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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 33

Réunion du mardi 11 mars 2003 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller,
Président,

et de M. Patrick Ollier,
Président de la Commission des affaires économiques
,
de l'environnement et du territoire,

Audition, commune avec la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, sur la révision à mi-parcours de la politique agricole commune

M. Patrick Ollier, Président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, a tout d'abord observé que l'actualité agricole était marquée non seulement par la préparation du projet de loi sur le développement rural mais surtout par d'importants enjeux internationaux, qu'il s'agisse de la « révision à mi-parcours » de la politique agricole commune (PAC) ou des négociations agricoles à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Il a remarqué que la forte dimension européenne de ces enjeux justifiait une audition conjointe avec la Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et a tenu à rappeler brièvement le contexte des discussions en cours au sein de l'Union européenne et à l'OMC.

S'agissant de la PAC, il a indiqué que la réforme proposée depuis juillet 2002 par le commissaire européen à l'agriculture, Franz Fischler reposait notamment sur la notion de découplage des aides et a rappelé que l'ensemble des syndicats agricoles français s'était prononcé contre cette idée. Il a donc souhaité savoir si le gouvernement français maintiendrait son opposition à un découplage total des aides et obtenir des précisions sur la possibilité pour la France de maintenir avec ses partenaires européens un « front du refus ».

S'agissant des négociations agricoles à l'OMC, il a souligné que la Commission examinerait prochainement une proposition de résolution adoptée par la Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale.

Il a par ailleurs rappelé que l'Union européenne, malgré d'importants efforts accomplis ces dernières années pour s'ouvrir davantage encore aux produits agricoles du reste du monde, était l'objet de vives attaques provenant notamment des Etats-Unis et des pays du « groupe de Cairns ». Il a indiqué que, dans la perspective de la Conférence ministérielle qui aurait lieu à Cancun du 10 au 14 septembre 2003, les différentes parties devaient s'entendre, avant le 31 mars prochain, sur les « modalités » de ces négociations agricoles.

Le Président Patrick Ollier a ensuite remarqué que le projet d'accord rendu public le 12 février dernier par M. Stuart Harbinson, président du comité de l'agriculture de l'OMC, semblait très éloigné de la position adoptée le 27 janvier dernier par le Conseil des ministres de l'agriculture de l'Union européenne. Il a ajouté que ce projet suscitait l'inquiétude des agriculteurs car il faisait reposer l'essentiel des concessions sur l'Union européenne et remettait fortement en cause le modèle agricole européen.

Il a souhaité recueillir sur ces enjeux les explications du ministre et savoir si l'Union européenne pourrait faire prévaloir ses intérêts dans la négociation en cours.

Après s'être félicité de la tenue de cette audition commune, le Président Pierre Lequiller a constaté que les problèmes agricoles étaient de nouveau au centre des préoccupations européennes. Il s'est réjoui que, dans ces conditions, le ministre ait mené une politique de discussion constante avec ses homologues européens, le commissaire européen Franz Fischler et les parlementaires nationaux. Puis, après avoir rappelé que la France défendait une position cohérente, constante et solide sur le respect des engagements pris aux Conseils européens de Berlin et de Bruxelles, il a souhaité poser trois questions au ministre. Il a d'abord souhaité connaître les chances de voir la France réunir une majorité d'Etats membres autour de sa position concernant les propositions de la Commission européenne sur le découplage intégral des aides et la baisse des prix d'intervention. Il s'est ensuite interrogé sur la réforme acceptable de la PAC que la France pourrait négocier avec une majorité de ses partenaires, les propositions de la Commission européenne ne pouvant être rejetées qu'à l'unanimité des Etats membres. Il a enfin souhaité savoir si la France ne devrait pas entreprendre auprès des futurs Etats membres un grand effort de communication sur les mérites de la PAC, afin de se constituer des alliés pour la défense du modèle agricole européen.

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, a remercié les présidents de la Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire et de la Délégation pour l'Union européenne de l'avoir invité à faire le point sur les négociations européennes et internationales au seuil d'une année qui s'annonce chargée pour l'agriculture française et européenne. Il a regretté que les dossiers en cours aient recours à des mots souvent issus du jargon bureaucratique, tels que les notions de modulation, de découplage, de restitutions, d'accès ou encore de dégressivité. Il a déploré qu'un public d'initiés utilise ces concepts sans considération pour le travail des femmes et des hommes concernés.

Il a estimé qu'il existait deux conceptions distinctes de l'agriculture : d'une part, une conception industrielle où les prix sont toujours tirés vers le bas, les produits agricoles n'étant que des commodities s'échangeant parfois même sur des marchés à terme ; d'autre part, une conception de l'agriculture où l'acte de production est primordial, même s'il n'exclut pas la multifonctionnalité. Il a estimé que dans cette seconde conception, l'agriculture contribuait également à l'entretien de l'espace, à l'aménagement du territoire, à l'emploi, à l'environnement, et devait donc être à la fois économiquement forte et écologiquement responsable.

Il a rappelé que le débat actuel remontait au début des années soixante, lorsque les Etats-Unis s'opposaient déjà à la mise en place d'une politique agricole commune. Il a regretté qu'aujourd'hui la PAC et les positions européennes ne soient pas suffisamment défendues, alors que de nombreux journaux ou rapports d'organisations internationales critiquent celles-ci avec des arguments fallacieux et parfois matériellement erronés. Il a d'ailleurs rappelé qu'il s'était efforcé, dans un article paru en octobre 2002 dans vingt quotidiens, de rectifier certaines erreurs et de réfuter certaines critiques avec l'appui d'autres ministres de l'Union européenne.

Il a indiqué que des dossiers internationaux particulièrement importants avaient dû être traités depuis l'arrivée du Gouvernement aux affaires, qu'il s'agisse, l'an dernier, de l'élargissement de l'Union européenne ou, cette année, des négociations à l'OMC et de la révision à mi-parcours de la PAC.

S'agissant de l'élargissement, après avoir rappelé que l'état d'esprit dominant tendait à remettre en cause la PAC en raison de l'élargissement, il a indiqué que le sommet de Bruxelles du 25 octobre 2002 avait heureusement dénoué la situation en allouant une enveloppe globale à l'agriculture européenne. Il a précisé que cette enveloppe se subdivisait en trois sous-enveloppes, la première destinée aux quinze Etats membres actuels, la seconde aux dix nouveaux Etats membres, la troisième constituant une provision pour le cas où la Roumanie et la Bulgarie entreraient rapidement dans l'Union européenne. Il a annoncé une augmentation annuelle d'1 % de cette enveloppe globale, celle-ci ne devant pas être renégociée en 2006-2007, puisqu'elle fixe les perspectives de la PAC jusqu'en 2013. Il a estimé que, les futurs Etats membres siégeant dès avril prochain avec voix consultative, puis comme membres à part entière à partir d'avril 2004, il était nécessaire d'engager dès maintenant avec eux un travail commun qui permette de dissiper les craintes nées de part et d'autre. Evoquant notamment ses déplacements en Pologne, il a noté que l'élargissement devait profiter à tous, la mise à niveau progressive des pays candidats allant de pair avec un élargissement du marché intérieur qui profite également aux Etats membres. Il a souhaité que des relations bilatérales s'établissent entre les Etats, notamment sur des sujets comme l'aménagement rural, le remembrement ou l'aménagement foncier, ces opérations ne pouvant s'inscrire que dans la durée.

Abordant la question de la revue à mi-parcours, le ministre a d'abord observé qu'il ne s'agissait pas d'une réforme de la PAC. Il rappelé que, lors des négociations sur l'Agenda 2000 ou sur la réforme de la politique commune de la pêche, des contraintes de calendrier et de délai s'imposaient aux Etats, tandis que les conclusions de Berlin ne fixent en revanche aucune autre date butoir que 2007 pour la réforme de la PAC. Il a souligné que les propositions formulées par la Commission européenne dans le courant de l'année dernière, et réitérées à la fin du mois de janvier 2003, ne couvraient pas l'ensemble des questions. Il a fait part de son opposition à une poursuite de la baisse des prix du lait et des céréales, au découplage total des aides ainsi qu'à une modulation dont le produit n'irait pas à l'aménagement rural, relevant du deuxième pilier, mais au financement de baisses de prix pour les céréales et le lait, du fait d'un jeu de vases communicants. Il s'est en revanche montré favorable au développement du deuxième pilier, à une simplification de la PAC, devenue trop complexe et bureaucratique, ainsi qu'à une meilleure prise en compte de l'environnement.

Revenant sur les différentes étapes de la négociation communautaire, il a observé que la Commission européenne avait toujours poursuivi les mêmes objectifs, alors même que dix à onze pays s'étaient opposés à ses propositions. Il s'est refusé à spéculer sur l'avenir des négociations tout en évoquant deux scénarios possibles : soit un refus des propositions de la Commission européenne engendrant un blocage qui, compte tenu des élections européennes et du renouvellement de la Commission, reporterait les décisions à 2005 ; soit l'acceptation de concessions réciproques aboutissant à une adaptation de la PAC.

Abordant la question des négociations devant l'OMC, il a souligné, après avoir rappelé que la Commission européenne négociait au nom des Etats membres, qu'il s'agissait d'un sujet indépendant de la révision à mi-parcours de la PAC, quoique certains aient voulu établir un lien entre ces deux questions en affirmant qu'un découplage s'imposait pour devancer les exigences de l'OMC. Il a relevé que la Commission européenne négociait cependant sur la base du mandat qui lui avait été confié en novembre 2000, reprenant exactement les conclusions du sommet de Berlin. Il a ajouté que le Conseil « Affaires générales » de janvier 2003 avait précisé ce mandat en y intégrant les réformes récentes et en incluant dans les subventions à l'exportation les marketing loans et l'aide alimentaire contracyclique des Etats-Unis. Il a rappelé que le débat agricole à l'OMC portait principalement sur les soutiens à l'exportation, les droits de douane et les mesures de soutien interne. Il a souligné que l'offre de négociation présentée par M. Stuart Harbinson, président du comité de l'agriculture à l'OMC, avait semblé à tous les ministres européens de l'agriculture déséquilibrée et excessivement favorable aux intérêts des Etats-Unis. Il a souhaité que, lors de la session ministérielle de Cancun en septembre 2003, les positions de la France, largement partagées, permettent de faire de la négociation le « cycle du développement » annoncé, les problèmes des pays en développement devant y trouver une solution. Il a déploré que la PAC ait été présentée comme responsable de la faim dans le monde lors du sommet de Johannesburg sur le développement durable et dans une tribune libre du ministre australien de l'agriculture récemment publiée par un quotidien français. Il a dénoncé cette tentative visant à stigmatiser la politique agricole de l'Union européenne et jugé contre nature l'alliance nouée entre les pays ultra-libéraux du « groupe de Cairns » et les pays en voie de développement, indiquant qu'il fallait agir pour dissocier ces alliés inattendus.

Il a rappelé que le Président de la République avait proposé, à l'occasion du sommet France-Afrique, que la discussion relative aux subventions à l'exportation s'étende aussi aux marketing loans et à la fausse aide alimentaire des Etats-Unis, un moratoire pouvant être mis en place pour l'Afrique dans l'attente des résultats des négociations à l'OMC. Il a ajouté que la position alors définie prévoyait également, en matière d'accès au marché, l'institution de préférences spécifiques au bénéfice des pays les plus pauvres, l'extension de la clause de la nation la plus favorisée ne profitant pas réellement à ceux-ci mais plutôt à des pays favorisés comme l'Australie. A cet égard, le ministre a rappelé que l'Union européenne absorbait quatre à six fois plus d'importations en provenance de pays en développement que le « groupe de Cairns ». Il a souligné que l'évolution des marchés mondiaux agricoles depuis dix ans montrait que la part de l'Union européenne avait diminué, celle des Etats-Unis ayant stagné, tandis que celle du « groupe de Cairns » montait en flèche et que celle des pays les plus pauvres était passée de 3,4 % au début des années 1980 à 1,2 % à la fin de l'année 2000.

M. Hervé Gaymard a enfin évoqué la question du prix des productions de base comme le coton, le café, le cacao et l'arachide, matières premières dont il a estimé que les prix avaient perdu tout rapport avec les coûts de production et avec les besoins de ces pays puisqu'ils étaient négociés dans les bourses de marchés à terme. Il a souhaité que l'Europe prenne des initiatives pour stabiliser le cours de ces produits en se délivrant de tout conformisme intellectuel pour avancer des propositions concrètes.

M. Antoine Herth s'est félicité de l'importance accordée par le ministre à la consolidation des organisations communes de marché. Il a noté que M. Fischler concevait les aides compensatoires comme un moyen de maîtriser les volumes de production. Or, il a estimé que ces aides pourraient conduire, à terme, à un démantèlement de la production si elles s'inscrivaient dans une telle démarche, reposant notamment sur des quotas et des mises en jachère.

Il s'est ensuite interrogé sur le calendrier de mise en œuvre des réformes envisagées pour la révision à mi-parcours de la PAC et sur l'existence d'une date butoir à la fin du premier semestre, afin de préparer les négociations de l'OMC, et sur la signification d'un éventuel découplage partiel. Il a en effet estimé que le renforcement du financement du développement rural par les crédits du « deuxième pilier » pouvait déjà constituer une forme de découplage partiel. Il s'est interrogé sur l'évolution de la politique agricole nationale, dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne à 25 membres, effectif pour l'échéance agricole de 2006. Il a en particulier jugé nécessaire d'améliorer la compétitivité de l'agriculture française tout en renforçant la politique de préférence communautaire. Il s'est enfin inquiété de la situation agricole des pays en voie de développement, les productions de rente, comme le cacao et le café étant largement déréglementées, et les cultures vivrières, particulièrement importantes pour l'Afrique, n'étant pas encouragées. Il a souligné que l'Union européenne pourrait utilement favoriser dans ces pays l'émergence d'une politique de préférence nationale, sous forme douanière notamment.

M. François Sauvadet a rappelé qu'il était essentiel d'examiner les enjeux de la révision à mi-parcours de la PAC, alors que l'élargissement de l'Union européenne en ferait la première puissance agricole au monde. Il a estimé que les nouveaux membres pouvaient constituer non pas une menace mais au contraire des alliés pour la défense de la production et du développement, pour peu qu'ils prennent en compte la place de l'agriculture dans leur économie nationale.

Il s'est demandé si des leçons avaient été tirées des lourdes conséquences des négociations intervenues dans le passé, tant au niveau européen que mondial, en particulier de 1990 à 1992, qui avaient abouti à sacrifier des pans entiers de l'agriculture. Il a donc jugé souhaitable, face à l'assurance troublante du commissaire européen à l'agriculture, renvoyant avec désinvolture toute évaluation des conséquences des choix proposés au site Internet de la Commission européenne, de commencer par débattre de la politique agricole de l'Union européenne en tant que nouvelle grande puissance agricole. Il s'est également inquiété du risque que le débat sur le budget agricole commun ne verrouille la réflexion stratégique dans ce domaine et s'est interrogé sur la marge de manœuvre dont disposait la France dans les négociations tant européennes que mondiales, compte tenu de l'impavidité de la Commission européenne. Enfin, il s'est inquiété du contraste existant, en matière de sécurité alimentaire, entre la réglementation française et la déréglementation qui prévaut sur le marché mondial. Il a estimé que ce décalage ne pouvait être accepté par les agriculteurs et souhaité que les préoccupations de sécurité alimentaire soient intégrées dans les négociations en cours.

M. François Brottes a fait remarquer que la pédagogie, à l'échelle européenne, était plus que jamais nécessaire, l'avenir de l'agriculture nationale étant désormais défini à ce niveau. Il a souligné que l'accord intervenu à Berlin, reposant sur une baisse de 10 % des aides européennes à l'agriculture française, une réorientation de celles-ci vers les nouveaux Etats membres d'Europe centrale et orientale et des améliorations qualitatives, ne se traduisait pas dans les faits. Il a noté que les propositions du commissaire européen à l'agriculture visant à instituer des contreparties vertueuses aux aides attribuées, afin d'encourager, par exemple, l'amélioration des règles d'hygiène ou le respect de l'environnement, la réorientation des aides vers les petites exploitations, le développement rural, la simplification des aides et le découplage partiel avec la production afin d'éviter un productivisme absolu étaient à priori intéressantes. Mais, il a remarqué que, dans les propositions de la Commission européenne, le découplage était intégral, l'attribution forfaitaire des aides entérinant le système de répartition actuel. Il a ajouté que les échanges de droits acquis proposés pourraient profiter à des non agriculteurs, tandis que le diester était condamné et la réforme des quotas laitiers remise en cause. Il a jugé que l'ensemble de ces mesures conduisait à une réforme complète de la PAC privilégiant un assainissement abstrait du marché sans se préoccuper des réalités humaines. Il s'est demandé si le refus de la France d'entrer dans les discussions sur une réforme de la PAC n'avait pas été partiellement à l'origine de cette évolution et s'est interrogé sur la méthode à suivre pour trouver une issue positive à cette négociation, compte tenu des règles de décision au sein de l'Union.

M. Daniel Garrigue a remercié le ministre pour son exposé clair et déterminé sur la position de la France dans les discussions en cours. Puis, il a souhaité connaître le sentiment du ministre sur l'attitude de la Commission européenne vis-à-vis de l'accord intervenu au Conseil européen de Bruxelles. Il a en effet rappelé que la Commission européenne avait fait une première série de propositions concernant la PAC en juillet dernier, propositions qu'elle avait maintenues en janvier 2003 sans tenir compte de l'accord de Bruxelles négocié dans l'intervalle. Il a par conséquent estimé que la portée effective de cet accord pouvait soulever quelques inquiétudes. S'agissant des pays candidats, il a jugé important de donner à ces derniers des orientations claires sur le type de politique agricole qui serait pratiqué en Europe dans les prochaines années. Il s'est donc demandé si l'accord de Bruxelles donnait de telles orientations et apportait les financements nécessaires à celles-ci.

M. André Chassaigne a fait part de la grande inquiétude qui s'exprime dans les territoires ruraux, notamment les plus fragiles d'entre eux, quant au devenir de l'agriculture, puisque les évolutions en cours sont perçues comme n'offrant l'alternative à terme que de la désertification ou de l'agriculture d'agrément, l'horizon semblant se fermer pour une agriculture de production axée sur la qualité. Il a souligné le fait que ce contexte aggravait le problème de l'installation des jeunes agriculteurs, et qu'en particulier le dispositif de la dotation aux jeunes agriculteurs ne bénéficiait aujourd'hui qu'à seulement 50 % des installations nouvelles ce qui soulève la question de l'adéquation des aides aux besoins. Partant de ce constat alarmant, il a demandé si la revue à mi-parcours de la politique agricole commune ne conduirait à des mesures, notamment concernant le deuxième pilier, ayant des conséquences néfastes pour l'activité dans les territoires ruraux. Il s'est ensuite interrogé sur l'impact qu'auraient les négociations de l'OMC sur le dispositif des aides à l'exportation, et émis la crainte que leur démantèlement ne contribue à réduire le rôle de l'agriculture sur le territoire européen.

M. Christian Paul s'est réjoui que le ministre puisse rendre compte devant les parlementaires de la diplomatie agricole active qu'il mène. Il s'est toutefois déclaré inquiet des orientations que le ministre semblait donner à cette diplomatie. Il a souligné que l'accord adopté par le Conseil européen de Bruxelles se traduirait en effet par une baisse brutale, à partir de 2007, des aides versées à notre agriculture. Il a considéré qu'il était légitime de s'interroger sur les conséquences pour l'agriculture française de ce compromis, dans la mesure où il résultait d'un choix délibéré. Il a, d'autre part, estimé que la stratégie de négociation de la France concernant la révision à mi-parcours de la PAC semblait être exclusivement dictée par des considérations de court terme. Il s'est inquiété du risque que le blocage des propositions de la Commission européenne, stratégie qui semble a priori payante, ne contrevienne ultérieurement plus gravement encore aux intérêts de la France. Il a estimé préférable pour la France, sur le long terme, une « guerre de mouvement » à une « guerre de tranchées », qui devrait s'appuyer sur des orientations claires permettant à la France de jouer son rôle d'inspirateur de la politique agricole. Il a ainsi estimé que les propos du ministre relatif à la spécificité et au caractère multifonctionnel des activités agricoles s'inscrivaient dans cette perspective et constituaient d'ailleurs un hommage à la loi d'orientation agricole adoptée par la précédente majorité. Il a en outre noté que l'hostilité du ministre à un découplage intégral ne signifiait apparemment pas qu'il s'opposerait à un découplage partiel. Il s'est enfin interrogé sur les moyens de financer le « deuxième pilier » dans un contexte de baisse de l'enveloppe consacrée à l'agriculture et dans l'hypothèse d'une absence de modulation des aides à l'agriculture.

M. Michel Raison a commencé par observer qu'un découplage partiel était déjà mis en œuvre dans le dispositif actuel de la politique agricole commune, puisque les aides étaient déjà accordées pour partie indépendamment des quantités produites, s'agissant notamment des aides à l'hectare, qui sont indépendantes du rendement à l'hectare, et des aides à la brebis, qui sont indépendantes du nombre d'agneaux par brebis. Il a ensuite demandé si le ministère de l'agriculture avait conduit des études sur l'impact qu'aurait l'élargissement prochain de la Communauté européenne pour l'agriculture française, déclinées suivant les différents types de production, mais aussi en fonction des risques pour l'industrie agroalimentaire, notamment celle impliquée dans la filière de la volaille. Il s'est ensuite interrogé sur le point de vue de pays membres quant au maintien de la vocation exportatrice de la Communauté européenne, ce point lui semblant devoir impérativement être éclairci avant toute refonte de la politique agricole commune. Il a enfin souhaité connaître les conséquences que pourraient avoir pour l'agriculture française les divergences qui peuvent apparaître dans les champs de la diplomatie internationale non liés directement à l'OMC, et en particulier le désaccord actuel entre la France et les Etats-Unis sur la question de l'Irak.

M. Michel Piron s'est inquiété des moyens à la fois politiques, financiers et techniques dans une Europe élargie permettant d'assurer le contrôle de certains éléments indispensables pour assurer une concurrence loyale ; et a évoqué à cet égard la sécurité alimentaire et la traçabilité des produits d'origine agricole, dont il a souligné qu'ils donnaient lieu à l'intervention de nombreux intermédiaires, rendant d'autant plus difficile le contrôle de la qualité de ces produits.

En réponse aux divers intervenants, M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, a précisé les points suivants :

- certains Etats membres souhaitent fixer une date butoir au 30 juin 2003 afin de réformer en hâte la PAC avant le sommet de Cancun au mois de septembre 2003. La France n'est pas favorable à une telle démarche et considère qu'il n'y a pas urgence à mener une telle réforme avant le 30 juin 2003, date à laquelle prendra fin l'actuelle présidence grecque de l'Union européenne. Non seulement le calendrier des négociations qui auront lieu à l'OMC après la tenue de ce sommet, qui ne constitue qu'une étape, n'est pas connu, mais en outre, l'Union européenne a présenté un document préparatoire tout à fait équilibré et qui semble satisfaisant ;

- s'agissant du découplage des aides, souvent présenté comme un préalable indispensable à la négociation OMC, il n'est nullement fait mention d'un tel découplage, qu'il soit total ou partiel, dans les documents communiqués par le Comité de l'agriculture de l'OMC le 12 février dernier ;

- le découplage partiel des aides existe déjà comme l'a justement souligné M. Michel Raison. En outre, depuis quelques mois, ont été émises des propositions espagnole et allemande ainsi qu'une proposition adoptée à l'unanimité par la Commission chargée de l'agriculture au sein du Parlement européen, relatives à la mise en place d'un découplage partiel. La France a d'ores et déjà demandé à la Commission européenne de lui présenter des études d'impact sur le découplage total ainsi que sur le découplage partiel des aides. Aucune réponse n'a été fournie à ce jour. Il convient, par ailleurs, d'être attentif au fait que les situations peuvent être très différentes selon les filières agricoles concernées. Ainsi, à la différence de la filière céréalière, la filière bovine se caractérise par une multiplicité d'aides qui gagneraient sûrement à être rationalisées ou simplifiées, sans que l'on parle pour autant de découplage. D'une manière générale, on peut déplorer que les négociations européennes tendent à se concentrer sur de faux débats alimentés par des termes emblématiques, tels que le découplage, alors que des points importants, qui mériteraient des débats approfondis, ne sont pas traités ;

- en termes de moyens budgétaires, la politique nationale est étroitement liée à la politique communautaire, puisque les deux tiers du budget consacrés à l'agriculture et 90 % des interventions en faveur des agriculteurs émanent de Bruxelles. Pour autant, il serait réducteur de résumer la politique menée par les pouvoirs publics français à de simples questions budgétaires ; elle recouvre également les politiques ayant trait à l'installation des agriculteurs, aux structures des exploitations, à la gestion des marchés non soumis à l'OMC ou encore à la politique foncière ;

- concernant les pays en voie de développement, il est important de garder à l'esprit que, seulement 10 % de la production agricole mondiale est échangée sur le marché mondial. Affirmer que le commerce constitue la solution à tous les problèmes est donc un leurre et plutôt que de s'en tenir au slogan « trade not aid », il serait préférable de promouvoir la formule « trade but aid ». En effet, il est indispensable de mener une politique portant sur des éléments fondamentaux tels que l'irrigation, la formation des agriculteurs ou le sauvetage des cultures vivrières, ces questions semblant en effet nettement plus importantes aux yeux des pouvoirs publics concernés, africains notamment, que des mesures comme le découplage des aides. Concernant plus spécifiquement les cultures vivrières, il est incontestable que celles-ci sont menacées par la libéralisation du commerce, comme le montre l'exemple éclairant du Mexique au sein de l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain), qui pourrait utilement inspirer les parties lors des négociations au sein de l'OMC ;

- l'Union européenne a implicitement décidé d'atteindre un très haut niveau de normes, tant pour ce qui concerne la protection de l'environnement, que le bien-être animal ou la sécurité sanitaire et alimentaire. Ce choix a un coût élevé et l'on constate que les agriculteurs sont peu aidés pour mettre aux normes leurs installations. Parallèlement, il est demandé à ces derniers, dans le cadre des négociations multilatérales, d'ouvrir leurs marchés, ce qui conduit à accueillir des produits dont on ne connaît pas la qualité. Or, on constate que lorsque de tels arguments sont exposés au sein de l'OMC, la France est taxée de protectionnisme.

Pour relever ce défi, plusieurs solutions peuvent être envisagées. En premier lieu, il convient de mettre en place des moyens humains suffisants afin d'assurer une surveillance sanitaire efficace aux frontières de l'Union élargie, par exemple, entre la Pologne et l'Ukraine. Des contrôles aux frontières existent déjà, ainsi que des programmes de coopération bilatéraux en matière de traçabilité et de sécurité sanitaire qui doivent être renforcés. En second lieu, il est temps que l'Union européenne finance les conséquences de ses décisions en matière de réglementation et de mise aux normes, selon un principe que la France s'attache à faire valoir et qui pourrait être énoncé de la manière suivante : « qui normalise, paye » ;

- les modalités des négociations menées à Bruxelles soulèvent de sérieuses interrogations. Ainsi, il semblait établi que, dans la revue à mi-parcours de la PAC, ne seraient pas abordées les questions relatives au lait et au découplage des aides. Toutefois, la Commission européenne, qui dispose du pouvoir d'initiative, a fait figurer ces thèmes dans ses propositions ; au mois de juin 2002, près des deux tiers des Etats membres se sont élevés contre cette démarche, mais la Commission européenne a maintenu ses propositions, auxquelles la France s'oppose ;

- le paquet dit « Fischler » ne saurait résumer à lui seul tous les problèmes qui devraient être gérés au sein de la PAC. On peut sur ce point citer le coût de la mise aux normes des exploitations, ou encore l'absence d'organisations communes de marchés pour les filières de la volaille et du porc, pour lesquelles il y aurait pourtant tout intérêt à mettre en œuvre des « filets de sécurité » communautaires afin de faire face à des crises éventuelles. Il a été éclairant de constater, lors du Salon de l'agriculture, qu'une grande majorité des ministres européens chargés de l'agriculture rencontre ce type de problèmes qui ne donnent lieu à aucune proposition de la part de la Commission européenne. Une telle situation est regrettable au regard de l'importance accordée à des débats théoriques ou symboliques peu utiles. Le processus de décision communautaire pose donc aujourd'hui problème et est générateur d'anxiété pour les agriculteurs.

La Commission européenne ayant le monopole du pouvoir d'initiative, l'unanimité des Etats membres est nécessaire pour imposer une contre-proposition, tandis que la Commission européenne ne peut imposer ses propres propositions sans recueillir une majorité qualifiée. Cela a permis à la France dans le cadre de la réforme de la politique commune de la pêche de constituer une majorité qualifiée qui a été déterminante sur le résultat final ;

- le processus de décision européen n'est pas satisfaisant, comme l'a montré le déroulement des négociations relatives à la réforme de la politique de la pêche ; or la réforme de la PAC revêt une complexité beaucoup plus grande que celle de la pêche. La Convention sur l'avenir de l'Europe pourrait utilement s'emparer de ce sujet de réflexion. D'une manière générale, le processus de décision en vigueur au sein de l'Union européenne sur les questions agricoles est contre-productif et anxiogène, en raison de son caractère caricatural conduisant à focaliser les discussions sur quelques sujets emblématiques mais en réalité secondaires ;

- la Commission européenne, malgré les demandes répétées des Etats membres et notamment de la France, n'a fourni aucune véritable étude sur l'impact du découplage total des aides qu'elle préconise et n'a apparemment pas entamé de réflexion sur une formule de découplage partiel. Il n'est pas possible de savoir si un accord pourra être obtenu avant la fin de la présidence grecque ni même avant 2006, un tel blocage institutionnel n'étant évidemment pas satisfaisant ;

- les trois enveloppes budgétaires arrêtées lors du sommet de Bruxelles pour les quinze membres actuels, les dix futurs Etats membres, ainsi que pour la Roumanie et la Bulgarie ne doivent pas susciter d'inquiétudes particulières. En effet, il n'existe pas de répartition des aides entre Etats fixée à l'avance, la masse de crédits accordée à chaque pays dépendant de son niveau de production. Par ailleurs, l'accord obtenu à Bruxelles se réfère au plafond des dépenses fixé à Berlin et non pas aux dépenses réelles qui lui sont inférieures, ce qui donne une certaine marge de manœuvre ;

- la France mène, en coopération avec les autres Etats membres non satisfaits par l'approche de la Commission européenne, une réflexion pour élaborer un projet plus global de réforme de la PAC. En effet, de nombreuses productions agricoles qui ne sont pas aujourd'hui concernées par la PAC devraient être prises en compte. Par ailleurs, la distinction entre premier et deuxième pilier apparaît peu compréhensible et même fallacieuse. La France souhaite, malgré l'inertie et la complexité qui dominent les procédures communautaires, surmonter cette distinction et renforcer dans l'ensemble des aides européennes les aspects relatifs à l'environnement et au développement rural ;

- s'agissant de l'installation des jeunes agriculteurs, il est nécessaire de donner des perspectives à la fois sur le plan financier et sur le plan du contenu des politiques nationales et européennes, ce qui suppose notamment un effort de simplification des procédures. Le ministère chargé de l'agriculture annoncera bientôt des décisions opérationnelles puis, dans un deuxième temps, des propositions relevant du domaine législatif ;

- s'agissant des subventions à l'exportation, le mécanisme des restitutions communautaires, dont la part dans les dépenses de l'Union européenne est passée en quelques années de 30 % à seulement 6 % grâce à l'amoindrissement des excédents de production, reste le volet de la PAC le plus contesté en raison de son possible impact sur les pays en développement. Il convient d'aborder ce sujet avec loyauté mais sans naïveté, l'Union européenne exigeant à juste titre un effort des Etats-Unis, qui ont recours à des aides alimentaires contracycliques et à des « marketing loans » plus pénalisants encore pour les pays en développement ;

- l'impact de l'élargissement sur la PAC ne doit pas être exagéré, car les dix futurs Etats membres ont un poids comparable à celui de la Grèce, de l'Espagne et du Portugal au début des années quatre-vingt. De profondes transformations n'en demeureront pas moins nécessaires pour assurer la conformité aux normes communautaires de leur production. Une politique coordonnée de maîtrise de la production devra être conduite mais, à terme, la France pourra trouver avec des pays tels que la Pologne de nouveaux alliés en matière agricole et bénéficiera donc de cet élargissement ;

- il est indispensable que la PAC régule les marchés, ce qui nécessite le maintien de puissantes organisations communes de marché et leur extension à certaines filières actuellement peu ou pas couvertes telles que les fruits et légumes, la production porcine et avicole ;

- la vocation exportatrice de l'Union européenne est certaine mais ne doit pas conduire à une surproduction agricole qui engendrerait une baisse des cours ;

- le gouvernement français considère que l'agriculture ne doit pas être une variable d'ajustement dans les discussions en cours à l'OMC, ni le « banquier » des avancées proposées. L'Union européenne a déjà effectué de nombreuses concessions en matière agricole et ne devrait donc pas aller plus loin aux dépens de ses agriculteurs.