Version PDF

DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 39

Réunion du mardi 8 avril 2003 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Examen des conclusions du rapport d'information de M. René André, sur l'élargissement de l'Union européenne

M. René André a rappelé que ses propositions de conclusions comportaient quatre points : approuvant l'adhésion des Dix ; soulignant l'urgence d'une réforme effective de l'administration et de la justice ; soutenant l'initiative de la Commission sur le nouveau voisinage de l'Union élargie ; appelant à construire une politique étrangère autonome, une politique de défense substantielle et un partenariat atlantique rééquilibré.

Il a indiqué qu'il avait intégré dans ses propositions de conclusions un certain nombre d'observations émises par les membres de la Délégation lors de la réunion du 2 avril, de la manière suivante :

- les suggestions de MM. Michel Delebarre et Michel Herbillon, pour souligner la dimension culturelle et les enjeux linguistiques de l'élargissement de l'Union européenne ainsi que le principe de diversité culturelle ;

- les inquiétudes de l'ensemble des membres de la Délégation sur les risques de délocalisation d'entreprises en raison des écarts du coût de la main-d'œuvre ;

- leur souci d'une gestion appropriée des flux migratoires ;

- le souhait de M. Jean-Claude Lefort de préciser que les partenariats avec les voisins concernaient l'Est et le pourtour méditerranéen.

M. François Guillaume a rappelé qu'il avait précédemment souligné l'intérêt d'un marché commun, tout à fait distinct d'une zone de libre-échange, et qu'il avait insisté pour que l'adhésion des dix nouveaux membres n'altère pas le principe de ce marché, la solidarité financière qui lui est attachée ni les politiques communes agricole et régionale.

M. René André a indiqué que le rapport défendait le maintien de ces principes et qu'il proposait une conception ambitieuse de l'Europe, fondée sur une union politique, totalement à l'opposé d'une réduction de l'Union européenne à une simple zone de libre-échange.

Le Président Pierre Lequiller ne s'est pas opposé au rappel de ces principes auxquels les nouveaux pays membres sont autant attachés que beaucoup d'Etats membres actuels.

M. René André a considéré qu'une référence au marché commun originel pourrait marquer une réticence par rapport à l'étape suivante du passage à l'union économique et monétaire.

M. François Guillaume a déclaré que les Etats-Unis allaient exercer une pression à l'Organisation mondiale du Commerce pour faire céder l'Union européenne sur la défense d'un véritable marché commun et de son agriculture.

La Délégation a adopté un nouveau point faisant état de cette préoccupation.

M. Jacques Myard s'est ensuite interrogé sur la notion de politique de défense « substantielle » qui pourrait être source de confusion.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que cette conception est défendue par la France et qu'elle est en train de progresser avec les propositions communes que la France, l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg vont présenter dans ce domaine le 29 avril. On a jusqu'à présent beaucoup parlé de défense commune, on va passer maintenant à un degré supérieur pour commencer à la mettre en œuvre.

La Délégation a ensuite adopté les conclusions proposées par le rapporteur, dans la rédaction suivante :

« La Délégation,

Vu les conclusions du Conseil européen de Copenhague des 12 et 13 décembre 2002 relatives à l'achèvement des négociations d'adhésion de Chypre, de l'Estonie, de la Hongrie, de la Lettonie, de la Lituanie, de Malte, de la Pologne, de la République tchèque, de la Slovaquie et de la Slovénie à l'Union européenne,

1. Approuve l'adhésion à l'Union européenne des dix pays candidats afin de refermer définitivement la parenthèse douloureuse de la division de l'Europe au XXème siècle, de bâtir ensemble non seulement une communauté d'intérêts, mais aussi une communauté de destin et de valeurs, et de réaliser ainsi, dans la force de son unité et le respect de sa diversité, les idéaux de paix, de prospérité et de justice de la démocratie européenne ;

2. Souligne que l'élargissement de l'Union européenne a aussi une dimension culturelle dans laquelle les enjeux linguistiques ne peuvent être ignorés ; considère que la première des libertés de circulation, celle des idées, doit reposer sur le principe de diversité culturelle, afin que la mondialisation ne devienne pas un processus d'effacement et d'uniformisation des cultures, en premier lieu en Europe ;

3. Prend acte des assurances de la Commission selon lesquelles les dix pays adhérents seront en mesure de remplir les critères économiques et d'assumer les obligations découlant de l'adhésion à partir de 2004 ; s'inquiète néanmoins des retards pris dans leur capacité à appliquer réellement l'acquis communautaire ; souligne que la réforme effective de l'administration et de la justice est une priorité absolue afin d'éviter qu'une multiplication des clauses de sauvegarde, indispensable pour pallier les effets de cette grave déficience, ne crée une coupure entre les opinions publiques, dommageable à l'intégration des pays adhérents ;

4. Rappelle son attachement au principe d'un marché unique, distinct d'une zone de libre-échange et fondé sur la solidarité financière et le développement des politiques communes agricole et régionale, au moment où des pressions vont s'exercer à l'Organisation mondiale du commerce pour que les membres de l'Union européenne élargie y renoncent ;

5. S'inquiète des risques de délocalisation d'entreprises en raison des écarts du coût de la main d'œuvre et rappelle que la concurrence doit s'exercer dans un marché unique homogène ne comportant pas de disparités fiscales et sociales excessives ;

6. Souligne l'importance d'une gestion appropriée des flux migratoires dans l'Union élargie et la nécessité de renforcer les capacités des nouveaux Etats membres pour garantir l'efficacité des politiques en matière d'immigration et de lutte contre l'immigration clandestine ;

7. Considère l'élargissement et les nouvelles relations de voisinage comme deux grands projets dont la réussite de l'un conditionne celle de l'autre ; soutient l'initiative de la Commission sur le nouveau voisinage de l'Union élargie, comme une première réponse, méritant d'être approfondie, à la nécessité de renforcer les partenariats avec ses voisins de l'Est et du pourtour méditerranéen ;

8. Appelle à construire un consensus entre Européens sur une politique étrangère autonome, une politique de défense substantielle et un partenariat atlantique rééquilibré, en vue de réaliser une union politique capable d'affirmer, à côté de son allié américain, la vision du monde d'un ensemble démocratique de quatre cent cinquante millions d'habitants. »

II. Examen du rapport d'information de M. François Guillaume, sur l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne

M. François Guillaume, rapporteur d'information, a indiqué à titre liminaire que son rapport aborde la question de l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne sous l'angle économique et social, les aspects politiques ayant déjà été largement évoqués par M. René André et le Président Pierre Lequiller à la suite de leurs déplacements respectifs.

Le rapporteur a indiqué qu'une large majorité de Polonais (60 %) déclare vouloir voter « oui » au référendum sur l'adhésion qui doit se tenir le 8 juin prochain, mais que le taux de participation à cette consultation constitue en revanche une inconnue. Pour que le référendum ait une portée contraignante, ce taux doit atteindre au minimum 50 % des électeurs. Or, dans le seul référendum organisé à ce jour, ce seuil n'a pas été atteint. Le Gouvernement polonais a donc fait adopter une loi permettant d'approuver l'adhésion par la voie parlementaire, mais cette approbation doit obtenir une majorité des deux tiers au sein des deux chambres du Parlement.

Le rapporteur a évoqué la situation économique et sociale de la Pologne, avant d'indiquer les efforts que la Pologne doit encore fournir en matière de reprise de l'acquis communautaire avant l'adhésion.

Il a rappelé en premier lieu que la Pologne est le plus grand pays du prochain élargissement : elle représente à elle seule la moitié de la population et du PIB des dix adhérents ainsi que les deux tiers de la surface agricole utile de la France. Elle pèsera sur le plan politique et institutionnel autant que l'Espagne, avec 27 voix au Conseil des ministres et 54 députés européens.

Sur le plan économique, la Pologne a connu le taux de croissance le plus élevé des pays d'Europe centrale et orientale de 1995 à 2000. 70% de son PIB et de ses emplois sont fournis par le secteur privé. Elle réalise 70 % de son commerce avec l'Union européenne et bénéficie de l'apport important de capitaux étrangers, la France étant le premier investisseur dans le pays. La situation économique actuelle est cependant dégradée, avec une croissance atone devant faire face à des taux d'intérêt élevés.

Sur le plan social, la Pologne va entrer dans l'Union en étant deux fois plus pauvre que ne l'était l'Espagne lorsque celle-ci a adhéré en 1986. Elle connaît un taux de chômage très élevé, de l'ordre de 18 %, et s'inquiète parfois de la mainmise des investisseurs étrangers sur certains secteurs. Elle manque cruellement d'infrastructures, en particulier dans le domaine des autoroutes, du téléphone et du logement.

En ce qui concerne la reprise de l'acquis, la Pologne a transposé 80 % de la législation communautaire, mais elle doit encore fournir d'importants efforts pour l'appliquer de manière effective. Les capacités administratives sont nettement insuffisantes dans plusieurs domaines sensibles, comme la justice et les affaires intérieures, l'agriculture, la sécurité alimentaire. Par ailleurs, la fonction publique, peu payée, est confrontée à un problème de corruption inquiétant.

Le rapporteur a cité plusieurs des points faibles auxquels il doit être remédié de manière urgente. En matière de sécurité des aliments, les laboratoires sont peu nombreux. En outre, 50 % des bovins seulement sont bouclés et la fiabilité du cadastre doit être améliorée. La Pologne n'a pas pu mettre en œuvre le système communautaire de gestion des aides agricoles, faute de moyens. S'agissant de la police, celle-ci doit renforcer ses effectifs pour lutter efficacement contre la criminalité organisée et la criminalité économique est en pleine augmentation. La surveillance de la frontière avec l'Ukraine pose par ailleurs une réelle difficulté politique, car l'exigence d'imposer des visas aux ressortissants ukrainiens se heurte à la réalité des liens familiaux et aux trafics de toute nature existant dans la région de la frontière.

La Pologne a obtenu trente-six périodes de transition pour la reprise de l'acquis communautaire. Elle bénéficie notamment d'une dérogation de douze ans en ce qui concerne l'achat de terres par les ressortissants communautaires. Ce point est capital pour la Pologne, la possession de la terre ayant historiquement servi de support au sentiment national dans un pays aux frontières longtemps bouleversées par l'histoire. D'autre part, 485 établissements de transformation de produits agricoles se sont vu accordés des périodes de transition.

De son côté, l'Union européenne, à la demande de l'Allemagne et de l'Autriche, inquiètes des afflux potentiels d'immigrants en provenance ou transitant par la Pologne, a imposé une période de sept ans avant que les salariés polonais ne bénéficient de la libre circulation des personnes.

Au total, le rapporteur a estimé que la Pologne a remarquablement négocié ses conditions d'adhésion, au point d'ailleurs de vouloir renégocier certaines d'entre elles lors de la rédaction du traité. Mais cette bonne capacité de négociation s'est doublée de choix contestables de politique étrangère, notamment quant à la décision d'acheter des F-16 américains, intervenue quelques jours après avoir obtenu un montant supplémentaire d'aides. Le rapporteur a souhaité rappeler à cette occasion la pertinence des propos tenus par le ministre des affaires étrangères de la France, selon lesquels l'Europe n'est pas qu'un simple « tiroir-caisse ».

Abordant le second point de son exposé, le rapporteur a présenté les enjeux de la problématique agricole.

Celle-ci est très importante pour un pays qui a toujours considéré le paysan comme la colonne vertébrale de la nation. Cette position économique et culturelle privilégiée a d'ailleurs empêché la collectivisation des terres à l'époque communiste, une situation unique parmi les pays adhérents.

A l'heure actuelle, l'agriculture emploie encore le quart de la population active et reste fortement handicapée par la structure morcelée des exploitations - 60 % d'entre elles ayant moins de 5 hectares - et l'existence de nombreuses fermes de semi-subsistance vivant de l'autoconsommation. Les prix relatifs des produits agricoles polonais sont en outre plus élevés que ceux des Quinze. De plus, la moindre qualité de ces derniers les rend peu attractifs pour les consommateurs de l'Union, tandis que les Polonais bénéficiant de moyens élevés préfèrent acheter des produits issus de l'Union. Il en résulte un déficit important de la balance commerciale agro-alimentaire et une tendance à la concentration des exportations polonaises sur le marché russe, relativement moins exigeant. Ce courant d'échanges entre la Pologne et la Russie présente un intérêt économique évident pour la future Union élargie, qu'il faut tâcher de préserver.

L'agriculture polonaise doit se restructurer. Or, le défi est immense, car il doit être relevé dans un contexte socio-économique qui n'est en rien comparable à celui des « Trente Glorieuses ». C'est la raison pour laquelle la réduction nécessaire du suremploi agricole devra être accompagnée par des mécanismes sociaux adaptés, permettant d'atténuer l'impact de la modernisation des structures agricoles.

Cette modernisation se fera aussi avec l'aide de l'Europe dans le cadre de l'introduction progressive des paiements directs de la PAC. Ces derniers pourront être abondés par un complément national, financé par des crédits issus du deuxième pilier de la PAC, jusqu'à ce que le seuil de 100 % des aides communautaires soit atteint en 2013.

En raison de l'incapacité de la Pologne à mettre en place un système de gestion intégré des aides, ces dernières seront versées sous la forme d'une prime à l'hectare découplée, le complément national étant quant à lui couplé à la production. La gestion de cette aide sera toutefois rendue problématique par l'état du cadastre.

En ce qui concerne le lait, la Pologne bénéficie d'un quota de base de 8,9 millions de tonnes, auquel s'ajoutent une réserve de restructuration et la possibilité de revoir la répartition entre les livraisons et les ventes directes.

Enfin, les exploitations de semi-subsistance polonaises pourront bénéficier d'une aide forfaitaire de 1250 euros par an, contre 1200 euros seulement pour celles des autres pays adhérents.

La Pologne dispose au total d'un vrai potentiel agricole, qui doit être relancé dans l'intérêt de l'Europe si cette dernière abandonne la double impasse du malthusianisme agricole et de la guerre de subventions avec les Etats-Unis pour se battre en faveur de la mise en place d'un système de régulation des échanges agricoles assurant la sécurité alimentaire de la planète. Il s'agit d'une optique de moyen et long terme, car avant de réaliser tout son potentiel agricole, la Pologne doit accroître de manière significative la productivité de ce secteur, ainsi que la qualité de ses aliments. Elle peut être aidée pour cela par les entreprises agro-alimentaires, notamment françaises, qui apportent tout leur savoir-faire dans ce domaine. Ce panorama de l'agriculture polonaise permet donc de constater qu'à court terme, celle-ci ne peut venir concurrencer nos propres productions.

En conclusion, le rapporteur a considéré qu'à trop vouloir décrier les conditions de son adhésion dans l'Union, la Pologne a pris le risque de créer un désenchantement de sa population à l'égard de cette échéance majeure. Or, la Pologne ne peut faire un autre choix que celui de l'intégration : elle ne peut commettre l'erreur de vouloir rester en dehors de l'Union, pour se trouver seule face aux blocs communautaire, russe et américain. Ce point fondamental incite à l'optimisme quant à l'issue du référendum, même si la surenchère politico-syndicale actuelle et le défaut de connaissance des avantages des mécanismes européens rendent la campagne en faveur de l'adhésion difficile.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé l'importance politique de l'adhésion de la Pologne avant de proposer que des rencontres parlementaires aient lieu dans le cadre du Triangle de Weimar, qui institue un dialogue régulier entre l'Allemagne, la France et la Pologne. L'intégration de ce pays suscite quelques inquiétudes en raison de sa taille et des graves problèmes sociaux que posent un chômage élevé et un important suremploi agricole. Mais elle est indispensable à la nouvelle l'Europe.

M. Marc Laffineur a observé que les analyses du rapporteur tendent à montrer que les agriculteurs français ont moins à craindre l'élargissement que les agriculteurs polonais, ceux-ci étant de fait moins compétitifs. Il a souhaité que le rapporteur confirme l'exactitude de cette conclusion et connaître par ailleurs les arguments avancés par les Polonais pour justifier l'achat des F-16.

Le Président Pierre Lequiller a noté que cette compétitivité dont bénéficie l'agriculture française s'est déjà vérifiée au moment de la baisse des droits de douane communautaires appliqués aux produits agricoles polonais.

M. Jacques Floch a estimé que les aspects économiques de l'adhésion de la Pologne sont importants, mais qu'il ne faut pas pour autant négliger certaines questions politiques essentielles. L'Europe a déjà su gérer les conséquences économiques de l'intégration d'un pays au niveau de vie moins élevé et doté d'un secteur agricole non négligeable en s'élargissant à l'Espagne. Elle peut donc relever ce défi une deuxième fois. En revanche, le défi politique que représente l'intégration d'un pays très attaché à la religion catholique ne peut être ignoré, d'autant que les représentants de la Pologne à la Convention ont souhaité faire reconnaître l'héritage religieux dans le cadre de la future Constitution de l'Union. M. Jacques Floch a rappelé à cet égard que la Pologne a obtenu que soit annexée au traité d'adhésion une déclaration appelant au plein respect de sa souveraineté s'agissant du traitement légal des « questions de portée morale » ainsi que « celles liées à la protection de la vie humaine ». A l'inverse, les représentants de la France à la Convention ont souhaité que dans ce domaine, l'Union s'en tienne à la référence inscrite dans le texte de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Le Président Pierre Lequiller, évoquant les tentatives d'introduire l'idée de Dieu dans la Constitution européenne, de la part de certains pays, comme l'Espagne et l'Italie, a estimé qu'une correspondance pouvait être décelée avec leur alignement sur les Etats-Unis et leur position manichéenne dans le conflit irakien, à la différence de l'Allemagne dont la Loi fondamentale comprend pourtant une référence à Dieu.

M. Marc Laffineur a contesté cette analyse, soutenant que le Pape, favorable à la référence dans la Constitution européenne de l'héritage chrétien de l'Europe, était opposé à la guerre en Irak.

Le rapporteur a apporté les éléments de réponse suivants :

- il est vrai que dans l'immédiat, l'entrée de la Pologne ne représente pas un grand danger pour les agriculteurs français. Elle doit tout d'abord se restructurer pour devenir réellement compétitive, ce qui prendra du temps. Il reste que l'Europe a tout intérêt à assurer la relance de l'agriculture polonaise dans un nouveau cadre de régulation des échanges agricoles, qui permette enfin de faire face au défi de la sécurité alimentaire de la planète. Pour atteindre cet objectif, il faut doubler la production agricole dans les vingt-cinq prochaines années ;

- le choix des F-16 est motivé par les avantages industriels attachés à l'offre des Etats-Unis. Si ces conditions ne sont pas remplies, la Pologne pourrait fort bien se tourner vers les constructeurs suédois d'abord, puis français pour bénéficier d'une offre plus avantageuse ;

- le débat sur la référence à Dieu et à l'héritage judéo-chrétien dans des Etats tels que la Pologne et la Bulgarie est lié au rôle de pôle de résistance que l'Eglise a joué sous le régime communiste, ce qui conduit encore l'opinion publique à y voir une institution solide ;

- la coalition politique actuelle souffre d'être à géométrie variable, compte tenu du départ du parti paysan. Cette évolution est d'autant plus préoccupante que ce parti est confronté à l'hostilité de ses adhérents à l'Union européenne. Tout aussi inquiétante est la perte d'influence de Solidarnosc rural, alors que ce parti était un rempart aux dérives de la Pologne.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la Délégation a donné un avis favorable à l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne.

III. Examen du rapport d'information de M. Nicolas
Dupont-Aignan sur l'adhésion de la République tchèque à l'Union européenne

M. Nicolas Dupont-Aignan, rapporteur d'information, a indiqué que la mission qui l'a conduit en République tchèque du 11 au 13 mars 2003 lui a permis de rencontrer de nombreux responsables politiques et administratifs tchèques dont, notamment, le président de la commission des affaires étrangères de la Chambre des députés et le président de la commission pour l'intégration européenne du Sénat. Il ressort de cette mission une volonté manifeste des autorités tchèques d'entrer dans l'Union européenne et de remplir les conditions d'adhésion. D'ailleurs, 60 % de la population tchèque y serait également favorable, dans la perspective du référendum d'adhésion des 15 et 16 juin prochains. En outre, le rapporteur a noté la difficulté, souvent, de disposer d'une évaluation précise de la situation, c'est-à-dire d'une appréciation détaillée de la mise en œuvre des mesures réglementaires prises et de leur efficacité concrète. Il a constaté une certaine réticence des autorités tchèques à accepter une tutelle trop étroite de l'Union européenne, ne serait-ce qu'en raison de leur volonté de ne pas retomber, après 40 ans d'autoritarisme soviétique, sous l'emprise d'un nouveau joug contraignant.

Le rapporteur a indiqué que la République tchèque se révélait l'un des pays adhérents les plus aptes à intégrer l'Union européenne, que ce soit du point de vue politique, économique ou juridique.

Dans le domaine politique, il a souligné l'évolution positive qu'a connue le pays. Il a rappelé que la Commission européenne constatait que la République tchèque satisfaisait aux conditions politiques d'adhésion et avait fait des progrès considérables pour renforcer la démocratie et le respect des droits de l'homme. Force est d'ailleurs d'observer que, depuis la « révolution de velours » en 1989, le pays connaît un régime politique stable, rythmé par des élections démocratiques régulières. Parmi les mesures prises au cours des dernières années, on note en particulier deux grandes réformes administratives. En premier lieu, celle de la fonction publique, qui repose sur une loi offrant aux fonctionnaires un statut juridique stable. Deuxièmement, une vaste décentralisation, fondée sur la création de huit régions et deux cent cinq communes à compétences renforcées. Celles-ci se sont vu - et doivent continuer à se voir - transférer de nouvelles compétences de l'Etat (en particulier en matière d'éducation, de culture, d'assistance sociale, de santé, de transports et de développement régional) et bénéficier en conséquence de dotations nouvelles et de recettes fiscales propres. Par ailleurs, la réforme de l'ordre judiciaire s'est poursuivie - avec l'élaboration d'un nouveau code de procédure criminelle et la création de l'Académie de justice notamment - et le pays a accentué sa politique de lutte contre la corruption et le crime économique.

En matière économique, l'état de préparation de la République tchèque répond également aux conditions d'adhésion, comme le montrent les travaux de la Commission. En effet, le pays enregistre l'un des taux de PIB par habitant les plus élevés des pays adhérents et présente de nombreux atouts : sa proximité avec l'Union européenne, des équipements publics de qualité, une qualification professionnelle élevée, une bonne cohésion sociale, un flux d'investissements extérieurs substantiel, un coût de main-d'œuvre compétitif - qui peut, d'ailleurs, être un facteur de délocalisation pour certaines entreprises françaises - et la présence de beaucoup d'entrepreneurs dynamiques. La République tchèque bénéficie également d'un taux de croissance important (3 % en moyenne depuis 2000) et d'un taux d'inflation relativement modéré (3,9 % en 2002).

S'agissant des aspects juridiques, le pays s'est, pour l'essentiel, conformé - ou est sur le point de le faire - à l'acquis communautaire. Et ce, même si sa réglementation doit évoluer sur certains points ponctuels (comme le régime de la TVA et des droits d'accises ou la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles) ou dans certains domaines (tels que la liberté de circulation des personnes ou la liberté d'installation). Il a poursuivi ses réformes dans la plupart des domaines, notamment les services financiers, la législation phytosanitaire, les transports routiers, la politique sociale, l'environnement ainsi que la justice et les affaires intérieures.

Malgré ce bilan d'ensemble positif, le pays reste cependant confronté à plusieurs défis majeurs, d'ordre politique ou économique.

D'abord, la reconstruction de l'Etat et la réussite de la décentralisation. La République tchèque doit, comme la plupart des pays adhérents, faire face à un problème de capacités administratives, et ce en dépit des efforts considérables qu'elle a déjà consentis. Il en est ainsi notamment dans le domaine de l'agriculture, de l'environnement, de la politique régionale, du contrôle financier et de la justice et des affaires intérieures. Le passage, en à peine treize ans, d'un régime autoritaire à une démocratie à économie de marché et la mise en conformité de la réglementation nationale avec la loi communautaire exigent des moyens administratifs importants, que le pays n'est pas toujours en mesure de fournir. Il s'agit tout autant d'un problème quantitatif (touchant à la fois le nombre des agents publics et celui des moyens d'équipement) que d'un problème qualitatif : la difficulté à disposer d'effectifs formés et de qualité, en particulier dans les secteurs réglementaires nouveaux. Le faible niveau des rémunérations des fonctionnaires, en limitant l'attractivité de la fonction publique, explique pour une large part cet état de fait.

En outre, le gouvernement ne dispose pas de véritable pouvoir réglementaire autonome, ce qui se traduit par le rallongement du processus de décision et la complexité des lois. Enfin, la décentralisation soulève encore plusieurs incertitudes, tenant notamment aux compétences futures respectives de l'Etat, des régions, des districts, des communes à compétences renforcées et des communes, ainsi qu'à leurs ressources financières et au fonctionnement du contrôle de légalité et du contrôle financier des collectivités locales.

Le deuxième défi concerne le fonctionnement de la justice, qui souffre également d'un manque de moyens quantitatif et qualitatif. De plus, le mode de promotion des magistrats est critiqué par certains, qui le jugent trop corporatiste et insuffisamment fondé sur des critères objectifs et transparents de qualité et d'efficacité. Des cas de corruption de magistrats ont également été signalés, en particulier dans le domaine de la justice financière et commerciale. On déplore aussi des délais excessifs de jugement (la moyenne allant de un à deux ans selon les tribunaux), largement liés au caractère complexe et coûteux des procédures judiciaires, qu'il est envisagé de simplifier. De même, la loi sur les faillites est jugée lacunaire par beaucoup, n'assurant pas suffisamment de garanties aux différentes parties intéressées et freinant l'activité économique.

Le troisième défi réside dans la lutte contre la corruption, qui, bien que souvent difficile à prouver et à quantifier, a été attestée par la plupart des interlocuteurs. La réglementation des marchés publics, qui n'est pas encore totalement mise en conformité, peut donner lieu à des versements occultes. Quant aux dispositions prises pour lutter contre le blanchiment des capitaux et la criminalité organisée, leur mise en œuvre est jugée encore insuffisante.

Quatrième défi : la sécurité sanitaire. Même si la réglementation tchèque est très avancée en la matière, la Commission observe des lacunes dans la législation vétérinaire. Corollairement, peu d'entreprises agro-alimentaires seraient aujourd'hui en conformité avec les exigences communautaires (vingt neuf seulement pour la production de lait et vingt neuf également pour la production de viande). La République tchèque a d'ailleurs obtenu une période transitoire jusqu'au 31 décembre 2006 pour permettre à cinquante six établissements de transformation de produits animaux de s'aligner sur la réglementation vétérinaire communautaire. Cela étant, aucune grave maladie n'aurait été à ce jour constatée.

La protection de l'environnement fait l'objet d'un autre défi. En effet, la mise en œuvre des normes dans le domaine de la qualité de l'eau, des déchets, de la protection de la nature ou de la pollution industrielle doit être achevée.

Enfin, le pays va devoir remédier à certaines fragilités économiques. En premier lieu, un niveau de déficit budgétaire élevé (9 % du PIB en 2002). D'autre part, une forte dépendance vis-à-vis de l'extérieur, comme le montre, par exemple, la cession des trois principales banques du pays à des sociétés étrangères.

Le rapporteur a estimé, en conclusion, que le dynamisme manifesté par la République tchèque pour se réformer devrait lui permettre d'apporter une réponse satisfaisante à ces défis. Il y a lieu, dans ces conditions, de soutenir son entrée dans l'Union européenne.

Cela étant, si, de manière plus générale, l'élargissement constitue à la fois un devoir moral et une chance, son succès est conditionné, au-delà de la satisfaction des conditions d'adhésion, par la réussite de la réforme des institutions communautaires. Enfin, il est souhaitable que la France saisisse cet événement historique pour renforcer ses liens avec les pays d'Europe centrale et orientale, où l'Allemagne, les Etats-Unis et le Royaume-Uni sont souvent plus présents et mieux organisés. Ce serait particulièrement justifié avec la République tchèque, avec laquelle notre pays entretient des relations d'amitié traditionnelles.

M. Marc Laffineur a demandé si les prélèvements obligatoires étaient élevés. Il a souligné, par ailleurs, que les industriels français étaient non seulement présents dans ce pays, mais également performants.

Le rapporteur a répondu que les dépenses publiques étaient importantes et le niveau des prélèvements obligatoires relativement élevé. Il a précisé que le manque d'Etat concernait moins le niveau des dépenses que les prérogatives régaliennes et le défaut de règles et de structures administratives adéquates. Il a ajouté que la bonne présence économique française actuelle résultait d'un investissement relativement récent. Il a observé, à cet égard, que le développement du tissu industriel tchèque était tributaire de l'action des investisseurs et des banques et qu'il présentait pour les chambres de commerce françaises des perspectives particulièrement intéressantes.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la Délégation a donné un avis favorable à l'adhésion de la République tchèque à l'Union européenne.

IV. Examen du rapport d'information de M. Alfred Almont, sur l'adhésion de la Lettonie à l'Union européenne

Appelé à s'assurer que la Lettonie est prête à devenir un membre à part entière de l'Union européenne, M. Alfred Almont, rapporteur d'information, s'est rendu les 11 et 13 mars derniers à Riga. Cette mission, qui a bénéficié d'une importante couverture de presse, lui a permis de rencontrer la Présidente de la République et la plupart des responsables politiques.

M. Alfred Almont a rappelé que l'histoire de la Lettonie est marquée par les occupations et les invasions des ses puissants voisins. La Lettonie n'a retrouvé son indépendance qu'en 1991, après de violents conflits armés dont Riga porte encore les traces. L'aspiration du peuple letton à la liberté est nourrie du souvenir des épreuves vécues par toute une génération. Elle s'appuie également sur un fort sentiment national, qui explique aujourd'hui les réticences d'une partie de la population vis-à-vis de l'Union européenne. Le courage et le dynamisme des Lettons leur ont permis toutefois de surmonter bien des difficultés et de réaliser en douze ans des progrès spectaculaires. La jeunesse et le sérieux de ses dirigeants, qui ont pour la plupart moins de quarante ans, seront un atout précieux pour l'Union européenne.

M. Alfred Almont a décrit la situation politique de la Lettonie, désormais stabilisée. Le Parlement monocaméral, la SAEIMA, dispose de pouvoirs étendus y compris en matière de relations internationales. Le chef de l'Etat est élu par la SAEIMA. Le mandat de la Présidente arrivant à échéance en juin prochain, Mme Vike Freiberga a fait connaître son intention de se représenter. Elle semble bien placée pour l'emporter, mais il est à noter que si son profond engagement européen ne fait aucun doute, elle apporte également son soutien à la position américaine sur l'Irak, alors que la majorité de l'opinion lettonne et des membres de la SAEIMA sont hostiles à l'intervention militaire des Etats-Unis.

Le nouveau gouvernement de centre-droit est dirigé par M. Repse, ancien gouverneur de la Banque centrale. Il privilégie la lutte contre la corruption et l'intégration sociale des minorités.

La Lettonie est en effet celui des trois Etats baltes dont la structure démographique a été la plus modifiée du fait de l'annexion soviétique. 530 000 non citoyens sont devenus apatrides à la disparition de l'URSS. Malgré la simplification des procédures de naturalisation, la loi sur l'éducation de 1998, qui impose l'enseignement en letton dans le secondaire, est critiquée, car elle semble traduire la volonté du gouvernement de faire du letton une langue unique officielle.

La Lettonie a poursuivi la réforme de l'administration publique. Néanmoins, l'insuffisance des capacités administratives constitue un handicap majeur. C'est notamment le cas dans le domaine fiscal et dans la gestion des fonds structurels. De gros progrès sont encore nécessaires pour renforcer l'indépendance, l'efficacité et la qualité du système judiciaire.

La Lettonie a mené depuis quelques années une politique économique d'inspiration libérale, qui a permis au pays de ne subir que modérément la crise russe, et de bénéficier d'un taux de croissance exceptionnel. Le taux de chômage élevé et le niveau insuffisant des salaires constituent les principales difficultés. On ne peut que déplorer la faible part de marché de la France, qui n'est que le onzième client et le douzième fournisseur de la Lettonie.

En ce qui concerne l'agriculture, les demandes des Lettons sont en partie satisfaites en matière de quotas sucriers et laitiers. La Lettonie a modernisé ses structures administratives en créant un véritable service vétérinaire et alimentaire.

Tous les responsables politiques lettons souhaitent mettre fin au décalage entre la qualité du dialogue politique entre la France et la Lettonie et l'insuffisance de la présence française. Ils sont très intéressés par un transfert d'expériences et par une politique de coopération décentralisée, notamment dans les domaines agricole, scientifique et éducatif.

La Lettonie s'ouvre aujourd'hui sur le monde tout en cherchant à préserver son identité et à garantir sa sécurité. Pour Riga, l'adhésion à l'OTAN constitue une priorité de politique étrangère depuis 1991. Elle vise à mettre un point final aux conséquences de la seconde guerre mondiale et à réunifier le continent. Cette adhésion répond au sentiment d'insécurité que continuent à ressentir de nombreux Lettons, qui ont une perception aiguë de la menace russe.

Le soutien accru de l'opinion à l'adhésion à l'Union européenne se traduit dans la presse, qui consacre une place de plus en plus importante à l'information sur l'Europe, et dans les sondages, qui montrent la progression du « oui » (52 % aujourd'hui contre seulement 46 % à la fin de 2002). Le Premier ministre prépare activement la campagne référendaire du 20 septembre prochain. Il semble que le soutien sera total lorsque les Lettons auront pris conscience que l'adhésion à l'Union européenne n'est pas exclusive du respect de la diversité des cultures et des traditions, mais que bien au contraire l'Europe protège et renforce les identités nationales et régionales.

En conclusion, M. Alfred Almont a donné un avis très favorable à l'adhésion de la Lettonie à l'Union européenne. La Lettonie est désormais prête à rejoindre une Europe dont le droit, les principes et les valeurs démocratiques sont identiques aux siens. Elle respecte déjà globalement les engagements pris dans le cadre des négociations d'adhésion.

En réponse au Président Pierre Lequiller, M. Alfred Almont a expliqué que le Parlement letton, la SAEIMA, ne partageait pas le point de vue de la présidente et du gouvernement sur l'Irak. La présidente de la commission des affaires étrangères a souligné que la position de la SAEIMA sur la nécessité de respecter le rôle prééminent de l'ONU coïncide avec celle de la France, et que seule la SAEIMA peut autoriser l'envoi de troupes.

M. Alfred Almont a ajouté que les autorités lettones lui étaient apparues par ailleurs très favorables au renforcement de l'Europe de la défense.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la Délégation a donné un avis favorable à l'adhésion de la Lettonie à l'Union européenne.

V. Examen du rapport d'information de M. René André, sur l'adhésion de la Lituanie à l'Union européenne

M. René André, rapporteur d'information, a souligné que la Lituanie était autant attachée à son amitié avec les Etats-Unis qu'à son entrée dans l'OTAN et l'Union européenne. Mais le nouveau chef de l'Etat souhaite aussi nouer des relations plus dynamiques avec la Russie, l'Ukraine et la Biélorussie.

Il a expliqué que les deux dossiers les plus délicats sont d'une part le démantèlement de la centrale nucléaire d'Ignalina et l'enclave de Kaliningrad.

Demandée par l'Union européenne pour des raisons de sécurité, les réacteurs étant identiques à ceux de Tchernobyl, la fermeture de la centrale d'Ignalina pose à Vilnius un problème de coût et d'indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. Le gouvernement s'est toutefois engagé à fermer l'unité 1 avant 2005 et l'unité 2 avant 2009. Lors du Conseil européen de Bruxelles des 24 et 25 octobre 2002, un soutien financier additionnel de 30 millions d'euros pour la fermeture de la centrale d'Ignalina a été décidé.

La Lituanie s'inquiète également des conséquences de la situation enclavée de l'oblast de Kaliningrad, sous l'angle de la libre circulation des personnes et des biens.

Dans la perspective de l'adhésion à l'Union européenne, la Lituanie s'est engagée à mettre en œuvre l'acquis communautaire, notamment l'obligation de visas pour les ressortissants des pays tiers. Elle souhaite que Schengen s'applique, tout Schengen, mais rien que Schengen. Le sommet Union européenne-Russie de Copenhague, le 11 novembre 2002, a permis de trouver un compromis, même si sa mise en œuvre se heurte encore à quelques difficultés techniques. Des documents permettant un passage multiple seront mis en service, en attendant un futur train à grande vitesse.

En conclusion, M. René André a jugé que la Lituanie est prête à intégrer l'Union européenne sans difficultés majeures. Même le volet agricole ne suscite plus de véritables préoccupations, l'Union européenne se contentant de veiller à ce que la Lituanie applique strictement les normes en matière de contrôle phytosanitaire et vétérinaire.

Les autorités lituaniennes sont globalement satisfaites, estimant avoir obtenu les meilleures conditions d'adhésion. Les sondages situent à 68 % le taux du soutien populaire à l'adhésion, ce qui est sensiblement plus élevé qu'en Estonie et en Lettonie.

Aujourd'hui, le gouvernement s'efforce de consolider ce soutien et de préparer le référendum du 11 mai prochain. M. René André a précisé qu'il se rendrait en Lituanie les 14 et 15 avril prochains.

M. Jacques Myard a estimé qu'à travers les pays baltes, était posé le problème des relations futures entre l'Union européenne et la Russie. Il va être nécessaire d'aménager les dispositions trop théoriques relatives à la libre circulation des personnes et des biens, de renforcer les frontières extérieures avec la Russie et l'Ukraine, et de rétablir certains contrôles internes à l'Union.

Après avoir approuvé les observations de M. Jacques Myard, M. René André a rappelé la demande de la Russie d'une libre circulation entre Kaliningrad et Moscou.

M. Jacques Floch s'est félicité de l'entrée dans l'Union européenne de pays qui ont rarement été indépendants dans leur histoire. Il est toutefois regrettable qu'ils donnent le sentiment d'accepter l'Europe pour ce qu'elle peut leur apporter sur le plan économique, tout en restant très proches des Etats-Unis pour leur politique étrangère et de défense. Les dirigeants actuels des pays baltes sont souvent des enfants d'anciens réfugiés aux Etats-Unis et ils ont bénéficié de bourses d'études des Etats-Unis. Or, les Français ont un rôle particulier à jouer auprès des pays baltes, et ils devraient accroître leur présence économique, culturelle et diplomatique.

Le Président Pierre Lequiller, évoquant des souvenirs personnels de l'indépendance de la Lituanie, a estimé que l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale constitue un acte politique majeur. Il n'y a pas lieu d'être pessimistes sur la réelle volonté de ces pays de rejoindre l'Union européenne. La crainte de leur voisin russe les amène à se rapprocher des Etats-Unis pour assurer leur sécurité. Le jour où l'Europe se dotera d'une défense crédible, cette attitude sera susceptible d'évoluer.

M. Christian Philip a souhaité obtenir quelques précisions sur l'état de l'opinion publique.

M. René André a jugé que la France avait commis l'erreur de ne pas être plus proche des pays baltes. Ainsi, certaines initiatives diplomatiques récentes de Vilnius auraient sans doute pu être évitées.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la Délégation a donné un avis favorable à l'adhésion de la Lituanie à l'Union européenne.

VI. Examen du rapport d'information de M. Jacques Floch, sur l'adhésion de Malte à l'Union européenne

M. Jacques Floch, rapporteur d'information, a constaté que Malte avait voté en faveur de l'adhésion à une majorité supérieure à 53 %, ce qui constitue un résultat sans équivoque. Il a indiqué qu'il n'avait pu se déplacer dans l'île en pleine campagne référendaire et qu'il avait espéré s'y rendre dès le lendemain de la consultation, projet finalement contrarié par la convocation des élections législatives. Du fait de son caractère officiel, sa visite aurait en effet pu sembler apporter un appui à certaines des forces engagées dans la campagne. Il a annoncé qu'il se rendrait donc à Malte après les élections législatives, des échanges de vue paraissant particulièrement nécessaires, d'un côté comme de l'autre.

Malte compte 368 000 habitants, ce qui représente environ 0,5 % de la population française. Elle détiendra pourtant l'équivalent de 20 % des voix de la France au Conseil. Cette sur-représentation peut suggérer des idées d'indépendance politique aux autres grandes îles de la Méditerranée, qu'il s'agisse de la Sicile, de la Sardaigne, des îles espagnoles, voire de la Corse. Elles pourront en effet être tentées d'obtenir une représentation équivalente.

Son histoire fait du peuple maltais l'un de ces peuples européens qui ont eu à souffrir de l'importance des différentes puissances occidentales, grecque, romaine, puis croisée, avant de connaître la domination anglaise qui en faisait une étape, à la suite de Gibraltar, sur la route vers le Moyen-Orient. L'île n'a acquis son indépendance qu'en 1964, son organisation politique restant marquée par le système britannique bipartisan qui se trouve reproduit dans l'île. S'ajoute à cela que les querelles politiques sont forcément à Malte des « querelles de clocher », puisque chacun se connaît et identifie d'emblée l'appartenance politique de ses interlocuteurs.

Les élections sont remportées avec un écart de voix souvent inférieur à 1 %, de sorte que la majorité de plus de 53 % qui s'est dégagée lors du référendum apparaît comme un chiffre exceptionnel, quoiqu'il ait été remis en cause par un artifice comptable consistant à le rapporter à l'ensemble du corps électoral, pour conclure qu'il ne représente pas plus de 50 % de la population. Les résultats du référendum pourraient être remis en cause si les élections législatives devaient amener une autre majorité au parlement maltais. La situation à cet égard n'est pas sans analogie avec celle du Royaume-Uni d'il y a trente ans, les travaillistes maltais prétendant qu'ils renégocieront les conditions d'adhésion. Interrogé par le rapporteur, le Président Romano Prodi a cependant déclaré récemment devant la Délégation qu'il n'en était aucunement question, l'île devant choisir entre l'adhésion pure et simple ou l'appartenance au « cercle des amis ». Au reste, dans la campagne en cours, les travaillistes maltais paraissent atténuer leurs déclarations antérieures.

Une partie des réticences de l'opinion maltaise paraît avoir pour origine le travail d'une presse britannique, pas toujours très indulgente avec l'Europe. Or elle est largement lue dans une île où l'anglais est l'une des deux langues officielles, la population étant majoritairement bilingue. L'opposition à l'idée européenne se nourrit aussi de la crainte que de richissimes habitants du Nord, comme des Norvégiens ou des Suédois, ne soient tentés de venir profiter du soleil maltais en provoquant une spéculation foncière, alors que le littoral de l'île est déjà très construit, la densité démographique s'y élevant à 1 200 habitants au kilomètre carré. Devant les peurs d'un possible accaparement, les négociateurs maltais ont obtenu que soit maintenue pour dix ans encore l'interdiction faite aux étrangers d'acquérir une résidence dans l'île.

D'une manière générale, l'adhésion a été bien négociée. L'agriculture, assez petite à l'échelle de l'Union européenne, a posé moins de problèmes que la question de la flotte maltaise, la cinquième du monde. Le pavillon maltais a en effet longtemps été un pavillon d'emprunt sous lequel se retrouvent des bâtiments disparates. L'affaire de l'Erika, qui était l'un d'entre eux, a incité les autorités de l'île à mettre bon ordre au sein de leur flotte marchande, la France étant particulièrement associée à ce travail par l'appui technique qu'elle prête. Le secteur de la construction et de la réparation navale représente aujourd'hui encore 28 % du PIB de l'île, ce qui donne la mesure du problème.

Un autre point à aborder est celui de l'île de Gozo, située au Nord-Ouest de Malte et dont les revenus sont assez faibles, le PIB n'y atteignant que 70 % de la moyenne nationale, certes comparable à celle de la Grèce ou du Portugal. Sa situation pourrait rendre l'île de Gozo éligible à des aides particulières.

Quant au problème de la langue, il a trouvé une solution coûteuse. Le maltais est une langue sémitique qui s'écrit en caractères romains ; il a connu peu d'évolutions, à l'instar du Corse. Il a besoin aujourd'hui d'intégrer le vocabulaire scientifique moderne, de manière volontariste, l'île étant cependant dépourvue d'une institution comparable à l'Académie. Cette langue deviendra néanmoins langue officielle de l'Union européenne, ce qui signifie l'embauche immédiate de 180 traducteurs et interprètes, alors même que le gaélique et le luxembourgeois, langues officielles nationales, ne sont pas langues officielles de l'Union européenne.

Le pays a également réussi à préserver sa neutralité, qu'il a réaffirmée dans une déclaration annexée au traité. Sa position géographique présente l'intérêt de pouvoir faciliter à l'avenir les relations avec les pays d'Afrique du Nord, la Tunisie mais aussi la Libye.

Cette adhésion ne posant pas de problème à la France, le rapporteur recommande à la Délégation de l'approuver.

Le Président Pierre Lequiller a souligné que Malte constituait l'exemple singulier d'un pays qui enverrait un commissaire siéger à Bruxelles, au même titre que la France, alors qu'il ne représente qu'un tiers du département des Yvelines par sa population.

M. Jacques Floch a alors repris l'idée que cela ne pouvait que favoriser le développement de tendances autonomistes sardes, siciliennes, voire corses. Il a ensuite fait écho aux pronostics qui donnent les conservateurs maltais vainqueurs aux prochaines élections.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la Délégation a donné un avis favorable à l'adhésion de Malte à l'Union européenne.

VII. Examen du rapport d'information de M. Jean-Pierre Abelin, sur l'adhésion de la Slovaquie à l'Union européenne

M. Jean-Pierre Abelin, rapporteur d'information, a exposé comment son déplacement de deux jours en Slovaquie, les 19 et 20 mars, avait coïncidé avec la dernière veillée d'armes et l'ouverture des hostilités en Irak, sujet qu'il a abordé avec les présidents de commission et les ministres qu'il a rencontrés à un rythme soutenu durant son bref séjour.

La Slovaquie paraît ressentir le besoin de tisser des liens plus étroits avec l'extérieur car elle demeure trop peu informée du mode de fonctionnement de l'Europe, par exemple du Parlement européen. L'actuelle commission pour l'intégration européenne devra créer ses propres procédures de contrôle du gouvernement national et paraît réceptive aux conseils extérieurs visant à l'aider dans cette tâche. D'une manière générale, les négociations d'adhésion ont multiplié les discussions techniques, là où des discussions de nature plus politique étaient sans doute attendues.

Rejoignant l'analyse portée par M. Nicolas Dupont-Aignan sur la République tchèque, le rapporteur a souligné le chemin parcouru en moins de quinze ans. Autrefois région d'une république dirigée principalement par des communistes tchèques, si l'on fait exception de l'épisode Dubček, à l'issue au demeurant malheureuse, le pays a su réaliser une séparation à l'amiable en 1993, les relations actuelles avec la République tchèque étant excellentes. Les deux voisins parlent des langues très proches, quoique les jeunes Slovaques comprennent moins bien désormais certaines tournures et expressions particulières au tchèque. La Slovaquie a su construire un Etat indépendant, avec une administration autonome, une stabilisation de son régime, une reconversion de son économie ainsi qu'une intégration de l'acquis communautaire en cinq ans.

Le chemin de l'adhésion a pourtant été sinueux. Le 1er juillet 1997, la Commission donnait un premier avis positif sur la candidature slovaque. Puis la période du gouvernement de Vladimir Meciar a fait rétrograder le pays dans le second groupe de candidats, avant qu'en septembre 1998, une victoire électorale amène au pouvoir un gouvernement libéral avec des méthodes nouvelles. Cette majorité élue en 1998 s'est trouvée confirmée et même renforcée par les élections de septembre 2002, le parti de Vladimir Meciar perdant toujours davantage d'audience dans le pays.

Le prochain référendum paraît donc sans surprise, une majorité de 70 % de « oui » étant annoncée pour la consultation des 16 et 17 mai. L'ensemble des forces politiques militant en faveur de l'adhésion, le seul problème en suspens est celui de la participation, la Constitution imposant, comme en Pologne, un quorum de 50 % du corps électoral pour que le résultat soit validé.

Dans le domaine économique, le rattrapage à faire sera plus important qu'en République tchèque, où le PIB atteint déjà 70 % de la moyenne communautaire. En Slovaquie, ce chiffre ne s'élève qu'à 45 %. Encore recouvre-t-il des disparités régionales considérables, l'est du pays se situant très en deçà de cette moyenne de 45 %. Tandis que la région de Bratislava, desservie par l'aéroport de Vienne, évolue à peu près dans la moyenne communautaire de richesse par habitant, le PIB de l'une des provinces orientales n'en est qu'à 29 %.

Cela fait ressortir l'importance de l'une des deux observations formulées par la Commission européenne à propos de l'absorption future des fonds européens. Pour répondre au défi des inégalités territoriales, un plan national de développement régional a été adopté. D'autres méthodes de travail seront néanmoins nécessaires pour le mettre en place, la coordination interministérielle restant trop peu développée alors même que c'est l'Etat central - comme il est normal vu les dimensions du pays - qui pilotera la gestion des fonds.

Deux lois successives ont cependant été adoptées en matière de décentralisation, donnant naissance à des régions autonomes. En 2001, ces collectivités ont été en grande partie gagnées par l'opposition. L'administration centrale, peu rodée aux techniques communautaires, trouvera donc en face d'elle des collectivités complètement nouvelles et gérées par l'opposition.

La Slovaquie devrait recevoir un peu plus de 1 800 millions d'euros de l'Union européenne, le gros de ces fonds étant transféré au titre de la politique régionale. Cela signifie qu'en prenant du retard dans sa mise en œuvre, le pays pourrait devenir débiteur net des institutions européennes, en étant contributeur net à leur budget, ce qui ne manquerait pas de provoquer l'impatience de l'opinion. Il convient donc qu'il puisse profiter au mieux de la manne européenne pour moderniser ses structures.

Quant aux 400 000 Roms, ils se concentrent dans l'Est du pays, après avoir été sédentarisés de force en 1958, par application de méthodes de type soviétique. Ils se trouvent dans une détresse absolue : affectés, ou parqués, dans des villages, ils ont retenu toute l'attention du Parlement européen et de la Commission, dont les observations ont conduit à l'institution d'un représentant plénipotentiaire en charge des questions roms. La volonté politique fait cependant encore largement défaut en ce domaine.

Il faut pourtant se demander si l'écart de richesses observé ne provoquera pas un effet d'appel d'air, des flux migratoires en provenance de la région n'étant pas à exclure, alors même que les pays limitrophes ne souhaitent pas forcément en être les destinataires, ce dont les autorités slovaques doivent encore se rendre compte.

Quant aux efforts de lutte contre la corruption, ils ont bénéficié du renouvellement total du personnel politique, le parlement ayant accueilli cent nouveaux membres sur deux cents lors des dernières élections. Des évolutions favorables s'observent aussi dans le domaine judiciaire. Il n'y a plus de privatisations à réaliser et le code civil a été réformé pour créer les conditions juridiques nécessaires à la ratification de la convention civile du Conseil de l'Europe sur la corruption. Les contacts avec les dirigeants de PSA ont ainsi montré qu'ils se faisaient peu de souci à cet égard, même si les équipementiers et les PME sont par nature les plus susceptibles d'être sollicitées, le cas échéant. Dans les domaines de la santé et de l'éducation, les pratiques douteuses restent encore généralisées.

La frontière extérieure sera beaucoup plus facile à contrôler du fait de l'adhésion de la Slovaquie qui laissera seulement 93 kilomètres à surveiller avec l'Ukraine. Les gardes-frontières reçoivent des formations spéciales, les efforts devant là encore se poursuivre.

L'économie slovaque s'est révélée à l'examen moins agricole qu'on ne le pense parfois, puisque seulement 7 % de la population est employée dans le secteur primaire. Comme en République tchèque, les grandes propriétés héritées du communisme sont nombreuses, ce qui devrait éviter les problèmes qui pourront naître en Pologne. La sécurité alimentaire affiche quant à elle des résultats tout à fait satisfaisants. Si des délocalisations sont à prévoir, elles auront lieu plutôt dans la région de Bratislava, faute d'infrastructures dans les autres régions. La main-d'œuvre jouit d'un niveau de qualification comparable à celui de la République tchèque. De bon niveau, elle s'emploie à des salaires qui s'élèvent à 25 % des salaires français. En s'installant dans la région, le groupe PSA vise principalement à satisfaire la demande des marchés des pays entrants.

En définitive, s'il reste beaucoup de chemin à parcourir, la population paraît favorable à l'adhésion, ce qui réclame en retour une attitude bienveillante devant le gros travail d'intégration qui reste à faire. Se percevant comme un petit pays, la Slovaquie n'apprécie pas toujours les initiatives comme les propositions institutionnelles franco-allemandes sur la présidence du Conseil européen. En politique étrangère, elle se place derrière les Américains, parce que ceux-ci combattent d'une part une forme de régime dont ils ont eu eux-mêmes à pâtir et qu'ils leur procurent d'autre part des garanties de sécurité. Si les Français ont mis un certain temps à arriver dans la région, ils s'y implantent désormais de manière active.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la Délégation a donné un avis favorable à l'adhésion de la Slovaquie à l'Union européenne.