la production, le transport et la distribution d’énergie, ajoutée aux perspectives de privatisation de GDF qui, comble de l’ineptie, sera demain un concurrent d’EDF – nous invite à nous interroger sur la constitutionnalité du dispositif.

On abandonne la maîtrise publique de l’énergie alors que le neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 dispose que « tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Ainsi, votre politique énergétique libérale, visant à privatiser EDF et GDF et à répondre aux nécessités de contrôle par une autorité administrative indépendante, est contraire au bloc de constitutionnalité.

Le principe que ce dernier énonce est fondamental et vous le foulez une fois encore aux pieds. Le bon sens impose en effet de considérer que les questions de sécurité de l’approvisionnement énergétique, de maîtrise des coûts de production et de distribution énergétique, enfin de transparence sont de nature stratégique et doivent par conséquent relever exclusivement de la compétence de l’État. Cela d’autant plus que ces enjeux concernent le destin de notre pays et, plus prosaïquement, le quotidien et la sécurité de nos concitoyens. C’est ce que votre projet de loi persiste à vouloir ignorer.

À quoi répond, en effet, le souhait de créer une haute autorité de contrôle en matière de nucléaire civil, sinon au désir d’anticiper sur les conséquences de la dérégulation et de la libéralisation du secteur de l’énergie ? Depuis l’adoption de la loi de 2004 et demain plus encore, les principales sources de risque nucléaire pour la population et l’environnement seront entre les mains de personnes privées. Qui peut garantir que nos centrales nucléaires ne seront pas un jour entre les mains de personnes dont la priorité ne sera pas la sécurité, mais la distribution des dividendes les plus élevés possibles à leurs actionnaires, comme c’est la règle aujourd’hui ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Eh oui !

M. Jacques Desallangre. La filière électronucléaire pourrait-elle échapper à cette logique alors que l’un de ses exploitants principaux vient d’ouvrir son capital ? Une dilution de son capital public sera si vite arrivée dans le cadre d’une OPA ou tout simplement d’une fusion-acquisition avec un autre opérateur européen ou non ! Les installations nucléaires seront donc demain entre les mains d’entreprises dont l’objectif est de réaliser des bénéfices, notamment en jugulant et en contrôlant les coûts de production.

Or, la sûreté et la sécurité sont pour les entreprises des coûts à optimiser en fonction du concept de risque acceptable. Alors que pour EDF et GDF – personnes publiques comme la SNCF – la sécurité représente un impératif, elle devient pour les entreprises privées une contrainte.

C’est dans ce contexte de libéralisation et de déréglementation que la création d’une autorité vous apparaît souhaitable. En d’autres termes, ce n’est que parce que vous appliquez votre dogme libéral au secteur énergétique que vous êtes contraint de créer une autorité administrative indépendante. La libéralisation, renforcée par la loi de 2004, s’est déjà traduite par une dégradation effective du niveau de sûreté, due à une gestion tournée essentiellement, je le répète, vers la recherche de gains financiers.

Les rapports annuels de l’inspecteur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection ainsi que celui des autorités de sûreté nucléaire nous alertent sur les incidences de la recherche de la compétitivité associée à la libéralisation du secteur. Ils soulignent, notamment, l’évolution des conditions d’exploitation pour tenir compte des aléas du marché et garantir l’augmentation des marges financières. Peut-être jugez-vous que leurs conclusions relèvent d’approches archaïques puisque c’est ainsi que la majorité stigmatise toutes les expressions qui, fussent-elles de simples constats, contrarient le modèle libéral prétendument indépassable dont vous êtes les promoteurs.

En outre, cette recherche de rationalisation des coûts conduit à une régression de la politique de la recherche : les effectifs de recherche et développement à EDF ont baissé d’un tiers depuis 1999 et le budget consacré à cette activité est en baisse de 37 %. De plus, la libéralisation du secteur de l’énergie, associée à la privatisation d’EDF, favorise la dégradation des conditions de travail et des garanties sociales des salariés : 80 % des doses d’irradiation reçues dans le nucléaire et 70 % des accidents du travail sont subis par des salariés de la sous-traitance. L’autorité de sûreté nucléaire souligne à ce sujet : « Lorsque des prestataires d’EDF sous-traitent à des entreprises qui, à leur tour, font appel à la sous-traitance, il devient difficile de contrôler effectivement la qualification de l’intervenant et la qualité des travaux. » Le recours à l’emploi précaire dans les centrales nucléaires ou électriques est le double de celui observé dans l’industrie, atteignant parfois 70 % dans les activités les plus exposées aux risques professionnels.

Si le Gouvernement et la Commission européenne ne se révélaient si dogmatiques, la maîtrise publique aurait conservé un haut niveau de sécurité auquel on aurait pu apporter, certes, des améliorations, notamment en ce qui concerne la place et le fonctionnement des CLI et la qualité de l’information.

Vous me permettrez de reprendre à mon compte quelques-unes des analyses développées par Daniel Paul dans le cadre du dépôt, l’an dernier, d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’ouverture à la concurrence des services publics, notamment dans le secteur de l’énergie. J’avais bien entendu cosigné cette proposition dont les attendus sont particulièrement éclairants pour notre débat.

Nous assistons, en effet, depuis 1990, à la remise en cause radicale d’une forme juridique née d’un projet politique alors largement approuvé par la gauche comme par la droite de cet hémicycle – le service public. Forme juridique dont le Conseil d’État a posé les trois principes constitutifs : la continuité, qui renvoie à l’existence d’un besoin social ou stratégique et implique que l’activité soit continue ; l’égalité, selon laquelle tous les usagers sont placés en position égale, sans discrimination ni avantage particulier, qui implique en particulier l’instauration de mécanismes de péréquation sociale et géographique ; enfin, l’adaptabilité exigeant que les prestations soient adaptées en permanence à l’évolution des besoins, tant sur le plan qualitatif que quantitatif.

Or, depuis que la réalisation du marché intérieur, fondée sur la libéralisation des économies, constitue l’unique credo de la politique de l’Union européenne, les grands acteurs du service public ont dû apprendre à renoncer à s’inscrire dans une logique dépassant celle des stricts intérêts économiques et financiers, et à se soumettre à de nouvelles règles du jeu au détriment de la qualité de service et de la sécurité.

Ce fut d’abord le cas du service public des transports et des télécommunications, puis celui du service postal. Nous assistons aujourd’hui au démantèlement du secteur de l’énergie par la libéralisation. Or rien ne permet aujourd’hui d’affirmer que l’ouverture de nos services publics à la concurrence a fait d’une quelconque manière la preuve de son efficacité. Où sont en effet les progrès attendus de ce vaste mouvement d’ouverture à la concurrence ? Force est de constater que cette vaste et hasardeuse entreprise n’a fait à ce jour l’objet d’aucun examen critique, d’aucun bilan précis.

Au bilan raisonné, on continue visiblement de préférer l’entêtement idéologique. Car il est évident que les ouvertures à la concurrence n’ont pas permis d’enregistrer les bénéfices qu’usagers et citoyens étaient censés tirer de cette nouvelle donne économique. Au contraire, tant dans le domaine des transports que dans celui des télécommunications, la dernière période s’est traduite par une hausse générale des tarifs, celui du transport voyageur et de l’abonnement téléphonique par exemple, et par le développement des inégalités territoriales – fermeture de gares d’un côté et développement de la fameuse fracture numérique, de l’autre. La qualité des réseaux s’est également dégradée. On le voit avec les problèmes de maintenance que rencontre notre réseau ferré. Je pourrais prendre aussi l’exemple de la fermeture de nombreux bureaux de poste.

Il n’aura donc fallu que quelques années, parfois quelques mois, pour que ce qui constituait la force mais aussi l’efficacité économique et sociale du service public, cède la place à des logiques qui sont autant de menaces graves pour la vitalité et l’aménagement du territoire, pour l’égalité et la sécurité de nos concitoyens. Nous devons cette dégradation à l’absence de toute réflexion politique d’ampleur sur les limites de la logique de marché, dès lors que celle-ci pénètre toutes les mailles de notre tissu économique et social.

Il est temps, je crois, que tous, et je m’adresse en particulier à mes collègues de la majorité, nous fassions preuve de davantage de prudence et prenions véritablement la mesure de la situation ; prise de conscience d’autant plus urgente que l’ouverture à la concurrence du secteur de l’énergie commence à produire ses premiers effets.

Le cas de Gaz de France constitue d’ores et déjà une remarquable illustration du fiasco de la déréglementation. Les chiffres sont éloquents : le prix du gaz a augmenté de 30 % entre 1999 et juin 2005 et de 18 % encore ces six derniers mois ! Quant à la qualité du service, non seulement l’indice de satisfaction de la clientèle n’a cessé de chuter, au point d’embarrasser la direction de Gaz de France, mais nous avons en outre assisté, en matière de sécurité, à de dramatiques accidents.

Ces données illustrent hélas parfaitement les dangers que fait peser sur nos concitoyens la logique économique et marchande de la gestion des risques, notion incompatible avec l’une des principales missions du service public : garantir le droit à la sécurité. En effet, le contrat de service public 2005-2007 avalise et aggrave cette orientation puisqu’il stipule que le délai d’intervention d’urgence gaz passe de vingt-cinq minutes à une heure !

Il n’est pas difficile de voir, dans ce contexte, que la déréglementation, pour reprendre les termes employés par Olivier Barrault, équivaut à une « désoptimisation » du modèle qu’a construit la France avec le monopole de service public nationalisé, avec les établissements EDF-GDF. Cette « désoptimisation » représente un coût exorbitant, notamment en ce que les directives européennes organisent la segmentation des activités des opérateurs historiques du secteur, en tendant à constituer en structures indépendantes la gestion de la production, du transport et de la distribution.

C’est à l’Autorité des marchés financiers que je me référerai en l’espèce, puisqu’elle précisait à propos de Gaz de France que « l’ouverture des marchés a pour conséquence une réorganisation majeure du système pouvant potentiellement le perturber. De telles perturbations – goûtez l’euphémisme, mes chers collègues – peuvent avoir des conséquences négatives sur la qualité des services rendus et générer des coûts importants. La mise en place de nouvelles structures pourrait engendrer des coûts significatifs. Enfin, la séparation de la gestion des réseaux de transport et de distribution en des structures indépendantes pourrait entraîner la perte de synergies ».

Les perspectives qu’ouvre cette analyse n’incitent pas à un optimisme particulier, d’autant que ce qui est vrai pour GDF l’est aussi, ou le sera demain, pour l’ensemble du secteur de l’énergie et pour celui du nucléaire en particulier.

Pour compléter le bilan des déréglementations et l’exemple, qui a valeur de symptôme, du devenir de Gaz de France, comment ne pas évoquer la pénurie de gaz durant la vague de froid de l’an passé, qui a obligé GDF à effectuer des coupures, et les incidents analogues qui frappent l’Italie et les États-Unis dans le domaine la fourniture en électricité ? Si l’approvisionnement en énergie est l’instrument clé de la croissance économique et le symbole par excellence de la souveraineté, alors l’interrogation centrale doit porter sur les conséquences à court, moyen et long terme des déréglementations et sur la capacité des politiques à se ressaisir de ces questions : bientôt, ceux-ci en seront à expliquer que c’est le marché qui décide et que nous n’y pouvons rien !

Le débat sur le rapprochement entre Suez et Gaz de France soulève à cet égard de vives inquiétudes. Le Gouvernement ne s’était pas montré avare de promesses lors de l’ouverture du capital d’EDF et de GDF : la participation de l’État au capital du gazier ne descendrait pas au-dessous de 70 %, assurait-il. Cette participation constituait, selon vous, une « véritable muraille de Chine ». En dépit de ces phrases ministérielles pleines de force, dix-huit mois auront suffi pour que la parole de l’État soit trahie.

Alors que les enjeux énergétiques – fusion de EDF et de GDF, politique européenne de l’énergie – justifient l’implication de l’État, vous confirmez aujourd’hui, en livrant EDF et GDF aux marchés financiers, ce que nous dénoncions il y a dix-huit mois. En 1999, je fus un des seuls à plaider auprès du précédent gouvernement pour un regroupement de ces deux établissements publics, qui aurait permis de dégager des synergies, d’éloigner le spectre d’OPA hostiles et de conserver l’esprit du service public. Au lieu de cela, vous avez souhaité exacerber la concurrence entre ces entreprises et libéraliser le marché. Votre « patriotisme économique » ne doit donc pas faire illusion. Présenter le mariage entre Suez et GDF comme une parade à l’éventuelle offre du groupe italien Enel, et donc comme une initiative contrariant la logique de marché, est une présentation fausse de la réalité : quelle que soit l’issue de ce bras de fer européen, les grands perdants seront les usagers, avec des hausses de tarifs, les salariés, dont les emplois sont menacés, et enfin notre pays, qui perdra la maîtrise de GDF. Les seuls gagnants seront les actionnaires, et cela a déjà commencé. Vous agitez comme un hochet la présence de l’État à hauteur de 34 % dans le capital du nouveau groupe, mais vous connaissez les limites de cette présence : le ministre des finances est bien placé pour savoir ce que cela a donné pour France Télécom !

C’est d’autant plus grave qu’en livrant l’énergie aux intérêts de la finance vous mettez également en danger nos concitoyens : rien ne permet en effet de penser que le nucléaire ne sera pas logé demain à la même enseigne. Nous nous trouverons alors confrontés à une situation extrêmement grave. À partir du moment où les entreprises du secteur auront pour objectif, non plus d’assurer un service, mais d’assurer une rente aux marchés financiers, c’en sera fini du service public et de toute politique volontariste de maîtrise énergétique.

Ce texte ne doit pas faire illusion. En créant la Haute autorité de sûreté nucléaire, le Gouvernement propose une mesure d’affichage politique qui traduit en fait un désengagement de l’État en matière de contrôle du nucléaire civil.

Certes, la substance du projet est incontestablement la création de cette haute autorité administrative indépendante chargée du contrôle de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et de l’information. Mais de quelle indépendance parle-t-on ici ? De l’indépendance par rapport aux exploitants ? De l’indépendance par rapport au corps des Mines, dont sont issus la plupart, sinon la totalité, des acteurs majeurs du secteur nucléaire ? Pas du tout ! Ce dont il est question, c’est de l’indépendance par rapport à ceux qui assument la responsabilité des choix énergétiques de la France, donc par rapport à ceux qui ont à rendre des comptes devant le peuple français. Or notre constitution interdit que les pouvoirs exécutif et législatif se dessaisissent ainsi de leurs prérogatives au profit d’un énième « machin » dans des matières aussi sensibles et importantes pour la sécurité de nos concitoyens et pour l’environnement.

Être indépendant ne veut pas dire ne pas rendre de comptes. Comme l’ont fait remarquer certains juristes, la Haute autorité de sûreté nucléaire apparaît comme un démembrement de l’administration, tous les moyens humains, financiers et techniques étant attribués à un collège de cinq personnes désignées pour six ans et inamovibles durant cette période. Qui plus est, cette structure dispose d’énormes pouvoirs juridiques pour édicter des règlements et effectuer des contrôles. Elle se substitue en réalité aux services du ministère délégué à l’industrie. Ne recevant aucune instruction d’un ministre, elle échappe à tout contrôle hiérarchique ou politique du Parlement et du Gouvernement.

À cet égard, il est très regrettable que vous n’ayez pas retenu la proposition de créer une commission parlementaire spécifique chargée du contrôle de cette autorité. C’était pourtant primordial : la représentation nationale ne peut, une nouvelle fois, être écartée, car cette mission de surveillance relève clairement de sa compétence. Les amendements déposés par votre majorité montrent bien, madame la ministre, que même à ses yeux votre projet est d’un extrémisme inquiétant. Le président Ollier lui-même s’est fait l’interprète de cette inquiétude

Indépendante, avec des membres inamovibles et dotés de pouvoirs réglementaires exorbitants, la Haute autorité n’en est pas moins irresponsable, puisqu’elle n’est pas dotée de personnalité morale propre. Alors qu’elle arrête ses décisions en toute indépendance vis-à-vis de l’État, elle engage la responsabilité de celui-ci en cas de faute. Ne voyez-vous pas, madame la ministre, l’absurdité de la chose ?

Le caractère extraordinaire de cette situation de pleins pouvoirs et d’irresponsabilité nous a conduits à examiner plus précisément la composition de cette instance. Et là, nous ne pouvons qu’être frappés par le risque de consanguinité entre le contrôleur et le contrôlé – plus qu’un risque, d’ailleurs, c’est une certitude. Le probable futur président n’est-il pas un ancien dirigeant de la COGEMA ? La Haute autorité sera sûrement indépendante de l’État, mais pas de l’industrie nucléaire : le collège de cinq membres désignés sera composé de personnes dont la carrière se sera déroulée dans ce secteur et l’endogamie sera quasi totale : après avoir été sur les bancs de la même école, puis collègues de bureau des mêmes opérateurs, l’un deviendra contrôleur et l’autre sera contrôlé. Quelle personne de bon sens peut croire que ce système de contrôle est le plus efficace ? Est-ce là assurer la rigueur et la raison dans la gestion des affaires d’une même famille ? Qui contrôlera le contrôleur ? Le Gouvernement ? Le Parlement ? Les citoyens ? Non : personne !

L’autorité – l’adjectif « haute » étant appelé, semble-t-il, à disparaître – que vous appelez de vos vœux cumule des pouvoirs considérables, puisqu’elle sera chargée à la fois du contrôle de l’application des réglementations et de l’information du public dans ces domaines. Une telle organisation contredit le principe de la séparation entre les missions d’expertise, de contrôle et d’information, qui devrait pourtant logiquement prévaloir et qui est conforme à ce que nous souhaitons.

Cette nouvelle autorité sera-t-elle à même de renforcer la confiance des citoyens dans le nucléaire ? D’une part, cette confiance a toujours reposé sur la mise en œuvre de la filière nucléaire par une entreprise publique ayant fait ses preuves en matière de compétence technique et de sécurité industrielle. D’autre part, nous saisissons mal en quoi l’externalisation du contrôle de la sécurité nucléaire et la délégation de pouvoir de l’État à une haute autorité constitueraient une garantie d’indépendance de nature à rassurer nos concitoyens. Nous pouvons au contraire craindre qu’une telle autorité n’offre un cadre plus favorable à l’exercice de pressions de tous ordres, notamment des grands groupes industriels.

L’avis rendu par la Conseil d’État en 1999 allait dans ce sens en affirmant que la sûreté constitue un sujet dont l’importance requiert la tutelle directe de l’État. Celui-ci doit disposer des moyens d’une appréciation d’ensemble de la politique de sécurité nucléaire et ne saurait se dessaisir des pouvoirs concrets de contrôle dont il dispose, notamment à travers le corps des inspecteurs de sûreté nucléaire. Sa mission en la matière ne peut être réduite à l’exercice des compétences législatives et réglementaires. C’est par le renforcement des moyens humains et matériels de la direction générale de la sûreté nucléaire, aussi bien que de ses moyens de contrôle et d’information, que se gagnera la confiance de nos concitoyens, et non par la création d’une énième autorité administrative dont je doute, au demeurant, que nos concitoyens apprécient l’opportunité.

Voilà ce que nous ne comprenons ni n’acceptons. La gestion du nucléaire impose de concevoir des stratégies à long terme et de tenir compte d’une multitude de paramètres, au premier rang desquels se trouve la sécurité de nos concitoyens. Qu’il s’agisse du traitement et de la gestion des déchets, du démantèlement des installations, des programmes de réalisation de nouveaux équipements, de la maîtrise des coûts de production et de distribution, ou encore de l’équilibrage des ressources énergétiques, les enjeux sont nombreux et tous décisifs. À l’évidence, la priorité est aujourd’hui que l’État reprenne la main pour garantir le caractère public de la gestion du nucléaire : il y va du respect de notre constitution.

Votre texte fait tout le contraire : malgré la multiplication des tentatives destinées à faire illusion, il entérine la logique de désengagement de l’État déjà à l’œuvre depuis près d’une décennie et y ajoute le principe d’une délégation de ses pouvoirs de contrôle.

J’invite donc l’Assemblée à adopter cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Claude Gatignol, pour le groupe UMP.

M. Claude Gatignol. Irrecevabilité, dites-vous, monsieur Desallangre ? Je ne crois pas avoir entendu dans votre intervention un seul argument propre à jeter le doute sur la recevabilité du texte proposé par le Gouvernement, amendé par le Sénat et examiné par la commission des affaires économiques.

Votre critique a porté essentiellement sur la valeur du contrôle de la sûreté et de la radioprotection par une autorité administrative. Or, outre le fait que cette instance est dite indépendante…

M. Jacques Desallangre. Eh oui : « dite » seulement !

M. Claude Gatignol. …et que cette indépendance est assurée par plusieurs dispositions, la continuité et l’efficacité de l’action de l’État sont garanties par les quatre cents inspecteurs qui travaillent sur le terrain et dont la compétence est reconnue. En aucune façon le rôle de l’État n’est diminué : bien au contraire, ce sont les ministres chargés de la sûreté nucléaire qui sont les premiers interlocuteurs de cette autorité. La composition et les règles de fonctionnement de celle-ci ne peuvent que nous rassurer sur son action de contrôle en toutes circonstances, au quotidien comme en situation d’urgence.

En outre, c’est l’établissement industriel nucléaire qui est contrôlé : le statut de son exploitant n’est pas en cause. C’est heureux tant pour la sécurité des populations que pour celle des personnels appartenant à l’organisation interne de l’exploitation d’une installation nucléaire. Votre référence aux textes récents qui ont donné une liberté d’action à notre grand champion de l’énergie, EDF, ne peut être retenue pour défendre l’irrecevabilité : au contraire, le moment était venu d’inscrire les règles de la sûreté nucléaire dans un texte législatif, de même que la garantie du droit à l’information pour tout citoyen que préoccupe l’énergie nucléaire.

Ce texte arrive logiquement après la promulgation, en juillet 2005, de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique. Il renforcera la confiance qu’une majorité de Français accordent à cette industrie garante de notre compétitivité et de notre indépendance.

Le groupe UMP ne votera donc pas l’exception d’irrecevabilité.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Daniel Paul. Vous ne serez pas surprise, madame la ministre, que je soutienne la motion que vient de défendre Jacques Desallangre.

Le contexte me semble, en effet, extrêmement préoccupant. La dernière étape, la fusion entre Suez et GDF, dont on parle beaucoup, accélère le processus.

Il s’agirait de protéger Suez des menaces d’un groupe européen. En fait, et le ministre des finances l’a reconnu, il s’agit bel et bien de privatiser GDF puisque les discussions avaient commencé bien avant. Ce ministre est d’ailleurs un spécialiste : on sait ce qu’est devenue une autre grande entreprise après son passage ! Mais c’est plus grave. Si GDF était absorbé par Suez, c’est à son démantèlement que nous assisterions puisqu’il ne saurait être question de maintenir le réseau de transport à l’intérieur de cet ensemble.

On nous dit également que l’État garderait 35 % dans le nouveau groupe et que ce serait une garantie contre un certain nombre d’opérations financières.

M. François Sauvadet. On s’éloigne du sujet !

M. Daniel Paul. Non, on est en plein dedans !

Un tel argument ne vaut rien, sauf si l’État prouve le contraire dans le cadre d’une autre opération qui se déroule actuellement entre les Caisses d’épargne et un groupe bancaire.

M. Daniel Prévost. Cela n’a rien à voir !

M. Daniel Paul. On nous dit que la Caisse des dépôts et consignations conserverait 35 % du capital des Caisses d’épargne. Il semblerait que, bras de l’État dans ce genre de choses, elle ne s’oppose pas à une telle opération. Comment croire dans ces conditions que les 35 % conservés par l’État seraient la nouvelle muraille de Chine dont on nous parlait il y a quelques mois à propos de GDF ? Il y a des murailles de Chine qui s’effondrent facilement…

Comme l’a souligné Jacques Desallangre, il est nécessaire de faire un bilan, en particulier sur les avantages et les inconvénients, les intérêts et les défauts de tout ce qui se passe en matière énergétique depuis quelques mois. Si vous nous apportez la preuve que les évolutions des derniers mois sont bénéfiques en matière de sécurité, de tarification et de sécurisation des salariés à l’intérieur des entreprises, nous voterons ce texte. Or vous n’en êtes absolument pas capable.

Pour le nucléaire, c’est encore plus grave. Au-delà des grands mots, du patriotisme dont on nous parle, l’État doit conserver la pleine maîtrise si l’on veut maintenir la confiance de nos salariés.

Monsieur Gatignol, vous venez de dire qu’on avait toujours confiance dans le nucléaire dans notre pays. Je souhaiterais que ce fût vrai. Vu la façon dont se déroulent nos débats, je n’en suis pas sûr. Cela fait quatre ans que le Gouvernement a un texte sous le coude, et il le présente maintenant en déclarant l’urgence ! Je suis d’accord avec le président Ollier, qui a demandé que l’urgence soit levée.

M. Claude Gatignol. C’est fait.

M. Daniel Paul. Oui, mais qu’est-ce qui justifie que vienne dès demain matin en commission un texte sur les déchets nucléaires qui est en attente depuis quinze ans dans le cadre de la loi Bataille et qui serait maintenant présenté en urgence lui aussi, presque en catamini, alors qu’on le sait couvert par un autre événement qui s’appelle le CPE,…

M. Jean-Louis Dumont. Nous sommes là, nous sommes vigilants !

M. Daniel Paul. …comme si l’on espérait que sa discussion devant le Parlement n’attire pas trop l’attention ?

On voudrait porter préjudice à la filière nucléaire civile en procédant de la sorte avec la loi sur la transparence et la loi sur les déchets qu’on ne s’y prendrait pas autrement !

La confiance dont vous parlez est entamée par de telles procédures, qui ne sont pas dignes de l’attention que l’on devrait porter à la filière électronucléaire et au travail du Parlement.

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe UDF.

M. Jean Dionis du Séjour. Vous avez d’abord parlé, monsieur Desallangre, de tous les méfaits de la privatisation du secteur de l’énergie.

M. François Brottes. Il a raison !

M. Jean Dionis du Séjour. C’est un débat respectable mais ce n’est pas le débat de ce soir. (« Si ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) On l’a eu en long, en large et en travers lors de la loi d’orientation sur l’énergie et lors de la loi sur EDF. Nous considérons donc, à notre humble avis, que ce débat est hors jeu.

Vous avez ensuite parlé de la légitimité et de l’opportunité de la constitution d’une autorité. On est au cœur du sujet, et c’est un débat légitime. Vous avez critiqué la composition et la structure d’une autorité indépendante. À l’UDF, nous n’avons pas de réticence particulière contre un tel montage.

M. Daniel Paul. Le contraire nous eût étonnés !

M. Jean Dionis du Séjour. C’est même le législateur européen qui le recommande. Nous ne sommes pas angéliques. Lorsqu’il y a consanguinité entre un État actionnaire et un État régulateur, ce genre de montage est opportun.

M. Jacques Desallangre. Vous vous méfiez de l’État !

M. Jean Dionis du Séjour. Certaines de vos interrogations sont pertinentes, notamment sur l’origine des membres de l’Autorité. C’est un débat très intéressant, mais je n’ai rien vu d’inconstitutionnel. Il y en a environ trente autorités de régulation en France. Si c’était anticonstitutionnel, je pense qu’on s’en serait aperçu.

Y a-t-il un intérêt à organiser ce débat ? Nous, nous répondons oui. Qu’on le veuille ou non, nous arrivons à la fin d’une génération de centrales nucléaires, et une nouvelle génération arrive. Il est important de poser un cadre législatif solide pour cette nouvelle génération de réacteurs nucléaires. Même chose pour les déchets. On est au pied du mur. L’échéance de la loi Bataille, c’était l’année 2006. Nous y sommes.

Il faut enfin tenir compte de l’accélération du marché européen. Pas très loin des départements du Nord et du Pas-de-Calais, par exemple, il y aura les centrales belges d’Electrabel. On ne peut donc pas ignorer la dimension européenne.

Pour nous, un tel débat a un intérêt majeur. C’est la raison pour laquelle nous ne nous associerons pas à la motion de nos collègues communistes et républicains.

M. Daniel Poulou. Très bien !

M. François Sauvadet. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Yves Le Déaut. Madame la ministre, on peut tout d’abord se demander, puisque Patrick Ollier a demandé qu’on lève l’urgence sur ce texte, pourquoi on ne la lèverait pas sur le projet relatif aux déchets radioactifs.

M. Jean-Louis Dumont. C’est une nécessité !

M. Jean-Yves Le Déaut. Il n’y a en effet pas de raison de donner l’impression qu’on se débarrasse de textes majeurs. Je conviens qu’il y a un certain nombre d’éléments qui correspondent à des propositions contenues dans un rapport que j’ai rédigé. Néanmoins, l’urgence ne s’imposait pas. La commission des affaires économiques à l’unanimité et son président ont demandé qu’elle soit levée, vous avez dit qu’elle le serait. Nous apprécions, mais on demande la même chose pour le texte sur les déchets radioactifs.

M. Jean Dionis du Séjour. Évidemment !

M. François Sauvadet. C’est logique !

M. Jean-Yves Le Déaut. Avec François Dosé et Jean-Louis Dumont, députés de la Meuse, nous sommes trois députés de Lorraine…

M. François Sauvadet. Vous êtes d’abord membres de la représentation nationale !

M. Jean-Yves Le Déaut. Absolument. En Meuse, néanmoins, nos collègues ont assumé leurs responsabilités,…

M. François Sauvadet. C’est vrai !

M. Jean-Yves Le Déaut. …ce qui n’a pas été le cas dans un grand nombre de régions de France.

Mme Claude Darciaux. Tout à fait !

M. Jean-Yves Le Déaut. Il est important de maintenir un équilibre entre la Haute autorité de sûreté nucléaire, le Haut comité pour la transparence et l’information et l’agence d’expertise déjà créée à la suite de recommandations précédentes. J’aurai l’occasion d’y revenir.

Nous n’avons donc pas exactement la même analyse sur l’irrecevabilité. Ce qui est irrecevable, ce n’est pas votre texte, madame la ministre, c’est la politique énergétique. Lors de l’examen d’un texte précédent, on nous a assuré qu’il n’y aurait pas de privatisation de GDF car l’État en conservait une part importante et, par une fusion avec un autre groupe, on arrive à en faire une deux ans après.

Une autorité de sûreté nucléaire n’aurait pas le même rôle s’il n’y avait pas un consensus sur la nécessité de traiter le nucléaire dans le cadre d’un service public, mais on sera malheureusement peut-être appelé un jour à le traiter dans un cadre que nous ne souhaitons pas, un cadre privatisé, et nos concitoyens n’auraient alors pas la même confiance dans la filière nucléaire.

M. le président. Je mets aux voix l’exception d’irrecevabilité.

(L’exception d’irrecevabilité n’est pas adoptée.)

Question préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

Je vous rappelle que la conférence des présidents a fixé à trente minutes la durée maximale de l’intervention.

La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec cinquante-neuf réacteurs nucléaires, la France constitue la deuxième puissance électronucléaire mondiale, derrière les États-Unis. Cinquante-huit ans après la mise en service de Zoé, la première pile atomique française, et cinquante ans après la production du premier kilowattheure issu du nucléaire, la France s’engage enfin dans la voie de la transparence.

L’énergie d’origine nucléaire couvre aujourd’hui 78 % des besoins de la France en électricité. Son exportation vers d’autres pays européens génère un chiffre d’affaire annuel compris entre 3 et 4,5 milliards d’euros.

Si, nous sommes tous d’accord, il faut diversifier le bouquet énergétique français et européen, en raison des risques de dépendance énergétique et des effets du réchauffement climatique, le nucléaire reste une source d’énergie indispensable. De plus, elle ne génère pas de gaz à effet de serre et fait de la France l’un des meilleurs élèves des pays développés pour les rejets de carbone dans l’atmosphère.

Tout en insistant sur l’effort indispensable de recherche et développement pour les énergies renouvelables, qui occupent une place insuffisante dans le paysage énergétique national, nous devons assumer tous ensemble la place qu’occupe aujourd’hui le nucléaire dans notre approvisionnement énergétique et reconnaître que cette source d’énergie nous a apporté l’indépendance énergétique alors qu’un grand nombre d’États dépendent aujourd’hui de pays producteurs de pétrole ou de gaz.

Dans le contexte énergétique actuel, il est irresponsable de faire croire que nous pourrions décréter demain l’abandon du nucléaire. Ceux qui réclament la sortie du nucléaire n’indiquent pas comment ils remplaceraient cette énergie produite. Le cas de la Suède est significatif. Après avoir décidé il y a vingt-cinq ans d’arrêter ses centrales nucléaires, ce pays n’a jamais pu mettre à l’arrêt ses réacteurs.

C’est plus de soixante-dix ans après la découverte de la radioactivité artificielle par Frédéric Joliot, en 1934, qu’est présentée cette première loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire, appelée déjà de ses vœux par Lionel Jospin en 1997.

J’avais d’ailleurs été chargé en 1998 d’un travail d’étude et de proposition législative à ce sujet. Ce travail a conduit à la rédaction du rapport sur le système français de radioprotection, de contrôle et de sécurité nucléaire, dont le sous-titre était : « La longue marche vers l’indépendance et la transparence ».

Mais le législateur n’avait hélas retenu que la moitié de mes propositions, créant par exemple l’IRSN – l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire – qui regroupait les capacités d’expertise sur la radioprotection, relevant à cette époque du ministère de la santé, et celles relatives à la sûreté nucléaire, dépendant du ministère de l’industrie. De plus, comme je le préconisais, la CIREA – commission interministérielle des radioéléments artificiels – chargée de gérer le « petit » nucléaire et d’accorder les autorisations pour l’importation, l’utilisation et la cession des radioéléments artificiels, avait été intégrée par le décret de 22 février 2002 à la direction générale de la sûreté nucléaire et de radioprotection.

Dominique Voynet, alors ministre de l’environnement, avait pourtant déposé en 2001 un projet de loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire, mais celui-ci s’était enlisé en raison des réserves émises alors par le Conseil d’État à l’encontre de l’abandon d’une partie du pouvoir régalien d’État à une autorité indépendante.

Les propositions de ce même rapport ont été reprises par l’ancienne ministre de l’environnement, de l’écologie et du développement durable, Roselyne Bachelot, qui a déposé en 2002 un projet de loi au Sénat qui n’a jamais été examiné. La longue marche vers l’indépendance et la transparence n’était donc toujours pas terminée…

Ce n’est qu’en 2005 que, grâce à vous, madame la ministre, ce texte de loi renaquit de ses cendres – le Président de la République ayant souhaité, dans un discours prononcé lors de la cérémonie de vœux du Nouvel An, qu’y soit rajoutée la création d’une Haute autorité de sûreté nucléaire. Le projet est enfin présenté aujourd’hui devant l’Assemblée nationale et nous ne pouvons, madame la ministre, que nous en féliciter.

La sûreté nucléaire et la radioprotection ne sont pas des sujets simples, mais il convient cependant de clarifier la situation et de donner à l’ensemble de la population des garanties sur le sérieux du contrôle nucléaire, de la radioprotection des travailleurs et de l’accès à information en amont et en aval de toutes les activités liées à l’utilisation de la radioactivité. Nos compatriotes ont le droit d’être pleinement informés de tous les risques, de tous les incidents et de tous les effets de ces activités : effets sur l’homme et sa santé, effets sur l’environnement, risques d’accident et mesures à prendre en cas de catastrophe.

Ils doivent également avoir une vision claire de l’interaction de tous les acteurs du nucléaire, connaître leur rôle, la répartition de leurs compétences et leurs responsabilités. Il faut aujourd’hui passer de la culture du secret à la culture de la transparence en matière nucléaire. C’est une exigence démocratique.

La méfiance d’une partie de la population, le rejet du nucléaire, certes par une minorité de Français, ont souvent un fondement logique. Le nucléaire s’est transformé au fil du temps en une sorte de totem sur lequel se sont cristallisées les peurs dont les origines sont souvent d’une tout autre nature ! Il serait temps de dépassionner le nucléaire aux yeux des Français. Pour cela, nos compatriotes doivent être persuadés que notre système de contrôle est à la fois sûr et transparent.

Même si cela s’est amélioré depuis la fusion entre la sûreté nucléaire et la radioprotection, tant au niveau du contrôle que de l’expertise, les séries d’incidents relatifs à des installations nucléaires, même sans conséquences sanitaires, ou encore l’opacité qui a suivi l’accident de Tchernobyl, ont porté atteinte à la crédibilité de l’ensemble de la filière. Des réticences du public persistent. Les Français n’auront confiance dans le nucléaire que s’ils acquièrent l’intime conviction qu’on leur dit la vérité. La transparence est la condition sine qua non de la confiance.

Trois facteurs sont principalement à l’origine de ces craintes. Ce sont d’abord les antécédents dramatiques liés au nucléaire, et notamment la catastrophe de Tchernobyl. Même si le professeur Pellerin en 1986 n’avait pas dit, comme on le lui avait attribué, que le nuage de Tchernobyl s’était arrêté à la frontière,…

M. Jean-Louis Dumont. Il a fait pire !

M. Jean-Yves Le Déaut. …il avait très largement minimisé l’impact sanitaire potentiel de ce nuage radioactif pour certaines régions françaises.

M. Jean-Louis Dumont. Bien sûr !

M. Jean-Yves Le Déaut. De plus, la communication gouvernementale et la volonté de cacher l’événement auraient mérité un zéro pointé. Les Français ont acquis la conviction qu’on leur a menti.

M. François Brottes. Carignon !

M. Jean-Yves Le Déaut. La culture traditionnelle du secret en matière nucléaire est renforcée par le périmètre sacro-saint, mais opaque, du nucléaire militaire.

M. Jean-Louis Dumont. Ou plutôt du mensonge !

M. Jean-Yves Le Déaut. Le débat public sur les déchets radioactifs montre bien l’important déficit d’information dont souffrent nos concitoyens et le fossé qui s’est creusé entre les spécialistes, les initiés et des citoyens de plus en plus sceptiques. Le secret défense ne justifie pas que l’on traite différemment la sécurité nucléaire des installations militaires.

Enfin, même si cela ne concerne pas directement le texte, il m’apparaît important de dire – parce qu’un débat parlementaire se doit d’aborder tous les aspects de la question – que la dérégulation du secteur énergétique, la privatisation de la filière nucléaire à laquelle on assiste aujourd’hui, banalisent le nucléaire et inquiètent nos compatriotes.

Vous admettrez, madame la ministre, mes chers collègues, qu’il ne suffira pas, dans ce contexte, de créer une instance administrative supplémentaire, même indépendante, pour apaiser les craintes et provoquer un retournement d’opinion des Français en faveur du nucléaire.

La transformation d’EDF, l’un des principaux exploitants de la filière électronucléaire, en société anonyme, n’est pas de nature à rassurer nos compatriotes sur la sécurité nucléaire future de notre pays ! Le secteur nucléaire, qui nécessite des investissements à long terme, doit rester à la charge du service public et ne peut être soumis à la pression des actionnaires dont l’intérêt est souvent à court terme. On le constate dans le projet de fusion entre Suez et GDF. Qui peut être sûr que le secteur énergétique ne sera pas demain totalement privatisé si nous continuons dans cette voie ? Le groupe socialiste a déjà dénoncé cette tendance en déposant en décembre 2004 une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les risques en matière de sécurité et de transparence engendrés par l’ouverture du capital et la privatisation de la filière nucléaire française.

La privatisation rampante d’entreprises du service public dans le domaine de l’énergie fait courir des risques à la filière nucléaire. II est aussi à craindre que des conditions essentielles au bon fonctionnement de la filière, comme la recherche et la maintenance, soient sacrifiées au bénéfice de la réalisation de profits immédiats par les actionnaires. À cet égard, l’exemple d’EDF est très parlant avec sa dynamique de rationalisation des coûts depuis son changement de statut et la réduction de 6 000 à 6 500 emplois récemment annoncée. Le risque est bien réel, puisque le directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, présent ici, en tant que conseiller du Gouvernement, s’est senti obligé – et c’est très bien – de rappeler au président d’Électricité de France ses obligations dans une lettre adressée le 20 septembre 2005 : « j’estime que vous devez être particulièrement attentif à ce que la sûreté demeure au premier plan, et à ce que votre objectif reste, tant au travers des attitudes quotidiennes que des réexamens de sûreté, de faire encore progresser la sûreté. Dans le respect des responsabilités de chacun, l’Autorité de sûreté nucléaire entend contrôler de manière attentive les conséquences en termes de sûreté de cette recherche de compétitivité ». C’est une phrase que nous reprenons.

La filière nucléaire a besoin de sources de financement stables et durables, loin des circuits spéculatifs, et d’un projet industriel clairement défini.

Dois-je vous rappeler les propos tenus par Patrick Devedjian, alors ministre de l’industrie, en juin 2004 : « II n’y aura pas de privatisation parce qu’EDF c’est le nucléaire, et qu’une centrale nucléaire, ce n’est pas une centrale téléphonique ! Un gouvernement ne prendra jamais le risque de privatiser l’opérateur des centrales nucléaires. » Pourrez-vous nous le confirmer, en dépit des évolutions sensibles qui se sont produites depuis ces déclarations de 2004 ?

M. Daniel Paul. Trahison !

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous considérons que l’État doit être le garant de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et de la protection de l’environnement dans le domaine du nucléaire. Les décisions doivent ainsi lui appartenir, même s’il peut solliciter diverses expertises. Le contrôle doit être irréprochable, le système transparent, la répartition des compétences entre les acteurs du nucléaire extrêmement précise.

Je ne reviendrai pas sur la déclaration d’urgence, puisque vous avez renoncé à cette procédure. Je citerai néanmoins la phrase d’Olivier Godard, titulaire de la chaire du développement durable à l’École polytechnique : « la confiance dans la gestion des risques dépend largement, en positif comme en négatif, du niveau de confiance générale placée dans les institutions, le système politique et le Gouvernement ».

Le problème du risque radioactif étant perçu par la grande majorité de nos concitoyens comme spécifique, il convient de le traiter comme tel. S’il y a une crise de confiance entre la population et les autorités chargées de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, il est essentiel de redonner au contrôle des activités nucléaires la crédibilité qui aurait toujours dû être la leur et de faire des organismes qui en sont chargés des arbitres incontestés et incontestables.

Dans ces conditions, nous saluons la décision du Gouvernement de s’atteler à cette tâche, mais la capacité du texte à répondre aux objectifs que nous nous sommes fixés dépendra de la teneur des débats.

Ce projet peut nous permettre de donner un cadre juridique au contrôle du nucléaire et de la radioprotection en France. Il pose pour la première fois les bases juridiques d’une certaine transparence nucléaire et d’un accès à l’information. De même, il reconnaît un vrai statut aux commissions locales de l’information, créées au fil des ans depuis la circulaire de Pierre Mauroy en 1981, et dont les présidents élus devraient, au même titre que des préfets, être garants dans une région de l’information.

M. Jean-Louis Dumont. Ce serait une bonne chose.

M. Jean-Yves Le Déaut. C’est le but de plusieurs amendements.

Il crée également un Haut comité qui garantit la transparence de l’information sur la sécurité nucléaire et définit le droit applicable aux installations nucléaires de base et au transport de matières radioactives. Il est toutefois étonnant qu’il ait fallu attendre près de cinquante ans pour qu’un véritable texte fondateur définisse les installations nucléaires de base, les INB.

Néanmoins, ce texte, tel qu’il nous revient du Sénat, reste encore imparfait, car les obligations de l’État et celles de la Haute autorité de sûreté nucléaire ne sont pas suffisamment précises. Certaines dispositions du projet dans l’état actuel sont encore inacceptables et nous soutenons l’amendement de la commission qui précise les responsabilités respectives de l’État et de l’autorité de sûreté nucléaire.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Très bien.

M. Jean-Yves Le Déaut. En effet, si les grandes options nucléaires – création et installation, mise à l’arrêt définitif et démantèlement, fixation des normes, organisation des secours, gestion des crises et négociations internationales – relèvent des pouvoirs régaliens de l’État, les décisions courantes de sûreté doivent, à mon sens, relever d’une autorité indépendante des pressions des exploitants et même, l’histoire nous l’a montré, de celles de certains membres du Gouvernement.

Les décisions confiées à la Haute autorité doivent être clairement définies par la loi. Elles doivent porter sur la sûreté des installations – approbation de mise en service, de divergence, de redémarrage et de modifications techniques, autorisation de détention et d’importation des sources radioactives, agréments des colis de transport de matières radioactives, agréments d’installations et d’équipements médicaux utilisant des rayonnements ionisants, décisions techniques complémentaires applicables aux installations pendant leur durée de vie comme la modification des autorisations de rejet, commissionnement des inspecteurs des installations nucléaires et exécution des sanctions administratives prévues par la loi. J’ai déposé sur cette question un sous-amendement à l’amendement de la commission.

Cette séparation très fine des compétences est la clé de la réussite de ce projet. Ce n’est pas un grignotage de l’autorité de l’État. À ceux qui, la main sur le cœur, refusent une autorité et proclament qu’on ne peut pas jouer avec la sécurité de la population, je rappellerai que l’émiettement passé des responsabilités entre cabinets ministériels, direction de l’administration, agences d’expertise et CEA, générait des conflits permanents, quelquefois même entre départements ministériels, et entraînait des prises de décision retardées.

Même si le pilotage de fait avait été pris par la direction générale de la radioprotection et de la sûreté nucléaire – qui se nommait déjà, avant la loi, Autorité de sûreté nucléaire – les relations entre celle-ci et cabinets ministériels n’étaient pas toujours très huilées et ont pu conduire, par le passé, à l’immobilisme. En termes de fonctionnement, il n’est pas envisageable, dans la tradition française d’arbitrage de décisions, de faire dépendre une direction d’administration de six ministres, ce qui est le cas dans certains secteurs. Quand les ministères de l’industrie et de l’environnement ont déjà besoin de plusieurs mois pour nommer en commun des directeurs régionaux, on se demande comment fonctionnerait une direction commune à plus de deux ministères…

J’ai été particulièrement sensible, et c’est ce qui a forgé ma conviction, à la gestion chaotique du ministère de l’environnement lors d’un accident grave survenu à la centrale de Blayais lors de la tempête de décembre 1999.

Cette gestion d’un début de crise a démontré la nécessité d’une autorité de sûreté nucléaire chargée de veiller à la minute près à la sécurité de nos installations. S’il revient bien sûr au politique de définir les lignes directrices au niveau national, l’efficacité en matière de sûreté suppose qu’on puisse appliquer ces décisions le plus rapidement possible sans être gêné ou freiné par les pressions des lobbies organisés.

Dans mon rapport au Premier ministre Lionel Jospin sur le système français de radioprotection, de contrôle et de sécurité nucléaire, publié en 1998, j’avais proposé la création d’une autorité administrative indépendante, dont les compétences seraient limitées au fonctionnement courant des INB de la filière nucléaire, le politique gardant compétence pour les grandes options. Le projet d’une Haute autorité nucléaire, que nous proposerons par voie d’amendement d’appeler Autorité de sûreté nucléaire, ira dans ce sens si ces conditions sont respectées.

Mais le texte du projet de loi, tel qu’il nous revient du Sénat, dote cette autorité indépendante de pouvoirs excessifs. Faire dépendre partiellement, même de façon indirecte – ce n’est pas clair dans le texte – le financement de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l’IRSN, et des commissions locales d’information et de suivi, les CLIS, de cette autorité n’est pas un facteur d’équilibre. La confiance dans le nucléaire suppose l’indépendance des structures de contrôle et l’équilibre du trépied constitué par le contrôle proprement dit, relevant de la compétence de l’Autorité de sûreté nucléaire, l’expertise, assurée par l’IRSN et l’information, compétence du Haut Comité pour la transparence et l’information. La transparence doit être notre priorité si nous voulons restaurer la confiance de la population.

Or dans l’état actuel du texte, l’ASN – c’est le nom que nous vous proposerons – cumule le pouvoir de contrôle, le pouvoir normatif et le pouvoir d’information. Le texte distingue mal ces trois fonctions, que nous essaierons de redéfinir plus précisément. Elle dispose même d’un pouvoir financier susceptible de compromettre l’indépendance du fonctionnement de l’IRSN. Il y a là une confusion des rôles préjudiciable : comme l’a signalé notre collègue sénateur, le socialiste Daniel Raoul, « ces trois domaines d’intervention ne doivent en aucun être attribués à un même organisme, qui risquerait sinon de devenir une dictature technocratique indépendante de l’État, mais dépendante du pouvoir nucléaire ».

C’est pourquoi nous présenterons des amendements visant à renforcer la transparence, en affirmant la nécessité pour l’ASN, non pas de trahir le secret des décisions, mais d’informer le public des décisions prises et de garantir un accès non discriminatoire à cette information. La conception de l’ASN qui transparaît dans le texte est à notre sens trop floue.

Les rayonnements ionisants peuvent présenter des risques pour la santé. Chercher à les minimiser en les comparant à d’autres sources de risques plus familières, comme on le fait depuis des années, est une méthode qui a largement montré ses limites, voire de ses dangers. Puisque la grande majorité de nos concitoyens perçoivent Le risque radioactif comme spécifique, il convient de le traiter comme tel, et de cesser de rabâcher que d’autres activités humaines sont beaucoup plus dangereuses.

L’attitude la plus positive dans ces conditions est de reconnaître que les activités nucléaires peuvent présenter des risques pour la santé humaine, que ces risques doivent être maîtrisés et que les exploitants, industriels, centres de recherche, centres médicaux, doivent être soumis à des contrôles sérieux et réguliers. Il faut donc qu’une autorité crédible et responsable assure la sûreté des installations nucléaires et garantisse la protection des travailleurs, de la population et de l’environnement.

Comme l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques l’a déjà signalé à plusieurs reprises – M. Birraux et M. Bataille ici présents peuvent le confirmer – les autorités chargées de la radioprotection souffrent d’une crise de confiance de la population. Or l’autorité chargée du contrôle de la radioprotection doit être incontestée et les mesures qu’elle préconise incontestables.

De simples lieux d’échange et d’expertise sont insuffisants, même s’ils sont indispensables. Il faut également compléter les connaissances, afficher des règles claires et informer correctement.

Je voudrais souligner trois lacunes du texte, sur des points qui me semblent importants, bien qu’il soit délicat de légiférer en ces matières. C’est le cas du seuil d’exemption : il faut mettre fin à l’hypocrisie ambiante qui consiste à considérer qu’un produit est radioactif dès lors qu’il déclenche une balise de radioactivité, tributaire des moyens techniques du moment, tarée nul ne sait trop comment, et comme non radioactif s’il ne la déclenche pas. La définition d’un tel seuil est un préalable nécessaire au traitement des stériles miniers et de sites pollués. Aujourd’hui la loi, qui interdit d’entreposer des produits radioactifs dans un site de stockage, n’est d’ailleurs pas respectée. Or ce texte n’apporte pas de réponse définitive sur ce point – mais peut-être se trouvera-t-elle dans la loi relative loi relative à la gestion des matières et déchets radioactifs.

L’échelle de classement des incidents de radioprotection est la deuxième grande absente de ce texte. S’il existe aujourd’hui des critères permettant de juger de la gravité des incidents de sûreté, voire de prendre en compte les doses effectivement reçues par les personnes, il n’existe pas de critères permettant de classer selon leur gravité les incidents de radioprotection, et nous le déplorons depuis longtemps. Étant donné la diversité des unités de mesure utilisées en radioprotection, curie, rem, rad, sievert, becquerel, gray, le public a peu de chance de faire la différence entre un wagon contaminé, les retombées de Tchernobyl ou une perte de confinement d’une source scellée. Sa confusion s’accroît encore lorsqu’il entend dire que l’exposition lors d’examens médicaux, d’un vol en avion ou la radioactivité naturelle sont des risques bien plus importants. Il convient donc de mettre en place une échelle des incidents et risques de radioprotection qui permette au public de hiérarchiser les dangers et de se forger sa propre opinion.

Toutes les controverses sur les risques auxquels peuvent être exposés les travailleurs du nucléaire et l’ensemble de la population naissent d’abord de l’ignorance persistante des effets de faibles doses de rayonnements ionisants sur la santé humaine.

Seule l’épidémiologie des pathologies liées aux radiations ionisantes, conduite de façon généralisée et préventive, et non ponctuellement, en réaction à telle ou telle crise, nous permettrait de progresser.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. Jean-Yves Le Déaut. Or c’est la troisième lacune de ce texte. Je suis persuadé que notre pays doit développer beaucoup plus cette discipline, même s’il a déjà fait des progrès dans ce domaine.

Il faut également renforcer la transparence à l’intérieur des entreprises. Sur cette question, nous avons, le groupe socialiste et le groupe communiste, avec vous-même, monsieur le rapporteur, fait du bon travail, et nous proposerons plusieurs amendements. Il ne me paraît pas normal que les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail des entreprises du nucléaire n’aient pas accès à toute information sur les questions de sûreté et de radioprotection, alors qu’ils bénéficient de meilleures conditions d’information en ce qui concerne les produits chimiques – nous avons, avec Alain Venot, travaillé sur ces questions de risque industriel. Rien ne justifie ce retard dans le domaine de l’information des travailleurs du nucléaire.

L’instauration au bénéfice des salariés d’un véritable droit d’alerte auprès d’une cellule à laquelle appartiendraient le médecin et l’inspecteur du travail, dans le respect de l’anonymat des informations qui lui sont transmises, contribuerait également à une plus grande transparence. Enfin la dosimétrie opérationnelle doit bien sûr être également développée.

Les personnes les plus exposées ne sont pas les travailleurs sédentarisés dans une centrale et employés pour de grandes opérations de maintenance, mais les « nomades du nucléaire », appartenant au réseau de sous-traitance du nucléaire, qui vont de centrale en centrale.

Par ailleurs, les exploitants et les responsables de chantiers doivent avoir accès aux mesures d’exposition individuelles, pour être à même de réagir rapidement si un travailleur reçoit une dose, de savoir quels postes sont exposés, et de contribuer à la diminution des doses reçues collectivement et individuellement.

En résumé, il nous semble essentiel que dans le domaine du nucléaire les grandes options, ainsi que la gestion des crises, relèvent du politique, mais que les décisions courantes de sûreté soient prises par une autorité indépendante.

L’organisation de l’ASN devra bien sûr lui permettre de fournir au Gouvernement les éléments techniques nécessaires pour prendre les décrets de création, de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement de centrales. Cela implique que cette organisation comporte une distinction nette entre les agents de l’État chargés de missions régaliennes et ceux qui seront mis à disposition de l’Autorité de sécurité nucléaire. Dans les régions, cette autorité devra bien sûr être relayée par des agents de l’État, actuellement les fonctionnaires des directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement, les DRIRE, qui seront essentiellement chargés du contrôle et de la coordination, ainsi que de l’instruction de certains dossiers.

Nous sommes donc favorables à la création de l’ASN, à condition de bien distinguer ce qui relève du politique de ce qui relève de l’autorité de sûreté. La séparation doit être nette. La question du nucléaire est trop importante pour que l’État s’en décharge complètement.

Nous déplorons enfin que ce texte n’instaure pas – et c’est peut-être la lacune la plus grave – un véritable contrôle parlementaire sur l’ASN et sur le Haut Conseil pour la transparence et l’information, qui serait confié notamment à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Nous souhaitons que trois membres, dont le président du Haut conseil pour la transparence et l’information, soient désignés par les députés et les sénateurs de l’Office. Étant donné que l’Autorité de sûreté nucléaire sera, une fois créée, totalement indépendante, nous proposerons par voie d’amendement qu’en cas de dysfonctionnement collectif du collège de l’ASN constaté par l’Office, le Parlement puisse proposer au Gouvernement la dissolution de ce collège.

Le texte permet par ailleurs à l’ASN d’employer des fonctionnaires mis à disposition et de recruter des agents contractuels pour effectuer des tâches d’inspection. Nous ne sommes pas défavorables au renforcement de la diversité des cultures au sein de l’ASN, via la possibilité de s’ouvrir à des formations et à des expériences diversifiées, nous pensons que le recours à un personnel contractuel doit être strictement limité. En effet, l’ASN dispose pour l’exécution de ses missions régaliennes de pouvoirs de police, tels que la faculté de dresser des constats d’infraction pouvant déboucher sur des poursuites pénales, qui ne peuvent être exercés que par des fonctionnaires, au nom de l’État. Garantir l’indépendance des personnels exerçant des missions de contrôle de la sûreté nucléaire nous semble être un véritable gage de sécurité, nécessaire à tout système de contrôle.

La dernière question d’importance est celle des installations nucléaires de base secrètes, les INBS. Aujourd’hui, les installations nucléaires militaires, qui relèvent le plus souvent du « secret défense », ne sont pas soumises au régime général. Ce n’est évidemment pas un sujet simple, car il faut concilier secret et transparence vis-à-vis des populations, sécurité de l’État et information des citoyens. La culture du secret préside malheureusement à tout ce qui relève du nucléaire militaire, et une grande partie de nos concitoyens ont le sentiment qu’on leur cache la vérité en la matière.

La sûreté ne se divise pas : les mêmes risques doivent générer les mêmes règles de radioprotection, même si les règles spécifiques à la défense nationale, notamment celles liées aux armes et systèmes d’arme, doivent bien sûr respecter le secret défense. Il est donc regrettable que vous ayez maintenu un système séparé de radioprotection, fondé sur une distinction subtile selon que l’INBS dépend du ministère de l’industrie ou de la défense. Il eût été préférable que le directeur de l’ASN ait un droit de regard sur l’ensemble de la question, qu’il s’agisse de l’industrie ou de la défense nationale, afin qu’il puisse garantir au public la sûreté de ce secteur.

Le groupe socialiste considère qu’il est temps d’en finir avec le « ghetto » du nucléaire militaire et de le soumettre au régime commun, ne serait-ce que pour ce qui relève du droit de l’environnement.

M. François Sauvadet. On a déjà bien progressé dans ce domaine !

M. Jean-Yves Le Déaut. Les installations nucléaires de base classées secrètes, qu’elles dépendent du ministère de la défense ou de l’industrie, les transports de matières radioactives et fissiles à usage militaire ainsi que les interventions en cas d’accident impliquant ces installations et ces transports doivent être soumis aux mêmes obligations d’information et de contrôle que les INB civiles. En effet, la situation actuelle ne fait que nourrir la suspicion de nos concitoyens en matière de risques environnementaux et sanitaires, ou de radioprotection des salariés travaillant sur ces sites. Il n’est pas concevable que la radioprotection s’arrête au grillage d’une centrale ou d’une installation nucléaire militaire.

C’est pourquoi nous proposerons un amendement de Christian Bataille, tendant à revenir à la rédaction initiale du projet en supprimant la modification du Sénat, qui a exclu les activités nucléaires intéressant la défense du champ de ce texte, à l’exception des dispositions générales du titre I.

Ces points ne sont malheureusement pas traités par le projet de loi – j’espère que les navettes permettront de les discuter – et c’est une des raisons qui motivent notre question préalable.

Je soulignerai pour conclure que, parallèlement aux efforts indispensables en matière de développement de nouvelles sources d’énergie, ainsi qu’en matière de réajustement de nos modes de production et de consommation, la France doit garder l’option nucléaire ouverte. Mais un tel choix suppose le respect de deux conditions. En dehors des problèmes de radioprotection et de sûreté, il apparaît primordial de poursuivre les recherches pour résoudre les problèmes à l’aval du cycle nucléaire, ainsi que pour maintenir à un bon niveau notre capacité d’expertise. Il est urgent de progresser sur la gestion des déchets radioactifs, mais également du vieillissement des installations nucléaires et de leur démantèlement. Le texte sur les déchets nucléaires que nous allons bientôt examiner abordera cette question.

La seconde condition est de restituer la confiance de la population dans le nucléaire. Or il ne pourra pas y avoir de confiance sans un système de contrôle du nucléaire crédible, transparent, rigoureux, indépendant des pressions de toutes sortes, et sans une transparence accrue des décisions. La sécurité nucléaire est partie intégrante d’une politique nucléaire et l’ensemble des questions nucléaires doit faire l’objet d’un choix et d’une évaluation démocratiques, tant au niveau des citoyens qu’à celui de leurs représentants élus, notamment au Parlement.

Si nous saluons l’ouverture de ce débat, nous n’apprécions pas la précipitation sur un texte aussi important. La déclaration d’urgence donnait le sentiment que le Gouvernement voulait s ‘en débarrasser au plus vite.

Il est temps d’établir une véritable culture de la transparence et de la démocratie. Ce texte peut être un moyen d’y parvenir, pourvu que le Gouvernement réponde favorablement aux propositions que nous venons de faire.

L’ASN doit être forte, reconnue et crédible ; elle doit pouvoir s’appuyer sur une expertise indépendante et garantir la transparence de ces avis. C’est à cette condition que les citoyens auront confiance dans ses décisions.

M. Jean-Louis Dumont. Ça nous changera de certaines autorités !

M. Jean-Yves Le Déaut. Vous conviendrez, Madame la ministre, qu’il s’agit bien d’une question préalable au vote de ce texte de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Claude Gatignol, pour le groupe UMP.

M. Claude Gatignol. Mon intervention sera inversement proportionnelle au long propos de M. Le Déaut, qui s’est saisi avec l’enthousiasme que nous lui connaissons de la question préalable déposée par le groupe socialiste. Tel qu’il nous les a exposés, l’historique du nucléaire français et l’investissement intellectuel qu’il représente pour notre recherche et nos entreprises remettent à sa juste place la valeur du texte dont nous avons à débattre aujourd’hui. M. Le Déaut prévoit d’ailleurs de proposer plusieurs amendements à ce texte, ce qui signifie donc qu’il n’est pas question de le renvoyer hors du débat.

Nous aurons l’occasion d’apporter à ce texte des améliorations substantielles, comme l’ont déjà fait les sénateurs. Le texte définitif qui sortira de ces deux débats pourra être pleinement attribué au Parlement, sur la base, madame la ministre, du texte que vous avez proposé et pour lequel je vous félicite d’avoir rétabli la possibilité de cette navette nécessaire.

L’enthousiasme de M. Le Déaut est naturel quand on sait l’importance des travaux qu’il a menés, tant dans le cadre de missions particulières qu’au sein de l’Office parlementaire, où il a signé un rapport important. En l’entendant et en me souvenant de certaines des propositions qu’il formulait dans les pages de ce rapport, je voudrais lui dire qu’un grand nombre de réponses lui sont fournies dans ce projet.

Ainsi, celui-ci ne laisse aucun doute quant à l’autorité de l’État, qu’invoque notre collègue, et sur le pouvoir régalien, qui est de nouveau bien mis en valeur.

M. Jean-Louis Dumont. L’État est faillible ! Il l’a déjà montré !

M. Claude Gatignol. Certes, dans le domaine des contrôles de la sûreté, la création d’une autorité administrative pouvait donner lieu à des interrogations, dont Patrick Ollier s’est d’ailleurs fait l’écho. Nos débats et les précisions que vous avez apportées, madame la ministre, ont permis de lever cette ambiguïté.

Quant à la transparence, la place donnée aux commissions locales d’information et, au niveau national, la configuration du Haut comité pour la transparence et l’information sont de nature à lever tous les doutes en la matière et à assurer que des réponses seront apportées aux questions posées. Oui, l’information est bien au centre de ce texte.

Enfin, la troisième partie du texte redéfinit pratiquement tout l’environnement de l’industrie nucléaire, des installations scientifiques et des transports – car il importe de rappeler les problèmes que peut parfois poser le transport de substances radioactives.

De même, la radioprotection doit être au centre des préoccupations, tant pour le public que pour les personnels concernés à l’intérieur des établissements – qu’il s’agisse du personnel permanent ou du personnel temporaire hautement spécialisé qui vient réaliser les opérations de maintenance. Il y a là un challenge qu’il nous faut réussir, en appliquant un principe d’optimisation des doses de rayonnement lors des interventions ou du changement de combustible au cœur du réacteur.

Le texte initial doit donc être maintenu et enrichi par le travail du rapporteur et par l’ensemble des travaux de la commission. Il faut continuer ce débat dès maintenant. Le groupe UMP ne soutiendra donc pas la question préalable du groupe socialiste exposée par M. Le Déaut.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Daniel Paul. Notre collègue Le Déaut a souligné à juste titre la méfiance qui, depuis quelques années et à la différence de ce que nous avons pu connaître dans les années 1960 et 1970, voire un peu après, s’est installée et à laquelle il est urgent de répondre si nous voulons éviter qu’elle « grignote » un peu plus le tissu social autour du nucléaire.

L’opacité qui a longtemps dominé – et qui domine toujours – dans ces questions n’est pas acceptable, qu’il s’agisse du nucléaire civil ou du nucléaire militaire.

M. Jean-Marc Roubaud. C’est faux ! Ce sont des fantasmes !

M. Daniel Paul. Ce ne sont pas des fantasmes ! C’est justement avec de tels propos, cher collègue, que l’on nourrit le rejet ! On exploite les inquiétudes de nos compatriotes.

M. Jean-Marc Roubaud. C’est de la démagogie !

M. Daniel Paul. Avec les privatisations, je puis dire, étant comme M. Gatignol l’élu d’une région nucléaire, qu’on constate aujourd’hui une dégradation de la confiance qui existait naguère.

M. Jean-Marc Roubaud. Faites de la bonne information !

M. Daniel Paul. Je serais tenté de dire que plus le cours de l’action EDF monte, plus la confiance baisse chez nos compatriotes.

M. Jean-Michel Fourgous. Si vous ne comprenez toujours pas le fonctionnement de la Bourse à votre âge, c’est grave !

M. Daniel Paul. Il faut également insister sur le rôle prépondérant de l’État. Comme c’est le cas avec d’autres autorités dans d’autres domaines, l’Autorité de sûreté nucléaire – qui a perdu l’adjectif qui en faisait une « Haute autorité », et il faut s’en féliciter – a sans doute pour fonction de préparer ou, du moins, de prendre en compte l’ouverture du nucléaire à un pluralisme des producteurs.

Il a été indiqué tout à l’heure que l’établissement était contrôlé, mais il faut reconnaître que le statut des responsables des établissements pèse sur l’organisation des choses.

M. Jean-Marc Roubaud. Pas du tout !

M. Daniel Paul. Bien sûr que si !

Nous y voyons, M. Le Déaut, le risque de faire de la répartition des compétences entre l’État et l’Autorité de sûreté nucléaire une usine à gaz – si j’ose dire ! (Sourires) – qui ne contribue pas à la lisibilité. Nous devons veiller à clarifier les choses, pour que nos compatriotes aient le sentiment, au terme de ce texte nécessaire, d’une réelle amélioration.

Notre groupe soutiendra donc la question préalable défendue par M. Le Déaut.

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe UDF.

M. Jean Dionis du Séjour. Le groupe UDF a écouté avec un grand intérêt l’intervention de Jean-Yves Le Déaut. Pour le dire en un mot, nous sommes plutôt d’accord avec lui.

M. François Sauvadet. Pas sur tout !

M. Jean Dionis du Séjour. Certes. Toujours est-il qu’il existe, monsieur Fourgous, une contradiction entre sûreté et compétitivité. Il faut reconnaître cette tension, qui appelle un arbitrage. Un des problèmes que pose ce texte est précisément celui de la construction d’un équilibre en la matière.

M. Claude Gatignol. Ce n’est pas vrai !

M. Jean Dionis du Séjour. En deuxième lieu, il est utile de créer une autorité permettant de réagir rapidement en cas de crise imminente. Jean-Yves Le Déaut a évoqué la crise du Blayais, qui s’est produite en 1999 en Aquitaine. Habitant à proximité et à quinze kilomètres de la centrale de Golfech, je puis témoigner qu’il s’agissait d’une crise très grave, qui a montré les limites d’un appareil d’État lourd, fractionné et peu capable de mouvements cohérents. Nous avons donc intérêt à nous doter d’une autorité indépendante capable de faire face à une crise imminente.

En troisième lieu, nous avons également apprécié, même si elle mérite débat, la vision du trépied dont M. Le Déaut affirme la nécessité : l’expertise de l’IRSN, le contrôle de la Haute autorité et l’information du Haut comité.

Quatrièmement, M. Le Déaut souligne à juste titre que le public ne comprend rien aux échelles et aux unités employées. Tout un travail de normalisation reste à faire pour que le public ne soit pas abusé, par exemple par n’importe quel site alarmiste sur l’Internet.

Un dernier point, que l’UDF souhaite mettre au cœur de ses propositions, est l’importance de l’épidémiologie. Il faut oser parler clair, faire des investissements et tordre le cou à certains canards en matière de santé publique.

M. Jean-Louis Dumont. Surtout en ce moment ! (Sourires.)

M. Jean Dionis du Séjour. L’intervention de Jean-Yves Le Déaut est donc très intéressante. Nous nous posons toutefois une question : où est la question préalable ? Nous lui suggérons donc de persister dans l’attitude très positive qu’il a manifestée au cours du travail sur le texte, mais, si donc nous sommes d’accord avec lui sur le fond, nous ne voterons pas la question préalable car, je le répète, nous ne l’avons pas trouvée.

M. Jean-Louis Dumont. M. Brottes va vous la montrer !

M. le président. La parole est à M. François Brottes pour le groupe socialiste.

M. François Brottes. M. Dionis du Séjour nous a habitués à plus d’honnêteté intellectuelle que dans la démonstration brillante qu’il vient de faire. (Exclamations sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

En effet, après avoir montré que Jean-Yves Le Déaut avait posé toutes les questions préalables qui convenaient, il conclut par une chute tout à fait discordante avec ses propos. Je souhaite qu’il se reprenne d’ici la fin de nos débats.

Le temps n’est plus, chers collègues, où l’expression de ceux qui savent, des « experts », suffisait à rassurer le bon peuple. Le droit de savoir, c’est d’abord le droit de comprendre. S’il n’y avait eu qu’une seule raison de lever l’urgence, madame la ministre,…

M. Jean Dionis du Séjour et M. Alain Venot, rapporteur. C’est fait !

M. François Brottes. Je le sais bien ! J’ai suivi le débat !

S’il y avait donc eu qu’une seule raison de lever l’urgence, c'eût été de pouvoir encore écouter Jean-Yves Le Déaut poursuivre sa démonstration. Il ne s’est pas limité, en effet, à donner un avis d’expert, même s’il en est un, mais il s’est montré animé du souci de faire comprendre à tout le monde – car ici, nous représentons tout le monde – quels sont les enjeux de ce débat bien venu et qui n’a que trop tardé. Les propositions qu’il a formulées ne sont pas forcément celles qui figurent dans le texte dont nous allons débattre et, même si nous disposons maintenant de deux lectures pour l’amender et le parfaire, ces questions préalables étaient indispensables.

Jean-Yves Le Déaut a réaffirmé des choses simples. D’abord, qu’il faut reconnaître que la filière nucléaire présente un risque. Qu’un expert le dise, c’est déjà lever le voile sur une réalité que d’autres refusent d’assumer. Deuxièmement, qu’il faut hiérarchiser les risques, pour éviter de tout mélanger comme on le fait parfois pour les antennes de téléphone ou les OGM. Nous avons besoin d’un éclairage scientifique, mais il ne doit pas être scientiste – c’est là que l’homme ou la femme politique jouent un rôle indispensable.

M. Jean-Marc Roubaud. Il n’a rien à dire !

M. Jean-Michel Fourgous. Ce n’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut prendre la parole !

M. Jean Dionis du Séjour. Laissez-le parler !

M. Jean-Louis Dumont. Il est très bon.

M. François Brottes. Il faut donc que les débats prennent le temps d’expliquer, afin que chacun puisse comprendre.

Le troisième message est que la sûreté nucléaire ne se divise pas. Sur ce point, madame la ministre, le texte n’apporte pas tous les éclairages nécessaires.

Pour conclure, si le texte apportait toutes les réponses aux questions préalables posées par M. Le Déaut, nous n’aurions pas besoin de voter cette motion de procédure. Comme ce n’est pas le cas, nous appelons à la voter.

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

ordre du jour
de la prochaine séance

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, n° 2943, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire :

Rapport, n° 2976, de M. Alain Venot, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)