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19/01/2005 - Inauguration de l'exposition « 1942-1944 - 11 000 enfants juifs déportés de France à Auschwitz » le 19 janvier 2005

Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les parlementaires
Mesdames et Messieurs les présidents d'université
Mesdames et Messieurs,
Chers Beate et Serge Klarsfeld

« Nous avons désespérément besoin, pour l'avenir, de l'histoire vraie de cet enfer construit par les nazis »

Le sens profond de cette phrase de Hanna Arendt décrivant l'enfer d'Auschwitz nous rappelle, à nous tous ici réunis, plus globalement aux hommes d'aujourd'hui et du futur, le terrible devoir de mémoire. Éternelle, inépuisable actualité d'Auschwitz.

Les mots sont faibles devant la réalité des faits historiques. Comment pourrait il en être autrement ? Dès lors qu'il s'agit d'aborder l'une des pages les plus sombres de l'histoire de l'humanité, dès lors que cette histoire nous renvoie à l'effroyable banalité du mal !

Les historiens et les scientifiques de la terre entière ne cessent d'interroger les documents et les témoignages pour tenter de comprendre l'inconcevable. Ce travail historique est plus que nécessaire, il ne sera jamais achevé....

Ce « travail » sur la nature réelle de notre humanité nous laisse non seulement perplexes, mais il nous invite aussi et surtout à la plus grande vigilance.

Mes chers amis,

Au delà des mots, il y a la force brute et émotionnelle du témoignage. Le témoignage d'abord, essentiel, de tous les survivants de l'horreur. Le témoignage ensuite, irréfutable, de ces sombres ruines de chambres à gaz aux confins d'une Pologne froide et enneigée. Des ruines accusatrices qui sont autant de preuves de cette folie criminelle dont le seul nom, « solution finale », nous fait frémir dans notre âme et dans notre corps. Le témoignage, à nous tous enfin, un témoignage simple mais clair qui consiste à dire à nos enfants et petits enfants : « oui, cela a existé ».

Témoigner, encore et encore ! Même et surtout lorsque les derniers témoins auront précisément disparu.

Qu'y a-t-il de plus précieux pour un homme et une femme que son enfant ? Mesdames et Messieurs, cher Serge Klarsfeld, cette terrible question constitue à mes yeux le véritable titre en filigrane de l'exposition que nous allons inaugurer.

« 1942-1944, onze mille enfants juifs déportés de France à Auschwitz »

Il y a dans la sobriété de cet intitulé, à la fois l'horreur insupportable du nombre et ce mot quasi sacré d'enfant. Il y a cette évocation d'un lieu sinistre, Auschwitz, qui évoque à lui seul l'assassinat planifié de l'innocence.

La représentation nationale rend hommage au travail inlassable de recherche et de quête de la Vérité de nos amis Beate et Serge Klarsfeld. Nous sommes là en présence du combat de toute une vie. Le combat de Beate et Serge Klarsfeld honore la France. Ce combat a permis à notre pays de traduire devant la Justice des criminels nazis. Le Président de la République va inaugurer dans quelques jours, le 27 janvier prochain, la rampe ferroviaire des Français déportés à Auschwitz, une sinistre rampe restaurée à l'initiative de Serge Klarsfeld, symbole très fort de ces convois de la mort. Le Président de la République inaugurera également le « pavillon français » entièrement rénové et financé par la Fondation de la Shoah créée par le gouvernement français. Là encore, la richesse documentaire édifiante de ce « pavillon français » doit beaucoup à l'énergie et aux travaux de Serge Klarsfeld.

Avec l'ensemble des parlementaires, je rends hommage à tous les membres de votre association « des fils et filles des déportés juifs de France » qui se battent pour transmettre le souvenir de la Shoah et de sa douleur.

Je salue l'engagement et la mobilisation des membres de votre association qui mènent un travail pédagogique exemplaire et de longue haleine dans les établissements scolaires.

Cette exposition, d'une pudeur troublante, nous parle de la souffrance souvent volontairement secrète et profondément enfouie des rescapés, de la souffrance des familles, de la souffrance de ces innombrables orphelins. Chaque panneau de cette exposition nous renvoie à des chiffres, à des statistiques qui dépassent l'imagination. Mais derrière les statistiques il y a l'individu, il y a la personnalité et la dignité humaine que les nazis ont délibérément, scientifiquement et sauvagement cherché à nier.

Chaque panneau de cette exposition arrache et sort de l'atroce anonymat chacun de ces 11 000 enfants massacrés dont les corps mêmes nous ont été volés.

Un historien français, Michel Winock, vient de rappeler dans un récent ouvrage ce questionnement fondamentalement vrai du philosophe Etiemble :

« Comment se fait-il que, dès qu'on touche à l'honneur ou au cheveu du Juif, je sois du coup menacé dans ma vie, dans ma liberté de goy et que toutes les tyrannies estiment solidaires le Juif et l'Homme libre ? »

Cette exposition répond à la question d'Etiemble. C'est pourquoi je n'ai pas hésité une seule seconde pour donner une suite favorable à la proposition bienvenue de Serge Klarsfeld de voir le « Tour de France » de cette exposition se conclure ici, de manière très symbolique, à l'Assemblée nationale, c'est à dire dans la maison de la République. Ici au cœur même de la démocratie parlementaire. La principale des valeurs de la République, c'est le respect de la dignité humaine !

Depuis la Révolution française, avec l'abbé Grégoire et le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre, depuis qu'en 1808 Napoléon Ier créa le Consistoire, le judaïsme français est un judaïsme aux couleurs de la République. Chaque massacre de ces 11 000 enfants juifs est, soixante ans après, une insulte à l'idée que nous nous faisons de la République française. Et c'est précisément parce que le destin des Juifs de France est scellé à celui de la Nation française que je me réjouis aujourd'hui doublement que cette exposition trouve son point d'orgue ici, à l'Assemblée nationale, avant son départ pour Israël.

Si je vous parle de la République, mes chers amis, c'est aussi pour nous souvenir que c'est l'État de Vichy, à la demande expresse de Pierre Laval, qui proposa que les enfants de moins de 16 ans soient déportés en même temps que leurs familles. Ne l'oublions jamais, regardons notre Histoire en face et soyons en plus forts! Je souhaite, ici, rappeler les paroles du Président de la République, Jacques Chirac, prononcées le 16 juillet 1995 lors des cérémonies commémorant la grande rafle du Vél d'Hiv : « il est, disait-il, dans la vie d'une nation des moments qui blessent la mémoire et l'idée que l'on se fait de son pays (...).

Transmettre la mémoire du peuple juif, des souffrances et des camps, reconnaître les fautes du passé... Ne rien occulter des heures sombres de notre histoire, c'est tout simplement défendre une idée de l'homme, de sa liberté et de sa dignité.

C'est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l'œuvre. Cet incessant combat est le mien autant qu'il est le vôtre. »

Ce combat contre l'oubli nous le menons ensemble. Pour que personne ne puisse oublier la vie fauchée des enfants de la Colonie de Vacances d'Izieu. Pour que personne ne puisse oublier qu'avant la déportation, il y avait des sourires et des yeux rieurs, la vie en devenir tout simplement. N'oublions jamais ces enfants qui n'avaient qu'une seule envie : celle de vivre.

Chers Beate et Serge Klarsfeld,

Mes chers amis,

Là où le pardon est impossible, il n'y a que la quête de la vérité et le devoir de mémoire.

Très profondément, au plus profond de moi-même, je souhaite alerter nos consciences. Puisse cette exposition, dans son émotion sobre et dépourvue d'artifice, contribuer à la fois à montrer la première autant qu'à honorer le second.

Et elle aura atteint son but !

Je vous remercie.