Version PDF

DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 38

Réunion du mercredi 2 avril 2003 à 11 heures

Présidence de M. René André, Vice-Président

I. Désignation d'un Secrétaire en remplacement de M. Pierre Goldberg

Le Président René André a indiqué qu'à la suite de la démission de M. Pierre Goldberg, il y avait lieu de désigner un Secrétaire pour le remplacer. Rappelant que ce poste revenait à un représentant du groupe des député(e)s Communistes et Républicains, il a été saisi de la candidature de M. Jean-Claude Lefort - à qui il a souhaité la bienvenue -, qui a été désigné Secrétaire de la Délégation.

II. Nomination de rapporteurs d'information

La Délégation a désigné deux rapporteurs d'information :

M. René André sur l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) ;

M. Marc Laffineur sur la réforme du contrôle des concentrations entre entreprises.

Le Président Pierre Lequiller a été chargé d'une communication sur le statut et le financement des partis politiques européens.

III. Examen du rapport général de M. René André sur l'élargissement de l'Union européenne

M. René André, rapporteur d'information, a déclaré que ce cinquième élargissement de l'Union européenne, sans équivalent dans l'histoire de la construction européenne, se distingue aussi par la complexité des sentiments qu'il inspire : l'enthousiasme, le réalisme et l'inquiétude.

L'enthousiasme d'abord, quand quatre cent cinquante millions d'Européens vont s'unir pour bâtir ensemble non seulement une communauté d'intérêts, mais aussi une communauté de destin et de valeurs, après avoir refermé définitivement la parenthèse douloureuse de la division de l'Europe au XXe siècle.

Le réalisme ensuite. Un projet de cette envergure doit maintenant aller à la rencontre des peuples afin d'y puiser la légitimité démocratique indispensable à sa réussite. Il est donc tout à fait naturel que le dialogue avec les opinions publiques, aborde avec réalisme les considérations économiques, financières et sociales et leur montre que les avantages l'emportent sur les risques, même si cette réunification comporte inévitablement une part d'incertitude. Cet élargissement accroîtra l'hétérogénéité de l'Union beaucoup plus fortement que les élargissements antérieurs et le défi lancé à l'Union est de démontrer sa capacité de réaliser l'unité du continent dans sa diversité.

L'inquiétude enfin. Les Européens n'ont en effet jamais autant affiché leurs désaccords sur la scène internationale depuis qu'ils s'apprêtent à se réunifier. Ces désaccords surgis après Copenhague principalement à l'occasion de la crise irakienne posent fondamentalement la question du droit que se reconnaissent les Européens de se constituer en acteur mondial de premier plan, autonome par rapport à leur allié américain. Ces divisions montrent qu'une négociation de cinq années n'a pas suffi à lever les ambiguïtés sur le sens de la construction européenne et qu'il est urgent que les vingt-cinq actuels et futurs Etats membres clarifient le niveau de leurs ambitions et les termes de leurs engagements mutuels avant de ratifier le traité d'adhésion.

La conception de l'Union européenne qui consisterait à se satisfaire de l'union économique et monétaire et à juger l'union politique inutile ou même dangereuse, parce que faisant double emploi ou rivalisant avec l'Alliance atlantique pour la sécurité de l'Europe, ne correspond pas à l'ambition qui anime la construction européenne depuis sa création. L'Alliance atlantique est encore pour longtemps indispensable à la sécurité de l'Europe. Mais l'union politique est d'une autre nature qu'une organisation internationale de défense commune et elle est la condition sine qua non de l'émergence d'une personnalité politique européenne de plein exercice sur la scène internationale.

Cette divergence ne doit cependant pas masquer l'intérêt primordial pour l'ensemble des partenaires de réussir l'intégration des dix pays adhérents dans l'Union européenne et de convaincre les opinions publiques non seulement de la nécessité historique de l'élargissement, mais des avantages mutuels qui procurera le plus grand marché organisé du monde.

Mais l'élargissement ne prendra tout son sens que s'il est porté par la volonté de construire une Europe politique capable de définir des relations plus ambitieuses avec son nouveau voisinage et d'accroître son influence dans le monde.

La réussite de la phase initiale d'intégration des dix repose d'abord sur un accord final à l'avantage des deux parties. L'accord s'est conclu à Copenhague sur une enveloppe globale de 40,8 milliards d'euros en crédits d'engagement et 25,1 milliards d'euros en crédits de paiement pour le financement de l'adhésion des dix nouveaux membres de 2004 à 2006. Cette enveloppe s'élève en réalité à 42,5 milliards puisque le paquet sature de facto les plafonds de Berlin avec le cadeau de trésorerie de 1,6 milliard d'euros lié à la fixation de la date d'adhésion le 1er mai 2004.

Les dix nouveaux membres bénéficieront d'un solde net largement positif dès l'adhésion. En prenant en compte la fin progressive d'exécution des crédits de pré-adhésion, ils recevront en réalité 27,8 milliards d'euros en crédits de paiement de 2004 à 2006, et non 25,1 milliards d'euros comme arrêtés à Copenhague. Même en payant 100 % de leur contribution au budget communautaire dès l'adhésion (soit au total 14,7 milliards d'euros de 2004 à 2006), ils seront donc bénéficiaires nets de 13,1 milliards d'euros de 2004 à 2006.

Par ailleurs, l'accord de Copenhague représente un coût net pour l'Union européenne relativement modéré sur la période 2004-2006, notamment du fait du paiement intégral, dès 2004, de la contribution au budget communautaire et de la montée en charge progressive des dépenses de la PAC et des fonds structurels, qui ne se feront pleinement sentir que de 2007 à 2013. Le coût net de cet élargissement pour l'Union européenne à quinze peut être évalué à 14,8 milliards d'euros de 2004 à 2006, soit à peine plus de la moitié (53 %) des crédits de paiement du paquet approuvé à Copenhague. La France est le second contributeur de ce paquet après l'Allemagne, avec un coût net maximum évalué au total entre 2,2 et 2,6 milliards d'euros pour la période 2004-2006 compte tenu d'un aléa lié au taux de change, soit moins de 10 % de l'enveloppe totale de crédits de paiement accordée aux dix nouveaux membres à Copenhague. Enfin, le coût net pour le Royaume-Uni est très allégé, puisque les dépenses d'élargissement seront intégrées dans le calcul de la correction britannique et donneront lieu à compensation.

Neuf protocoles et quarante-quatre déclarations seront annexés au Traité, notamment la déclaration « Une seule Europe » signée par les vingt-cinq membres actuels et futurs, rappelant le caractère « continu, inclusif et irréversible » du processus d'élargissement, surtout vis-à-vis de la Roumanie et de la Bulgarie, ainsi que de la candidature turque.

La réussite de la phase initiale d'intégration dépend également de l'urgence d'une application effective de l'acquis communautaire pour éviter une multiplication des sauvegardes de nature à heurter les opinions publiques

La Commission remettra au Conseil six mois avant l'adhésion, au plus tard le 1er novembre 2003, un rapport sur le suivi d'ensemble concernant le respect des engagements pris par les dix futurs membres. Ce rapport adressera, le cas échéant, un ultime avertissement à ceux qui présenteraient des manquements graves et pourrait proposer si nécessaire de faire jouer les clauses de sauvegarde dès l'adhésion.

Le Traité d'adhésion crée trois clauses de sauvegarde qui pourront être invoquées pendant une durée de trois ans à compter de l'adhésion des dix nouveaux membres, soit jusqu'au 30 avril 2007 : une clause de sauvegarde économique générale pour atténuer dans certains secteurs économiques ou dans certaines régions sensibles, les conséquences d'un choc macroéconomique ou concurrentiel trop rude ou pour prévenir les distorsions de concurrence transfrontalière ; une clause spécifique de sauvegarde du marché intérieur qui ne vise que les nouveaux membres, en cas de manquements graves aux obligations de reprise et d'application effective de l'acquis et couvre notamment la sécurité alimentaire ; une clause spécifique de sauvegarde relative à la justice et aux affaires intérieures, afin de pouvoir suspendre temporairement la reconnaissance mutuelle des décisions de justice en matière civile et en matière pénale en cas de manquement grave ou d'un risque imminent de graves manquements d'un nouvel Etat membre au regard de normes judiciaires.

Dans sa recommandation au Conseil européen de Bruxelles de conclure les négociations d'adhésion avec dix des pays candidats, la Commission avait précisé qu'aucun d'entre eux n'était encore prêt à adhérer à la fin de 2002, mais qu'ils le seraient à la date de leur adhésion fixée au 1er mai 2004. Ses premiers rapports de suivi l'amènent, d'une part, à conclure qu'ils sont généralement à jour dans leurs préparatifs, d'autre part à adresser un avertissement rapide à neuf pays adhérents sur dix, sauf la Slovénie, pour des retards à résorber d'urgence.

Le respect du troisième critère de Copenhague relatif à la capacité d'assumer les obligations de l'adhésion dépend avant tout de la capacité de l'administration et de la justice d'appliquer l'acquis communautaire, mais aussi et surtout de la volonté politique de les réformer. Force est de constater qu'en dépit des efforts accomplis par les autorités des pays adhérents, la situation observée dans un certain nombre d'entre eux reste inquiétante. Une action déterminée des pays adhérents pour améliorer leur capacité administrative et juridictionnelle dans l'année précédant leur adhésion serait préférable à une multiplication des sauvegardes. Un mur de sauvegardes ternirait en effet le début de l'intégration dans l'esprit des opinions publiques des deux parties, au moment où elles seront appelées à jouer un rôle décisif après l'adhésion.

L'Union européenne élargie devra en effet franchir une succession d'échéances décisives avec un équilibre politique plus complexe.

Le calendrier des quatre prochaines années comporte une succession d'échéances décisives pour la réussite du processus d'élargissement et pour l'avenir des institutions et des politiques communes de l'Union européenne : la ratification du Traité d'adhésion des dix nouveaux Etats membres, la réforme institutionnelle, le renouvellement du Parlement européen et de la Commission, les négociations à l'OMC et la définition des perspectives financières de l'Union élargie en principe à vingt-sept pour la période 2007-2013.

Le débat sur les perspectives financières 2007-2013 promet d'être difficile entre les contributeurs budgétaires nets, les Etats membres attachés au développement d'une PAC évolutive mais exportatrice, les Etats membres souhaitant contrôler l'évolution des fonds structurels et des fonds de cohésion et les nouveaux Etats membres, pour la plupart bénéficiaires budgétaires nets qui souhaiteront accéder à des politiques communes plus généreuses. Les Etats membres devront trouver la bonne combinaison en particulier entre un relèvement du plafond des ressources propres fixé à 1,24 % du Revenu national brut (RNB) de l'Union européenne, une révision du chèque britannique et la réforme de la politique agricole et de la politique régionale.

Enfin, il faut convaincre les opinions publiques que les avantages l'emportent sur les risques.

Elles doivent tout d'abord prendre conscience de ce que représenterait un non-élargissement en termes d'instabilité du continent. Refuser l'élargissement serait subir tous les risques sans disposer des garanties permettant de les maîtriser.

Ensuite, l'intégration des économies d'Europe centrale et orientale offrira une perspective de relance de longue durée à une économie des Quinze dont la croissance manque de dynamisme depuis plusieurs années.

Toutefois, des leçons devront être tirées des difficultés de la réunification allemande et du succès de l'élargissement à l'Espagne et au Portugal, pour favoriser la convergence la plus rapide des économies des nouveaux Etats membres vers la moyenne de l'Union européenne. Cette expérience montre que la convergence doit reposer sur un dosage subtil entre une logique de solidarité et une logique de concurrence, mais le point d'équilibre est particulièrement difficile à trouver.

Les craintes sont compréhensibles, compte tenu des fortes disparités des coûts de la main-d'œuvre dans l'Union européenne et les pays candidats. La moyenne des coûts horaires de main-d'œuvre dans l'industrie et les services des dix pays en voie d'adhésion était, en 2000, plus de cinq fois inférieure à celle de l'Union européenne à 15 : 4,21 euros contre 22,70 euros, la France se situant à 24,39 euros. Le Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie répond que ce phénomène est en partie compensé par une moindre productivité du travail salarié, que cette faiblesse des coûts salariaux ne découle pas d'une absence de protection sociale, et qu'enfin, le Traité d'adhésion soumet les entreprises des nouveaux membres aux mêmes règles que celles des membres actuels.

Le choc des délocalisations a d'ailleurs déjà été absorbé en partie avec les nombreux investissements déjà réalisés dans les différents pays candidats. A cet égard, la France est bien placée puisqu'elle se situe au troisième rang des investissements directs dans la zone élargissement, derrière l'Allemagne et les Etats-Unis et devant le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Mais si le processus est gagnant pour tout le monde à long terme, il y aura incontestablement une phase d'ajustement à court et à moyen terme, qui sera difficile dans un certain nombre de secteurs et de régions, aussi bien dans les Etats membres actuels que chez les nouveaux. L'expérience de l'élargissement aux pays du Sud montre qu'un risque d'immigration massive est peu probable, même si une pression peut s'exercer sur les zones frontalières de l'Autriche et de l'Allemagne.

En revanche, des incertitudes pèsent sur le contexte monétaire dans lequel ces économies financeront le rattrapage de leur retard. L'entrée des pays adhérents dans l'euro devrait en effet reposer sur une convergence non seulement nominale mais réelle de leurs économies.

On peut penser également que moins les transferts financiers liés à la solidarité entre Etats membres seront importants, plus les pays adhérents seront tentés d'utiliser leurs avantages comparatifs dans une concurrence avivée et plus ils redouteront de se voir imposer des normes sociales minimales qui grèveraient leur compétitivité.

Par ailleurs, le domaine de la justice et des affaires intérieures est aussi important que les aspects financiers, économiques et sociaux dans la détermination des choix de l'opinion en faveur de l'élargissement. La distinction qu'établit la convention de Schengen entre son entrée en vigueur, date de l'adhésion formelle à Schengen, et sa mise en vigueur, date de la levée effective des contrôles aux frontières intérieures de l'espace Schengen, offre une garantie absolument indispensable. Il faudra néanmoins démontrer que les engagements pris dans les traités d'adhésion permettront à l'Union élargie de garder la maîtrise de sa sécurité intérieure.

Enfin, les débats engagés dans toute l'Union européenne sur la réforme du régime des retraites rendra l'opinion plus sensible au fait que l'Union vieillira encore plus vite après l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale. La stratégie de Lisbonne qui s'efforce de concilier l'ambition du dynamisme et la réalité du vieillissement pour faire de l'Union européenne élargie la société du savoir la plus dynamique et innovante du monde en 2010, devra constituer une priorité de l'Union.

Mais les Européens ne peuvent se contenter d'une demi-Europe économique. Ils doivent construire une Europe politique pour accroître son influence dans le monde.

Il existe au moins quatre raisons de créer un acteur global européen d'ambition mondiale : l'Europe ne pourra pas longtemps compter sur sa seule puissance commerciale pour peser sur l'évolution du monde, alors que l'Europe de trente membres devrait voir sa contribution au PIB mondial passer de 22 % en 2000 à 12 % en 2050 ; seule une Union politique forte complétant l'union économique sera capable de dégager un consensus sur des échanges mondiaux qui n'engagent plus seulement les intérêts, mais les valeurs ; le retour de la violence internationale marque la fin de l'illusion de croire que le développement d'une interdépendance économique mondiale conduirait nécessairement à la paix ; les divergences de vues entre les Etats-Unis et l'Union européenne sur l'évolution de la mondialisation et la gestion des crises se sont trop accentuées pour que l'Union européenne continue à déléguer à son allié le soin de parler au nom de la communauté occidentale et n'affirme pas ses choix quand ce ne sont pas ceux des Etats-Unis.

L'élargissement de l'Union européenne aura des répercussions différentes sur les relations étroites que l'Union à quinze entretient déjà avec son « étranger proche ». La Commission propose une nouvelle approche progressive, différenciée et conditionnelle des relations de l'Union européenne avec ses voisins de l'Est et du Sud pour tenter de répondre à leurs inquiétudes. Si l'adhésion à l'Union européenne s'est montrée l'incitation la plus efficace à la réforme, l'Union ne peut la proposer ni aux pays du Sud qui n'ont pas vocation à adhérer ni aux pays de l'Est qui n'ont pas suffisamment avancé dans la réforme politique et économique pour leur offrir une telle perspective. Il est cependant manifeste que les formules actuelles ne suffisent plus et que le moment est venu de réfléchir à un dispositif répondant à la question posée par le précédent roi du Maroc : moins que l'adhésion, plus que l'association.

A l'horizon de la prochaine décennie, le Président Romano Prodi propose de constituer un cercle d'amis dont les relations reposeraient sur le principe de tout partager avec l'Union européenne, sauf les institutions. Cette proposition est intéressante parce qu'elle est une première réponse aux inquiétudes de nos partenaires, mais sa formulation mérite d'être approfondie.

Enfin, l'Union élargie doit développer une politique étrangère autonome dans le cadre d'une relation transatlantique rééquilibrée. Mais il faut tout d'abord comprendre la position des nouveaux adhérents comme le reflet d'un passé douloureux ne les fermant pas à toute ambition européenne. Il faut en second lieu construire un consensus entre Européens sur une politique étrangère autonome, une politique de défense substantielle et un partenariat atlantique rééquilibré.

Les partisans d'une politique étrangère autonome devront rassurer ceux qui ont partagé le choix des Etats-Unis dans la crise irakienne et les convaincre que l'autonomie ne remet pas en cause le lien transatlantique mais s'inscrit dans le cadre d'une Alliance atlantique rééquilibrée. Il devrait, en effet, être possible de s'accorder entre Européens sur la revendication d'un partenariat transatlantique fondé sur le partage des charges mais aussi des responsabilités avec les Etats-Unis au sein de l'Alliance atlantique, pour faire face ensemble et sur un pied d'égalité aux défis d'un monde troublé par le retour de la violence internationale. Aucun des partenaires n'a intérêt à un effondrement du système de sécurité collective hérité de l'après guerre dont la solidarité atlantique constitue la colonne vertébrale.

Mais le dialogue entre partenaires sur l'enjeu des relations entre l'Occident et le monde arabo-musulman ne peut se résumer pour les Européens à un choix entre l'alignement ou l'affrontement avec les Etats-Unis. Une future Europe politique devrait avoir le droit de formuler sa position en qualité de deuxième pilier de l'Alliance, conformément à la conception du Président Kennedy qui envisageait une Europe politique plus unie non comme un rival mais comme un partenaire.

En tout état de cause, aucun des actuels et futurs Etats membres n'a intérêt à durcir les débats au point d'aboutir à une dissociation conflictuelle de l'ensemble européen. La différenciation des rythmes d'intégration est inévitable dans un ensemble aussi hétérogène que l'Union européenne élargie. Les nouveaux adhérents auraient tort de l'interpréter comme une atteinte à l'égalité de leurs droits et une tentative de constitution d'une Europe à deux vitesses.

En revanche, le refus de compléter l'union économique par une union politique forte pourrait aboutir à la situation que les pays adhérents ont toujours redoutée : la création de deux Europe institutionnelles relativement étanches privant les membres de la Grande Europe d'accéder avant longtemps à une avant-garde devenue méfiante à leur encontre.

Enfin, ce serait une illusion de croire que ce refus de la préférence européenne en politique étrangère ne provoquerait pas un délitement de la solidarité au sein de l'union économique. La solidarité ne se divise pas. Une Europe à solidarité réduite pourrait perdre progressivement ses politiques communes offrant à tous ses membres des droits garantis et des financements automatiques. Un retour à une zone de libre-échange de toutes les tensions constituerait une régression pour tous les Etats membres et en premier lieu pour les nouveaux adhérents.

En conclusion, M. René André a indiqué que son rapport comportait des conclusions qu'il soumettait à l'appréciation de la Délégation.

Après avoir remercié le rapporteur pour la qualité du travail effectué, M. Jacques Myard a estimé que l'Europe doit avancer les yeux ouverts, sans être guidée par l'enthousiasme. Les propos optimistes tenus par le rapporteur, dignes de ceux des années soixante, sur l'Europe puissance à vingt-cinq Etats membres sont surréalistes. La vérité est que les divisions qui se manifestent aujourd'hui résultent de divergences latentes depuis des décennies. Que constate-t-on en effet ? L'Allemagne a longtemps hésité avant de construire un satellite avec ses partenaires européens ; le projet Galileo peine à démarrer et l'OTAN reste de fait la première réalité de l'Europe politique. Même l'Europe des six est apparue divisée dans la crise irakienne.

M. Jacques Myard a néanmoins considéré que l'élargissement est nécessaire, car on ne peut enfermer les PECO dans un ghetto économique. Cependant, l'Europe qui se mettra en place avec eux sera celle d'un marché organisé. Aller au-delà constitue un non sens car les valeurs que l'Europe puissance souhaiterait défendre sont celles qui tendent vers l'universalité : la démocratie, les droits de l'homme ou la tolérance. Rome n'est plus dans Rome et l'Europe ne doit pas exclure les autres zones du monde qui partagent ces valeurs. M. Jacques Myard a jugé qu'au-delà du marché organisé, un Conseil de sécurité européen peut être mis en place pour traiter certains problèmes internationaux. En revanche, il est utopique de parler de PESC ou de PESD.

M. Jean-Claude Lefort a déclaré que l'élargissement est le seul choix efficace, car il permet d'éviter à la fois l'isolement et l'alignement, qui aboutissent tous deux à la soumission. Il a exprimé le souhait qu'une Union élargie plus forte soit construite patiemment et ardemment, même si cela paraît difficile.

Il a considéré que certaines prises de position en Europe sont motivées par le fait qu'actuellement il n'existe aucune autre alternative que l'OTAN. Il a exprimé son total accord avec les propos sur la « solidarité qui ne se divise pas ». Le manque de consensus actuel sur les valeurs à défendre en Europe explique l'absence d'accord sur les structures à mettre en place.

M. Jean-Claude Lefort a émis le vœu que l'Union lance de grandes initiatives de partenariat à l'égard des voisins de l'Europe élargie. Il faut, d'une part, que l'« ours russe » ne se rétracte pas, afin d'éviter qu'il ne sorte ses griffes. Dans ce but, il convient d'associer les Russes plus étroitement à l'Europe au moyen d'un instrument qui existe déjà, l'OSCE. La Russie a fait preuve d'une fiabilité remarquable lors de la crise irakienne. S'agissant des relations avec les voisins du Sud, il a préféré la formule du partenariat à celle du cercle des pays amis.

M. Michel Delebarre a estimé que l'élargissement constitue avant tout un enjeu politique considérable. En effet, l'Europe peut-elle aller au-delà d'un marché unifié en voie d'extension ? Il a considéré que si M. Jacques Myard s'exprime avec la foi des convaincus, d'autres cultivent l'espérance des volontaires.

M. Michel Delebarre a exprimé sa préoccupation à l'égard des quelques années économiquement et socialement difficiles que l'Europe devra traverser après l'élargissement. Les délocalisations ne seront pas neutres pour certaines régions françaises et auront sans doute un impact sur les petites et moyennes entreprises. Or cet impact social risque d'inciter les citoyens à rejeter l'élargissement. Aussi, a-t-il souhaité que la Délégation suive de près le phénomène et les effets de ces délocalisations. Pour cela, il faut disposer d'un indicateur fiable.

Puis, il a fait une observation sur le processus général d'élargissement. Pour que celui-ci aille au-delà de l'extension d'un marché organisé à d'autres pays, il doit comprendre une dimension culturelle forte. Ce volet doit également faire l'objet d'une évaluation. En effet, les pays adhérents vont apporter à l'Europe bien plus que de nouveaux marchés. Or, cela n'est pas pris en compte dans le processus de reprise de l'acquis communautaire. M. Michel Delebarre a cité l'exemple de la Hongrie : ce pays, comme les neuf autres adhérents, doit satisfaire une liste de conditions au niveau de la législation communautaire, mais il comporte aussi une dizaine de Prix Nobel. Ce facteur ne peut être négligé : s'il ne représente économiquement rien, il est culturellement significatif.

M. Jacques Myard a souhaité intervenir pour déclarer que les échanges culturels se situent au niveau transnational. Ils se superposent au niveau communautaire et ne peuvent fonder à eux seuls une identité européenne, car ceux-ci font entrer en compétition le français avec l'allemand et l'anglais.

M. Michel Delebarre a jugé que le partage de ces éléments culturels peut être un moteur pour l'intégration. Il est indispensable de savoir quel regard doit être porté sur l'autre.

Enfin, il s'est interrogé sur le contenu de la gouvernance européenne qui résultera des travaux de la Convention. La notion d'avant-garde est intéressante, mais en faire partie c'est aussi ne pas oublier qu'il faut réfléchir à la façon dont on va partager une coopération renforcée avec les Etats restés en dehors.

En réponse aux différents intervenants, M. René André, rapporteur d'information, a apporté les précisions suivantes :

- le discours sur l'Europe puissance traduit peut-être un optimisme typique des années soixante, mais tout fonder sur les Etats revient à se déterminer selon les principes définis à l'époque des traités de Westphalie. L'Europe de la défense et l'industrie européenne de défense sont nécessaires. Car si nous voulons conserver ces valeurs universelles, il faut être en situation de force par rapport à d'autres ensembles qui ne les partagent plus de la même manière ;

- l'Europe a sans doute oublié de dialoguer avec les PECO, qui se sentant abandonnés ou ignorés se sont tournés vers les Etats-Unis ;

- il est nécessaire de renforcer les relations avec la Russie, mais aussi avec l'Ukraine et la Biélorussie, deux pays dont l'évolution politique et économique ne cesse d'être inquiétante ;

- la Délégation doit suivre, s'il y a lieu, le phénomène et les effets des délocalisations résultant de l'élargissement ;

- la dimension culturelle est effectivement un facteur essentiel de l'intégration européenne.

Tout en convenant de la nécessité de l'élargissement qu'il a considéré comme une obligation morale propre à renforcer la cohésion de l'Europe, M. Nicolas Dupont-Aignan a néanmoins voulu insister sur les malentendus pouvant résulter du décalage qu'il a pu constater lors de son déplacement en République tchèque entre l'approche comptable qui est celle de l'Europe des Quinze et l'approche morale et politique qui semble caractériser la démarche des nouveaux adhérents.

Il a considéré que les conséquences de l'élargissement sur les flux migratoires et les délocalisations étaient beaucoup trop sous-estimées. Par exemple, en République tchèque les salaires sont cinq fois moins élevés qu'en France pour une productivité identique. Quant au système de Schengen, il est désormais dépassé pour permettre un contrôle adéquat des mouvements migratoires. Dans ce contexte, il a estimé que l'Union européenne, à l'exemple de l'Allemagne qui affirmait être en mesure de surmonter les difficultés de la réunification, était guidée par un optimisme qui ne correspond pas à la réalité. L'actuel modèle communautaire ne fonctionne plus, parce qu'il donne toujours l'impression d'être basé sur l'ancienne Europe des Six, alors même que l'Union européenne est devenue un marché unique conformément aux vœux du Royaume-Uni. En outre, le fait que l'Europe ait accepté d'abaisser, de façon excessive, ses barrières douanières l'a transformée en une véritable zone de libre-échange. Dès lors, il a appelé à une action en vue de résoudre plusieurs incohérences.

La première résulte de la situation, qualifiée de surréaliste, qu'entraînera l'élargissement. Il apparaît, selon lui, contradictoire d'affirmer que l'Europe élargie sera confrontée à d'importantes difficultés alors que le Conseil européen de Copenhague a décidé de poursuivre les négociations avec la Bulgarie, la Roumanie et la Turquie, et que ce dernier pays pose des problèmes géopolitiques considérables, en particulier, celui des frontières politiques de l'Europe. Constituer un cercle des pays amis est une proposition positive, dans laquelle il faut introduire la Turquie.

La deuxième incohérence touche aux objectifs de la politique commerciale communautaire dans le cadre des négociations de l'OMC. Il a considéré que l'Europe devait cesser d'être culpabilisée par les reproches adressés par les Etats-Unis.

S'agissant de la politique de sécurité de l'Europe, il a déclaré, approuvant les propos tenus par M. Jacques Myard, que la crise irakienne avait révélé l'absence de PESC. Dans ce contexte, il s'est félicité que les projets de soumettre la PESC à la majorité qualifiée n'aient pas été mis en œuvre, car le Président de la République aurait - selon lui - alors été obligé de s'aligner sur les Etats-Unis.

Abordant la question institutionnelle, il a considéré que l'Europe élargie ne pourra fonctionner ni selon le principe de l'unanimité ni à la majorité qualifiée. Dans cette seconde hypothèse, la France avec 9 % des voix risque d'être constamment mise en minorité sur des problèmes cruciaux. C'est pourquoi, plutôt que la notion d'avant-garde, il a souhaité la constitution d'une Europe à géométrie variable selon les sujets, mécanisme qui permettrait aux Etats soucieux de promouvoir des initiatives de ne pas être empêchés par le refus des autres Etats.

Les conclusions du rapporteur en quatre points -  approuvant l'adhésion des dix ; soulignant l'urgence d'une réforme effective de l'administration et de la justice ; soutenant l'initiative de la Commission sur le nouveau voisinage de l'Union élargie ; appelant à construire une politique étrangère autonome, une politique de défense substantielle et un partenariat atlantique rééquilibré - ont alors fait l'objet d'un débat.

M. Michel Delebarre a demandé qu'un paragraphe supplémentaire soit inséré, afin que soient visés, d'une part, la nécessité d'une réflexion sur la dimension culturelle de l'Europe élargie et, d'autre part, le risque de délocalisations auquel certaines régions françaises pourraient être confrontées.

M. Jean-Pierre Abelin a souhaité insister sur les inégalités régionales existant au sein des nouveaux adhérents. Evoquant le cas de la Slovaquie, il a indiqué que la région de Bratislava avait un niveau proche de l'Autriche, à la différence de l'est de la Slovaquie dont le niveau économique est très nettement inférieur. Il a fait part de sa crainte que l'Union européenne ne promeuve une politique régionale non pas en faveur de ces régions déshéritées mais de celles qui ont un niveau économique déjà satisfaisant.

M. René André a repris l'examen du quatrième point des conclusions en proposant d'y mentionner l'existence d'un « ensemble démocratique à l'identité politique et culturelle propre ».

M. Michel Herbillon a proposé que la diversité culturelle, mais aussi linguistique, fasse l'objet d'un paragraphe distinct. Ce que défendent les Européens aujourd'hui, c'est une vision qui se démarque de l'hégémonie américaine. Cela doit faire l'objet d'un paragraphe spécifique sans confusion possible avec des questions comme les délocalisations ou les mouvements migratoires.

M. Nicolas Dupont-Aignan a considéré que la notion de « politique étrangère autonome » paraissait peu claire. L'Union européenne peut avoir une politique étrangère commune, éventuellement qualifiée d'indépendante, mais l'adjectif autonome n'est pas adapté en l'espèce.

M. Michel Delebarre a proposé d'ajouter, après le premier paragraphe, que « l'élargissement a aussi une dimension culturelle dans laquelle les enjeux linguistiques ne peuvent être ignorés ».

M. François Guillaume a souligné qu'il fallait rappeler l'attachement au marché commun, bien différent d'une simple zone de libre-échange. L'Union européenne, se différencie de l'ALENA où les barrières financières ont été supprimées sans que soient mises en œuvre des politiques communes. Le marché commun est fondé au contraire sur la solidarité financière et sur des politiques structurelles. L'Europe a une autre conception de l'intervention économique que celle qui voudrait s'imposer à travers l'ouverture d'une sorte de grand supermarché planétaire. Le rapport présente de grandes qualités, mais ce sont les perspectives qu'il trace qui semblent par trop optimistes, voire illusoires. Rejoignant M. Nicolas Dupont-Aignan, il a souligné qu'il fallait faire une Europe à géométrie variable. Il y a sept ans déjà, il avait fait paraître un écrit sur la question : l'évidence s'imposait alors, avec la même force qu'aujourd'hui, qu'une Europe qui comptera un jour trente-six nations
- si l'on compte les Etats des Balkans qui nous rejoindront - ne pourra avancer à l'unisson sur toutes les questions. Le terme de « politique étrangère autonome » n'a pas de sens. Dans le domaine de la défense, il faut développer une politique en commun, à distinguer d'une politique commune. Cela implique la création d'une agence de l'armement sans laquelle les matériels des armées de l'Union européenne resteront incompatibles les uns avec les autres. Mais cela veut dire aussi que la France gardera la possibilité d'intervenir sur des théâtres extérieurs, par exemple en Afrique, conformément à ses engagements traditionnels. En l'état, le paragraphe 4 des propositions de conclusions ne saurait recueillir un assentiment général.

A l'issue du débat, le rapporteur a proposé à la Délégation, qui l'a suivi, de reporter à la réunion du mardi 8 avril, également consacrée à l'élargissement de l'Union européenne, l'adoption des conclusions du rapport afin de prendre en considération les observations émises par les membres de la Délégation au cours de la présente réunion.

IV. Examen du rapport d'information de M. Michel Delebarre sur l'adhésion de la Hongrie à l'Union européenne

M. Michel Delebarre, rapporteur d'information, a indiqué que la mission qui l'avait conduit en Hongrie les 17 et 18 mars derniers lui avait permis de rencontrer plusieurs responsables politiques et administratifs hongrois, ainsi que la plupart des ambassadeurs des pays de l'Union européenne en poste à Budapest et les services de l'Ambassade de France sur place.

Il ressort, selon lui, de cette mission que la Hongrie est, non seulement bien préparée, mais très désireuse de rejoindre l'Union. D'ailleurs, 70 % de sa population y serait favorable, ce qui constitue l'un des taux les plus élevés enregistrés parmi les pays candidats et laisse augurer un succès massif du « oui » pour le référendum d'adhésion du 12 avril prochain. La France a d'ailleurs apporté une aide directe pour cette préparation, sous la forme, notamment, de seize jumelages institutionnels Phare et l'envoi de sept conseillers pré-adhésion.

Le rapporteur a précisé que la Hongrie remplissait dans l'ensemble les trois séries de conditions pour entrer dans l'Union : politiques, économiques et juridiques. Il a rappelé, en premier lieu, que cet Etat disposait d'un régime politique démocratique et stable. De fait, la Commission européenne estime depuis 1997 que la Hongrie satisfait aux conditions politiques d'adhésion. Il est vrai que le pays a connu, depuis 1990, des élections démocratiques régulières et plusieurs alternances politiques sans crise. En outre, il se réclame de l'Etat de droit et respecte, dans l'ensemble, les droits de l'homme et les libertés fondamentales. Les réformes engagées récemment tendent d'ailleurs à renforcer encore le caractère démocratique du régime : l'adoption d'un statut de la fonction publique - comportant des principes déontologiques - le montre. De même, la réforme des institutions publiques, fondée sur une vaste décentralisation. Celle-ci, qui se veut en cohérence avec la politique régionale européenne, repose sur la création de sept régions principales, auxquelles sont transférées des compétences de l'Etat et des départements - en matière d'aménagement du territoire et de développement économique notamment -, ainsi que des dotations budgétaires, voire des recettes fiscales propres.

Il a souligné, deuxièmement, le fort développement économique que connaît le pays et les nombreux atouts dont il dispose : un taux de croissance soutenu, de l'ordre de 5 % en moyenne depuis 1998 ; un PIB par habitant, qui croît régulièrement et représente aujourd'hui environ 50 % de la moyenne communautaire ; un afflux important d'investissements directs étrangers (la Hongrie absorbe plus de 40 % des investissements étrangers de la zone) ; une économie très intégrée à l'Union. Cela étant, cette économie reste très dépendante de l'économie internationale : 80 % des grandes entreprises sont majoritairement composées de capitaux étrangers. De plus, le déficit des administrations publiques est élevé (4,9 % du PIB) et l'on observe une accentuation des déséquilibres régionaux entre l'Ouest, très développé, et l'Est, défavorisé.

Le rapporteur a indiqué, troisièmement, que la Hongrie est un des pays qui a globalement le mieux intégré l'acquis juridique communautaire parmi les Etats candidats, comme l'atteste le rapport régulier de la Commission européenne d'octobre 2002. Certaines périodes de transition ont néanmoins été prévues sur plusieurs sujets sensibles, tels que la libre circulation des personnes ou la mise aux normes des installations agro-alimentaires.

M. Michel Delebarre a néanmoins précisé que, malgré ce bilan globalement favorable, certaines incertitudes demeuraient, que la Hongrie devra lever dans les années à venir.

La première tient aux capacités administratives et judiciaires du pays. On observe, en effet, une difficulté fréquente à mettre en œuvre les textes adoptés, en raison d'un problème de moyens à la fois quantitatif (manque d'effectifs et d'équipements), mais aussi qualitatif (besoin de personnels qualifiés). Ce problème se pose dans plusieurs secteurs, notamment en matière de sécurité sanitaire, de lutte contre la fraude, la criminalité organisée ou l'immigration clandestine, mais aussi pour les services de soins, le fonctionnement de la justice ou la protection de l'environnement. Il est pour partie lié au manque d'attractivité de la fonction publique, les rémunérations des fonctionnaires étant relativement faibles. Le gouvernement a d'ailleurs décidé en 2001 de doubler en moyenne celles-ci. Par ailleurs, la décentralisation soulève plusieurs questions : sera-t-elle soutenue par le Parlement alors qu'elle affaiblit la place « millénaire » des départements ? Quelles seront les compétences et les ressources financières précises des régions et des micro-régions ? L'Etat saura-t-il instaurer un contrôle juridique et financier efficace des collectivités locales ?

La deuxième incertitude a trait à la surveillance des frontières et à la sécurité publique. La Hongrie, entourée de sept frontières, dont quatre extérieures à l'Union (avec la Croatie, la Yougoslavie, l'Ukraine et la Roumanie), va devoir, en vue de l'adhésion et de ses obligations au regard de la convention de Schengen, réviser sa politique de surveillance des frontières : les flux d'immigration irrégulière venant de ces pays (en particulier de Roumanie et d'Ukraine) sont substantiels, le dispositif de lutte contre le piratage et la contrefaçon est insuffisant et Budapest est considérée comme une plaque tournante importante pour le trafic des êtres humains. Le pays va, à cette fin, transférer une grande partie de ses effectifs (environ 1 000 fonctionnaires) de ses frontières Ouest vers ses frontières Est et Sud, ce qui n'est pas sans susciter des réticences de la part de ceux-ci. Mais il devra aussi continuer à contrôler sa frontière Ouest... Or, rien ne permet d'affirmer aujourd'hui qu'il disposera des moyens suffisants - tant en personnels qualifiés qu'en équipements - pour le faire.

La troisième incertitude porte sur la corruption, qui est en Hongrie, par différence avec certains autres pays de la zone, plutôt individuelle et circonscrite. Si l'Etat a déjà fait beaucoup d'efforts pour y remédier, ceux-ci doivent sans doute encore être poursuivis, notamment en matière de marchés publics.

L'avenir des Roms constitue une quatrième incertitude. Au nombre de 500 000, ils correspondent dans la société hongroise à une catégorie particulièrement pauvre, défavorisée, et confrontée à de multiples formes d'exclusion. Le gouvernement a certes adopté de nombreuses mesures pour y faire face - notamment dans le cadre du programme à moyen terme de 1997 - mais elles ne paraissent pas suffisantes. Il est d'ailleurs en train de revoir sa politique en la matière.

L'état de préparation au regard de la politique agricole commune soulève également des difficultés. On note en particulier que la mise en place des principaux instruments de gestion, tels que l'organisme payeur et le système intégré de gestion et de contrôle (SIGC) n'est pas encore effective. Par ailleurs, beaucoup de postes d'inspection frontaliers et d'abattoirs ne sont pas conformes aux normes communautaires. Une période de transition jusqu'au 1er janvier 2007 a d'ailleurs été prévue en conséquence.

Enfin, plusieurs pans de la réglementation nationale en faveur de la protection de l'environnement sont encore lacunaires, qu'il s'agisse de la question frontalière des eaux de bassin, du programme national de gestion des déchets, de la gestion des sites industriels abandonnés ou du traitement des huiles usagées, notamment.

En conclusion, le rapporteur a indiqué que la Hongrie s'avérait l'un des pays les mieux préparés à entrer dans l'Union. Si, de fait, des incertitudes demeurent, le dynamisme avec lequel ce pays a su se réformer jusqu'ici laisse penser qu'il saura leur apporter une solution. Aussi, est-il souhaitable, dans ces conditions, de soutenir l'entrée de la Hongrie dans l'Union européenne à partir du 1er mai 2004.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la Délégation a donné un avis favorable à l'adhésion de la Hongrie à l'Union européenne.

V. Examen d'un texte soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président René André, la Délégation a examiné, en point A, la proposition de décision du Conseil relative à la prise en charge par l'Etat italien et la région Sicile des dépenses complémentaires à celles établies au titre de la décision du Conseil du 22 juillet 1997 relative aux garanties fournies à titre personnel par des membres de coopératives agricoles en état d'insolvabilité établie (document E 2240).

Aucune observation n'ayant été formulée, la Délégation a approuvé ce texte.