Version PDF

DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 36

Réunion du mercredi 26 mars 2003 à 10 heures

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Réunion commune avec une délégation conjointe de la Commission pour l'intégration européenne et de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des députés de la République tchèque

Le Président Pierre Lequiller s'est déclaré heureux d'accueillir la Délégation conjointe de la Commission des affaires étrangères et de la Commission pour l'intégration européenne de la Chambre des Députés de la République tchèque, puis il a rappelé qu'il avait rencontré les deux Présidents de la Délégation conjointe lors d'une visite à Prague en décembre 2002 et que M. Nicolas Dupont-Aignan avait effectué une mission ce mois-ci en sa qualité de rapporteur chargé du suivi de l'adhésion de la République tchèque. Il a souligné que cette rencontre constituait la première réunion commune de la Délégation de l'Assemblée nationale avec les commissions compétentes du Parlement d'un pays adhérent et qu'elle était la troisième depuis le début de la législature, après celles avec les commissions homologues de l'Allemagne et de l'Espagne. Ces rencontres doivent s'intensifier dans le cadre du développement indispensable de la coopération interparlementaire entre Etats membres de l'Union élargie.

Il a proposé d'aborder en premier lieu le sujet de l'élargissement, en faveur duquel la Délégation s'est toujours prononcée. Elle a constamment suivi le processus, elle a rencontré de nombreuses fois les ambassadeurs des pays adhérents et ses membres sont à la disposition des parlementaires tchèques pour les accompagner dans leur campagne, s'ils le souhaitent, lors du référendum du 16 juin sur le Traité d'adhésion.

L'examen des débats de la Convention sur l'avenir de l'Europe doit être l'occasion d'aborder librement le développement de la PESC à la suite de la crise irakienne et des divisions qu'elle a engendrées en Europe. La position officielle de la République tchèque semble pencher plutôt en faveur du soutien à l'intervention des Etats-Unis, même s'il y a un débat au sein de la classe politique tchèque. La position des autorités françaises recueille un accord pratiquement unanime au sein de l'Assemblée nationale. Chacun respecte la position de l'autre et doit l'expliquer pour éviter tout malentendu, mais ce respect n'obère pas notre volonté de créer une Europe politique capable de parler d'une seule voix sur la scène internationale et de soutenir des propositions sur la PESC à la Convention allant dans ce sens.

Le débat sur la réforme des institutions de l'Union européenne élargie n'a pas encore été vraiment ouvert à la Convention et le Président Valéry Giscard d'Estaing a exprimé son inquiétude sur la possibilité d'aboutir à la fin du mois de juin. Le Président Pierre Lequiller a confirmé sa déclaration en faveur d'une prolongation de la Convention, si nécessaire.

Il s'est enfin interrogé sur les possibilités de travail en commun avec la Commission pour l'intégration européenne et la Commission des affaires étrangères, après l'adhésion, et a salué le vote massif des Slovènes en faveur de l'adhésion à l'Union européenne lors du référendum du 23 mars dernier.

M. Pavel Svoboda, Président de la Commission pour l'intégration européenne, a remercié chaleureusement le Président Pierre Lequiller d'avoir organisé si rapidement cette rencontre après la visite qu'il avait effectuée à Prague. Le moment est historique : la signature du Traité d'adhésion est maintenant très proche, le 16 avril ; le référendum l'est aussi et sera étalé sur deux jours à la mi-juin, le samedi et le dimanche ou le dimanche et le lundi ; la Convention va entrer dans la phase finale pour décider de l'avenir de l'Union européenne pour une longue période.

La délégation tchèque est prête à parler de sa position très ouverte sur la crise irakienne et souhaite entendre de la délégation française un point de vue très clair sur la ratification du Traité d'adhésion ainsi que des précisions sur la campagne d'information qui la précédera.

La délégation tchèque est arrivée en France dans un esprit amical. Elle espère que les liens étroits qui se sont tissés entre les pays candidats leur permettront de communiquer sur les sujets qui vont définir l'avenir de l'Union européenne. Elle souhaite également que la France, qui présente de nombreuses propositions à la Convention, ait des discussions très ouvertes avec les futurs Etats membres.

Le Président Svoboda a salué également en la personne du Président Lequiller l'auteur d'un livre intitulé « L'Europe se lève à l'Est » qui est connu en République tchèque, où il avait pris une position ouvertement favorable à l'élargissement dès le début de la décennie quatre-vingt-dix. Il a conclu en déclarant qu'il se sentait déjà membre de l'Union européenne.

M. Vladimir Laštůvka, président de la commission des affaires étrangères, s'est déclaré très heureux de cette rencontre. Il a souligné les bonnes relations existant traditionnellement entre la République tchèque et la France. Il a exprimé son souhait de renforcer celles-ci, dont atteste d'ailleurs la venue conjointe aujourd'hui de la commission des affaires étrangères et de la commission pour l'intégration européenne de la Chambre des députés de la République tchèque. Il a suggéré qu'au-delà des points de débat proposés par le Président Lequiller, la question de la coopération renforcée soit également abordée.

Le Président Pierre Lequiller a indiqué qu'on ne savait pas à ce jour comment en France seraient ratifiés le traité d'adhésion, ni la future constitution européenne, dont la décision revient au Président de la République. Il a estimé probable que la ratification du traité d'adhésion se fasse par la voie parlementaire, auquel cas une forte majorité en faveur de celui-ci devrait, selon lui, se dégager. S'agissant de la ratification de la future Constitution, on peut penser que, au vu de l'enjeu du sujet, le Président de la République pourrait opter pour la voie référendaire. Cela supposerait de la France un effort important d'information et de communication auprès des citoyens, en raison de la sensibilisation encore insuffisante des Français aux questions européennes.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que l'Assemblée nationale accordait d'ailleurs une place de plus en plus importante à ces questions. Ainsi a-t-elle récemment invité le Président Giscard d'Estaing à débattre - en commission, puis en séance plénière - de la réforme des institutions européennes. De même, a-t-elle instauré une séance mensuelle de questions européennes, sachant que ces sujets peuvent également être évoqués lors des séances hebdomadaires de questions au Gouvernement, comme ce fut par exemple le cas hier. Il a en outre signalé qu'un fonctionnaire de l'Assemblée nationale avait récemment été affecté auprès des institutions européennes et rappelé que les parlementaires européens étaient invités aux réunions de la Délégation. De plus, celle-ci a convié à plusieurs reprises des membres de la Commission européenne - dont le Président Romano Prodi, dernièrement. Enfin, plusieurs réunions solennelles se sont tenues à l'Assemblée nationale avec les parlementaires allemands au mois de janvier dernier, à l'occasion de la commémoration du Traité de l'Elysée.

Mme Elisabeth Guigou s'est dite très heureuse de ce type de rencontres. Elle a estimé, qu'après la longue séparation qu'a connue l'Europe pendant la période de la guerre froide, il était nécessaire de renforcer ces échanges parlementaires afin d'éviter certains malentendus. Elle a indiqué que le choix que paraissent exprimer certains pays d'Europe centrale en faveur d'une conception d'une Europe « minimale », voire américaine, était ressenti par beaucoup en France de façon douloureuse. Elle a appelé de ses vœux une autre conception, fondée sur une union politique forte, dotée d'une véritable politique étrangère et de défense, dont la crise internationale actuelle souligne d'ailleurs d'autant plus la nécessité. Cela étant, le droit de chaque pays d'exprimer sa position doit, selon elle, être parfaitement respecté. Elle a précisé à cet égard, que la politique étrangère et de défense européenne ne devait pas se faire contre les Etats-Unis, mais en coopération avec eux. Cette politique pourrait donner lieu à une coopération renforcée - ou à une intégration renforcée - dont l'Europe doit encore démontrer la possibilité et l'efficacité. Cette intégration renforcée pourrait se faire selon un mode comparable à la mise en œuvre de la politique monétaire commune, sachant que tous les pays européens ont de toute façon vocation à y participer. Elle s'est enfin déclarée confiante sur la ratification du processus d'adhésion.

Le Président Vladimir Laštůvka a souligné que l'on pouvait d'ores et déjà considérer que l'élargissement était réalisé. La question qui reste encore posée est celle de savoir dans quel cadre institutionnel cet élargissement va fonctionner : de ce point de vue les résultats de la Convention seront décisifs.

Il a souhaité répondre à Mme Elisabeth Guigou sur la nature même du projet européen auquel la République tchèque souhaite participer. Il a, sur ce point, fortement souligné que la très grande majorité de la représentation politique tchèque était attachée à la construction d'une Europe politique. Il a considéré que le volet économique de la construction européenne pouvait être encore renforcé, par exemple dans le domaine fiscal. Il a estimé que l'intégration politique - qui a vocation à inclure la politique étrangère et la défense - se fera selon un processus assez long qui pourra notamment s'appuyer sur des coopérations renforcées. Il a noté que l'on ne pouvait pas dire que la République tchèque était « du côté des Etats-Unis », en précisant que son pays avait - comme la France - autorisé le survol de son territoire par les alliés mais, conformément à ses prises de positions antérieures, ne participait pas aux opérations de guerre, celles-ci n'ayant pas obtenu de mandat des Nations unies.

M. Christian Philip a souligné que si un accord existait sur la perspective politique du projet de l'Union européenne, il pouvait être intéressant de débattre des instruments qui devraient être mis au service de ce projet, en vue notamment du futur traité constitutionnel sur lequel travaille la Convention. Il a en particulier évoqué la question de la présidence de l'Europe - monocéphale ou bicéphale -, la répartition des compétences, ainsi que les coopérations renforcées.

Le Président Pierre Lequiller a évoqué la question de la nature du projet européen en notant que la conception fortement prédominante au sein de la classe politique française était en faveur d'une Europe politique, qui dépasse la seule intégration économique et qui puisse exister sur le plan international. Il a souligné qu'il ne s'agissait pas pour autant d'introduire une distanciation vis-à-vis des Etats-Unis : la relation transatlantique doit être bonne, mais, quand il y a désaccord, l'Europe a le droit et le devoir de l'exprimer. Il faut que l'Europe sorte de son mutisme. Dans un monde qui sera nécessairement multipolaire, l'Europe doit pouvoir jouer un rôle positif, compte tenu en particulier de son expérience et de ses capacités.

Le Président Pavel Svoboda a rejoint l'opinion exprimée par le Président Vladimir Laštůvka en soulignant que le gouvernement de la République tchèque, ainsi que la plupart des parlementaires tchèques, étaient en faveur de la construction d'une union politique de l'Europe. Il s'est dit partisan d'une approche progressive qui, s'inspirant de l'exemple réussi de la mise en place de la monnaie unique, puisse bâtir par étapes une véritable politique étrangère et de sécurité commune. Il a considéré que cette approche - qui n'était pas contraire au maintien nécessaire d'un partenariat avec les Etats-Unis - ne pouvait exclure les pays candidats, et a estimé qu'il était possible de construire une union politique avec l'ensemble des Etats membres, actuels et futurs.

S'agissant du futur référendum, il a indiqué que le gouvernement tchèque avait engagé une campagne publique d'information très importante. Il a noté qu'à l'heure actuelle les sondages indiquaient qu'environ 73 % des Tchèques étaient favorables à l'adhésion alors que 20 % y étaient hostiles. Il a précisé que plus on se rapprochait de la date du référendum, plus le soutien de l'opinion à l'adhésion était net, indiquant que ce soutien n'était que de 40 % il y a deux ans.

M. René André s'est félicité de l'organisation de cette rencontre et de la liberté de ton qui la caractérisait. Il a considéré qu'un renforcement du dialogue entre parlementaires tchèques et français était nécessaire. Il a souligné que s'il était personnellement très favorable à l'élargissement, comme la plupart des parlementaires français, ce n'était pas forcément le cas de la majorité de l'opinion publique française. Il a estimé en particulier que les épisodes récents du choix d'avions américains F-16 par la Pologne, et de la lettre signée par les « huit » à propos de la crise irakienne, avaient été mal reçus par les Français et avaient nourri une position de nature « émotionnelle ». Il a considéré que la réaction du chef de l'Etat aux prises de position des pays candidats à propos de l'affaire irakienne exprimait le sentiment prédominant des Français, tout en soulignant que les propos du Président Jacques Chirac avaient été déformés par une mauvaise traduction anglaise.

Il a rappelé son attachement ancien à la construction d'une Europe politique qui puisse exister en tant que puissance dans le monde. Il a précisé que la voie économique avait été choisie après la guerre, au début de la construction européenne, comme un instrument au service d'un projet politique et, au premier chef, au service de la paix. Il faut que l'Europe puisse avoir dans le monde l'influence qui lui revient de par le poids de son économie et son importance démographique.

M. René André a considéré qu'il ne s'agissait pas de bâtir cette Europe contre les Etats-Unis, rappelant qu'il était élu dans un département qui avait directement connu sur son sol le débarquement des troupes alliées en 1944. Il a affirmé son amitié avec le peuple américain tout en soulignant qu'il ne se reconnaissait nullement dans le néoconservatisme de l'administration américaine actuellement au pouvoir.

Il a souligné que la construction progressive d'une politique étrangère et de sécurité commune devait inclure au premier rang de ses priorités une politique commune dans le domaine de l'industrie des armements. Il a estimé qu'il ne s'agissait pas de substituer une défense européenne à l'OTAN, mais que l'OTAN ne devait pas non plus se substituer à l'action de l'Europe dans ce domaine.

Le Président Pierre Lequiller a demandé que les participants abordent dans leurs échanges les questions institutionnelles. Il a souhaité connaître la position des députés tchèques sur les propositions françaises concernant l'institution d'un ministre européen des affaires étrangères, l'extension du vote à la majorité qualifiée à certains aspects de la politique étrangère et la mise en place d'une présidence plus stable du Conseil.

M. Tomá_ Dub a estimé certaine la victoire du « oui » au référendum à l'adhésion. Il a affirmé que les électeurs de son propre parti, le parti démocratique civique, deuxième force politique au Parlement, soutiendront le vote en faveur de l'entrée dans l'Union européenne. Par ailleurs, ce parti organise au mois de mai une conférence sur l'adhésion.

S'agissant des coopérations renforcées, M. Tomá_ Dub a considéré que les arguments présentés pour les défendre s'appuient sur des éléments plutôt négatifs que positifs. Il a émis le vœu que le conflit irakien soit le plus court possible et n'influe pas sur le processus d'adhésion.

La lettre des « huit » a été signée par M. Vaclav Havel. La position de l'actuel Président de la République tchèque, M. Vaclav Klaus, est plutôt proche de celle du Président Jacques Chirac.

M. Tomá_ Dub a estimé que l'émergence d'une vraie PESD doit être le fruit d'une évolution naturelle, découlant d'une discussion démocratique et ouverte entre Etats membres et pays candidats. Il a affirmé que ce projet ne peut aboutir que s'il se fonde sur un processus qualitatif et non sur une démarche trop rapide.

M. François Guillaume a souhaité faire part de ses interrogations sur l'inflexion à donner à la démarche communautaire dans la perspective de l'élargissement. Il a rappelé le proverbe « qui trop embrasse, mal étreint » pour évoquer ensuite le premier projet d'une Europe de la défense - la Communauté européenne de défense  - qui a échoué. L'Europe s'est donc construite sur une union économique, mais celle-ci résulte d'un long travail de rapprochement entre les Etats membres. Cela a imposé la constitution d'un marché commun, qui repose sur la liberté des échanges et l'existence de politiques structurelles. A l'inverse d'une simple zone de libre-échange comme l'ALENA, un marché commun constitue un ensemble économique solidaire doté d'un budget traduisant cette solidarité.

M. François Guillaume a jugé que vouloir mettre en place une PESD aboutit « à mettre la charrue avant les bœufs ». A ses yeux, on ne peut avancer en matière européenne que pas à pas. En ce qui concerne la relation avec l'OTAN, il a déclaré que les PECO ont érigé leur adhésion à l'Alliance atlantique en priorité et même épousé la cause de l'atlantisme. Dans ces conditions, comment peut-on croire qu'une PESD peut se mettre en place quand l'Europe économique et monétaire n'est pas encore achevée ? Il a qualifié l'affaire irakienne de test révélateur du fait selon lequel si la PESD à quinze est impossible, a fortiori il sera encore plus difficile de la réaliser à vingt-cinq.

Il s'est en revanche déclaré partisan d'une « défense en commun », à distinguer d'une politique étrangère unique ou commune. Cette défense en commun est réalisable à condition de mettre en place les instruments nécessaires, comme une agence de l'armement qui puisse assurer l'interopérabilité des matériels. M. François Guillaume a souhaité connaître la position des députés tchèques sur cette question, ainsi que leur sentiment concernant les négociations en cours à l'OMC. Celles-ci doivent retenir toute l'attention des pays candidats, car elles concernent directement l'avenir du marché commun européen. Il s'agit là d'une question concrète et immédiate, qui doit trouver une réponse rapide. En revanche, s'agissant de la PESD, le choix géopolitique de faire l'élargissement avant l'approfondissement de l'Europe, a conduit l'Union dans l'impasse provoquée par la crise irakienne. M. François Guillaume a exprimé son désaccord sur l'analyse de Mme Elisabeth Guigou concernant la nécessité d'œuvrer rapidement en faveur de la PESD : cette démarche précipitée ne peut aboutir à des résultats probants.

Le Président Pierre Lequiller a observé que les propos qui viennent d'être tenus reflètent la diversité des opinions existant au sein de la même majorité concernant l'avenir de l'Union. Pour sa part, la crise actuelle ne peut que faire progresser la construction européenne.

Le Président Pavel Svoboda a rappelé quelques éléments d'ordre historique pour répondre à certains propos qu'il a qualifiés de « provocants ». La République tchèque a fait le choix de l'OTAN car après l'expérience des occupations nazie et communiste, la République tchèque s'est retrouvée, au lendemain de l'effondrement du bloc soviétique, dans un « vide » inquiétant pour sa sécurité. Or, seule l'OTAN pouvait lui apporter la garantie de sécurité dont elle avait besoin. Personne ne peut obliger la République tchèque à faire un choix entre le lien transatlantique et l'appartenance à l'Union européenne : ces deux piliers sont complémentaires. D'ailleurs, la PESD ne pourra se bâtir qu'en s'appuyant sur ce lien transatlantique. En ce qui concerne les travaux de la Convention, la rotation de la présidence du Conseil à vingt-cinq sera sans doute compliquée, mais la République tchèque ne soutient pas à l'heure actuelle l'idée d'un « Président de l'Europe ». En revanche, elle est favorable à l'élection du Président de la Commission européenne. L'institution d'un ministre unique des affaires étrangères de l'Union ne devrait pas se heurter à l'opposition de la République tchèque, mais il faut s'assurer que cette fonction ne recouvre pas une enveloppe vide.

Le Président Pavel Svoboda a estimé nécessaire un développement par étapes de la PESD. Elle ne devra agir qu'avec l'accord d'une majorité d'Etats membres et non sous l'impulsion de deux à trois pays seulement. Il a incité la France à partager cette conception de la PESD. Sur la mise en place d'une agence de l'armement, cette dernière doit tenir compte des différents intérêts économiques des Etats membres. On ne doit pas oublier que la modernisation de l'outil militaire coûte cher, surtout pour les pays entrants. La rareté des ressources budgétaires a d'ailleurs motivé en partie le choix de la Pologne en faveur des F16.

M. Jacques Floch a déclaré que les différences ne lui semblaient pas aussi tranchées entre les positions de la République tchèque et celles de la France. A cet égard, l'attitude des pays candidats au sein de la Convention sur l'avenir de l'Europe semble significative : tandis que, pour ce qui concerne le développement économique et social, l'adhésion leur paraît souhaitable, sur les questions de défense, ils s'en remettent à l'OTAN et à la protection qu'elle accorde, ce qui s'explique par le fait que l'Europe n'offre aucune garantie similaire. Il faut aussi évoquer des parcours historiques différents, qui ne vont pas sans évolution. Ainsi en France, le débat sur la Communauté européenne de défense a débouché sur un échec du fait de l'opposition des partis communiste et gaulliste en 1954, les uns y voyant une menace pour l'Union soviétique, tandis que les autres s'inquiétaient d'une perte de l'indépendance française. Mais aujourd'hui, au sein de la mouvance gaulliste, des voix s'élèvent pour évoquer l'éventualité d'une Europe de la défense.

Cela comporte des implications pratiques. Hier, le Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin a souligné que les relations de la France avec le Royaume-Uni restaient bonnes, en prenant argument de ce que les deux pays construisent en commun un porte-avions. Il faut cependant observer que 20 % de ses composants seront d'origine américaine, et que les Etats-Unis auront ainsi barre sur la construction militaire franco-britannique. Il convient donc de développer une agence de l'armement et une industrie militaire propre à l'Union européenne, de sorte qu'elle puisse, le cas échéant, équiper par elle-même la future armée européenne.

Après s'être félicité que 70 % des Tchèques soient favorables à l'adhésion, M. Jacques Floch a cependant déclaré, paraphrasant Voltaire, que l'opinion est une marâtre dont les sentiments sont volatiles. Ainsi, en France, l'opinion se demande quel retentissement peut avoir l'élargissement sur l'emploi et la politique sociale du pays, car la protection sociale n'est pas partout aussi élevée. Or les réponses institutionnelles, comme l'institution d'une présidence de l'Europe, ne sauraient dissiper les inquiétudes sur le pouvoir d'achat.

A la Convention, les bonnes relations entre délégués tchèques et français prouvent que les positions des deux pays ne sont pas si éloignées. Même s'il s'exprime intuitu personae, chacun arrête sa ligne de conduite à l'issue d'une concertation dans son pays d'origine. Or sur les questions de justice, de sécurité, de législation sociale ou sur le rôle du Parlement européen, les délégués des deux pays défendent des positions semblables. En outre, il apparaît que la République tchèque joue en Europe centrale le rôle d'un chef de file, ce qui semble au reste promettre qu'une approbation tchèque de l'adhésion en entraînera d'autres. En matière de politique étrangère, la France et la République tchèque devraient pouvoir trouver des positions communes. La crise actuelle aura nécessairement une fin et, lorsque la paix sera revenue, il faudra résoudre ensemble le problème palestinien qui hypothèque toute stabilité durable dans la région, mais aussi le problème kurde qui peut avoir un impact direct sur l'immigration en Europe.

Le Président Pierre Lequiller a repris ces propos en observant qu'il comprenait la préoccupation des Tchèques en matière de sécurité. Comme il l'a écrit dans son livre « L'Europe se lève à l'Est », cela s'explique par leur histoire. Il y a aujourd'hui une corrélation totale entre l'absence de politique européenne de sécurité et l'attirance des pays d'Europe centrale pour les Etats-Unis, l'OTAN étant actuellement la seule à offrir la sécurité. Mais, à partir de ce constat, des avancées sont possibles et même indispensables.

M. Libor Rouček a déclaré que le débat mettait en évidence que les deux pays commençaient à mieux se connaître. L'Europe autrefois divisée se réunifie aujourd'hui. Il n'y a pas de division entre une « vieille » et une « jeune » Europe, mais la fin d'une séparation qui a duré quarante ans. Entre les vingt-cinq, voire bientôt les vingt-sept, la compréhension mutuelle doit avancer et se développer, ce qui demande de la patience. L'avenir immédiat paraît incertain : après que les quinze ont longtemps connu une certaine stabilité, des évolutions rapides se font jour. Entrent de nouveaux pays adhérents qui connaissent des histoires et des situations économiques et politiques différentes, ce qui a aussi une portée en matière de sécurité. Ce constat doit exclure l'affrontement : lorsque le dialogue s'engage, les positions ne paraissent pas si éloignées, même sur l'Irak. Au fond, ce qui rassemble les deux pays est plus fort que ce qui les sépare.

Quant à la politique sociale et industrielle commune, les statistiques commerciales le prouvent, 70 % du commerce de la République tchèque se réalise avec l'Union européenne et seulement 2 à 3 % avec les Etats-Unis. Il en va de même de la Pologne, de la Hongrie, de l'Europe orientale d'une manière générale, mais aussi des pays baltes qui commercent d'abord avec les pays scandinaves, tous membres de l'Union européenne à l'exception de la Norvège. En matière de politique industrielle, les intérêts de la République tchèque se situent nettement en Europe, même si elle reçoit aussi des investissements étrangers venus d'ailleurs, notamment du Japon. Cela impose, semble-t-il, de coordonner les politiques fiscales. Si l'Europe repose sur le principe du libre-échange des capitaux et des personnes, il conviendrait aussi de développer un système commun d'assurance sociale. Le gouvernement tchèque, composé de trois partis coalisés, souhaite aller en ce sens, même si des débats ont lieu en son sein. M. Tomá_ Dub a pu ainsi exprimer une opinion différente. Il reste que le parti communiste de Bohême-Moravie est le seul en République tchèque qui se soit prononcé contre l'adhésion.

Même en étant un fédéraliste européen convaincu, il faut être réaliste. S'il paraît possible d'avancer rapidement dans les domaines social, environnemental et monétaire, où la coopération est déjà étroite et profonde, il faudra veiller à ce que la politique étrangère et de sécurité commune, tout en se développant aussi vite que possible, englobe l'ensemble des vingt-cinq Etats membres et non seulement les quinze. Certes, l'Union européenne est un géant économique mais, tant qu'elle n'aura pas développé de politique étrangère et de défense commune, elle fera figure d'un nain à l'extérieur.

Dans la presse internationale, les autorités françaises apparaissent parfois faire porter certaines responsabilités à l'Europe centrale, alors que les bases américaines ne sont pas installées en République tchèque, mais en Allemagne, en Espagne et en Italie. Dans un monde multipolaire, la politique de sécurité devra englober différents pays en s'appuyant sur leur potentiel respectif. Ainsi, la France siège comme membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, elle a des possessions dans le Pacifique Sud, elle dispose de l'arme nucléaire ; avec un potentiel comparable, les Britanniques conservent une influence mondiale à travers le Commonwealth ; l'Espagne exerce également une grande influence linguistique, culturelle et commerciale en Amérique du Sud. Autant d'atouts pour l'Union européenne, qui doit bâtir sur ce potentiel. Au demeurant, l'Est le renforcera encore, les Polonais ayant par exemple de bonnes relations avec les républiques baltes, l'Ukraine ou encore la Russie. Si une politique étrangère commune est vraiment nécessaire, elle ne doit donc pas rester dans les mains de trois ou quatre Etats, puisque c'est l'origine même des divisions actuelles.

Le Président Pierre Lequiller, tout en déclarant approuver les propos de M. Tomá_ Dub, a insisté sur la nécessité de se départir de l'idée fausse - parce qu'elle n'est pas celle de la France - selon laquelle les pays d'Europe centrale et orientale seraient responsables de la division de l'Europe constatée à l'occasion de la crise irakienne. Par ailleurs, il a considéré que cette dernière avait confirmé qu'une défense européenne ne saurait se construire en l'absence de la Grande-Bretagne.

M. Nicolas Dupont-Aignan a souligné la volonté d'adaptation considérable du gouvernement tchèque, ainsi que l'ampleur des réformes intervenues depuis une dizaine d'années, qu'il a pu constater à l'occasion de son déplacement.

Evoquant l'élargissement, il a insisté sur la nécessité de réussir ce processus qui résulte, selon lui, d'un choix collectif et d'éviter qu'il ne soit altéré par des débats qu'il a qualifiés de surréalistes. Il en est ainsi du mythe révélé par la crise irakienne selon lequel une Europe politique pourrait se réaliser immédiatement. Car, l'application de la majorité qualifiée à la politique de défense n'est pas concevable, tandis qu'une PESC ne pourra être envisagée avant un délai de plusieurs années. Dès lors, la question est de savoir si l'élargissement débouche sur un potentiel économique et industriel qui permette à l'Europe de faire contrepoids aux Etats-Unis et non si l'Europe est en mesure de disposer d'une politique étrangère et de défense commune.

M. Nicolas Dupont-Aignan a considéré qu'il existait des domaines dans lesquels la Convention devait imaginer une troisième voie entre la paralysie dont, selon lui, l'Europe élargie souffrira, et le fédéralisme, solution utopique parce qu'inconciliable avec l'existence de grands Etats qu'il sera difficile de contraindre. Il convient donc de promouvoir des coopérations à géométrie variable, sources, selon lui d'une Europe puissance et à défaut desquelles les peuples risqueraient d'être fortement déçus.

Le Président Pierre Lequiller a déclaré nécessaire une réflexion sur la PESC et la PESD à laquelle selon lui les Tchèques devraient être également associés. Il importe que l'Europe réfléchisse à l'opportunité de mettre en œuvre en ces domaines des mécanismes de coopération renforcée dont les principes s'inspireraient de ceux qui ont permis l'instauration de l'euro, afin qu'un tel processus puisse être ouvert à tous les Etats.

Le Président Vladimir Lástůvka, abordant les craintes suscitées par l'élargissement a constaté, qu'en dépit de sondages positifs, certains groupes
socio-professionnels éprouvaient une peur de l'inconnu plus grande selon lui que celle qui existait en France lors de l'élargissement de la Communauté européenne à l'Espagne et à la Grèce.

S'agissant des craintes suscitées par l'évolution des liens transatlantiques, il s'est déclaré surpris des réactions qu'ont pu susciter l'adhésion des pays d'Europe centrale à l'OTAN et le rapprochement de certains d'entre eux avec les Etats-Unis à l'occasion de la crise irakienne. Il a tenu à souligner qu'il ne devait y avoir ni fétichisme ni phobie en la matière, car les liens transatlantiques reposent sur une coopération entre deux partenaires - les Etats-Unis et l'Europe - disposant d'intérêts et de droits identiques sans que l'un puisse dominer l'autre. En tout état de cause, la sécurité ne peut être assurée dans le monde en l'absence des Etats-Unis et de l'Europe. C'est une situation que tous doivent accepter, de même qu'il convient de discuter le fait qu'une politique commune puisse se concilier avec des approches différentes.

En conclusion, il a considéré que l'Europe, contrairement à ce que l'on peut croire, disposait de peu de temps pour élaborer cette PESC, qu'il a qualifiée de question d'actualité. Le monde et l'Europe font face à une configuration nouvelle issue de la chute du mur de Berlin, de la guerre en Yougoslavie et de la crise irakienne. Dès lors, si l'Europe veut être un acteur effectif dans cette nouvelle configuration, il lui faudra se doter des instruments nécessaires. A cet égard, il a déclaré approuver l'idée de coopération renforcée, ouverte à un grand nombre de membres.

M. Edouard Landrain a pu constater au vu de ses différents déplacements en Tchécoslovaquie, que ce pays était devenu communiste à la suite d'un coup d'Etat qu'il a qualifié d'aberration de l'Histoire, et profondément européen depuis la « révolution de velours ».

Soulignant l'importance de la question de la subsidiarité, il s'est enquis de la position des Tchèques quant à cette notion et quant au rythme que doit revêtir leur intégration.

Mme Katerina Konečná a souhaité exposer les raisons pour lesquelles le parti communiste de Bohême-Moravie avait recommandé à ses électeurs de se prononcer contre l'adhésion de la République tchèque à l'Union européenne. Les agriculteurs et de nombreux chefs d'entreprise ont déploré les conditions très strictes imposées à la République tchèque. En second lieu, bien qu'il ne s'agisse pas d'un problème relevant de la responsabilité de l'Union européenne, le gouvernement tchèque n'a pas été en mesure de traiter correctement la question de l'attribution des fonds structurels, en vue de régler les problèmes sociaux. Dans ce contexte, le parti communiste n'ayant pu obtenir des réponses objectives à ces différentes questions, s'est trouvé dans l'impossibilité d'apporter les informations nécessaires à ses électeurs.

Le parti communiste a déploré cette situation alors qu'il est favorable à l'intégration européenne. Il demande seulement que la République tchèque puisse bénéficier des principes d'équité et d'égalité.

M. René André, après avoir souhaité que les Tchèques se départissent de leurs craintes et déclaré que la construction européenne était un acte de foi et de confiance, a rappelé que beaucoup d'agriculteurs français, à l'époque de l'élargissement de la Communauté européenne à l'Espagne et à la Grèce avaient également éprouvé de très fortes craintes, qui, par la suite, sont apparues injustifiées. Aujourd'hui, la majorité d'entre eux est parfaitement consciente des apports bénéfiques de l'Union européenne.

Pour ce qui est des liens transatlantiques, il a considéré qu'ils revêtaient un caractère obsédant à cause du déséquilibre sur lesquels ils reposent. La situation changera le jour où ces liens seront rééquilibrés au travers notamment de l'institution d'une agence européenne de l'armement.

En ce qui concerne la question de la subsidiarité, il a considéré qu'une réflexion sur le rôle de la souveraineté était d'autant plus nécessaire, du fait des contextes historiques propres à la République tchèque et à la France. Il faudra envisager la création d'une deuxième chambre pour rappeler que, dans le cadre de la Constitution européenne, les nations et les Etats doivent continuer à jouer le rôle qui est le leur, tout en se gardant de tomber dans les excès du souverainisme. Evoquant le rôle que devrait jouer la coopération renforcée, il a également estimé qu'elle devait être ouverte à ceux qui se sentent capables d'y prendre part.

Le Président Pierre Lequiller s'est félicité de la qualité du travail accompli au cours de cette rencontre et de la capacité d'écoute mutuelle qu'il a pu constater entre les membres de la Chambre des Députés tchèque et ceux de la Délégation pour l'Union européenne. Notant que cette réunion a été dominée par les thèmes de la PESC et de la PESD - ce qui était inévitable selon lui, compte tenu du contexte actuel -, il a déclaré comprendre les explications données à ce sujet par les députés tchèques. La République tchèque et la France doivent jouer un rôle important à la Convention. Il a estimé que la crise irakienne avait révélé l'émergence d'une conscience européenne au travers des diverses manifestations qui se sont déroulées, lesquelles ne doivent pas être considérées comme des manifestations d'anti-américanisme. Les liens d'amitié existant entre l'Europe et les Etats-Unis ne doivent pas avoir pour effet d'empêcher la poursuite de la construction européenne.

Les Présidents Pavel Svoboda et Vladimir Laštůvka ont remercié les membres de la Délégation pour leur accueil. Le Président Pavel Svoboda a souligné que cette réunion a montré qu'il existe un besoin réel de communication entre nos deux pays. Il a invité le président Pierre Lequiller et les membres de la Délégation à se rendre, à leur tour, en République tchèque pour approfondir ce dialogue.