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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du vendredi 5 mai 2006

209e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE MME HÉLÈNE MIGNON,
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

Immigration et intégration

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence,
d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration (nos 2986, 3058).

Discussion des articles (suite)

Mme la présidente. Je vous informe, qu’à la demande du Gouvernement, les articles 16 à 22 sont réservés jusqu’après l’examen des articles additionnels après l’article 32.

La parole est à M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire. Madame la présidente, je voudrais, avant que nous commencions nos travaux, remercier l’ensemble des parlementaires de l’excellent climat qui règne depuis le début de ce débat sur un texte si important.

L’article 1er, précédemment réservé en accord avec le rapporteur, que nous sommes sur le point d’examiner, permettra d’introduire un peu de coordination dans les douze articles que nous avons examinés les trois derniers jours. Nombreux étaient ceux qui imaginaient qu’il s’agirait d’un débat idéologique, très conflictuel et fort peu constructif reposant essentiellement sur des amendements de suppression de la part de l’opposition. Il n’en est rien, et M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, M. le ministre délégué aux collectivités locales, Brice Hortefeux, et moi-même nous nous félicitons de constater que, bien au contraire, ce débat est très constructif.

Chacun a pris conscience de la nécessité de doter notre pays d’une grande loi sur l’immigration et l’intégration. L’excellent climat qui a prévalu jusqu’à présent a permis au travail parlementaire de jouer pleinement son rôle. Je tiens à vous dire combien le Gouvernement est désireux que nous poursuivions le débat dans cet état d’esprit, en prenant le temps qu’il faudra. Nous ne souhaitons pas, en effet, donner le sentiment que l’on examine un texte de cette importance à la va-vite, de manière par trop énergique. Nous souhaitons aussi, et je m’adresse aux représentants de l’opposition, que leur contribution continue à s’inscrire dans la même tonalité, le Gouvernement restant ouvert à un certain nombre de leurs propositions.

Le Gouvernement est tout à fait disposé, compte tenu de l’importance de ce texte, à laisser se dérouler le débat le temps qu’il faudra, ce qui nécessitera certainement de modifier l’ordre du jour de nos travaux.

Mme la présidente. Sans aucun doute, monsieur le ministre. Mais pour l’heure, il ne faudrait pas, compte tenu du nombre d’articles restant en discussion, retarder nos débats.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Nous avons tout notre temps, madame la présidente.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Loin de moi l’idée de retarder les débats, madame la présidente. Il serait en effet paradoxal que la majorité fasse de l’obstruction !

Permettez-moi de rappeler que sur les 605 amendements et sous-amendements relatifs à ce texte, nous avons eu le plaisir d’en examiner 136. J’ai accueilli avec satisfaction la déclaration de M. le ministre nous indiquant que le Gouvernement était prêt à prendre le temps nécessaire pour laisser la discussion se dérouler. Comme lui, je souhaite que le climat constructif qui préside à nos débats se poursuive : je rappelle qu’une demi-douzaine d’amendements de l’opposition ont été adoptés.

M. Patrick Braouezec. Certains vous rendront grand service !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Nous ne refusons aucun service, monsieur Braouezec. Nous travaillons tous dans le sens de l’intérêt général.

Je prends acte que le Gouvernement est prêt à ce que la discussion se poursuive la semaine prochaine, à son rythme, si cela s’avère nécessaire.

Mme la présidente. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. Comte tenu du retard, il semble improbable de terminer l’examen de ce texte ce soir.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Autant le dire, madame la présidente !

Mme la présidente. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Je souhaite répondre à M. le ministre, car ses déclarations peuvent être interprétées de différentes manières.

M. Estrosi est membre d’un gouvernement dirigé par un certain Premier ministre qui, il n’y a pas si longtemps, n’a pas hésité à recourir à l’article 49-3 pour faire adopter la loi sur l’égalité des chances instituant le CPE. Si j’ai bien compris, certains, dans ce même gouvernement, n’appréhendent pas le débat parlementaire de la même façon. J’ai noté l’insistance avec laquelle M. le ministre Estrosi a tenu à nous montrer quelle place il accordait à ce débat, sans doute pour marquer un peu plus la différence entre les pratiques de M. le ministre de l’intérieur et de ses deux ministres délégués et celles du Premier ministre. Cette déclaration en dit long sur les divisions de ce gouvernement.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Quelle mauvaise foi !

M. Noël Mamère. Par ailleurs, nous ne pouvons pas laisser dire à M. Estrosi que nous cautionnerions, de près ou de loin, le texte qui nous est proposé. Nous avons une certaine idée de notre fonction de parlementaire, qui nous conduit à ne pas faire de l’obstruction systématique, mais à contribuer au débat et à améliorer les textes en présentant des amendements.

M. Jérôme Rivière. Vous n’avez rien à proposer !

M. Noël Mamère. Nous considérons que ce texte est dangereux.

M. Philippe Vitel. C’est un texte rassurant pour les Français.

M. Noël Mamère. Il est dangereux pour les immigrés, pour les étrangers. Il porte atteinte aux droits fondamentaux des Français. C’est la raison pour laquelle nous, parlementaires de l’opposition, sommes particulièrement vigilants et très présents dans ce débat. Il ne s’agit pour nous, en aucune façon, de coopérer avec le Gouvernement. Nous avons parfaitement conscience que les amendements qui sont acceptés par le Gouvernement servent d’alibi au ministre de l’intérieur et à son équipe pour faire croire qu’ils feraient preuve d’une grande ouverture.

M. Jérôme Rivière. Oh !

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Mamère.

M. Noël Mamère. Permettez-moi, madame la présidente, de répondre à M. le ministre. Il me semble que M. Estrosi a indiqué qu’il voulait donner du temps au débat. Nous voulons nous aussi prendre le temps.

Mme la présidente. Dans des limites raisonnables !

M. Yves Jego. Ce n’est pas un débat, mais un monologue !

M. Noël Mamère. J’essaie d’éclairer la représentation nationale sur notre point de vue. La réalité, je le répète, c’est que les amendements qui ont été acceptés servent de leurre et d’alibi à ce gouvernement. Ne nous méprenons pas : la position exprimée sur les bancs de l’opposition est celle du refus et du rejet de ce texte. Nous le combattrons jusqu’au bout. Et nous ne saurions accepter que l’on nous prête la volonté d’améliorer ce texte qui n’est pas améliorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Je souhaite à mon tour préciser les choses, notamment pour le public présent dans les tribunes afin de ne pas lui donner l’impression que tout « baignerait dans l’huile » et qu’il n’y aurait plus d’opposition dans cet hémicycle.

Je m’étonne par ailleurs, monsieur le ministre, que vous soyez surpris de l’atmosphère constructive de ce débat.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Je ne suis pas surpris !

M. Patrick Braouezec. Il est en effet normal qu’un débat se déroule ainsi. C’est du reste ainsi que nous devrions toujours travailler, en débattant au fond, sur les idées, le contenu, sur deux façons de voir l’évolution de notre société. Et je me félicite que cela soit possible dans le cadre de ce débat. Je souhaiterais qu’il en soit ainsi pour tous les débats qui viennent en discussion dans cet hémicycle.

Comme Noël Mamère, je ne voudrais pas qu’on fasse accroire que nous serions d’accord avec votre projet de loi.

M. Thierry Mariani, rapporteur. On avait compris !

M. Patrick Braouezec. Nous sommes bien face à deux projets de société, deux philosophies. Votre projet aggravera non seulement les conditions de vie et de séjour des migrants, des étrangers en général, mais aussi de l’ensemble de la société française – je rejoins à cet égard M. Mamère.

Plus on précarise les personnes qui vivent sur notre territoire, plus on fragilise l’ensemble de la société.

Enfin, contrairement à Noël Mamère, nous ferons tout, en ce qui nous concerne, pour améliorer ce texte. Nous nous battrons pied à pied – nous l’avons démontré hier soir – pour que ce texte soit dépouillé de ses aspects les plus nocifs. Tel sera le sens de nos interventions et de nos amendements. J’espère, comme M. le ministre l’a affirmé, que ce débat ne sera pas tronqué, et que nous pourrons aller jusqu’au bout, en prenant le temps, sans obstruction.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Roman.

M. Bernard Roman. Monsieur le ministre, nous avons un débat parlementaire digne de ce nom. C’est un débat idéologique, au sens où l’idéologie est la force des idées. Nous avons ainsi affirmé notre opposition résolue à ce texte, tout à la fois inutile, dangereux et inefficace, et à la philosophie qui le sous-tend.

Ce texte est inutile car l’essentiel de ce que vous appelez l’immigration choisie pouvait être traité par voie règlementaire.

Ce texte est dangereux car il remet en cause un certain nombre de valeurs qui fondent la République française.

Ce texte est inefficace car il s’agit, nous l’avons déjà montré et nous continuerons à le faire, d’une machine à fabriquer des dizaines de milliers d’immigrés illégaux et à précariser la situation des immigrés déjà présents en France. Le débat que nous avons eu hier soir sur les titres de séjour des salariés montre que cette précarisation va aller grandissant.

Cette opposition résolue, l’ensemble des sensibilités de l’opposition l’a exprimée à travers la défense d’amendements de suppression, que nous avons déposés sur neuf des dix articles examinés jusqu’à présent. Mais nous avons aussi défendu d’autres amendements car à chaque fois que nous pouvons éviter le pire pour les hommes, les femmes, les enfants concernés, nous cherchons à le faire.

Nous avons même acculé le Gouvernement à accepter certains de nos amendements, monsieur le ministre.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Ah bon !

M. Yves Jego. C’est beau d’y croire !

M. Bernard Roman. Par exemple, celui par lequel nous vous avons demandé de rendre automatique dans les consulats de notre République l’attribution d’un visa de long séjour à un conjoint de Français revenu dans son pays.

Nous allons poursuivre le débat dans le même esprit, avec la détermination de montrer notre opposition résolue à la logique de la majorité et du Gouvernement et la volonté d’améliorer la situation de celles et ceux qui sont concernés, chaque fois que c’est possible.

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Rivière.

M. Jérôme Rivière. Sans allonger ces échanges, qui ne sont pas toujours constructifs en ce début de matinée, je veux préciser à M. Roman que l’idéologie à laquelle il fait référence ne prend absolument pas en compte les attentes des Français.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Très juste !

M. Jérôme Rivière. Il ne mesure pas l’importance du texte qui nous est présenté…

M. Patrick Braouezec. Si, justement !

M. Jérôme Rivière. … et sa capacité à répondre aux inquiétudes et aux demandes récurrentes que le peuple français a exprimées à travers les différentes élections depuis 2002.

Certes, il n’y a pas d’obstruction au sens technique du terme. Pour autant, pouvons-nous qualifier nos échanges de débat parlementaire dans la mesure où l’opposition n’a fait aucune proposition ? Les seuls amendements que vous présentez, en dehors de celui auquel vous faites référence depuis deux jours maintenant – que nous avions d’ailleurs conjointement déposé –, sont des amendements de suppression.

M. Patrick Braouezec. Ce n’est pas vrai ! Le ministre et le rapporteur ont dit le contraire. Il est temps de vous réveiller, monsieur Rivière !

M. Jérôme Rivière. En tant que membre de la majorité, je suis particulièrement déçu de voir que l’opposition ne fait pas de propositions. Nos concitoyens ne sont pas dupes. Ils écoutent, ils regardent et ils savent qu’il n’y a rien à attendre de la gauche, alors qu’il s’agit d’un sujet capital qui mériterait un peu plus de sérieux et un vrai débat parlementaire de fond.

M. Philippe Vitel. Madame la présidente, je demande la parole !

Mme la présidente. Non, monsieur Vitel.

M. Jérôme Rivière. Madame la présidente, vous donnez la parole à un orateur de la majorité pour trois orateurs de l’opposition alors que nous sommes trois fois plus nombreux à droite qu’à gauche !

Mme la présidente. J’ai donné la parole à un orateur par groupe, ce qui me paraît suffisant alors que nous n’avons pas encore abordé la discussion de l’article 1er.

M. Patrick Braouezec. Nos différences font notre richesse, monsieur Rivière !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Sans doute le rapporteur et moi-même sommes à l’origine de ce débat préliminaire, j’en assume donc pleinement la responsabilité en priant chaque député présent de m’en excuser.

Avant d’attaquer cette journée qui s’annonce riche en propositions de part et d’autre, il appartient au Gouvernement de préciser son état d’esprit. Que M. Braouezec, M. Mamère et M. Roman se rassurent : ils n’ont pas à prendre la peine d’indiquer que nous n’avons pas d’idées en commun. Je vous le confirme, il y a une fracture idéologique entre nous. Pour la première fois depuis des années, un projet lie immigration et politique d’intégration. En outre, il y a une volonté de la part du ministre d’État, ministre de l’intérieur, de doter notre pays d’une véritable politique d’immigration choisie plutôt que subie. Cela marque largement notre différence. Mes propos n’avaient donc pas pour objectif de laisser entendre que pouvaient naître un consensus et une connivence sur vos propositions.

Monsieur Roman, à aucun moment, vous ne nous avez acculés à accepter un amendement. C’est la richesse du débat parlementaire qui a fait qu’à un moment, un de vos sous-amendements, fort mal placé dans le texte, a été présenté à nouveau par le Gouvernement de manière plus appropriée. Notons d’ailleurs que si le groupe socialiste n’a déposé que des amendements de suppression, ce qui pouvait paraître comme une volonté de blocage et d’obstruction d’entrée de jeu, des amendements beaucoup plus constructifs ont été présentés par M. Mamère et par le groupe communiste.

M. Patrick Braouezec. Ne cherchez pas à semer la zizanie parmi nous !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Ils nous ont permis de démontrer que ce débat parlementaire avait toute sa place. Je suis heureux aujourd’hui que celui-ci prenne cette dimension.

À cette occasion, permettez-moi d’observer que tous les grands projets qui ont été présentés devant le Parlement par le ministre d’État, ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy – qu’il s’agisse de la loi pour la sécurité intérieure, de la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, de la première loi sur l’immigration ou de la loi de lutte contre le terrorisme – ont laissé une large part au débat parlementaire. Ce sont sans doute, dans l’histoire de la législature, les textes qui auront retenu le plus de propositions émanant des parlementaires. Et c’est dans le même état d’esprit que nous avons abordé, avec Nicolas Sarkozy, ce débat sur l’immigration et l’intégration. Nous prendrons tout notre temps pour laisser la place nécessaire aux propositions qui seront les vôtres. Le débat durera le temps qu’il devra durer. Le Gouvernement veillera à respecter la volonté des parlementaires sur la place qu’ils entendent occuper dans cette discussion. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Lagarde.

M. Jean-Michel Lagarde. Madame la présidente, me réjouis de la bonne nouvelle que le Gouvernement vient de nous apporter. En règle générale, on a pris l’habitude, sous cette législature mais peut-être aussi sous d’autres, de légiférer à vitesse accélérée. Sur un sujet important, autant prendre notre temps.

Par ailleurs, les débats dans notre hémicycle ont une vocation pédagogique. Ils doivent servir à faire comprendre aux Français ce que l’on vote et que ce qui se passe ici ne se fait pas en catimini, entre nous. Et je me réjouis en ce sens que les médias se soient fait l’écho ce matin de nos débats d’hier sur le contrat d’accueil et d’intégration et sur la carte « compétences et talents ».

En outre, monsieur le ministre, je dois souligner qu’à chaque fois que Nicolas Sarkozy a présenté un texte, le Gouvernement s’est montré ouvert aux amendements, ce qui, hélas ! n’a jamais été le cas des autres ministères même si, monsieur Estrosi, monsieur Hortefeux, je n’ai pas suivi de textes que vous présentiez. Ce gouvernement s’est caractérisé par le refus absolu de discuter au fond des choses et de prendre en compte des propositions qui, comme hier soir, ne correspondaient pas à son état d’esprit initial.

Faire revivre notre Parlement dans notre République nous paraît la chose la plus urgente et la plus nécessaire. Le climat actuel montre bien que l’absence de contrôle du Parlement sur l’exécutif et l’absence d’échanges et de dialogue sont sans doute les éléments qui minent le plus nos institutions.

Pour ma part, je n’ai pas d’a priori : je vote des amendements communistes et, pourtant, Dieu sait que je ne partage pas l’idéologie communiste ; je vote aussi des amendements UMP. Quant à mes propres amendements, ils reçoivent parfois le soutien des uns et des autres, voire du Gouvernement.

Je considère que c’est cela la démocratie et que nous faisons œuvre de pédagogie en montrant aux Français que, même si nous avons des divergences, nous ne sommes pas dans une logique de bloc contre bloc et que nous sommes capables de faire la loi pour la France et pas seulement pour nos partis. Je remercie le Gouvernement de nous laisser, pour une fois, le temps de le faire.

Article 1er (précédemment réservé)

Mme la présidente. Nous en venons à l’article 1er, précédemment réservé, sur lequel plusieurs orateurs sont inscrits.

La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué à l’aménagement du territoire, monsieur le ministre délégué aux collectivités territoriales, mes chers collègues, je profite de l’examen de l’article 1er pour revenir sur la philosophie de ce projet et pour bien montrer qu’il y a entre nous une différence philosophique et idéologique sur la conception que nous nous faisons de la place de l’immigré et de l’étranger dans notre société et même des droits fondamentaux des Français.

Le titre premier et l’article 1er de cette loi sur l’immigration jetable, que vous qualifiez, par euphémisme, de « choisie », définissent les dispositions relatives à l’entrée et au séjour des étrangers et crée la carte de séjour « compétences et talents ». Nous sommes au cœur de votre stratégie qui tout à la fois affiche une volonté de livrer une main-d’œuvre docile, pieds et poings liés aux employeurs, et qui pille les capacités et les talents venus du monde entier en ne considérant comme acceptable que l’étranger perçu comme rentable pour l’économie française.

En outre, votre projet institutionnalise la précarisation du statut des étrangers. On retrouve cette vision idéologique de l’immigration qui transforme en clandestins tous les étrangers, qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière : les visas d’entrée, déjà de plus en plus difficiles à obtenir, sont toujours plus contrôlés. Et pour ceux qui résident déjà en France, avec un visa et un titre de séjour, la régularisation définitive devient un objectif inatteignable. Vous multipliez à l’infini les difficultés pour obtenir une carte de résident.

Votre projet repose sur une conception policière de l’immigration avec le renforcement tous azimuts des mesures de police et de surveillance des immigrés. Là encore, ce n’est pas la première fois qu’un ministre de l’intérieur préfère le quadrillage policier de la population étrangère à son intégration. Mais vous vous surpassez dans ce rôle ! Non seulement votre projet écorne un peu plus les principes dont se prévaut la France en matière de droits de l’homme mais, de plus, il augmentera le nombre des hommes, des femmes qui vivent dans la clandestinité, dans la peur quotidienne d’être arrêtés et reconduits à la frontière.

Une fois de plus, une fois de trop, nous rediscutons de la maîtrise de l’immigration. Comme si ce sujet était votre obsession, comme si l’étranger était le bouc émissaire des gouvernements qui trouvent à travers cette thématique une solution de facilité pour résoudre tous les maux de la société. La pauvreté ? Pas de problème, c’est l’immigration ! La délinquance ? Pas de problème, c’est l’immigration ! Le chômage ? Pas de problème, c’est l’immigration ! Vous ne dérogez pas, messieurs les ministres, à cette tradition politique qui veut qu’un an avant une élection décisive, la droite rende les étrangers responsables de la dérive néo-libérale de notre société.

Non contents de renvoyer par charters entiers des hommes et des femmes qui ne demandaient qu’à s’intégrer dans notre pays et de pourchasser les sans-papiers, vous jouez en quelque sorte les doublures de Le Pen en reprenant sa phraséologie xénophobe. Mais l’électorat que vous braconnez sans vergogne préférera toujours l’original à la copie.

M. Yves Jego. Quelle soupe !

M. Noël Mamère. Depuis vingt-cinq ans, l’immigration est présentée comme une affaire policière alors qu’elle devrait être considérée comme une richesse pour notre pays en termes d’emplois, de culture, de métissage de notre société, d’échanges entre le Nord et le Sud. Vous proposez uniquement de la criminaliser alors que nous voulons, au contraire, la valoriser, valoriser par exemple l’épargne des migrants. D’ores et déjà, elle représente pour certains pays d’Afrique plus que l’aide publique au développement distribuée à vos amis les dictateurs Idriss Déby, Eyadema fils ou Omar Bongo.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Cela fait déjà trois fois que vous nous le dites !

M. Noël Mamère. Et je le répéterai autant qu’il sera nécessaire !

Nous proposons, nous, la régularisation des sans-papiers –tandis que votre texte en propose en fait l’extension infinie – et la dépénalisation de l’entrée et du séjour en déconnectant la liberté de circulation de la liberté d’installation qui doit sécuriser le parcours de l’étranger, pour en finir avec la clandestinité, le soupçon et la peur que votre politique ne fait qu’amplifier depuis 2002, et en particulier depuis la loi de novembre 2003.

Ce gouvernement est sans doute celui qui aura le plus participé à la lepénisation des esprits, véritable poison de notre société. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre-Louis Fagniez. Votre discours est complètement déconnecté !

M. Christian Vanneste. Cela fait vingt fois que M. Mamère dit la même chose ! Ça ne vaut pas la peine de lui répondre !

M. Yves Jego. Le 21 avril ne vous a donc rien appris, monsieur Mamère ?

M. Noël Mamère. La prétendue rupture du ministre de l’intérieur n’est en fait rien d’autre que la lepénisation du discours du Gouvernement. Du Kärcher au « si vous n’aimez pas la France, quittez-la », vous surfez sur les mots de Le Pen et vous contaminez la France à votre tour.

Votre projet de loi nous ramène près de soixante-dix ans en arrière. Jamais, en effet, depuis 1937 le pays n’avait connu de loi aussi restrictive sur l’immigration, cette loi de 1937 qui fut maintenue par le régime de Vichy. C’est vous dire la dangereuse régression dans laquelle vous voulez entraîner le pays, une menace qui n’est pas seulement condamnée par les « droits de l’hommiste », comme vous aimez à le répéter sur un ton méprisant, mais aussi par les églises unanimes. Vous provoquez, vous humiliez, vous instrumentalisez les peurs.

La France, messieurs les ministres, est la patrie de l’égalité des droits. C’est pourquoi nous combattons votre projet à l’Assemblée nationale et en dehors.

Je demande donc, au nom des députés Verts, la suppression de l’article 1er de ce texte. Mais si jamais ce projet inique était adopté, nous en demanderions l’abrogation dès les premiers jours de la prochaine législature en 2007, quand les Français auront choisi de changer de majorité.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Vous êtes optimiste !

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Roman.

M. Bernard Roman. L’article 1er est, en fait, un article de coordination qui globalise votre conception de ce que vous appelez une politique d’immigration.

On touche là, avec l’article 12 relatif à la carte « compétences et talents » que nous avons examiné la nuit dernière, au paroxysme de la conception mercantile, inégalitaire et déshumanisée que vous avez de l’immigration dans notre pays. Opposer, comme l’a fait le ministre de l’intérieur et vous-même, monsieur le ministre délégué à l’aménagement du territoire, immigration choisie et immigration subie, c’est faire porter de fait un regard suspicieux sur tous les immigrés – et ils le ressentent déjà – et, au-delà, sur tous ceux qui sont différents.

Imaginez ce que peuvent ressentir aujourd’hui ceux qui, immigrés ou ressemblant à des immigrés, considèrent qu’on les qualifie, au cœur de la République, dans cette enceinte, de personnes subies. Si nous gardons cette conception des choses, si le regard suspicieux porté sur l’autre, sur ces immigrés qu’on dit subis devait prévaloir, nous irions vers cette société dont certains rêvent peut-être sur les bancs de la droite, en tout cas que l’on devine derrière le discours du Gouvernement, une société fractionnée, qui encourage le communautarisme et qui est le contraire de ce qu’est la République.

C’est la raison pour laquelle nous avons déposé, sur cet article comme sur neuf des dix articles qui ont déjà été examinés, un amendement de suppression.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Tourtelier.

M. Philippe Tourtelier. Même si je suis arrivé en retard, j’ai suivi à la télévision la première intervention de M. Estrosi.

En effet, nous sommes là dans un débat idéologique où deux conceptions s’opposent frontalement. Cette distinction apparaît d’abord sur les bancs de la droite, laquelle a deux façons d’aborder la question : certains essaient de se situer dans le cadre de nos valeurs républicaines, tandis que d’autres, consciemment ou non, s’en sont éloignés et reprennent à leur compte l’idéologie et les fantasmes de l’extrême droite.

Le ministre d’État a déclaré vouloir aller chercher les électeurs du Front national pour les ramener dans le débat républicain. Cet objectif est louable à condition qu’il n’affaiblisse pas la République par la légitimation des positions xénophobes du Front national. Or, implicitement dans l’analyse et explicitement dans certaines propositions, votre texte conforte les positions extrémistes.

On l’a vu hier, vous pratiquez, à l’entrée, le tri sélectif des étrangers : avec le test de langue, vous refusez les analphabètes ; avec la carte « compétences et talents », vous organisez le pillage des cerveaux.

De même, vous proposez de durcir les conditions du regroupement familial, confortant ainsi implicitement les thèses du Front national. Ainsi, toute votre analyse repose sur la distinction entre immigration de travail et immigration familiale, la première étant bonne pour certains secteurs de notre économie, tandis que la seconde ne ferait que voler nos emplois, thème que l’on a déjà entendu.

Pour faire venir sa famille, il faudra pouvoir la faire vivre avec les seules ressources de son travail – par rapport aux Français, on peut se demander pourquoi. Là encore, n’est-ce pas la résurgence du thème « Les immigrés vivent sur le dos des Français » ?

Si l’on se situe dans une perspective éventuelle d’intégration, comme le souhaitent certains d’entre vous, la distinction entre immigration de travail et immigration familiale n’est pertinente qu’au moment de l’entrée en France ; elle ne l’est plus dans le temps. Au contraire, chacun sait qu’une intégration réussie passe par le regroupement familial. Le rendre plus difficile, c’est donc rendre plus difficile l’intégration.

Si la part des étrangers dans notre population est restée stable depuis plus de vingt ans, ce n’est pas parce que les flux d’immigrés ont été stoppés, mais parce que, contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire, l’intégration a bien fonctionné et continue à bien fonctionner. Mais, plus que des moyens, elle demande du temps. Notre pays ne peut pas se priver de la richesse qu’a toujours représentée pour notre identité nationale l’immigration. Plus d’un Français sur trois – et nous sommes nombreux ici dans ce cas – retrouve dans sa généalogie proche un parent d’origine étrangère.

Il y a donc bien une différence d’approche idéologique. Ne cédons pas aux sirènes d’une conception ethnique de notre identité nationale. L’étranger n’est pas a priori un suspect, c’est peut-être un futur Français.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Je ne me livrerai pas, même si les orateurs qui viennent de s’exprimer ont eu raison de le faire, à une déclaration un peu générale, ayant déjà eu l’occasion de développer des arguments similaires en défendant la motion de renvoi en commission.

S’agissant de l’article 1er, je partage les propos de M. Tourtelier.

Il y a ce que dit ce texte de loi et ce qu’il ne dit pas mais sous-entend. Avec l’article 1er et la carte « compétences et talents », vous organisez le pillage des cerveaux des pays à forte migration, ne donnant un statut qu’à certaines personnes. Vous considérez que ceux qui ne sont pas dignes de se voir attribuer la carte « compétences et talents » sont de mauvais migrants et de mauvais étrangers qui n’ont rien à faire sur notre territoire.

Et cela va plus loin. Je considère que cette carte est méprisante pour l’ensemble des professions, des travailleurs qui n’entrent pas dans ces catégories. Hier soir, j’ai indiqué à M. Goasguen que je considérais qu’il n’avait pas plus de compétences et de talents qu’un travailleur manuel ou un ouvrier et je le répéterai tout à l’heure en défendant un amendement.

On donne l’impression à l’ensemble de la société française qu’il y aurait des élites qu’on accepterait sur notre territoire, non dans leur intérêt ou dans celui de leur pays d’origine, mais pour notre seul intérêt. Nous ne sommes pas très loin du marché aux esclaves ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jérôme Rivière. Quand on n’a rien à dire, on dit des bêtises !

M. Jean Leonetti. Et quand Julien Dray parle des quotas, ce n’est pas de l’esclavagisme ?

M. Patrick Braouezec. Du temps de l’esclavage, on choisissait les costauds, ceux qui avaient des biceps, maintenant on pille les compétences. M. Goasguen le reconnaissait hier, ce n’est pas dans l’intérêt des autres pays. Puisque qu’on nous prend nos élites, disait-il, allons les chercher ailleurs. C’est le principe des vases communicants. C’est inacceptable, et c’est pourquoi j’ai déposé un amendement de suppression de l’article 1er et des amendements de repli qui me semblent aller dans le bon sens.

M. Jean Leonetti. Les leçons de morale viennent toujours des communistes !

Mme la présidente. Sur l’article 1er, je suis saisie d’abord de deux amendements de suppression, nos 149 et 500.

La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir l’amendement n° 149.

M. Noël Mamère. L’article 1er, qui est présenté comme un article de cohérence avec ce que nous avons discuté la nuit dernière, est révélateur de la philosophie de ce projet. Il répond en effet à une logique de discrimination, de précarisation et de déstabilisation de ceux qui veulent accéder à notre territoire. C’est pourquoi, nous demandons sa suppression.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec, pour soutenir l’amendement n° 500.

M. Patrick Braouezec. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements de suppression ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Avis défavorable puisqu’il s’agit d’amendements de suppression de l’article.

M. Roman vient de nous dire que nous avions été acculés à accepter certains des amendements de l’opposition. Nous avons une conception vraiment différente du débat. Je rappelle que, lors de l’examen de la loi de 2003, le Gouvernement, sur 700 amendements, en avait accepté 460. Il est piquant, monsieur Roman, que ce soit vous qui fassiez cette remarque. Je me souviens du temps où j’étais de l’autre côté de l’hémicycle (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. Patrick Braouezec. Vous voulez dire que vous étiez déjà du même côté, mais en moins grand nombre ! (Sourires.)

M. Thierry Mariani, rapporteur. Nous étions surtout minoritaires, j’en conviens !

Eh bien, quand la droite avait une bonne idée, la gauche s’adonnait à grande échelle au sport consistant à demander une suspension de séance pour réécrire exactement le même amendement et mieux se vanter ensuite de n’avoir rien accepté de l’opposition. J’ai le souvenir d’une ministre, élue lilloise, qui passait son temps à pratiquer de la sorte au moment de l’examen du texte sur les 35 heures, plutôt que d’accepter le dialogue et de reprendre le moindre amendement de la droite.

M. Bernard Roman. Ce n’est pas le souvenir que j’en ai.

M. Jean Leonetti. Ça ne m’étonne pas !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Peut-être ma mémoire n’est-elle pas fidèle...

Même si le débat reste courtois, nous sommes séparés par une vraie fracture idéologique. J’ai été sidéré par la discussion que nous avons eue hier soir sur l’article 12. Nier qu’il est de l’intérêt de notre pays d’attirer les compétences et les talents en priorité chez nous, plutôt que de continuer à les voir partir chez les autres ! Cela relève pourtant de l’évidence !

Je vous rappelle – et ce sera facile puisque les quatre députés de l’opposition présents étaient là sous la précédente législature – que la loi Chevènement de 1998 a créé une carte pour les scientifiques et une carte pour les artistes,...

M. Noël Mamère. Je n’étais pas d’accord !

M. Thierry Mariani, rapporteur. ...dont respectivement 1 000 et 300 ont été distribuées l’année dernière. Qu’était-ce d’autre que de reconnaître que nous avons intérêt à accepter des compétences et des talents ?

M. Bernard Roman. Ce n’était pas dit comme ça !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Un scientifique n’est-il pas quelqu’un de compétent ? Un artiste n’a-t-il pas du talent ? Comme d’habitude, vous n’avez pas osé aller jusqu’au bout de la démarche. Nous, au moins, nous assumons nos idées. Nous voulons une immigration choisie, nous voulons attirer dans notre pays les meilleurs, pour qu’ils puissent participer au développement de notre économie ainsi qu’à celui de leur pays quand ils y retourneront.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 149 et 500.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Nous sommes bien sûr défavorables à la suppression de l’article 1er.

J’ajoute aux propos du rapporteur que la carte « compétences et talents » a pour objectif de concilier les intérêts de la France avec ceux des pays d’origine. Nous n’avons cessé d’insister là-dessus, pour répondre aux attentes de plusieurs d’entre vous.

Le débat a déjà eu lieu à l’article 12. Hier soir, j’ai précisé que l’examen de l’article 1er avait été déplacé à ce point précis du débat parce qu’il s’agissait d’une mise en forme technique des onze articles suivants. Cela dit, nous assumons la logique de l’immigration choisie dans l’intérêt de la France, comme dans celui des pays d’origine.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Vanneste.

M. Christian Vanneste. Une simple réflexion, madame la présidente. Il y a bien deux idéologies en présence. Sans vous en rendre compte, chers collègues de l’opposition, vous n’avez cessé de parler des immigrés de façon dévalorisante. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Patrick Braouezec. Ça, c’est la meilleure !

M. Christian Vanneste. Vous avez parlé de « tri sélectif » et d’« immigration jetable ». Or ces expressions se rapportent à des choses, non à des personnes.

M. Patrick Braouezec. C’est vous qui traitez les immigrés comme des marchandises !

M. Christian Vanneste. Vous avez parlé de « marché aux esclaves » alors que, précisément, la notion d’immigration choisie repose sur l’idée que l’immigration résulte d’un double choix : celui de la personne qui émigre et celui du pays qui l’accueille. Il s’agit d’une relation contractuelle, et vous semblez ne pas vous en rendre compte. Sincèrement, il vous faut réfléchir à votre conception des personnes. Ce texte de loi est profondément personnaliste parce qu’il reconnaît à chacun le droit à la liberté en parfaite conformité avec l’esprit républicain. Il reconnaît également l’égalité des droits mais aussi l’inégalité des mérites, ce que l’école républicaine accepte parfaitement.

En outre, nous avons voté hier avec enthousiasme un amendement de Mme Boutin pour que ceux qui doivent à leur mérite de venir en France rendent aussi service à leur pays d’origine. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas de chance parce que, sur les quatre d’entre nous que vous avez interpellés, nous sommes deux à avoir voté contre la loi Chevènement...

M. Thierry Mariani, rapporteur. C’était la gauche plurielle !

M. Bernard Roman. C’est justement la diversité qui fait la richesse !

M. Patrick Braouezec. ...à cause notamment des dispositions que vous avez évoquées. Je ne peux pas parler pour Noël Mamère, mais, en ce qui me concerne, je considère que la loi Chevènement présentait les mêmes dangers, même si elle présentait certains aspects plus positifs.

Monsieur Vanneste, vous parlez du choix des personnes qui demandent à venir sur notre territoire pour y travailler, gagner leur vie et, bien souvent, aider leurs familles. Il y a en effet bien des pays aujourd’hui dont les populations vivent, voire survivent grâce à l’apport des migrants qui se privent pour envoyer le maximum de leurs ressources à leur famille – et même au-delà – restée dans leur pays d’origine.

La carte « compétences et talents » rendra encore plus restrictive l’entrée des personnes qui veulent travailler, mais qui ne correspondent pas au cadre fixé par la liste des professions. C’est notre seul intérêt qui est en cause, et non pas, comme vous le dites, celui des personnes migrantes et des pays dont ils proviennent. Et ce n’est pas l’amendement de Mme Boutin, aussi utile soit-il, qui change quelque chose au problème. Cette disposition consiste, je le rappelle, à imposer aux titulaires de cette carte, qui viendront pour trois ans sur notre territoire, de mener en faveur de leur pays des actions humanitaires ou autres. Mais elle ne remet pas fondamentalement en cause le fait que l’on pille les intelligences, les savoir-faire, les talents et les compétences de ces pays. À partir du moment où ces personnes sont sur notre territoire, rien n’assure qu’elles mettront ensuite au service de leur pays leurs compétences et leurs talents !

Je préfère à tout prendre le cynisme de M. Goasguen – et je ne donne pas à ce terme une connotation péjorative (Rires)...

M. Claude Goasguen. Ah bon !

M. Jean-Christophe Lagarde. Le cynisme serait désormais une qualité !

M. Patrick Braouezec. Je préfère le réalisme de M. Goasguen qui se demande pourquoi certains cerveaux partent à l’étranger. Serait-ce parce qu’ils ne voient pas d’avenir ici, pas de projet global de société ni de solidarité – mais ce mot-là vous fait peur ?

M. Christian Vanneste. C’est parce que la France est trop socialiste que les cerveaux partent ! Ils vont dans des pays plus libéraux !

M. Patrick Braouezec. Et, par réalisme, M. Goasguen nous conseille, puisqu’on nous pille, d’aller piller les autres. La belle morale ! Où va le monde ?

Comme la loi comporte d’autres dimensions restrictives, l’attractivité de la France sera bien moindre, notamment quand les titulaires de la carte se seront rendu compte qu’à partir du moment où leurs compétences et leurs talents ne seront plus reconnus, ils perdront tous leurs droits. Ils réfléchiront à deux fois avant de s’installer chez nous.

M. Philippe Vitel. Ne confondez pas l’Assemblée nationale avec le café du commerce !

Mme la présidente. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 149 et 500.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 404.

La parole est à M. le rapporteur, pour le défendre.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Il s’agit d’un amendement purement rédactionnel, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 404.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 269.

La parole est à M. Bernard Roman, pour le soutenir.

M. Bernard Roman. Cet amendement tend à supprimer les alinéas 2 et 5 de l’article 1er, qui concernent la carte « compétences et talents » qui prend la place de la carte pour les scientifiques.

Quelle est la différence entre les deux, monsieur Mariani ?

Passons sur le dispositif inégalitaire que vous mettez en place et sur la précarisation des trois statuts de salariés – on le verra après l’article 12. Mais le statut privilégié que confère la carte « compétences et talents » en matière de rapprochement familial trahit une approche particulière.

Ensuite, et M. Blisko l’a très bien expliqué hier, personne ne peut se déclarer scientifique s’il ne l’est pas, mais qui peut nier compétences et talents à un maçon, à un instituteur, à un employé de voirie ? Une telle conception élitiste de la société française et de la politique d’immigration n’est pas acceptable d’un point de vue philosophique. Pour ne pas faire mal à mon collègue Vanneste, je ne citerai pas ce que Rousseau a écrit sur ces sujets.

M. Jean-Christophe Lagarde. Et si l’on parlait de Voltaire !

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission sur l’amendement en discussion ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Ceux qui se voyaient attribuer la carte scientifique, monsieur Roman, avaient aussi des facilités de regroupement familial.

M. Bernard Roman. Les autres cartes incluaient aussi de telles facilités !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Non ! La carte scientifique, qui a été créée en 1998, bénéficiait de conditions particulières.

Je suis défavorable à cet amendement. En ce qui nous concerne, nous ne nions pas le mérite,...

M. Patrick Braouezec. Le mérite n’a rien à voir avec les compétences et le talent !

M. Thierry Mariani, rapporteur. ...ni la différence de traitement. Nous revendiquons l’immigration choisie.

Pour reprendre votre exemple du maçon, vous avez entièrement raison. À cet égard, je vous renvoie à l’article 10 du projet. Si la France a besoin de bons maçons, il n’y aura pas de problème pour eux. Ils pourront travailler dans des régions où le métier de maçon est déclaré en tension. Ils auront leur place sur le marché du travail car ils entreront dans le cadre de l’immigration choisie.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement sur l’amendement n° 269 ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Défavorable, madame la présidente.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 269.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 502 et 353, pouvant être soumis à une discussion commune.

Monsieur Braouezec, défendrez-vous l’amendement n° 353 en même temps que l’amendement n° 502 ?

M. Patrick Braouezec. Non, madame la présidente, je ne souhaite pas défendre l’amendement n° 353 de M. Brard car, bien que nous appartenions tous deux au même groupe parlementaire, je ne vois pas trop comment l’on pourra juger du « courage » de quelqu’un.

Mme la présidente. L’amendement n° 353 n’est donc pas défendu.

La parole est à M. Patrick Braouezec, pour défendre l’amendement n° 502.

M. Patrick Braouezec. J’ai le même scrupule à défendre l’amendement n° 502 que celui que j’ai eu hier soir à rendre service au Gouvernement en supprimant le mot « personnalité » dans l’amendement n° 364 rectifié.

De fait, si vous faisiez preuve d’intelligence – ne voyez pas dans mes propos une remarque désobligeante –, vous reprendriez cet amendement à votre compte. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Claude Goasguen. Voilà une remarque sympathique !

M. Jérôme Rivière. Nous ne serions donc pas intelligents !

M. Patrick Braouezec. Ce que je veux dire, c’est que je suis persuadé que vous allez faire preuve d’intelligence !

M. Serge Blisko. Il s’agit d’un appel !

M. Patrick Braouezec. Il s’agit en effet d’un appel aux intelligences ! Je souhaite piller les cerveaux de droite !

M. Claude Goasguen. Vous avez déjà commis cette erreur hier soir !

M. Patrick Braouezec. Cet amendement vise à lever l’ambiguïté, que j’ai évoquée à plusieurs reprises déjà, de la carte « compétences et talents ». Il vise les compétences et les talents, évoqués par M. le rapporteur, qui ne relèvent pas d’une haute qualification en termes de durée des études et prévoit, à cette fin, de remplacer les mots « compétences et talents » par les mots « tout type de compétences professionnelles ou talents ». Ce serait aller dans le bon sens que d’inclure dans le dispositif non seulement les compétences intellectuelles, mais également les compétences manuelles.

M. Claude Goasguen. « Compétences manuelles », qu’est-ce que cela signifie ? Toucher de l’argent ?

M. Patrick Braouezec. Toutefois, je le répète, j’ai scrupule à vous rendre service une seconde fois !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement en discussion ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Défavorable.

Contrairement à ce que vous prétendez, monsieur Braouezec, la carte « compétences et talents » couvre tous types de compétences et de talents. Nous n’avons jamais affirmé le contraire.

M. Patrick Braouezec. Autant le préciser !

M. Thierry Mariani, rapporteur. De plus, si la commission émettait un avis favorable à votre amendement n° 502 et que celui-ci fût adopté, l’article 1er étant un article de coordination, il conviendrait de revenir sur l’article 12.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Défavorable.

Ne nous faites pas de faux procès, monsieur Braouezec ! La carte de séjour « compétences et talents » ne sera pas réservée à une petite élite, puisque les sportifs, les artistes et les intellectuels pourront en bénéficier, ainsi que – écoutez bien, monsieur Braouezec – les travailleurs,…

M. Patrick Braouezec. Hier soir, sur les bancs de la majorité, elle a été présentée de manière restrictive !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …sous réserve évidemment que leur projet professionnel participe au développement économique de la France ou du pays dont ils ont la nationalité.

M. Patrick Braouezec. C’est une affirmation creuse ! Comment développeront-ils leur pays, d’ici ?

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Blisko.

M. Serge Blisko. Je tiens à soutenir cet amendement, car nous avons, depuis hier soir, la pénible impression que la conception que les préfets ont de la « compétence » et des « talents » n’est pas de nature à réconcilier les Français ou les ressortissants étrangers avec l’autorité administrative. Je trouve cela navrant !

Le droit, monsieur Vanneste, a un caractère objectif : son application ne saurait être laissée à l’appréciation subjective de l’administration, notamment des bureaux chargés des étrangers, qui se voient régulièrement tancer à la fois par les politiques, à quelques bords qu’ils appartiennent, et par les associations, pour leur interprétation des dispositifs en vigueur. Du reste, les ministres de l’intérieur successifs ont dû prendre des circulaires pour que, quelles que soient les préfectures, l’égalité de traitement soit assurée.

Du plus, il est très difficile de juger le talent ! Ce n’est pas recourir à un effet de tribune que de rappeler que les peintres impressionnistes, dont les œuvres sont aujourd’hui adjugées entre 40 et 100 millions de dollars dans les ventes publiques, étaient autrefois considérés comme dépourvus de talent. C’est Clemenceau qui, dans les années 20, a fait remplacer au musée du Luxembourg les toiles des peintres pompiers – qui, aujourd’hui, sont à leur tour redécouverts – par celles des peintres impressionnistes, notamment de son ami Claude Monet.

M. Philippe Vitel. Tout cela n’a aucun rapport avec nos débats ! Et vous l’avez déjà dit hier. C’est du « réchauffé » !

M. Serge Blisko. Les jugements sur le talent dépendent considérablement du regard porté par la société et…

M. Claude Goasguen. C’est bien connu : Léonard de Vinci et un peintre en bâtiment ont un talent identique !

M. Serge Blisko. …il n’est pas besoin d’insister sur ce point.

Mme la présidente. C’est pourquoi, monsieur Blisko, je vous demande de bien vouloir conclure.

M. Serge Blisko. Je tiens à évoquer rapidement un second point, madame la présidente.

Mme la présidente. Rapidement, c’est le mot, monsieur Blisko.

M. Serge Blisko. Puisque nous avons la chance, messieurs les ministres, de vous avoir ce matin tous les trois – puisque M. Sarkozy nous a rejoints –, ce dont je vous remercie, j’en profite pour vous demander ce qui se passera pour le titulaire de la carte « compétences et talents », dont le talent s’étiolera. De façon générale, en effet, chacun sait qu’un peintre ou un écrivain peuvent voir leur inspiration se tarir, comme un homme politique se faire jeter par ses électeurs…

M. Claude Goasguen. Dans ce cas, ce n’est pas par manque de talent, mais par manque de chance !

M. Serge Blisko. …ou un footballeur se casser la jambe ! Que se passera-t-il pour ceux dont le talent disparaîtra de manière temporaire ou définitive ? L’âge entre souvent en ligne de compte, pas pour les politiques évidemment, mais pour les sportifs surtout. Dans un tel cas de figure, leur retirera-t-on la carte « compétences et talents » après leur avoir dit, ainsi qu’à leur famille, qu’ils n’y ont plus droit parce qu’ils ne savent plus jouer au football ?

M. Bernard Roman. Ils n’auront qu’à changer de talent !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Ou devenir entraîneurs !

M. Serge Blisko. Pour devenir entraîneur, il faut pouvoir prouver ses compétences en français !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Je ne peux laisser une fois de plus – M. Blisko, n’est pas le premier – accuser les préfets et tous les agents de l’État d’arbitraire !

M. Serge Blisko. J’ai parlé d’interprétation !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Ils sont des gens très respectables (« Très juste ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire),…

M. Serge Blisko. Je n’ai jamais dit le contraire !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …qui travaillent sous la responsabilité des ministres…

M. Bernard Roman. C’est vrai.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …et, surtout, sous le contrôle du juge administratif.

M. Serge Blisko. Les juges, vous savez, en ce moment…

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Ils sont au service des Français et méritent de votre part un plus grand respect. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Claude Goasguen. La gauche n’aime pas les fonctionnaires !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Je tiens à répondre à la question que M. Blisko et ses collègues ont déjà posée à plusieurs reprises.

Si, après trois ans, le footballeur souhaite changer d’orientation professionnelle, il pourra demander une carte de séjour puis, cinq ans plus tard, une carte de résident, à condition de signer le contrat d’intégration.

M. Bernard Roman. Comment fera-t-il ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Monsieur Roman, la carte « compétences et talents » s’ajoute aux catégories existantes, elle ne les supprime pas. Son seul objectif est d’attirer les meilleurs en France !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. M. Roman semble s’inquiéter de savoir si la délivrance de la carte « compétences et talents », qui est valable trois ans, laissera la possibilité à son titulaire de signer par la suite le contrat d’intégration et de bénéficier d’une carte de résident. Et il me semble avoir compris que tel sera le cas, puisque la validité de la carte « compétences et talents » sera supérieure à un an.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 502.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 501.

La parole est à M. Patrick Braouezec, pour le soutenir.

M. Patrick Braouezec. Cet amendement vous offre une dernière chance de lever toute ambiguïté sur la portée de la carte « compétences et talents ». De plus, monsieur le rapporteur, son adoption ne nous obligera pas à revenir sur l’article 12.

En effet, en vue d’inclure l’ensemble des compétences professionnelles dans le champ de la carte « compétences et talents », cet amendement vise à insérer dans la première phrase de l’alinéa 5 de l’article 1er, après les mots : « et talents », les mots : « pour l’ensemble des salariés quelles que soient leurs compétences professionnelles ». Du reste, le mot « travailleurs » serait peut-être préférable au mot « salariés », plus restreint : on peut en effet vivre de son travail sans percevoir à proprement parler un salaire.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Défavorable puisque, je le répète, la carte « compétences et talents » est une catégorie qui ne fait que s’ajouter aux catégories existantes. De plus, tous les salariés compétents peuvent entrer dans le cadre des dispositions de l’article 10.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 501.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié par l’amendement n° 404.

(L’article 1er, ainsi modifié, est adopté.)

Article 13

Mme la présidente. Sur l’article 13, plusieurs orateurs sont inscrits.

La parole est à M. Bernard Roman.

M. Bernard Roman. Avec l’article 13, nous quittons la carte « compétences et talents » pour revenir aux titres de séjours ordinaires.

Le ministre et le rapporteur l’ont rappelé : afin de répondre aux besoins de main-d’œuvre – telle est la logique dans laquelle s’inscrit le Gouvernement –, chaque année, sur une base régionale et par métier, une sorte de palmarès des emplois sera publiée sous l’autorité des préfets de région.

Ce recours à une nouvelle forme de Gosplan représente à mes yeux une véritable régression quant à notre capacité d’adaptation aux évolutions économiques et à celles de l’emploi, puisque, désormais, les étrangers qui en auront reçu l’autorisation viendront travailler dans tel métier et dans telle région, en fonction de la carte régionale des emplois qui aura été préalablement établie.

C’est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre : qui, comment, pour qui et quand ?

Première question : qui établira ces cartes ? On nous a répondu que ce seront les préfets de chaque région, mais, dans le même temps, on affirme que la carte sera nationale ! Cela signifie, je suppose, que les préfets de région transmettront leurs propositions au ministre en charge de l’immigration, qui lui-même les transmettra au ministre de l’emploi, lequel entrera en relation avec le ministre des affaires étrangères afin d’informer, par le biais des consulats, les étrangers candidats des emplois offerts. Je suppose aussi que, comme tout Gosplan, celui-ci entraînera la mise en place d’une machine administrative, voire bureaucratique, extrêmement lourde et centralisée, en vue d’organiser cette émigration que vous appelez « choisie ».

Deuxième question : comment établira-t-on ces cartes ? Qui sera sollicité pour indiquer quelles sont les cartes des emplois disponibles région par région ? Les organisations syndicales et professionnelles seront-elles consultées ou consultera-t-on uniquement les organisations patronales ? Les directions départementales du travail seront-elles consultées ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Nous avons voté un amendement sur ce point !

M. Bernard Roman. Les organismes de formation seront-ils consultés afin de répondre au mieux aux besoins du marché du travail avant que de l’ouvrir à l’extérieur ?

Troisième question : à qui sont destinés ces titres de séjour ? Comment va-t-on répondre aux besoins qui ne sont pas permanents ?

Je prends de nouveau l’exemple du bâtiment et des travaux publics. Si les emplois sont localisés à l’échelle régionale, les coffreurs-boiseurs dont on aura éventuellement besoin seront donc autorisés à venir en France pour travailler dans une région déterminée. Or, l’on sait bien que ce marché est très mouvant et que, travaillant sur le gros œuvre, les coffreurs-boiseurs sont, au bout de quelques mois, amenés à se rendre sur un autre chantier. Seulement, tous les chantiers ne se situent pas au sein d’une seule région ; or, les ouvriers en question ne seront pas autorisés à sortir de la région où ils se trouvent. Cela signifie-t-il qu’on répondra éventuellement aux besoins supplémentaires en employant des personnes munies d’une carte de « travailleur temporaire » voire d’une carte de « saisonnier » ?

Enfin, dernière question, quand les mesures prévues seront-elles mises en œuvre ? Le texte sur l’immigration paraîtra au Journal officiel au terme de l’unique navette et après que la commission mixte paritaire se sera réunie. Je suppose que les préfets n’ont pas été consultés et il faudra bien plusieurs mois pour établir sérieusement ces listes. Que se passera-t-il en attendant, puisque l’attribution des titres de séjour de salariés relèvera d’un nouveau dispositif, tandis que l’ancien ne sera plus valable ? Autrement dit, je me demande ce qui va se passer entre juin-juillet et décembre.

Voilà quatre questions précises auxquelles j’aimerais que M. le rapporteur me réponde.

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Blisko.

M. Serge Blisko. Je souhaite compléter ce qu’a dit M. Roman et dresser le bilan des nouvelles cartes de séjour et donc de toute la complexité que nous créons depuis hier en matière de droit du travail des étrangers, puisque c’est de cela qu’il s’agit. Au terme de nombreuses discussions, M. le ministre Hortefeux a confirmé hier qu’il y aurait désormais trois catégories de cartes de travail.

L’une pour les saisonniers, qui ne devront pas travailler plus de six mois par année ; il nous faudra sur ce point vérifier de près la garantie de leurs droits sociaux. La carte de séjour pour les « travailleurs ordinaires », en contrat à durée indéterminée, carte portant la mention « salarié ». Enfin, la carte intitulée « travailleur temporaire », destinée aux travailleurs en contrat à durée déterminée.

À ces trois types de cartes s’ajoute la carte de séjour « compétences et talents », qui ouvre un droit au travail dans des domaines particuliers eu égard à la compétence ou au talent d’étrangers présentant un intérêt particulier pour l’économie française. Cette façon de sélectionner nos invités – puisque ceux-ci sont vraiment invités – ne peut que provoquer des états d’âme et des réflexions amères.

Et voilà maintenant une cinquième carte destinée à ceux auxquels on donne le droit de venir pour occuper des emplois dans des branches professionnelles dans des régions particulières. Quand j’ai décrit à M. Mariani, hier, des postes de travail aux noms inconnus du commun des citoyens, il nous a assuré qu’ils avaient fait l’objet de discussions avec des organisations syndicales, je veux bien le croire.

Reconnaissez quand même que pour un ministre qui se pique de libéralisme – au sens économique du terme, je ne parle pas ici de libéralisme politique –, vous faites pour le moins preuve de rigidité politique. Vous nous faites entrer dans une catégorisation, une hiérarchisation et une spécialisation administratives très loin de la réalité du marché du travail, comme le disait notre collègue Bernard Roman.

Je vous l’ai dit : l’ouvrier qui sait poser des revêtements souples, sait aussi poser des revêtements plus rigides et vice versa. On ne peut pas continuer à créer à l’infini des catégories administratives pour la main-d’œuvre étrangère sans rappeler terriblement les années 30. On ne peut pas donner, comme vous le faites, une compétence à la direction départementale du travail et de la formation professionnelle aussi éloignée de la fluidité de la vie économique d’aujourd’hui.

Je suis étonné que ce soient des socialistes qui doivent vous rappeler la réalité de la vie économique des entreprises, en particulier dans les branches du bâtiment, des travaux publics, de l’agriculture où, en effet, nous qui ne sommes pas partisans de la flexibilité, nous n’en plaidons pas moins pour une certaine fluidité, une certaine mobilité, contraire à la rigidité administrative proposée.

Je ne vois pas ce que vous souhaitez, sinon créer des emplois contractuels de contrôleurs surnuméraires de ces catégories – ce qui correspond bien à votre manière de voir les choses –, sinon rendre le dispositif plus complexe et obscur qu’il ne l’est, dressant une sorte de barrière administrative, une barrière de papier pour vous opposer à la venue en France de travailleurs aux compétences et aux talents reconnus. Or l’on sait à quel point il est difficile aujourd’hui de trouver de bons compagnons, de bons professionnels, notamment des coffreurs-boiseurs.

Qu’ils soient Français ou étrangers, on a besoin de former les jeunes. J’ai appris récemment que la chambre des métiers de la Gironde s’alarmait de ne compter que deux jeunes en apprentissage de carreleur dans ce département ! Ce métier est donc en train de devenir rare.

Je vous demande simplement, dans cette affaire, de vous montrer moins tatillon en termes de contrôle administratif, de faire preuve de plus de fluidité…

M. Christian Vanneste. C’est un discours blairiste !

M. Serge Blisko. …et d’intelligence – dans le sens le plus commun du mot, je ne sous-entends rien –, de faire preuve de plus de bon sens, pour ne pas employer le terme « intelligent ».

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Monsieur le rapporteur, l’article 13 est assez représentatif de la façon dont le Gouvernement et la commission ont travaillé. C’est pourquoi ce que nous faisons ici se révèle sans doute très utile puisque nous sauvons la mise à des articles parfois assez flous.

À cet égard, l’article 13 est assez révélateur puisqu’il se termine – d’ailleurs en toute sagesse – par la disposition selon laquelle « un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. » Autrement dit, un décret devra préciser le contenu même de cet article tant il est flou.

Il commence par une bonne nouvelle, je dis « une bonne nouvelle » car, j’y reviendrai, il supprime du code du travail les mots « et un certificat médical ». Mais c’est bien évidemment pour mieux réintroduire cette disposition dans un autre article.

Cela m’amène à ma première question : qu’attend-on de la délivrance de ce certificat médical ? Je vois déjà sur les bancs de droite des députés fantasmer sur le fait que des gens malades viendraient en France simplement pour se faire soigner. Mais, pour prendre un cas différent : que faites-vous de travailleurs handicapés étrangers ? Auront-ils le droit de venir faire valoir leurs compétences et leurs talents sur notre territoire ? En quoi le certificat médical peut-il être un obstacle, ou non, à venir travailler en France et donc à obtenir un droit au séjour ?

Ma deuxième remarque rejoint les propos de mes collègues socialistes et porte sur les zones géographiques et sur la façon dont on va pouvoir appliquer le dispositif prévu. Soyons sérieux : comment peut-on limiter l’autorisation de travail à une zone géographique précise, alors que l’on sait très bien que de grandes entreprises peuvent être amenées à faire travailler un employé dans telle région pendant quinze jours, trois semaines voire un mois, avant de l’envoyer dans une autre région dont les besoins ne sont pas formulés de la même manière ?

Permettez-moi, ensuite, de vous poser une question précise sur l’alinéa 6 qui précise que « Pour l’instruction de la demande d’autorisation de travail, l’autorité administrative peut échanger tous renseignements et documents relatifs à cette demande avec les organismes concourant au service public de l’emploi mentionnés à l’article L. 311-1 […]. »

Je m’interroge beaucoup sur cette disposition parce que, vous le savez sans doute, aux termes du code du travail, parmi ces organismes concourant au service public de l’emploi, on ne trouve pas, contrairement à son appellation, que des services publics. En effet : « peuvent également participer au service public de l’emploi, des organismes publics ou privés dont l’objet consiste en la fourniture de services relatifs au placement, à l’insertion, à la formation, à l’accompagnement des demandeurs d’emploi, les organismes liés à l’État par une convention prévue à l’article L. 322-4-16. » Disposition qui ne pose jusqu’ici aucun problème puisque ce sont des organismes liés à l’État par une convention ; on rejoint ici le cas des fondations et associations d’utilité publique évoquées hier.

Toutefois, parmi « les organismes concourant au service public de l’emploi » figurent les entreprises de travail temporaire ainsi que les agences de placement privées. Or, je considère qu’on n’a pas, dans l’instruction d’une demande d’autorisation de travail, à recueillir l’avis d’organismes de travail temporaire ou d’agences de placement privées.

Je me permets donc d’affirmer que certaines dispositions de l’alinéa 6 me semblent contraires à l’éthique puisque les demandes d’autorisation de travail seraient soumises à l’avis des entreprises elles-mêmes.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué aux collectivités territoriales.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales. Monsieur Roman, nous avons déjà eu des échanges hier soir sur la limitation de l’autorisation de travail à certaines activités professionnelles ou à certaines zones géographiques lors de l’examen de l’article 10. Il s’agit ici de coordination et l’article 13, en prévoyant cette limitation, ne fait que préciser des dispositions déjà votées à l’article 10.

Je rappelle que les partenaires sociaux seront consultés par les préfets de région lorsqu’ils définiront les métiers pour lesquels des étrangers pourront être recrutés. Un amendement du rapporteur, vous vous en souvenez, a d’ailleurs été voté en ce sens à l’article 10.

Quant à M. Braouezec, je lui confirme que les travailleurs étrangers doivent justifier qu’ils ont subi un examen médical lorsqu’ils arrivent en France.

En réalité, vous vous référez à la règle que vous connaissez en matière d’examen médical. Lorsque l’on passe un concours de la fonction publique – dont vous êtes issu –, un examen médical est en effet pratiqué.

Quant à la phrase : « Les étrangers doivent justifier qu’ils ont subi un examen médical », savez-vous d’où est-elle tirée ? D’un arrêté du 6 juillet 1999 relatif au contrôle médical des étrangers autorisés à séjourner en France, signé par une personnalité que M. Roman connaît bien : Martine Aubry. En aucun cas cette obligation n’est une invention de notre part !

M. Jean-Christophe Lagarde. Votre grande amie, monsieur Roman ! À votre place, j’irais distribuer un tract à Lille pour la dénoncer ! (Rires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Votre réponse ne me satisfait pas, monsieur le ministre. Quel que soit cet arrêté et quel que soit son signataire, ma question demeure : cette visite médicale obligatoire, à l’issue de laquelle un certificat médical est délivré, peut-elle constituer un obstacle à la venue sur notre territoire d’un étranger répondant à tous les critères de compétence et de talent que vous avez énoncés, dont on aurait besoin en France ? Si tel était le cas, il pourrait y avoir discrimination vis-à-vis des handicapés, par exemple. On peut aussi se demander si une personne qui remplit tous les critères mais qui est atteinte du VIH pourra venir travailler en France.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il serait bon que le « certificat médical » du projet de loi se transforme en « certificat d’aptitude médicale au travail ». M. Braouezec a raison de soulever la question des personnes atteintes du VIH, pour lesquelles le risque de discrimination est lourd – d’autant plus qu’en Afrique, d’où provient aujourd’hui l’essentiel de l’immigration sur le territoire national, le VIH fait des ravages. C’est donc bien de l’aptitude au travail qu’on doit juger, et il convient de le préciser. Cela peut certes se faire par décret, mais nous autres parlementaires ne voyons jamais les décrets : en témoigne la découverte que M. Braouezec a faite à ses dépens.

M. Patrick Braouezec. Ce n’était pas une découverte pour moi !

M. Jean-Christophe Lagarde. Je vous suggère donc, monsieur le ministre, puisque désormais vous seul pouvez amender le texte en ce sens, de préciser que c’est bien l’aptitude au travail, et rien d’autre, que l’on veut juger. Une telle précision serait utile et irait dans le sens de l’humanitaire.

M. Patrick Braouezec. De l’égalité, plutôt !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Thierry Mariani, rapporteur. L’article 4 de l’arrêté du 30 juillet 1986 dispose que « les étrangers atteints de maladies ou infirmités pouvant mettre en danger la santé publique, l’ordre public ou la sécurité publique sont considérés comme ne remplissant pas les conditions sanitaires exigées pour être admis en France et obtenir une carte de séjour ». Les maladies ou infirmités figurant en annexe de l’arrêté sont, entre autres, des maladies relevant du régime du règlement sanitaire international : peste, choléra et fièvre jaune, maladies contagieuses en phase évolutive. S’agissant du VIH, il est précisé dans une lettre du ministre des affaires sociales en date du 8 décembre 1987 que « l’existence d’une sérologie positive, en l’absence de signes cliniques, ne doit pas constituer un motif de refus d’autorisation à séjourner en France ».

M. Jean-Christophe Lagarde. Voilà !

M. Thierry Mariani, rapporteur. D’ailleurs, le sida appartient à la catégorie des maladies transmissibles et non contagieuses. Il ne figure donc pas sur la liste des maladies dangereuses pour la santé publique.

M. Jean-Christophe Lagarde. Précision utile !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Que les choses soient bien claires : le contrôle médical a pour seul but de s’assurer que l’étranger n’est pas atteint d’une maladie contagieuse, l’exemple connu étant celui de la tuberculose. Il s’agit d’un impératif de santé publique et de rien d’autre. En aucun cas il ne s’agit d’écarter les étrangers handicapés. Il ne doit y avoir aucune ambiguïté sur ce point.

M. Serge Blisko. Ça va mieux en le disant !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Comme le note M. Blisko, ça va mieux en le disant. Ne pourrait-on pas reprendre la formulation suggérée par M. Lagarde afin que ne subsiste aucune ambiguïté sur l’utilisation qui pourrait être faite de ce certificat médical ? Dès lors qu’il est précisé qu’il s’agit d’un certificat d’aptitude professionnelle…

M. Thierry Mariani, rapporteur. Mais il n’y a rien de nouveau par rapport aux textes existants !

M. Patrick Braouezec. Si, monsieur le rapporteur : nous sommes en train de discuter d’un texte qui va encadrer l’arrivée et le séjour des étrangers sur le territoire. Vous seul avez à votre disposition le gros « pavé » des textes réglementaires. Il ne me paraît pas extravagant de rappeler dans la loi un certain nombre de principes en matière d’accueil de travailleurs étrangers !

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Rivière.

M. Jérôme Rivière. L’opposition met beaucoup d’ingéniosité à voir le mal et à nous soupçonner de perversité.

M. Christian Vanneste. Oui ! Ces gens sont soupçonneux !

M. Patrick Braouezec. Pas du tout ! J’essaie seulement d’empêcher le mal de s’immiscer !

M. Jérôme Rivière. L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, que vous invoquez à l’envi, autorise les pays à exercer une ingérence sur l’accueil des étrangers, y compris sur leur droit à mener une vie familiale, pour des raisons de protection de la santé. Le texte du Gouvernement s’inscrit dans cet esprit.

Mme la présidente. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Je m’étonne d’entendre M. Rivière nous dire qu’il n’est pas nécessaire d’apporter cette précision législative, alors qu’il s’est évertué hier avec M. Myard, pendant près d’une heure, de nous convaincre d’inscrire dans la loi des dispositions relatives à la sortie des étrangers hors du territoire national.

Oui, il y a de quoi être soupçonneux. Nous avons souvent cité l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme car ce projet de loi est en contradiction avec elle, et ce n’est pas la première fois que la France et ce gouvernement sont en délicatesse avec ce texte : le traitement infligé aux étrangers dans les centres de rétention, par exemple, a été dénoncé comme violant la CEDH.

M. Serge Blisko. La France est un mauvais élève !

M. Noël Mamère. C’est vrai ! Nous sommes, de ce point de vue, un des plus mauvais élèves de l’Union européenne.

M. Jérôme Rivière. De l’Union européenne, ou des pays signataire de la Convention ? Soyez précis, monsieur Mamère !

M. Serge Blisko. Reportez-vous au rapport Gil-Robles, monsieur Rivière !

M. Noël Mamère. Ce rapport est effectivement très net, non seulement sur les centres de rétention pour les étrangers, mais aussi quant aux conditions de détention dans les prisons.

La question qui se pose à nous aujourd’hui est de savoir comment l’on peut protéger les étrangers qui viennent sur notre territoire d’employeurs qui pourraient être tentés de profiter de leur situation de précarité. C’est bien pourquoi il faut inscrire dans la loi la proposition formulée par M. Braouezec.

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 281 et 503

La parole est à M. Bernard Roman, pour le soutenir l’amendement n° 281.

M. Bernard Roman. Cet amendement est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Nous avons fait un choix : celui de l’immigration choisie. Il s’agit de réorienter l’immigration de façon à accueillir un nombre plus important de personnes ayant un emploi et travaillant dès leur arrivée en France. Nous ne supprimons aucune catégorie, nous en rajoutons. Je ne reviendrai pas, monsieur Roman, sur vos développements consacrés aux multiples cartes : carte de saisonnier, carte temporaire, carte de salarié, en plus de la fameuse carte « compétences et talents ». M. Rivière a raison : cessez de nous soupçonner de vouloir rogner les droits des uns ou des autres ! Nous donnons au contraire à ceux qui veulent venir travailler en France des opportunités supplémentaires !

Cet amendement tend à supprimer l’alinéa 4 de l’article 13, lequel dispose que « l’autorisation de travail peut être limitée à certaines activités professionnelles ou zones géographiques ». Or cette disposition n’ajoute rien par rapport au troisième alinéa de l’article L. 341-4 du code du travail, aux termes duquel l’autorisation de travail habilite l’étranger à exercer les activités professionnelles indiquées sur sa carte de séjour temporaire dans les zones qui y sont mentionnées. N’y voyez pas malice, mais cet article est issu d’une loi du 17 juillet 1984. Ce n’était pas Mme Aubry, c’était du temps de M. Mauroy – on reste sur vos terres, monsieur Roman ! (Sourires.)

Bref, ce texte ne change rien au droit en vigueur depuis plus de vingt ans !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec, pour soutenir l’amendement n° 503.

M. Patrick Braouezec. Cet amendement est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces deux amendements ?

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Si je ne m’abuse, le 17 juillet 1984, Laurent Fabius avait succédé à Pierre Mauroy… Toujours est-il que la disposition en question est directement issue de cette loi, approuvée – j’imagine – par la totalité des membres du groupe socialiste à l’époque. Il est assez curieux et peu cohérent de nous demander maintenant de la supprimer.

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Blisko.

M. Serge Blisko. Je n’en disconviens pas, monsieur le ministre, mais la situation de l’emploi a changé du tout au tout depuis 1984. Les techniques et les entreprises vont et viennent dans tout le pays au gré des commandes ou des appels d’offres. Ce qui était de l’emploi régionalisé est devenu beaucoup plus fluide. Il ne s’agit pas de vanter la flexibilité, mais de constater qu’aujourd’hui des poches de suremploi, comme à Saint-Nazaire, où la construction navale est florissante, peuvent exister à quelques dizaines de kilomètres de régions touchées par le chômage. Voyez aussi, a contrario, l’exemple de l’étang de Berre : les travailleurs doivent aller chercher des emplois ailleurs.

On peut regretter cette fluidité, la trouver excessive : il n’empêche qu’elle correspond à la réalité économique actuelle. Les collectivités locales doivent publier des appels d’offres dans le Journal officiel de l’Union européenne, et des entreprises situées partout en France et en Europe répondent. Elles disposent souvent de directions ou de délégations régionales. Comment juger, dès lors, si telle entreprise est de Merlebach, de Bruay ou de Saint-Médard-en-Jalles ?

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Roman.

M. Bernard Roman. L’autorisation préalable à l’obtention d’un titre de séjour « salarié » est assise sur une zone géographique très précise, puisque c’est en fonction de la situation de l’emploi dans le bassin où est installée l’entreprise, qu’elle est donnée ou non par la DTEFP. Dans l’ancien dispositif, cette autorisation conditionnait la délivrance de la carte de séjour « salarié ».

M. Thierry Mariani, rapporteur. Et ce système continuera !

M. Bernard Roman. L’énorme différence, c’est qu’avec votre dispositif, le droit à la carte de séjour prend fin avec l’extinction des raisons qui l’ont motivé. Un immigré qui disposait d’une carte de séjour « salarié » pour travailler comme coffreur-boiseur dans la région Nord-Pas-de-Calais, si son entreprise ne pouvait pas le garder, avait le droit de rester dans notre pays pour exercer sa profession.

M. Jérôme Rivière. C’est la raison pour laquelle le taux de chômage est deux fois plus élevé chez les étrangers !

M. Bernard Roman. Avec votre système, et malgré l’adoption d’amendements modulant les effets de la cessation du contrat sur les titres de séjour, la condition d’emploi s’applique tout de même. Il y a donc une vraie difficulté.

Par ailleurs, entre la promulgation de la loi et la délivrance de la première carte de séjour, il se passera au moins six mois. Est-ce à dire qu’aucun travailleur immigré ne sera autorisé à entrer sur le territoire pendant cette période ?

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Je partage largement l’analyse de Bernard Roman sur les difficultés d’application de cette mesure, qui organise l’immigration jetable.

M. Serge Blisko. Oui !

M. Patrick Braouezec. Dès lors qu’un travailleur entrera sur le territoire dans les conditions précisées à l’alinéa 4 de l’article 13, il sera corvéable à merci par l’entreprise qui l’emploiera et ne pourra pas exercer son métier dans une autre région si celle-ci ne figure pas sur la liste. Il sera jeté, il n’y a pas d’autre mot, monsieur Rivière !

M. Bernard Roman. Eh oui !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Revenons à plus de simplicité et de bon sens. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Prenons la situation d’un maçon dont le contrat dans une entreprise du Nord-pas-de-Calais a pris fin. Si en Auvergne, par exemple, on a besoin de maçons étrangers, il pourra y poursuivre son activité. C’est un système souple, cohérent et efficace. Il n’y a aucune ambiguïté : le travailleur étranger pourra continuer à avoir une activité professionnelle, dès lors que, dans une région définie, la profession concernée est inscrite sur la liste.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Comme M. Lagarde l’a fait remarquer tout à l’heure, le décret d’application devra être extrêmement précis pour pallier le flou artistique de l’alinéa 4.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Je répète que ce dispositif ne fait que s’ajouter à l’actuel. Entre le vote de la loi et le premier décret, les choses ne se passeront pas différemment d’aujourd’hui : pour les secteurs ayant déposé des offres à l’ANPE, dès lors que celle-ci aura levé l’opposabilité du marché du travail, l’entrée de travailleurs étrangers ne posera aucun problème.

Vous vous inquiétiez pour le coffreur-boiseur qui voudrait devenir tonnelier, par exemple. La situation est déjà prévue à l’article L. 341-3 du code du travail : le travailleur étranger doit demander une autorisation, qui lui est accordée avec souplesse par la direction départementale du travail et de la formation professionnelle. Il n’y a aucune raison pour que cela change. Pourquoi voulez-vous que l’on empêche une personne qui apporte la preuve qu’elle peut immédiatement avoir un nouveau contrat dans un métier différent, de travailler ? Nous recherchons précisément une immigration de gens qui travaillent !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Pour être clair et précis, nous nous donnons un délai de trois mois après la publication de la loi pour mettre en œuvre ce nouveau système d’immigration du travail.

Mme la présidente. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 281 et 503.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Madame la présidente, je souhaiterais, non pas pour réunir mon groupe, mais pour reprendre des forces, une suspension de séance de cinq minutes.

Mme la présidente. Je vous propose de terminer d’abord l’examen des amendements à l’article 13.

M. Patrick Braouezec. D’accord.

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 504.

La parole est à M. Patrick Braouezec, pour le soutenir.

M. Patrick Braouezec. Cet amendement tend à supprimer le sixième alinéa de l’article 13, qui comporte à mes yeux une ambiguïté s’agissant des organismes concourant au service public de l’emploi. Je vous avais interrogés à ce sujet, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, mais je n’ai pas obtenu de réponse.

Par ailleurs, la CNIL a-t-elle été consultée au sujet de l’échange de fichiers prévu à cet alinéa ?

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. J’ai répondu en commission qu’aucun fichier n’étant mis en place, la consultation de la CNIL n’était pas nécessaire. Dans le cas contraire, elle aurait bien évidemment été consultée. À ce propos, M. Delnatte, membre de la commission des lois et de la CNIL, fera une proposition plus tard dans le débat.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Toutes les précautions ont été prises concernant les relations avec la CNIL, qui, du reste, ne se préoccupe que de données nominatives. En l’espèce, ce n’est nullement le cas, puisqu’il s’agit de renseignements concernant des activités professionnelles. Il n’y a donc absolument aucune incompatibilité.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Une fois de plus, vous n’avez pas répondu à ma question s’agissant des organismes concourant au service public de l’emploi. Je considère comme anormal que, pour l’instruction de la demande d’autorisation de travail, l’autorité administrative échange des renseignements et des documents relatifs à cette demande avec des organismes patronaux et des entreprises. C’est pourquoi je préférerais que soient mentionnés, à l’alinéa 6 de l’article 13, « des organismes de service public », tels que l’ANPE, plutôt que « des organismes concourant au service public ».

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Thierry Mariani, rapporteur. J’ai du mal à comprendre la demande de M. Braouezec. Cela est parfaitement conforme à la définition du service public de l’emploi figurant à l’article L. 311-1, qui résulte de la loi du 18 janvier 2005.

M. Patrick Braouezec. Eh oui !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Il ne nous appartient pas de la réviser aujourd’hui.

Mme la présidente. Monsieur Braouezec, voulez-vous tenter de dissiper l’incompréhension ?

M. Patrick Braouezec. J’ai pris l’habitude de me répéter !

M. Yves Jego. Ou d’être incompris ! (Sourires.)

M. Patrick Braouezec. Selon le code du travail, « Peuvent également participer au service public de l’emploi les organismes publics ou privés dont l’objet consiste en la fourniture de services relatifs au placement, à l’insertion, à la formation et à l’accompagnement des demandeurs d’emploi, les organismes liés à l’État par une convention, les entreprises de travail temporaire ainsi que les agences de placement privées ». Je considère que ces entreprises de travail temporaire et agences de placement privées, même si elles font partie du service public de l’emploi, n’ont pas à être consultées pour instruire ces demandes. Voilà pourquoi je préférerais que l’on parle d’organismes de service public, de façon à restreindre la production d’avis aux seuls services publics.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Vous ouvrez là un débat qui n’a rien de conséquent.

M. Patrick Braouezec. Si ce n’est pas conséquent, ne l’inscrivez pas dans le texte !

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Depuis 2005, l’ANPE ne détient plus le monopole de l’information sur la situation de l’emploi, ce n’est certainement pas une révélation pour vous. Il est donc logique, dès lors que l’on veut connaître la situation de l’emploi dans les différentes régions, de s’adresser à ceux qui disposent de ces éléments d’information et de connaissance : les agences d’intérim. Il ne s’agit pas de leur permettre d’imposer leur loi, mais de reconnaître qu’elles disposent d’informations indispensables à la connaissance du marché de l’emploi, ni plus ni moins. Cela ne mérite pas un débat si long !

M. Patrick Braouezec. À vos yeux !

Mme la présidente. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Pour nous, c’est un débat de principe. Nous pensons que le service public est seul à même d’apporter certaines garanties. La réforme de 2005, en mettant en concurrence l’ANPE et les entreprises d’intérim, a permis à ces dernières de franchir les limites du périmètre du service public et de détenir des renseignements auxquels elles ne devraient pas avoir accès. L’amendement de M. Braouezec est totalement justifié : il faut redéfinir le périmètre du service public de l’emploi.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Que les entreprises de travail temporaire et les agences de placement privées fassent remonter des éléments d’information, c’est une chose.

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Ce n’est que cela !

M. Patrick Braouezec. Non, car on échange directement avec elles des documents et des renseignements relatifs à la demande. Et ça, c’est autre chose. Je souhaite que le service public de l’emploi serve d’écran de protection contre ces entreprises.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Levons toute ambiguïté : ce n’est pas un avis qui est demandé à ces organismes, mais une information. Le mot « avis » ne figure d’ailleurs pas dans le texte.

M. Patrick Braouezec. Le mot « information » non plus !

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Notre objectif, c’est de disposer d’informations aussi précises que possible sur le marché de l’emploi. Je ne comprends pas que vous y soyez hostile. Si le vôtre est de rétablir le monopole de l’ANPE, dites-le ! Mais sur ce point précis, vos arguments sont indéfendables.

M. Patrick Braouezec. J’y reviendrai plus tard !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. J’entends l’inquiétude de M. Braouezec, mais il me semble qu’il est de l’intérêt général d’avoir la vision la plus complète possible de la situation du marché de l’emploi. Et, sincèrement, on ne peut pas dire que, avant la rupture de monopole, c’était le cas de l’ANPE. Nous savons tous que beaucoup d’entreprises n’y recourent pas car elles n’y trouvent pas le service qu’elles attendent, ce qui d’ailleurs est également le cas de nombreux demandeurs d’emploi.

La précision figurant dans l’article me paraît donc utile.

De fait, je ne comprends pas votre inquiétude, monsieur Braouezec, même si le texte n’est pas d’une absolue précision : quelles informations une société d’intérim pourrait-elle recevoir des organismes publics qui lui seraient utiles « pour son business » ?

J’ai eu l’occasion de travailler pour une agence d’intérim et je puis vous dire que ce type de structures ne sont pas intéressées par ce que pourrait leur dire l’ANPE : elles en savent plus !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Sans intention de rallonger le débat, j’indique que je suis entièrement d’accord avec ce qu’a dit M. le ministre : il s’agit bien d’échanges d’informations sur le marché de l’emploi.

M. Patrick Braouezec. Il est écrit « tous renseignements et documents » dans l’article. Il ne s’agit pas simplement d’informations.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Je citerai un exemple d’interlocuteur dans le domaine de la main-d’œuvre étrangère qui est entré dans le jeu depuis quelques années. L’ADESPE, l’association pour le développement et l’échange de stagiaires professionnels en Europe, s’occupe de placer des stagiaires polonais, hongrois ou d’autres pays de l’Est.

M. Patrick Braouezec. Je la connais !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Voilà l’exemple type d’un organisme, non public, qui a tout à fait sa place dans le marché du travail et l’échange d’informations et de documents.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 504.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 411.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 411.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 412.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Il s’agit simplement d’une substitution de référence.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 412.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 13, modifié par les amendements adoptés.

(L’article 13, ainsi modifié, est adopté.)

Mme la présidente. M. Braouezec ayant demandé une suspension de séance, je la lui accorde maintenant.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures trente, est reprise à onze heures quarante-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Après l’article 13

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 66, portant article additionnel après l’article 13.

Cet amendement fait l’objet d’un sous-amendement n° 371.

La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l’amendement n° 66.

M. Thierry Mariani, rapporteur. L’objectif de l’amendement n° 66 est de permettre aux agents des préfectures de consulter le fichier des autorisations de travail, qui sera informatisé à partir de 2007, et aux agents du ministère de l’emploi de consulter les fichiers des titres de séjour, bien entendu dans le respect des conditions prévues par la loi du 6 juillet 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés – ce que viendra utilement préciser le sous-amendement n° 371 de M. Delnatte.

Cette consultation croisée est indispensable pour permettre la vérification de la validité à la fois de l’autorisation de travail d’un étranger et de son titre de séjour. S’il est titulaire d’une autorisation spécifique de travail, cette dernière relève des services du ministère de l’emploi, alors que, si l’autorisation de travail est la conséquence de la détention d’un titre de séjour – carte de résident, carte CST portant la mention « vie privée et familiale » –, on la retrouvera dans le fichier AGDREF du ministère de l’intérieur.

Si l’administration veut être en mesure de répondre dans des délais très courts aux demandes de vérification des autorisations de travail que les entreprises devront faire en application de l’article 14, cette consultation croisée est indispensable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 66 ?

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Il s’agit d’une proposition qui concilie la lisibilité, la simplicité et la réciprocité, donc l’efficacité.

Avis favorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Nous pensons que l’adoption de l’amendement n° 66 reviendrait à accorder encore un peu plus de pouvoir discrétionnaire aux agents de la préfecture.

Lorsque j’entends les mots « fichiers croisés », je me méfie, surtout lorsque je constate ce que peut donner le fichier STIC. Des informations récemment fournies par la presse nous ont montré les abus auxquels on risquait d’arriver.

Encore une fois, l’étranger sera l’objet d’une surveillance absolue. Il ne nous paraît pas sain de quadriller ainsi l’immigration et de la traiter de manière quasiment policière.

Mme la présidente. Monsieur Mariani, peut-on considérer que, en défendant l’amendement n° 66, vous avez également défendu le sous-amendement n° 371.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Tout à fait ! Le sous-amendement mentionne la référence à la CNIL.

Je le considère comme défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur ce sous-amendement ?

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Avis favorable !

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 371.

(Le sous-amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 66, modifié par le sous-amendement n° 371.

(L’amendement, ainsi modifié, est adopté.)

Article 14

Mme la présidente. Je suis saisi de deux amendements nos 282 et 505, visant à supprimer l’article 14.

La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal, pour défendre l’amendement n° 282.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Nous souhaitons la suppression de l’article 14.

Ce dernier impose à l’employeur la vérification de la validité du titre. Il me semble compliqué de demander cela à un employeur, surtout à un patron de PME. Or vous estimez souvent qu’il faudrait, dans le cadre du droit du travail, introduire plus de souplesse et réduire les contraintes qui pèsent sur les employeurs.

Au contraire, cet article alourdira la procédure. La PME devra supporter des contraintes administratives consistant à vérifier la validité du titre de séjour. Le titre de séjour peut être valable ; nous ne nous situons pas toujours dans un système de « truanderie ».

Il faut évidemment aller plus loin pour empêcher le travail au noir. Mais il faut s’abstenir d’alourdir les procédures et d’imposer des contraintes supplémentaires à l’employeur.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec, pour défendre l’amendement n° 505.

M. Patrick Braouezec. Cet amendement est identique. Défendu !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Le problème soulevé par ces deux amendements est réel. Mais on ne peut pas être à la fois pour la lutte contre le travail illégal et contre la mise en œuvre des moyens de contrôle.

Certes, les employeurs ne peuvent pas remplacer les inspecteurs du travail. C’est ce qui a motivé le dépôt de l’amendement n° 67, que nous allons examiner. Celui-ci précise les obligations de l’employeur – à savoir vérifier l’existence, et non la validité, du titre de travail.

Je prendrai l’exemple du Vaucluse. On ne peut, pendant la période des vendanges, demander à l’employeur de vérifier la validité du titre de travail ; on peut seulement lui demander de vérifier son existence.

En clair, les directions départementales du travail seront consultées, sans doute par fax. Ainsi, chacun sera dans son rôle.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Je m’étonne qu’on puisse s’opposer à l’article 14, qui est conforme à la fois à la justice et à l’efficacité – l’un n’allant pas sans l’autre.

Afin de mieux lutter contre le travail illégal, nous entendons imposer aux employeurs de vérifier l’existence du titre de travail des étrangers salariés. Il faut en effet mettre fin aux détournements constatés en ce qui concerne la main-d’œuvre étrangère. À cet effet, les employeurs devront vérifier auprès de l’administration que les travailleurs étrangers qu’ils souhaitent recruter disposent bien d’un titre de séjour leur permettant de travailler.

Cette disposition de bon sens me paraît utile et protectrice.

Mme la présidente. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Vous inventez là encore une sorte d’« usine à gaz ». L’amendement n° 67, que nous allons examiner visera d’ailleurs à diminuer le rôle des employeurs.

L’article 14, comme ceux que nous avons précédemment étudiés, s’inspire de cette volonté de surveiller de manière quasiment policière les étrangers qui vivent sur notre territoire. Le principe n’est pas celui de la confiance, mais bien de la défiance.

Après le texte de 2003, dont tous les décrets d’application n’ont pas encore été pris, vous avez, à la va-vite, bricolé un nouveau texte pour des raisons idéologiques et électoralistes. Cela sent le travail un peu bâclé.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Je ne me suis pas exprimé sur l’amendement n° 505, car un certain nombre d’éléments avaient été exposés par Mme Danièle Hoffman-Rispal. Mais, je souhaiterais ajouter quelques mots.

Monsieur le ministre, je me méfie toujours du bon sens. Cela fait déjà deux ou trois fois que l’on nous dit : « C’est le bon sens ! » Mais le bon sens nous a parfois amenés à des contresens, voire à des non-sens.

Le groupe des député-e-s communistes et républicains est favorable à la suppression de l’article 14 et fait siens les arguments développés par M. Mamère, Nous constatons que la rédaction de l’article 14 place les employeurs dans un rôle qui n’est pas le leur. Demander à un employeur de vérifier la validité d’un titre de séjour ne nous semble pas admissible.

Les débats en commission des lois nous ont heureusement permis de modifier le texte. Nous maintenons notre amendement de suppression, mais, si l’article devait être maintenu, nous serions favorables à l’amendement n° 67, qui vise à substituer aux mots : « la validité », les mots : « l’existence ».

Mme la présidente. La parole est à M. Étienne Pinte.

M. Étienne Pinte. L’article 14 nous semble nécessaire. Il vise à protéger l’employeur contre l’utilisation d’un travailleur étranger dont il ne connaîtrait pas la situation.

L’employeur pourra être victime d’un contrôle de la direction générale du travail, de la main-d’œuvre et de l’emploi ou de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes s’il a recours à une personne d’origine étrangère en situation irrégulière ou sans autorisation de travail, dont il ignore le statut. La responsabilité, tant pénale que financière, de l’employeur pourrait être engagée. Nous avons tous vécu ce type de situation dans nos communes.

Je pense qu’il s’agit donc là d’un système protecteur et utile.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. J’entends bien votre argumentation, monsieur Pinte, et je peux y souscrire. Mais sans la modification proposée par le rapporteur, le texte du projet de loi est d’une tout autre portée. Comment un employeur pourrait-il s’assurer de la validité d’un tel document ? C’est impossible, et c’est pourquoi la rédaction initiale de l’article était pour nous irrecevable. Poser l’obligation pour l’employeur de vérifier l’existence de l’autorisation, ce n’est que lui demander de faire son métier : il est normal de s’enquérir des papiers de la personne qu’on veut embaucher. En revanche, faire obligation à l’employeur d’en contrôler la validité n’a aucun sens !

Mme la présidente. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 282 et 505.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 67.

Je pense, monsieur Mariani, qu’il a été déjà bien défendu ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Le débat a eu lieu en effet, et je dirais que le bon sens a fini par s’imposer, si je ne craignais pas de susciter votre méfiance, monsieur Braouezec ! Je préfère donc dire que la logique a finalement été reconnue, et que cet amendement devrait faire l’unanimité.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Cet amendement étant quasiment rédactionnel, l’avis est favorable. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Patrick Braouezec. Cette modification est substantielle !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 67.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 14, modifié par l’amendement n° 67.

(L’article 14, ainsi modifié, est adopté.)

Article 15

Mme la présidente. Sur l’article 15, je suis saisie d’un amendement n° 535.

La parole est à M. Patrick Braouezec, pour le soutenir.

M. Patrick Braouezec. Il est suffisamment défendu dans l’exposé sommaire.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Je suis très étonné, monsieur Braouezec, de votre proposition de supprimer une disposition qui vise à étendre les obligations à la charge des donneurs d’ordre en matière de lutte contre le travail clandestin : je ne peux pas croire que vous soyez opposé à la lutte contre le travail illégal. Il s’agit en effet par cet article de renforcer le dispositif par lequel un donneur d’ordre vérifie le respect par son cocontractant ou son sous-traitant du respect de ses obligations en la matière. Dans l’état actuel du droit, cette vérification n’a lieu qu’à la conclusion du contrat ; le projet de loi impose une obligation de vérification semestrielle. Le cocontractant ou le sous-traitant devra donc remettre au donneur d’ordre une déclaration sur l’honneur tous les six mois, jusqu’à l’expiration du contrat. C’est déjà le cas en matière de travail dissimulé depuis l’entrée en vigueur de la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie.

Cette réforme, mes chers collègues, est tout à fait adaptée aux opérations de sous-traitance de longue durée pour lesquels il n’est pas possible de se contenter d’une simple vérification initiale. Les employeurs consultés n’ont d’ailleurs rien trouvé à redire de ce dispositif.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Le problème est simple : l’état actuel du droit impose à tout donneur d’ordre qui passe avec un entrepreneur un contrat d’un montant au moins égal à 3 000 euros de se faire remettre une attestation sur l’honneur que les étrangers qui travaillent pour lui sont employés régulièrement. On voit les failles du dispositif actuel : il ne s’applique pas aux particuliers, et il n’est pas adapté aux opérations de sous-traitance de longue durée, pour lesquelles une simple vérification initiale est de peu de signification.

C’est pourquoi nous proposons de renforcer les obligations pesant sur les donneurs d’ordre : l’existence de l’autorisation de travail devra être vérifiée tous les six mois ; de plus cette obligation sera étendue aux particuliers. Ce renforcement du dispositif s’imposait particulièrement dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.

Ces précisions me semblaient utiles : je ne comprends pas très bien comment on peut s’opposer à la volonté de tout mettre en œuvre pour lutter contre le travail au noir, et cette mesure contribue incontestablement à cette lutte.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Vous me permettrez de vous répondre, monsieur le rapporteur et monsieur le ministre, puisque l’exposé sommaire n’a pas suffi à faire comprendre la motivation de cet amendement.

Je partage, comme le fait, je pense, l’ensemble des membres de cette assemblée, le souci de lutter contre le travail clandestin. Mais cet article s’inscrit dans la logique de la rédaction initiale de l’article 14 : il s’agit là encore de faire obligation à un employeur – en l’occurrence aux entreprises de BTP – de vérifier la validité d’un titre, et non seulement son existence. Cette vérification périodique s’apparente en effet à une inquisition d’ordre policier sur la validité des titres de séjour des travailleurs.

Voilà pourquoi je propose la suppression de l’alinéa 2 de l’article, s’il n’est pas modifié.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 535.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 68.

La parole est à M. le rapporteur pour le soutenir.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Cet amendement étend l’obligation du paiement solidaire à la charge du donneur d’ordre qui n’a pas respecté ses obligations en matière de lutte contre le travail illégal. Dans l’état actuel du droit, il est tenu solidairement responsable de la contribution spéciale au profit de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations, l’ANAEM, prévue à l’article 341-7 du code du travail. Nous proposons d’étendre cette solidarité au paiement de la contribution forfaitaire prévue par la loi du 26 novembre 2003. Nous avions décidé alors d’imposer aux employeurs de travailleurs étrangers sans titre l’obligation de verser une contribution représentative des frais de réacheminement de l’étranger dans son pays d’origine. Il s’agissait d’envoyer un signal fort contre le travail illégal, même s’il est vrai que son effet a été contrecarré par une certaine inertie du pouvoir réglementaire : en effet, le décret d’application de cette disposition n’a toujours pas été publié. Je tiens à préciser, en tant que rapporteur de l’application de cette loi, que la responsabilité n’en incombe pas au ministère de l’intérieur.

C’est sous votre impulsion, monsieur le ministre, que l’administration a préparé un projet de décret : il était temps d’agir, deux ans après le vote de cette loi. Ce projet tant attendu est prêt depuis novembre, et il n’a plus qu’à être examiné par le Conseil d’État. Je ne doute pas que celui-ci a d’excellentes raisons pour prendre son temps. Mais qu’il cesse alors de déplorer l’existence de dispositions réglementaires dans les textes législatifs.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il a autre chose à faire !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Sans vouloir être mauvaise langue, j’ai cru comprendre que certains tenaient chronique à la radio ! En tant que parlementaire, je préférerais que les décrets sortent rapidement.

M. Jean-Christophe Lagarde. Parfaitement !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Favorable. Je précise, monsieur le rapporteur, que le projet de décret sera examiné le 30 mai par le Conseil d’État.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 68.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 471 est-il défendu ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 471.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 15, modifié par les amendements adoptés.

(L’article 15, ainsi modifié, est adopté.)

Après l’article 15

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement, n° 69, portant article additionnel après l’article 15.

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir cet amendement.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Actuellement, les agents chargés de lutter contre le travail illégal, sauf s’ils appartiennent à la police ou à la gendarmerie nationales, ne peuvent pas avoir recours à des interprètes, ce qui les pénalise beaucoup dans la lutte contre l’emploi d’étrangers sans titre, qui très souvent ne peuvent pas parler le français. Ils en sont réduits à faire compléter des formulaires traduits. Cet amendement vise à régler cette difficulté.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. La logique impose que les agents procédant à des missions de contrôle puissent tous bénéficier d’interprète. L’avis est donc favorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. C’est vraiment l’amendement qui nous fait tomber de l’armoire, tant il prouve votre hypocrisie et votre duplicité : vous proposez aujourd’hui que les agents chargés de lutter contre le travail clandestin soient assistés d’un interprète, alors que vous avez interdit aux étrangers de se faire assister d’interprètes pour demander l’asile ! De longs discours sont inutiles : comment mieux démontrer que la chasse aux étrangers est ouverte ? Là vous êtes pris la main dans le sac : vous refusez l’assistance d’interprètes aux étrangers qui demandent l’asile, et vous l’accordez aux agents chargés de l’encadrement policier de ces étrangers, pour qu’il soit encore mieux assuré.

Mme la présidente. La parole est à M. Étienne Pinte.

M. Étienne Pinte. Mon cher collègue, en tant que représentant de l’Assemblée nationale auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, j’ai pu observer le traitement des demandes de droit d’asile et l’exercice du droit de recours contre les décisions de cet organisme devant la Commission des recours des réfugiés. Aussi bien à l’OFPRA que devant la CRR, les agents chargés d’instruire les dossiers sont, pour la plupart, choisis de façon à connaître la langue de la personne en cause ; si cela ne suffit pas, on a recours à des interprètes ou des traducteurs. Je peux vous assurer, en toute objectivité, que le traitement de ces dossiers, qu’il soit administratif, à l’OFPRA ou judiciaire, par la Commission des recours, est convenable, tant du point de vue du droit que de l’humanité Ce constat m’a agréablement surpris, et apaisé les inquiétudes que j’avais pu éprouver, je ne vous le cache pas.

Je pense qu’il est normal qu’un étranger qui éprouve des difficultés de compréhension du français puisse bénéficier de l’assistance d’un interprète ou d’un traducteur. C’est la raison pour laquelle cette disposition me semble bonne.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec On va encore, monsieur Mamère, vous accuser de préjugé défavorable ou de suspicion excessive lorsque vous soulignez qu’on met beaucoup plus d’empressement à faire bénéficier d’interprètes les agents chargés de missions répressives que ceux chargés d’accompagner utilement les étrangers. Je suis tout à fait d’accord avec vous, Étienne Pinte : il est normal que les étrangers qui ne maîtrisent pas notre langue puissent bénéficier de l’assistance d’un interprète quelle que soit la situation en cause. C’est la condition pour que le dialogue s’instaure et qu’on sache exactement de quoi on parle.

C’est pourquoi il n’est pas question de condamner la disposition proposée ici ; je suggère simplement au Gouvernement qu’il l’étende à l’ensemble du droit des étrangers, notamment en matière de droit d’asile. Je pense également que cela permettrait de résoudre des cas d’interpellations difficiles ou d’autres opérations policières, dont l’interprétation varie du tout au tout selon le point de vue où l’on se place.

Je propose donc d’étendre le bénéfice de cette disposition à tous les cas où un étranger, qu’il soit en situation régulière ou irrégulière, souffre de ce handicap linguistique.

Mme la présidente. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Je n’ai pas une virgule à retirer aux arguments de M. Braouezec. Je ne doute nullement, par ailleurs, de la sincérité de M. Pinte, mais je lui recommande vivement d’exercer son privilège de parlementaire, comme il l’a fait dans bien d’autres domaines, pour aller visiter les centres de rétention pour étrangers : il verra alors ce qu’est l’absence d’interprètes et quels sont les effets de la réforme du droit d’asile votée par cette majorité, qui met l’étranger demandeur d’asile dans une situation impossible.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. J’entends bien les observations de M. Mamère, mais je pense que l’amendement devrait faire l’unanimité de notre assemblée. Peut-être le sous-amendement n’est-il pas possible, mais il est de fait que l’on manque bien souvent d’interprètes là où on en aurait besoin. Sur le terrain – hormis bien sûr le cas d’un contrôle parlementaire –, la seule occasion où l’on a recours à un interprète est le mariage. Pour le reste des démarches, il faut s’en passer et les gens se retrouvent dans des situations absolument intenables, ne pouvant savoir ce qui leur arrive.

Sans doute n’est-il pas facile, pour certaines nationalités, d’avoir un interprète dans chaque commissariat, mais rien n’est prévu non plus pour l’immense majorité des étrangers résidant en France, parfois sans carte de résident, Cet amendement me semble donc représenter une protection pour ces étrangers.

On sait bien, par exemple, que les clandestins sont nombreux sur les chantiers – ce qui devrait d’ailleurs inciter l’État et les collectivités locales à être vigilants sur les chantiers publics. Il n’est pas normal que, lorsque l’inspection du travail fait une descente, ces ouvriers ne comprennent pas ce qui leur arrive.

L’amendement n° 69 est donc un très bon amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué aux collectivités territoriales.

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Monsieur Mamère, monsieur Braouezec, la question de la mise à disposition d’un interprète pour les demandeurs d’asile a été tranchée au contentieux par le Conseil d’État, qui a donné raison au Gouvernement.

J’attire par ailleurs votre attention sur le décalage que l’on observe sur les bancs de votre assemblée entre les déclarations, que je crois tout à fait sincères, et la réalité des votes – c’est-à-dire la réalité des décisions. Si, en effet, l’intention de lutter contre le travail clandestin et illégal et contre les filières est unanime, il arrive souvent – même si, dans le cas précis de l’amendement que nous examinons, M. Braouezec n’est pas hostile à la disposition proposée – que vous ne votiez pas les mesures que nous proposons.

Plusieurs des mesures proposées tout au long de la matinée ont pour objectif de lutter contre les filières et le travail clandestin et illégal. Veillons donc à mettre en concordance les actes et les votes.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Le Conseil d’État a certes donné raison au Gouvernement, mais encore ? Les centres de rétention évoqués par M. Mamère représentent bien – j’ai d’ailleurs vu M. Pinte approuver de la tête – un déni de justice dans le traitement des travailleurs migrants : il y a deux poids, deux mesures.

Votre réponse, monsieur le ministre, est préoccupante : si je vous entends bien, vous ne garantissez nullement qu’au-delà du droit précis ouvert par cet amendement, les étrangers pourront bénéficier d’un interprète pour expliquer leur situation.

Enfin, pour répondre à votre remarque sur nos votes, je tiens à affirmer que j’ai toujours voté en fonction de ce que je pensais de l’amendement ou de l’article en cause. Ainsi, j’ai voté contre tous les articles, puisque je suis opposé à ce texte de loi. Quant aux amendements, j’en ai voté certains et, pour de nombreux autres, je n’ai pas participé au vote.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 69.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 226 rectifié.

La parole est à M. Jérôme Rivière, pour le soutenir.

M. Jérôme Rivière. Faisant écho aux propos que vient de tenir le ministre, l’amendement n° 226 rectifié vise à poursuivre la lutte contre les filières de travail clandestin. Il s’inscrit dans la ligne de l’amendement que nous avons adopté hier soir en ce sens.

S’il y a des travailleurs clandestins en France, c’est qu’il y a aussi des employeurs qui abusent de cette situation. L’article additionnel proposé a donc pour objet de punir plus sévèrement la récidive.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. La commission avait repoussé une première version de l’amendement n° 226 rectifié, qui prévoyait une peine d’emprisonnement, inacceptable pour une sanction administrative. Ainsi rectifié, cet amendement proposé par M. Richard Mallié et défendu par M. Jérôme Rivière est très utile, car la législation actuelle n’est pas assez dissuasive en cas de récidive dans le recours au travail illégal.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Cet amendement est très important, en ce qu’il symbolise la volonté du Gouvernement de lutter contre toutes les formes d’esclavagisme, c’est-à-dire de travail illégal ou clandestin et d’exploitation de travailleurs étrangers. Le Gouvernement est donc très favorable à cette disposition qui lutte concrètement contre les esclavagistes récidivistes. Je ne doute pas qu’elle fera l’objet d’un très large consensus.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 226 rectifié.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Les articles 16 à 22 étant réservés, nous en arrivons à l’article 23.

Article 23

Mme la présidente. Aucun orateur ne souhaitant s’exprimer sur l’article 23, je mets aux voix cet article.

(L’article 23 est adopté.)

Article 24

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Rivière, inscrit sur l’article 24.

M. Jérôme Rivière. L’article 24 du projet de loi s’attache avant tout à revisiter l’article 313-11 du CESEDA. Avec ses onze alinéas, cet article est une transcription en droit français de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – la CEDH –, ce qu’il est utile de rappeler pour la clarté de nos débats et pour éviter des interprétations à contresens de cet article.

L’article 8 de la CEDH rappelle, dans un premier alinéa, que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance et, dans un deuxième alinéa, qu’il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

L’article que propose le texte du Gouvernement va dans le bon sens et je salue le choix qui a été fait d’abroger des dispositions qui permettaient à des étrangers de bénéficier d’une carte de séjour « vie privée et familiale » par une violation prolongée de la loi. Il faut aller plus loin et je proposerai des amendements en ce sens.

La transcription en droit français de l’article 8 précédemment cité constitue par certains aspects une sorte de tunnel pour immigration. Il existe en effet au sein des pays signataires de la CEDH deux blocs de pays. Le premier est constitué par les pays de l’Ouest de l’Europe, dont les systèmes économiques et sociaux exercent un très fort effet d’attractivité, qui justifie à lui seul un projet migratoire. L’autre bloc de pays est constitué de ceux pour lesquels l’émigration est le seul projet économique viable pour l’immense majorité de la population. Il me semble qu’il ne peut donc pas y avoir, au sein de ces pays signataires de la CEDH, de vision commune des problèmes migratoires.

Un amendement proposera une forme de réserve d’interprétation de cet article. Il me semble que nous sommes là dans notre rôle politique.

Enfin, il me semble indispensable de mieux encadrer, dans le texte du Gouvernement, les règles d’accès aux soins gratuits. Il n’est, bien sûr, pas imaginable de renvoyer des femmes et des hommes pour lesquels un renvoi de notre pays serait une condamnation à mort, mais au critère de risque vital doit s’ajouter celui de l’immédiateté.

N’oublions pas que le système de santé français, qui est le premier au classement mondial de l’OMS et garantit l’ensemble des soins médicaux gratuits pour les étrangers, qu’ils soient en situation régulière ou non, exerce à lui seul un effet d’attraction qui justifie un projet migratoire.

Mme la présidente. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Cet article 24 est très important, car il est sans doute l’un des plus emblématiques de l’esprit et de la philosophie de la loi que vous nous proposez. Il s’agit, en effet, de supprimer la régularisation automatique après dix ans de présence : c’est donc là un des points forts de cette loi que nous condamnons.

L’abrogation de la possibilité de délivrer un titre de séjour aux étrangers prouvant leur présence en France depuis au moins dix ans signifie donc la disparition d’une mesure qui était née en 1997 à la suite de la grève de la faim qui s’était déroulée à l’église Saint-Bernard de Paris durant l’été 1996.

À l’époque, la majorité à laquelle vous apparteniez avait fait voter au Parlement cette mesure qui marquait la reconnaissance des attaches personnelles nouées par un étranger ayant vécu et travaillé de longues années en France. Pour les quelques milliers d’étrangers qui ont pu en bénéficier – à l’issue d’une procédure d’ailleurs très complexe – il ne s’agissait pas, comme vous le dites aujourd’hui, d’une prime à la clandestinité, mais de la reconnaissance d’une intégration de fait dans la société française. La disparition de cette disposition va enfoncer dans la précarité perpétuelle – nous revenons en cela au cœur de votre projet – des étrangers qui ont pourtant vocation à vivre en France, et elle ne pourra conduire qu’à des actes désespérés.

Contrairement à ce que vous prétendez, le nombre de personnes régularisées à ce titre a été très modeste – sans compter qu’il est aujourd’hui très difficile de prouver ces dix ans de séjour habituel, compte tenu des exigences formulées par les préfectures en la matière. Cette possibilité permettait de reconnaître qu’une telle présence en France avait permis nécessairement de nouer des liens privés et familiaux dont le législateur ne pouvait pas ne pas tenir compte : il s’agissait de la reconnaissance d’une intégration de fait dans la société française.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prime sur le droit français en vertu de la hiérarchie des normes juridiques, devrait empêcher la remise en cause de la vie privée et familiale à laquelle vous procédez.

Les personnes sans papiers n’auront aucune possibilité réelle d’être régularisées : elles dépendront donc du bon vouloir des autorités préfectorales, qui pourront faire ou non usage de leur pouvoir de régularisation.

Votre projet prévoit – alors que la question relève actuellement de simples circulaires – de régler la situation des jeunes confiés depuis l’âge de seize ans au service de l’aide sociale à l’enfance. Il pose des conditions liées au sérieux de la formation suivie, à l’absence de liens avec la famille restée dans le pays d’origine et à l’avis de la structure d’accueil sur l’insertion de cet étranger dans la société française. Cette prise en considération des mineurs isolés par la loi doit être appréciée à sa juste valeur : d’une part il est très difficile d’obtenir un placement à l’ASE pour ces jeunes et, d’autre part, ceux-ci n’obtiennent qu’un titre d’un an, alors qu’avant votre loi du 26 novembre 2003 ils se voyaient reconnaître la nationalité française : quelle régression !

Les mariages entre Français et étrangers sont également dans votre collimateur. Après avoir créé en 2003 le délit de mariage de complaisance et renforcé les contrôles lors de la célébration du mariage, vous durcissez aujourd’hui les conditions pour obtenir une simple carte de séjour temporaire, ce qui est encore un recul.

Votre projet s’attaque à une catégorie « fourre-tout », permettant aux étrangers d’obtenir la même carte de séjour temporaire dès lors qu’ils peuvent faire valoir des liens personnels et familiaux en France. Là encore, il ne s’agit pas d’une largesse du législateur : cette catégorie avait été créée par la loi du 11 mai 1998 pour tenir compte de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit le respect de la vie privée et familiale. Si, par voie de circulaire, on a en pratique considérablement réduit les possibilités de revendiquer ces liens privés et familiaux en fixant des conditions non prévues par la loi, votre projet renforce encore les obstacles, au point de vider le texte de sa substance.

Il convient de préciser que la mesure s’applique à l’étranger qui n’entre dans aucune autre catégorie – par exemple, le parent d’enfants français ou le conjoint de Français –, mais « dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus. » – article L. 313-11-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Mme la présidente. Monsieur Mamère, je vous prie de conclure.

M. Noël Mamère. Madame la présidente, il s’agit d’un article important. J’essaye donc d’en détailler le contenu dans le cadre du temps qui m’est imparti. Comme nous sommes peu nombreux à intervenir, je vous demande de faire preuve d’une interprétation un peu plus souple du règlement pour me donner le temps d’éclairer l’Assemblée sur les critiques que nous formulons à l’endroit de cet article gravissime.

Messieurs les ministres, vous avez renoncé à décliner de façon précise les conditions requises pour pouvoir prétendre à une carte de séjour temporaire au titre des attaches personnelles et privées. Mais la formulation vague finalement choisie est tout aussi inquiétante car elle laisse une fois de plus une large marge de manœuvre aux préfets : les liens personnels et familiaux sont en effet appréciés « notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’intéressé, de son insertion dans la société française ».

Pour terminer, je voudrais parler de l’exemple des accompagnants de malades parce qu’il est symptomatique de la dangerosité de ces modifications qui menacent l’ensemble des étrangers visés par cet article 24. En effet, malgré une jurisprudence constante des tribunaux administratifs et du Conseil d’État, les accompagnants de malades peinent à se voir délivrer une carte de séjour temporaire sur le fondement de leur vie privée et familiale. Les préfectures ont une lecture beaucoup plus restrictive de cette disposition et se contentent, quand il ne s’agit pas d’un refus catégorique, de délivrer à ceux-ci des autorisations provisoires de séjour à titre humanitaire. En situation irrégulière ou sous APS, sans droit au travail, la précarité et l’exclusion de ces personnes ne leur permettent pas de soutenir pleinement leur proche ou leur enfant gravement malade. De même, les conditions de vie délétères qui en découlent souvent sont en tout point incompatibles avec le bon déroulement de prises en charge médicales exigeantes. Ainsi, les modifications proposées ne feront qu’offrir aux préfectures une justification de plus pour refuser le séjour des accompagnants de malade, mettant ainsi la vie de ces derniers en danger.

On exigerait d’un sans-papiers qu’il justifie de ressources stables et suffisantes, d’un logement répondant à des critères stricts et d’une intégration déterminée par la connaissance de la langue française et « l’adhésion aux principes qui régissent la République française et leur respect dans son comportement quotidien ». Voyez que nous sommes très loin de la volonté d’intégration affichée par le Gouvernement. Nous sommes dans une situation et dans une posture de rejet et de soupçon de l’étranger.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il s’agit d’un article très important de ce projet de loi puisqu’il met fin au dispositif adopté en 1997 qui prévoyait la régularisation après dix années prouvées de présence continue sur notre territoire – et ce n’est pas simple à prouver pour la personne qui la demande. Nous pensons que c’est une erreur. Pourquoi ? Tout d’abord, cette disposition ne concerne qu’un nombre relativement faible de personnes, et ce n’est donc pas aujourd’hui une faille dans le dispositif destiné à réguler l’entrée et le séjour en France – quand on connaît les chiffres de personnes qui se voient délivrer un titre chaque année, c’est tout de même une proportion minime. Ensuite, c’est la seule disposition aujourd’hui qui permette de régler la situation intenable d’étrangers qui ne peuvent être ni expulsés ni régularisés. La nouvelle mesure aboutit à une hypocrisie pire que celle dénoncée dans l’exposé des motifs du projet de loi puisque les gens n’auront plus de régularisation après ces dix années et qu’on les condamne à dix, vingt, trente années de clandestinité de plus. Ce n’est pas bon pour la société française que de maintenir des personnes en situation de clandestinité perpétuelle.

Quand, dans l’exposé des motifs, il est écrit que le dispositif actuel consiste paradoxalement à récompenser une violation prolongée de la loi de la République,…

M. Jérôme Rivière. C’est la réalité !

M. Jean-Christophe Lagarde. …je réponds que non, monsieur Rivière. Vous savez que le droit français accepte, et heureusement depuis longtemps, la prescription.

M. Jérôme Rivière. Il y a prescription quand on retourne dans son pays d’origine !

M. Jean-Christophe Lagarde. Pour obtenir la prescription, il ne s’agit pas d’aller en taule et d’en ressortir, ni de retourner dans son pays d’origine et d’en revenir ! En l’occurrence, la prescription s’applique.

M. Jérôme Rivière. Absolument pas !

M. Jean-Christophe Lagarde. Sans attribuer au projet de loi les caractéristiques que M. Mamère lui prête, je répète que cet article est une erreur. De deux choses l’une. Ou bien l’article relève d’une simple volonté d’affichage, notamment à l’intention des pays d’origine, mais ça veut dire qu’on accepte de créer des clandestins perpétuels sur notre territoire parce qu’ils ne sont pas expulsables ou ne seront pas expulsés. Il y a 20 000 expulsions sur 100 000 arrêtés d’expulsion, et on va d’ailleurs proposer dans le projet de loi de ne plus transmettre ces arrêtés par voie postale. Il y en aura beaucoup moins ; c’est bien, les statistiques vont s’améliorer ! On va passer de 100 000 à 50 000 ou 60 000 arrêtés, donc la moitié sera appliquée, mais il n’en restera pas moins que l’autre moitié des clandestins sera toujours là ! Je pense que vous prenez le risque de reconstituer un stock important de clandestins, qui se trouveront dans une situation intenable. Des opérations médiatiques de type Saint-Bernard – geste de désespoir rapidement utilisé par des associations et des groupements politiques –, on est en train d’en préparer de nouvelles. Ou bien on régularisera discrètement au titre de la vie privée et familiale des gens qui le sont aujourd’hui au bout de dix années, et nous n’aurons pas de stock. Mais en ce cas cette disposition ne sert à rien, elle peut même être nuisible.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Je ne pensais pas intervenir de manière globale sur cet article, mais il faut bien mesurer ce que vient de nous dire Jean-Christophe Lagarde. On peut ne pas être d’accord avec ce projet de loi, pour des raisons que nous avons déjà évoquées très longuement dans cet hémicycle depuis trois jours, mais on pouvait tout de même penser que le Gouvernement entendrait les voix qui s’élèvent non seulement sur nos bancs, mais aussi dans sa propre majorité, – je pense notamment à celles de M. Lagarde et de Mme Boutin. Il faut laisser un espoir à toutes ces personnes qui sont depuis plus de dix ans sur ce territoire, depuis plus de dix ans en situation précaire, difficile, et qui néanmoins ont sans doute mené une vie honnête – sinon elles auraient été en prison et reconduites à la frontière. M. Lagarde pointait le risque de nouveaux Saint-Bernard,…

M. Jérôme Rivière. C’est du prêchi-prêcha !

M. Patrick Braouezec. …mais je pense que vous avez regardé la presse ce matin : il y a d’ores et déjà un nouveau Saint-Bernard, une nouvelle occupation d’église.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Bien sûr !

M. Bernard Roman. Il y en aura d’autres !

M. Patrick Braouezec. Et il y en aura d’autres, en effet ! Parce que ces personnes, comme elles l’expliquent d’ailleurs pour justifier l’occupation, n’ont plus rien à perdre ! Comme le disait Jean-Christophe Lagarde, la prise en compte de ces dix ans est relativement marginale compte tenu du nombre de personnes concernées. Et ce n’est pas, comme vous le prétendez, monsieur Rivière, une prime aux clandestins ! C’est une prime humaine par rapport à des situations difficiles !

M. Jérôme Rivière. Arrêtez, c’est un prêche !

M. Patrick Braouezec. Messieurs les ministres, si vous voulez vraiment nous faire croire – on aura quand même quelques réserves – que cette loi n’est pas faite contre les étrangers, contre les travailleurs migrants, et qu’elle prend en compte un certain humanisme, revenez en arrière sur cette disposition-là. Je crois que tout le monde en sortirait grandi.

J’ajoute, monsieur Rivière, deux choses. D’abord, vous avez utilisé les mots « tunnel d’immigration », mais je vais répéter – parce que certains apprennent vite mais d’autres ont du mal ! – ce que nous rappelons dans cet hémicycle depuis maintenant trois jours : il n’y pas plus d’étrangers dans notre pays qu’il y a trente ans.

M. Jérôme Rivière. Ce n’est pas vrai !

M. Patrick Braouezec. Arrêtez de brandir le fantasme de l’invasion !

M. Jérôme Rivière. C’est vous qui parlez d’invasion ! Mais il est vrai que le nombre de clandestins augmente !

M. Patrick Braouezec. Ensuite, vous avez évoqué le fait que, dans le domaine de la santé, notre pays – je ne sais pas si ça va durer au train où vont les choses – peut se targuer d’être parmi les premiers en termes d’équipements et de politique de santé. Et vous dites qu’à cause de ça, on est attractif.

M. Jérôme Rivière. On est premier au classement de l’OMS !

M. Patrick Braouezec. J’ai rappelé – je ne sais plus si c’était hier ou avant-hier, parce qu’entre-temps je n’ai pas beaucoup dormi ni l’une ni l’autre nuit – que Roissy était sans doute la première frontière française.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’était avant-hier !

M. Patrick Braouezec. Jean-Christophe Lagarde, vous voyez, a dormi plus que moi ; lui s’en souvient. (Sourires.) Les hôpitaux voisins de Roissy savent exactement ce qu’il en est de l’arrivée sur notre territoire de personnes qui viennent en France pour accoucher ou pour raison de santé. Or on est très loin des chiffres que vous avancez.

M. Jérôme Rivière. Mais les personnes se dispersent à partir de Roissy ! Soyez réaliste !

M. Patrick Braouezec. Vous fantasmez, ou en tout cas vous créez le fantasme qui fait croire que notre pays serait envahi par des gens qui viendraient simplement se faire soigner. Ce n’est pas vrai, monsieur Rivière !

M. Jérôme Rivière. Les chiffres sont là !

M. Patrick Braouezec. Arrêtons de dire des contrevérités, arrêtons de dire des choses qui sont inadmissibles dans cet hémicycle parce que cela provoque des fantasmes et développe l’irrationnel.

Mme la présidente. La parole est à M. Étienne Pinte.

M. Étienne Pinte. Mes chers collègues, cet article pose à beaucoup d’entre nous un problème de conscience. J’ai moi-même vécu il y a dix ans – je venais d’être élu maire –, l’occupation de la cathédrale Saint-Louis à Versailles par un collectif de 132 hommes qui étaient tous soit mariés, soit avec une compagne et des enfants. Et nous avons été obligés, l’évêque et moi-même, d’aller voir le préfet de l’époque, Claude Erignac, pour essayer de trouver une solution à ces problématiques familiales. On s’est rendu compte d’ailleurs à cette occasion que malheureusement, à l’époque en tout cas, le service des étrangers de la préfecture n’appliquait pas toutes les lois et circulaires. En effet, Charles Pasqua, alors ministre de l’intérieur,…

M. Noël Mamère. Un grand ami de l’humanité !

M. Étienne Pinte. …avait envoyé à tous les préfets une circulaire prévoyant de régulariser tous ceux qui étaient en situation irrégulière, à partir du moment où il y avait femme, compagne ou enfant.

La règle était de ne pas séparer un enfant de son père, non plus qu’une femme de son époux ou de son compagnon. Sur 132 grévistes de la faim, 120 ont été régularisés – les autres n’ayant pu l’être, soit parce qu’ils ne résidaient pas dans notre département, soit parce qu’ils faisaient l’objet de poursuites pénales. La circulaire de M. Pasqua a ainsi été le seul moyen de régulariser, au nom de la vie familiale, ces personnes, certes en situation irrégulière, mais qui avaient fondé un foyer et fait toute une partie de leur vie en France.

Cela ne serait plus possible avec ce projet de loi. Il est pourtant indispensable, sur le plan humain et familial, de préserver la possibilité juridique de régulariser les 3 000 personnes concernées – sur les 200 à 400 000 en situation irrégulière dans notre pays, selon les chiffres avancés tout à l’heure –, qui vivent depuis longtemps sur le territoire national.

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

ordre du jour
des prochaines séances

Mme la présidente. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 2986, relatif à l’immigration et à l’intégration :

Rapport, n° 3058, de M. Thierry Mariani, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et l’administration générale de la République.

Éventuellement, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures quarante-cinq.)