Accueil > Archives de la XIIe législature > Discours de M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale

25/04/2005 - Académie des Sciences Morales et Politiques - Ouverture du colloque « La République et les religions depuis 1905. Cadre juridique et pratiques institutionnelles. De la séparation à l'apaisement : les principes de la République française »

Monsieur le Chancelier,
Monsieur le Président,
Monsieur le Vice-président, Cher André Damien,
Messieurs les Académiciens,
Monsieur le Nonce apostolique,
Mesdames, Messieurs,

Je suis particulièrement impressionné et honoré de m'exprimer devant vous, ce matin, à l'occasion de ce colloque organisé pour le centenaire du vote de la loi de séparation des Églises et de l'État du 9 décembre 1905. Je vous remercie d'avoir associé à cette commémoration, par mon intermédiaire, l'Assemblée nationale et l'ensemble des députés qui la composent.

C'est d'abord l'occasion pour moi de rappeler la place importante, pour ne pas dire essentielle, qu'a jouée et que joue, encore aujourd'hui, le Parlement et, plus particulièrement l'Assemblée nationale, dans l'élaboration et l'actualisation du principe de laïcité tel qu'il est défini en France.

* *

*

C'est ce que je vais m'efforcer d'illustrer à travers ce propos que j'ai articulé autour de trois idées.

Le principe de laïcité n'est pas défini et, d'ailleurs, le terme même de laïcité ne figure pas dans la loi de 1905. C'est justement parce que ce principe n'est pas défini qu'il fait l'objet d'interprétations diverses et variables en fonction des opinions, des circonstances et du climat politique.

C'est une alliance du législateur et du juge qui, dans un souci d'apaisement, a permis de trouver à son sujet un équilibre qui, comme tout équilibre, est par définition fragile. L'évolution de notre société n'a fait qu'accentuer cette fragilité au point que l'on a pu croire que cet équilibre était sur le point de se rompre.

Enfin, c'est parce que le contenu de la laïcité n'est pas fixé, n'a pas été fixé une fois pour toutes, qu'il appartient au Parlement, et à lui seul, de déterminer, chaque fois que cela est nécessaire, les conditions de cet équilibre et de l'adapter aux nécessités de l'époque.

* *

*

Le principe de laïcité, jusqu'à ces dernières années, donnait l'impression de faire consensus, au point de faire oublier le climat qui entoura le vote de la loi de décembre 1905 et, plus encore, l'importance des troubles qu'engendra sa mise en œuvre, notamment avec l'affaire des Inventaires, puisque, depuis 1958, la République française est « une, indivisible, laïque, démocratique et sociale », comme le proclame l'article 1er de la Constitution.

Ce principe fait aujourd'hui, à l'évidence, partie de notre patrimoine, de notre patrimoine républicain et l'on pourrait à juste titre penser que le débat sur le sujet est définitivement clos.

N'oublions pas que ce principe de laïcité, tel qu'il résulte de la combinaison des deux premiers articles de la loi de 1905, est le fruit d'un équilibre qui, comme tout équilibre, ne peut être qu'instable et fragile.

La quasi-totalité de nos concitoyens admettent aujourd'hui la laïcité. Cependant, cette acceptation, ce consensus cachent une grande variété d'interprétations.

Si chaque Français s'est approprié le principe, il se l'est accaparé à sa manière au point que la définition et les réalités qu'il recouvre sont devenues multiples, jusqu'à être parfois très éloignées des contours juridiques du concept initial, quand ce n'est pas en contradiction avec lui.

Chacun dispose de sa propre définition de la laïcité qui oscille de la neutralité la plus stricte à l'expression du plus large pluralisme.

Certains ne cessent de penser que la laïcité est en permanence bafouée, comme nous avons pu le constater à l'occasion de la rédaction de la charte des droits fondamentaux, puis du projet de constitution européenne ou, plus récemment, à l'occasion du décès du pape Jean-Paul II.

D'autres, à l'inverse, perçoivent cette laïcité comme une menace perpétuelle à l'expression de leur foi, voire à la liberté de croyance, comme j'ai pu le remarquer en lisant l'abondant courrier que j'ai reçu à l'occasion de la mission d'information parlementaire que j'ai présidée sur le port de signes religieux à l'école. Ils ne cessent de l'opposer à la liberté de croyance et d'exercice du culte dont ils souhaitent repousser sans cesse les limites.

Par conséquent, chacun en vient à exprimer ses propres exigences : pour certains, suppression de toutes références religieuses, de tous signes religieux quels qu'ils soient, où qu'ils soient. Pour d'autres, dérogations de toute nature concernant les interdits alimentaires, la mixité, le contenu des programmes scolaires, le temps de travail, quand ce n'est pas, pour les plus extrémistes, la revendication d'un droit spécifique...

Ces tensions ont toujours existé avec plus ou moins de force dans notre pays depuis la fin du XVIIIe siècle et la Révolution française.

Elles marquent l'histoire politique et religieuse de notre pays depuis maintenant deux siècles car, et il ne faut pas l'oublier, la laïcité a d'abord été, et, d'une certaine façon, est, encore aujourd'hui, un combat, une réaction.

C'est un combat, une réaction contre l'emprise de l'église catholique romaine qui a toujours été dominante en France, un combat, une réaction contre l'emprise de toute religion quelle qu'elle soit.

Si, dans la première moitié du XIXe siècle, l'église catholique, le « cléricalisme » disaient ses adversaires, a semblé marqué des points, la période qui a suivi est celle d'un lent reflux, d'un reflux par étape, au fur et à mesure que s'enracine l'idée de République, d'abord dans le domaine de l'éducation, puis dans celui des associations, c'est-à-dire des congrégations, jusqu'à la rupture du concordat qu'entérine la loi de Séparation.

Tout se passe comme si d'un côté il y avait la religion et de l'autre la République. Comme si, pour reprendre un mot d'Aristide Briand en 1905, pendant « 34 ans, l'Église » n'avait « jamais hésité, en toutes circonstances, à tourner sa force contre les institutions » de ce pays et que la République lui avait rendu, pour ainsi dire, coup pour coup. Comme s'il s'agissait d'un mouvement de « Défense Républicaine » qui pouvait à l'occasion se muer « en contre offensive anticléricale » pour reprendre des expressions de Waldeck Rousseau.

Bien sûr, les griefs des Républicains ne manquaient pas en 1904 - 1905. Il y avait les événements récents, deux précisément circonscrits dans le temps au point que seuls, aujourd'hui, les historiens en ont gardé le souvenir : d'une part la visite du président Loubet au roi d'Italie, à Rome en 1904 et la protestation du pape qui s'ensuivit, d'autre part l'affaire des évêques de Dijon et de Laval.

Mais, au-delà de cette actualité immédiate malgré le toast d'Alger du cardinal Lavigerie et la déclaration de Léon XIII, il y avait un contentieux, un vieux contentieux, celui de l'opposition quasi systématique tout au long du XIXe siècle d'un grand nombre de prélats et de clercs à la République, il y avait ces prises de position pendant la crise du 16 mai, celle du boulangisme ou pendant l'affaire Dreyfus qui avaient laissé des traces et des blessures.

L'on comprend, alors, la volonté d'un certain nombre de républicains de vouloir en découdre définitivement, comme Maurice Allard l'exprime avec netteté et franchise lors du débat sur la loi de séparation au nom de ses collègues, lorsqu'il défend en mars 1905 son contre-projet en disant que le but qu'il poursuivait « c'est la lutte contre l'Église qui est un danger politique et un danger social », qu'il veut « poursuivre l'idée de la Convention et achever l'œuvre de déchristianisation » parce qu'il y a « incompatibilité entre l'Église, le catholicisme, ou même le christianisme et tout régime républicain », parce que « le christianisme est un outrage à la raison, un outrage à la nature », et s'il combat les religions c'est parce qu'il croit « qu'elles sont un obstacle permanent au progrès et à la civilisation », mais aussi, reprenant quelques thèses marxistes, parce qu'il voit « dans la religion le plus grand moyen qui reste encore entre les mains de la bourgeoisie, entre les mains des capitalistes, pour conserver le travailleur dans son état de dépendance économique ».

A l'opposé, la droite de l'époque, consciente de la nécessité de faire évoluer le concordat de 1801, si elle est prête à envisager la révision de celui-ci, refuse la perspective de Séparation présentée comme le meilleur moyen de susciter des troubles graves, plus graves encore que ceux engendrés par l'expulsion de congrégations, comme celle de la Grande Chartreuse survenue quelques mois plus tôt, et de rallumer la guerre religieuse qu'avait fait naître l'entreprise de déchristianisation menée pendant la Révolution française et auquel le concordat de 1801 avait permis de mettre fin.

Entre ces deux partis, Aristide Briand, par « horreur de la guerre religieuse » et par souci « de pacification des esprits », essaie de trouver une voie médiane susceptible sinon de rallier les catholiques, du moins les républicains les plus modérés avec un projet présenté comme « large et libéral », sauvegardant « tous les droits, tous les intérêts et toutes les libertés, dans la mesure où les libertés des citoyens et des groupements peuvent être respectées ou élargies dans un pays qui a le souci de l'ordre public ».

Ce projet, comme cela était prévisible, ne satisfait personne. Les socialistes et les libres penseurs les plus extrêmes s'y rallient faute de mieux dans l'attente de pouvoir aller plus loin. Les catholiques le combattent et le combattront comme l'affaire des inventaires le montrera.

Cependant, une fois la Séparation devenue effective, le souci des gouvernements qui se succéderont sera, comme l'avait été, en leur temps, celui des premiers gouvernements de la IIIe République après le vote des lois de 1882 et de 1886, de rechercher l'apaisement.

Les inventaires seront ainsi suspendus, des négociations seront lancées pour la reconnaissance des associations cultuelles diocésaines.

Finalement, la Première Guerre mondiale, la canonisation de Jeanne d'Arc et la reprise des relations diplomatiques avec le Saint-Siège scelleront l'apaisement.

* *

*

Mais, comme l'indique le sous-titre de votre colloque, il s'agit bien d'un apaisement avec ce que cela représente de fragilité et de précarité. Il ne s'agit pas d'un règlement définitif de la question.

En effet, si à la fin de la Première Guerre mondiale la situation paraît globalement acceptée, elle n'interdit pas à chacun des partis en présence d'essayer, à la faveur de circonstances particulières, de faire prévaloir son point de vue et de faire avancer ses thèses. Ni les uns, ni les autres ne renonceront à leur vision de la laïcité.

Au niveau local d'abord, certains élus du clan laïc seront tentés, par une interprétation extensive de la loi de 1905, d'imposer leur propre vision de la laïcité et d'entraver l'exercice des cultes. Aussi, tout au long de la première moitié du XXe siècle, un certain nombre d'arrêts et de jugements portant le nom d'ecclésiastiques plus ou moins célèbres : abbé Ollivier, abbé Didier, abbé Marzy, abbé Blanchard, abbé Laurent, pour n'en citer que quelques-uns, viendront enrichir les recueils de jurisprudence et façonner le principe de laïcité.

Ainsi, pendant plus de cinquante ans, les juridictions administratives se sont-elles employé à faire respecter l'intention initiale du législateur et à éviter que religieux ou laïcs ne remettent en cause le fragile équilibre, réalisé par la loi de 1905, rappelant que seules les considérations d'ordre public, dûment avérées, pouvaient faire obstacle au libre exercice du culte dans les espaces publics.

Mais au-delà de ces initiatives très ponctuelles, le XXe siècle fut également marqué par plusieurs tentatives de relancer le débat sur la laïcité.

En 1924 d'abord, avec la tentative du Cartel des Gauche de supprimer le régime concordataire dans des départements d'Alsace-Moselle.

En 1959 avec la loi du 31 décembre sur les rapports entre l'État et les établissements d'enseignement privé.

Plus près de nous, enfin, en 1984, avec la tentative de fondre l'enseignement privé dans un grand service public de l'éducation.

A l'inverse, le triste épisode de Vichy vit certains catholiques, je dis bien certains, tenter de revenir sur les acquis de 1905 et de renouer une alliance entre l'État et la hiérarchie catholique.

Malgré ces épisodes de tension, ce fragile équilibre s'est maintenu, envers et contre tout, pendant près de quatre-vingts ans alors qu'il ne repose que sur les quelques principes fixés par les premiers articles de la loi de 1905 et une construction jurisprudentielle abondante et concordante que le constituant s'est efforcé de conforter dans le préambule de la Constitution de 1946, en 1958 ensuite, mais que le Conseil constitutionnel a pris soin de borner en novembre 1977 en reconnaissant à la liberté d'enseignement une valeur constitutionnelle.

Cependant, à partir du milieu des années 80, ce fragile équilibre, ce « pacte laïque » comme certains n'hésitent pas à le qualifier, semble avoir été remis en cause en raison d'un certain nombre d'évolutions inhérentes à la société française :

- sécularisation croissante de celle-ci et perte d'influence corrélative de la religion catholique surtout mais également de l'ensemble des religions chrétiennes,

- nombre croissant de musulmans, principalement issus des différentes vagues migratoires qu'a connues notre pays depuis les années 60,

- fragilisation de la cohésion sociale sous les coups de boutoir de la crise économique et de la montée du chômage depuis le milieu des années 70,

- tentation du repli sur soi et ghettoïsation de certaines catégories de populations qui s'estiment exclues ou victimes de discriminations.

La montée du fondamentalisme religieux, principalement musulman, qui sert de refuge ou d'exutoire à ces populations en quête de sens et de repères en a été le signe le plus tangible.

Cette remise en cause de cet équilibre semble avoir d'abord touché l'école, même si elle est perceptible, comme j'ai pu m'en rendre compte à l'occasion de la mission d'information que j'ai présidée en 2003, dans d'autres secteurs, notamment dans les hôpitaux, mais également à un moindre degré, me semble-t-il, dans la fonction publique ou dans l'entreprise.

Cette remise en cause de la laïcité à l'école, de la laïcité de l'école s'est exprimée à la faveur des affaires concernant le port du voile islamique et certains n'ont vu dans la loi du 15 mars 2004 qu'une loi sur le voile ou plutôt qu'une loi contre le voile.

Ce serait oublier que, si le législateur est intervenu, ce n'est pas tellement pour réglementer les tenues vestimentaires de telle ou telle catégorie d'élèves - après tout, les règlements intérieurs des établissements pouvaient y pourvoir - mais pour rappeler avec une solennité certaine, et je crois que la quasi unanimité avec laquelle le texte a été voté y a contribué, de même sans doute que le fait que chacun des députés qui souhaitait s'exprimer ait pu le faire, ce que devait être la laïcité à l'école, ce qu'elle impliquait.

Car, et on feint de l'ignorer trop souvent, le voile n'a été qu'un signe, qu'un élément de cette crise, même s'il a sans doute été le plus visible.

Les nombreux chefs d'établissements et enseignants que j'ai auditionnés lors de la mission parlementaire sur le port des signes religieux à l'école l'ont confirmé.

Le voile fut, à peu près dans tous les cas, une sorte de précurseur, une sorte de prétexte. Dès que le voile a été admis, ou plutôt toléré au sein de l'institution scolaire, d'autres revendications ont été formulées :

- refus d'enlever le voile pendant les cours d'éducation physique ;

- refus de mettre une tenue de sport adaptée aux exercices, de porter à la piscine tel ou tel type de maillot de bain, pour les filles comme pour les garçons d'ailleurs, demande que les cours de natation ne soient pas mixtes ;

- refus de certains enseignements comme les sciences de la vie, voire parfois contestation de certains enseignements comme celui sur la shoah ;

- refus d'être enseigné ou interrogé par tel ou tel professeur en raison de ses origines supposées ou de son sexe ;

- refus, comme je l'ai constaté, que soit étudié le Génie du Christianisme.

- demande de régimes alimentaires particuliers à la cantine et même, puisque cela m'a été signalé à plusieurs reprises, exigence d'être servi par des personnels de même religion et parfois dans des salles à part...

Ces exigences, on le comprend aisément, ont profondément affecté le fonctionnement des établissements scolaires, non seulement à cause des perturbations que ces demandes entraînaient mais également parce que le monde enseignant s'est divisé sur l'attitude à adopter pour y répondre.

Certains ont opté pour une attitude intransigeante n'hésitant pas à appeler à la grève, d'autres ont tenté de négocier, d'autres enfin ont accepté ces exigences. Le débat a rapidement quitté la sphère scolaire en raison de sa médiatisation pour devenir un sujet d'actualité et de société.

Tout cela a profondément miné le pacte républicain.

On comprend que dans ce contexte passionné, encore qu'il l'ait été beaucoup moins en 1989 que quelques années plus tard, le Gouvernement ait cherché auprès du Conseil d'État, un des gardiens du pacte laïque, un surcroît de légitimité.

Pourtant l'avis rendu en 1989 n'a pas produit l'effet escompté et le moins que l'on puisse dire est qu'il a apporté plus de confusion que d'apaisement.

Pourtant, cet avis du Conseil ne faisait que synthétiser sa jurisprudence en rappelant d'abord « que le principe de laïcité de l'enseignement public qui est un des éléments de la laïcité de l'État et de la neutralité de l'ensemble des services publics, impose que l'enseignement soit dispensé dans le respect d'une part de cette neutralité par les programmes et par les enseignements et d'autre part, la liberté de conscience des élèves ».

Cependant, en affirmant par la suite que « dans les établissements scolaires, le port par les élèves, de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n'est pas, en lui-même, incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l'exercice de la liberté d'expression et de manifestation de croyances religieuses » il a contribué à jeter le trouble dans certains esprits, même s'il assortissait cette liberté d'un certain nombre de réserves pour lesquelles il admettait une interdiction ponctuelle.

Était ainsi interdit le port de signes religieux qui, « par leur nature », « par les conditions dans lesquelles ils étaient portés individuellement ou collectivement » ou par leur « caractère ostentatoire ou revendicatif » :

- constitueraient un acte de pression ou de prosélytisme,

- porteraient atteinte à la liberté ou à la dignité de l'élève,

- compromettraient leur santé ou leur sécurité,

- perturberaient les activités d'enseignement,

- ou troubleraient l'ordre dans les établissements.

Bien entendu, s'agissant du respect d'une liberté individuelle, le Conseil d'État ne pouvait, comme il l'avait toujours fait, que se montrer extrêmement attentif et sourcilleux quant aux conditions dans lesquelles cette liberté pouvait être restreinte.

Cela explique que dans certains cas le juge administratif ait validé les sanctions infligées pour le port du voile et que dans d'autres, il les ait annulées et que ces différents avis aient pu à un moment, faute d'analyse suffisante, paraître contradictoires.

Plusieurs circulaires ministérielles, en 1989 d'abord, en 1994 ensuite, ont tenté, sans grand succès, de donner quelques repères à une communauté enseignante profondément troublée.

Dans la pratique, les chefs d'établissements étaient laissés à eux-mêmes et devaient tenter avec leurs propres moyens d'assurer le fonctionnement de leurs établissements.

Dans ce contexte, on peut aisément imaginer que loin de se dissiper, les troubles n'ont cessé de se multiplier et de s'amplifier, puisque ni l'administration quasi muette, ni même le juge, ne semblaient en état de donner le moindre repère stable.

On comprend que l'opinion ait pu s'émouvoir puisqu'il ne s'écoulait pas une semaine sans que des articles de presse plus ou moins alarmistes ne traitent du sujet, contribuant davantage à exacerber les passions plus qu'à résoudre les difficultés.

Quelle que soit la valeur des circulaires, quelle que soit la volonté des chefs d'établissement, il était évident que seul un rappel de la règle était susceptible d'apporter une solution durable à la question, ou du moins un apaisement.

C'est ce que l'Assemblée nationale a proposé avec le rapport de la mission d'information et c'est, finalement, ce qui a été retenu.

Cette loi a suscité, comme c'était prévisible, une émotion considérable chez les partisans de la laïcité, et plus encore chez les partisans de la liberté religieuse. Beaucoup y ont vu, et pas seulement les musulmans, une nouvelle atteinte à la liberté religieuse.

Pourtant, lorsque l'on analyse bien le texte de cette loi très brève, on s'aperçoit qu'il ne fait que reprendre les principes laïques, tels qu'ils ont été posés dès fin du XIXe siècle.

L'école doit être un lieu neutre, à l'abri des tensions et du prosélytisme. Elle doit permettre aux jeunes de pratiquer le culte de leur choix et les autoriser à porter des signes religieux dès lors que, par leur taille, ces derniers ne puissent être considérés comme un élément de provocation ou une incitation au prosélytisme.

Finalement, le Parlement a interdit le port de signes ostensibles alors que, pour ma part, j'aurais préféré interdire le port de tout signe religieux.

Ce rappel, ce signal ont-ils été suffisants ? Ont-ils atteint leur but ?

Nombre de Cassandre avaient prédit l'apocalypse pour la rentrée 2004. Pourtant nous n'avons pas assisté à l'exode massif de jeunes filles vers l'enseignement confessionnel et le nombre de cas difficiles a, semble-t-il, considérablement décru.

Il faut de toute façon, et d'ailleurs la loi le prévoit, procéder à une évaluation des conséquences de ce texte.

Il y a d'un côté les chiffres communiqués par les rectorats et le ministère de l'Éducation nationale. Ils sont, il est vrai, encourageants.

Il y a, de l'autre côté, la réalité du terrain qu'il faudra explorer car l'expérience montre que celle-ci peut être très sensiblement différente de la perception qu'en ont les échelons centraux. Il va donc falloir, comme je m'y étais engagé l'année dernière reconstituer une mission afin de réaliser cette évaluation.

Cette mission ne devra pas rouvrir le débat, mais simplement répondre à l'exigence du législateur qui souhaite savoir quel a été l'accueil réservé à ce texte de loi et s'il faut le modifier ou le compléter pour qu'il atteigne l'objectif qui lui était assigné.

Pour ma part, je vois dans les résultats de la mission parlementaire d'information que j'ai présidée et dans les conditions dans lesquelles le texte de la loi a été voté deux éléments :

- Le premier, c'est que la laïcité est bien un élément de la cohésion de notre corps social et est considérée comme tel par un grand nombre de nos concitoyens comme le montrent les résultats des sondages réalisés il y a quelques mois.

- Le second, c'est qu'aujourd'hui comme hier, la laïcité est bien le résultat d'un équilibre fragile et instable qu'il appartient au Parlement, en dernier ressort, d'assurer.

Dans ces conditions, la question que l'on peut se poser aujourd'hui est de savoir si le Parlement doit aller plus loin.

Lorsqu'il a présenté son texte devant le Parlement, le Premier ministre a indiqué qu'il s'agissait du premier volet d'un triptyque ; les deux autres devant être consacrés à l'hôpital et à l'entreprise puisque les dispositions figurant dans le statut général des fonctionnaires sur la neutralité de ces derniers paraissent en l'état suffisantes.

Depuis une circulaire a été récemment diffusée en direction du secteur hospitalier et un certain nombre de réflexions ont été lancées dans les milieux patronaux.

Il serait intéressant d'en mesurer l'impact.

Ce n'est en effet qu'après une étude approfondie des difficultés éventuelles qui peuvent se poser, comme l'ont été celles sur l'école, que l'on pourra juger de l'intérêt, de la nécessité de légiférer à nouveau.

Vous connaissez mon souci de ne réserver à la loi que ce qui lui revient, d'éviter l'inflation législative que chacun déplore aujourd'hui et tout bavardage inutile.

Aussi, je crois que si l'on veut que le Parlement conserve dans ce domaine extrêmement sensible sa puissance d'intervention, il faut veiller à ce qu'il n'intervienne que si cela est nécessaire.

La laïcité n'a pas besoin de longs développements législatifs pour exister, elle a besoin de vigilance.

En tout cas, le Parlement ne laissera à personne d'autre, ni au juge, ni à la presse, ni même à l'opinion, et moins encore à une religion, le soin de déterminer ce que doit être la laïcité.

Ce principe est au cœur de notre République, il est un des garants de la cohésion sociale de notre pays.

Par conséquent, seul le législateur a la légitimité pour en fixer les contours et fixer, le cas échéant, les obligations qui en découlent. C'est son devoir, et il ne doit pas avoir peur de l'affirmer et de l'exercer.