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12/07/2003 - Allocution lors de l'Inauguration de l'exposition "Mariannes d'aujourd'hui

L'écharpe tricolore, emblème de la loi et de la démocratie adoptée par les fonctionnaires élus sous la Révolution, devenue l'insigne officiel des maires et des parlementaires de notre République, vient de dévoiler les portraits de 14 « Mariannes d'aujourd'hui », de 14 jeunes femmes qui ont accepté de prêter leurs visages à cette représentation traditionnelle de la République.

Au cœur de l'hiver dernier, beaucoup d'entre nous ont été attentifs à la démarche de quelques jeunes femmes, issues de ce que l'on a l'habitude d'appeler des « quartiers difficiles », qui ont entrepris de traverser 23 villes de France à la rencontre de dizaines, puis de centaines d'autres jeunes femmes pour provoquer débats, susciter des prises de parole sur la situation des jeunes filles et des jeunes femmes issues de l'immigration. Cette « marche des femmes des quartiers, contre le ghetto et pour l'égalité » a, de semaines en semaines, au fil des villes et des quartiers visités, soulevé un intérêt croissant et contribué à faire connaître les difficultés des jeunes filles des cités, trop longtemps sous la chape du silence, de la lâcheté et des tabous.
Cette marche s'est achevée le 8 mars dernier à Paris lors de la journée internationale de la femme. Elle connaît aujourd'hui un point d'orgue grâce à Fadéla Amara qui m'a proposé de faire de l'Assemblée nationale l'ultime étape de ce parcours dont la raison d'être se résume à la devise de la République : liberté, égalité et fraternité.

C'est en 1792 qu'un décret a disposé que le sceau de l'Etat porterait à l'avenir l'image de « la France sous les traits d'une femme vêtue à l'antique, debout, tenant une figure surmontée du bonnet phrygien ou bonnet de la liberté ». Le surnom de Marianne, issu du prénom "Marie-Anne", va progressivement s'imposer.
Marianne a, depuis, pris des visages multiples, depuis les gravures révolutionnaires ou celles de Daumier qui la montrent chassant les ministres de Charles X en 1830, en passant par la Marianne d'Antoine Gros la représentant armée d'un fusil et d'un drapeau tricolore franchissant les barricades, aux bustes qui ornent les mairies depuis la IIIème République, sans oublier les traits exaltés de « la Liberté guidant le peuple » peints par Delacroix. Oui, Marianne a connu des représentations différentes mais elle demeure l'incarnation de la République française.
J'ai été frappé de la justesse du symbole choisi par l'association « Ni putes ni soumises » lorsqu'elle m'a proposé d'exposer le visage de ces Mariannes d'aujourd'hui sur le fronton de l'Assemblée nationale à l'occasion des cérémonies du 14 juillet.
Lundi prochain, nous célébrerons notre Fête nationale en commémorant la prise de la Bastille, symbole de la tyrannie et de l'arbitraire et 14 Mariannes, depuis les colonnes du Palais Bourbon, siège de la représentation nationale, veilleront, en quelque sorte, sur le défilé militaire. Elles seront le symbole du lien étroit, qui s'est forgé au cours de la période révolutionnaire, entre la Nation et son armée, entre ceux qui ont été chargés par leurs concitoyens de faire la loi et ceux à qui la République a confié la défense par les armes de ses idéaux et de son indépendance.
Ces jeunes filles ont choisi de manifester leur confiance dans la République et de proclamer leur adhésion à ses valeurs.

La République est seule capable de rassembler autour des principes de tolérance, de liberté, de solidarité, de laïcité, des hommes et des femmes de différentes origines, de différentes couleurs de peau, de différentes religions.
Cet acte de foi se double d'un appel que lancent nos jeunes Mariannes à la République dont elles demandent la protection face aux violences, aux menaces qui pèsent sur leur intégrité physique ou la liberté de choisir librement leur destin, parfois même sur leur vie - souvenons-nous de Sohane brûlée vive dans un local à poubelles l'an passé.
La République n'a pas de limites, de territoires d'où elle serait exclue, de quartiers d'où elle devrait être bannie, de rues d'où elle pourrait être écartée. Partout en France, la République est chez elle.
Partout en France, c'est au nom de la République, grâce à ses lois votées par ses parlementaires que doit reculer l'intolérance et régner le respect. Oui, c'est la République et ce qu'elle incarne comme idéaux qu'il faut tous aujourd'hui proclamer, entourer, aider, car, ne vous y trompez pas, comme un être vivant, la République peut s'anémier, s'étioler et disparaître.
Nos Mariannes d'aujourd'hui ne se sont pas contentées de poser pour les sept photographes talentueux qui se sont associés à l'opération et que je remercie d'avoir ainsi contribué au renouvellement de l'iconographie républicaine. Elles ont aussi choisi de dire ce que Marianne et la République représentent pour elles. Pour Samira et Caroline, Marianne est une femme de son temps qui aura de plus en plus de visages différents. Pour Sihem, elle est l'alliance du courage, de l'énergie et de la volonté. Pour Riva, c'est l'incarnation du progrès. Pour Clarisse, Lynda, Ingrid, Safia, Isabelle, Alice, Gladys et Awa, « c'est un peu chacun d'entre-nous ». Pour toutes, c'est une communauté de destins divers, un rêve d'avenir partagé.
Quel beau message vous avez choisi de livrer ici aux membres de la représentation nationale chargés, dans leur activité de législateur, de faire vivre ces idéaux au travers des évolutions de notre société.
Quel magnifique appel, quel émouvant cri vous lancez à celles et ceux qui passeront devant le péristyle du Palais Bourbon.
Soyez-en, chère Fadéla et chères Mariannes, chaleureusement remerciées.