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09/12/2004 - Remise du prix du Manager de l'année

Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs,

Je me félicite d'accueillir pour la deuxième année consécutive la cérémonie de remise du prix du manager de l'année à l'Assemblée nationale.

Au-delà du plaisir que j'ai de retrouver ce soir Michèle COTTA et le Directeur de la rédaction du Nouvel économiste Henri NIJDAM, qui organisent cette belle manifestation, je vois dans le choix du Palais-Bourbon plus qu'une coïncidence heureuse, le symbole fort du lien entre l'entreprise et la cité. Un lien qui reste à enrichir et à fortifier...

Car il subsiste en effet une forme d'ignorance réciproque entre responsables politiques et dirigeants d'entreprises, chacun continuant de méconnaître, au-delà des discours rituels sur la réhabilitation de l'esprit d'entreprise, les contraintes et les vicissitudes de l'autre.

Combien de fois ai-je entendu, des patrons de PME ou des dirigeants de grandes sociétés nationales, maugréer de bonne foi contre des responsables politiques ou contre une politique qu'ils estimaient inadaptée aux réalités de la concurrence internationale ?

Mais combien de fois me suis-je surpris à penser que ces mêmes hommes s'ils étaient à ma place d'élu national et local, de maire responsable devant la population de l'avenir de l'emploi, de la réduction des inégalités réagiraient probablement de manière très différente.

Vicissitudes d'une compétition économique toujours plus âpre qui s'exerce dans un marché ou la règle du jeu n'est pas la même pour tout le monde d'un côté, contraintes électives de l'autre qui obligent à rendre compte de son action devant nos compatriotes et de préserver l'équilibre et la paix sociale avant toute chose, il y a nécessairement entre la sphère de la cité et la sphère de la production des sujets de réflexion communs qui peuvent parfois se muer en sujet de friction ou d'affrontement.

Et le grand mérite du prix du Manager de l'année est de travailler à les dépasser en distinguant un certain nombre de personnalités qui par leur charisme ou leur action, parviennent à transcender le profit immédiat pour rechercher un intérêt de long terme.

J'en veux pour preuve d'ailleurs que nous ne remettons pas un seul prix mais plusieurs qui illustrent toutes les facettes de ce qu'est l'économie :

- le prix du capitaliste, parce que nous sommes désormais dans une économie ouverte, où le capitalisme est dominant, où il n'est plus contesté par personne dans son principe, même si chacun s'accorde à reconnaître qu'il doit être maîtrisé et humanisé.

La rupture avec le capitalisme qui tenait lieu de programme et d'alternative, voire d'espérance pour certains il y a encore 20 ans, c'est fini! Nous sommes entrés, avec l'effondrement du communisme et l'ancrage à l'Europe communautaire, dans l'ère de l'économie du libre marché. Et tous les responsables politiques, qu'ils s'en réjouissent ou qu'ils en prennent acte, inscrivent leur action dans ce cadre pré-établi.

- Le prix du régulateur, parce que le vrai débat public porte aujourd'hui sur les voies et moyens de la régulation économique.

Dès lors que le capitalisme a triomphé, comment l'aménager pour qu'il se déploie au service de la prospérité collective et non au bénéfice de quelques oligarques ou d'une minorité de privilégiés ? Là est la véritable question.

Qui doit assurer cette régulation ? Les mécanismes automatiques du marché, l'Etat national et ses politiques interventionnistes traditionnelles, des autorités administratives indépendantes du pouvoir politique, ou encore l'Union européenne selon des modalités à inventer.

Et quelle part respective cette régulation doit-elle laisser à l'initiative privée, à la prise de risque individuel d'une part, à la solidarité nationale et au processus de redistribution des richesses ? Vaste débat qui est au cœur de la politique nationale et qui demeurera longtemps encore.

- Le prix du manager enfin, qui s'essaye à déterminer ce qu'est un bon dirigeant d'entreprise. Eh bien, pour tenter de résumer la philosophie qui vous anime, je dirai qu'un bon manager est à la fois un bon capitaliste et un bon régulateur. Un bon capitaliste parce qu'il regarde lucidement la réalité du marché sans se voiler la face sur les équilibres qu'elle impose ; mais aussi un bon régulateur parce qu'il sait ne pas s'en remettre exclusivement à la profitabilité immédiate de son entreprise pour comprendre qu'il n'est de compétitivité que globale. Ce qui fait un bon manager, c'est non seulement la capacité à analyser mais aussi la capacité à anticiper les mutations économiques, sociales, technologiques et environnementales.

Cette année encore, au travers de ces trois prix, cette cérémonie permettra d'honorer les personnalités qui dans la gestion des hommes et des ressources auront su faire la preuve que si l'entreprise et la cité sont deux univers qui sont indépendants, ils ne peuvent ni s'ignorer, ni se combattre. Je vous remercie.