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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 7 juin 2006

237e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. YVES BUR,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

Modification du règlement
de l’Assemblée nationale

Discussion de propositions de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur les propositions de résolution nos 2791 à 2801 de M. Jean-Louis Debré, tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Nous voici donc arrivés, mes chers collègues, à la dernière étape d’un long travail de concertation et de proposition engagé par le président de notre assemblée. Il a reçu les différents présidents de groupe et écrit, il y a plusieurs mois, à chacune et chacun d’entre nous pour nous soumettre onze propositions de résolution. La commission des lois s’est réunie une première fois la semaine dernière, elle a retenu une première version qui a été modifiée à l’issue de nouvelles discussions avec les groupes et les représentants des commissions.

Les dispositions proposées s’articulent autour de deux grandes priorités.

La première est l’amélioration du travail législatif de notre assemblée. Deux propositions vont vous être soumises dans ce but, mes chers collègues.

L’une vise à imposer, dans chaque rapport sur une proposition ou un projet de loi, une annexe rédigée par la délégation à l’Union européenne indiquant à la fois l’ensemble des textes européens en vigueur et ceux en cours d’élaboration. Ce sera une amélioration considérable du travail parlementaire qui permettra de vérifier la cohérence entre nos orientations et celles de l’Union.

La deuxième proposition portera sur l’amélioration du travail des commissions. Vous êtes convaincus, comme moi, mes chers collègues, que nous devons pouvoir nous appuyer sur un travail approfondi en commission.

Or chacun le constate, ces dernières années, la situation s’est dégradée : à cause, notamment, d’amendements déposés tardivement, et même très tardivement, les commissions doivent multiplier les réunions au titre des articles 88 et 91 du règlement, et se contenter souvent d’un examen rapide. Pire encore, des amendements arrivent dans l’hémicycle sans qu’elles aient pu les examiner...

M. René Dosière. Ce matin encore !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. ...et le rapporteur est trop souvent obligé de donner son avis « à titre personnel », comme l’on dit pudiquement.

Il vous est donc proposé de généraliser une disposition du règlement qui existe déjà pour les amendements à la seconde partie de la loi de finances, c’est-à-dire l’application d’une date et d’une heure limites – la veille à dix-sept heures – pour le dépôt des amendements. Là encore, cette règle constituera un grand progrès pour consolider le travail des commissions.

Ces derniers jours, plusieurs collègues m’ont fait partager leur crainte de ne pas disposer du rapport suffisamment tôt. Ils m’ont en effet fait valoir que la rédaction des amendements était facilitée par la lecture du rapport. Je vous proposerai donc un amendement, qui vient d’être adopté par la commission des lois, prévoyant que le délai que je viens de vous donner ne s’appliquera que si le rapport est disponible en ligne – il faut vivre avec son temps – au moins quarante-huit heures à l’avance. Nous avons, je crois, trouvé un bon compromis qui concilie une plus grande efficacité du travail des commissions et le droit d’amendement des députés.

La seconde priorité réside dans le renforcement de l’activité de contrôle de l’Assemblée nationale.

Comme beaucoup d’entre vous, je suis convaincu que le travail de notre assemblée est amené à évoluer : la part du vote des textes nouveaux doit se réduire au profit d’un contrôle plus approfondi de l’exécutif – de la mise en application des lois, des politiques gouvernementales, de l’exécution des lois de finances. Pour ce faire, il faut réserver une place plus grande aux représentants de l’opposition. Le président Debré nous a donné cette habitude, je pense en particulier à la commission d’Outreau. Le fait de réserver une place à des représentants de l’opposition contribuera à renforcer l’efficacité de notre contrôle.

Il vous est donc proposé d’inscrire dans le règlement le principe selon lequel l’opposition se verra confier soit le poste de président, soit le poste de rapporteur des commissions d’enquête et des missions d’information créées par la conférence des présidents.

Cela implique, bien sûr, de définir ce qu’est l’opposition. Nous avons prévu le mécanisme le plus simple possible, à savoir une déclaration à l’initiative de chacun des groupes, laquelle pourra intervenir au début de la législature ou à tout moment, sans qu’elle ait aucun caractère obligatoire. L’appartenance à l’opposition donnera certains droits. Le système est analogue à celui qui prévaut pour les députés eux-mêmes : nous sommes tous égaux puisque nous disposons chacun d’une voix, mais l’adhésion à un groupe parlementaire procure des droits supplémentaires. Les groupes ont les mêmes prérogatives et leur rôle est proportionnel à leur importance numérique. Nous engageons la démarche de création d’un statut de l’opposition, dont on parle depuis des décennies. Ainsi, les groupes de l’opposition auront accès à certaines responsabilités.

Je vous avais proposé qu’un représentant de l’opposition préside l’une des six commissions permanentes. Mais un amendement de suppression de cette disposition a été voté en commission.

M. René Dosière. Hélas !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. En revanche, la commission a voté un renforcement du rôle de l’opposition en matière de contrôle de l’application des lois. Au terme d’un délai de six mois qui suit la promulgation d’une loi, son rapporteur doit présenter un rapport sur sa mise en application. Depuis l’adoption de cette disposition, le quart des lois ont fait l’objet d’un tel rapport. Si, à l’issue de ce délai, le rapporteur n’a pas manifesté son intention de déposer un rapport, la tâche, s’il appartient à la majorité, sera confiée à l’opposition, et inversement. Il s’agit...

M. René Dosière. ...d’un simple lot de consolation !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. ...de sanctionner les éventuelles carences dans le contrôle de l’application des lois.

Tels sont les deux piliers sur lesquels repose la réforme qui vous est proposée : améliorer le travail législatif, d’une part, renforcer le contrôle exercé par l’Assemblée, d’autre part.

Nous avons également adopté deux autres dispositions qui visent à insérer dans notre règlement deux pratiques déjà suivies : la limitation à trente minutes, sauf avis contraire de la conférence des présidents, de la durée des motions de procédure ; le principe des commissions élargies pour adopter certains budgets, ce qui se fait depuis 2001.

Vous l’aurez remarqué, mes chers collègues, rien n’est prévu pour améliorer la procédure législative. La commission des lois a pourtant diagnostiqué des dysfonctionnements évidents. Nous en sommes, pour la présente législature, à 93 908 amendements déposés, contre 50 957 pour la précédente et 43 437 pour l’avant-dernière. Cette masse considérable aboutit à une défiguration du débat, d’autant que le règlement actuel incite chacun à grappiller le maximum de temps. L’habitude voulant que nous entamions l’examen des textes le mardi et chacun veillant jalousement à conserver son temps de parole, ce n’est très souvent que dans la nuit du mercredi au jeudi que débute la discussion des amendements et c’est elle qui fait les frais de notre lassitude. Je me souviens avoir présidé une séance consacrée au projet de loi sur l’eau au cours de laquelle nous avons voté, dans la nuit du jeudi au vendredi, 150 amendements en une heure !

M. René Dosière. C’est un excès de vitesse !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. L’intérêt général aurait commandé que nous consacrions un peu moins de temps aux motions de procédure et un peu plus aux amendements. Tous les clignotants sont au rouge sur le sujet. La loi n’est d’ailleurs plus le principal mode de décision législative.

M. René Dosière. Hélas !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. C’est fait, le nombre d’ordonnances dépasse désormais celui des lois !

M. René Dosière. C’est scandaleux !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. C’est l’effet d’une procédure législative inadaptée.

La semaine dernière, la commission des lois, partant des propositions du président Debré de « globalisation », a proposé une procédure d’examen des projets de loi dite renforcée. À côté de la procédure d’examen simplifiée pour les textes qui ne posent pas de problème et de la procédure de droit commun, nous avions proposé une procédure renforcée, visant à préserver les droits des parlementaires – puisque nous avions attaché un droit personnel à chacun – et à libérer la discussion des limitations de temps de parole au profit d’une durée globale du débat fixée par la conférence des présidents, et qui, en tout état de cause, n’aurait pas été inférieure à vingt heures.

J’ai pris contact avec les différents groupes parlementaires et la quasi-totalité des présidents de commission. Parmi ces derniers, nombreux ont été ceux qui se sont montrés très favorables à une modification de la procédure législative. Cependant, le rapport que j’ai présenté ce matin en commission sur la concertation menée ces dernières semaines prend acte que trois des groupes parlementaires ont pris officiellement une position défavorable, même si les discours officieux étaient plus nuancés.

M. René Dosière. Oh !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Le groupe majoritaire, l’UMP, initialement favorable au projet – certes à une courte majorité – a évolué.

Mme Christine Boutin. Et il a eu raison !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Son président m’a fait savoir hier soir qu’il ne souhaitait plus voir ces dispositions soumises au vote. J’en ai donc tiré les conséquences en proposant à la commission des lois, qui l’a accepté, le retrait de l’article 6 du texte qu’elle avait adopté la semaine dernière. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. René Dosière. Le président est désarmé face à sa majorité !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. J’en éprouve quelques regrets parce que j’y vois surtout la victoire des conservatismes...

Mme Christine Boutin. Non !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. ...et de ceux qui, dès que l’on propose une modification, jugent urgent de ne rien faire.

Mme Christine Boutin. Pas du tout ! Au contraire !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Les dysfonctionnements de la procédure législative atteignent parfois une dimension dramatique. On demande parfois aux députés de la majorité de ne plus s’exprimer pour ne pas prolonger inutilement les débats ! Or chacun doit pouvoir s’exprimer au fond.

Nous sommes la dernière assemblée à ne pas avoir prévu une organisation des débats plus constructive et plus prévisible. Nous avons tous dû renoncer à déposer ou à défendre des amendements parce les débats avaient dérapé au point que nous ne pouvions plus rester à Paris pour être présents le moment venu !

Je regrette qu’il s’agisse d’une occasion manquée, mais je suis persuadé qu’un jour ou l’autre il conviendra de moderniser la procédure législative sur ce point. On ne procédera probablement pas à cette modernisation avant la fin de cette législature ni, sans doute, par le biais d’une modification du règlement de l’Assemblée nationale. Nous arrivons dans une période de campagne présidentielle et certains candidats évoquent déjà des réformes constitutionnelles. C’est pourquoi je forme le vœu que les candidats à la présidence de la République prennent acte de l’incapacité de l’Assemblée nationale à opérer une réforme sur le sujet et que, au début de la prochaine législature, le Président de la République nouvellement élu suscite une volonté de modernisation nous permettant d’adopter une procédure législative comparable à celle de toutes les démocraties développées voisines.

Je me suis exprimé avec la passion que vous me connaissez, mais je ne voudrais pas que l’occasion manquée sur ce dernier point fasse oublier que nous faisons, aujourd'hui, œuvre très utile en vue d’améliorer le travail législatif et le contrôle parlementaire et de renforcer la présence de l’opposition dans les différents postes à responsabilité de notre assemblée.

Je tiens pour conclure à répéter dans l’hémicycle les propos que j’ai tenus tout à l’heure en commission des lois : mes chers collègues, toutes celles et tous ceux d’entre vous qui voteront ces propositions de modification du règlement pourront être fiers d’avoir participé à la modernisation de l’Assemblée et au renforcement de son pouvoir de contrôle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission de la défense nationale et des forces armées, rapporteur pour avis.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense et des forces armées, rapporteur pour avis. Monsieur le président, mes chers collègues, une série de dix propositions de résolution a été déposée en vue de modifier le règlement de l'Assemblée nationale : elles sont l’objet de notre présent débat.

Beaucoup d’entre elles sont utiles, voire essentielles, comme la modification du délai de dépôt des amendements ou celle visant à améliorer l'information de l'Assemblée nationale en matière européenne. En revanche, la proposition de regrouper la commission de la défense nationale et des forces armées avec celle des affaires étrangères me paraît particulièrement préjudiciable. (Mouvements divers.)

M. René Dosière. Quel conservatisme !

M. Gérard Charasse. Il a raison, au contraire !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense, rapporteur pour avis. Ce sujet peut paraître anecdotique et relever de subtilités parlementaires : il n'en est rien. C'est pourquoi je souhaite prendre ici le temps d'expliquer les raisons de fond qui me poussent à penser que notre pays aurait beaucoup à perdre à voir la commission de la défense disparaître en tant que telle.

M. Jacques Brunhes. Et l’exemple du Sénat ?

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense, rapporteur pour avis. L'objectif affiché peut paraître louable : il s'agit, en regroupant la commission de la défense avec celle des affaires étrangères, de permettre à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de se scinder : on apporterait ainsi une réponse à la réelle surcharge de travail que connaît celle-ci.

Je souhaite d’abord répondre au principal reproche adressé à la commission de la défense : son rôle législatif serait appelé à décliner, du fait notamment de la suspension de la conscription. Il n'en est rien puisque l’activité de la commission de la défense soutient pleinement la comparaison avec celle d'autres commissions. Ainsi, du 1er octobre 2004 au 30 juin 2005, notre commission a tenu quarante et une réunions d’une durée globale de cinquante-deux heures, tandis que la commission des lois tenait quarante-trois réunions pour une durée de cinquante-trois heures. (Murmures sur plusieurs bancs.)

M. Jacques Brunhes. Ces comparaisons ne signifient rien !

M. René Dosière. Elles sont absurdes !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense, rapporteur pour avis. Surtout, réduire l'activité, et plus encore la légitimité, d'une commission à sa seule dimension législative est une grossière erreur, l'utilité d'une commission ne se mesurant pas au seul volume des textes législatifs examinés, alors même que chacun insiste sur la nécessité de réduire le nombre de lois et sur l'intérêt à développer le contrôle du Parlement.

M. Gérard Charasse. Exactement !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense, rapporteur pour avis. En effet, l’activité d'une commission tient aussi, et surtout, à sa fonction de contrôle de l'exécutif. Or, en ce domaine, la commission de la défense, plus que toute autre, s'est pleinement investie. C'est même là le cœur de son activité. Ses nombreux travaux ont ainsi permis, ces dernières années, d'étudier les difficultés rencontrées par les forces armées ou les industries de défense et de proposer des solutions sur des sujets aussi variés que le suivi du plan social de GIAT Industries, les investissements étrangers dans les industries de défense européennes ou la réserve.

Plus encore, la commission de la défense a su anticiper les exigences de la LOLF en créant, dès février 2003, une mission d'information sur le contrôle de l'exécution des crédits de la défense.

J'ajoute que les débats au sein de la commission de la défense, entre parlementaires de toute famille politique, sont sereins et rigoureux.

Les questions de défense étant essentielles pour l'avenir de notre pays, la commission de la défense constitue un lien unique entre les élus de la Nation et le monde des armées. La suspension du service national et la trop faible place accordée aux questions de défense dans le débat public plaident justement pour sa pérennité.

On ne peut également oublier que, du fait de la spécificité de leur statut, qui a été récemment réaffirmée par notre assemblée dans le cadre de l'adoption de la loi sur le statut général des militaires, ces derniers n’ont pas les mêmes moyens d'expression que les autres citoyens. Or la commission de la défense effectue un travail considérable auprès des 350 000 hommes et femmes qui constituent nos forces, en les écoutant et en relayant leurs préoccupations légitimes. Il paraît donc nécessaire de continuer à témoigner le plus grand intérêt à des militaires qui sont prêts à donner leur vie pour leur pays.

M. Jacques Brunhes. Et que fait le Sénat ?

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense, rapporteur pour avis. Cela ne souffre pas la comparaison puisque lorsque l’Assemblée produit six rapports sur la défense, le Sénat n’en publie qu’un ! Il vous faudrait étudier de façon plus approfondie cette question, mon cher collègue. Il est dommage qu’on ne vous voie pas davantage dans notre commission, dont vous être pourtant membre !

M. Marc Francina. Bravo !

M. Jacques Brunhes. Il s’agit d’un fait personnel, monsieur le président !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense, rapporteur pour avis. Le contact permanent que la commission de la défense entretient avec l'exécutif et les états-majors, le contrôle, qu’elle opère, de l'exécution de la loi de programmation militaire qui, je vous le rappelle, suscite très régulièrement l'appétit des budgets, comme les nombreuses visites, qu’elle effectue, aux unités sur le terrain, concourent à maintenir l'espoir et la fierté de nos armées.

Par ailleurs, le budget de la défense étant le premier budget d'investissement de l’État, avec toutes les conséquences qui s’ensuivent sur le tissu économique de nos circonscriptions respectives, il paraît pleinement justifié qu'au sein de l'Assemblée nationale une commission permanente se consacre spécifiquement aux questions militaires. Dois-je également mentionner les échéances cruciales qui attendent la défense nationale l'année prochaine avec le vote de la prochaine loi de programmation militaire et ses incidences en termes de format de nos armées ou de développement stratégique industriel ?

Pour toutes ces raisons, le projet de fusion entre la commission de la défense et celle des affaires étrangères est une mauvaise solution apportée à un vrai problème.

Pourtant, comme il n'est pas dans mon habitude de me défausser ou de critiquer sans proposer, je finirai mon propos en exposant les pistes qu'il me semble opportun de suivre en la matière.

D'abord, s'il devait y avoir modernisation du fonctionnement de notre assemblée, la cohérence voudrait qu’on adaptât, et donc qu’on élargît, les compétences de la commission de la défense aux nouveaux enjeux stratégiques, afin de lui permettre de mieux s'impliquer dans les questions relatives à la défense globale, notamment à la sécurité dans toute sa diversité. Ainsi, il est évident que les frontières entre défense et sécurité sont aujourd'hui de plus en plus ténues : le problème posé par le terrorisme le montre suffisamment. J'ai du reste suggéré au président de la commission des lois, ici présent, de travailler ensemble sur des questions qui nous sont devenues communes.

De même, dans un autre ordre d’idées, il paraît évident que les questions relatives à la pension des militaires ou aux anciens combattants pourraient être intégrées dans le périmètre de la commission de la défense.

De fait, il conviendrait de répondre à la question de la répartition des compétences des commissions permanentes par une évolution de leur nombre. La limitation actuelle à six, née d'un souci de rigueur en 1958, est devenue absurde. Le principal écueil tient à ce qu'elles ont des compétences trop variées, voire disparates. Une modification de l'article 43 de la Constitution par la voie du Congrès permettrait de fixer à sept ou huit le nombre des commissions permanentes. Je tiens d’ailleurs à vous rappeler que nous sommes sans doute le seul pays en Europe à disposer d’un nombre aussi restreint de commissions permanentes.

Quant à l'argument selon lequel une modification de l'article 43 de la Constitution serait une procédure trop lourde, il paraît bien spécieux tant les réunions du Congrès à Versailles ont été nombreuses ces dernières années.

Mes chers collègues, la proposition de résolution n° 2801 est dictée par des considérations extérieures au travail des deux commissions de la défense et des affaires étrangères. Il est extrêmement important que l'Assemblée nationale conserve en son sein une institution entièrement dévolue aux questions de défense. N'adressons pas à ceux qui engagent leur vie un signe qui pourrait leur faire croire que nous ne voulons plus les soutenir.

La commission de la défense a unanimement donné un avis défavorable à la proposition de résolution,…

M. Jacques Brunhes. Vous étiez quatre en commission !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense, rapporteur pour avis. …et je me réjouis que la commission des lois ne l'ait pas retenue dans le texte qui nous est soumis ce matin. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Exception d’irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Bernard Derosier.

M. Bernard Derosier. Monsieur le président, mes chers collègues, du jamais vu, voilà bien ce à quoi nous assistons ce matin, du moins en ce qui me concerne !

M. René Dosière. Vous avez pourtant une longue expérience d’élu !

M. Bernard Derosier. J’ai en effet l’avantage, ou l’inconvénient – à chacun de juger –, d’être élu depuis 1978…

M. René Dosière. C’est un avantage !

M. Bernard Derosier. …et d’avoir ainsi connu alternativement la majorité et l’opposition. Or jamais – et j’ai regardé ce qui s’est passé également avant cette date – le règlement de notre assemblée n’a pu être modifié sans que cette modification ait préalablement fait l’objet d’un examen par un groupe de travail mis en place par le président de l’Assemblée nationale. Le rapport était généralement confié au président de la commission des lois, qui recherchait toujours le consensus entre les membres du groupe de travail, c'est-à-dire entre les groupes constituant notre assemblée, et cette pratique était devenue une sorte de règle. Je le répète : je ne me rappelle pas, à quelques exceptions près, du reste mineures, que l’Assemblée ait jamais voté une modification de son règlement qui n’ait entraîné l’adhésion de tous les groupes de la majorité et de l’opposition.

Nous sommes donc ce matin devant une procédure particulièrement curieuse puisque tout est parti d’un discours du président de notre assemblée, Jean-Louis Debré,…

M. Jacques Brunhes. Un discours remarquable !

M. Bernard Derosier. …à l’occasion de la présentation des vœux du bureau de l’Assemblée nationale au Président de la République, le 3 janvier dernier. Dans ce discours, le président de l’Assemblée avançait quelques idées qu’il nous a fait parvenir par courrier le même jour. Il entendait, disait-il, par ce moyen, apporter sa contribution « au débat institutionnel ».

Pourquoi pas ? Mais l’envoi de ce discours à chaque député valait-il concertation ? C’est en tout cas ce qu’a tenté timidement de nous faire croire notre rapporteur la semaine dernière en commission des lois lorsqu’il nous a rappelé que nous avions reçu les propositions du président de l’Assemblée dès le début de l’année. C’est vrai, nous avions reçu son discours, mais je n’avais pas compris que cela valût concertation avec les groupes de notre assemblée !

Le président de l’Assemblée s’est retranché, depuis, derrière cette forme inédite de concertation pour justifier son empressement, voire sa précipitation à modifier le règlement. Je ne l’ai pas directement entendu, mais il aurait, paraît-il, affirmé qu’en cette fin de législature il souhaitait marquer son passage à la présidence de l’Assemblée et qu’il ne lui restait plus que quelques mois pour graver son empreinte dans le marbre du règlement.

Du reste, le président de l’Assemblée, dans son propos du 3 janvier 2006, a avancé une idée avec laquelle ni mes amis ni moi-même ne sommes d’accord, et à laquelle, j’en suis certain, un grand nombre d’entre vous ne saurait non plus être favorable. Selon cette idée, on peut rectifier le fonctionnement des institutions sans changer la Constitution. Or, chacun sait, sur tous les bancs de l’Assemblée, qu’en dépit d’imperfections que l’usage a permis d’éprouver – elle a bientôt cinquante ans –, la Constitution demeure le texte de référence, à respecter en tant que tel, et dont les membres du Conseil constitutionnel sont les gardiens vigilants et le Président de la République, le garant – j’y reviendrai.

Le président de l’Assemblée nationale a alors suggéré de « renforcer l’autorité politique du Parlement ». Qui pourrait ne pas être d’accord avec une telle volonté ? Je me dois même d’ajouter que depuis le début de la législature j’ai apprécié sa présidence, sa façon de conduire les débats et son comportement vis-à-vis des députés de l’opposition, empreinte de courtoisie, voire d’une certaine forme d’amitié. C’est pourquoi j’ai fini par me dire que, de tous les présidents de l’Assemblée nationale que j’ai connus, il était loin de faire partie des plus mauvais ! (Sourires.)

En effet, qui pourrait s’opposer à l’amélioration de l’image du Parlement, ne pas vouloir que ses pouvoirs soient renforcés, ne pas souhaiter une modernisation de son fonctionnement ? Personne, bien entendu. Ce n’est toutefois pas par une modification mineure du règlement que l’on peut y parvenir – je reviendrai sur la portion congrue qui nous est donnée ce matin. Il faut s’attacher à améliorer la Constitution dans la perspective d’un régime parlementaire démocratique.

Le président de l’Assemblée nationale aurait d’ailleurs pu aller plus loin. Il souhaitait ainsi, le 3 janvier, que la publication de l’avis du Conseil d’État accompagne celle d’un projet de loi. Or, les propositions de résolution que M. Debré nous a soumises ne portent pas trace de cette intention.

Ce débat tend en outre à accréditer l’idée que les défauts de fonctionnement des institutions et en particulier du Parlement, relèveraient en grande partie de l’incapacité de ce dernier à se réformer ; idée à laquelle le rapporteur a fait à l’instant allusion en nous invitant à participer par notre vote à un grand mouvement d’amélioration du fonctionnement de nos institutions.

Or, si vous vous trouvez aujourd’hui dans la majorité et nous dans l’opposition, une alternance est fort possible demain – je ne veux pas vendre la peau de l’ours… – ; et nous savons bien que c’est l’usage gouvernemental de la fonction législative du Parlement qu’il faut dénoncer et mieux encadrer – je vise aussi bien les gouvernements que j’ai soutenus que ceux auxquels je me suis opposé.

La maîtrise de l’ordre du jour par le Gouvernement est à l’origine des difficultés du travail législatif. L’encombrement de notre programme de travail, l’inflation législative sont le fait du Gouvernement ! Ce matin, en commission des lois, M. de Roux affirmait que 90 % des textes sont d’origine gouvernementale. Non ! il s’agit de 99,9 % ! Nous savons bien les difficultés que nous rencontrons pour faire passer une proposition de loi. N’a-t-on pas, d’ailleurs, inventé cette expression outrageante de « niche parlementaire », comme si les députés étaient des chiens auxquels on enjoignait d’aller à la niche ?

M. Gérard Charasse. Les chiens à la niche !

M. Bernard Derosier. Nous ne pouvons pas accepter cette situation sans réagir, et nous savons bien que cela passe par une modification constitutionnelle.

M. Jacques Brunhes. Connaissez-vous la définition de la « niche » ?

M. Bernard Derosier. Nous en reparlerons, mon cher collègue, je ne voudrais pas qu’il y ait un fait personnel entre nous.

Les propositions du président Debré reviennent en fin de compte à supprimer le symptôme pour nier la cause de la maladie.

De surcroît, convoqués ce matin en commission des lois en application de l’article 88 du règlement – peut-être pour une des dernières fois – …

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. Pourquoi donc ?

M. Bernard Derosier. …nous avons assisté à une sorte de présentation surréaliste de la situation ! Du jamais vu, vous dis-je. Le rapporteur nous a déclaré que le rapport qu’il nous avait présenté la semaine dernière, voté par la majorité, n’était plus bon, qu’il fallait le revoir complètement,…

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. Pas complètement !

M. Bernard Derosier. …parce qu’entre-temps ce même rapporteur aurait mené des concertations ; pas avec les députés de l’opposition en tout cas. Il a certes appelé le secrétariat général du groupe socialiste et donc indirectement son président, et il a bien reçu un message de la secrétaire générale dont il voulait me faire entendre l’agréable voix, mais cette communication consistait à l’informer que le président Ayrault pourrait le rencontrer s’il le souhaitait, mais que pour l’instant le groupe n’était pas favorable aux propositions du président Debré. C’est ce que M. le rapporteur appelle la « concertation ».

Il nous a assurés ici même, il y a quelques minutes, avoir établi des contacts. Ce n’est pas le cas avec les députés du groupe socialiste, si bien que nous ne pouvons pas considérer que la concertation promise le 31 mai, lors d’un premier examen en commission des lois, a été menée à bien.

Je m’étais pris alors à rêver : nous aurions tout le mois de juin pour en discuter. Mais non ! La période de concertation s’est en fait limitée à la journée d’hier et, éventuellement, à ce matin avant neuf heures, puisque l’on ne saurait prendre en compte le week-end de la Pentecôte ni le lundi suivant, férié selon les cas. Bref, le temps de la concertation était réduit à sa portion congrue.

Et ce matin – du jamais vu, encore une fois –, on nous annonce un rapport complètement bouleversé, notamment par la suppression de l’article 6 du texte précédemment adopté par la commission. Nous avons alors pu mesurer l’importance du pouvoir du président Accoyer qui, hier soir, après une période d’interrogation, a déclaré que son groupe n’accepterait pas cet article. Dont acte ! C’est à cela que peut servir le groupe majoritaire, à éviter de temps en temps les erreurs vers lesquelles l’un de ses membres voudrait l’entraîner.

Plusieurs députés de l’Union pour un mouvement populaire. Voilà !

M. Bernard Derosier. La précipitation est décidément de mise si j’en juge par ce dernier exemple, et j’en suis désolé pour les imprimeurs et les relecteurs. En effet, le rapport que vous avez entre les mains comporte un erratum aux pages 36 et 37 !

M. Jérôme Chartier. C’est bien sûr la première fois que cela arrive ! Quelle surprise ! Je vais reprendre tous vos rapports et nous verrons s’il n’y a pas d’erratum !

M. Bernard Derosier. Donnons-nous donc le temps ! C’est du jamais vu, monsieur Chartier, qui crée une situation inacceptable. Cette situation inacceptable est aggravée par ce que je qualifierais d’entêtement du président de l’Assemblée.

En effet, pour tout vous dire, nous pensions qu’il abandonnerait ce projet, qu’il s’était fait plaisir en rédigeant ces onze propositions de résolution. Nous nous étions donc dit qu’elles ne seraient pas soumises à notre examen, étant donné que l’ordre du jour de l’Assemblée est très chargé et que les préoccupations du Gouvernement sont des plus importantes avec toutes les difficultés qu’il rencontre en ce moment.

Cependant, nous apercevons soudain que la conférence des présidents a décidé l’inscription à l’ordre du jour de ces propositions de résolution. Dès lors, le président Ayrault écrit immédiatement pour exprimer toutes les réserves des députés de son groupe – c’était le 18 mai. Le président de l’Assemblée lui répond qu’il n’est pas question pour lui de revenir sur ses intentions. En commission des lois, je défends en vain l’idée que nous pourrions nous donner au moins le mois de juin, mais nos collègues de la majorité, le rapporteur en particulier, ne veulent pas entendre raison.

Malgré des échanges téléphoniques hier matin entre le président du groupe socialiste et le président de l’Assemblée, la conférence des présidents a maintenu l’inscription des propositions de résolution à l’ordre du jour de ce matin et même de cet après-midi, voire de ce soir s’il le faut. Le rouleau compresseur est en marche (Sourires) ; il faut absolument écraser – j’insiste – les parlementaires de la majorité et de l’opposition. (Rires et exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas sérieux !

M. Bernard Derosier. Je vais revenir sur le sujet et vous rirez peut-être moins quand une autre majorité, demain, à moins que ce ne soit la même,…

M. Guy Geoffroy. Ce sera la même !

M. Bernard Derosier. …appliquera le règlement que vous nous proposez. Vous regretterez votre vote si vous allez jusqu’au bout. La procédure suivie est contraire à l’idée de concertation, qui doit s’imposer dans un parlement moderne, contraire aux droits de l’opposition que l’on prétend renforcer. En cela nous ne respectons ni la lettre ni l’esprit de la Constitution.

Le 18 janvier dernier, je m’étais réjoui pourtant de lire dans un grand quotidien du soir, comme on dit, ces mots prêtés au président Debré : « Je n’accepte pas le déclin de l’Assemblée et du législateur. »

M. Pierre-Louis Fagniez. Il a raison !

M. Bernard Derosier. Soit. Il ajoutait : « Je suis prêt à venir m’expliquer devant tous les groupes parlementaires. » Peut-être a-t-il rencontré le groupe UMP, mais il n’est pas venu devant le groupe socialiste que je sache. Enfin, il affirmait : « La majorité – vous, mes chers collègues – ne devrait jamais perdre de vue qu’elle peut être amenée un jour à devenir l’opposition. »

M. Pierre-Louis Fagniez. Pas de catastrophisme !

M. Bernard Derosier. J’attire donc votre attention sur ce point et je vous avoue mon désenchantement au moment où nous entamons ce débat.

M. Maurice Giro. Il va nous faire pleurer !

M. Bernard Derosier. Pourtant, après les excès du Gouvernement de M. de Villepin ces dernières semaines – en matière de fonctionnement législatif s’entend –, après les débordements de tous les gouvernements de cette douzième législature, qui n’ont pas hésité à recourir à l’article 49-3 de la Constitution alors qu’ils disposent d’une majorité plus qu’absolue – je rappelle que jamais le gouvernement de Lionel Jospin ne l’a appliqué –,…

M. René Dosière. Très juste !

M. Bernard Derosier. …on aurait pu s’attendre qu’une révision du règlement de l’Assemblée tente de corriger ces pratiques. À cet égard, dans son discours du 3 janvier, le président Debré déclarait : « Une seule dérive est de la seule responsabilité du Gouvernement, c’est l’urgence. »

De fait, les gouvernements Raffarin et Villepin ont fait de l’urgence une méthode de gestion des textes législatifs. Comment l’accepter quand, dans le même temps, on se rend compte – et désormais des rapporteurs sont chargés de suivre l’application des textes –, que les décrets d’application ne sont pas publiés plus rapidement que si le Gouvernement n’avait pas déclaré l’urgence, qu’il faut toujours attendre des mois pour qu’ils le soient.

Par exemple, la loi portant création des maisons départementales des personnes handicapées et de la prestation compensatoire du handicap, a été promulguée en janvier 2005. Elle devait entrer en vigueur le 1er janvier 2006 ; or les décrets d’application ont été publiés le 19 décembre 2005, laissant aux conseils généraux onze jours, en pleine trêve de fin d’année, pour mettre en œuvre cette nouvelle politique en faveur des personnes handicapées.

L’urgence utilisée par le Gouvernement ne permet-elle pas d’aller plus vite. Elle prive de surcroît le Parlement d’un véritable débat de fond.

Évidemment il ne faut pas oublier que le président Debré est attaché filialement à la Constitution et qu’il souhaite avant tout renforcer la logique de la Ve République, c’est-à-dire encadrer le Parlement, renforcer l’exécutif, et ne pas toucher au texte constitutionnel sans l’assentiment du Président de la République.

M. René Dosière. Eh oui !

M. Bernard Derosier. La logique voudrait en effet qu’avant toute modification du règlement, on entame d’abord une profonde révision de la Constitution...

M. René Dosière. Bien sûr !

M. Bernard Derosier. …afin de redonner au Parlement un certain nombre de prérogatives.

Les constituants de 1958, vous le savez, ont voulu mettre fin aux « débordements » des IIIe et IVe Républiques.

M. Guy Geoffroy. Ils voulaient surtout mettre un terme à la confusion des pouvoirs !

M. Bernard Derosier. Tout le monde aujourd’hui s’accorde à dire qu’il faudrait mettre un frein aux débordements du pouvoir exécutif. Si le bon sens est la chose au monde la mieux partagée, vous connaissez l’adage, tout le monde n’en fait pas forcément bon usage.

On soumet donc à votre examen une modification du règlement de notre assemblée avant toute réforme constitutionnelle. Même si nous refusons de nous prêter à cette mascarade, nous ne nions pas que certaines propositions emporteront l’assentiment de tous, car elles arrivent véritablement en renfort des droits de notre institution et du statut de l’opposition. En revanche, d’autres sont parfaitement inacceptables : elles fragilisent notre assemblée, renforcent encore et toujours le pouvoir exécutif et nuisent aux droits de l’opposition, voire, parfois, à ceux de la majorité. Intolérables politiquement, elles le sont aussi et surtout juridiquement, car elles contreviennent à des dispositions constitutionnelles.

Avant d’aborder cet aspect, je souhaite revenir sur l’ensemble des propositions et sur la façon, rien moins que nébuleuse, dont elles ont été élaborées en l’absence de toute concertation avec les groupes de notre assemblée.

Un des objectifs de cette initiative est d’inscrire formellement dans le texte du règlement certaines pratiques que majorité et opposition s’accordaient à suivre depuis de nombreuses années. À cet égard, il aurait été bon d’en inscrire une autre, qui, au-delà du simple respect des doits de l’opposition, relève d’un élémentaire bon sens : avant toute modification du règlement, il conviendrait que l’on crée systématiquement un groupe de travail, afin de garantir les droits de tous les parlementaires dans la réflexion collective et de rechercher le consensus sur les propositions de révision.

Le règlement de l’Assemblée nationale concerne tous les députés, ceux de la majorité comme ceux de l’opposition. Il donne aux premiers des moyens pour soutenir la politique du Gouvernement et permet aux seconds de s’opposer aux débordements de celui-ci et de sa majorité. Pour l’instant, une règle non écrite mais toujours respectée veut que l’ensemble des groupes parlementaires soient associés à toute modification du règlement. Cette pratique, qui faisait l’honneur de notre institution depuis le début de la Ve République, non seulement le président Debré refuse de la consacrer dans le texte, mais il refuse aussi de s’y conformer, créant ainsi un précédent qu’il nous faudra bien vite effacer. « Une fois n’est pas coutume », ne l’oublions pas !

Au surplus, ne pas convoquer un tel groupe de discussion, vouloir passer en force en profitant de ce qu’un seul groupe politique détient de la majorité absolue pour réviser le règlement à son gré – et, certes, la majorité apportera son soutien aux propositions du rapporteur, mais celles-ci sont bien éloignées de celles du président Debré ! –, c’est d’abord ignorer une opposition pluraliste qui, outre qu’elle apporte de bonnes idées, possède des droits au sein d’une assemblée parlementaire, au premier rang desquels celui de ne pas se voir imposer un règlement, mais de participer à son élaboration.

C’est ensuite oublier que la majorité d’aujourd’hui peut devenir l’opposition de demain.

C’est enfin risquer de provoquer l’instabilité de notre assemblée : qu’adviendrait-il si chaque nouvelle majorité adaptait le règlement à sa convenance ? Ce qu’une majorité fait, une autre majorité peut, le lendemain, le défaire : cela a déjà été le cas, d’ailleurs, pour bon nombre de textes votés par la majorité précédente, notamment dans le domaine social. Or, le bon fonctionnement de la démocratie ne peut s’accommoder de l’instabilité des règles de fonctionnement des assemblées parlementaires. Vraiment, que dirait-on si, à chaque législature, on modifiait la Constitution et le règlement de l’Assemblée de fond en comble ? Les élections nationales ne doivent avoir d’effet que sur la composition de l’Assemblée, et pas sur son mode de fonctionnement. L’accord de l’ensemble des groupes pour réformer ces règles est donc le gage d’un bon fonctionnement de l’institution.

Sous la XIe législature, Laurent Fabius, alors président de l’Assemblée nationale, avait proposé une réforme du règlement et dégagé cinq pistes assez comparables à celles qui sont abordées aujourd’hui : il s’agissait notamment de la limitation du temps de parole des orateurs défendant les motions de procédure, de la place réservée au travail d’initiative parlementaire, de l’encadrement des conditions de dépôt des amendements ainsi que de la limitation du temps de parole des groupes dans le cadre de la discussion générale.

Ces propositions avaient fait l’objet d’un travail commun associant l’ensemble des groupes de l’Assemblée nationale. Raymond Forni, à l’époque président de la commission des lois et rapporteur de cette réforme du 29 juin 1999, avait rencontré les présidents de groupe : M. Douste-Blazy, M. Rossi, M. Bocquet, M. Ayrault, mais aussi M. Debré.

Comment expliquer que ce dernier, aujourd’hui président de l’Assemblée nationale, ait, sans aucune concertation, déposé onze propositions qui ont été examinées dans l’urgence par la commission compétente le 31 mai dernier et qui sont soumises ce matin à votre vote ? À l’évidence, la concertation a été bannie ab initio !

À cela vient s’ajouter une certaine précipitation. Dès le 18 mai, le groupe socialiste a demandé la mise en place d’un groupe de travail pluraliste. La demande a été refusée. Nous avons également sollicité un report de l’examen de ces propositions. La demande a été refusée. L’urgence est-elle à ce point insurmontable qu’elle justifie le refus de toute discussion ? En tout cas, elle semble d’autant plus grande que la concertation n’a apparemment pas eu lieu au sein même de la majorité, où des dissensions, comme nous avons pu l’observer en commission des lois, se sont fait jour. Tout cela a été préjudiciable au débat parlementaire.

Lors de la réunion de la commission des lois du 31 mai, c’est un texte alternatif à celui du président de l’Assemblée nationale qui a été distribué par le rapporteur désigné sur ces propositions. N’étaient reprises que sept propositions sur onze : c’est dire si la concertation aurait été utile, déjà au sein de la majorité, puis entre majorité et opposition !

S’il est indéniable que la proposition de M. Warsmann constitue une version édulcorée des propositions du président Debré, il n’en demeure pas moins qu’une seule semaine a été laissée à l’Assemblée pour étudier ce texte. En outre, le rapport n’est disponible que depuis quelques jours.

Le 31 mai, M. Warsmann affirmait qu’il ouvrait une période de concertation. Nos espoirs auront été vite déçus ! Mais il n’est pas trop tard : pourquoi ne pas nous donner le restant du mois pour examiner les propositions émises par les uns et les autres et aboutir avant le 30 juin à un consensus sur les nécessaires modifications du règlement ?

Cette précipitation est d’autant moins acceptable que les propositions qui nous sont soumises traduisent une volonté délibérée d’abaisser le rôle du Parlement et de renforcer le pouvoir exécutif, qui détient déjà tant de prérogatives. Vous soutenez aujourd’hui ce pouvoir, mes chers collègues de la majorité : quoi de plus normal ? J’ai pour ma part soutenu d’autres gouvernements, et je sais bien que nous devons être particulièrement forts si nous voulons faire de la démocratie parlementaire une réalité.

C’est à ce titre que ces propositions de résolution sont surprenantes, tant leur inspiration semble anachronique et contraire à la volonté affichée par le président de l’Assemblée nationale depuis le début de cette législature. Faut-il comprendre que M. Debré veut se donner une image moderniste et attacher son nom à une réforme au mépris d’une procédure consensuelle ?

Alors que l’heure est au renforcement des pouvoirs du Parlement et à l’amélioration de la qualité de la loi, alors que le Conseil constitutionnel s’efforce, dans ses récentes décisions, de rendre à la loi sa portée normative et de protéger le droit des parlementaires, on vous propose aujourd’hui de renforcer la toute-puissance du Gouvernement, ou plutôt celle du Président de la République. En dehors des périodes de cohabitation, en effet, on sait bien que le Gouvernement, et surtout le Premier ministre, ne sont la plupart du temps que des exécutants de la volonté présidentielle et qu’ils n’ont pas les moyens constitutionnels de résister, voire de s’opposer, à cette volonté. Le Président de la République l’a d’ailleurs lui-même rappelé un certain 14 juillet : « J’ordonne, il exécute ! »

Nous avions déjà constaté cette tendance présidentielle en 1995, lorsque le président Séguin avait proposé la session unique. Cette réforme importante exigeait une révision de la Constitution, et c’était déjà un exercice difficile que d’en convaincre la majorité d’alors : le Gouvernement allait avoir le Parlement sur le dos neuf mois sur douze ! Finalement, cette réforme fut adoptée par le Congrès, mais moyennant une contrepartie de poids : la modification de l’article 11 de la Constitution, avec l’élargissement des possibilités offertes au Président de la République de recourir au référendum. On accordait un peu plus de pouvoir à l’Assemblée nationale mais, dans le même temps, on veillait à renforcer les pouvoirs du Président de la République.

La première nécessité est donc, je le rappelle, de réviser notre Constitution. Si l’esprit de la proposition de résolution, véritable pot-pourri, du rapporteur Warsmann est archaïque, le procédé l’est aussi : c’est sous les IIIe et IVe Républiques que l’on modifiait le règlement des chambres pour compléter ou contourner la Constitution. Nous ne sommes plus dans cette période, et pourtant, aujourd’hui encore, plutôt que de s’attaquer aux causes constitutionnelles des difficultés du travail parlementaire, on tente, en modifiant le règlement de l’Assemblée nationale, d’en supprimer les conséquences. C’est malheureusement oublier la lettre de la Constitution elle-même.

Il faut prendre pleinement la mesure de ce dont nous discutons aujourd’hui : la proposition du rapporteur ne relève pas de la simple réflexion sur l’amélioration des conditions du travail parlementaire, mais bien plus de l’économie générale de notre Constitution et de notre volonté ou non de moderniser notre vie politique. À cet égard, la question qui se pose est celle du renouvellement des pouvoirs du Parlement. Si la VRépublique, telle qu’elle est actuellement pratiquée, semble archaïque, c’est d’abord en raison de l’effacement du Parlement et du mépris même dans lequel est parfois tenu l’unique représentant légitime et pluraliste du peuple.

Cette situation découle d’ailleurs moins de l’emprise gouvernementale sur la majorité parlementaire que de l’irresponsabilité politique d’un Président qui gouverne. En effet, la démocratie, qui s’incarne dans la représentation nationale – vous et moi, mes chers collègues –, n’a jamais été plus affaiblie que lorsque les pouvoirs se sont concentrés dans les mains du Président de la République. Dépourvu de l’initiative des politiques nationales, mais sûr de la légitimité de son élection au suffrage universel direct, le chef de l’État dirige la politique nationale et internationale de la France sans base constitutionnelle. Or – faut-il le rappeler ? –, en vertu de l’article 5 de la Constitution, sa fonction est d’abord de garantir le bon fonctionnement des institutions.

Pour justifier la pauvreté des attributions laissées au Parlement par la Constitution, on se réfère généralement à l’instabilité institutionnelle des IIIe et IVRépubliques, connue sous le nom de « souveraineté parlementaire ». Un tel argument date et n’est plus acceptable. L’objectif aujourd’hui est de trouver un juste équilibre entre les excès d’hier et ceux d’aujourd’hui. Certes, le contrôle du pouvoir législatif pouvait s’expliquer en 1958, alors qu’on sortait de plus de quatre-vingts ans de toute-puissance du pouvoir législatif, régime souvent qualifié « d’assemblée », qui entraînait une instabilité gouvernementale au détriment du bon fonctionnement des institutions. Mais alors que la constitution actuelle approche de ses cinquante ans, la rationalisation du parlementarisme est bien ancrée dans les esprits. Il est temps de rendre au Parlement la place qu’il mérite dans un régime parlementaire !

Afin de donner une nouvelle légitimité politique à l’action de l’État, il est nécessaire de renouveler les relations de responsabilité mutuelle entre le Parlement et le Gouvernement. Il n’est plus acceptable que l’essentiel du pouvoir repose dans les mains des ministres, de leurs cabinets et administrations, tous responsables devant un chef de l’État, qui, lui, ne l’est pas politiquement.

Certes, le Parlement ne doit pas gouverner. Mais pour que soit effective la responsabilité du Gouvernement devant celui-ci, comme le prévoit l’article 20, alinéa 3, de la Constitution, et pour que la politique nationale soit menée en accord avec la représentation nationale, le Parlement doit être en mesure d’abord de légiférer ! Il doit pouvoir apprécier les projets de loi que lui soumet le Gouvernement, les modifier si nécessaire et participer à la programmation de leur examen. Il doit également être assuré que ces projets seront effectivement suivis d’effets et que les concessions faites par le Gouvernement durant les débats ne seront pas de simples replis tactiques. L’exemple du CPE ces dernières semaines est encore bien présent dans nos mémoires !

Le déclin de la compétence législative du Parlement est d’autant plus visible que cette compétence s’exerce désormais en majorité en dehors de ses murs : ainsi, en 2005, 63,3 % des textes intervenus dans le domaine de la loi correspondent à des ordonnances prises en application de l’article 38, dans des domaines divers et sur le fondement d’habilitations dont la durée s’étend parfois à trente-six mois. Mes sources proviennent d’un rapport sénatorial.

Le Parlement doit ensuite contrôler, c’est-à-dire avoir les moyens d’effectuer des contrôles au sein même de l’administration, pour évaluer l’efficience, l’efficacité et l’économie des politiques menées. Le Gouvernement doit lui rendre compte des politiques qu’il définit, l’associer à leur mise en œuvre, au travers d’ailleurs d’un contrôle régulant l’ordre du jour parlementaire. J’espère que vous ne me direz pas, monsieur le rapporteur, que les deux minutes d’échange que vous venez d’avoir avec le président du groupe socialiste valent concertation sur le débat que nous avons !

Il est enfin du devoir du Gouvernement de s’assurer régulièrement du soutien dont il dispose à l’Assemblée nationale. Il aurait d’ailleurs pu le faire il y a trois semaines, en pleine affaire Clearstream. Or c’est l’opposition qui a été amenée à déposer une motion de censure parce que le Gouvernement n’entendait pas s’expliquer devant la représentation nationale. On aurait attendu d’un Premier ministre digne de ce nom, qu’il vienne devant l’Assemblée nationale et appelle la majorité à le soutenir, quitte à être déjugé par celle-ci !

C’est en adoptant de tels objectifs qu’il sera possible de moderniser notre démocratie parlementaire et de remédier aux difficultés actuelles de notre travail. Cela passe d’abord, quoi qu’en dise le rapporteur, par une révision constitutionnelle, car l’esprit même de la Constitution de la VRépublique est d’encadrer les prérogatives du Parlement. Quand bien même sa grande souplesse permet des adaptations de notre régime politique en procédant d’abord à des réformes des règles de fonctionnement interne, elle limite largement les droits du Parlement. La Constitution doit donc être révisée si l’on veut rendre au Parlement la place qu’il mérite.

Ainsi, le premier facteur d’encombrement de notre calendrier réside assurément dans la fixation d’un ordre du jour prioritaire instable, peu respectueux des droits du Parlement. On ne cesse de légiférer à marche forcée ! D’ailleurs, l’un de nos anciens collègues, aujourd’hui président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud, a dit, dans une déclaration reprise par la presse du 5 janvier dernier, que « la griserie de l’annonce l’emporte bien souvent sur les contraintes austères de l’arbitrage et de la prévision », et a dénoncé « les lois d’affichage dont on mesure après coup les conséquences décevantes ou inopportunes », en faisant référence en particulier au fameux article soulignant le rôle positif de la colonisation.

L’article 48 de la Constitution doit donc faire l’objet d’une révision afin que le Parlement soit mieux associé à l’élaboration de l’ordre du jour de ses travaux. De même, un avis de la conférence des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat sur l’ordre du jour envisagé pourrait être requis lorsque le Premier ministre choisit de réunir les chambres en session extraordinaire ou d’inscrire des séances supplémentaires. L’instauration d’une véritable codécision sur la fixation de l’ordre du jour entre l’exécutif et le législatif est sans doute le moyen le plus efficace pour lutter contre l’encombrement du travail parlementaire.

De même, la qualité des débats en séance dépend de l’efficacité du travail de préparation, qui a lieu en commission. La proposition du président Debré de redistribuer les commissions, a suscité chez notre collègue Guy Teissier, qui vient de rentrer d’une mission de défense nationale à travers le monde, une émotion sans pareille.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense, rapporteur pour avis. Et bien réelle !

M. Bernard Derosier. Il a souligné tout à l’heure que ce n’était pas la bonne formule et je le dis après lui. Mieux vaudrait un nombre de commissions qui permette de valoriser le travail que les députés y effectuent.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense rapporteur pour avis. Nous sommes tout à fait d’accord sur ce point !

M. Bernard Derosier. Or par quoi sommes-nous contraints ? Par l’article 43 de la Constitution, qui limite à six le nombre de commissions permanentes.

M. René Dosière. Un véritable carcan !

M. Bernard Derosier. C’est que le constituant de 1958 ne voulait pas que le Parlement mette trop son nez dans les affaires de l’exécutif ! Cinquante ans plus tard, ce chiffre est resté intangible malgré l’augmentation du nombre de députés.

À cela s’ajoute une distorsion, non seulement dans les effectifs des commissions – celle des affaires culturelles, familiales et sociales et celle des affaires économiques, de l’environnement et du territoire rassemblant chacune un quart des députés, contre un huitième pour chacune des quatre autres –, mais aussi dans leurs charges de travail. L’augmentation du nombre de commissions permettrait de remédier à ces difficultés de fonctionnement.

En ce sens, la proposition de l’article 3 du texte adopté par la commission de donner une plus grande influence à la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne, d’en faire une sorte de septième commission, dans le cadre de la procédure législative est intéressante. Mais pourquoi ne pas aller plus loin et envisager d’en faire une commission à part entière ? Déjà en 1993, le comité Vedel proposait de porter à huit le nombre de commissions permanentes et de prévoir une commission consacrée au suivi des questions européennes.

Une telle révision est d’autant plus nécessaire que les commissions sont par excellence le lieu de réflexion sur le contenu et la rédaction de la loi. D’ailleurs, on pourrait laisser le nombre de commissions à l’appréciation des chambres en fixant dans l’article 43 de la Constitution un plafond – dix commissions, par exemple –, chaque assemblée s’organisant autour de ce chiffre.

Je me félicite, en revanche, que la procédure d’examen de certains crédits budgétaires en commission des finances élargie soit reconnue par la proposition de résolution, puisque c’est Didier Migaud qui est à l’origine de cette procédure spécifique à l’examen du projet de loi de finances initiale. Les travaux en commission élargie présentent en effet l’avantage de rééquilibrer, tant en durée qu’en importance, les deux phases de la procédure législative et de spécialiser les débats au sein des commissions en les rendant plus attractifs.

Des précautions sont toutefois nécessaires. Henri Emmanuelli, à l’époque président de la commission des finances, avait rappelé qu’il convenait d’examiner en commission élargie des budgets de départements ministériels ayant déjà donné lieu à des débats importants en séance publique. Or ce point n’est pas éclairci par la proposition de résolution.

Enfin, la formalisation des questionnaires budgétaires, adressés aux ministres responsables des crédits examinés par les commissions élargies avant leur réunion, pourrait être étudiée.

Mais l’inscription de cette procédure dans le règlement de l’Assemblée nationale devrait être associée à une réflexion approfondie sur l’impact de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 – la LOLF – sur les dispositions de notre règlement relatives à la procédure budgétaire. En effet, la seule réforme qui ait été adoptée à ce sujet a été déposée le 6 juillet 2005 et adoptée le 6 octobre 2005, peu avant l’examen du projet de loi de finances pour 2006. Alors que l’enjeu était considérable, la modernisation de la procédure budgétaire a été traitée avec désinvolture.

Ainsi, une meilleure articulation de l’examen du projet de loi de règlement avec les travaux menés lors du débat d’orientation budgétaire pourrait être précisée dans notre règlement. À cet égard, le recours aux commissions élargies pourrait être plus précoce, par exemple avoir lieu dès le printemps et il faudrait s’assurer que le projet de loi de règlement est bien examiné avant le débat d’orientation budgétaire. C’est en effet à cette condition que le Parlement pourra émettre des recommandations sur l’élaboration du projet de loi de finances pour l’année suivante et prolonger le travail entamé lors de l’élaboration de la loi organique relative aux lois de finances.

Il faut ensuite valoriser le travail réalisé en commission. Pour cela, il suffit de réviser l’article 42 de la Constitution. Celui-ci prévoit, dans son premier alinéa, que « la discussion des projets de loi porte, devant la première assemblée saisie, sur le texte présenté par le Gouvernement ». Il faut que la discussion porte alors sur le texte tel qu’amendé par la commission saisie au fond.

Si l’on veut combattre l’encombrement de l’ordre du jour, et surtout valoriser le travail rigoureux effectué par les commissions, on ne peut écarter la possibilité d’organiser le débat en séance sur la base du texte tel qu’il aura été adopté en commission. Il faut pour cela accepter l’idée que les parlementaires ont vocation à améliorer le projet gouvernemental, notamment en commission, et non à le dénaturer. Cela éviterait les redondances aussi pénibles qu’inutiles : actuellement, on voit souvent se répéter en séance les débats déjà menés en commission. Cela permettrait en outre de régler un problème que vous vous proposez de gérer en limitant le droit d’amendement. Cela redonnerait enfin au Parlement la place qu’il mérite en valorisant son travail.

Plus globalement, ces évolutions contribueraient à fluidifier efficacement la procédure législative en séance publique en multipliant les espaces d’échange entre le législatif et l’exécutif, sans nier à ce dernier son rôle moteur dans la direction de la politique nationale.

De même, toujours dans l’optique de valoriser le travail parlementaire, il est nécessaire de réduire le nombre des déclarations d’urgence. Celles-ci se sont multipliées sous la présente législature,…

M. René Dosière. C’est devenu la règle !

M. Bernard Derosier. …souvent au détriment de discussions nécessaires à la qualité de la loi. Aussi pourrait-on limiter le nombre des déclarations d’urgence que le Gouvernement peut faire au cours d’une même session ordinaire tout en permettant aux parlementaires de recourir à cette procédure, s’ils l’estiment nécessaire.

Il nous faut aujourd’hui regarder le fonctionnement de nos institutions et les difficultés du travail parlementaire avec réalisme : l’obstruction parlementaire, qu’elle soit le fait de l’opposition d’hier ou de la majorité de demain, le détournement, réel ou allégué, des motions de procédure, la longueur des discussions générales, bien souvent imputable à la majorité, résultent avant tout de la volonté parlementaire de donner traduction en séance à la responsabilité politique du Gouvernement et au contrôle politique du Parlement sur le Gouvernement qui la sous-tend. La responsabilité politique ne se réduit pas au vote d’une motion de censure. Par ailleurs, l’inflation législative et l’encombrement du calendrier parlementaire sont d’abord le fait d’un Gouvernement peu soucieux des prérogatives des élus de la nation, et non le résultat de l’incurie des assemblées parlementaires.

Ce diagnostic évident me semblait partagé par l’ensemble des groupes de l’Assemblée nationale. L’élaboration, le vote et la promulgation de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 ainsi que sa progressive mise en œuvre jusqu’à l’exercice budgétaire 2006 en témoignaient.

En effet, au-delà des clivages partisans, l’adoption de la LOLF a permis de rendre un véritable pouvoir aux parlementaires en matière de procédure budgétaire, d’adoption des lois de finances et, plus globalement, de contrôle parlementaire de l’emploi des crédits budgétaires.

Cette loi organique a introduit des changements importants dans l’équilibre des pouvoirs constitutionnels dont le plus notable est sans doute la possibilité d’amender les programmes budgétaires intégrés dans les missions soumises au vote. Didier Migaud et Michel Bouvard, comme en témoigne un article publié dans la Revue Française de Finances Publiques de mai dernier, se félicitent de la qualité de la mise en œuvre de cette loi et de son rôle dans le renforcement du Parlement.

Plus récemment, l’adoption de la proposition de loi constitutionnelle de Paul Quilès tendant à réviser l’article 34 de la Constitution afin d’élargir les pouvoirs du Parlement a prouvé qu’il était possible, dans le cadre de la discussion parlementaire, de s’accorder sur le sujet délicat des institutions de la Ve République. Si cette proposition est définitivement adoptée, elle permettra au Parlement de veiller à ce que le Gouvernement remplisse une de ses premières obligations, appliquer les lois, et de s’opposer à cette mauvaise pratique qui l’amène parfois à oublier de prendre les mesures d’application nécessaires, s’octroyant ainsi ipso facto un véritable droit de veto.

Malheureusement, la dérive autocratique l’emporte une fois de plus dans les rangs de la majorité.

Les propositions déposées par le président de l’Assemblée nationale étaient à cet égard éloquentes puisqu’elles relevaient d’une lecture partiale du système constitutionnel français, d’après laquelle les défauts du fonctionnement des institutions seraient en grande partie imputables à l’incapacité du Parlement à se réformer.

C’est ainsi que, selon le président de notre assemblée, le Parlement devrait, afin de gagner en légitimité et de favoriser l’exercice de la démocratie, recentrer son travail sur sa fonction de contrôle du Gouvernement.

Cette analyse de la rationalisation du parlementarisme, apparaît, vous en conviendrez, quelque peu datée. Le Parlement de 2006 n’est plus celui de 1958, la société française a changé.

La nécessité de développer la fonction de contrôle du Parlement, si elle est régulièrement réaffirmée, ne peut être un prétexte à une nouvelle réduction de ses débats et de son influence. N’oublions pas qu’un parlement n’a pas pour seule mission de contrôler mais également et surtout de représenter et de légiférer. Or, les propositions du président Debré dessinent un nouvel abaissement du rôle du Parlement consistant pour l’essentiel à réduire les débats parlementaires sous couvert de rationaliser l’exercice de la fonction législative.

M. René Dosière. Eh oui !

M. Bernard Derosier. Deux points réfutent la théorie du Président de l’Assemblée nationale.

Premièrement, la fonction législative est largement rationalisée par la maîtrise qu’en a le Gouvernement et, par conséquent, s’il existe une crise de la procédure législative, c’est d’abord son contrôle excessif par le Gouvernement qu’il faut dénoncer, avant de s’attaquer à la réforme du travail parlementaire. La fonction législative du Parlement est asservie au Gouvernement. La proposition de loi relative à l’accès des jeunes à la vie active en entreprise supprimant l’article 8 de la loi pour l’égalité des chances instaurant le contrat première embauche a certes été déposée par un député, mais elle a avant tout été élaborée par le Gouvernement et n’a eu pour seul avantage, en plus d’épargner au Gouvernement le passage devant le Conseil d’État, d’éviter une reculade politique.

Dès lors c’est l’usage de l’article 48, premier alinéa, de la Constitution par le Gouvernement qu’il faut dénoncer. L’usage de l’ordre du jour prioritaire est à l’origine des difficultés du travail législatif.

M. René Dosière. Tout à fait !

M. Bernard Derosier. Second point qui réfute la théorie de M. Debré : la volonté de limiter les débats parlementaires, qu’il s’agisse de la discussion des motions de procédure, des articles du projet examiné ou encore de la réaffirmation des limites de la compétence législative, devait museler un Parlement qui n’a que peu droit à la parole. Pourtant, là encore, c’est au Gouvernement d’alléger l’ordre du jour et de contrôler la qualité de ses projets de lois, notamment au regard des articles 34 et 37 de la Constitution. Ce n’est pas au Parlement de se restreindre.

Dans l’un des exposés des motifs, le Président assimile le temps consacré aux motions de procédure a du temps perdu. Mais il n’y a jamais, mes chers collègues, de perte de temps quand il s’agit d’assurer le bon fonctionnement d’une démocratie parlementaire.

M. René Dosière. Bien sûr !

M. Bernard Derosier. D’ailleurs, la proposition de soumettre les textes en discussion à un avis de la commission des lois pour qu’elle se prononce sur le caractère législatif ou réglementaire de leurs dispositions, était symptomatique d’une volonté d’effacement du rôle du Parlement. Elle équivalait à demander pardon au Gouvernement d’empiéter sur ses prérogatives, alors même que ce dernier dispose de l’ensemble des outils nécessaires pour les défendre. Bien que cette proposition ait failli être reprise ce matin en commission des lois, elle ne l’a finalement pas été et il faut s’en féliciter. Cela prouve une nouvelle fois, si besoin est, qu’une concertation aurait été nécessaire, tant pour mettre d’accord majorité et opposition que pour permettre à la majorité, elle-même, de s’accorder en son sein.

Cette démarche serait d’ailleurs implicitement revenue sur le desserrement des travaux parlementaires permis par la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 1982 sur le blocage des prix et des revenus. Celle-ci indiquait que « si les articles 34 et 37, alinéa premier, de la Constitution établissent une séparation entre le domaine de la loi et celui du règlement, […] la procédure de l’article 41 permet au Gouvernement de s’opposer au cours de la procédure parlementaire et par la voie d’une irrecevabilité à l’insertion d’une disposition réglementaire dans une loi, tandis que celle de l’article 37, alinéa 2, a pour effet, après la promulgation de la loi et par la voie d’un déclassement, de restituer l’exercice de son pouvoir réglementaire au Gouvernement ».

Que n’a-t-il fait référence à ces dispositions au moment du vote du fameux article 4 de la loi de février 2004 ! Cela aurait évité bien des ennuis au gouvernement français dans ses relations avec l’Algérie.

Cette proposition était de peu de portée mais elle avait pour vocation de rappeler au Parlement qu’il ne saurait s’exprimer en dehors du domaine que lui a assigné la Constitution. Ainsi, ajoutée à la restriction des modalités de vote et de la possibilité de déposer des motions de procédure, elle aurait provoqué un mouvement de reflux institutionnel vers une pratique identique à celle qui a prévalu immédiatement après 1958.

La première proposition de modification du règlement de l’Assemblée nationale se trompait de cible. L’encombrement de l’ordre du jour et l’inflation législative sont d’abord le fait du Gouvernement, qui pratique l’inflation normative par un recours excessif aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution.

Notre collègue Warsmann l’a visiblement compris puisqu’il a décidé de ne pas reprendre cette proposition. Mais venons-en à la proposition de résolution du rapporteur qui comporte également de nombreuses dispositions inconstitutionnelles.

M. Guy Geoffroy. Oh !

M. Bernard Derosier. Son premier article, d’abord, oblige chaque groupe à se déclarer de la majorité ou de l’opposition.

M. Jérôme Chartier. C’est très bien !

M. Guy Geoffroy. C’est plus clair.

M. Bernard Derosier. Cela heurte de front certaines règles constitutionnelles.

Il s’oppose d’abord à l’objectif de valeur constitutionnelle visant au respect du pluralisme, reconnu par le Conseil constitutionnel à de nombreuses reprises, notamment dans sa décision relative aux entreprises de presse du 11 octobre 1984. En effet, cela réduit la scène politique à deux courants seulement alors qu’elle est aujourd’hui beaucoup plus nuancée. Ce qui fait la force d’une démocratie, c’est la diversité des opinions. Réduire la scène politique à deux voix seulement est une profonde atteinte aux valeurs démocratiques.

D’autre part, cette mesure forcerait tout groupe politique à prendre position alors que certains pourraient souhaiter rester neutres : outre le pluralisme, c’est ainsi véritablement la liberté de penser qui est en cause, laquelle est protégée par l’article 11 de la Déclaration de 1789. La déclaration de politique générale que chaque président de groupe doit remettre à la Présidence est publiée au Journal officiel. Elle est largement suffisante pour déterminer ce que j’appellerai, la " couleur politique " de chaque groupe, qu’il soutienne le Gouvernement ou qu’il s’y oppose, ou bien encore qu’il souhaite adopter une troisième voie. Qui plus est, cette déclaration de politique intervient quelques jours après une campagne électorale, au cours de laquelle chacun a pu observer où se situait tel ou tel député élu.

Enfin, l’article 27 de la Constitution, dans son premier alinéa, prévoit que « tout mandat impératif est nul ». Or, cette disposition implique logiquement l’acceptation d’un mandat impératif : celui de s’opposer à la politique gouvernementale si l’on est dans l’opposition, celui de la soutenir si l’on est dans la majorité. Comment définir l’opposition, sinon en ces termes ? S’il est acceptable d’organiser les moyens des parlementaires par l’entremise des groupes auxquels ils appartiennent, il n’est pas juridiquement possible de déterminer à l’avance l’attitude des parlementaires lors des votes auxquels ils prendront part.

L’interdiction du mandat impératif, classique dans un régime de démocratie représentative et constante tout au long de notre histoire constitutionnelle, est reprise dans les articles 23, alinéa 1, et 79, alinéa 2, de notre règlement. Elle nous rappelle que le mandat détenu par chaque parlementaire est général et qu’il appartient à chacun d’entre nous de représenter l’ensemble de la Nation et d’en exprimer la volonté. Il en découle logiquement que le droit de vote des membres du Parlement est personnel. Cette interdiction du mandat impératif protège donc la liberté des parlementaires d’exercer leur mandat et a fortiori leur droit de vote.

La démocratie veut qu’il appartienne aux élus de respecter les engagements politiques qu’ils ont contractés auprès des électeurs et auprès du parti dont ils sont membres. Dans ces conditions, il est logique de pratiquer la discipline de vote. Mais, constitutionnellement, chaque élu est libre de ne pas honorer ses engagements ou, plus honorable encore, de continuer à les respecter, même si son parti ou son groupe s’en écarte. Cette méconnaissance ne saurait connaître de traduction juridique, sinon une responsabilité politique vis-à-vis du parti et des électeurs. Rappelons, au passage, que les partis sont reconnus par la Constitution.

Plus encore, s’il arrivait que la discussion d’une motion de censure, telle que celle dont nous avons débattue le 16 mai dernier, conduise à des votes discordants au sein même d’un groupe parlementaire, cette dissociation entre majorité et opposition entraînera-t-elle la dissolution dudit groupe ? Cette proposition, monsieur le rapporteur, n’est-elle destinée qu’à faire en sorte que le groupe UDF de l’Assemblée nationale se scinde ou qu’il rentre dans le rang ?

La notion d’opposition ne vaut qu’au moment d’un vote, qu’il intervienne en commission ou en séance. Tout à l’heure, en commission, monsieur le rapporteur, des membres de votre groupe se sont placés dans l’opposition par rapport à vos propositions. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Marc Roubaud. Bla-bla !

M. Bernard Derosier. Faut-il, en partant de là, que cette classification que vous nous proposez soit définitivement figée ?

Je sais que, si l’on met le doigt là où çà fait mal,…

M. Guy Geoffroy. C’est une argutie médiocre !

M. Bernard Derosier. …cela entraîne quelques cris. Monsieur Geoffroy, vous êtes un spécialiste du genre.

M. Guy Geoffroy. Facile !

M. Bernard Derosier. La notion d’opposition disparaît donc une fois que le vote a pris fin.

Dans ces conditions, les articles 1er, 2, 8 et 9 de la proposition de résolution adoptée par la commission sont inconstitutionnels – je ne mentionne plus l’article 6 qui a disparu ce matin.

Contrairement à ce qu’affirmait notre rapporteur lors de la réunion de la commission des lois du 31 mai dernier, l’article L. 167-1 du code électoral ne définit aucune notion de majorité ou d’opposition, mais traite de groupements ou de partis politiques.

Mais, si vous persistez à voter ces dispositions en l’état, je vous recommande de tirer les conséquences de la logique de vos propositions et de supprimer l’intervention des députés membres de la majorité lors de la discussion générale des projets de loi. La prise de parole du Gouvernement et des ministres concernés suffit à l’expression de la majorité. Cela donnera à l’opposition un véritable statut et réduira les débats. Cette différence entre majorité et opposition, que vous voulez cliver de façon réglementaire et définitive, a été malmenée dans les faits, ici même, au cours des mois écoulés. La mission d’information sur l’accompagnement de la fin de vie, qui a fait l’objet d’une proposition de loi votée unanimement, en est une illustration. La mission d’information sur le port des signes religieux à l’école et le vote qui en est résulté en est une autre illustration. L’effet de serre et l’utilisation des OGM ont fait l’objet de travaux qui ont recueilli un large consensus. Il en est de même de la commission d’enquête sur les dysfonctionnements d’Outreau dont Philippe Houillon présente actuellement les conclusions à la presse. Ce sont autant d’illustrations du fait que nous pouvons trouver entre majorité et opposition des points d’accord sur des sujets qui nous rassemblent. Il y a donc beaucoup de dangers, mes chers collègues, à ce que soit figée par le règlement cette appartenance à la majorité ou à l’opposition.

Pour réduire la durée des débats, vous préférez retirer la parole aux députés, surtout à ceux de l’opposition. C’est oublier que pour la représentation nationale, dans un régime parlementaire et démocratique, la délibération n’est pas l’ornement du pouvoir mais qu’elle en est le fondement. C’est la définition même de notre démocratie !

La parole des députés est ainsi limitée, voire retirée, en réduisant le temps consacré aux motions de procédure, en encadrant strictement les modalités de dépôt des amendements ensuite, en aménageant, ou plus exactement en complexifiant à outrance, la discussion des textes – mais cela est remis à plus tard, si j’en crois les propositions de notre rapporteur.

Vouloir à ce point réduire la délibération parlementaire traduit un curieux mépris pour les échanges qui ont lieu au sein de cet hémicycle : quelle est l’importance réelle de nos débats si nous acceptons que leur qualité se juge à l’aune de leur brièveté ? Quelle est la force du contrôle parlementaire s’il ne connaît pas de débouché en séance ?

La défense des motions de procédure devrait désormais se limiter à trente minutes au lieu d’une heure et demie, maximum. Je suis d’autant plus surpris d’une telle initiative, que, en juin 1999, lorsque la défense des motions de procédure fut limitée à une heure et demie, la majorité d’aujourd’hui s’était empressée de s’élever avec vigueur contre cette mesure au motif qu’elle serait attentatoire aux droits de l’opposition.

M. Jean-Marc Roubaud. Cela s’appelle évoluer !

M. Bernard Derosier. Reconnaissez-nous aujourd’hui le droit de nous y opposer ! Et demain, vous serez peut-être dans l’opposition. Vous verrez qu’il y a intérêt à disposer d’un temps suffisant pour exprimer les propositions qui sont celles de l’opposition.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je croyais qu’il y avait eu consensus sur cette modification du règlement !

M. Bernard Derosier. Visiblement, votre opinion a évolué mes chers collègues.

Pourtant, il est regrettable que soit ainsi affaiblie la possibilité pour des députés de s’exprimer lors de l’examen d’un projet de loi.

Par ailleurs, cette proposition minore le rôle des motions de procédure. Ainsi, les exceptions d’irrecevabilité sont un moyen utile à l’interprétation de la constitutionnalité des textes produits par le Gouvernement ou aujourd’hui par le président de l’Assemblée nationale. La discussion politique des normes constitutionnelles est essentielle à leur compréhension, de même que la défense d’une question préalable est un moyen utile de contrôle du Gouvernement. Or, réduire à ce point la durée de ces motions, c’est à la fois bannir du champ de la discussion parlementaire la réflexion sur les normes constitutionnelles et réduire le contrôle parlementaire du Gouvernement.

Imposer ce carcan, ce corset aux parlementaires est d’autant plus inutile qu’en cas d’urgence déclarée par le Gouvernement pour l’examen d’un projet de loi, l’article 91 alinéa 5 de notre règlement limite ces interventions à quinze minutes.

Mais pire encore est l’article 5 de cette proposition qui, s’il est adopté, viendra entamer considérablement le droit d’amendement reconnu aux parlementaires par l’article 44 de la Constitution. Le constat fait par le Président de l’Assemblée nationale – et M. le rapporteur l’a souligné –, c’est qu’il y aurait trop d’amendements. Mais, là encore je fais référence aux propos mêmes de notre président dans son discours du 3 janvier 2006. Il a fait la démonstration que les projets de loi présentés par le Gouvernement étaient précipitamment rédigés et justifiaient de ce fait que soient déposés des amendements.

En application de cet article de la proposition limitant la possibilité d’amendement des députés, sauf décision contraire de la Conférence des présidents, les amendements doivent être présentés au plus tard la veille de la discussion de ce texte à dix-sept heures. Les autres amendements ne pourront plus être mis en discussion.

Ce mécanisme s’inspire de la modification d’octobre 2005 de l’article 118 du règlement de l’Assemblée nationale, qui prévoit désormais un tel régime pour les amendements aux articles de la seconde partie du projet de loi de finances.

Une telle modification était justifiée au regard de la spécificité de la procédure budgétaire, mais également du fait que cette restriction ne s’impose qu’à une partie très limitée du projet de loi de finances initiale. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel, saisi de cette réforme, a indiqué, dans sa décision du 13 octobre 2005, que cette disposition ne concerne que les amendements, et non les sous-amendements, lesquels peuvent être déposés ultérieurement.

Le but affirmé de cette disposition est d’assurer la clarté et la sincérité du débat parlementaire. Or la proposition que vous faites est en contradiction avec cette exigence. Elle concerne en effet le texte dans son ensemble et elle conduit à rejeter l’exercice du droit d’amendement en dehors de l’examen du texte pour le cantonner à la phase préparatoire de cet examen. Le Conseil constitutionnel a, sur ce point, rappelé que le travail en commission était certes une phase de la procédure législative, mais une phase préparatoire. En dehors de cette phase préparatoire, le dépôt des amendements devra-t-il être rejeté en dehors de la procédure législative, c’est-à-dire entre la discussion en commission et la séance ? Telle est la question.

Cette disposition est manifestement inconstitutionnelle puisque la limitation qu’elle propose est disproportionnée au regard des objectifs d’allégement de la procédure législative qu’elle se fixe. Ainsi, on réduit d’abord le délai de dépôt des amendements, on interdit ensuite à tout député de déposer des amendements hors délai, laissant cette prérogative aux seuls membres du Gouvernement et de la commission saisie au fond, interdisant par là également tout amendement d’une commission saisie pour avis. Sans être véritablement certain que ces mesures permettent d’atteindre les objectifs fixés, elles auraient inévitablement d’autres conséquences, contredisant la Constitution : limiter démesurément le droit d’amendement des députés, d’une part, et, instaurer une nouvelle inégalité entre Gouvernement et parlementaires, d’autre part.

Or le droit d’amendement est protégé par l’article 44 de la Constitution, lequel rappelle ainsi l’un des droits, voire l’un des devoirs les plus fondamentaux des parlementaires : faire la loi.

En encadrant trop largement la procédure de dépôt des amendements, on prive cette disposition constitutionnelle de toute sa portée, on empêche les députés de faire leur travail.

De même, le 3° du paragraphe I de cet article 5 interdirait désormais à tout député de déposer des amendements au cours de la séance, ce qui est possible aujourd’hui sous réserve que ces amendements soient acceptés par la commission ou par le Gouvernement. La nouvelle disposition n’offrirait plus cette possibilité qu’à ces derniers. C’est oublier que tous les députés ont le droit et le devoir de faire la loi, que tous contribuent à exprimer la volonté générale ainsi que le veut l’article 6 de la Déclaration de 1789, que tous représentent la souveraineté nationale ainsi que le précise l’article 3 de la Constitution. C’est ainsi, une nouvelle fois, heurter de front le droit d’amendement des parlementaires garanti par l’article 44 de la Constitution, mais également violer son article 3 ainsi que l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Par ailleurs, cette mesure introduirait une nouvelle inégalité entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Celles-ci ne sont déjà que trop nombreuses : n’aggravons pas la situation. En effet, seuls les députés seront soumis à l’obligation de délai, nullement le Gouvernement. Or cette inégalité est inconstitutionnelle. En effet le premier alinéa de l’article 44 place les membres du Parlement et du Gouvernement sur un strict pied d’égalité concernant le droit d’amendement. Cela s’appliquerait aussi bien aux députés de l’opposition qu’à ceux de la majorité.

Disposer dans la même phrase que « les membres du Parlement et du Gouvernement ont le droit d’amendement » sous-entend que ce droit a la même valeur et la même portée pour les uns et pour les autres et ne saurait souffrir de mises en application par trop discordantes entre ces deux institutions.

Il faut donc, soit retirer cette réduction de délai, soit l’appliquer à tous, c’est-à-dire aux parlementaires et au Gouvernement, mais cela passe par une modification de la Constitution. Si l’on adoptait cette disposition, laquelle permettrait, seulement dans cette rédaction, de garantir le principe de clarté et de sincérité du débat parlementaire, il faudrait alors également permettre que la préparation des amendements soit éclairée de tous les moyens nécessaires, à commencer par le rapport de la commission. Il conviendrait donc de prévoir que celui-ci devrait être déposé au moins deux jours ouvrables avant l’ouverture des débats. C’est ainsi, et seulement ainsi, que la clarté et la sincérité du débat parlementaire seraient garantis.

On peut d’ailleurs s’interroger sur l’intérêt réel d’une telle disposition quand l’article 44 de la Constitution, dans son deuxième alinéa, prévoit : « Après l’ouverture du débat, le Gouvernement peut s’opposer à l’examen de tout amendement qui n’a pas été antérieurement soumis à la commission. » Mais là encore, la majorité se trompe de cible, car c’est à l’évidence la Constitution qu’il faut réformer.

En dernier lieu, la parole des députés serait désormais brimée au sein même de la discussion d’un texte. Il faudrait dorénavant choisir entre la défense des motions de procédure, l’intervention en discussion générale, la discussion des articles, voire la défense des amendements déposés. C’était le projet initial du président de l’Assemblée nationale ; le rapporteur nous a dit avoir retiré cette disposition, à la demande du président du groupe de l’UMP. Je ne m’attarderai donc pas sur les arguments que je voulais développer pour démontrer le caractère inconstitutionnel de cette disposition.

Mes chers collègues, je demeure persuadé que les droits de l’opposition seront mieux respectés si la responsabilité politique du Gouvernement devant le Parlement est mise en jeu plus régulièrement.

M. René Dosière. Très juste !

M. Bernard Derosier. Ainsi, le Premier ministre devrait avoir l’obligation d’engager la responsabilité de son Gouvernement sur son programme dans les jours qui suivent sa nomination. En effet c’est bien sur l’interaction du Premier ministre et du Gouvernement avec le Parlement que la réflexion doit porter. En renforçant les pouvoirs financiers du Parlement, la LOLF a affermi la participation des élus de la nation à l’élaboration et au contrôle de la politique gouvernementale. Ce renforcement de l’appropriation parlementaire de la politique menée par le Gouvernement doit être approfondi.

Par ailleurs, l’article 20 de la Constitution pourrait préciser que le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation « sous le contrôle du Parlement ».

Ce contrôle se concrétiserait dans l’obligation inscrite à l’article 49 de la Constitution pour tout nouveau gouvernement de solliciter l’approbation de son programme devant l’Assemblée nationale, mais aussi dans l’organisation, à chaque printemps, avant le débat d’orientation budgétaire, d’un vote sur l’exécution et les perspectives du travail gouvernemental.

Quant aux commissions permanentes, dont il faudrait accroître le nombre, leurs présidents devraient être désignés proportionnellement aux poids des groupes parlementaires qui composent l’Assemblée nationale plutôt que d’octroyer l’une des présidences comme une aumône à l’opposition.

Enfin, les droits de l’opposition dans la constitution des commissions d’enquête seraient utilement renforcés par la possibilité donnée à soixante députés d’en créer une. Cela encouragerait un exercice plus responsable du contrôle parlementaire. Ces commissions disposent en effet de pouvoirs significatifs, qu’il s’agisse des contraintes qu’elles peuvent exercer à l’égard des personnes dont elles jugent l’audition utile, de leur pouvoir d’enquête sur pièce et sur place, mais aussi de leur collaboration avec la Cour des comptes. Le statut de l’ensemble des parlementaires, de l’opposition comme de la majorité, en serait amélioré.

Ce serait donc une erreur de méconnaître la portée de cette proposition de résolution en la cantonnant à la rénovation du travail parlementaire. Ce sont bien plus profondément les règles de fonctionnement de notre régime parlementaire qui sont en jeu. Or ce texte contrevient à nos règles constitutionnelles.

Plus encore, en consacrant un véritable abaissement du Parlement, cette réforme rendra arides nos discussions et poussera le débat politique hors de notre enceinte, au mieux au sein des commissions, au pire dans les administrations chargées de rédiger les textes que nous voterons sans les discuter.

Convenez, chers collègues, que l’on a rarement vu présenter une proposition de modification du règlement dont l’objectif affiché est de renforcer les droits de l’opposition sans que celle du moment ait été consultée, si ce n’est quelques minutes – que dis-je : quelques secondes ! – d’échange entre le président du groupe socialiste et le rapporteur !

M. René Dosière. Il fallait le faire !

M. Christophe Caresche. Sans non plus que la majorité soit consultée !

M. Bernard Derosier. On sait par avance que l’opposition votera contre cette proposition. C’est une mascarade à laquelle nous ne participerons pas. Il semble que le président de l’Assemblée nationale ait viré au marxisme léninisme révolutionnaire en voulant faire le bonheur de l’opposition malgré elle ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Cousin. C’est un expert qui parle !

M. Guy Geoffroy. Chez les marxistes, il n’y a pas d’opposition !

M. Bernard Derosier. Ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas, monsieur Geoffroy ! Je vous invite à mettre vos prochaines vacances à profit – peut-être même celles dont vous bénéficierez après les prochaines législatives ! – pour lire Marx.

M. Guy Geoffroy. On connaît les pratiques qui ont découlé du marxisme : là où les communistes et les socialistes sont au pouvoir, il n’y a pas d’opposition !

M. Antoine Carré. En effet !

M. Bernard Derosier. Je m’attendais à une telle animation et je remercie M. Geoffroy d’y avoir contribué !

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Derosier.

M. Bernard Derosier. Il me reste encore quelques minutes, monsieur le président, mais je n’abuserai pas de mon temps de parole.

Bref, cette volonté de faire le bonheur de l’opposition malgré elle est significative.

Mes chers collègues, il vous reste encore une possibilité de ne pas vous faire déjuger par le Conseil constitutionnel, dont vous savez qu’il sera automatiquement saisi des modifications que vous vous apprêtez à voter. Évitez cet affront et votez notre exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Chacun a bien compris que l’intervention de M. Derosier n’est qu’un mauvais procès fait au président de l’Assemblée qui a mené la consultation, et à moi-même, qui ai pris contact avec chacun des groupes parlementaires ; Jean-Marc Ayrault est venu m’en donner acte tout à l’heure. (« Ah ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Derosier. Vous faites parler les absents !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. J’ai entendu que les grands principes – jusqu’à la liberté de penser – seraient menacés. J’espère, mes chers collègues, que si un jour la liberté de penser est menacée en France, il se trouvera plus que trois députés socialistes pour siéger et venir s’y opposer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Derosier. Argument facile ! L’Assemblée ne siège pas d’ordinaire le mercredi matin !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Il s’agit bien d’une mascarade, mais de votre part !

En tout cas, vous avez avancé de nombreuses contrevérités.

J’ai ainsi entendu que cette législature aurait battu le record de demande d’examen en urgence par le Gouvernement. Savez-vous quand ce record a été battu ?

M. Guy Geoffroy. Entre 1997 et 2002 !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Gagné, monsieur Geoffroy ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

En effet, il y eut soixante-deux demandes d’examen en urgence entre 1997 et 2002 alors que nous n’en sommes qu’à quarante et une.

Et durant ces vingt dernières années, la législature qui a battu tous les records est celle de 1988-1992 avec 129 déclarations de l’urgence ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Alors, monsieur Derosier, cessez de nous asséner des contrevérités.

Autre exemple : nous obligerions les groupes à dire s’ils sont dans la majorité ou dans l’opposition.

M. Guy Geoffroy. Caricature !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Nous n’obligeons personne. Nous nous contentons de prévoir des droits pour l’opposition et chacun sera invité à dire s’il fait partie ou non de l’opposition.

M. Guy Geoffroy. C’est plus clair et plus respectueux du peuple !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Nul n’y sera obligé.

Nous sommes en train de franchir une étape importante pour le Parlement en construisant un statut de l’opposition. L’avenir retiendra simplement que certains l’ont fait et que d’autres s’y sont opposés.

M. Guy Geoffroy. Les anciens et les modernes !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Finalement, une vérité est apparue au terme de ce long discours : l’opportunité de limiter, sauf décision contraire, la durée des motions de procédure à trente minutes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je vous invite donc, mes chers collègues, à rejeter l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Merci, monsieur le rapporteur pour la brièveté de votre intervention.

Dans les explications de vote sur l’exception d’irrecevabilité, la parole est à M. Jérôme Chartier, pour le groupe de l’UMP.

M. Jérôme Chartier. Je serai également bref car le rapporteur a tout dit.

L’intervention de M. Derosier a comporté trois thèmes.

M. Bernard Derosier. C’est facile !

M. Antoine Carré. Deux mots auraient suffi !

M. Jérôme Chartier. D’abord, il a affirmé qu’on ne respecte ni la lettre ni l’esprit de la Constitution, ce qui lui a pris quarante minutes.

Ensuite, il a parlé du déclin de la compétence législative et suggéré l’augmentation du nombre des commissions, pendant une demi-heure.

Enfin, il a consacré vingt minutes à l’opposition, au pluralisme et aux motions de procédures.

Voilà résumé en trente secondes ce que M. Derosier a développé en une et heure et demie. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Je vous laisse imaginer l’argent que l’on a dépensé pour que M. Derosier se fasse plaisir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jacques Brunhes. Chacun peut le constater : la crise des institutions s’aggrave ; le Parlement est humilié. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Un chroniqueur célèbre expliquait ce matin à la radio…

M. Jérôme Chartier. Radio Moscou !

M. Jacques Brunhes. …que nous étions comme aux temps du Tribunat et du Corps législatif : nous discutons sans voter ou votons sans discuter. Il ajoutait que le Parlement ne faisait que regarder passer les trains. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Ces propos ont été tenus par Alain Duhamel. (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Nous avons tous en mémoire les dérives monarchiques des uns…

M. Guy Geoffroy. Mme Royal !

M. Jacques Brunhes. …et la monarchie constitutionnelle des autres ; en l’occurrence, respectivement François Mitterrand et Jacques Chirac.

La commission Vedel a tenté de combattre ces dérives, mais sans effets. Tous les présidents de l’Assemblée nationale constatant ces dérives ont cherché à améliorer le fonctionnement de l’Assemblée par le biais du règlement.

Nous avons dit chaque fois, même pour des réformes importantes, que ces adaptations fonctionnelles ne changeraient rien quant au fond. J’en prends deux exemples.

À propos de la session unique voulue par le président Séguin, nous avions souligné à la tribune qu’elle ne réglerait pas le problème de l’absentéisme parlementaire qui est lié à l’absence de pouvoirs du Parlement. C’est parce que l’Assemblée nationale n’a pas de pouvoir qu’il y a un tel absentéisme.

M. Derosier ne m’a pas permis de l’interrompre ; il a eu tort (« Oui ! Oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) car j’aurais apporté de l’eau à son moulin avec la définition que le Larousse donne du mot « niche » : « Renfoncement ménagé pour recevoir un objet décoratif ». C’est dire le côté péjoratif qui lui est attaché. La niche parlementaire est d’autant plus humiliante que la proposition n’est jamais examinée jusqu’au bout car la majorité actuelle interdit qu’on aille au-delà de la discussion générale dès qu’un texte est important.

Nous sommes donc face à une dérive particulièrement grave que les adaptations fonctionnelles proposées, même les plus importantes, ne sont pas parvenues à corriger. Or l’adaptation fonctionnelle qui nous est soumise aujourd’hui est la plus minime que j’ai jamais vue depuis vingt-neuf ans que je suis élu sur ces bancs. Ce n’est qu’une réformette, fondée sur le plus petit dénominateur commun.

M. Christophe Caresche. Et il ne reste plus grand-chose !

M. Jacques Brunhes. Vous voulez dire qu’il ne reste plus rien !

Pourtant le président Debré, lors de son discours à l’Élysée le 3 janvier, avait exprimé des idées très intéressantes. Mais elles ne sont pas mises en œuvre : la majorité ne veut pas traiter le problème de fond auquel nous sommes confrontés.

C’est pourquoi notre groupe votera l’exception d’irrecevabilité.

M. le président. Je mets aux voix l’exception d’irrecevabilité.

(L’exception d’irrecevabilité n’est pas adoptée.)

Question préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. René Dosière.

M. Jérôme Chartier. Monsieur Dosière, abrégez notre souffrance !

M. Pierre Méhaignerie. M. Dosière est intelligent !

M. Jérôme Chartier. C’est un parlementaire remarquable qui traite des vrais sujets. Il ne fera pas perdre de temps à l’Assemblée !

M. René Dosière. Monsieur le président, mes chers collègues, quel est l’objet d’une question préalable ? Il s’agit de se prononcer sur l’opportunité d’un texte en constatant qu’il n’y a plus lieu d’en débattre et éviter ainsi à l’Assemblée de perdre du temps en engageant une discussion générale puis un examen méticuleux des articles sur une thèse qui n’est pas en état d’être soutenue devant le jury parlementaire. Cela revient à dire poliment mais solennellement que ce brouillon doit être corrigé avant qu’on puisse songer à l’examiner un jour.

Au fond, pourquoi doit-on repousser un texte ? Soit parce qu’il a été mal préparé, soit parce qu’il est confus, soit parce qu’il est hétéroclite, soit parce qu’il ne sert pas à grand-chose, ou encore parce qu’il fait courir à l’Assemblée le risque de se diviser inutilement, au moment précis où il faudrait s’unir, ou bien parce qu’il apporte de mauvaises réponses à des questions qui ne sont pas les bonnes, bref, parce que c’est un texte qui n’est pas digne du Parlement d’aujourd’hui ni de celui de demain.

Or les textes qui nous sont soumis réussissent l’exploit de présenter tous ces défauts à la fois.

Ils ont été très mal préparés. Ces onze propositions de Jean-Louis Debré, dont je salue par ailleurs la volonté de restaurer le rôle du Parlement et l’action pour préserver les droits de l’opposition, n’ont fait l’objet d’aucune concertation, ni avec le bureau, ni avec les groupes politiques, ni avec la conférence des présidents. Certes, monsieur le rapporteur, il y aurait eu des « contacts gastronomiques », autrement dit des déjeuners de travail, mais ils ne sauraient tenir lieu de véritable concertation.

Devant la commission des lois, monsieur le rapporteur, vous avez ajouté une idée-pivot, celle des débats renforcés, mais, ce matin, dans un second rapport, ce qui constitue d’ailleurs une première, cette disposition ne figure pas.

Une douteuse précipitation a conduit à inscrire cette affaire dès aujourd’hui à l’ordre du jour, comme si cela s’imposait de toute urgence. Quel florilège pour la réforme de notre charte, le règlement, et quel brillant exemple d’un Parlement prétendument rénové démocratiquement !

Ce texte est également hétéroclite car il juxtapose des dispositions qui n’ont rien à faire ensemble et passe sous silence d’autres éléments qui devraient logiquement accompagner ceux qui nous sont proposés.

Il a pour effet immédiat de diviser inutilement l’Assemblée au moment où le souci de renouveau d’un Parlement déprimé devrait réunir toutes les énergies à l’approche de l’ expiration de la législature.

Il est parcellaire et ne traite pas en profondeur les thèmes qu’il aborde.

Enfin, non seulement il apporte de mauvaises réponses aux questions qu’il soulève, mais ces questions ne sont pas les bonnes, celles qui mériteraient que nous nous interrogions tous ensemble.

Bref, c’est une occasion manquée, qui vient ternir notre règlement plutôt que l’honorer.

Or le règlement des assemblées n’est pas une somme plus ou moins bien agencée de dispositions parcellaires. Ce n’est pas un moyen de combler les blancs du droit parlementaire. Il ne vise pas seulement à compléter, à interpréter, voire à détourner les autres dispositions fixées par le droit positif. Il ne tend pas à se substituer à de longs usages et à des coutumes tenant lieu de précédents, codifiés par des auteurs célèbres. Il n’est pas un petit livre rouge, même si on le brandit parfois en séance, pour rappeler son existence, prétexte saisi davantage pour traiter d’un sujet lié à une préoccupation du moment qu’à l’inapplication indiscutée de l’un de ses articles. L’essentiel n’est pas là.

Le règlement est un élément primordial, substantiel de la vie parlementaire. Il est la charte acceptée par tous qui permet d’exister ensemble, il fonde l’unité collective. Il constitue la règle du jeu, écrite, qui s’impose à chaque député et qui demeure, quelles que soient les vicissitudes de l’Assemblée et les majorités en place. C’est une référence durable qui doit être rarement modifiée – et seulement dans l’intérêt de l’ensemble de l’institution – et être suffisamment claire pour ne pas laisser à une instance ou à une personne la possibilité de l’interpréter en fonction des circonstances.

Ce n’est donc qu’avec d’infinies précautions qu’on peut l’amender et, d’abord, avec l’accord de chacun. Sans aller jusqu’à réclamer une unanimité qu’il mériterait, il sollicite l’adhésion des diverses sensibilités. Il ne doit jamais traduire le succès d’une majorité sur une minorité. Il ne peut être imposé dans ses dispositions essentielles. Il ne méprise pas certains au profit de quelques détenteurs d’un pouvoir éphémère. Il n’a aucun droit à être oppressif.

La démarche de révision pourtant s’imposait ici d’elle-même, mais vous ne l’avez pas suivie. L’usage veut dans d’autres chambres, françaises et étrangères, que le président de l’assemblée réunisse pour cela une équipe pluraliste, représentative de tous les groupes. On y débat et on y décide ensemble de ce qui vaut d’être toiletté, rénové ou complété. On sollicite l’accord le plus large possible et même celui de tous. On entreprend alors, non un ravaudage personnel, mais une œuvre collective. Chaque participant demande l’avis des collègues dont il est proche ou représentatif. Des avant-projets circulent. Des idées sont échangées. C’est l’affaire de tout le monde et non des spécialistes proclamés. L’examen par la commission s’en trouve facilité. La séance publique devient une rencontre qui tient lieu de fête, puisque c’est la communauté entière qui a décidé d’améliorer ses règles de vie. Dans ce cas, personne n’a l’idée de déposer une question préalable, de la soutenir avec ténacité et d’argumenter pied à pied.

Force m’est aujourd’hui de vous demander tout autre chose : décider, par votre vote, de ne pas poursuivre la discussion de ce texte dont les conditions d’élaboration sont déjà si contraires à ce qui devrait témoigner de l’unité d’esprit et d’action de notre assemblée.

J’entends bien l’objection qui nous a été faite : sous la majorité socialiste, deux modifications du règlement ont été opérées grâce au seul vote de la majorité. Permettez-moi d’y revenir.

La réforme de 1998, qui, je le concède, n’a pas fait l’objet de concertation préalable, visait à revenir aux séances de nuit et à supprimer en conséquence les séances du matin – séances qui n’incitent guère les députés à êtres présents car c’est le moment où les groupes politiques se réunissent –, à créer une journée dévolue à l’ordre du jour fixé par les parlementaires, le vendredi – ce qui n’a pas déclenché l’enthousiasme de l’Assemblée –, et, enfin, à aménager la procédure d’examen simplifié.

Convenez avec moi qu’il s’agissait de points mineurs, qui n’étaient pas susceptibles de faire l’objet d’une très forte contestation. Néanmoins, sur tous les bancs, se sont exprimées des oppositions au retour aux séances de nuit ou à la fixation le vendredi des niches parlementaires.

Philippe Houillon, qui n’était pas encore président de la commission des lois mais porte-parole du groupe UDF, déclarait alors, à propos du retour aux séances de nuit : « Nous soutenons cette initiative réclamée unanimement. » S’agissant de l’aménagement de la procédure d’examen simplifiée, il indiquait : « C’est une réforme nécessaire et raisonnable. » Avec le choix du vendredi, il exprimait un désaccord, qui dépassait d’ailleurs les seuls groupes de l’opposition. Pour expliquer l’abstention de son groupe, il concluait en disant qu’il s’agissait d’une « réforme insuffisante, décevante et peu ambitieuse ». Quant au groupe RPR, son porte-parole, qui n’était autre que Jean-Louis Debré, indiquait, de manière plus concise, qu’il voterait contre.

La réforme de 1999 a, elle, fait l’objet d’une concertation. À notre collègue Rudy Salles qui protestait à ce sujet, le rapporteur, Raymond Forni, répondait : « Ces propositions ont fait l’objet d’une concertation. J’ai pris le temps de rencontrer tous les présidents de groupe de l’opposition et de la majorité et ce, à plusieurs reprises. Tous les présidents de groupe m’ont donné leur accord sur cette réforme. Tous, M. Debré, M. Douste-Blazy, M. Rossi, M. Bocquet, M. Ayrault, m’ont incité à renoncer à une partie de ce que nous propositions, ce que je fais bien volontiers. » Il s’agissait alors de ne pas poursuivre dans la voie d’une globalisation du temps de parole dans le cadre de la discussion générale et de la discussion des articles. On voit là comment la concertation a permis à notre assemblée de s’accorder sur la réforme proposée.

Après ce rappel du passé, j’en viens au fond. Quel est le contenu de ces propositions ?

J’observe d’abord que, sur les onze souhaits de Jean-Louis Debré, deux, puis encore un ce matin, sont passés aux oubliettes, ce qui n’est pas très gentil envers lui, car il y tenait personnellement.

Le premier visait à mieux faire respecter, tant par les députés que par le Gouvernement, le principe de la séparation des domaines de la loi et du règlement. Il n’avait pas beaucoup de chances d’aboutir car la distinction opérée par les articles 34 et 37 de la Constitution s’était révélée, à l’usage, inapplicable. Cette résolution juridique, proclamée en 1958, avait été vidée de sa substance par le Conseil constitutionnel qui, au prix d’une jurisprudence élaborée par étapes, avait pratiquement et habilement renoncé à être le garde frontière entre ce qui relevait de la loi et ce qui relevait du règlement lorsqu’il s’agissait d’examiner le contenu d’un texte de loi.

Et puis, le Gouvernement avait cessé, depuis des années, de brandir l’article 41 de la Constitution. Il eût sans doute été malvenu, en organisant devant notre assemblée une procédure de vérification qui ne pouvait atteindre à la sévérité des dispositions applicables à l’usage de l’article 40, de risquer de donner des verges pour se faire battre. Peut-être est-ce fâcheux, mais le problème de la distinction, dans les projets, les propositions et les amendements, entre la loi et le règlement est insoluble, même pour les virtuoses du découpage et du charcutage.

L’autre souhait de Jean-Louis Debré, abandonné par le rapporteur, portait sur une répartition plus équitable des compétences entre commissions permanentes. Pour l’essentiel, l’auteur constatait qu’il était nécessaire de remédier à la différence des charges entre les commissions, compte tenu de l’évolution des contenus à examiner et de l’impossibilité relative d’augmenter le nombre de ces instances : il faudrait en effet réviser l’article 43 d’une Constitution que l’on croyait plus malléable et flexible.

On aurait donc scindé la commission des affaires culturelles familiales et sociales et l’on aurait regroupé celles des affaires étrangères et de la défense. Pour l’occasion, on aurait imité le Sénat qui pratique cette répartition avec bonheur depuis longtemps. Les corporatismes en ont décidé autrement et la proposition présidentielle a fait flop ! C’est dommage. Ainsi que l’indique pudiquement le rapporteur : « La réflexion sur cette question n’est pas encore aboutie et tous ne sont pas prêts à franchir le pas. » Qu’en termes choisis ces choses-là sont dites ! (Sourires.)

Alors, que reste-t-il dans ce texte ? La transformation du fait en droit, en trois circonstances et demie, et des dispositions hétéroclites mais regroupées par le rapporteur. Examinons ces points de plus près.

Vous nous offrez, avec l’article 7, l’occasion de pérenniser la procédure des commissions élargies en matière budgétaire, c’est-à-dire des réunions communes de la commission des finances et de la ou des commissions saisies pour avis. Cela ne coûte rien d’insérer ce principe dans le règlement, d’autant que l’on ajoute aussitôt que la conférence des présidents en décidera l’application. Cependant il faut aller plus loin en réfléchissant aux suites à donner au sein d’un groupe de travail pluraliste.

La présentation et la discussion du budget sous forme de missions conduiront inévitablement à remodeler les conditions de son examen et les structures qui y contribuent. Les contours de la commission des finances devront être revus, des procédures nouvelles devront être imaginées. Le problème n’est pas de gagner du temps en évitant les redondances ou les doublons entre examen et débat en séance, mais de conquérir de l’efficacité, sinon la trilogie « litanie, liturgie, léthargie » que dénonçait autrefois Edgar Faure réapparaîtra sous d’autres formes.

La logique de la LOLF, cette quasi-constitution financière que nous avons adoptée à l’unanimité après une très large concertation entre tous les groupes, doit nous conduire à revoir le calendrier de la discussion parlementaire, l’objet de cette loi étant précisément de permettre au Parlement de contrôler l’action et les résultats obtenus par les ministères. Il n’est plus temps de leur accorder des crédits qui sont, de toute façon, globalisés, et que les ministères peuvent utiliser à leur guise et transformer, pour atteindre ces fameux résultats. L’essentiel est aujourd’hui d’examiner si, compte tenu des crédits qui leur ont été accordés, les ministères sont parvenus à obtenir ces résultats et, le cas échéant, de comprendre pourquoi l’argent a été mal utilisé.

Pour effectuer ces tâches de contrôle, la discussion de la loi de règlement ne doit plus être réduite à quelques heures, voire à deux jours comme cette année, tandis que celle qui consiste à accorder des crédits aux différents ministères dure un mois. Il faut quasiment inverser la situation, faire en sorte que les rapports de nos collègues s’attachent davantage à vérifier les résultats obtenus plutôt qu’à disserter sur le montant des crédits accordés alors que l’on sait que chaque ministère pourra les utiliser comme il le souhaite. Voilà une réforme fondamentale, sinon la LOLF ne pourra pas être mise en application, car nous n’aurons absolument pas les moyens d’opérer ce contrôle.

Parmi les dispositions que vous conservez figurent celles des articles 8 et 9 qui introduisent dans le règlement une heureuse initiative de notre président. Bien sûr, il faut renforcer nos moyens de contrôler le Gouvernement, voire l’administration. Certes, on peut insérer dans le règlement les dispositions relatives aux missions d’information et d’évaluation, comme on peut y glisser le pluralisme dans les commissions d’enquête dont l’expérimentation a été satisfaisante. Mais cela suffit-il ? Comment rendre efficace notre représentation dans de multiples organismes et y assurer le pluralisme de notre assemblée, sinon peut-être en nommant un représentant de la majorité et un autre de l’opposition chaque fois que l’on doit désigner deux représentants ? Aujourd’hui, ce n’est pas ce qui se passe.

Pourquoi ne pas regarder ce qui se pratique dans d’autres pays ? Pourquoi être toujours en retard dans nos initiatives de contrôleur, d’enquêteur, de chercheur, d’investigateur ? Pourquoi ne pas recourir davantage à des experts, notamment universitaires ? Pourquoi faut-il que la majorité soit toujours nécessaire pour créer une commission d’enquête ? La parité ne devrait-elle pas toujours exister ?

Quant à l’Europe, on ne peut qu’approuver les dispositions de l’article 3 de la proposition, qui enfoncent une porte entrouverte. Mais allons plus loin, que diable ! Comment articuler, dans des espaces nouveaux, le travail de la délégation et celui des commissions ? Faut-il que ces dernières examinent systématiquement la dimension européenne de tout ce qu’elles abordent ? Comment résoudre le problème de notre inattention aux conventions internationales, dont nous ne mesurons pas toujours la portée ? La liste serait longue de ce à quoi majorité et opposition devraient réfléchir ensemble.

Majorité et opposition, voilà bien ce qui préoccupe et agace sur les bancs de la droite, bien plus que la restauration d’un Parlement moins bridé qu’on ne le dit et qu’il ne le croit, et qui pourrait prendre tant d’initiatives si l’on cherchait un peu plus de consensus.

L’article 1er de cette proposition est superbe. Les députés de la prochaine législature diront, dès leur arrivée, s’ils appartiennent à la majorité ou à l’opposition. On ne saurait mieux reconnaître que nous vivons dans un régime où le principe majoritaire gouverne tout. Ces mots magiques « majorité et opposition » ne figuraient pas encore dans nos documents officiels. Grâce à vous, mais quarante-quatre ans après être apparus dans les faits en 1962, ils vont y faire une entrée solennelle. On applaudirait si vous ne nous faisiez aussitôt comprendre qu’il s’agit d’intégrer, non un système laissant une certaine souplesse de fonctionnement, mais un mécanisme majoritaire avant tout rigidifié et inégalitaire.

J’en veux pour preuve ces trois questions pratiques.

Que feront les non-inscrits qui devront faire déclarer leur appartenance par leur président, alors que, par définition, ils n’ont pas de président ?

M. Alain Vidalies. Bonne question !

M. René Dosière. Que feront ceux qui votent, tantôt avec la majorité, tantôt avec l’opposition, et se déterminent au cas par cas, puisque vous voulez leur faire choisir entre les deux notes du tambour dont chacun sait que c’est l’instrument le plus riche musicalement ? Pourquoi ne pas le leur demander tout de suite, plutôt que d’attendre la prochaine législature ? Ne serait-ce pas un règlement de compte déguisé ?

Enfin, que deviendront ceux qui voudront franchir le Rubicon en cours de législature ? Comment feront ces nouveaux Churchill ?

Je poursuis mon propos en posant deux questions de méthode. N’est-il pas indécent de demander à chacun de se définir par rapport à ce binôme sans même en avoir discuté avec les représentants de l’opposition actuelle ? Vous croyez-vous à l’époque de la charte octroyée ? Vous tirez dès l’abord des conséquences de l’existence du duo majorité opposition, alors que vous n’avez pensé ni à proposer ni à discuter avec nous le contenu et même le principe d’une vraie charte de l’opposition. Si vous estimez que cela signifie de facto que l’opposition disposera des mêmes prérogatives que celles des Îles britanniques dont l’exemple est connu, dites-le clairement pour que nous puissions nous en réjouir.

Bref, nous ne sommes pas très informés des conséquences de cette novation sémantique puisque, là encore, il n’y a pas eu de débat préalable et pluraliste. Vous comprenez bien, par contre, que, sans même définir les principes, vous en avez tiré déjà des conséquences.

Aujourd’hui, il y en a deux. La première est de proposer à la future opposition, peut-être vous-même, une présidence de commission. Vous aviez d’abord songé au poste de rapporteur général, position un peu ubuesque, puisque vous auriez condamné cette personnalité à faire le grand écart. Comment, en effet, appartenir à l’opposition, en ayant pour fonction de suivre et défendre le budget accepté par le Gouvernement ? Et, ce matin, vous nous avez refusé la présidence d’une deuxième commission. Sur six commissions, vous ne proposez qu’une présidence, c’est-à-dire que, par hypothèse, l’opposition équivaudrait à un sixième de la majorité. J’avoue que c’est une nouvelle et subtile égalité mathématique qu’il faudrait intégrer dans nos programmes scolaires. Je plaindrais alors nos pauvres enfants.

En vérité, il faut aller plus loin. La limitation à six du nombre des commissions permanentes, née d’un souci de rigueur, est devenue absurde. Outre que leur découpage donne à certaines une charge de travail très légère tandis que d’autres sont tenues à des rythmes que Stakhanov lui-même aurait trouvés pénibles, elles ont des compétences trop variées, trop disparates pour être en mesure d’exercer pleinement leurs fonctions, notamment de contrôle. C’est justement parce que le Gouvernement s’en accorde trop bien qu’il y aurait lieu de modifier ce système qui fait du Parlement français celui où les commissions sont, de très loin, les moins nombreuses.

On a du mal à croire que l’équilibre des institutions serait menacé si le nombre des commissions passait à neuf ou à douze.

Si une telle décision, opportune, devait être prise, il serait indispensable de profiter de l’occasion pour adopter le principe selon lequel la moitié des présidences revient à l’opposition. On voit bien que demander à la majorité de renoncer à trois des six présidences qu’elle détient aujourd’hui, voire à l’une, est un sacrifice auquel elle n’est pas prête à consentir. Peut-être accepterait-elle moins difficilement de ne pas bénéficier de celles des commissions qui viendraient à être créées.

On sait aussi que c’est en confiant à l’opposition des responsabilités qu’on la rend responsable. Les présidents de commission n’ont de pouvoir réel que celui qu’ils tiennent de l’autorité qu’ils exercent sur leurs collègues, et Jean-Louis Debré l’a bien compris, qui est à l’origine de l’excellente innovation introduite en 2003, selon laquelle le groupe qui a pris l’initiative d’une commission d’enquête a droit à en recevoir la présidence, à moins que le rapport ne soit confié à l’un des siens. Ils n’acquièrent cette autorité que par un comportement loyal, et n’y accéderaient jamais, ou la ruineraient vite, en agissant de manière abusivement partisane. Il n’y a donc aucun risque grave, ni pour la majorité ni pour le Gouvernement.

En revanche, ce serait une amélioration sensible si tous disposaient de moyens équilibrés et si l’opposition, dont c’est la vocation nécessaire et première, occupait certains des miradors parlementaires de la fonction de contrôle, à commencer par le plus important, la présidence de la commission des finances. Bref, ce ne serait pas révolutionner notre système ; ce serait simplement le civiliser.

Monsieur le rapporteur, vous citez dans votre rapport quelques exemples étrangers, qu’il est bon de porter à la connaissance de l’ensemble de l’Assemblée.

En Allemagne, il y a vingt-deux commissions. Huit d’entre elles sont présidées par le SPD, huit par la CDU, deux par les Verts, deux par le FDP et deux par le nouveau groupe, die Linke. C’est, direz-vous, parce qu’il y a une coalition en Allemagne. Pas du tout ! Dans la législature précédente, où le SPD était majoritaire, neuf commissions étaient présidées par le SPD, neuf par la CDU, deux par les Verts et deux par le FDP. Le parti de gauche n’existait pas.

Au Royaume-Uni, à la Chambre des Communes, il y a trente-neuf commissions permanentes. La présidence de onze d’entre elles est confiée à l’opposition.

Pourquoi ce qui est possible dans des pays démocratiques comme l’Allemagne et l’Angleterre ne le serait-il pas en France ?

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense, rapporteur pour avis. Tout à fait !

M. René Dosière. La deuxième conséquence de votre texte est beaucoup plus sérieuse et immédiate. Quelle énorme ficelle ! Voilà qu’en guise de joyeux avènement, cerise ou bougie sur le gâteau, vous limitez la durée du temps de parole pour une motion de procédure, vous restreignez les conditions de dépôt des amendements et vous inventez l’examen renforcé, sur lequel vous êtes revenus ce matin.

J’ai déjà parlé du but des motions de procédure, mais j’avais réservé un dernier usage pour la bonne bouche.

Oui, ces motions sont des moments pendant lesquels l’opposition peut s’exprimer. Ce n’est pas pour pratiquer l’obstruction, car nous savons que le texte sera voté in fine comme le Gouvernement l’entend, et vous nous avez appris autrefois qu’existaient des façons autrement plus efficaces de bloquer un système. Nous profitons tout simplement, et souvent, de cette occasion pour deux raisons : parce que, comme l’a souligné mon excellent collègue et ami Bernard Derosier, les textes ne sont pas bons, ni d’ailleurs, parfois, conformes au droit et que nous tenons à alerter l’opinion ; mais aussi parce que, la majorité ayant disposé du temps de parole du Gouvernement et du rapporteur, il nous paraît utile de fixer tout de suite après les principes de l’opposition.

Dans un premier temps, vous vouliez fusionner question préalable et exception d’irrecevabilité. Maintenant, vous les gardez toutes les deux mais vous limitez le temps d’intervention à trente minutes. C’est mesquin, c’est petit, et c’est dangereux parce que vous incitez vos adversaires à saisir d’autres occasions de prendre la parole. Souvenez-vous du mot de Clemenceau : « Gloire aux pays où l’on parle, honte aux pays où l’on se tait. » Vous criez à l’excès. J’aime mieux l’excès des démocraties que les risques des chapes de plomb. Les excès de la parole sont préférables à un silence obligé.

M. Bernard Derosier. Très bien !

M. René Dosière. Bien sûr, vous auriez pu faire pire et imiter le Sénat, où la défense de chaque motion est limitée à quinze minutes, cette décision ayant été prise dans des conditions tout à fait particulières. Croyez-vous que le Sénat ait ainsi illustré la sagesse et la tolérance ?

Brider le temps de l’opposition constitue une erreur grossière, surtout quand la majorité ne représente plus l’opinion publique dominante (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), qu’elle est accaparée par un seul groupe, que chacun constate le divorce de plus en plus prononcé entre les institutions publiques et la population, et que s’accroît la crise de la représentation et de la communication. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

On voit bien comment, progressivement, on réduit le temps de parole. Il y a quelques années, il n’était pas limité pour les motions de procédure. En 1998, Mme Christine Boutin a réussi cette performance physique de tenir près de cinq heures dans un débat sur le pacs. Il avait fallu deux séances, celle du soir s’étant terminée à cinq heures du matin. C’est à la suite de ce long exposé que le président de l’Assemblée a proposé de mettre fin à ces excès. La résolution 354 du 29 juin 1999 a réduit le temps de parole à une heure trente en première lecture, à trente minutes en deuxième lecture et à quinze minutes ensuite. L’opposition d’alors, majorité d’aujourd’hui, a voté contre, considérant qu’il était inadmissible de réduire ainsi le temps de parole de l’opposition. Les parlementaires ont alors déposé systématiquement la totalité des motions de procédure.

Maintenant, on veut à la fois réduire le nombre de motions et diminuer le temps de parole, tout simplement parce que, d’un commun accord, depuis quelque temps, nous avons pris l’habitude en conférence des présidents de limiter à trente minutes le temps de la plupart des motions de procédure. De cette décision prise au cas par cas, vous voulez faire une obligation, inscrite dans le règlement.

C’est vrai qu’il peut exister des détournements de ces motions de procédure, mais il est également des cas où elles sont nécessaires. Après avoir défendu une exception d’irrecevabilité et une question préalable sur le statut de la Polynésie, j’ai eu la satisfaction de constater que le Conseil constitutionnel avait repris un certain nombre de mes arguments. Le statut proposé, assez exorbitant, a été un peu corrigé, ce qui a fini par entraîner l’élimination du pouvoir de votre ami M. Flosse, ce qui était une œuvre de salubrité publique.

Faut-il vous rappeler ce très beau film de Franck Capra, M. Smith au Sénat ? James Stewart, après avoir parlé pendant plus de vingt-quatre heures pour essayer de faire triompher sa cause, s’écroule, épuisé, dans la Chambre des représentants des États-Unis, mais cela met en difficulté ses opposants qui, du coup, vont renoncer à leurs turpitudes.

M. le président. Ménagez-vous, monsieur Dosière ! (Sourires.)

M. René Dosière. Chez nous, rassurez-vous, le temps de parole est limité, à une heure trente pour quelques mois encore !

Cet exemple nous montre l’utilité des motions de procédure puisque, en l’occurrence, celui qui a fait de la flibuste a fini par gagner. Vous me direz que c’est du cinéma. Oui, mais on peut encore rêver !

Par ailleurs, il faudrait déposer les amendements dans un laps de temps plus réduit pour améliorer les débats. À cet égard il conviendrait aussi que d’autres calendriers soient rigoureusement fixés et tenus, comme le délai entre le dépôt d’un texte et son examen en commission, toujours trop resserré, celui entre le passage en commission et l’adoption du rapport, celui entre la publication du rapport et le dépôt des amendements, celui entre le rapport n° 1 et le rapport n° 2, et avant la séance publique. Il faudrait encore que tous les amendements puissent être examinés sérieusement en commission, ce qui exige davantage de temps, et, bien sûr, que l’on puisse toujours défendre en séance un amendement rejeté par la majorité de la commission. La parole et l’amendement sont les moyens privilégiés dont dispose un représentant de la nation. Prenez garde d’y toucher.

Le problème n’est pas de vouloir gagner du temps à tout prix sur le dos des autres. Il est de discuter sérieusement de tous les amendements positifs, en récusant la pensée unique. Cela exige de la patience, de la tolérance, du respect. Le raccourcissement du débat n’a rien à voir avec sa qualité.

De plus, comme l’a rappelé Bernard Derosier, les amendements du Gouvernement ne sont pas concernés par ces dispositions, ce qui va encore déséquilibrer les rapports entre l’exécutif et le législatif.

Allons au fond des choses.

M. Céleste Lett. Vite, sinon la faim aura raison de vos moyens ! (Sourires.)

M. René Dosière. Rassurez-vous, mon cher collègue, j’ai quelques réserves ! En l’occurrence, c’est utile !

Nous aurions moins de problèmes si l’absentéisme ne sévissait pas autant dans nos rangs, en commission aussi bien qu’en séance. Ayons le courage de prendre deux décisions qui donneraient plus de force à notre assemblée en nous permettant d’y être davantage présents.

Une mesure simple aiderait à combler le fossé entre la classe politique et la nation : la limitation du cumul des mandats.

À ce sujet je vais citer Guy Carcassonne, l’un de nos plus éminents constitutionnalistes, dont je partage la totalité des propos. Certes, il peut arriver, et Bernard Derosier en est la preuve, que l’on puisse, en dépit du cumul, être présent régulièrement dans l’hémicycle, mais une exception ne fait pas la règle.

« La possibilité, pour un député, d’être en même temps élu d’une collectivité locale est une particularité française, à peu près unique au monde et qui serait stupéfiante dans n’importe quel pays civilisé.

« Ce cumul touchait environ 35 % des députés sous la IIIRépublique. Ils sont aujourd’hui près de 95 %. Et dans cette aberration réside sans doute la cause principale de tous les dysfonctionnements de l’Assemblée nationale.

« Les députés, surtout depuis la décentralisation, trouvent beaucoup plus gratifiantes leurs fonctions locales que leur mandat national et consacrent donc beaucoup plus de soin à celles-là qu’à celui-ci. Ils invoquent, pour le justifier, le fait qu’ils se sentent démunis face au gouvernement à l’Assemblée nationale, mais ils n’y sont effectivement démunis que parce qu’ils sont peu nombreux, ou peu déterminés, ou peu opiniâtres, à exercer les pouvoirs qui sont les leurs. Ceux-ci ne manquent cependant pas, tandis que fait cruellement défaut la volonté réelle de les utiliser. »

M. Jacques Brunhes. C’est inexact !

M. René Dosière. « De plus, chaque fois qu’un projet confronte les besoins de l’État à ceux des collectivités locales, la coalition des intérêts locaux se dresse aussitôt, qui, par-delà toutes les divisions partisanes, transforme nombre de députés en lobbyistes des régions, départements et communes, plus qu’en représentants du peuple et de la nation.

« L’intérêt de cette dernière n’est, de ce fait, plus véritablement défendu par ceux dont ce serait le rôle. D’autres s’en chargent alors, qu’on appelle « technocrates » parce qu’ils se trouvent dans les ministères, qui ont le sentiment d’être seuls défenseurs du sens de l’État. Cela les porte à certaines formes d’arrogance.

« Ainsi ne retrouvera-t-on un véritable Parlement, jouant véritablement son rôle, que le jour où, enfin, sera radicalement banni – car toute demi-mesure serait vite tournée – le cumul du mandat de député avec un autre. »

M. Jacques Brunhes. Mais non !

M. René Dosière. « Quant au contre-argument habituellement avancé, selon lequel le cumul permettrait aux députés d’être au fait des réalités du pays et des tendances de son opinion…

M. Céleste Lett. C’est vrai !

M. René Dosière. « …il n’est pas seulement stupide – car tous les députés, alors, devraient être invariablement réélus –, indécent – car il n’y a qu’en France que l’on cumule, or il n’y a qu’en France que la majorité sortante, quelle qu’elle soit, s’est systématiquement fait battre aux six derniers renouvellements généraux –, il est aussi insultant pour les parlementaires du monde entier qui ne cumulent pas, et dont on ne sache pas qu’ils soient moins compétents que leurs collègues français.

« Au demeurant, aussi longtemps que le mode de scrutin sera ce qu’il est, ils auront un puissant motif – la réélection – de demeurer attentifs à leur circonscription, sans pour autant avoir à en gérer les collectivités. »

Voilà ce qu’affirme Guy Carcassonne.

M. Jacques Brunhes. C’est bien faible, pour une fois.

M. René Dosière. C’est à ces conditions que le Parlement se repeuplerait et que l’institution se revitaliserait, sans avoir à user d’artifices et de faux-semblants.

« Enfin Malherbe vint », ou plutôt la procédure d’examen renforcé, innovation tellement inattendue qu’elle n’était pas envisagée dans la proposition initiale. Ce matin, sur l’insistance de votre majorité qui désavoue ainsi son président, vous avez en effet décidé, monsieur le rapporteur, de renoncer à cette procédure. Toutefois je tiens à vous faire remarquer qu’elle n’était pas pour autant satisfaisante et qu’une tentative de ce type avait déjà échoué sous une autre majorité, une concertation entre les groupes parlementaires ayant permis d’éviter que cette proposition ne vienne en discussion. Or vous avez fait mieux : vous avez fait voter cette disposition par votre majorité qui, huit jours après, changeait d’avis, vous obligeant à retirer cette proposition.

Notre position d’hostilité à cette disposition ne veut pas dire qu’un minimum d’organisation ne puisse régner. Cependant il faut définir clairement les buts que l’on poursuit et se donner les bons moyens de les atteindre. Doit-on remanier – mais comment ? – la première phase de discussion des textes législatifs et modifier les autres étapes ? N’est-il pas temps d’engager une véritable réflexion autrement qu’en examinant à la sauvette quelques dispositions saupoudrées à l’aventure ?

À cette fin, je souhaite que l’on confie à une instance, créée pour l’occasion, le soin de recueillir les opinions de chacun, de les confronter et de chercher un consensus raisonnable et efficace. Respectons les équilibres et les consciences sans verser dans le corporatisme. C’est d’abord une affaire d’état d’esprit.

Mettons-nous d’accord sur de vraies questions. En voici des exemples.

Quel type d’échanges en commission et en séance ? Quel partage du temps entre discussion générale et discussion des articles ? Que signifie l’égalité possible entre majorité et opposition ? Quelle possibilité laisser à chaque groupe d’organiser ses interventions ? Quel choix pour les uns et les autres quant à leur mode d’expression privilégié : motion de procédure, discussion générale, infléchissement par les amendements sur les articles ? Bref, tout cela demande une concertation approfondie entre tous les groupes de notre assemblée.

On voit bien, à travers ces quelques remarques, que ce texte est insuffisant. Il ne s’attaque pas aux obstacles mis à la dignité du Parlement et des parlementaires, comme l’a démontré Bernard Derosier. Nous avons donc mieux à faire que d’en discuter plus longtemps, d’autant qu’une réforme du règlement des assemblés n’a de sens que si elle s’accompagne d’autres dispositions institutionnelles beaucoup plus importantes.

Nous sommes ici au cœur de l’expression parlementaire. On peut comprendre, devant de tels dysfonctionnements, le souci de les rationaliser. Sans doute cela améliorerait-il le travail des fonctionnaires de cette maison, car je constate que, au fil du temps, les mêmes propositions semblent revenir.

Je veux surtout vous faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’apporter une solution technique à un problème essentiellement politique. Ainsi, le nombre des amendements déposés n’est pas une simple opération mathématique. Vous nous faites remarquer, monsieur le rapporteur, que, sur le projet de loi concernant les conseils régionaux, 12 805 amendements ont été déposés. Que vouliez-vous démontrer en citant ce chiffre ? Aucun de ces amendements n’a été discuté car le Gouvernement a utilisé l’article 49-3 avant même la discussion des motions de procédure. S’il veut limiter le temps de parole, le Gouvernement peut parfaitement s’opposer à l’examen des amendements. On voit bien que le problème est autre. Le dépôt de ces amendements n’a certainement pas retardé la discussion, peut-être même l’a-t-il accélérée : c’est sans doute par crainte d’avoir à débattre quelques jours dans cet hémicycle, que le Premier ministre a utilisé l’article 49-3, mettant fin immédiatement au débat.

Comment ne pas comprendre que le recours quasi-systématique à la procédure d’urgence, qui limite les lectures devant chaque assemblée, ne peut que conduire l’opposition à s’exprimer plus largement et donc à déposer un jeu d’amendements bien plus important ? Même si, comme vous l’avez rappelé, c’est une pratique largement partagée. Si vous êtes au pouvoir, c’est avec l’ambition de faire mieux que vos prédécesseurs. Alors cessez, pour justifier votre attitude, de vous appuyer sur les attitudes passées. Si elles étaient mauvaises, il faut en changer. Si vous gardez les mêmes, c’est qu’elles ne sont pas si mauvaises que cela.

M. Jacques Brunhes. Pourtant, elles le sont !

M. René Dosière. Et puisque le Gouvernement fixe l’ordre du jour, n’est-il pas le premier responsable des dysfonctionnements qui peuvent se produire ?

Restaurer la dignité du Parlement demande que l’on cesse de consentir à son abaissement. Ce fut une honte pour l’Assemblée, lors de la révision constitutionnelle sur la décentralisation, que de consentir à abandonner ses prérogatives au bénéfice du Sénat, qui ne représente pas le peuple.

Il n’est pas glorieux pour l’Assemblée d’avoir abandonné son pouvoir législatif en matière d’amnistie au bénéfice du chef de l’État – qui dispose déjà du droit de grâce – et dont chacun connaît l’utilisation qu’il a pu en faire.

Ce n’est pas réhabiliter le Parlement que de voir le Gouvernement légiférer de plus en plus par ordonnances. Comme le précise le rapporteur, en 2004, pour la première fois, le nombre des ordonnances a dépassé celui des lois votées : cinquante-quatre contre trente-neuf. En 2005, l’écart s’est encore accru : quatre-vingt-cinq ordonnances ont été adoptées pour cinquante lois.

Cette explosion des ordonnances est préoccupante. Elle est même rendue franchement inquiétante par l’espèce de partage des tâches qui voit le Parlement se dessaisir du plus sérieux pour ne conserver que ce qu’il croit le plus rentable. La fabrication des normes glisse des mains du pouvoir législatif, lequel justifie de moins en moins cette dénomination d’autant que la valeur juridique des ordonnances est liée à la question de leur ratification. On aurait pu imaginer que la Constitution la rende obligatoire, mais elle ne l’a pas fait. Elle impose simplement au Gouvernement – à peine de caducité des ordonnances – de déposer, dans un délai prédéterminé par la loi d’habilitation, un projet de loi de ratification, sans être tenu de l’inscrire à l’ordre du jour.

Avant leur ratification, les ordonnances, bien qu’ayant un contenu en partie législatif, sont donc des actes de l’exécutif, considérés donc comme administratifs et, à ce titre, susceptibles de recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif. Après leur ratification, celles de ses dispositions qui ont un contenu législatif redeviennent des dispositions législatives à titre définitif, tandis que celles qui ont un contenu réglementaire sont, pourrait-on dire, des dispositions législatives à titre précaire car, à tout moment, susceptibles de « délégalisation ».

Ce changement de valeur ne facilite pas le contrôle et celui-ci se complique encore de l’existence de ratifications tacites. En effet lorsque le Parlement modifie une disposition d’une ordonnance, il est présumé ratifier, puisqu’il ne les modifie ni ne les abroge, les autres dispositions de l’ordonnance traitant du même sujet.

Parce que, avant leur ratification, elles sont des actes administratifs, c’est le Conseil d’État qui est compétent pour apprécier leur légalité et éventuellement leur constitutionnalité. En revanche, parce que la ratification, même implicite, leur donne valeur législative, le Conseil d’État, s’il n’a pas encore jugé, doit conclure au non-lieu à statuer puisqu’il n’a pas compétence pour censurer des textes de valeur législative.

Quant au Conseil constitutionnel, il est naturellement incompétent pour être saisi des ordonnances, actes administratifs. En revanche, il peut être appelé, s’il est saisi, à vérifier leur constitutionnalité au moment de leur ratification, mais à ce moment-là seulement. La difficulté tient à ce que la ratification, dès lors qu’elle est implicite, peut passer parfaitement inaperçue, y compris aux yeux de ses auteurs, et qu’il est ensuite trop tard pour agir.

Enfin, réhabiliter le Parlement, c’est répondre aux questions écrites des parlementaires sans les traiter par le mépris. Je prends encore un exemple précis.

J’ai interrogé à trois reprises le Premier ministre sur le budget officiel, visible de la Présidence de la République, en mentionnant à chaque fois que ma question se justifiait par le fait que le rapport fourni par la Présidence de la République était incomplet. Or que me répond-on à chaque fois ? Que je n’ai qu’à aller consulter ledit rapport.

Comment peut-on à ce point mépriser les parlementaires, les prendre pour des idiots et, lorsqu’ils posent une question claire, répondre à côté ?

Je sais que le Premier ministre n’a guère d’estime pour les parlementaires voire qu’il les méprise comme l’indiquent les propos que l’on rapporte mais aussi son attitude. Néanmoins cela ne justifie pas qu’il ne réponde pas à la représentation nationale.

Je tiens toutefois à préciser que cette manière de faire n’est pas générale. À cet égard je dois rendre hommage à Mme la ministre de la défense qui a toujours répondu avec clarté, précision, rapidité…

M. Jean-Marc Nudant. C’est vrai.

M. René Dosière. …à toutes mes questions écrites portant sur les moyens que le ministère de la défense met à la disposition de l’Élysée.

M. Claude Gaillard. Même aux questions orales !

M. René Dosière. Il est vrai que, pour avoir été parlementaire, Mme Alliot-Marie, sait respecter cette fonction.

J’en arrive à ma conclusion, mes chers collègues, car je ne voudrais pas retarder davantage ces moments privilégiés, qui sont, à en croire notre rapporteur, consacrés autant à la concertation qu’à la restauration, et grâce auxquels, par conséquent, nos amendements devraient recevoir cet après-midi un accueil favorable.

Puisque l’objectif affiché de ce texte est de tendre à l'égalité entre majorité et opposition, et de rendre l’Assemblée plus efficace, je suppose, monsieur le rapporteur, chers collègues de la majorité, que vous êtes prêts à accepter les propositions suivantes touchant les droits de l’opposition : lui accorder une niche législative sur deux ; ne plus refuser le passage à la discussion des articles de ses propositions de loi ; lui attribuer la moitié des questions au Gouvernement ; lutter contre les prérogatives, tel l’article 49, alinéa 3 de la Constitution, qui permettent au Gouvernement d’entraver le bon déroulement des débats ; imaginer une nouvelle procédure budgétaire et rénover la discussion des lois de règlement ; chercher les moyens d’assurer aux Français une représentation plus équitable au Parlement, notamment en liant étroitement évolution démographique et redécoupage des circonscriptions électorales ; renforcer la fonction de député en interdisant tout cumul des mandats ; prendre les mesures financières propres à inciter chacun à être présent au Parlement ; supprimer les dispositions constitutionnelles et organiques qui brident le Parlement. Êtes-vous prêts, enfin, à faire preuve de la souplesse, de l’esprit de dialogue et du respect mutuel qui feront du règlement notre charte commune ?

Si c'est le cas, nous ne manquerons pas de vous rendre la pareille quand vous serez redevenus minoritaires.

En attendant, j’espère que chacun comprend mieux pourquoi voter la question préalable est le seul moyen de mettre fin aux faux-semblants et au trompe-l'œil, tant ce texte est inopportun, insuffisant et « débranché ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je vous remercie, monsieur Dosière, d’avoir rappelé que le groupe du Rassemblement pour la République avait voté contre la résolution n° 112, modifiant le règlement de l’Assemblée nationale, adoptée le 25 mars 1998 sous la présidence de Laurent Fabius, le groupe de l’UDF s’abstenant ; je vous remercie également d’avoir rappelé que les groupes du RPR, UDF-Alliance et Démocratie libérale et Indépendants avaient voté contre la résolution n° 354 du 29 juin 1999, toujours sous la présidence de Laurent Fabius. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.) On voit donc qu’on a déjà fait voter des modifications du règlement de notre assemblée qui n’étaient pas consensuelles.

M. René Dosière. Pourquoi faire la même chose ?

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Quant aux questions que vous venez de poser, monsieur Dosière, elles ne trouveront des réponses que si le débat se poursuit. C’est la raison pour laquelle j’appelle l’Assemblée à rejeter la question préalable.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix la question préalable.

M. Bernard Derosier. Nous votons pour !

(La question préalable n'est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

fait personnel

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes, pour un fait personnel.

M. Jacques Brunhes. Monsieur le président, j’ai été mis en cause par M. le président de la commission de la défense, qui m’a reproché des absences fréquentes. Je profite de cette occasion pour réitérer des critiques que j’ai déjà formulées, par écrit et oralement à son encontre et contre le mode de fonctionnement de la commission qu’il préside.

Le groupe communiste est en effet représenté, sous une forme ou une autre, dans toutes les commissions de cette assemblée.

Ainsi M. Brard est secrétaire du bureau de la commission des finances ; il arrive en outre que cette commission désigne comme rapporteurs des députés du groupe, notamment en matière budgétaire, ou comme membres de missions d’évaluation, de contrôle, ou de délégations à l’étranger.

S’il n’y a pas de député communiste au sein du bureau de la commission des affaires économiques, celle-ci désigne également des membres de notre groupe pour rapporter certains textes ou pour participer à des missions, comme celles sur l’eau, sur le loup, sur les OGM. Les députés communistes participent donc aux travaux de cette commission, grâce à une concertation permanente avec le président Ollier.

La même concertation règne au sein de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, et ses missions d’information ou ses délégations à l’étranger comptent toujours parmi ses membres des députés de notre groupe.

Le président Balladur manifeste le même souci de concertation avec notre groupe en ce qui concerne la commission des affaires étrangères.

J’ajoute une précision que vous n’ignorez pas, monsieur le président : si je suis le seul député communiste à appartenir au bureau de l’Assemblée nationale, le président Debré tient absolument, pour des raisons d’équilibre et par souci de pluralisme dans la représentation de l’Assemblée à ce que je participe à ce titre à certaines missions. J’ai ainsi participé aux travaux de la commission franco-allemande à Berlin, et je suis membre de la commission franco-russe, entre autres. J’assume également des fonctions internationales : je suis vice-président de la section française de l’Union interparlementaire, et de la section française de l'Assemblée parlementaire de la francophonie, l’APF ; je suis aussi rapporteur international pour la section française de l’APF. Il y a en outre des députés communistes à l’OSCE et à l’OTAN.

En revanche nous ne jouons absolument aucun rôle au sein de la commission de la défense : elle ne nous charge d’aucune mission, pas même d’une simple mission d’information – je ne parle même pas d’une mission à l’étranger –, d’aucun rapport, d’aucuns travaux, en dépit des courriers que nous ne cessons d’envoyer à son président.

Nous nous en sommes également plaints par courrier envoyé au président de l’Assemblée nationale ; cette situation inacceptable a aussi fait l’objet d’une intervention au bureau de l’Assemblée nationale. Le dictionnaire donne un nom à ce genre d’attitude : cela s’appelle de l’ostracisme, puisque ce mot désigne toute « action qui vise à mettre une personne ou un groupe à l’écart ».

Que M. le président de la commission de la défense sache que j’ai passé l’âge d’être une potiche, et que je n’accepte pas qu’un tel ostracisme réduise ma fonction de député à un rôle de simple spectateur.

Je me permets, monsieur le président, de faire observer également qu’à moi tout seul je représente un vingt-deuxième de mon groupe, ce qui, rapporté au groupe de l’UMP, équivaut à dix-sept députés. Comptez les députés de l’UMP, et vous verrez que notre groupe n’est pas si mal représenté.

Ordre du jour des prochaines séances

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion des propositions de résolution de M. Jean-Louis Debré :

- n° 2791, tendant à insérer un article 92-1 dans le règlement afin de faire respecter le domaine de la loi ;

- n° 2792, tendant à modifier l’article 99 du règlement relatif au délai de dépôt des amendements ;

- n° 2793, tendant à modifier l’article 91 du règlement afin de réduire le nombre des motions de procédure ;

- n° 2794, tendant à modifier l’article 91 du règlement afin de réduire la durée de présentation des motions de procédure ;

- n° 2795, tendant à modifier les articles 49, 91, 108 et 122 du règlement afin de globaliser la phase générale de la discussion des textes ;

- n° 2796, tendant à insérer un article 49-1 dans le règlement afin de globaliser la phase de la discussion des articles ;

- n° 2797, tendant à modifier l’article 86 du règlement afin d’améliorer l’information de l’Assemblée nationale en matière européenne ;

- n° 2798, tendant à modifier l’article 50 du règlement afin d’accroître la place des travaux des commissions dans l’agenda de l’Assemblée nationale ;

- n° 2799, tendant à rétablir le chapitre VIII du titre II du règlement afin d’y introduire la procédure des commissions élargies en matière budgétaire ;

- n° 2800, tendant à modifier l’article 145 du règlement afin de renforcer le pluralisme dans les procédures de contrôle ;

- n° 2801, tendant à modifier les articles 36 et 39 du règlement afin de répartir plus équitablement les compétences des commissions permanentes ;

Rapport, n° 3113, de M. Jean-Luc Warsmann au nom de la commissions des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République ;

Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, n° 2983 rectifié, modifiant le code général des collectivités territoriales et la loi n° 2002-6 du 4 janvier 2002 relative à la création d’établissements publics de coopération culturelle :

Rapport, n° 3118, de M. Dominique Tian au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Éventuellement, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures trente-cinq.)