Accueil > Archives de la XIIe législature > Discours de M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale

31/10/2002 - Assises des Conseillers Généraux 

Monsieur le Président
Monsieur le Président du Sénat
Mesdames et Messieurs les Conseillers généraux
Chers Amis,

Permettez-moi tout d'abord, de vous dire la joie qui est la mienne d'être parmi vous ce matin pour cette dernière journée de vos assises. De vous dire mon plaisir de retrouver, Jean Puech, votre Président, dont j'apprécie depuis longtemps la compétence et le dévouement à la cause des élus locaux.

Je voudrais également saluer votre Président délégué, Alain Gest, Député de la Somme, et mes collègues députés présents ce matin.

Je sais ce que m'a apporté, personnellement, ma fonction de conseiller général. Aujourd'hui j'ai parfaitement conscience d'exercer avec plus d'efficacité ma mission de parlementaire parce que je suis Maire et Président d'une communauté d'agglomération. Cette expérience me renforce dans l'idée que le cumul entre le mandat parlementaire et un mandat local est indispensable à l'équilibre de notre législation.

Il ne faut pas oublier que l'Assemblée nationale est l'institution qui compte en son sein le plus d'élus locaux.

Ainsi siègent dans l'hémicycle du Palais Bourbon 162 conseillers généraux, 271 maires, soit 47 % du nombre total des députés. En outre, plus de 66 % d'entre eux sont membres d'un conseil municipal. Seuls 13 % des députés n'ont aucun mandat local alors que 19 % des sénateurs sont dans cette situation.

Les députés, comme vous le voyez, sont donc concernés, au premier chef par l'avenir des collectivités locales et je suis heureux qu'il en soit ainsi.

L'avenir des collectivités locales, la place et le rôle des départements sont l'objet de vos assises. A cet égard, vos travaux, Mesdames et Messieurs les Conseillers Généraux, prennent bien évidemment cette année, compte tenu de la discussion du projet de loi constitutionnelle, un relief particulier.

Vous ne serez donc pas surpris que j'y consacre l'essentiel de mes propos.

La réforme de nos structures administratives est en effet fondamentale pour notre pays, pour nos concitoyens, pour leur avenir. Elle constitue un des grands chantiers voulus par le Président de la République. Elle est mise en oevre, avec passion, par le Premier ministre et son Gouvernement.

Il ne s'agit pas tant de compléter ou de retoucher ce qui a été fait depuis les années 1970, et plus particulièrement depuis les lois de décentralisation de 1982.

Il doit s'agir de redonner un sens, une lisibilité, un dynamisme à une organisation territoriale qui s'est progressivement ankylosée et sclérosée, et qui n'est plus dès lors en mesure de satisfaire les attentes de nos concitoyens.

Il y a urgence, comme le montre la désaffection à l'égard de la chose publique dont nos compatriotes nous renvoient l'image, scrutin après scrutin. La réforme à bâtir et à faire passer n'est donc pas technique. Elle est politique. Elle doit être conçue pour le citoyen, non pas sans lui ni a fortiori contre lui, en tenant évidemment compte des enseignements des deux dernières décennies.

Vingt ans après les lois de 1982, il nous faut poser sur le grand mouvement de décentralisation qu'elles ont généré un regard à la fois positif et lucide. Positif parce que la décentralisation a permis de développer nos territoires, d'accompagner l'essor de grandes métropoles régionales, d'améliorer la qualité des équipements et des infrastructures, de faciliter les initiatives locales. Lucide parce que la décentralisation a moins rapproché la décision du citoyen qu'on ne le voulait, qu'elle a pu être à l'origine de certaines dérives sur le plan de la gestion des fonds publics ou de l'urbanisme, notamment dans les zones littorales.

C'est dire que la décentralisation ne saurait être considérée comme une fin en soi mais comme un moyen. Non pas comme une idéologie mais comme une démarche. Non pas comme un totem mais comme un instrument au service de l'intérêt général. Un outil susceptible d'être évalué, adapté et corrigé au besoin.

La décentralisation doit être comprise et voulue comme une méthode pour mieux administrer. Comme un moyen d'être plus efficace et plus rapide dans la satisfaction des exigences de service public. Comme un facteur permettant une meilleure adhésion à la décision.

Le projet de loi constitutionnelle s'inscrit dans cet objectif avec l'inscription du rôle de la région dans la Constitution, la reconnaissance de l'autonomie financière des collectivités locales, l'interdiction qui est désormais faite à l'Etat de transférer des compétences sans transférer des ressources correspondantes et la louable intention de clarification du rôle de chacune des collectivités avec l'introduction de la notion de « chef de file ».

Mais on ne saurait oublier toutefois que la décentralisation peut être la meilleure ou la pire des choses.

La meilleure des choses si la délégation de compétences nouvelles aux collectivités locales apporte une réelle valeur ajoutée aux citoyens, en termes de proximité, de qualité, de diversité des services dans tous les domaines de la vie quotidienne (éducation, transports, santé, sécurité, culture...) ; en termes de prix du service ; en termes de transparence de la gestion publique.

La pire des choses si elle crée des féodalités irrespectueuses de la loi, si elle aggrave les distorsions entre les territoires, si elle crée des doublons et des gaspillages, si au final elle creuse les inégalités entre les régions.

Il ne faut donc pas passer d'un extrême à l'autre.

Il ne faut pas tomber d'un jacobinisme exacerbé dans un intégrisme décentralisateur.

Il faut tout simplement faire la part des choses ; aborder cette question de la décentralisation avec passion mais aussi avec réalisme ; prendre en compte les réalités politiques ; avoir une détermination réelle ; chercher impérativement à être efficace.

C'est-à-dire ne pas abandonner l'égalité des chances en renonçant au centralisme.

Ne pas abandonner la solidarité des territoires en renonçant à l'uniformité des statuts.

Ne pas abandonner la cohésion nationale en renonçant à l'étatisme tatillon.

Alors, oui, bâtir une République des proximités impose bien sûr de faire du neuf. Du neuf mais pas de l'indéfini. De l'audacieux mais pas de l'inconséquent, de l'imaginatif mais pas du désordonné.

Moins que toute autre forme d'organisation des pouvoirs publics, la République des proximités ne s'accommode de l'approximation des textes et de la confusion des responsabilités et des moyens.

Depuis vingt ans, on a que trop souffert de l'ambiguïté dans les relations entre l'Etat et les collectivités locales, ambiguïté qui a nourri surenchères d'un côté et désengagement de l'autre. Ainsi se sont multipliés, sous la pression locale et parfois dans le plus grand désordre, des transferts de charges et de compétences sans que les transferts de ressources correspondantes n'aient été prévus.

Et à ce jeu du qui perd gagne, personne en définitive n'est sorti indemne. Puissent les réformes à venir mettre un terme à cette partie de cache-cache stérile.

La République décentralisée, puisque tel est le grand dessein que le Gouvernement propose, a besoin de principes fondateurs qui soient clairs et qui soient précis. La décentralisation, ce n'est pas le bazar ! Ce n'est pas une grande braderie qui laisserait la République en morceaux. La décentralisation, ce doit être la République mieux organisée et simplifiée dans ses structures comme dans ses procédures de décisions.

C'est à cette condition que notre pays pourra jouer toutes ses cartes dans le combat qu'il mène pour s'adapter à la mondialisation. C'est à cette condition qu'il pourra réformer l'Etat, libérer les initiatives, faire vivre les projets, créer des solidarités modernes.

Pour que la décentralisation porte tous ses fruits, pour qu'elle soit acceptée, la réforme à venir doit impérativement conduire à une clarification de notre organisation administrative, ce qui passe par une réflexion et des avancées sur le nombre des échelons d'administration territoriale dont tout le monde s'accorde à dire qu'ils sont trop nombreux.

Ainsi proximité et efficacité doivent être les fils conducteurs de cette réforme. Si cette nouvelle étape de la décentralisation ne se traduit pas par un rapprochement entre les centres de décision et la population, si elle ne se traduit pas, par une amélioration de la situation, des conditions de vie, de l'environnement de nos compatriotes, ils la percevront négativement.

Toute solution qui aboutirait à rajouter des structures et des niveaux serait perçue comme un montage technocratique voulu par des élus pour des élus. Inutile de vous dire qu'elle éloignerait encore les Français de leurs représentants.

Pour que la décentralisation soit utile et comprise, elle ne doit pas non plus être pensée et voulue comme un affaiblissement de l'Etat et une altération de sa légitimité à l'heure où les Français nous demandent précisément de la restaurer. A cet égard, on ne saurait accepter que l'Etat ne dispose que d'une compétence résiduelle, celle que les collectivités locales voudraient bien lui laisser, au nom d'une conception mal comprise de la subsidiarité. Il y a fort à parier que celles-ci seraient au demeurant fort embarrassées à devoir exercer un rôle pour lequel elles ne sont ni taillées, ni destinées. Prenons garde à ce que l'introduction du principe de subsidiarité dans la Constitution ne conduise pas l'Etat à être dépossédé subrepticement des missions relatives à la cohésion nationale et ne fasse du juge constitutionnel, à terme, l'arbitre de conflits de compétences entre l'Etat et les collectivités locales, alors qu'il n'est ni désireux, ni prêt à tenir ce rôle.

Pour que la décentralisation, enfin, soit utile et profitable à tous, il convient que l'expérimentation annoncée soit encadrée dans le temps et limitée à des domaines précis sous le contrôle du Parlement. Il est clair en effet que l'expérimentation n'a de sens que si elle se traduit in fine par une généralisation à l'ensemble du territoire en cas de succès ou par une renonciation en cas d'échec. Si une autre conception devait prévaloir, alors chacun se sentirait autorisé à bâtir sa petite république sur son petit territoire, à créer autant de droits séparés qu'il y a de régions françaises, et pourquoi pas à lever des impôts territoriaux spécifiques. C'en serait fini de la conception de la solidarité, de l'égalité et de la fraternité qui est au coeur de notre pacte social et à laquelle l'immense majorité de nos concitoyens demeure fermement attachée.

Je redis à cet égard que la modification du texte constitutionnel devra bien préciser que le Parlement contrôlera l'expérimentation, aussi bien sur le fond que sur le calendrier. Et que je souhaite le moment venu décider d'une mission parlementaire d'évaluation des expériences autorisées par la loi constitutionnelle. C'est bien évidemment ce travail qui nous dira s'il faut donner ou non une suite législative aux expérimentations.

Ces expérimentations ne doivent pas être menées à la petite semaine, en fonction exclusive de considérations électoralistes ou d'enjeux de pouvoirs personnels.

Une décentralisation réussie a besoin d'une vaste réflexion préalable. Je souhaite que les assises des libertés locales le permettent, faute de quoi on pourrait avoir le sentiment d'avoir mis, en quelque sorte, la charrue avant les boeufs.

Les semaines qui s'annoncent, le calendrier et la démarche proposés par le Gouvernement fournissent l'opportunité de mener une réflexion approfondie sur chacun de ces sujets. Saisissons là, sans tabou, ni a priori.

Il faut que chacun, à l'occasion de ces assises, puisse être entendu ; qu'un dialogue ouvert et véritable puisse avoir lieu.

C'est d'ailleurs la condition d'une réforme juste et comprise, d'une réforme qui atteigne son but : redonner un nouveau souffle à notre vie démocratique et un surcroît d'efficacité à l'action publique. Alors ne gâchons pas cette occasion.

Mesurons le poids de notre responsabilité collective.

Et mettons-nous en situation de faire, pour notre pays, oeuvre utile.