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17/01/2006 - Voeux à la presse de M. Jean-Louis Debré

Monsieur le Président,

Mesdames, Monsieur,

Tout d'abord permettez-moi de vous remercier des vœux que vous venez de former à l'égard de l'institution que je représente.

Je voudrais vous souhaiter à tous une chaleureuse année 2006.

Sans vous, il manquerait une dimension au travail du Parlement. En effet, nos concitoyens doivent être convaincus que les députés sont constamment à leur écoute et s'emploient à répondre à leurs attentes. Ils ne peuvent l'être que si vous leur dites ce qui se passe ici.

Si le Parlement ne sait pas communiquer, sur ce qu'il fait, c'est sa légitimité qui peut en être affectée.

Permettez-moi de profiter de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui pour revenir sur une question qui m'est particulièrement chère, c'est les institutions.

En effet, il y a en France un sujet qui revient régulièrement à la mode. C'est le débat institutionnel. On aime changer de Constitution. En deux siècles, nous en avons essayé un peu plus d'une quinzaine, alors que les règles constitutionnelles ont été fixées une fois pour toute aux États-Unis en 1787 et que depuis 1791 les amendements à la Constitution américaine ont été peu nombreux. De même, le régime politique anglais repose dans son fonctionnement sur des principes qui ont peu évolué. En France, et c'est l'une de nos originalités, une Constitution nouvelle est à peine adoptée, que l'on pense déjà à la suivante. Les politiques et les juristes raffolent du débat institutionnel.

Ainsi, voilà près de 50 ans que l'on affirme que nos institutions sont dépassées, désuètes, obsolètes, dangereuses, inefficaces. D'ailleurs, n'avait-on pas prédit qu'elles ne survivraient pas au général de Gaulle ? Dès 1962, certains éminents professeurs de droit prônaient déjà le passage à la VIe République. Depuis le début de l'application de nos institutions actuelles, les partisans du régime présidentiel s'opposent aux nostalgiques du régime d'assemblée, c'est-à-dire à ceux qui veulent faire du parlement à la fois l'organe législatif et l'organe exécutif.

Mais en cinquante ans, la société française a évolué, les mentalités politiques se sont transformées, et conséquence de la répétition des mêmes règles électorales, sauf en 1986, à travers douze élections législatives, c'est-à-dire 23 tours de scrutin, le fait majoritaire s'est imposé. La réforme des institutions de la Ve République n'est donc pas un sujet tabou.

J'ai lu les diverses propositions émises ici ou là. Je ne perçois rien de vraiment nouveau et original. A ceux qui rêvent d'un Parlement qui cumulerait la faculté de voter les lois, mais aussi en réalité la mission d'assumer la responsabilité gouvernementale, régime bien connu qui, par la confusion des pouvoirs, a entraîné la chute de la IIIe et de la IVe Républiques, s'opposent ceux qui, par une obsession de rupture, veulent retrouver un système que le Cardinal de Richelieu appelait le « principat » : un monarque absolu, un principal ministre, simple secrétaire exécutant des volontés d'un prince tout puissant,... Tout cela n'est pas très réaliste. N'oublions jamais que la grande force des institutions de la Ve République est de pouvoir donner lieu à deux lectures différentes suivant qu'il y a ou non concordance entre la majorité parlementaire et présidentielle. Gardons cette souplesse, elle correspond aux réalités de la vie politique française.

Est-ce à dire qu'il ne faille pas moderniser nos institutions et chercher à perfectionner son fonctionnement ?

Contrairement à ce que pensent certains, nous pouvons très bien en rectifier le fonctionnement sans changer la Constitution, par une transformation des comportements de chacun et, pour le Parlement, par une simple évolution des règlements intérieurs.

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Ces mutations du Règlement doivent toutefois être faites avec prudence et le souci de donner au Parlement toute sa place dans nos institutions, sans chercher à conférer à l'Assemblée nationale et au Sénat un rôle qui ne serait pas le leur : attention aux risques de confusion des pouvoirs. Mais, compte tenu de l'élection du Président de la République au suffrage universel et de la puissance de la machine administrative, il convient de renforcer l'autorité politique du Parlement.

Cette autorité politique sera d'autant plus renforcée que l'Assemblée nationale légifèrera mieux et contrôlera plus efficacement le Gouvernement et son administration.

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· Légiférer mieux implique de maîtriser plus parfaitement note débat législatif.

D'abord, en légiférant sur l'essentiel, c'est-à-dire sur ce qui relève du domaine de la loi.

A cet égard, sur chaque texte, projet ou proposition de loi, la commission des lois donnera systématiquement son avis sur le caractère législatif ou non de ces projets ou propositions.

Cet avis ne pourra être rendu si les amendements sont déposés tardivement. Je propose donc que soient généralisées les dispositions, récemment adoptées sur les délais de dépôt des amendements au projet de loi de finances.

Ensuite, légiférer mieux, c'est consacrer plus de temps à la discussion des articles et des amendements qu'à la discussion des motions de procédures ou à la discussion générale qui, par le caractère souvent systématique des motions ou répétitif des interventions, ne font que reculer l'heure à laquelle l'on entre, en quelque sorte, dans le vif du sujet. Deux dispositions sont prévues : la globalisation du temps de la discussion générale et celle de la discussion des articles.

Par ailleurs, je propose que l'exception d'irrecevabilité et la question préalable soient regroupées en une seule motion.

· N'oublions pas la fonction de contrôle de l'Assemblée nationale. Elle n'est pas secondaire, bien au contraire. C'est pourquoi je suggère qu'une semaine par mois soit réservée principalement au travail des commissions ou des missions d'information.

Vous trouverez le détail de ces projets dans 9 propositions de résolution qui seront déposées en fin d'après-midi.

Je suis, pour ma part, persuadé que si elles étaient adoptées, l'action du Parlement gagnerait en efficacité et surtout en lisibilité politique.

Mais légiférer et contrôler ne constituent pas les seules missions du Parlement.

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L'Assemblée nationale se doit d'être aussi le lieu où l'on réfléchit aux évolutions de notre société en dehors même de l'examen d'un projet ou d'une proposition de loi. La mission d'information sur l'effet de serre, celle sur les enjeux des essais et de l'utilisation des OGM, mais aussi celle sur la famille et le droit des enfants.... comme la mission sur l'accompagnement de la fin de vie ou celle sur le port de signes religieux à l'école en sont ou en ont été l'expression.

L'Assemblée nationale a vocation à être une enceinte de dialogue, de confrontation des opinions, d'affrontement des idées. Ce dialogue, cette confrontation, cette réflexion ne doivent pas avoir de frontières politiques. La vérité des uns ne peut systématiquement écarter la vérité des autres. Les certitudes d'un groupe, fut-il majoritaire, ne l'emportent pas automatiquement sur celles des groupes minoritaires. J'ai déjà imposé, par une modification de notre Règlement, le pluralisme dans les missions d'information décidées par la Conférence des Présidents comme j'ai installé ce pluralisme dans la conduite des commissions d'enquête. Je souhaite que l'Assemblée nationale s'investisse encore davantage dans cette mission.

C'est dans cet esprit que j'ai abordé la réflexion dans le cadre de la mission personnelle que m'a confiée le Président de la République. Il s'agit comme vous le savez de réécrire l'article 4 de la loi du 23 février 2005. Après avoir entendu, écouté les différentes associations, chercheurs, historiens, en compagnie des députés désignés, a ma demande, par les quatre groupes parlementaires, je proposerai une rédaction qui ne sera l'expression ni d'une repentance, ni d'un reniement ou d'un renoncement mais d'une juste conception de la loi.

Je suis prêt à rediscuter de ces différents points avec celles et ceux qui le souhaiteront au moment qui paraîtra le plus approprié mais pour l'instant, en vous redisant mes souhaits les plus chaleureux et les plus sincères.