Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus intégraux (session ordinaire 2006-2007) |
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
La parole est à M. Jacques Desallangre, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.
Le journal l'Humanité a publié une carte de France faisant état de 20 000 emplois menacés et de 25 000 autres supprimés, tandis que le dernier rapport du conseil d'analyse stratégique révèle que la proportion de titulaires d'un emploi stable chez les moins de vingt-cinq ans a reculé – tenez-vous bien – de 70 % en 1977 à 55 % aujourd'hui. Dans cette tourmente, un processus a pris une importance croissante : il s'agit des délocalisations qui conduisent des entreprises à déménager leur outil de production dans des pays à bas salaires. Certains membres du Gouvernement, ont alors parlé de «patrons voyous ». Hélas, rien n’a été fait pour combattre de tels procédés. Ce phénomène, ignoré avec obstination par les économistes – nous y reviendrons – est le résultat d'une course effrénée au moins-disant social et fiscal désormais organisée à l'échelle mondiale et pour chaque segment de la chaîne de la production.
Plutôt que de renoncer devant une prétendue fatalité économique, les responsables politiques doivent prendre des mesures courageuses. « Subir ou réagir », tel n’est-il pas d'ailleurs l’un des constats du rapport de Mme Brunel déposé au nom de la mission d'information sur les délocalisations créée par notre commission des affaires économiques ? Cependant, je n'ai rien vu jusqu'à présent dans l’ordre du jour de notre assemblée qui permette de nous saisir du problème.
Ce qu'attendent les salariés menacés, ce n'est pas une compassion hypocrite ou des effets d'annonce. C'est pourquoi j'ai déposé avec mes collègues du groupe des députés communistes et républicains une proposition de loi tendant à lutter contre les délocalisations et à favoriser l'emploi.
Il ne s'agit d'ailleurs pas de la première initiative de notre groupe en la matière. J'avais déposé une première proposition de loi en 1999 à la suite de l'affaire Michelin-Wolber – premier exemple de licenciement pour convenance boursière qui avait jeté sur le pavé 451 salariés à Soissons dans ma circonscription – et défendu de nombreux amendements tout au long de la législature, en vain. En 2003, une nouvelle proposition de loi avait été déposée pour encadrer la notion de licenciement économique : voyez la constance de nos engagements en la matière.
L'impact des délocalisations reste à ce jour largement sous-estimé, et pour cause : nous ne disposons pas d'indicateur statistique fiable. Les études économiques s'appuyant sur une définition très restrictive et peu réaliste des délocalisations, elles en concluent que le phénomène est marginal. Or, délocaliser, cela peut être aussi sous-traiter une partie de son activité à l'étranger.
La question des non-localisations n'est pas non plus anodine quand on voit, par exemple, les projets d'AXA – qui se prétend entreprise citoyenne – de compenser le tiers des départs à la retraite d'ici à 2012 par 1 500 embauches au Maroc et autant dans d’autres pays afin de générer une économie – là aussi tenez-vous bien – de 75 millions d'euros par an.
Si les délocalisations restent mal appréhendées, plusieurs signaux devraient pourtant nous alarmer : la part des importations industrielles en provenance des pays émergents a quasiment doublé entre 1993 et 2003 pour atteindre des taux records dans certains secteurs – 60 % dans celui, par exemple, de l'habillement, qui a perdu près de 40 % de ses entreprises et le tiers de ses effectifs entre 1995 et 2002 alors que les importations y progressaient dans le même temps de 67 %. Et les délocalisations récentes chez Dim, Well, Arena ou Aubade montrent que l’on n'en a pas terminé avec le phénomène.
Toutefois, ne nous trompons pas : si les grands groupes préfèrent délocaliser leurs usines, ce n'est pas parce qu'ils peinent à engranger des bénéfices. Les chiffres d'affaires cumulés des trente-deux grands groupes français non financiers du CAC 40 ont augmenté de 70 % entre 1997 et 2002, tandis que la part de leurs effectifs en France passait de 50 % à 35 % !
Le phénomène des délocalisations devrait mécaniquement s'aggraver si nous ne faisons rien. Les entreprises emboîtent en effet le pas de leurs concurrentes pour « rester dans la course », de même que les sous-traitants et les fournisseurs placés sous la contrainte de leurs donneurs d'ordre. Enfin, les départs massifs à la retraite et le vieillissement de certains investissements lourds risquent d’être de puissants leviers pour les délocalisations à court terme.
Les conséquences sociales et territoriales de ce phénomène sont dramatiques dans les pays développés tandis que dans ceux en développement, les délocalisations n'apportent pas pour autant le progrès, mais bien plutôt une exploitation intensive de la main-d'œuvre permise par l'absence d'un droit du travail protecteur. Elles n'apportent en outre que le mirage d'un développement pérenne : l'implantation d'un centre d'appel, par exemple, peut être remise en cause du jour au lendemain avec l'apparition d'une main-d'œuvre encore moins chère ailleurs.
Confronté aux délocalisations, la seule réponse du Gouvernement a été une politique onéreuse de réduction des charges sociales – qui a coûté 20 milliards d'euros en 2005 et dont l'efficacité a été critiquée tant par la Cour des comptes que par le président de notre commission des finances – ou une concurrence fiscale avec nos voisins. Telle n'est pas l'orientation de notre proposition de loi.
Celle-ci propose d'abord de rappeler les entreprises à leur responsabilité sociale et territoriale. Le principe de responsabilité étant le corollaire de la liberté, il n'est pas acceptable que les entreprises soient les seules entités juridiques à ne pas répondre des préjudices causés par leurs décisions. À cette fin, l'article 1er précise les contours de la notion de licenciement économique pour mettre fin aux abus choquants. Il réaffirme que le licenciement doit rester l'acte ultime d'une entreprise en difficulté et prévoit deux cas dans lesquels les licenciements prononcés sont dépourvus de cause réelle et sérieuse : tout d'abord, les licenciements boursiers, lorsque l'entreprise ou sa filiale a réalisé des bénéfices, constitué des réserves ou distribué des dividendes au cours des deux derniers exercices ; ensuite, les transferts d'activité à l'étranger. Ces deux procédés, qui répondent à une logique commune – la course au profit et la recherche d'économie aux dépens des salariés –, doivent être parallèlement combattus.
Afin que ce dispositif soit dissuasif, la proposition de loi prévoit, ensuite, une réintégration des salariés ainsi que le versement, par les entreprises procédant à des licenciements boursiers ou à une délocalisation, d'une restitution sociale à un fonds géré par la Caisse des dépôts et consignations. Cette restitution serait égale à la masse salariale correspondant aux postes supprimés, aux frais de formation et à l'ensemble des préjudices subis au niveau territorial. Elle serait due jusqu'à ce que les salariés retrouvent un poste, ce qui inciterait les entreprises à s'impliquer réellement dans la revitalisation du territoire. Les sommes gérées par le fonds seraient reversées aux salariés, aux organismes sociaux et aux collectivités locales.
L'obligation de revitalisation du territoire est déjà prévue dans le code du travail, mais elle ne vise que les entreprises de grande taille et ne fixe pas de contribution financière minimale pour les entreprises dont l'effectif est compris entre 50 et 1 000 salariés.
La proposition de loi rend également responsable les grands groupes des conséquences de leurs décisions sur l'avenir de leurs filiales ou de leurs sous-traitants. Ainsi, une entreprise qui délocalise sera tenue solidairement au paiement de la restitution due par son sous-traitant contraint de lui emboîter le pas.
La responsabilisation des entreprises passe aussi par un meilleur contrôle des aides publiques, comme le préconise d'ailleurs la mission d'information sur les délocalisations créée par notre commission. Notre proposition de rétablir la commission des aides publiques, où siégeaient notamment les partenaires sociaux et des parlementaires, devrait donc logiquement être accueillie favorablement par notre assemblée.
Enfin, il a semblé indispensable aux membres de notre groupe de rappeler la nécessité d'introduire également une dimension sociale et éthique dans les négociations commerciales et de proposer une taxation pour les pays amenés à faire du dumping social, au mépris parfois des droits fondamentaux. La proposition de loi crée à cet effet un prélèvement sur les importations calculé en fonction de la différence des coûts salariaux entre les deux pays.
Les écarts de coûts salariaux entre les pays émergents et la France sont si considérables – de 1 à 30 avec la Chine et de 1 à 57 avec l’Inde – qu’ils ne pourront être comblés avant longtemps sans une action volontariste, sachant déjà que même au sein de l'Union européenne, le rapport est de 1 à 10 avec la Roumanie et la Bulgarie notamment. En rétablissant une concurrence loyale, le prélèvement social permettra à nos entreprises de lutter à armes égales et d’enlever la plus grande partie de leur intérêt aux délocalisations, déclenchant ainsi un cercle vertueux.
Les recettes de ce prélèvement seront redistribuées, pour partie, aux organismes sociaux afin de prendre en charge le passif social laissé par les délocalisations et, pour l'autre, à des programmes d'aide au développement, afin notamment de soutenir la croissance et le rattrapage du niveau de vie dans les pays émergents.
Une telle affectation permettra de favoriser un compromis commercial au niveau mondial sur l'adoption d'une telle mesure, notamment dans le cadre d'un accord de l'OMC.
Un tel dispositif ne prend bien évidemment toute sa portée qu'à l'échelle supranationale. C'est pourquoi le texte prévoit la remise d'un rapport au Parlement sur les initiatives prises par le Gouvernement auprès des organisations internationales pour promouvoir ce prélèvement.
Vous le voyez, les dispositions présentées dans la proposition de loi constituent des mesures fortes pour montrer que les délocalisations ne sont pas une fatalité et qu'il importe de promouvoir l'égalité plutôt que l'inégalité pour organiser la montée en puissance des pays émergents. Elles ne sont bien entendu pas exclusives d'une politique industrielle forte et d'une recherche performante, dotée de moyens conséquents pour donner à notre pays les moyens d'anticiper les mutations.
Certains collègues en commission ont jugé ces propositions irréalistes et incompatibles avec nos engagements communautaires. Si c’était vrai, je serais très inquiet sur l'avenir par exemple de la taxe carbone qu'entend mettre en œuvre la majorité car le Gouvernement propose, comme moi, d'appliquer aux importations des pays qui ne s'engagent pas en faveur du protocole de Kyoto une taxe prenant en considération la dégradation de l'environnement et l'avantage concurrentiel qu'ont les entreprises de ces pays de pouvoir polluer sans payer. Vous voyez bien, mes chers collègues, que, même si l'objet est différent, la philosophie et le dispositif sont comparables.
Comme pour la taxe carbone, je vous propose d'appliquer un coefficient de correction à tous les biens provenant de pays qui sous-paient et sous-protègent leurs salariés. Il s'agit, par ce biais, de protéger les salariés en France mais également les entreprises de France qui doivent pouvoir compter sur des conditions de concurrence rééquilibrées.
Enfin, dois-je rappeler que lors du référendum de 2005, nos concitoyens ont fait savoir que la liberté de circulation et l’harmonisation des conditions sociales étaient indissociables et qu’ils ont rejeté une Europe fondée sur la seule concurrence ? Dans la mesure où l'Europe n'est pas capable et n'a pas la volonté d'endiguer les délocalisations, le principe de subsidiarité doit permettre au législateur national d'agir. Le constat de carence nous redonne pleinement compétence pour lutter contre ce fléau, car nous ne pouvons accepter l'apathie européenne en la matière. L’adoption de ce texte serait un signal fort en direction de l'Union européenne pour lui rappeler ses responsabilités en matière de politiques commerciale et sociale.
Compte tenu de la gravité des menaces que font peser les délocalisations sur notre économie et notre modèle social, je ne peux que vous inviter à adopter ce texte. L'acuité de ces phénomènes de licenciement boursier et de délocalisation doit, au moins, vous conduire, mes chers collègues, à accepter de débattre et je regrette, je le répète, que la commission des affaires économiques ait choisi de ne pas procéder à l'examen des articles et de ne pas formuler de conclusions.
La parole est à M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.
Le problème est si réel, monsieur le rapporteur, que la commission des affaires économiques s’en est préoccupée et que j’ai souhaité qu’une mission d’information soit constituée sur ce thème. Cette mission d’information, dont Mme Brunel, ici présente, a été le brillant rapporteur…
Mais, à partir d’une bonne intention, vous nous proposez aujourd’hui de mauvaises solutions.
Votre approche est également inadaptée parce que, si, d’aventure, cette proposition était adoptée, elle enverrait un signal catastrophique en direction de l’étranger. Il n’y a pas d’emplois sans entreprises et pas d’entreprises sans investissements. Or une telle mesure serait dissuasive pour les investissements étrangers.
Mais revenons sur le terrain.
Monsieur Desallangre, quelle que soit la qualité de vos travaux, cette proposition de loi est inadaptée, car elle empêcherait quasiment les entreprises de procéder à des licenciements économiques.
La mise en œuvre de cette proposition de loi favoriserait une précarisation des salariés, avec un recours aux CDD – ce que nous ne souhaitons pas.
Je voudrais essayer de vous mettre sur la bonne voie. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Cette proposition de loi est inadaptée également parce qu’elle exigerait un retrait de la France de l'Union européenne et de l’OMC.
Nous sommes notamment engagés, aux termes des articles 23 et 26 du traité pour 1’Union européenne, dans une union douanière, fondée sur un tarif extérieur commun fixé au niveau communautaire, qui ne permet pas d’édicter de façon unilatérale un droit de douane ou une mesure ayant le même effet. Je pense que vous le savez, et je regrette que vous n’en teniez pas compte.
En outre, votre proposition de loi serait sans soute, indépendamment des problèmes de compatibilité avec le droit communautaire, censurée par le Conseil constitutionnel pour atteinte excessive à la liberté d'entreprendre.
Enfin, vous ne pouvez pas dire, monsieur le rapporteur, que le Gouvernement et sa majorité sont restés inactifs.
Nous avons lancé des pôles de compétitivité afin de rapprocher industrie, recherche et universités. Nous avons voté, dans le collectif budgétaire, un dispositif fiscal en faveur des entreprises s'implantant dans un bassin d'emploi en perdition. Mme Lagarde a mis en place un groupe de travail sur la mondialisation, présidé par M. Pascal Morand, que vous connaissez, qui doit remettre en mars prochain ses recommandations en vue d'une « mondialisation plus responsable, loyale et durable » ; ce rapport complétera celui de Mme Brunel en vue de prendre des décisions. Nous avons augmenté l'aide à la mobilité géographique pour les salariés. Nous avons relevé le plafond du crédit d'impôt recherche. Nous avons décidé des mesures en faveur des « gazelles », les petites entreprises, pour promouvoir la croissance de nos petites et moyennes entreprises. Nous avons créé un dispositif « France Investissement » pour augmenter les fonds propres des PME… Et cette liste n’est pas exhaustive.
Toutes ces mesures, monsieur le rapporteur, que nous avons prises n’ont qu’un objectif : essayer de mieux appréhender les problèmes que vous avez évoqués et préserver la vie de nos entreprises sur le territoire national.
Pour terminer, je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir indiqué que la commission des affaires économiques ne vous avait pas suivi et avait rejeté les termes de cette proposition. Mes chers collègues, je vous demande de voter dans ce sens tout à l’heure, de telle sorte que nous ne passions pas à la discussion des articles et que nous en restions là. Ce serait en effet un mauvais service à rendre à notre économie si, d’aventure, cette proposition venait à être adoptée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Ce sont des dizaines de milliers d'ouvriers et d'employés que les marchés financiers promettent au chômage. Ce sont des vallées ou des villes que font vivre la même usine, dans un coin de France, et qui sont aujourd'hui promises à une morte lente. Jamais, vous le savez très bien, la croissance des services ne pourra remplacer ce que représente aujourd'hui une entreprise où travaillent des centaines de salariés. Les plus jeunes partiront. Et le pire, c’est que vous acceptez cette hécatombe industrielle aujourd'hui tellement banale, c’est que vous ne faites rien, si ce n’est créer une mission d’information.
Je connais vos excuses, vous les affinez depuis tellement de temps ! C'est la mondialisation, qui, telle une tempête, emporterait ces vies et ces histoires. C’est la mutation naturelle de l’économie. L'avenir, aujourd’hui, ce serait les services. Ce serait le partage des tâches avec la Chine, ou l'Inde : à nous les emplois à haute valeur ajoutée, à eux les ateliers. Ce serait bien sûr le coût du travail en France.
Sauf que la mondialisation n'est pas tombée du ciel. Elle fut décidée par les gouvernements d'Europe et des États-Unis. Vous avez fait le choix de libéraliser la circulation des capitaux. Vous avez donc voulu organiser l'économie mondiale autour d'une seule valeur, la rentabilité financière. Et ce sont tous ces salariés qui paient les pots cassés.
C'est le coût du travail en Chine qui fait les délocalisations ? 40 % du commerce international de la France s'effectue entre une multinationale et sa filiale à l'étranger. Ce chiffre, méconnu, montre bien que ce ne sont pas les entreprises chinoises qui menacent nos emplois. Ce sont les multinationales françaises qui, pour accroître leur rentabilité financière, font le choix de délocaliser et ainsi d'organiser la concurrence entre les ouvriers français et chinois.
L'avenir serait aux services ? Mais les services aussi délocalisent ! Regardez les centres d'appel, regardez Axa !
Quant au partage des tâches avec la Chine ou l'Inde, vous savez bien que ces pays ne souhaitent pas rester de simples ateliers. Ces pays aspirent légitimement à maîtriser leur développement ! Et pour cela, ils font ce que la France ne fait plus, ils soutiennent l'innovation, ils investissent dans la recherche.
Quant à votre dernière excuse, le coût du travail, il ne tient évidemment pas. Aucun salarié français ne peut être compétitif si on ne compare que les montants des salaires. Alors pourquoi s'entêter, comme vous le faites, à faire baisser le coût du travail, plutôt que de miser sur les autres atouts, immenses, qui existent en France ?
Devant votre indifférence à ce problème, il faut bien agir. Il faut bien réagir. Les salariés le font, énergiquement, courageusement. Avec eux, les habitants et les élus locaux cherchent à bloquer ou infléchir les décisions. Parfois, ils gagnent. Je pense notamment aux salariés de Nestlé à Marseille. Souvent, hélas, ils se heurtent au refus de négocier des entreprises, voire aux compagnies de CRS que votre gouvernement envoie, comme pour les ateliers Thomé-Génot. Comme si rien ne devait entraver la liberté des financiers, des banques, des LBO – Leverage Buy Out – ou des fonds de pension à détruire, briser, ravager la vie des hommes et des femmes de ce pays, à briser également les entreprises !
Ce que demandent les députés communistes et républicains avec cette proposition de loi, c’est que l’État relaye les luttes de ces hommes et de ces femmes. C’est qu’il prenne enfin conscience de la gravité de ces licenciements boursiers, de ces délocalisations. C’est que le Gouvernement comprenne enfin le caractère stratégique du développement de l’industrie en France. C’est que l’on défende enfin les entreprises, monsieur le président Ollier. C’est ce que nous faisons avec cette proposition de loi !
On ne luttera pas contre ce fléau sans donner, dans la gestion des entreprises, davantage de pouvoirs à celles et ceux qui ont la volonté de développer l’outil de travail et l’emploi. Je pense aux salariés et aux élus locaux, notamment. Pourquoi se cacher cette réalité ? A partir du moment où les nouveaux actionnaires, ces financiers, montrent chaque jour leur refus d’investir dans le développement de la production et démontrent que seule les intéresse la rentabilité financière de l’entreprise, qu’espérer à leur laisser le pouvoir, sinon de nouveaux drames et de nouveaux licenciements boursiers ?
Cette responsabilité sociale, il faudra aussi l’instituer pour les donneurs d’ordre ou la grande distribution à l’égard des entreprises sous-traitantes et de leurs salariés. Vous savez très bien, mes chers collègues – vous le vivez chaque jour en circonscription – que ces entreprises sous-traitantes sont littéralement pressurées par leurs donneurs d’ordre ! II faut donc donner à ces entreprises et à leurs salariés les moyens de se protéger, et donc la capacité à intervenir dans les choix de leurs donneurs d’ordre.
Cette responsabilité sociale, elle est aussi territoriale : c’est la vie de régions entières qui se joue quand une poignée d’hommes, au sein d’un conseil d’administration, fait le choix d’augmenter encore la rémunération de ses actionnaires. Ce qu’il faut discuter, ce sont les pouvoirs d’intervention de l’État et des collectivités locales. Il faudrait notamment contrôler l’utilisation des aides publiques aux entreprises, afin de s’assurer que de telles aides servent bien l’emploi, la formation, la recherche et l’investissement. Plus largement, ces collectivités devraient aussi soutenir les investissements socialement utiles. C’est le sens de notre proposition de création d’un fonds national régionalisé pour l’emploi.
Par ces propositions, et d’autres, nous touchons à la nécessité, pour l’État, de définir une véritable politique industrielle et de services, de préciser ses objectifs et les moyens dont elle dispose pour développer l’emploi. Ce point dépasse notre compétence de législateur, et donc le contenu de notre proposition de loi, mais il est essentiel.
En effet, en France et dans l’Union européenne, la concurrence est un dogme, le soutien à la rentabilité financière des entreprises un tabou. Le terrible bilan de cette politique, qui a même réussi à fragiliser un joyau industriel comme Airbus, impose un complet changement de politique industrielle. Au sein des institutions européennes, il est temps de permettre aux pouvoirs publics de soutenir et d’orienter des projets industriels stratégiques. Et il est tout autant urgent de lutter contre les politiques de dumping fiscal et de réorienter les missions et la politique de la Banque centrale européenne. Ce n’est que sous contrôle démocratique que la BCE pourra inventer une politique du crédit favorable à la recherche, à l’emploi, aux salaires et à la formation.
De même, c’est à l’Europe qu’il incombe de remettre en cause, au sein des institutions internationales comme l’OMC, ce modèle d’une concurrence libre et non faussée à l’échelle mondiale. Ce modèle détruit l’emploi industriel non seulement au Nord, mais aussi maintenant dans les pays intermédiaires, tout en favorisant la surexploitation des salariés des pays du Sud ou de l’Est.
En France, le Gouvernement a la responsabilité de soutenir le développement de l’industrie et des services. Un pôle financier public autour de la Caisse des dépôts, de La Poste et des caisses d’épargne pourrait ainsi être créé. Cela donnerait à l’État les moyens d’orienter les investissements et de favoriser le développement de l’industrie et des services par le biais d’une politique de crédit sélective.
L’État a aussi la responsabilité d’imposer d’autres critères de gestion que la rentabilité. Prenons l’exemple des pôles de compétitivité. Tous sont aujourd’hui contrôlés par de grandes multinationales dont le seul souci est la rentabilité financière. Que pouvons-nous donc attendre d’eux ? Si l’on veut s’assurer du développement en France de filières industrielles de pointe, liées aux plus récentes avancées de la recherche, il faut transformer ces pôles en pôles de coopération qui seraient sous le contrôle conjoint des chercheurs, des enseignants, des comités d’entreprise, des syndicats, des associations et des élus. Ce sont ces coopérations, construites dans le temps et pas sur le court terme, qui peuvent favoriser l’essor de nouvelles activités riches en emplois, utiles aux territoires.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, il y a urgence à agir contre ces délocalisations et licenciements boursiers. Le Gouvernement ne peut plus se permettre de faire la sourde oreille devant un phénomène d’une aussi grande ampleur. Les députés communistes et républicains vous soumettent, par cette proposition de loi, des mesures sérieuses pour avancer concrètement sur cette question. Attendre serait accepter que d’autres entreprises fassent l’actualité ces prochaines semaines, ces prochains mois. Refuser le débat serait le signe d’un mépris terrible de la majorité pour la vie de tous ces hommes et femmes. J’espère donc que, pour une fois, vous saurez entendre l’appel de ceux et celles qui agissent pour défendre leur emploi et l’industrie de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
Les délocalisations sont aujourd’hui un fait grave, encore mal appréhendé et sous-estimé, comme je l’ai montré dans mon récent rapport sur ce sujet. Les conséquences directes sur les personnes et les territoires affectés sont pourtant souvent dramatiques. En outre, au-delà de leur impact direct, les délocalisations sont génératrices d’une angoisse diffuse. Cependant, comme l’a rappelé le président Ollier, les solutions proposées par ce texte ne sont pas adaptées.
L’article 1er tend, de facto, à interdire tout licenciement, sauf, en pratique, aux entreprises au bord de la faillite. Oui, il existe parfois des licenciements « boursiers » choquants, mais interdire ainsi les licenciements reviendrait en réalité à pénaliser l’emploi. Dans l’impossibilité de licencier, une entreprise n’embauchera plus, ou aura recours, encore plus qu’aujourd’hui, à l’intérim ou aux contrats précaires. Trop de protection tue la protection. La vie économique est faite d’aléas et empêcher une entreprise d’y faire face comme elle le souhaite, c’est l’empêcher de respirer, c’est la condamner.
Est-ce à dire que l’on ne peut rien faire ? Je ne le crois pas. Il nous faut trouver un moyen de concilier compétitivité et protection sociale, en s’inspirant de ce qui se fait en Scandinavie : une grande liberté pour les entreprises et une sécurisation du parcours professionnel des salariés. La CFDT et la CFTC ont d’ailleurs mené d’intéressantes réflexions sur ce sujet. Cela supposerait d’ailleurs, comme en Scandinavie, un autre mode de financement faisant moins appel aux entreprises. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de l’idée d’une TVA sociale.
S’agissant de l’article 2 du projet, je rappellerai que l’article L. 321-17 du code du travail met déjà à la charge des entreprises, au-delà des mesures d’accompagnement, une obligation de revitalisation lorsqu’elles procèdent à des licenciements collectifs affectant, par leur ampleur, l’équilibre du ou des bassins d’emploi dans lesquels elles sont implantées. Ce dispositif concerne les entreprises d’au moins 1 000 salariés. La contribution des entreprises ne peut être inférieure à deux fois la valeur mensuelle du SMIC par emploi supprimé. Le préfet, dans le cas de licenciements importants effectués par des entreprises d’au moins cinquante salariés, peut engager un plan dans ce sens, l’entreprise pouvant y prendre part selon des modalités arrêtées d’un commun accord. Aller au-delà reviendrait en réalité à décourager de créer des emplois en France, comme l’a rappelé le président Ollier.
De surcroît, les mesures qui nous sont proposées seraient financées par une augmentation à due concurrence de l’impôt sur les sociétés. En d’autres termes, les entreprises qui n’auraient pas déjà délocalisé seraient un peu plus pénalisées !
Je me sens en revanche plus en phase avec l’article 3 de la proposition (« Ah ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), ayant moi-même déposé une proposition de loi dont l’objet n’est pas très éloigné. Je veux parler du contrôle des aides publiques. Je suis favorable à un contrôle de ces aides,…
En revanche, s’agissant du rétablissement du protectionnisme, elles diffèrent sensiblement. Le chapitre II est radical. Il ne propose rien de moins que le rétablissement du protectionnisme, la sortie de l’Union européenne et de l’OMC !
En effet, l’article 4 institue un « prélèvement sur les biens importés ». Cette disposition est tout d’abord contraire à l’article 23 du traité instituant l’Union Européenne, qui prévoit, pour les marchandises, « l’adoption d’un tarif douanier commun dans leurs relations [des États membres] avec les pays tiers ». L’article 26 prévoit que les droits du tarif douanier commun sont fixés par le Conseil statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission. Ce tarif douanier commun a été introduit en 1968.
Il est important également de rappeler que, même si l’Union Européenne revenait sur ses positions libre-échangistes, ce qui actuellement est strictement impossible compte tenu des positions de ses membres, les augmentations de droits ne seraient possibles qu’à condition de respecter les règles de l’OMC qui font obligation d’accorder des compensations sous forme de réduction des droits portant sur d’autres marchandises, ce qui n’irait pas dans le sens recherché par la proposition de loi.
Ensuite, cette proposition est contraire à la disposition de ce même article 23 interdisant, entre États membres, pour l’ensemble des marchandises, la mise en place de droits de douane à l’importation et à l’exportation, et de toutes taxes d’effet équivalent. Il n’est donc pas possible d’instaurer de telles mesures au plan national, tant vis-à-vis des autres États membres que des non-membres.
À titre accessoire, il serait intéressant de savoir comment serait calculée la part des coûts salariaux dans le prix de revient des biens concernés. Un tel calcul ne va pas de soi, et il serait encore plus compliqué si le bien avait transité par plusieurs pays, ce qui est fréquent dans le textile ou l’informatique. Par rapport à quel pays calculerait-on le taux de la taxe ?
Je suis donc radicalement opposée à toute fermeture autarcique de la France, ce vers quoi nous tendrions si nous adoptions cette proposition de loi.
Est-ce à dire, cependant, que tout est parfait dans le meilleur des mondes possibles ? À l’évidence, non.
Sur le premier point, ne nous leurrons pas. L’Union européenne est aujourd’hui très profondément hostile à toute mesure ayant un relent protectionniste, que ce soit par intérêt ou par conviction.
Nicolas Sarkozy a d’ailleurs déclaré : « Je défends l’économie de marché, la liberté, mais l’Europe a été construite pour protéger, pas pour être le cheval de Troie d’une concurrence déloyale. » Nous devons donc exiger la réciprocité. Pour me limiter à un exemple, j’ai dénoncé dans mon rapport une ouverture asymétrique des marchés publics européens, l’Europe laissant le sien ouvert à des pays qui lui refusent la réciprocité.
Il convient aussi d’aborder un sujet complexe, mais d’une grande importance pour l’industrie européenne : l’environnement. Dans ce domaine, l’Union européenne est en pointe par rapport au reste du monde. En témoignent aussi bien la directive Reach que la mise en place d’un système de droits d’émission. La Commission a très récemment proposé d’intégrer les transports aériens dans le système communautaire d’échange de droits d’émissions. Tout cela procède d’un souci que nous ne pouvons que partager, qui vise à léguer à nos enfants un monde vivable. En même temps, il convient de trouver un équilibre, afin que l’Europe ne soit pas un monde plus pur, mais sans emplois.
Cela étant, nous n’en devons pas moins réfléchir aux problèmes qui nous sont entièrement imputables, par exemple le faible taux d’emploi. L’État doit-il nécessairement continuer à financer des préretraites, au lieu d’investir des sommes équivalentes dans des plans de revitalisation ?
Nous est imputable aussi la faiblesse de notre effort d’innovation, surtout en termes de résultats. Le problème n’est d’ailleurs pas propre à la France, l’Europe est dans la même situation, à part quelques pays comme la Finlande. Il s’agit d’un problème structurel. Il faut aussi garantir le développement des PME, qui sont particulièrement faibles dans notre pays.
Il ne faut pas être naïf dans la compétition internationale, mais nous devons réagir. La France vit trop sur son héritage, alors que son économie est bousculée par des continents entiers qui sont privés de tout et qui sont en train de bâtir le leur. Redonner à notre pays une compétitivité économique forte pour assurer nos emplois de demain, ce sera la première tâche de la prochaine législature.
Si le groupe UMP est inquiet face aux délocalisations et souhaite que de nouvelles mesures soient prises, il n’approuve pas, cependant, les dispositions de cette proposition de loi.
Appliqué au domaine économique, son appel est une double invitation. La première nous prescrit d’élaborer une protection sociale efficace pour les pays développés, sans oublier de tisser des solidarités internationales respectueuses notamment des peuples en voie de développement habitant les pays du tiers-monde. La seconde suggère de détruire les causes des désordres constatés.
Évidemment, il faut être fou ou député pour croire qu’une loi adoptée dans un État nation, parmi les deux cents du monde, entravera les effets négatifs de la mondialisation. Mais nous serions coupables de négliger nos capacités d’interpellation et de nous interdire ce droit de parole, cette volonté de changement, si modeste soit-il.
Ce matin, en proposant de lutter contre les délocalisations, M. Desallangre et l’ensemble du groupe des député-e-s communistes et républicains souhaitent « prévenir et corriger les effets néfastes de la mondialisation », d’une part en proscrivant les licenciements économiques pour ajuster les effectifs après une délocalisation – tel est l’objet de leur proposition de loi –, d’autre part en empêchant les pratiques de dumping fiscal et social à l’origine de la majorité desdites délocalisations et de leur cortège de licenciements.
L’ambition affichée de ce texte et l’exposé des motifs ne peuvent nous laisser indifférents. Les députés ne sauraient esquiver la discussion, car ces problèmes sont vécus chez nous souvent – mais pas toujours – par les plus modestes, je veux parler des citoyens et des territoires les plus fragiles.
Que les choses soient clairement énoncées : confrontés les uns et les autres, dans chacune de nos circonscriptions, à cette réalité quotidienne, il est juste et sain que, après la publica tion, en décembre 2006, du rapport d’information rédigé par Mme Brunel, nous tentions de répondre en urgence à ce phénomène qui risque, dit-elle, de s’accélérer, réduisant la France à un choix simple : subir ou réagir.
Mais, confrontés à cette urgence incontournable, il est juste et sain d’avouer au rédacteur de la proposition que la texture même de certains articles ne nous satisfait pas. Ce n’est cependant pas un motif suffisant pour écarter la contribution à la réflexion. Le temps de l’analyse, les travaux en commission et la réaction d’amendements, en résumé le débat démocratique, peuvent nous conduire à rechercher, même dans les confrontations et les contradictions, des initiatives d’urgente nécessité. En effet, nous distinguons bien une évidence, dans la diversité de nos sensibilités : la maîtrise et la bonne gouvernance des marchés internationaux s’imposent comme l’un des cinq enjeux majeurs des prochaines décennies.
Notre collègue écrivait, invitant Sénèque aux auditions du rapport parlementaire : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas que les choses sont difficiles. » Chiche ! Osons en parler, et osons introduire dans les prochains débats politiques la problématique démographique entre le Nord et le Sud, l’urbain et le rural, celle du réchauffement climatique, cumulé à la rareté et à la cherté des énergies fossiles et de l’eau, celle de la compatibilité entre l’efficacité de gestion et les solidarités générationnelles, sociales, territoriales, celle de la juste adéquation entre liberté et autorité, droits et devoirs, initiatives privées et intérêts communs, et enfin celle de la mondialisation, avec, pour les peuples, le choc des cultures et, pour les marchandises, les inégalités croissantes des marchés internationaux.
Mes chers collègues, ne repoussez pas l’étude du texte, qui, par une approche partielle – la lutte contre les délocalisations – s’inscrit dans un défi de circonstances : la nouvelle donne des échanges internationaux.
Ne repoussez pas l’étude de ce texte par une approche partisane, car il est insupportable de reprocher aux autres d’être enfermés dans un carcan idéologique, comme l’a fait tout à l’heure M. Ollier, quand une autre idéologie, le libéralisme financier, est déclinée depuis cinq ans dans toutes les décisions de la gouvernance.
À mon sens, trois périmètres sont concernés. Le premier est celui de l’Union européenne, car il est navrant que cette communauté de destin n’entrave pas les délocalisations internes à son périmètre. La filière bois, très présente hier en Lorraine, se réduit désormais à la production, parce que les unités de transformation se sont délocalisées.
Le second périmètre s’élargit aux pays qui, tout en frappant – ce dont nous nous réjouissons – à la porte de l’Union européenne s’offrent, fût-ce dans des conditions discutables, à ces délocalisations.
Le dernier défi porte sur les délocalisations qui s’effectuent au-delà du périmètre et des frontières européennes. Ainsi, la semaine dernière, en Lorraine, Arcelor-Mittal a menacé de se délocaliser en Ukraine, si les quotas de CO2 et la tarification des taxes n’étaient pas revus.
La dernière recommandation inscrite au dos du rapport concernant les délocalisations nous presse. L’avenir ne s’attend pas ; il se prépare. Or le constat est inacceptable. Ici, des intérêts financiers sans juste mesure ; là, non seulement des salaires dérisoires et des fiscalités refuges, mais encore des conditions environnementales indignes ; hier, déjà, la pollution des fleuves – je me rappelle les fleuves bulgares souillés par les effluents de la sidérurgie – ; aujourd’hui, les rejets dans l’atmosphère non assujettis aux taxes sur le CO2, tout cela en appelle à l’initiative législative. Nos collègues communistes nous la proposent. Ne la refusons pas et passons rapidement à la discussion des sept articles proposés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Dans le capitalisme mondialisé du XIXe siècle, nous éprouvons de plus en plus le sentiment d’une domination irrépressible de l’actionnaire sur le salarié, de la finance sur la production.
Le phénomène est omniprésent en France aujourd’hui et reste un facteur d’inquiétude pour les salariés. Aucun secteur n’est à l’abri. La désindustrialisation est préoccupante dans notre pays, qui détenait un rang mondial enviable dans le domaine de l’électronique, de l’informatique ou de l’aéronautique. Or la France n’a plus d’entreprises fabricant des ordinateurs. Pour Thomson, dans ma circonscription, l’histoire de la production industrielle de téléviseurs, de décodeurs et d’autres produits électroniques se termine.
ce site, qui employait encore 1 200 salariés en 2000, n'en compte plus que 660 aujourd'hui. Combien seront-ils demain ? À terme, c'est toute la filière électronique qui est menacée de disparition. Le groupe Thomson, qui n'a plus de stratégie industrielle, n'a ni su ni voulu anticiper la mutation technologique nécessaire : nous en mesurons aujourd'hui toutes les conséquences. En outre, les délocalisations servent souvent de moyens de pression en matière de droit du travail et de salaires.
Les exigences de rentabilité des fonds spéculatifs ne peuvent que nous inquiéter, compte tenu de la place grandissante que les fonds de pensions, souvent américains, occupent dans notre économie. Ces derniers mois, la multiplication des rachats d'entreprise avec effet de levier financier, ou LBO – Picard, Cegelec, VVF, Printemps, Well, Arena et, dernièrement, Aubade –, fait peser de réelles menaces sur notre cohésion économique et sociale.
Les salariés sont toujours les premières victimes de telles pratiques. Ainsi, dans ma circonscription, une entreprise de peinture, qui comptait 200 salariés en 2000, n'en compte plus que 162 aujourd'hui. En France, le groupe a supprimé 476 emplois en trois ans. Vendue par Total et rachetée par un fonds de pension américain, cette entreprise voit aujourd'hui une partie de sa production transférée à l'étranger. Actuellement, 80 % des salariés sont en grève, pour protester contre le refus de la direction du groupe d'envisager une augmentation des salaires de 1,5 % au 1er janvier 2007 et de 1,5 % au 1er juillet 2007, alors que 82 millions d'euros ont été versés aux actionnaires. Les salariés, qui produisent pourtant la richesse de l'entreprise, qui plus est souvent au détriment de leur santé puisqu’ils manipulent des produits cancérigènes – toluène, phénol ou chlorométane –, tous proscrits par la directive Reach, ne reçoivent rien.
Comment vivre avec deux enfants et un salaire mensuel de 960 euros ? On dévalorise le travail et l'employeur organise lui-même le chômage. Une salariée me confiait ainsi que, avec de tels salaires, mieux valait rester chez soi : on économisait les frais de garde et de transport ! Comment accepter une telle logique ?
Les délocalisations ne sont pas une fatalité économique : elles résultent de multiples facteurs. La mission d'information sur les délocalisations présidée par Mme Brunel a réalisé un travail important, tentant d'établir un diagnostic du phénomène et d’avancer des propositions. Mais celles-ci restent largement incomplètes, même si certaines d'entre elles vont dans le bon sens. Elles demeureront inefficaces si des mesures plus contraignantes ne sont pas envisagées. Chaque restructuration devrait ainsi comporter un volet économique territorial et une contribution à la redynamisation des sites touchés, en recréant les emplois détruits et en compensant financièrement l'impact pour la collectivité.
Mais le plus scandaleux, c'est l'augmentation des bénéfices des grands groupes et celle des stock-options versées à leurs dirigeants – je ne reviendrai ni sur la politique européenne de régulation des marchés, ni sur les normes environnementales.
Face à ces délocalisations brutales et injustifiées, nous devons disposer d'outils législatifs et renforcer l'intervention publique. C’est pourquoi je souhaite que le débat se poursuive, car il nous faut pouvoir faire face aux forces du marché et à une concurrence européenne fiscale et sociale entre territoires totalement dévastatrice. Après le mythe de la société post-industrielle et celui de la nouvelle économie, ne succombons pas au mythe du « tout délocalisable » au moindre coût ! Notre rôle est bien d'ouvrir des perspectives et de faire des propositions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
En 2002, lorsque la majorité actuelle est arrivée aux affaires, les députés socialistes ont interrogé le Gouvernement sur la situation de la sidérurgie, Arcelor ayant annoncé des suppressions d’emploi en 2008 et 2009. J’avais alors indiqué que, dans le monde économique actuel, l’annonce de la disparition de l’un des secteurs les plus stratégiques de la politique industrielle française était scandaleuse. Il est vrai que, à l’époque, cela arrangeait tout le monde : les départs à la retraite et l’embauche d’intérimaires – dont on peut se débarrasser facilement – permettaient d’éviter les licenciements et on récupérait, en passant, quelques quotas de CO2. Arcelor passait alors pour un saint-Bernard et le préfet réunissait syndicats, élus et entreprises pour colmater les brèches. Comme il n’y avait pas de licenciements, un plan de revitalisation n’était même pas nécessaire. L’effort d’Arcelor témoignait, dès lors, de sa bonne composition ! Eh bien, le Gouvernement a eu tout faux !
À mes nombreuses interpellations, quatre ministres ont répondu : Mme Fontaine, M. Devedjian, M. Loos et M. Breton.
Monsieur le président Ollier, vous aviez auditionné M. Mittal au moment de l’OPA hostile, puis de la fusion avec Arcelor. Je vous ai demandé de réunir à nouveau la commission des affaires économiques, afin que vous expliquiez les coups bas que le gouvernement français prépare contre Mittal-Arcelor. En effet, Arcelor avait décidé d’arrêter sa production en 2008-2009, mais, le marché de l’acier étant en pleine explosion, Mittal-Arcelor souhaite aujourd’hui continuer de produire en France. Or vous ne lui accordez pas les quotas de CO2 nécessaires, bien que les hauts fourneaux concernés soient ceux qui produisent le moins de CO2 au monde – prouvant au passage qu’il est possible de conjuguer politique industrielle et politique environnementale.
En l’espèce, la responsabilité n’incombe ni à la mondialisation, ni même à l’Europe. Celle-ci enregistrera les propositions du gouvernement français, lesquelles ne sont pas favorables à l’industrie, mais à l’énergie, aux transports et à l’agriculture. Je vous demande donc de revoir votre plan ou, en tout cas, de définir une politique industrielle minimale, afin que nous ne perdions pas 1 000 emplois directs et quelques centaines ou milliers d’emplois indirects en Lorraine et sur l’ensemble du territoire. Sinon, vous aurez eu, directement ou indirectement, la peau des derniers sidérurgistes.
Je regrette que ce débat n’ait pas lieu dans l’hémicycle ou au sein de la commission de la production et des échanges.
Nous savons ce qui attend la France si, par malheur, elle faisait le choix du libéralisme tous azimuts que l’on nous propose (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), car celui-ci est déjà à l’œuvre. Il se traduit par des suppressions d’emploi, par le renvoi des pauvres vers les départements, qui n’en peuvent plus, et par le transfert de la politique économique vers les régions, qui, aujourd’hui, sont les seules à impulser une dynamique. Vous prenez un malin plaisir à souligner qu’elles augmentent les impôts, mais elles le font précisément parce que, contrairement au Gouvernement, elles ont une politique industrielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
La parole est à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.
Être ministre de l’emploi, c’est aussi avoir en charge les restructurations, en lien étroit avec le ministre de l’industrie. C’est être dans les Vosges, par exemple, auprès du président Poncelet, pour accompagner les salariés et les mutations des entreprises de textile.
En effet, après avoir examiné votre proposition de loi avec la plus grande ouverture d’esprit, monsieur le rapporteur, j’estime, comme le président de la commission des affaires économiques, que, outre les importants problèmes juridiques qu’elle pose sur le fond, elle va à l’encontre de son objectif, qui est de préserver l’emploi dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Je préfère me concentrer sur le fond de vos propositions. Votre premier chapitre n’a sans doute pas le titre qui convient, puisque seule la dernière mesure de l’article 2 traite des délocalisations ; schématiquement, les autres ont pour objet de durcir juridiquement et d’alourdir financièrement le licenciement économique,…
Il n’est sans doute pas inutile de vous rappeler quelques chiffres, madame Buffet. Les services du ministère du travail ont recensé 1 200 restructurations en 2006 – un chiffre élevé dont personne ne saurait se satisfaire. Cependant, contrairement à ce qu’a affirmé le journal L’Humanité, la situation ne s’est pas aggravée lors des dernières années, puisque l’on comptait déjà 1 400 restructurations et 300 000 licenciements économiques en 2003 – en dépit de la loi de modernisation sociale.
Ces liquidations sauvages, qui occupent parfois la scène médiatique, ne constituent fort heureusement qu’une infime partie des restructurations.
Certaines restructurations sont effectivement à l’origine de véritables désastres sociaux, territoriaux et économiques, mais empêcher toute adaptation ne serait-il pas mortifère pour l’entreprise et l’emploi ? La logique protectionniste qui sous-tend votre proposition, monsieur le rapporteur, le repli sur soi et l’immobilisme que vous prônez me paraissent un discours d’un autre âge. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Ce ne sont pas de simples solutions de survie que nous proposons, mais des réponses complètes fondées sur la politique de pôles de compétitivité, sur la création de l’Agence de l’innovation industrielle, bref sur de vrais outils anti-délocalisations qui permettront de dégager un avenir industriel pour notre pays.
Les propositions de l’excellent rapport de Mme Brunel constituent des mesures concrètes, pratiques, qu’il s’agisse du suivi des délocalisations ou des investissements dans les secteurs stratégiques. Par ailleurs, n’oublions pas qu’il y a aussi des relocalisations – même si on n’en parle jamais – qui se font sur notre territoire comme dans d’autres pays de la vieille Europe.
Si adapter notre économie est le premier axe de notre politique, nous devons aussi promouvoir une nouvelle régulation sociale à l’échelle du marché européen et du marché mondial. C’est la raison pour laquelle la France s’est engagée, aux côtés du directeur général du Bureau international du travail, à ce que la dimension sociale de la mondialisation soit prise en compte, aussi bien dans les accords commerciaux de l’Union – dont beaucoup seront prochainement renégociés – que dans le cadre de l’OMC. Le Président de la République a été, avec le Président brésilien Lula, l’un des acteurs majeurs de cette prise de conscience.
Conformément aux dispositions du même article du Règlement, si l’Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.
Je ne suis saisi d’aucune demande d’explication de vote.
Je consulte l’Assemblée sur le passage à la discussion des articles de la proposition de loi.
(L’Assemblée, consultée, décide de ne pas passer à la discussion des articles de la proposition de loi.)
Je vais suspendre la séance pour cinq minutes.
(La séance, suspendue à dix heures cinquante-cinq, est reprise à onze heures.)
La parole est à M. Daniel Paul, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
Mon rapport présente tous les éléments techniques de cette question. Il en ressort que les titulaires d'une pension d'invalidité – ils sont actuellement 700 000 – subissent, avant tout et de plein fouet, les règles particulièrement féroces de détermination du salaire annuel moyen. Celui-ci sert à calculer le montant d'une pension de vieillesse de base. Il consiste à prendre la moyenne des salaires annuels soumis à cotisations qui ont été gagnés sur les vingt-quatre meilleures années en 2007, puis vingt-cinq, à partir de 2008. Lorsque les assurés ont droit au taux plein, comme les titulaires de pension d'invalidité, leur pension annuelle est égale à la moitié de ce salaire annuel moyen, éventuellement minoré en cas de durée d'assurance insuffisante – quarante ans aujourd'hui, mais bientôt quarante et un –, et fait l’objet d’une proratisation par rapport à la durée d'assurance ayant donné lieu à cotisation dans le régime liquidateur.
Compte tenu de leur invalidité, les titulaires d'une pension d'invalidité ont vu leurs revenus salariaux considérablement amoindris. Leur salaire annuel moyen s'en trouve conséquemment abaissé car beaucoup de leurs « meilleures années » sont devenues des années médiocres. Et l'application de la loi Balladur de 1993 a considérablement aggravé leur situation en portant de dix à vingt-cinq le nombre des années civiles retenues pour le calcul de ce salaire annuel moyen.
Quand on sait que des travailleurs de plus en plus nombreux commencent leur vie active par des stages sous-rémunérés ou des contrats précaires, qu'ils obtiennent des salaires au plus près du SMIC, connaissent rarement des progressions de salaires et subissent des interruptions de carrière pour cause de chômage ou des arrêts définitifs ou presque pour cause d'invalidité ou d'inaptitude au travail, on comprend que la règle de calcul du salaire annuel moyen revient à retenir non pas les « vingt-cinq meilleures années » de revenus salariaux mais les « vingt-cinq années de moindre pauvreté ». Cette réglementation est vécue de manière dramatique par les personnes invalides au moment de la liquidation de leur pension de vieillesse.
Le texte qui vous est soumis propose d'apporter une solution immédiate à ce problème en revenant à une règle simple qui était en vigueur jusqu'au 31 mai 1983 : les pensions de retraite de base allouées par le régime général ne doivent pas être inférieures au montant de la pension d'invalidité perçue par l'assuré avant de partir en retraite. Les majorations de pension de retraite entraînées par ce dispositif seraient financées par le fonds de solidarité vieillesse dont la mission est justement de financer les avantages vieillesse à caractère non contributifs accordés au nom de la solidarité nationale.
Pour apporter les ressources nécessaires au FSV, la proposition de loi prévoit de mettre en place une contribution sociale sur les revenus financiers, à l'exception des revenus des placements à caractère social ou d'épargne populaire – livret A, épargne logement, etc.
Je dois préciser, comme je l'ai expliqué à mes collègues en commission, que toutes les pensions de base des anciens titulaires de pension d'invalidité ne sont pas liquidées à un niveau inférieur à celui de leur pension d'invalidité. Les moyennes statistiques établies par la Caisse nationale d'assurance vieillesse montrent que le montant de la pension moyenne servie à un ancien titulaire d'une pension d'invalidité est supérieur à celui de la pension de base moyenne des retraités du régime général. Mais il ne s'agit que d'une moyenne arithmétique qui ne rend pas compte des situations individuelles, très contrastées.
En effet, la situation du retraité ex-invalide varie considérablement selon la catégorie d'invalidité dans laquelle il a été rangé et surtout de l'âge auquel il a été mis en invalidité. Si un travailleur est en moyenne mis en invalidité vers cinquante-trois ou cinquante-cinq ans, la situation de ce « travailleur moyen » est radicalement différente, au regard de ses droits à pension de base, de celle du travailleur tombé dans l'invalidité avant l’âge de quarante ans. Ce dernier sera effectivement confronté, sur plus de la moitié de sa carrière, à une situation de forte réduction de ses gains à la place de son salaire et à une stagnation de la progression de ses revenus puisque la pension d'invalidité est calculée sur les dix meilleures années antérieures à l'ouverture du droit et n'est revalorisée que selon les modalités applicables aux prestations sociales.
Mon rapport contient plusieurs exemples dans lesquels des titulaires d'une pension d'invalidité ont subi une chute de revenu importante – jusqu'à 50 % – au moment de la substitution de leur pension de retraite de base à leur pension d'invalidité.
Concrètement, des pensions d'invalidité de 700 ou 800 euros mensuels peuvent, au moment du passage à la retraite à soixante ans, être remplacées par des pensions de base servies par le régime général d'un montant mensuel de 400 euros. Et ce n'est pas la pension de retraite complémentaire qui viendra toujours au secours de ces retraités qui subissent une perte de revenus telle qu'elle affecte même leur mode de vie.
Sur ce point, je tiens à préciser qu'il n'appartient pas au législateur de prendre en compte les pensions de retraite complémentaires. Je sais que c’est l’un de vos arguments, monsieur le ministre.
J'invite donc mes collègues à ne veiller qu'à l'équilibre entre les pensions d'invalidité et les pensions de retraite de base. C'est d'ailleurs ce que faisait l'ancienne disposition législative dont j'ai parlé : la règle de non-recul en vigueur jusqu'au 31 mai 1983 s'appliquait aux pensions de base servies par le seul régime général.
La réunion de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, dont je dois et veux rendre compte en tant que rapporteur, a donné lieu à un débat intéressant et constructif sur la proposition de loi.
Chacun des députés est convenu que la question soulevée, à savoir le niveau de liquidation des pensions de base des titulaires de pension d'invalidité, était réelle. Beaucoup d'entre nous, sur tous ces bancs, ont été confrontés à des cas difficiles de retraités venus les rencontrer dans leur permanence. Tous mes collègues, y compris sur les bancs de la majorité, se sont dit sensibles à la situation de ces personnes fragiles ; il n'est donc pas possible de les ignorer.
Le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales vous a même écrit à ce sujet, monsieur le ministre. Je sais d’ailleurs que vous avez prêté une certaine attention aux multiples sollicitations des députés et présenté l'analyse du Gouvernement en la matière. Toutefois, malgré les réponses argumentées et fournies que vous avez bien voulu nous adresser, vous me permettrez de ne pas être convaincu et de rappeler fermement qu'il y a des situations difficiles qui méritent attention et, surtout, une réponse volontariste de la part du législateur. C'est bien naturellement le sens de cette proposition de loi.
Mes collègues membres de l’actuelle majorité, Bernard Perrut, Maurice Giro, Pierre-Louis Fagniez, Jean-Marie Geveaux, tout en se déclarant sensibles au problème et préoccupés d'apporter un soutien aux retraités ex-invalides se retrouvant dans une situation de nécessité, ont néanmoins fait valoir qu'il leur paraissait opportun d'attendre le rendez-vous de 2008 prévu par la loi Fillon du 21 août 2003 pour discuter de la proposition du groupe des député-e-s communistes et républicains.
Aux termes de l’article 5 de la loi du 21 août 2003, ce rendez-vous doit permettre au Gouvernement de présenter un rapport évaluant les mesures qu’il convient d’adopter, en matière de retraites, au regard de l’évolution du taux d’activité, de la situation financière des régimes de retraite, enfin de l’évolution de la situation de l’emploi et des paramètres de financement des régimes de retraite. Il ne s’agit donc pas d’un rendez-vous pour réviser les termes de la loi, mais pour poursuivre la même logique financière et comptable que celle qui a présidé aux réformes Balladur et Fillon de 1993 et 2003. Le rapporteur que je suis ne peut accepter cette démarche.
L’exemple des retraités anciennement titulaires d’une pension d’invalidité montre que c’est vers une réforme d’ensemble du système des retraites qu’il faut tendre, tant l’échec des réformes successives est évident. Les leviers utilisés depuis quinze ans pour répondre au défi démographique et à la consolidation du régime général ont montré leur inefficacité : les variables d’ajustement qu’ont constitué la durée d’assurance, la proratisation des trimestres cotisés, le mode de calcul du salaire annuel moyen, l’âge de départ à la retraite, la pénalisation des départs anticipés – hors longue carrière ou handicap – et l’incitation à la prolongation de l’activité au-delà de soixante, voire soixante-cinq ans, ont conduit au résultat que l’on connaît.
Le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites, remis au Premier ministre le 11 janvier dernier, confirme le constat que ces méthodes comptables, peu soucieuses des individus et de la préservation d’un niveau de vie satisfaisant pour les travailleurs arrivés à la retraite, n’ont pas permis d’assurer l’équilibre du financement des pensions de retraite jusqu’en 2020, comme pourtant M. Fillon l’avait promis en 2003 pour faire avaler la pilule que constituait sa réforme !
Il faut cesser de s’entêter sur la voie de l’échec et de la désespérance sociale. C’est à une véritable remise à plat du dossier des retraites que votre rapporteur appelle.
Il faut avant tout reconsidérer tous les facteurs du régime des retraites, mais une réforme des retraites ne peut être couronnée de succès que si elle s’accompagne d’une politique ambitieuse pour l’emploi et le pouvoir d’achat.
En matière de retraites, il faut commencer par consolider le régime par répartition sans renvoyer le problème aux régimes de retraite complémentaire privés, par nature inégalitaires et réservés aux plus fortunés – mais je sens bien, monsieur le ministre, que votre réponse ira dans ce sens. La question du pouvoir d’achat des retraités et du niveau des pensions doit être placée au centre de toutes les réflexions. À ce titre, les pensions de base du régime général devraient pouvoir assurer un haut niveau de revenus de remplacement. Enfin, l’acquis majeur de la retraite à soixante ans doit être préservé.
Pour financer cette nouvelle politique, il faut engager une réforme des cotisations sociales patronales élargies à la notion de valeur ajoutée, et mettre à contribution les revenus financiers. Tel est l’objet de l’article 4 de notre proposition de loi. Mais nous savons bien que, pour vous, ce sont des mots qu’il ne faut pas prononcer.
Le Président de la République, lors de ses vœux aux forces vives de la nation en 2006, avait annoncé une réforme profonde du financement de la protection sociale. Reconnaissant enfin l’essoufflement du dispositif actuel, il avait admis que l’on ne pouvait ignorer plus longtemps une réforme des cotisations sociales patronales intégrant la notion de valeur ajoutée.
Refusant le choix d’une plus forte fiscalisation – comme l’augmentation de la CSG – ainsi que toute idée de TVA sociale pour financer la protection sociale, les parlementaires communistes proposent la refonte du mode de calcul des cotisations patronales intégrant la notion de valeur ajoutée, ainsi qu’une modulation.
En outre, seule une politique de l’emploi dynamique ayant pour objectif la résorption complète du chômage par l’offre d’emplois stables et rémunérés selon la juste valeur du travail fourni sera en mesure d’assurer le financement du système des retraites dans notre pays. À ce titre, les départs en retraite massifs des générations d’après-guerre doivent être utilisés pour redonner un emploi à tous les travailleurs. Le renouvellement de la main-d’œuvre liée à ces départs en retraite est une occasion historique pour consolider le salariat, et non pour le précariser.
Tels sont les axes essentiels d’une réforme qui reste à faire et sur laquelle le groupe des député-e-s communistes et républicains reviendra. Naturellement, ces axes devront être complétés par une série de dispositions qui tiennent compte des différentes situations sociales – handicap, incapacité, cas des polypensionnés – et prennent en compte les périodes d’études et de formation, les interruptions de l’activité professionnelle liées au chômage, à la maternité, la pénibilité du travail, etc.
En un mot, il faut opérer une remise à plat de la réforme de 2003 et engager une réforme progressiste de notre système permettant de préparer au mieux ce que j’appellerai la troisième partie de notre existence.
Dans l’immédiat, c’est une mesure de justice sociale et de solidarité que je vous propose d’adopter. Mais la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a décidé de suspendre l’examen de la proposition de loi et de ne pas présenter de conclusions.
À titre personnel, je maintiens que refuser d’adopter la mesure présentée par le groupe des député-e-s communistes et républicains est une erreur ; c’est faire perdurer une injustice à l’égard de centaines de milliers de nos compatriotes, c’est adresser un mauvais signal à ceux qui vivent aujourd’hui de petites pensions, et que cela augure bien mal de ce qui serait mis en œuvre en 2008 si cette majorité, celle que vous représentez aujourd’hui, monsieur le ministre, restait aux commandes du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Cette mesure, applicable immédiatement, concernerait près de 700 000 personnes. Elle est impérative car, depuis la réforme de notre système de retraites en 2003, les pensions de retraite de base se sont dégradées, en particulier celles des personnes invalides, doublement victimes, comme l’a excellemment démontré dans son rapport mon ami Daniel Paul.
Ces personnes sont une première fois victimes lorsqu’elles sont soudainement touchées par l’invalidité. Elles doivent alors restreindre, voire dans certains cas interrompre totalement leur activité professionnelle. Non seulement elles voient leur rémunération s’affaiblir sensiblement, mais elles ne peuvent constituer une carrière professionnelle complète. Une pension d’invalidité se substitue alors aux ressources créées par le travail. Versée par la sécurité sociale, cette pension est inférieure, dans des proportions variables, au salaire perçu avant l’invalidité.
Elles sont une seconde fois victimes en raison du caractère inique du mode de calcul de ces pensions. Calculé sur vingt-cinq ans, le salaire moyen annuel de certaines personnes invalides se réduit à peu de chose, et ce d’autant plus lorsque l’invalidité survient à un âge relativement précoce. À quarante ans par exemple, nous sommes encore au milieu de notre carrière professionnelle. Subir ce sort à cette étape de la vie entraîne des conséquences dramatiques, notamment au moment du départ en retraite. C’est là qu’intervient la double peine, fort bien qualifiée par notre rapporteur dont je reprendrai les propos : les vingt-cinq meilleures années, dans ces conditions, sont souvent les vingt-cinq années de moindre pauvreté.
On ne peut accepter que l’invalidité qui frappe soudainement ces personnes hypothèque de façon quasi automatique leur avenir au moment de la reconstitution de leur carrière et du calcul de leurs droits à pension de retraite.
Le Gouvernement a certes tenté de prendre des mesures pour limiter l’effet de cette disposition, notamment en garantissant le taux plein et l’absence d’application de décote. Mais l’impact de cette mesure, très relatif, se limite à rendre la situation un peu moins catastrophique qu’elle ne l’était.
Vous avez par ailleurs renoncé à remettre en cause le cliquet que représentent les vingt-cinq années servant à déterminer le salaire annuel moyen. Or, c’est justement cette variable qui explique le décrochage. Il faut impérativement revenir aux dix meilleures années de salaire, et ce pour tous les salariés. C’est une proposition forte et constante de notre groupe.
Le second argument que vous avancez pour tenter de minimiser la dégradation du niveau des pensions de retraite est la prise en compte des retraites complémentaires. Comme notre rapporteur, je trouve cet argument inapproprié. Il faut comparer deux pensions au même niveau. La pension d’invalidité n’a pas plusieurs étages, c’est une prestation globale. Vous ne pouvez donc pas faire le parallèle entre la pension d’invalidité et l’ensemble des éléments qui constituent la pension de retraite. Sinon, pourquoi ne pas prendre en compte l’ensemble des ressources du pensionné, notamment un éventuel plan d’épargne retraite individuel, et affirmer ainsi qu’en additionnant le tout la pension de retraite est toujours supérieure à la pension d’invalidité ? Un tel mode de calcul est à l’évidence malhonnête !
Certes, comme l’a rappelé Daniel Paul, il s’agit là fort heureusement de cas extrêmes. C’est à nos yeux une raison de plus pour répondre immédiatement à ceux qui sont les plus durement frappés.
Je ne comprends pas les motivations qui vous conduisent à rejeter cette mesure simple et de justice sociale. D’autant plus qu’elle constituerait un signal fort à l’adresse de tous les retraités, dans la perspective du rapport d’étape prévu en 2008.
Ce rapport d’étape, qui précédera toute décision en matière d’assurance vieillesse, devra être l’occasion de dresser un inventaire des dispositions de 1993 et de 2003. Il permettra à la représentation nationale de montrer qu’elle sait tirer les enseignements de l’insuffisance et de l’inefficacité des mesures qui ont été prises jusqu’à présent, et de manifester sa volonté de remédier au problème majeur que représente le niveau des pensions de retraite, notamment des plus faibles – je pense particulièrement aux veuves et aux veufs, aux personnes inaptes au travail, ou à celles ayant des carrières professionnelles courtes ou hachées.
Il n’était, hélas, pas permis dans le cadre d’une niche parlementaire de régler l’ensemble de ces problèmes. Nous avons choisi de prendre pour témoin cette catégorie de pensionnés à qui il est particulièrement urgent d’apporter une réponse. Mais c’est une véritable réforme de l’ensemble du système de retraite qui doit évidemment être réalisée.
Vous en connaissez tous les contours dans la mesure où, de l’aveu même du Gouvernement à l’époque de la réforme de 2003, nous étions les seuls à présenter un projet alternatif, certes éloigné de vos sensibilités et de votre idéologie, mais un projet cohérent, crédible, qui mérite d’être débattu.
Aujourd’hui, nous sommes plus que jamais convaincus que ces propositions restent d’actualité : elles ont même été confortées depuis. Je l’ai dit, et le COR, le Conseil d’orientation de retraites, vient de le confirmer, les différentes réformes que vous avez entreprises pour répondre au choc démographique et assurer la pérennité de notre système de retraite par répartition – la réforme de M. Fillon comme les mesures de M. Balladur – furent des échecs. Et pour cause : on ne résoudra pas cette épineuse question sans modifier le mode de financement du régime et en se contentant d’allonger toujours plus la durée de cotisation en repoussant l’âge du départ à la retraite. Non seulement ces mesures sont inefficaces, mais elles sont à mille lieues des aspirations de nos concitoyens dans une société moderne comme la nôtre.
Vous connaissez notre point de vue sur cette question. Il faut résolument mettre en œuvre une politique de l’emploi efficace, qui allie sécurité de l’emploi et formation. Pour profiter des départs massifs à la retraite des salariés nés après 1945, il faut mettre en œuvre dans les entreprises des plans de gestion prévisionnelle de ces départs contre des embauches, notamment de jeunes, et engager parallèlement une réforme du financement de notre protection sociale, comme vient de le préconiser notre rapporteur.
La prochaine étape reste fixée à 2008…
C’est ainsi, et ainsi seulement, que l'on garantira sérieusement la pérennité de notre système par répartition et que l'on assurera un haut niveau de pension, en prenant en compte les différentes situations sociales comme les évolutions de notre société et en garantissant le départ à la retraite sans pénalité, au plus tard à soixante ans.
Cette proposition de loi participe de cette démarche en lui donnant, dès à présent, une première impulsion.
Nous voulons croire, monsieur le ministre, que vous retiendrez le contenu de ce texte qui, d’ailleurs, ne corrige qu’une bien modeste partie des difficultés vécues par tant de nos concitoyens à la retraite.
Il s'agit là d'un sujet important qui touche la vie quotidienne de nombreux Français : les personnes bénéficiant d'une pension d'invalidité représentaient en effet près de 20 % des liquidations de retraite en 2005. La manière dont sont pris en compte par la législation sociale les « accidents de la vie » concerne un grand nombre de nos concitoyens, et nous sommes souvent interpellés sur ce sujet dans nos permanences.
Je veux d'abord souligner à quel point la proposition de loi de notre collègue Daniel Paul pose une vraie question, celle de la prise en compte par notre système de retraite des accidents de la vie.
L'objet de la proposition de loi est d'instaurer une majoration de pension de vieillesse pour les personnes bénéficiant d'une pension d'invalidité et qui liquident leur retraite à l'âge de soixante ans, afin de garantir que ce passage ne se traduira pas par une diminution de leurs revenus.
Cette préoccupation n'est pas nouvelle. En effet, la question de la prise en compte des périodes d'invalidité par le régime général fait d'ores et déjà l'objet de mesures spécifiques dans le code de la sécurité sociale, dérogatoires du droit commun.
Ainsi, les trimestres de perception d'une pension d'invalidité sont validés pour la retraite, dans le régime de base et complémentaire, sans contrepartie de cotisations et assimilés à une période d'assurance. Cet avantage est important car il permet, en moyenne, aux personnes invalides de disposer d'une durée d'assurance plus importante que les personnes valides, respectivement 163 trimestres contre 156.
La pension de vieillesse est liquidée au taux plein de 50 % dès soixante ans, quelle que soit la durée d'assurance vieillesse de l'assuré. Il n’y a pas d'application éventuelle d'une décote, à la différence du droit commun. De plus, la pension peut être éventuellement portée au minimum contributif grâce au bénéfice du taux plein. Ce montant du minimum contributif a été sensiblement augmenté par le Gouvernement dans le cadre de la réforme des retraites – plus 9 % – pour faire en sorte que, au 1er janvier 2008, aucune pension pour une carrière complète ne puisse être inférieure à 85 % du SMIC.
Dès l’âge de soixante ans, la pension de vieillesse peut se voir portée, sous conditions de ressources, au montant du minimum vieillesse, alors que le droit commun n'accorde cet avantage qu'à partir de l’âge de soixante-cinq ans.
L'ensemble de ces dispositions permet ainsi aux personnes invalides de bénéficier d'une pension de vieillesse en moyenne d'un montant supérieur à celle des personnes valides, comme l'indiquent les chiffres de la CNAV : en 2005, le montant annuel moyen de la pension de vieillesse d'un homme ayant perçu une pension d'invalidité est de 9 100 euros, contre 7 730 euros pour un assuré valide. Pour une femme, les montants sont respectivement de 7 870 euros et de 5 700 euros. Le fait que la retraite des personnes invalides soit liquidée à taux plein à soixante ans explique notamment cette situation.
Il s'agit bien évidemment d'une moyenne qui recouvre des situations différentes. Je partage votre analyse, monsieur le rapporteur, sur le fait que, derrière ces chiffres qui ne sont pas contestables, il reste quelques situations où le passage à la retraite peut se traduire pour certaines personnes invalides par une diminution de revenus. Je pense notamment à des personnes ayant été touchées assez tôt dans leur carrière par une invalidité : même si la durée de perception de la pension d'invalidité est prise en compte dans la durée d'assurance, le fait de passer d'une pension d'invalidité calculée sur les dix meilleures années à une pension de vieillesse calculée sur les vingt-cinq meilleures années peut être défavorable, j’en conviens.
La première est celle de son financement. Aucune évaluation du coût de la mesure n'est faite. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
La deuxième critique concerne le champ des bénéficiaires. Seuls les salariés du secteur privé sont concernés par cette mesure. Quid des autres ?
Troisième critique : l'absence de concertation. Les partenaires sociaux, gestionnaires de l'assurance vieillesse, n'ont pas été consultés,…
Au-delà, l'examen de cette proposition de loi est l'occasion de poser avec force la question de l'avenir de notre système de retraite, dans la perspective du grand rendez-vous de 2008.
Premier constat : le COR confirme la justesse des hypothèses de la réforme des retraites de 2003 et donc l'efficacité de cette réforme. Vous disiez que nous n’avons rien fait, mais nous avons quand même réformé ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Le COR le confirme !
Le deuxième facteur d'augmentation des dépenses n'est pas une surprise : l'arrivée à l'âge de la retraite des générations du baby-boom. En 2020, le COR confirme que le besoin de financement de nos régimes de retraite sera réduit de moitié par rapport à ce qu'aurait été la situation sans réforme.
Deuxième constat : la réforme des retraites doit être poursuivie.
Les Français mesurent en outre toutes les conséquences qu'induirait un tel retour en arrière : suppression de la possibilité de départ anticipé pour longue carrière, fin de l'égalité de traitement entre les salariés du privé et les salariés du public.
Revenir en arrière, c’est prendre le risque de faire exploser le pacte générationnel, fondement de notre système par répartition, en faisant peser sur les actifs une charge excessive et, à terme, insupportable.
Augmenter la durée d’activité implique que l’on privilégie le maintien dans l’emploi et, en particulier, que l’on augmente le taux d’emploi des seniors.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP estime que cette proposition de loi est prématurée…
Au moment où s’achève cette session raccourcie, alors que les enjeux qui se présentent à nous sont extrêmement importants, il serait paradoxal de ne pas évoquer la question des retraites, sujet capital pour les mois et les années à venir. À cet égard, l’intervention de M. Pousset m’ôte tout scrupule, car on aura rarement autant déformé les remarquables travaux du COR…
En premier lieu, s’impose à nous, avec force, la nécessité de remettre à plat la loi de 2003, qui est un échec total.
À l’époque, je disais que l’horizon de quarante années de cotisation était indépassable. Les événements nous ont donné raison. Les chiffres sont d’une clarté aveuglante. Le nombre moyen de jours de chômage d’un homme de cinquante-cinq ans est de 365 et 40 % des salariés demandant à bénéficier de la retraite sont des chômeurs. La situation ne cesse d’empirer, on le voit plus clairement encore lorsqu’on fait la comparaison avec les autres pays. En Allemagne, aux Pays-Bas, en Angleterre et en Suède, la durée de vie au travail est supérieure de trois à quatre ans à ce qu’elle est en France, et la durée de chômage est inférieure de 10 à 40 % pour les plus de cinquante-cinq ans. La situation française est aberrante.
Je ne nie pas qu’il existe quelques progrès dans les PME, mais on n’en a enregistré aucun dans les grandes entreprises. Pour le moment, votre « plan seniors » n’a pas eu d’effet et, s’il en a, ce sera à la marge. Le plus grave, c’est que les salariés ont intériorisé la situation. Nous sommes en train de créer une discrimination par l’âge, et c’est dramatique ! Des salariés exerçant des métiers souvent difficiles en viennent à considérer que, à plus de cinquante-cinq ans, ils sont finis. Il sera très difficile de renverser cette tendance, car elle est en train de s’inscrire dans les faits : ce sera pourtant notre travail, lorsque nous aurons été rappelés aux responsabilités.
Du reste, n’essaie-t-on pas de dissimuler la réalité par le langage même ? On ne parle plus de « chômeurs âgés », mais de « seniors ». On masque, on camoufle, on n’ose plus parler des vrais problèmes.
La situation s’aggrave également parce que le MEDEF se refuse à parler de questions aussi importantes que les accidents du travail ou les maladies professionnelles, ce qui était pourtant prévu par l’article 12 de la loi de 2003. Malgré la protestation unanime des organisations syndicales, il ne se passe plus rien. Sans ce regard sur le travail, sans cette volonté de dépassement de seuil d’âge, si on laisse la société intérioriser cette situation, nous arrivons à un blocage : c’est ce que nous avions pressenti en 2003, et c’était la raison fondamentale de notre refus et de notre désaccord.
Je reconnais volontiers, au nom de mon groupe, que nous n’avons pas été assez vigilants sur l’effet dévastateur des décrets Balladur : c’est ainsi que l’on passe de dix meilleures années à vingt-cinq, que les retraites ne sont plus indexées sur les salaires, mais sur les prix. Toutes les organisations syndicales que je rencontre craignent une véritable paupérisation de ceux qui touchent les retraites les plus basses, notamment les femmes.
M. Pousset a parlé du succès que représente le non-abondement du fonds de réserve pour les retraites. Un beau succès en vérité : depuis plus de quatre ans, en effet, le fonds n’est plus abondé.
Un autre point doit être abordé, que le groupe aujourd’hui majoritaire n’a jamais pris en compte : l’immigration. Il faut dénoncer une formidable hypocrisie. Toutes les analyses, toutes les hypothèses, fondées sur toutes les variables − natalité, travail −, tablent sur un apport de main-d’œuvre immigrée de 100 000 à 150 000 personnes par an. Ce n’est pas rien, c’est même énorme !
Ce problème-là, avec une pudeur extraordinaire, nul ne l’évoque, tout au moins dans vos rangs. On y dit même probablement le contraire.
En tout état de cause, la retraite par répartition est un enjeu fondamental. La solidarité entre les générations est le socle sur lequel doit reposer la construction d’un espace social pour notre pays. Qu’on ne parle pas d’épargne individuelle ou complémentaire !
Le gros avantage du COR, mis en place par le Premier ministre Lionel Jospin, était de créer les conditions d’un dialogue apaisé, ce que je n’ai pas retrouvé chez M. Pousset.
Les données sont incontournables et les variables, si elles peuvent bouger, ne changent pas fondamentalement le profil du dossier. Les organisations syndicales y travaillent en faisant preuve d’une maturité extraordinaire. Elles acceptent de tout mettre sur la table, y compris les régimes spéciaux, à condition de ne pas profiter de ce débat pour diviser le monde du travail en désignant à la vindicte de ceux qui sont le plus en difficulté ceux qui le sont moins, comme les gaziers ou les employés de la RATP. Ce serait une erreur politique criminelle. Les problèmes doivent être posés dans un esprit de responsabilité et de solidarité. Les organisations syndicales y sont prêtes, à condition que le langage que vous avez tenu ne l’emporte pas sur votre capacité à maîtriser les problèmes.
Ces quelques remarques que je tenais à formuler ne couvrent pas l’ensemble du dossier. On voit bien que ce que nous avions craint est en train de se réaliser. L’enjeu est considérable. Je le répète, il faut sauver la retraite par répartition, qui est la base sociale d’une solidarité entre les générations. J’espère que nous serons aux responsabilités pour le faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
La parole est à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.
La réforme des retraites de 2003 joue tout son rôle et produit tous ses effets.
Comme le chômage a considérablement baissé (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains)…
S’agissant des seniors, monsieur Le Garrec, regardez les chiffres : depuis un an, leur chômage a diminué au même rythme que celui des autres classes d’âge.
Il faut mettre un terme à tout cela. C’est la raison pour laquelle le gouvernement de Dominique de Villepin a mis en œuvre le plan pour l’emploi des seniors, que j’espère pouvoir continuer à appliquer, car il répond non seulement aux besoins des seniors, mais aussi à ceux de nos entreprises et de notre économie.
Nous pouvons être fiers de ce qui a été entrepris depuis 2003 pour sauver la retraite par répartition, faire baisser le chômage et permettre aux Françaises et aux Français d’avoir le nombre d’enfants qu’ils souhaitent. Les résultats sont là : 830 900 naissances, on n’avait pas vu cela depuis trente ans !
C’est aussi le résultat d’une politique familiale ambitieuse, qu’il faut absolument poursuivre.
Mais je souhaite également parler du texte qui fait l’objet de nos débats (« Enfin ! » sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste) après avoir dû répondre aux interventions qui portaient, comme vous avez pu le constater, sur tout autre chose.
M. Jospin a, durant cinq ans, constamment refusé d’accepter les retraites anticipées, malgré toute l’obstination et la générosité du groupe communiste, qui, chaque année, au moment du débat sur la loi de financement de la sécurité sociale, présentait un amendement en ce sens, lequel était rejeté avec constance par la majorité socialiste. Je ne puis l’en blâmer car le gouvernement d’alors n’avait pas entrepris la réforme des retraites et n’avait pas les moyens d’ajouter ce nouveau progrès social à notre système de protection sociale.
Nous, nous l’avons fait ! Et 350 000 personnes ont pu prendre leur retraite anticipée, car elles étaient entrées très tôt dans la vie active. Nous avons donc voulu leur permettre de partir plus tôt que les autres salariés. Les invalides ont pleinement profité de cette mesure. C’est nous qui avons pris cette mesure, et non vous, mesdames et messieurs de l’opposition, même si je tiens à rendre hommage au groupe communiste, qui a eu le constant souci d’aller dans ce sens.
La solidarité que nous avons voulu manifester à nos compatriotes en situation d’invalidité a été particulièrement tangible quand vous avez adopté, mesdames, messieurs les députés, au mois de décembre dernier, les dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. Celles-ci ont permis aux titulaires d’une pension d’invalidité, même minimum, qui sont en incapacité de travail de bénéficier d’un complément d’allocations pouvant atteindre 80 % du SMIC, comme les bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés, qui en bénéficient non depuis cinq ou dix ans, mais simplement depuis la loi du 11 février 2005, cette grande loi de la République pour les personnes handicapées. Maintenant, les invalides profitent également de cette mesure.
Aujourd’hui, vous posez la question de la retraite des invalides. La France peut s’enorgueillir de dispositions très favorables pour le calcul du montant de la retraite des invalides. C’est l’honneur de notre pays de marquer une attention particulière à ceux qui n’ont pas ou plus la santé ou la capacité physique de subvenir à leurs besoins par leur travail. Les réformes courageuses de 1993 du gouvernement de M. Balladur et de 2003 du gouvernement de M. Raffarin ont accru les dispositions favorables aux invalides retraités. Je pense par exemple à la possibilité offerte aux personnes handicapées de partir plus tôt à la retraite, soit dès cinquante-cinq ans. Je pense également à la majoration de la pension de retraite qui peut aller jusqu’à 33 %. Ces deux dispositions ont été ouvertes tant aux fonctionnaires qu’aux assurés du régime général.
Je veux, monsieur Daniel Paul, vous rappeler que la modification de la législation remonte à 1983, époque à laquelle le parti communiste appartenait au Gouvernement. Comment les représentants communistes, au sein du Gouvernement, ont-ils pu, à l’époque, accepter cette mesure, …
Monsieur le rapporteur, vous comparez le niveau moyen des retraites des personnes invalides avec celui des retraites des assurés valides du régime général et vous êtes bien obligé de reconnaître que la pension des personnes invalides est, en moyenne, supérieure de 25 % à celle des autres assurés.
Vous avez présenté quelques exemples concrets censés illustrer une diminution des revenus à soixante ans. Je décortiquerai seulement deux de vos exemples.
D’abord, vous comparez la pension d’invalidité de Mme Marie-Hélène R. et la pension de vieillesse versée par la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Pourtant, cette femme a travaillé la moitié du temps comme salariée agricole et reçoit donc aussi une pension de la Mutualité sociale agricole, que vous n’avez pas comptée…
Ensuite, vous avez cité l’exemple de M. Jean-Pierre H., qui a fait la « une » d’un quotidien régional, au mois de mai dernier. Cet assuré a lui aussi fait une double carrière, comme salarié et artisan. Le montant de sa pension d’invalidité était de 676 euros. En 2006, sa pension de base de la Caisse nationale d’assurance vieillesse était de 383 euros et sa pension de base – et non complémentaire – du régime « artisan » de 350 euros. Cela représente au total 733 euros, soit près de 60 euros de plus que sa pension d’invalidité le jour où il a pris sa retraite. Si l’on ajoute les complémentaires – je vous rappelle qu’il s’agit de régimes obligatoires dans notre pays –, le montant est même de 1,7 fois supérieur à la pension d’invalidité. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Vous comparez donc des choses qui ne peuvent pas l’être.
De la sorte, en ne retenant que la retraite du régime général et en omettant celles servies par les autres régimes de base, comme la MSA ou le régime de retraites des artisans, vous ne rendez pas compte de la réalité.
On peut tirer la même conclusion de votre analyse des régimes complémentaires. Vous ne prenez ainsi même pas en compte dans vos comparaisons les régimes complémentaires obligatoires, alors qu’ils sont, je le répète, obligatoires et devraient par conséquent être intégrés. Le raisonnement est, là encore, biaisé.
S’agissant des assurés invalides, les partenaires sociaux ont décidé, comme pour le régime général, l’attribution de points gratuits. Contrairement à ce que vous indiquez, les pensions complémentaires sont servies aux personnes invalides, comme pour le régime général, à compter de l’âge de soixante ans, et non de soixante-cinq ans.
Si vous interrogez un retraité sur le niveau de sa retraite, il vous indiquera toujours le montant global, qui inclut à la fois la pension versée par le régime général et celle versée par le régime complémentaire. C’est ce qui se pratique tous les jours dans la vie courante et c’est toujours ainsi que l’on compte.
La comparaison doit donc s’effectuer entre le revenu de remplacement de la pension d’invalidité et le revenu de remplacement retraite, c’est-à-dire la pension du régime général ajoutée à celle des autres régimes de base et à celle du régime complémentaire.
Votre proposition de loi aboutirait en réalité – je voudrais appeler votre attention sur ce point – à deux inégalités nouvelles.
D’abord, à une inégalité entre les retraités valides et les retraités invalides (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) : les retraités invalides percevraient des retraites très supérieures à celles des retraités valides (« C’est la meilleure ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) si l'on adoptait votre proposition de loi.
Conformément aux dispositions du même article du règlement, si l’Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.
Dans les explications de vote sur le passage à la discussion des articles de la proposition de loi, la parole est à M. Alain Bocquet, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
Vous avez parlé de moyenne, mais notre collègue du groupe UMP a reconnu qu’il avait reçu dans sa permanence, comme nous tous d’ailleurs, des personnes touchées par ce problème.
Quelle réponse peut-on apporter ? Vous écartez notre proposition de loi d’un revers de main, comme si la France allait si bien. Vous oubliez que, dans notre pays, 7 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté. Vous oubliez que, contrairement à ce qu’indiquent les statistiques, plus on nous dit que le chômage baisse, plus, sur le terrain, on rencontre de chômeurs : 4 millions de salariés se retrouvent actuellement sans emploi.
Tout le monde rend aujourd’hui hommage à l’abbé Pierre. À l’époque, il y avait 2 000 sans-abri. Nous atteignons maintenant le chiffre de 100 000. Si l’abbé Pierre était encore à l’Assemblée, il aurait probablement voté notre proposition de loi. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Vous avez évoqué l’INSEE. Celui-ci précise que les dividendes versés aux actionnaires ont augmenté de 218 % entre 1993 et 2005. Dans le même temps, votre gouvernement a, comme les gouvernements précédents, accordé des exonérations de cotisations sociales qui sont passées de 1 milliard à 23 milliards d’euros.
Monsieur le ministre, refuser cette mesure de justice pour 600 000 Français vulnérables montre bien la morgue dont le Gouvernement fait preuve. Votre politique est contraire à la justice sociale et à l’équité. (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Monsieur le président, compte tenu, d’une part, de l’importance de cette proposition de loi et, d’autre part, du fait que nos collègues de l’UMP ne sont arrivés dans cet hémicycle que quelques minutes avant le vote, je pense qu’il est nécessaire de disposer d’un peu de temps de réflexion. Je vous demande donc de faire procéder à la vérification du quorum, conformément à l’article 61, alinéa 2, du règlement de l’Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Je suis d’autant plus stupéfait qu’il ne se passe pas un jour sans que le Gouvernement nous parle d’égalité des chances ou d’égalité des droits. Mais, lorsqu’une occasion se présente, il se défile, pardonnez-moi l’expression !
C’est pourquoi Xavier Bertrand, avait, en tant que rapporteur pour avis du projet de loi portant réforme des retraites, défendu l’article 12 du texte, qui disposait que, dans un délai de trois ans après la promulgation de la loi, les organisations professionnelles et syndicales représentatives seraient invitées à engager une négociation interprofessionnelle. Certes, il y a eu quelques réunions, mais force est de constater que, depuis le 2 mai 2006, tout est bloqué ! À cet égard, quelles mesures avez-vous prises, monsieur le ministre, pour remédier à la situation ? Avez-vous invité le MEDEF à rouvrir la porte de la négociation ?
Nous sommes amenés à constater que les dispositifs de départ anticipé existants montrent que l’exigence de réparation est plus que jamais légitime. Les inégalités entre les secteurs sont considérables, en particulier pour ce qui concerne les travailleurs du secteur du bâtiment, personne n’aura l’audace de le nier ! Le nombre d’allocataires en invalidité a bondi de plus de 20 % ces trois dernières années. À l’évidence, les chiffres montrent la nécessité de prendre des mesures tenant compte de la pénibilité et des risques du travail afin d’ajuster l’âge de départ à la retraite.
Vous auriez eu l’occasion, monsieur Bas, de régler ce problème lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale. J’avais, en effet, déposé, au nom du groupe socialiste, un amendement visant à ce que les personnes invalides voient leur pension de retraite améliorée. La majorité précédente n’avait rien fait en ce sens, avez-vous déclaré, monsieur le ministre, mais je me permets de vous rappeler que votre majorité n’a pas adopté cet amendement !
Vous avez lamentablement échoué à l’écrit, monsieur le ministre, mais il vous reste une chance de vous rattraper à l’oral grâce à la proposition de loi de nos camarades communistes, à laquelle nous adhérons entièrement. Alors je vous en conjure, mesdames et messieurs de la majorité, votez ce texte ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Soit nous passons immédiatement au vote, soit je procède à la vérification du quorum.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
……………………………………………………………
Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.
…………………………………………………………
…………………………………………………………
Voici le résultat du scrutin :
L'Assemblée n’a pas adopté.
L’Assemblée ayant décidé de ne pas passer à la discussion des articles, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Questions au Gouvernement ;
Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, n° 3549, de modernisation de la fonction publique :
Rapport, n° 3592, de M. Jacques-Alain Bénisti, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
À vingt et une heures trente, troisième séance publique :
Éventuellement, suite de l’ordre du jour de la deuxième séance ;
Discussion :
- du projet de loi organique n° 3404, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer,
- du projet de loi, n° 3405, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer :
Rapport, n° 3593, de M. Didier Quentin, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
(Ces deux textes faisant l’objet d’une discussion générale commune).
La séance est levée.
(La séance est levée à douze heures quarante.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral
de l'Assemblée nationale,
Jean-Pierre Carton