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16/11/2006 - Ouverture du colloque : « L'héritage de la résistance dans la création littéraire »

Monsieur le Secrétaire perpétuel honoraire de l'Académie française,

Monsieur le Président de l'Association les Amis de la Fondation de la Résistance,

Monsieur l'Ambassadeur,

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de vous souhaiter, à vous toutes et vous tous, au nom de l'ensemble des députés, la bienvenue au Palais-Bourbon et vous dire le plaisir qui est le mien d'ouvrir ce nouveau colloque consacré à l'héritage de la résistance dans la création littéraire.

Ce colloque s'inscrit dans le prolongement de celui que vous aviez organisé il y a près de 3 ans.

Il montre une nouvelle fois combien votre association, Monsieur le Président, est active.

Je voudrais profiter de cette occasion, Monsieur le Président, pour rendre un hommage particulièrement appuyé à l'oeuvre de longue haleine de votre association qui nous rappelle opportunément que la mémoire est une richesse pour la nation.

Vous êtes, Mesdames, Messieurs, les gardiens de notre mémoire collective. En ranimant la flamme du souvenir vous faites oeuvre de pédagogie et vous défendez utilement les intérêts moraux et l'honneur de la Résistance. Vous êtes les sentinelles de cette mémoire si précieuse et pourtant si fragile. En conservant cette mémoire, en assurant sa transmission aux plus jeunes générations, comme en témoigne la présence ce matin d'élèves des lycées Blomet de Paris, Gérard de Nerval de Noisiel et Janson-de-Sailly de Paris, ou de la maison d'éducation de la Légion d'honneur, vous servez notre démocratie, car plus le temps passe, plus il est important que l'histoire de cette période soit écrite, soit conservée et surtout soit enseignée.

A vous, les plus jeunes, je voudrais vous dire ceci : ayez conscience de la chance que vous avez de rencontrer des résistants, mesurez la force de leur engagement et de leurs convictions qui les ont conduits à risquer leur vie, mesurez l'étendue des sacrifices qu'ils ont consentis pour votre propre liberté. Méditez et imprégnez-vous de leur exemple. Souvenez-vous et transmettez ce souvenir pour que les générations futures n'oublient pas. Car oublier ce serait comme donner raison à la barbarie qu'ils ont combattue.

André Malraux, dont l'Assemblée évoquait avant hier la mémoire à l'occasion du 30ème anniversaire de sa disparition, avait projeté d'écrire un roman sur le maquis, projet auquel il renoncera mais il en avait déjà trouvé le titre qui tenait en un seul mot : NON.

En soi, ces trois lettres étaient tout un programme. Ce seul mot pourrait résumer toute la Résistance et, à travers elle, la substance du gaullisme comme vient de le rappeler avec beaucoup de force le Président de la République en posant le première pierre du nouveau mémorial de Colombey les Deux Églises.

En ce sens l'appel du 18 juin lancé par le Général de Gaulle depuis Londres, "la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas", est la première oeuvre littéraire de la Résistance. La première à contenir ce mot de Résistance.

La Résistance, et c'est une dimension qui n'est pas assez souvent rappelée, ne saurait se résumer à des combats, à des actions militaires de plus ou moins grande ampleur, à des actions politiques. La Résistance, c'est plus que l'histoire d'un affrontement. La richesse et l'intensité de la création littéraire qui s'est exprimée dans la Résistance à travers la presse ou les éditions clandestines, sont là pour en témoigner. Elles montrent que la Résistance est un véritable humanisme, qu'elle a engagé celles et ceux qui y ont participé dans tout leur être, dans toutes les dimensions de la personne humaine et qu'au-delà de la lutte contre un occupant, il y avait la volonté de lutter pour une certaine conception de l'Homme, il y avait la volonté de défendre la valeur incomparable de la personne humaine et l'héritage multiséculaire de la civilisation occidentale.

L'héritage littéraire de la Résistance est considérable et au-delà de sa qualité intrinsèque il nous rappelle quels furent les valeurs et le sens du combat de ces femmes et de ces hommes qui ont risqué leur vie pour sauver notre pays.

La création littéraire issue de la Résistance est une littérature d'hommes libres. Dans cette seconde guerre mondiale, qui fut aussi une guerre de mots, cette littérature fut une lueur d'espoir. Une lueur dans la nuit de l'occupation. Mais une lueur aussi pour nous aider à définir la vraie nature de l'Homme.

Aussi n'est-il pas étonnant que la littérature, que l'écriture ait tenu une si grande place.

Dans l'éditorial qu'il écrit le 20 juin 1940 pour le numéro 10 de sa revue Fontaine et qu'il intitule "nous ne sommes pas vaincus", Max Pol Fouchet écrit : "nous ne sommes vaincus qu'au militaire. Mais au spirituel nous sommes toujours victorieux"

Il n'y a pas de meilleure illustration à ce jugement, loin d'être évident à l'époque, que l'histoire édifiante des Éditions de Minuit fondées en 1941 par Pierre Lescure et Jean Bruller, mieux connu sous le nom de Vercors, dont il signa le Silence de la Mer et La Marche à l'Étoile, deux des dix neuf ouvrages édités par les Éditions de Minuit clandestines.

Le Silence de la Mer fut imprimé chez un petit imprimeur du Boulevard de l'Hôpital qui a tiré le livre feuille à feuille entre deux faire-part. C'est Jean Paulhan, la cheville ouvrière de la résistance intellectuelle qui a payé l'imprimeur avec un don anonyme de 5 000 Francs. On a su ensuite, et je ne l'ai appris que bien plus tard, que ce donateur était un des amis de Jean Paulhan, à savoir mon grand-père, le Professeur Robert Debré.

Permettez-moi de vous citer à ce propos un article sur Le Silence de la Mer, paru à l'époque à Londres dans le magazine The Observer le 11 juillet 1943 : "cette œuvre qui a vu le jour en même temps que les récents poèmes d'Aragon et d'Éluard prouve bien que le génie français n'est pas tari mais que, malgré le poids obscur de l'occupation allemande il continue de couler comme un torrent sous la glace. Seule de tous les pays occupés, la France continue à produire des œuvres de grand art".

Du grand art ! Comment pourrait-on qualifier autrement les Feuillets d'Hypnos de René Char, autre magnifique exemple, publiés en avril 1946 par Albert Camus dans la Collection Espoir que ce dernier dirige aux Éditions Gallimard. Ces poèmes entrés dans le panthéon de notre poésie classique furent écrits par le René Char, connu sous le pseudonyme d'Alexandre, qui, chef départemental de la section atterrissage-parachutage, échappa de justesse à l'arrestation. Un poète au cœur de l'action clandestine la plus risquée au sens le plus physique du terme. On oublie trop souvent que la Résistance donna naissance à une véritable effervescence poétique, dont un autre exemple est la Revue de Pierre Seghers. On oublie trop souvent que la littérature de la Résistance ce sont aussi des essais comme ceux de l'historien Marc Bloch, l'auteur de "l'Étrange défaite" et d' "Apologie pour l'histoire". Marc Bloch, le fondateur des Annales mais aussi un des chefs pour la région lyonnaise des Mouvements Unis pour la Résistance, arrêté et torturé par la Gestapo, fusillé le 16 juin 1944. On oublie trop souvent que la Résistance ce furent d'innombrables revues littéraires, des journaux clandestins comme Combat d'Albert Camus qui accueillit aussi Emmanuel Mounier et Raymond Aron.

Il convient aussi de ne pas oublier ceux qui, depuis l'étranger, ont écrit pour la Résistance à l'image de Georges Bernanos, exilé au Brésil.

Comment ne pas évoquer ici, devant vous, en présence de Maurice Druon son neveu, le roman de Joseph Kessel l'Armée des Ombres, le premier roman éponyme sur cette époque terrible. Publié par les Éditions Charlot à Alger dès 1943, histoire romancée où le personnage de Luc Jardié, mathématicien, chef de réseau est inspiré de Jean Cavaillès, martyr de la Résistance.

Joseph Kessel qui fut avec son neveu Maurice Druon ici présent l'auteur des paroles du Chant des Partisans composé par Anna Marly. "On ne gagne la guerre qu'avec des chansons..." dira Emmanuel d'Astier de la Vigerie. Largué par la Royal Air Force sur la France occupée, écouté clandestinement, cri de ralliement et d'espoir, véritable monument littéraire, le Chant des Partisans a traversé le temps jusqu'à nous. C'est un véritable succès littéraire et populaire qui a su transmettre l'émotion et la souffrance.

"Ami, si tu tombes, un ami sort de l'ombre à ta place" "le vent souffle sur les tombes, la liberté reviendra, on nous oubliera, nous rentrerons dans l'ombre..."

Méditons ces paroles de la complainte du partisan et faisons en sorte de les faire mentir. NON, personne n'oubliera la résistance et ceux qui l'animèrent. Nous sommes tous là pour en témoigner. A vous encore présents, permettez-moi de vous dire combien nous vous sommes reconnaissants de cette liberté retrouvée.

Jean Paulhan, dans un texte lumineux, s'est sans doute approché au plus près de l'engagement clandestin de la Résistance : "et je sais, dit-il, qu'il y en a qui disent ils sont morts pour peu de choses. Un simple renseignement, pas toujours très précis ne valait pas ça, ni un tract, ni même un journal clandestin parfois mal composé. A ceux là il faut répondre : c'est qu'ils étaient du côté de la vie. C'est qu'ils aimaient des choses aussi insignifiantes qu'une chanson, un claquement de doigts, un sourire. Tu peux serrer dans ta main une abeille jusqu'à ce qu'elle étouffe. Elle n'étouffera pas sans t'avoir piqué. C'est peu de choses, dis-tu. Oui, c'est peu de choses. Mais si elle ne te piquait pas, il y a longtemps qu'il n'y aurait plus d'abeilles".

Quoi d'étonnant à ce que la Résistance ait permis la création de si belles pages de notre littérature, quoi d'étonnant que des écrivains qui, pour certains, n'ont pas connu cette période y aient puisé leur inspiration car la Résistance a permis d'exprimer, comme l'on dit d'un fruit ou d'un parfum, ce qu'il y a de plus beau dans l'Homme : la générosité, la gratuité, le renoncement à soi.

Je vous remercie.