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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 41

Réunion du mardi 29 avril 2003 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Audition, ouverte à la presse, de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, sur la politique de l'Union en matière d'asile, d'immigration et de coopération policière.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que la construction d'un espace de liberté, de sécurité, de justice est devenue une priorité majeure, depuis le traité d'Amsterdam, de la construction européenne. Les questions d'asile et d'immigration, la gestion des frontières extérieures et la coopération policière sont, de plus en plus fréquemment, placées au sommet de l'agenda politique européen, comme en témoignent les conclusions des nombreux conseils européens consacrés à ces sujets, de Tampere à Séville, en passant par celui de Laeken. Les progrès enregistrés en la matière ont été, jusqu'à présent, particulièrement lents, et les avancées réalisées souvent décevantes, en dépit d'une activité législative soutenue. La querelle franco-britannique sur le centre de Sangatte, à laquelle le ministre de l'intérieur a su mettre un terme, a souligné les insuffisances de la coopération européenne. Il est inacceptable que les frontières soient ouvertes pour les criminels, alors qu'elles restent fermées pour les magistrats et les policiers.

C'est pourquoi la Convention européenne a formulé des propositions très fortes dans ce domaine, lors du débat consacré aux articles concernant la « Justice et les affaires intérieures », le 3 avril dernier, qui s'inspirent des orientations présentées par la France et l'Allemagne dans une contribution commune en novembre 2002 ; propositions qu'a complétées, en mars dernier, une contribution franco-espagnole préconisant la création d'un « Comité de sécurité intérieure » (COSI).

L'Assemblée nationale et sa Délégation pour l'Union européenne suivent ces questions avec attention, comme en témoignent les deux rapports qui vont être examinés tout à l'heure, sur la politique européenne d'asile, de M Thierry Mariani, et sur l'avenir d'Europol, de M. Jacques Floch. Le Président Pierre Lequiller s'est réjoui que cette audition permette à la Délégation de faire le point sur l'état des négociations au sein du Conseil et à la Convention européenne sur ces sujets.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, a déclaré que le débat sur l'immigration a été confisqué aux Français pendant vingt ans, parce qu'il a été victime de deux obscurantismes : à droite, celui des tenants d'une « immigration zéro », à gauche, celui de ceux qui contestent à la France le droit de déterminer qui peut entrer sur son territoire. Ces deux extrêmes se sont nourris l'un de l'autre, et ont empêché les républicains de faire entendre la voix de la raison. Il n'y a eu que des anathèmes, et la question de l'immigration n'a pas pu être réellement débattue. Le projet de loi sur l'immigration qui va être présenté en conseil des ministres, demain mercredi 30 avril 2003, devrait permettre d'ouvrir un débat sans tabou.

Il ne peut y avoir de politique de l'immigration sans une ferme volonté de faire exécuter les décisions d'éloignement. Seuls 17 % des décisions d'éloignement sont appliquées, ce qui est très insuffisant. Ceux qui ont des papiers ne doivent pas être traités comme ceux qui n'en ont pas, et les décisions de justice doivent être exécutées. Il ne peut y avoir de politique républicaine d'immigration si l'on n'applique pas les procédures d'éloignement. Dans cet esprit, le ministre a annoncé qu'il rendrait compte, tous les mois, de l'exécution des décisions d'éloignement, comme pour la lutte contre la délinquance, parce qu'il ne peut y avoir de démocratie sans transparence.

Le ministre a annoncé son intention de développer les vols groupés européens. Les Etats membres sont confrontés aux mêmes difficultés et doivent y apporter des réponses communes. La France a, dans ce sens, déjà réalisé plusieurs éloignements en coopération avec l'Espagne, vers la Roumanie. Depuis le 1er janvier 2003, 528 personnes ont ainsi été reconduites collectivement, soit par des lignes régulières, soit par des vols spéciaux. Un vol groupé par semaine sera organisé vers la Roumanie. La coopération avec les pays d'origine doit également être intensifiée. Ainsi, la semaine dernière, ce sont des policiers sénégalais qui ont raccompagné des Sénégalais chez eux, en application d'un accord conclu avec le Président du Sénégal, M. Abdoulaye Wade. Le ministre a rappelé qu'il ne voit pas ce qui pourrait constituer une atteinte aux droits de l'homme dans cette politique. La France n'est pas la seule à organiser régulièrement des reconduites groupées. L'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas et le Royaume Uni en ont déjà réalisé plusieurs. Les Pays-Bas, par exemple, ont mené 26 vols groupés en 2002. Cette question transcende clairement les clivages politiques. La France va intensifier ce partenariat, notamment avec le Royaume-Uni vers l'Afghanistan.

Le ministre a ensuite abordé la question du renforcement des contrôles à l'entrée de l'espace Schengen et, en particulier, du compostage des passeports. L'espace Schengen n'a pas été créé pour que chaque Etat se « repasse » les personnes dont il ne veut pas. Le délai de séjour autorisé de trois mois pour les ressortissants étrangers qui ne sont pas soumis à visa ou pour les personnes entrées avec un visa touristique n'est, trop souvent, pas respecté. Il faut un compostage systématique des documents de voyage à l'entrée et à la sortie de l'espace Schengen et que tout étranger arrivant avec un passeport non composté soit présumé avoir dépassé ce délai. Il y a une règle, il faut pouvoir la faire respecter et, le cas échéant, sanctionner les infractions. Aujourd'hui, trop d'étrangers entrent en France de manière légale et s'y maintiennent illégalement.

M. Nicolas Sarkozy a également évoqué la nécessité de trouver d'autres techniques, pour rendre les contrôles aux frontières extérieures plus fluides et plus fiables. La France a présenté au Conseil « Justice et affaires intérieures » une demande portant sur l'introduction de données biométriques dans les documents de voyage, les visas et les titres de séjour. Les Allemands préféreraient que l'on ait recours à l'iris de l'œil, les Français plutôt aux empreintes digitales. Cette question n'est pas essentielle ; ce qui importe c'est d'adopter des contrôles biométriques identiques. Ce sujet sera abordé lors de la réunion des ministres de l'intérieur et de la Justice du G8 du 5 mai prochain, à Paris.

En ce qui concerne la création d'une police européenne des frontières, le ministre a souligné qu'avec l'élargissement de l'Europe, une part importante du contrôle aux frontières reviendrait aux Etats adhérents. Demain, ce seront, par exemple, la Roumanie et la Bulgarie qui seront le nouveau garde-frontières de la zone Schengen. Leurs ressortissants seront, avec l'adhésion, moins candidats à l'émigration compte tenu de l'élévation attendue de leur niveau de vie, mais ces pays n'auront pas la capacité d'effectuer un contrôle effectif de ces frontières. La France doit jouer un rôle moteur dans la mutualisation des moyens de contrôle des frontières extérieures et aider les pays qui ont une frontière extérieure à l'Europe à la contrôler. Cela coûtera d'ailleurs moins cher que d'assurer seul cette fonction. On peut s'interroger sur la nécessité d'aller jusqu'à la création d'un corps de gardes-frontières européens. Le ministre a estimé que cela pouvait être un objectif de long terme, et qu'il faut, en tout cas, au moins mettre en place des formations communes. A défaut d'un corps commun, une aide financière, la création d'officiers de liaison et l'intensification des échanges d'informations sont indispensables. C'est grâce à cela que des résultats concluants, comme ceux des opérations « Babylone », qui ont permis de démanteler des filières irako-kurdes de trafic d'êtres humains en 2002, pourront être obtenus. Il est, en tout état de cause, nécessaire que les patrouilles communes se développent. Le ministre a par ailleurs regretté que la liberté des personnes et des biens, principe général en Europe, ne s'applique pas aux policiers.

M. Nicolas Sarkozy a ajouté que la nécessité d'harmoniser les législations constitue un deuxième grand débat. Il a rappelé que l'Europe devait faire face à plusieurs flux migratoires, venant principalement d'Afrique, d'Europe de l'Est (en particulier de la Russie, de l'Ukraine et de la Moldavie), d'Amérique du Sud et, plus récemment, d'Asie (de la Chine notamment, qui compte 17 millions de personnes de plus chaque année). Faute d'une telle harmonisation, l'Union européenne serait confrontée non seulement à un problème de flux migratoire extérieur, mais aussi à des problèmes de migrations internes. L'affaire de Sangatte
- devenue la capitale mondiale du passage vers l'Angleterre - l'a bien montré. On peut se féliciter à cet égard que la Grande-Bretagne ait modifié sa législation en matière de contrôle d'identité.

Etant donné que la condition, pour faire partie de l'Europe, est avant tout d'être une démocratie, si un Etat européen refuse l'asile à un ressortissant d'un pays tiers, il est logique que ce refus soit immédiatement exécutable dans tous les autres Etats de l'Union. De même, la liste des pays dits non reconductibles devrait être la même dans l'ensemble des Etats de l'Union.

Le ministre s'est également déclaré favorable à une procédure d'asile allégée lorsque les demandeurs viennent de pays d'origine sûrs. On ne peut, à l'évidence, pas traiter de la même manière les demandes éventuelles émanant de ressortissants des futurs Etats membres et celles de la Corée du Nord. Il convient, là aussi, de définir des règles communes, qui ne conduisent pas à abdiquer pour autant la souveraineté nationale, mais au contraire, à la renforcer. Le ministre a marqué son intérêt pour la proposition avancée par le gouvernement britannique de créer une zone protégée pour recevoir les demandeurs d'asile dans un pays limitrophe d'un lieu de guerre ou d'une catastrophe humanitaire ; cette zone serait placée sous le contrôle du Haut commissariat aux réfugiés et pourrait bénéficier d'un financement communautaire et de l'action de bureaux européens sur place.

Il a constaté la difficulté de progresser dans ces domaines en raison, d'une part, de traditions diverses d'un pays européen à l'autre et, d'autre part, du fait que le problème de l'immigration se pose avec une acuité différente selon les Etats. Cette situation le conduit à plaider en faveur d'une coopération renforcée - ou de la création d'un groupe pionnier - par les Etats de l'Union particulièrement confrontés à ces problèmes d'immigration
- à savoir l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, l'Espagne, l'Italie, et, dans une certaine mesure, la Belgique. En outre, il est nécessaire de passer, dans ce domaine, à l'adoption de décisions du Conseil à la majorité qualifiée pour pouvoir prendre rapidement les mesures adéquates. En effet, s'il faut attendre l'accord des Quinze, puis des Vingt-cinq, pour agir, on peut craindre de devoir attendre longtemps. Il s'agit moins, d'ailleurs, de prendre des mesures définitives, que des mesures concrètes, pragmatiques, immédiates, qui peuvent être, au besoin, réversibles. C'est en additionnant un ensemble de mesures pertinentes qu'on peut mener une politique efficace dans ce domaine, alors que l'addition d'absences de décision pourrait être, au contraire, catastrophique et favoriser la xénophobie.

M. Thierry Mariani, rapporteur, après avoir souligné que les réformes communautaires s'accéléraient dans ce secteur, a rappelé que l'on a compté environ 80 000 demandes d'asile en 2001 (48 000 demandes d'asile conventionnel et 31 000 demandes d'asile territorial) et qu'environ 8 000  demandes ont été acceptées. On se trouve donc confronté à plus de 70 000 déboutés du droit d'asile. Il a précisé, à ce sujet, que si certains demandeurs d'asile attendent trop longtemps pour obtenir l'asile, d'autres profitent des procédures existantes pour se maintenir illégalement sur le territoire.

Il a demandé au ministre si, compte tenu du caractère incomplet de la réglementation existante, une politique commune de reconduite des déboutés du droit d'asile sera mise en place. Il a souhaité savoir si la liste des pays d'origine sûrs doit être définie en fonction de critères déterminés ou simplement par l'énumération des pays concernés. Il a demandé des précisions sur les discussions communautaires relatives à la proposition britannique de zones d'accueil et de transit pour les demandeurs d'asile.

M. Jacques Floch, rapporteur, a indiqué qu'il convenait d'évoquer non seulement les conséquences, mais aussi les causes de l'immigration, en particulier les difficultés économiques de nombreux pays en développement. Cette situation doit inciter à une politique d'aide au développement adaptée vis-à-vis de ces pays.

Il a souligné qu'Europol, qui n'existe que depuis cinq ans et fonctionne véritablement depuis seulement deux ans, présente des dysfonctionnements. Il est par ailleurs nécessaire d'utiliser davantage cet organisme : la France, qui contribue pour 17 % à son financement, ne représente que 7,74 % des échanges d'informations. Enfin, on note un manque de fonctionnaires français au sein de cette instance. Il a rappelé que les cinq grands pays européens particulièrement confrontés au problème de l'immigration - cités par le ministre - font aussi partie des pays les plus riches du monde.

Il a souligné, par ailleurs, le fait que l'absence de compostage des passeports était autant le fait des migrants que des services douaniers. Or, les travaux de la Convention européenne ont montré, sur ce point, certaines résistances à renforcer les contrôles.

En réponse aux rapporteurs, le ministre a apporté les précisions suivantes :

- les personnes qui se verront refuser le droit d'asile seront raccompagnées dans leur pays d'origine. L'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) fera l'objet d'une prochaine réforme. Les personnes en zone de transit à l'aéroport de Roissy sont en attente d'une éventuelle admission en France, alors que les demandeurs d'asile ont été provisoirement admis en France pendant la durée de l'examen de leur demande ;

- en ce qui concerne les pays d'origine sûrs, il est préférable d'opter pour une liste de pays plutôt que pour un ensemble de critères ;

- il est prioritaire de s'attacher concrètement à résoudre les problèmes liés à l'immigration, ce qui n'exclut pas une réflexion sur les causes de l'immigration. Parmi celles-ci, il y a le sous-développement, mais aussi la volonté inhérente à la nature humaine d'aller chercher ailleurs une vie meilleure. Le mélange et la diversité sont des sources de vitalité pour les civilisations.

L'immigration de ressortissants maliens en France représente un apport de 60 millions d'euros annuels pour le budget du Mali ; dans certains villages autour de Bamako, jusqu'à 60 % de la population en âge de travailler a immigré en France. Cette population ne pose pas de problèmes importants d'insertion en France. S'agissant de la Chine, on pourrait répondre plus largement aux demandes de visa d'étudiants chinois si on tolérait moins de clandestins ;

- il est exact que dans certains pays membres de l'espace Schengen, comme par exemple l'Allemagne, l'obligation de compostage des passeports n'est pas toujours respectée, ce qui met en cause son bon fonctionnement. En l'absence de compostage, la fraude sera présumée ;

- il existe actuellement deux « eurocrimes » : la contrefaçon de l'euro et l'atteinte aux intérêts financiers de l'Union. Cette liste pourrait être utilement complétée. N'y figurent, par exemple, ni les trafics de drogues ou d'êtres humains, ni la cybercriminalité. La coopération bilatérale fonctionne bien, ce qui n'est pas le cas de la coopération multilatérale, du fait, en particulier, de la diversité des cultures et des systèmes judiciaires. L'existence d'une coopération policière implique la mise en place d'une autorité judiciaire commune par le biais d'un parquet européen.

M. Jacques Myard a salué le réalisme pragmatique manifesté par le ministre pour prendre en compte les questions liées à l'immigration. Il a estimé que l'on n'était qu'au début d'un phénomène migratoire qui allait se révéler de plus en plus important. Il a considéré que l'espace Schengen était « bon à 95 % », mais qu'il pâtissait de « 5 % d'utopie ». Il a jugé qu'il aurait fallu arrêter avant qu'ils n'arrivent à Sangatte les clandestins désireux d'immigrer en Grande-Bretagne.

Approuvant l'idée de vols groupés pour les personnes en situation illégale, il a estimé que l'on avait tendance à confondre liberté de circulation et absence de contrôle et que dans une Europe à vingt-sept, le principe fondamental de la liberté de circulation sera nécessairement remis en cause.

M. Pierre Lellouche a félicité le ministre pour la force de son engagement. Il a rejoint l'opinion exprimée par M. Jacques Myard en estimant que l'on n'était effectivement qu'au début d'un phénomène d'augmentation des pressions migratoires. Soulignant que la population africaine allait tripler dans les trente prochaines années, il a précisé que la tranche d'âge située entre 15 et 25 ans représenterait alors 500 millions de personnes, dont on pouvait estimer qu'un dixième au moins souhaitera immigrer en Europe. Il a considéré que cette situation devait conduire à un changement qualitatif de la politique de l'immigration.

Il a souhaité connaître le nombre estimé de clandestins en France et a interrogé le ministre sur l'idée de fixer des quotas d'immigration par pays qui pourraient être liés à certains besoins particuliers de main-d'œuvre dans notre pays. En concluant, il a considéré que la « double peine » n'était en réalité qu'une peine accessoire dans la mesure où il était généralement admis que lorsqu'un étranger commet un crime, il est ensuite expulsé.

M. Michel Herbillon a approuvé la démarche pragmatique et réaliste du ministre. Il a souhaité avoir des précisions sur la nature des coopérations renforcées envisagées dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Il a interrogé le ministre sur les informations selon lesquelles un « second Sangatte » serait en train de se mettre en place aux abords de la gare du Nord à Paris.

En réponse, le ministre a apporté les précisions suivantes : 

- s'agissant de Sangatte, les difficultés rencontrées sont liées à la
non-appartenance du Royaume-Uni à l'espace Schengen. Le système actuel de la Convention de Schengen doit encore être amélioré, notamment en ce qui concerne la prise en charge financière du retour des étrangers en situation irrégulière. Sur ce point, il convient de mutualiser les coûts. La liberté de circulation, acquis communautaire fondamental, ne doit pas être remise en cause par le prochain élargissement. Les craintes exprimées lors des précédents élargissements de l'Europe à la Grèce, à l'Espagne et au Portugal se sont révélées infondées et il faut être confiant quant à la capacité d'intégration des nouvelles démocraties de l'Est ;

- le nombre de clandestins présents en France est évalué entre 200 000 et 300 000, alors que 20 000 à 30 000 nouvelles personnes entreraient chaque année irrégulièrement sur notre territoire. La France a l'objectif d'une reconduite à la frontière d'un nombre similaire d'individus afin de parvenir à stabiliser la situation ;

- la question des quotas est un sujet tabou, ce qui est regrettable. Des précisions doivent cependant être apportées. Devrait-il s'agir de quotas par professions ? par catégories socioprofessionnelles ? En tout état de cause, l'instauration de quotas ne devrait pas aboutir à démunir les pays d'émigration de leurs élites ;

- sur la double peine, il faut clarifier le débat en distinguant les étrangers de ceux qui ne le sont que d'un point de vue formel, en raison de l'ancienneté de leurs attaches sur le territoire français. Pour les cas d'étrangers ayant des enfants français, rien ne justifie d'infliger à une famille française la sanction du retour d'un parent dans son pays d'origine. Il s'agit là d'une discrimination car elle conduit à sanctionner plus sévèrement une infraction lorsqu'elle est commise par un étranger. Le ministre a plaidé en faveur de l'équilibre de la politique du Gouvernement qui doit être ferme pour être juste. Cet équilibre essentiel résulte d'une conciliation entre les principes de répression et de générosité à laquelle les citoyens sont sensibles. L'opinion publique est toujours prête à entendre un discours de vérité, de sincérité et d'authenticité. En établissant un parallèle entre le débat sur la double peine et celui sur la prostitution, on ne peut que se féliciter que le Parlement soit redevenu, à cette occasion, un véritable lieu de débat, digne et respectueux des idées de chacun ;

- en ce qui concerne le recours aux coopérations renforcées, la France a engagé une initiative en ce sens avec cinq pays, une réunion devant avoir lieu le 18 mai prochain en Espagne ;

- s'exprimant sur la question kurde, M. Ruud Lubbers, Haut-commissaire des Nations unies aux réfugiés, propose l'application d'un moratoire de trois mois pour l'expulsion des Kurdes - qui ne sont d'ailleurs pas reconductibles -, l'organisation de leur retour devant être, au terme de cette période, organisée par le HCR. Cette proposition doit être examinée avec soin et il est souhaitable de gérer humainement cette question difficile, mais une régularisation massive n'est pas réaliste.

En conclusion, le ministre s'est déclaré heureux que les questions européennes puissent faire l'objet d'un vrai débat alors qu'elles sont trop souvent traitées de façon théorique et peu claire.

II. Examen du rapport d'information de M. Thierry Mariani sur la politique européenne d'asile

M. Thierry Mariani, rapporteur d'information, a rappelé que la « communautarisation » du droit d'asile est, depuis l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, en 1999, un processus en cours. Il conduira à la mise en place d'un « régime d'asile européen commun », dont la première phase devrait être opérationnelle pour le 1er janvier 2004. Ce régime reposera, conformément aux orientations définies par le Conseil européen de Tampere en octobre 1999, sur une « procédure d'asile commune et un statut uniforme valable dans toute l'Union », dans le respect de la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951. Les objectifs affirmés sont ambitieux, et l'Assemblée nationale doit suivre les travaux de l'Union dans ce domaine avec une attention particulière.

Cette construction intervient alors que le droit d'asile est en crise. La plupart des Etats membres sont confrontés à de graves difficultés, liées à une augmentation massive des demandes et à un détournement des procédures d'asile à des fins de migration économique. Le gonflement des « flux mixtes », composés à la fois de personnes ayant légitimement besoin d'une protection internationale et de migrants économiques utilisant l'asile pour se maintenir régulièrement sur le territoire des Etats membres et souvent entretenus par le trafic et la traite des êtres humains, est une réalité qu'atteste, dans tous les Etats membres, l'augmentation des taux de décisions négatives. Cette situation constitue une menace réelle pour l'institution de l'asile et crée un malaise grandissant dans l'opinion publique.

Dans ce contexte, l'intervention de l'Union européenne constitue à la fois une chance et une obligation. Une chance, parce qu'elle permet de sélectionner les meilleures pratiques des Etats membres, c'est-à-dire celles qui permettent un traitement efficace des demandes d'asile, dans le respect des obligations internationales des Etats membres, en particulier de la Convention de Genève de 1951, et de la tradition humanitaire européenne. Une obligation, parce que dans un espace européen sans frontières, les disparités entre les législations nationales en matière d'asile entraînent des déplacements secondaires des demandeurs et des effets d'appel vers les Etats membres jugés les plus accueillants. Une proportion importante des demandeurs pratiquent en effet l'« asylum shopping », et déposent leur demande dans l'Etat où elle a le plus de chance d'aboutir, ou dans lequel les conditions d'accueil des demandeurs sont les plus favorables. Ces pratiques conduisent parfois à des situations extrêmes, comme celle du centre de Sangatte, créée par l'attractivité du territoire britannique pour certains demandeurs.

L'harmonisation européenne des législations nationales constitue par conséquent une nécessité urgente. Les travaux avancent cependant difficilement, en raison de la règle de l'unanimité et parce que l'asile constitue une question sensible, qui touche aussi bien à la souveraineté qu'à l'histoire des Etats membres. C'est la raison pour laquelle le Conseil européen de Séville, en juin 2002, a décidé d'accélérer l'adoption des textes en fixant un calendrier contraignant. Le bilan des textes adoptés jusqu'ici est contrasté.

Certains d'entre eux marquent des avancées réelles :

- La mise en place d'un Fonds européen pour les réfugiés, en septembre 2000, chargé d'organiser la répartition des fonds communautaires entre les Etats membres proportionnellement au nombre de demandeurs d'asile et de réfugiés accueillis, représente ainsi la première mise en œuvre du principe de solidarité entre les Etats membres.

- L'adoption de la directive sur la protection temporaire, en juillet 2001, crée une protection spécifique en cas d'afflux massif de personnes déplacées et assure également un équilibre des efforts consentis par les Etats membres. Conçue pour répondre à des situations d'urgence comme celle de la crise du Kosovo ou en Bosnie, elle doit être prochainement transposée par la France.

- Le règlement dit « Dublin II », adopté en février 2003, rénove et remplace la Convention de Dublin par un instrument communautaire. Il se fonde sur les mêmes principes que la Convention qu'il remplace, en attribuant, en règle générale, la responsabilité de l'examen d'une demande d'asile à l'Etat membre qui a pris la plus grande part dans l'entrée du demandeur d'asile, afin d'éviter les demandes multiples d'asile et de lutter contre l'« asylum shopping ». Toutefois, tirant les enseignements des dysfonctionnements constatés dans l'application de la Convention, il établit des délais de procédure plus courts, tient compte de la responsabilité qui incombe à l'Etat membre laissant perdurer des situations de séjour irrégulier sur son territoire (cette disposition vise, implicitement, des situations du type « Sangatte ») et comporte des dispositions nouvelles visant à mieux assurer l'unité des groupes familiaux.

- La mise en service, en janvier dernier, du système « Eurodac » de comparaison des empreintes digitales des demandeurs d'asile au sein de l'Union européenne, rendra plus efficace l'application du mécanisme « Dublin II ». Cette base de données permet en effet de déterminer avec davantage de certitude quel Etat est chargé d'examiner une demande d'asile conformément aux critères établis par le règlement « Dublin II ». La proportion des demandeurs effectivement transférés, actuellement très faible (1,7 % du total des demandes adressées aux quinze Etats membres), devrait en être sensiblement augmentée. Les premiers résultats transmis par la Commission européenne, alors que la base de données est en cours de constitution, sont très encourageants à cet égard (entre le 15 janvier et le 2 mars 2003, 238 résultats positifs - ou « hits » - ont été obtenus).

D'autres textes présentent en revanche un apport limité. C'est le cas, en particulier, de la directive sur les conditions d'accueil des demandeurs d'asile, adoptée en janvier 2003. Les Etats membres ne sont en effet pas parvenus à se mettre d'accord en ce qui concerne l'accès au marché du travail des demandeurs d'asile, l'accord politique obtenu sur ce point ayant finalement été remis en cause par certaines délégations. L'application de l'unanimité a ainsi permis à certains Etats membres de vider la proposition de la Commission de sa substance. L'harmonisation apportée par le texte est minimale, puisqu'elle est soit à « droit constant », les délégations étant parvenues à configurer le texte de telle sorte qu'aucun Etat membre n'ait à modifier sa législation, soit « en trompe l'œil », par le recours à des artifices légistiques tels que la référence au droit national ou la possibilité de dérogations et d'options.

Le rapporteur a précisé que le projet de proposition de résolution porte sur les deux autres textes restant en discussion. Ces deux propositions de directive concernent la définition du réfugié et de la protection subsidiaire et le contenu de ces statuts, d'une part, et les normes minimales applicables aux procédures d'octroi et de retrait du statut de réfugié, d'autre part. Elles constituent le cœur du système européen d'asile en cours d'élaboration, et ont été examinées au regard des normes internationales (la Convention de Genève et la Convention européenne des droits de l'homme, principalement) et constitutionnelles pertinentes, et en tenant compte des objectifs de la réforme en cours sur le droit d'asile, en particulier en ce qui concerne le raccourcissement des délais.

La proposition de directive relative à la définition du réfugié et de la protection subsidiaire et au contenu de ces statuts a été présentée par la Commission européenne le 31 octobre 2001. Le Conseil européen de Séville, devant la lenteur des discussions sur ce texte, a imposé au Conseil de parvenir à un accord au plus tard en juin prochain.

Les premiers articles (articles 1er à 19), relatifs à la définition du réfugié et de la protection subsidiaire, ont fait l'objet d'un accord politique lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » du 28 novembre 2002. Ils conduiront à modifier le droit français sur un certain nombre de points importants ; modifications que le projet de loi modifiant la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile, adopté en conseil des ministres le 15 avril dernier, anticipe d'ailleurs.

- La proposition de directive prend en compte, pour la reconnaissance du statut de réfugié, les persécutions émanant d'agents non étatiques. Elle conduit par conséquent la France à abandonner le critère jurisprudentiel de l'origine étatique des persécutions pour l'interprétation de l'article 1er de la Convention de Genève. Le projet de loi précité, en son article 1er, réalise cette extension. La France était, avec l'Allemagne (qui s'est engagée dans une réforme législative similaire), le dernier Etat européen à interpréter ainsi la Convention de Genève.

- La proposition prend également en compte la protection que peuvent offrir des autorités de fait ou une organisation internationale (une mission des Nations Unies, par exemple), sous réserve que cette protection, offerte sur l'ensemble du territoire de l'Etat concerné ou sur une partie de celui-ci, soit effective. L'exigence d'un « système judiciaire effectif », par exemple, est requise. Cette évolution est, elle aussi, anticipée par le projet de loi précité.

- La directive projetée introduit également en droit français la notion de « protection à l'intérieur du pays », aussi dénommée « asile interne » ou « fuite interne ». Ce concept permet de rejeter les demandes d'asile de personnes qui auraient accès à une protection sur une partie du territoire de leur pays d'origine s'il est raisonnable qu'elles peuvent rester dans cette partie du pays. La France était l'un des seuls Etats européens à ne pas avoir recours à cette notion, avec laquelle le Haut Commissariat pour les réfugiés des Nations Unies est en accord, sous réserve d'une application prudente. Le projet de loi précité reprend cette disposition de la proposition de directive.

- Le texte harmonise la définition de la protection subsidiaire, c'est-à-dire de la protection internationale offerte aux personnes qui n'entrent pas dans les critères d'application de la Convention de Genève. Cette protection est offerte, aux termes de la directive, lorsque ces personnes risquent des « atteintes graves », définies comme étant la peine de mort, la torture ou des traitements inhumains ou dégradants, ou des « menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle ou en cas de conflit armé interne ou international ». Cette définition conduit la France à supprimer l'asile territorial et à le remplacer par la protection subsidiaire, dont le champ d'application est plus étroit mais qui, à la différence de l'asile territorial, est obligatoirement accordée si les critères sont remplis. Cette modification figure dans le projet de loi précité.

Les articles suivants (20 à 38), relatifs au contenu des statuts, continuent en revanche d'opposer les Etats membres.

Certains Etats, l'Allemagne et l'Autriche notamment, ne veulent pas que les personnes bénéficiant d'une protection subsidiaire se voient accorder les mêmes droits que les réfugiés couverts par la Convention de Genève. Ils refusent, en particulier, qu'elles puissent accéder sans conditions au marché du travail. D'autres Etats membres, la France en particulier, ont pris position en faveur d'une égalité de droits, au motif qu'une différenciation conduirait à placer certaines catégories de personnes dans des situations de précarité, incompatibles avec une intégration effective. Seule la durée du titre de séjour devrait varier, avec une période minimale de trois ans renouvelables pour les réfugiés et d'un an renouvelable pour la protection subsidiaire.

Le rapporteur a proposé à la Délégation d'apporter son soutien à cette position : dans les deux cas, le besoin de protection internationale des personnes concernées est identique, et les droits accordés ne sauraient varier en raison du fondement juridique de cette protection. L'exclusion du marché de l'emploi des personnes bénéficiant de la protection subsidiaire aurait, en outre, pour effet d'encourager le travail clandestin, au détriment de l'intégration de ces personnes.

Une première mouture du second texte - la proposition de directive relative aux procédures d'octroi et de retrait du statut de réfugié - a été présentée par la Commission européenne en octobre 2000. La plupart des Etats membres l'ont trouvée trop détaillée, conduisant la Commission européenne à présenter une proposition modifiée en juin 2002. Le Conseil européen de Séville en a demandé l'adoption avant décembre 2003.

Cette proposition envisage notamment la convocation systématique des demandeurs à un entretien personnel et l'établissement d'un compte-rendu d'entretien, leur assistance juridique et l'information dans une langue qu'ils comprennent. Elle permet également le recours à des procédures accélérées notamment en cas de demande irrecevable, manifestement infondée (incluant la notion de pays d'origine sûr et de pays tiers sûr), frauduleuse ou répétée.

La proposition retient une conception excessivement juridictionnelle de la procédure, alors que celle-ci comporte, en France, deux phases bien distinctes (administrative non contentieuse, devant l'OFPRA, puis juridictionnelle). L'approche retenue est trop « pénaliste », alors que la première phase du traitement des demandes d'asile répond à une logique de protection, et non d'accusation. Le recours à la notion de « procès-verbal » d'entretien, qui figurait dans la proposition révisée de la Commission, et la présence d'un avocat à tous types d'entretiens en sont l'illustration.

Elle recourt à la notion de « pays d'origine sûr », qui figure déjà dans le protocole sur le droit d'asile pour les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne (dit « protocole Aznar »), aux termes duquel toute demande d'asile présentée par un ressortissant d'un Etat membre ne peut être prise en compte ou déclarée admissible que dans des conditions restrictives.

Ces pays sont définis sur la base d'un certain nombre de principes (respect des normes fondamentales relatives aux droits de l'homme, structures démocratiques, accès des ONG et des organisations internationales à son territoire, respect de l'Etat de droit...). Lorsque le demandeur provient d'un tel pays, sa demande peut être considérée comme manifestement infondée et faire l'objet d'une procédure accélérée, dans le cadre de laquelle sa situation personnelle sera examinée. Cette notion, qui ne soulève pas de difficultés particulières, figure aussi dans le projet de loi modifiant la loi de 1952.

La proposition fait également appel à la notion de « pays tiers sûrs ». Cette notion permet de déclarer irrecevables les demandes d'asile lorsque le demandeur a un « rapport ou des liens étroits avec le pays ou a eu l'occasion de bénéficier de la protection de ce pays », s'« il y a lieu de penser que le demandeur en question sera admis ou réadmis sur le territoire de ce pays » et que « rien ne porte à croire que ce pays n'est pas un tiers sûr en raison de la situation personnelle du demandeur ». De nombreux Etats européens (l'Allemagne, le Danemark, la Finlande, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, par exemple) en font application. Ces pays sont définis en application d'un certain nombre de principes, fondés sur l'observation des normes de droit international relatives à la protection des réfugiés et aux droits de l'homme.

Ce concept, qui a fait également l'objet d'une initiative de l'Autriche visant à faire adopter un règlement fixant les critères permettant de déterminer ces pays tiers sûrs et à en établir une liste, soulève de sérieuses difficultés au regard du droit français. Le Conseil d'Etat s'est en effet opposé de façon très ferme à son utilisation, dans une décision de 1996, et son introduction en droit français rencontrerait vraisemblablement un obstacle d'ordre constitutionnel. Il vous est donc proposé de souligner que la mention de cette notion dans la proposition de directive n'est acceptable que parce qu'elle est optionnelle et qu'il ne saurait, en tout état de cause, en être fait application par la France.

Le texte vise également les procédures d'asile à la frontière, auxquelles un article est consacré (article 35). Cette disposition, dans sa version initiale, aurait conduit la France à modifier considérablement la procédure dite « d'asile à la frontière » visée à l'article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative à l'entrée et au séjour des étrangers. Elle a, depuis, été assouplie. Il vous est proposé d'apporter votre soutien à la position du Gouvernement français sur ce point, qui souhaite maintenir les spécificités de cette procédure.

Le projet comporte des garanties spécifiques pour les mineurs non accompagnés : désignation d'un tuteur légal ou d'un conseil juridique dès que possible, entretien mené par une personnes possédant les connaissances nécessaires sur les besoins particuliers des mineurs.

L'adoption de ces propositions, au plus tard à la fin de l'année 2003, achèvera la première phase d'harmonisation devant aboutir, à terme, à une procédure d'asile commune et à un statut uniforme. Elle permettra à l'Union de s'engager dans d'autres « chantiers législatifs » et d'explorer de nouvelles voies, que le Parlement français devra suivre également avec attention.

La première de ces voies consiste à traiter les demandes de protection au plus près des besoins, en dehors de l'Union européenne, à travers l'établissement de « modes d'entrées protégées ». Cette possibilité avait déjà été évoquée par la Commission européenne dans une communication de novembre 2000, et la Commission a précisé qu'elle soumettrait des propositions sur ce sujet prochainement, dans sa dernière communication du 26 mars 2003.

Le Royaume-Uni a présenté récemment une proposition allant plus loin dans ce sens. Le Premier ministre britannique, dans une lettre du 10 mars 2003 adressée à son homologue grec, préconise en effet la création de « centres de traitement de transit » dans des pays tiers, en Croatie, en Albanie ou en Ukraine, par exemple. Selon le plan britannique, cette gestion externalisée du traitement des demandes d'asile permettrait de réduire les coûts et dissuaderait les demandeurs ne répondant pas aux critères de la Convention de Genève ou de la protection subsidiaire. Cette proposition a été discutée lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » informel de Veria, les 28 et 29 mars derniers. Elle soulève des difficultés certaines, d'ordre aussi bien politiques que juridiques et diplomatiques, et doit faire l'objet d'une étude commune par la Commission européenne et le HCR, qui sera présentée au Conseil européen de Thessalonique, le 20 juin 2003.

Le second « chantier » de l'Union consiste à développer une politique des retours. Une politique d'asile doit nécessairement comporter des procédures d'éloignements effectifs des demandeurs déboutés. La Commission européenne a présenté un Livre vert sur ce sujet en avril 2002, en vue de définir des normes communes. La Commission y envisage notamment des normes communes en matière d'expulsion, de rétention et d'éloignement, afin d'élaborer une proposition de directive sur les normes minimales concernant les procédures de retour. Ce Livre vert, que la Délégation a déjà examiné en novembre 2002, a été suivi par un plan d'action sur les retours que le Conseil « Justice et affaires intérieures » a adopté le 28 novembre 2002. Ce plan d'action confirme que l'Union européenne doit définir une approche commune en matière de retour et préconise la création d'un instrument financier communautaire à cette fin. L'Union a, par ailleurs, adopté une action concrète sur ce sujet, avec l'adoption en novembre 2002 du plan de retour des Afghans.

La Convention européenne préconise d'apporter des changements au cadre institutionnel, en renforçant la base juridique de la politique européenne d'asile, afin de permettre d'aller au-delà de la définition de simple « normes minimales », conformément aux orientations données par le Conseil européen de Tampere. La Convention européenne souhaite également consacrer un principe de solidarité et de partage équitable des responsabilités entre les Etats membres, y compris sur le plan financier. Ces propositions permettront à l'Union de développer une véritable politique d'asile, dans le respect de nos valeurs partagées et de nos obligations internationales, en particulier de la Convention de Genève de 1951.

A l'issue de l'exposé du rapporteur, la Délégation a adopté la proposition de résolution suivante :

« L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Conseil relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres (COM [2000] 578 final / E 1611),

Vu la proposition de directive concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers et les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou de personne qui, pour d'autres raisons, a besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (COM [2001] 510 final / E 1870),

Vu l'initiative de l'Autriche en vue de l'adoption d'un règlement du Conseil fixant les critères permettant de déterminer les Etats tiers pouvant être considérés comme sûrs pour assumer la responsabilité de l'examen d'une demande d'asile présentée dans un Etat membre par un ressortissant d'un pays tiers et établissant une liste des Etats tiers européens sûrs (14712/02 / E 2192),

I. En ce qui concerne la proposition de directive définissant les conditions à remplir pour prétendre au statut de réfugié ou à la protection subsidiaire et le contenu de ces statuts :

1. Se félicite de la prise en compte des persécutions émanant d'agents non étatiques, qui permettra à la France de mettre sa pratique en cohérence avec celle de ses partenaires européens et avec la doctrine du Haut commissariat pour les réfugiés des Nations Unies ;

2. Approuve la définition retenue des acteurs de protection, qui inclut la protection par des autorités de fait ou par une organisation internationale sous réserve que celle-ci soit effective ;

3. Approuve la notion de protection à l'intérieur du pays, dans la mesure où celle-ci fait l'objet d'une définition encadrée et prudente ;

4. Se réjouit qu'une définition harmonisée de la protection subsidiaire figure dans la proposition de directive ;

5. Recommande que des droits égaux, à l'exception de la durée du titre de séjour, soient conférés aux réfugiés et aux bénéficiaires de la protection subsidiaire.

II. En ce qui concerne la proposition de directive sur les normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié :

6. Souhaite qu'une approche moins juridictionnelle soit adoptée en ce qui concerne la première étape du traitement des demandes d'asile, qui constitue une phase administrative et non contentieuse ;

7. Approuve la notion de « pays d'origine sûr », dans la mesure où elle ne fait pas obstacle à un examen individuel de chaque demande et où sa définition est rigoureuse ;

8. Souhaite qu'une liste commune de ces pays, facilement révisable en fonction des évolutions de la situation internationale, soit adoptée au niveau européen, après une évaluation à laquelle le HCR devrait être associé ;

9. N'accepte, en revanche, la notion de « pays tiers sûr » que dans la mesure où le recours à cette notion reste optionnel et où la France n'en fera pas usage ;

10. Recommande que la rédaction de l'article 35 de la proposition permette à la France de maintenir les spécificités de sa procédure d'asile à la frontière ;

11. Se félicite que des garanties spécifiques aux mineurs non accompagnés figurent dans la proposition. »

III. Examen du rapport d'information de M. Jacques Floch sur Europol

M. Jacques Floch, rapporteur d'information, a rappelé que l'avenir d'Europol est aujourd'hui au centre des débats européens, notamment au sein de la Convention sur l'avenir de l'Europe. La France et l'Allemagne, dans une contribution commune présentée en novembre 2002, ont pris des initiatives fortes dans ce domaine, tendant à transformer Europol en « une autorité coercitive européenne », dotée du droit de mener des enquêtes.

Dans le même temps, la Convention Europol, déjà modifiée à plusieurs reprises pour étendre la compétence matérielle de l'Office européen de police ou permettre à ses agents de participer à des équipes communes d'enquête, devrait à nouveau être modifiée, à la suite d'une initiative de la présidence danoise. Europol continue, par ailleurs, de développer ses relations avec les pays tiers ; quatre projets d'accords avec Chypre, la Bulgarie, la Slovaquie et la Fédération de Russie ont ainsi été transmis au Parlement français en février 2003.

Ces projets d'actes du Conseil constituent l'occasion, pour l'Assemblée nationale, de dresser un bilan du fonctionnement actuel d'Europol et de prendre position sur le débat en cours au sein de la Convention européenne et, prochainement, de la Conférence intergouvernementale.

L'Office européen de police, installé à La Haye, a débuté ses activités, à titre expérimental, le 3 janvier 1994. Alors connu sous la dénomination « Unité drogues Europol » (UDE), l'institution se limitait à la lutte contre le trafic de stupéfiants. Sa création est née d'une initiative du chancelier Helmut Kohl, qui a évoqué le premier, en 1988, la création d'une « sorte de police fédérale européenne ». Depuis cette date, deux conceptions de cette structure se sont opposées. La première, soutenue, en particulier, par l'Allemagne, souhaite doter Europol de compétences opérationnelles la plaçant, vis-à-vis des Etats membres, dans une position assez comparable à celle du BKA allemand (Bundeskriminalamt) vis-à-vis des Länder. Cette approche revenait à créer une sorte de « FBI européen ». Pour la France, en revanche, Europol devait rester une simple centrale d'échanges d'informations, chaque Etat conservant la plénitude de ses compétences opérationnelles.

Ces logiques différentes ont rendu la négociation de la Convention Europol, décidée lors du Conseil européen de Luxembourg, en 1991, très difficile. La Convention, adoptée le 26 juillet 1995, est finalement conforme à la vision française d'Europol : quoiqu'intégrée dans le système institutionnel de l'Union européenne, comme le prévoyait le traité de Maastricht de 1992, Europol ne dispose d'aucune compétence opérationnelle et demeure globalement soumise aux règles de la coopération intergouvernementale. Mais cette situation est en train de changer, et Europol évolue vers une véritable police criminelle européenne, au fil des modifications de la Convention Europol, sans qu'un débat public n'ait lieu sur cette mutation ou que son contrôle n'ait été renforcé.

L'Office européen de police, depuis l'entrée en vigueur de la Convention Europol le 1er octobre 1998, a connu une montée en puissance impressionnante. Ses effectifs, qui étaient de 210 personnes (dont 40 officiers de liaison des Etats membres) lors du démarrage effectif de la structure, le 1er juillet 1999, s'élèvent aujourd'hui à 403 personnes (dont 66 officiers de liaison), et devraient continuer de croître. Son budget, alimenté par des contributions des Etats membres calculées en fonction de leur PNB, est passé de 19 millions d'euros en 1999 à 55,5 millions d'euros en 2003.

Ses compétences matérielles ont été progressivement étendues. Depuis le 1er janvier 2002, Europol peut s'attaquer à toutes les formes graves de criminalité internationale énumérées à l'annexe de la Convention (atteinte à la vie, à l'intégrité physique, etc.) et est donc compétent pour 25 types d'infractions. Le projet de protocole présenté par le Danemark visait à étendre davantage ce mandat, en visant toute forme de criminalité internationale grave, sans référence à une liste d'infractions ou à une structure criminelle organisée. La plupart des Etats membres s'y sont opposés, et la formulation ayant finalement fait l'objet d'un accord politique lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » du 19 décembre 2002 n'apporte qu'une modification mineure.

Les compétences opérationnelles d'Europol ont également été accrues. Le Conseil a adopté, en novembre 2002, à la suite d'une initiative de la Belgique et de la Suède, un protocole modifiant la Convention, visant à permettre la participation d'Europol aux équipes communes d'enquête et à leurs actions opérationnelles, ainsi qu'à autoriser l'Office à demander aux Etats membres d'ouvrir des enquêtes dans des affaires précises. Une fois entré en vigueur, le protocole précité permettra aux agents d'Europol de prêter leur concours à toutes les activités de ces équipes (dans la mesure où elles enquêtent sur des infractions relevant de la compétence d'Europol) et à échanger des informations avec tous ses membres.

Les relations d'Europol avec les pays tiers se sont développées. Des accords bilatéraux ont ainsi été conclus avec de nombreux Etats (Estonie, Etats-Unis, Hongrie, Islande, Norvège, Pologne, République tchèque et Slovénie) et organisations internationales (OIPC-Interpol), afin de renforcer la coopération internationale en matière répressive. Certains accords, dits « stratégiques », ne prévoient pas d'échanges de données personnelles. Les autres accords, qualifiés d'« opérationnels », entraînent en revanche des échanges de données personnelles et sont subordonnés à l'existence d'une législation sur la protection des données personnelles conforme aux règles en vigueur dans l'Union européenne.

Cette indispensable garantie, dont l'Autorité de contrôle commune contribue à assurer le respect, n'a pas été apportée de manière satisfaisante lors de la conclusion de l'accord entre les Etats-Unis et Europol relatif à l'échange de données à caractère personnel, en décembre 2002. Les Etats-Unis ont en effet une approche différente de la protection des données, fondée sur l'autorégulation assortie de sanctions privées, alors que la nôtre repose sur l'intervention du législateur et la mise en place d'autorités publiques contrôlées par les tribunaux. Ils n'ont pas d'autorité de contrôle comme la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en France, ni de législation globale comme la loi française de 1978. Des précisions ont été apportées au texte de l'accord, à la suite des observations de l'Autorité de contrôle commune, mais aucune garantie n'a finalement été fournie en matière de durée de conservation des données, ni en ce qui concerne le contrôle par une autorité indépendante. Face à ces incertitudes, l'engagement pris de procéder à une évaluation conjointe dans les deux ans qui suivent l'entrée en vigueur de l'accord constitue une garantie bien fragile. C'est pourquoi la Délégation a demandé, lors de l'examen de ce texte, à ce que les Parlements nationaux et l'Autorité de contrôle commune soient associés à cette évaluation.

Le rapporteur a précisé que les projets d'accords soumis à la Délégation ne soulèvent pas de telles difficultés. Le projet d'accord avec la Fédération de Russie est un « accord stratégique », qui ne comporte pas d'échange de données personnelles. Les trois projets d'accords entre Europol et trois Etats adhérents ou candidats (Chypre, la Slovaquie et la Bulgarie) organisent, en revanche, la transmission d'informations avec les autorités de ces Etats, y compris de données personnelles. Ils prévoient également la désignation par les autorités de ces pays d'un point de contact national et d'un ou plusieurs officier(s) de liaison détaché(s) auprès d'Europol. L'Autorité de contrôle commune, saisie pour avis, a estimé qu'il n'y avait aucun obstacle à la conclusion de ces accords du point de vue de la protection des données, avec une réserve concernant la Bulgarie, tenant à ce qu'elle n'a reçu aucune confirmation concernant l'existence de la commission bulgare de protection des données. La transmission des données ne pourra, en tout état de cause, commencer qu'une fois cette commission mise en place.

Europol est ainsi devenu, en dépit de quelques dysfonctionnements, un outil d'une efficacité croissante, que les services français n'utilisent cependant pas suffisamment et dont le contrôle est insuffisant.

La plus-value d'Europol est réelle, en dépit de certains dysfonctionnements. L'Office fournit trois types de services aux Etats membres : l'échange d'informations, l'analyse criminelle et la coordination opérationnelle.

- L'échange d'informations est réalisé entre les officiers de liaisons Europol (OLE) détachés par les Etats membres auprès d'Europol. Cette activité d'échange est en forte augmentation : en 2000, 8 300 requêtes ont été transmises, donnant lieu à 9 409 réponses ; en 2001, les chiffres correspondants étaient de 11 212 et 11 803. Le bureau de liaison français compte ainsi cinq officiers de liaison, représentant la police judiciaire, la gendarmerie et les douanes.

- L'analyse criminelle repose sur le traitement de « fichiers d'analyse », créés par le conseil d'administration, à la demande des représentants des Etats membres, sur un thème précis de la criminalité internationale. Une vingtaine de fichiers ont ainsi été ouverts, sur les groupes de motards (« Monitor »), le terrorisme islamique (« Islamic »), les réseaux pédophiles (« Twins »). Le fichier « Girasol », créé à la demande de l'Italie sur les filières et la traite des êtres humains, a ainsi permis de réaliser une opération dans six Etats membres, qui a conduit à l'interpellation de quatre-vingt personnes.

- La coordination opérationnelle s'appuie sur l'expertise et l'assistance technique qu'Europol fournit en appui à des opérations de police organisées par les Etats membres. L'Office a ainsi coordonné plusieurs actions conjointes de police liées à la lutte contre l'immigration illégale : les opérations « Visa » et « Rio », en 2002, ont ainsi abouti au refoulement de 4 600 clandestins, à la saisie de 1 000 passeports falsifiés et à l'interpellation de 34 passeurs.

La mise en place du Système d'information Europol (SIE), qui devrait constituer, à terme, le premier fichier d'information européen de police criminelle, a en revanche pris un retard considérable, en dépit d'investissements informatiques très lourds. La livraison, prévue en juin 2002, a été repoussée à juin 2003, et il est vraisemblable que ce délai ne sera pas tenu en raison de difficultés liées au régime linguistique d'Europol. Le régime linguistique d'Europol constitue en effet une difficulté supplémentaire. La traduction des travaux et des réunions d'Europol dans les onze langues officielles nécessite un lourd et coûteux travail et génère des problèmes non surmontés s'agissant de la mise en place du système informatique. Ces difficultés seront accrues par l'élargissement, avec neuf ou dix langues supplémentaires.

Europol reste cependant sous-alimenté  et sous-utilisé par la France. Alors qu'elle participe à hauteur de 16 % au budget d'Europol (soit plus de 8 millions d'euros), la France ne représente que 7,74 % des échanges, loin derrière le Royaume-Uni (18,32 %) ou l'Allemagne (14,40 %). On observe une très forte concentration géographique des flux de demandes : sur 113 demandes émanant de services régionaux de police judiciaire (SRPJ), la moitié provenait de Montpellier et un quart de Lille. Dans l'ensemble, les services français tardent et parfois ne répondent pas aux demandes qui leur sont adressées par les bureaux de liaison des autres Etats membres. L'alimentation des fichiers d'analyse est également très aléatoire. Ce faible investissement français, dénoncé publiquement par le directeur d'Europol, M. Jürgen Storbeck, a plusieurs causes. Les services français ignorent trop souvent l'existence d'Europol, ou préfèrent utiliser leurs canaux habituels de coopération bilatérale avec des interlocuteurs bien identifiés, avec lesquels ils entretiennent de longue date des relations directes. Il existe un frein culturel lié à la spécificité des échanges d'informations dans le domaine policier, où le besoin de confiance prime. La concurrence d'Interpol, qui bénéficie de l'antériorité (il a été créé en 1923) et de la proximité (son siège est fixé en France, à Lyon), constitue également un facteur. Les méthodes d'analyse criminelle développées par Europol, d'inspiration anglo-saxonne et dont les policiers français ne sont pas familiers, est aussi mise en avant.

S'ajoute à cette situation une sous-représentation de la France au sein de la structure administrative d'Europol. Hormis les cinq officiers de liaison affectés auprès d'Europol, on ne compte ainsi que vingt-trois personnels français, soit 9 % de l'effectif d'Europol (alors que les Pays-Bas comptent 55 agents, le Royaume-Uni 33 et la Belgique 27). En outre, depuis le départ de M. Gilles Leclair, qui occupait l'un des trois postes de directeurs adjoints, la France n'est plus représentée au niveau du directorat. Cette sous-représentation tient à une absence de stratégie française de placement d'agents à Europol, d'autant plus regrettable que la présence d'un fonctionnaire français à la tête du service de gestion des ressources humaines pourrait constituer un atout. Les candidatures ne sont pas assez préparées et le passage à Europol n'est pas valorisé dans le déroulement des carrières.

Les modalités de contrôle d'Europol sont devenues inadaptées. La montée en puissance d'Europol ne s'est en effet pas accompagnée d'un renforcement de son contrôle.

Le contrôle du directeur par le conseil d'administration est inefficace. Chaque Etat membre est, en principe, représenté en son sein par un représentant. En pratique, chaque délégation compte près de quatre personnes, élevant le nombre des participants à 60 personnes, 100 après l'élargissement. Combiné à une présidence tournante, qui change chaque semestre avec celle de l'Union, ces effectifs pléthoriques l'empêchent de peser réellement sur l'action de la direction.

La définition des orientations stratégiques par le Conseil « Justice et affaires intérieures » est également insuffisante. Le fonctionnement peu satisfaisant du conseil d'administration tend en effet à reporter certains débats d'organisation sur le Conseil « JAI », sans le mettre à même de déterminer de grandes orientations d'action.

Le contrôle exercé par l'Autorité de contrôle commune (ACC) indépendante, composée de deux représentants de chacune des autorités de contrôle nationales et chargée de s'assurer qu'Europol respecte les dispositions de la convention sur la protection des données, souffre de deux faiblesses importantes. La première tient à sa dépendance budgétaire à l'égard d'Europol, et la seconde à un recours croissant aux « MSOPES » (« Member State Operational Projects With Europol Support »), qui permettent aux autorités nationales de s'adresser directement à Europol pour créer des fichiers d'analyse, sans recourir à la procédure prévue par la Convention. Le protocole présenté par le Danemark comporte une disposition visant à donner un fondement juridique à cette pratique, qui affaiblit le contrôle de l'ACC. Cette situation est d'autant plus préoccupante que la durée de conservation des données est, en outre, portée de trois à cinq ans, avec un réexamen triennal.

Le Parlement européen est destinataire, chaque année, d'un rapport spécial sur l'activité d'Europol, qui est une version retouchée du rapport général annuel. Il est également consulté avant toute modification de la Convention et pour l'adoption des actes du titre VI (décisions-cadre, décisions et conventions) concernant Europol. Cette intervention reste cependant très limitée, et le Parlement européen a exprimé dans plusieurs recommandations - la dernière date du 9 avril dernier - sa volonté que soit renforcé le contrôle parlementaire d'Europol.

Enfin, les Parlements nationaux sont associés, selon les règles constitutionnelles respectives de chaque Etat membre, à la ratification des modifications de la Convention Europol. En France, cette association prend la forme d'une loi autorisant cette ratification, en application de l'article 53 de la Constitution. Le Parlement français peut également prendre position sur les actes concernant Europol et comportant des dispositions de nature législative selon les modalités prévues à l'article 88-4 de la Constitution. Ce contrôle, adapté lorsque Europol ne disposait d'aucune compétence opérationnelle, devra nécessairement être renforcé si celles-ci sont augmentées et lorsque la Convention Europol sera remplacée par un instrument communautaire, comme le préconise la Convention sur l'avenir de l'Europe.

Ces évolutions et les dysfonctionnements relevés appellent plusieurs recommandations.

Une première série vise à renforcer l'utilisation d'Europol par les services répressifs français. Elle devrait être facilitée par les modifications envisagées par le protocole présenté par le Danemark précité. Le monopole détenu par les « Unités nationales Europol » (UNE) dans les relations des Etats membres avec Europol doit en effet être assoupli. Les Etats membres pourront autoriser des contacts directs entre les services compétents désignés et Europol, dans les conditions qu'ils auront déterminées (y compris, s'ils le souhaitent, l'intervention préalable de l'unité nationale). Le rôle de filtrage et de centralisation de l'information des UNE sera préservé, dans la mesure où les unité nationales recevront toutes les informations échangées dans ce cadre et qu'elles continuent de constituer le circuit normal. Cette évolution devrait renforcer la connaissance et la confiance des enquêteurs à l'égard de l'Office.

Il convient cependant également de promouvoir l'utilisation d'Europol par les services français en désignant un « correspondant Europol » au sein de chacune des directions interrégionales de police judiciaire (DIPJ) mises en place récemment. Cette mesure permettrait de rendre clairement identifiable le réseau français Europol auprès des enquêteurs.

L'émergence d'une culture policière européenne pourrait aussi être promue par le développement de formations communes, en liaison avec le Collège européen de police (CEPOL).

Une seconde a pour objet d'accroître la représentation française au sein d'Europol. La présence française au sein d'Europol pourrait être renforcée en développant une stratégie concertée entre les différences services intéressés de recrutement et de placement et une politique active de valorisation des détachements au sein d'Europol. Les agents concernés se voient trop souvent pénalisés par leur détachement, alors que leur expérience pourrait être mise à profit utilement lors de leur retour en France. Cette stratégie devrait viser, en particulier, à permettre à la France d'être présente au sein de l'équipe de direction d'Europol, qui sera prochainement renouvelée.

La troisième concerne le contrôle démocratique d'Europol. Le contrôle exercé par le Parlement européen devrait être renforcé par le protocole précité, qui prévoit, qu'outre le rapport annuel, le plan financier quinquennal est communiqué au Parlement européen, qui pourra auditionner la présidence du Conseil ou son représentant au sujet d'Europol, ainsi que le directeur d'Europol.

On ne peut que se féliciter de ces modifications. La disparition de la commission mixte composée de membres des commissions compétentes en matière policière des Parlements nationaux et du Parlement européen, qui figurait dans la proposition présentée par le Danemark, est en revanche regrettable. Cette commission mixte, dont la création a été proposée lors de la conférence interparlementaire de La Haye organisée par le Parlement néerlandais, les 7 et 8 juin 2001, et dont la Commission européenne préconise également la création dans sa communication du 26 février 2002 consacrée au contrôle démocratique d'Europol, est indispensable. Elle permettrait de mettre en place un contrôle structuré et unifié au niveau de l'Union européenne, et non plus un contrôle morcelé, donc moins efficace. Elle pourrait se réunir deux fois an, avec une antenne plus restreinte qui assurerait le contact permanent avec Europol à La Haye. Elle éviterait la duplication des contrôles et favoriserait la spécialisation des parlementaires. Le Parlement européen y a récemment apporté son soutien, lors du vote de recommandations sur Europol le 9 avril dernier. Cette association plus étroite des Parlements nationaux constitue la contrepartie nécessaire de la transformation, recommandée par la Convention européenne, de la Convention Europol en un instrument communautaire.

Le contrôle de la direction d'Europol par le conseil d'administration pourrait également être accru par l'adoption d'une présidence permanente. L'Autorité de contrôle commune devrait être dotée d'une autonomie financière, et le recours aux « MSOPES » sévèrement encadré et placé sous son contrôle. Dans une perspective de plus long terme, les futures activités opérationnelles d'Europol devront être placées sous le contrôle d'un parquet européen compétent pour tous les « eurocrimes » relevant de la compétence d'Europol.

Enfin, l'efficacité d'Europol pourrait être accrue par la simplification de son régime linguistique, avec l'adoption d'un nombre limité de langues de travail. La fusion d'Europol avec l'Office européen de lutte anti-fraude permettrait également de rationaliser l'empilement des structures européennes observable en matière policière et judiciaire. La répression de la fraude aux intérêts communautaires constitue en effet clairement un « eurocrime » requérant la mise en place d'un corps de policiers européens indépendant des Etats et disposant de prérogatives de police judiciaire, sous le contrôle d'un parquet européen.

Europol change progressivement de nature : d'un office de police chargé simplement d'assister les Etats membres par le traitement et la diffusion d'informations et de renseignements, il devient un organe plus opérationnel. Les propositions franco-allemandes à la Convention européenne tendent à en faire une véritable force de police européenne, dotée d'un pouvoir direct d'enquête. Cette évolution doit s'accompagner d'un renforcement des contrôles, aussi bien politique que juridictionnel, dont il fait l'objet.

Le rapporteur d'information a, enfin, souligné les difficultés qu'il a rencontrées pour obtenir le rapport d'une mission que l'Inspection générale de l'administration a effectuée sur l'avenir d'Europol, et rappelé l'importance des droits d'information du Parlement pour l'exercice de sa mission de contrôle.

Le Président Pierre Lequiller s'est félicité de ce débat sur les questions de justice et d'affaires intérieures, dont il a souligné l'importance, qu'ont permis l'audition du ministre de l'intérieur et l'examen de ces deux rapports d'information.

Puis la Délégation a adopté la proposition de résolution suivante :

« L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'initiative du Royaume du Danemark en vue de l'adoption d'un acte du Conseil portant établissement, sur la base de l'article 43, paragraphe 1, de la convention portant création d'un Office européen de police (Convention Europol), d'un protocole modifiant la dite Convention (10307/02 / E 2064),

Vu les projets d'accords entre Europol, d'une part, et la République slovaque, la Bulgarie, Chypre, et la Fédération de Russie, d'autre part (15747/02 / E 2197 ; 15749/02 / E 2198 ; 15750/1/02 / E 2199 ; 15751/02 / E 2200),

I. En ce qui concerne le renforcement de la participation française au fonctionnement d'Europol :

1. Se félicite de l'assouplissement du monopole détenu par les « Unités nationales Europol » dans les relations des Etats membres avec Europol, qui permettra d'accroître la connaissance par les enquêteurs français des services offerts par Europol ;

2. Recommande la désignation, au sein de chacune des directions interrégionales de police, d'un « correspondant Europol », afin de rendre clairement identifiable le réseau français Europol auprès des enquêteurs ;

3. Souhaite que l'émergence d'une culture policière commune soit encouragée grâce au développement de formations communes aux Etats membres, en liaison avec le Collège européen de police ;

4. Estime qu'une stratégie concertée entre les différents services de recrutement et de placement, ainsi qu'une politique active de valorisation des détachements d'agents français au sein d'Europol devraient être promues.

II. En ce qui concerne le contrôle démocratique d'Europol :

5. Approuve le renforcement du contrôle exercé par le Parlement européen sur Europol prévu par le projet de protocole présenté par le Royaume du Danemark ;

6. Demande qu'une commission mixte composée de parlementaires européens et de parlementaires nationaux soit mise en place pour contrôler l'Office européen de police ;

7. Suggère que le contrôle de la direction d'Europol par son conseil d'administration soit renforcé par l'adoption d'une présidence permanente de ce conseil ;

8. Souhaite que l'Autorité de contrôle commune soit dotée d'une autonomie financière et que le recours aux « Member State Operational Projects With Europol Support » soit davantage encadré et placé sous son contrôle ;

9. Recommande, qu'à terme, les compétences opérationnelles d'Europol soient placées sous le contrôle d'un parquet européen.

III. En ce qui concerne l'efficacité d'Europol :

10. Estime qu'une simplification du régime linguistique d'Europol, à travers l'adoption d'un nombre limité de langues de travail, est indispensable ;

11. Suggère que l'Office européen de lutte anti-fraude, dans un souci de rationalisation, soit fusionné avec Europol. »

IV. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Point A

Aucune observation n'ayant été formulée, la Délégation a approuvé les quatre textes suivants :

¬ Pêche

- proposition de règlement du Conseil relatif à la conclusion de l'accord sous forme d'échange de lettres relatif à la prorogation du protocole 2000-2001 fixant les possibilités de pêche et la contrepartie financière prévues par l'accord conclu entre la Communauté économique européenne et le gouvernement de la République populaire révolutionnaire de Guinée, concernant la pêche au large de la côte guinéenne, pour la période allant du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2003 (document E 2238) ;

- proposition de décision du Conseil relative à la signature, au nom de la Communauté européenne, et à l'application provisoire de l'accord sous forme d'échange de lettres relatif à la prorogation du protocole fixant les possibilités de pêche et la contrepartie financière prévues dans l'accord entre la Communauté économique européenne et le gouvernement de la République populaire révolutionnaire de Guinée concernant la pêche au large de la côte guinéenne pour la période allant du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2003 (document E 2239).

¬ PESC et relations extérieures

- proposition de décision du Conseil concernant la conclusion d'un accord visant à renouveler l'accord de coopération dans le domaine de la science et de la technologie entre la Communauté européenne et le gouvernement de la Fédération de Russie (document E 2237) ;

- proposition de décision du Conseil approuvant la conclusion, par la Commission, d'un accord de coopération dans le domaine des utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire entre la Communauté européenne de l'énergie atomique (EURATOM) et la République d'Ouzbékistan (document E 2248).

Point B

¬ Education

- proposition de décision du Parlement européen et du Conseil arrêtant un programme pluriannuel (2004-2006) pour l'intégration efficace des technologies de l'information et de la communication (TIC) dans les systèmes d'éducation et de formation en Europe (Programme eLearning) (document E 2182).

La Délégation a approuvé cette proposition de décision.

¬ Questions budgétaires

- avant-projet de budget rectificatif n° 2 au budget 2003 - Etat des dépenses et des recettes par section - Section VII Comité des régions (document E 2224-2).

Cet avant-projet de budget rectificatif prévoit d'accorder au Comité des régions une enveloppe de 350 000 euros pour couvrir les frais de réunion des représentants des futurs Etats membres.

La Délégation s'est opposée à l'adoption du projet d'acte communautaire dans la mesure où il ne s'agissait pas d'une dépense imprévisible lors de l'élaboration du budget initial pour 2003 et où il doit être possible d'y faire face par un redéploiement de crédits.

Par ailleurs, la Délégation a pris acte, selon la procédure d'examen en urgence, de l'approbation des trois textes suivants :

- projet de décision du Conseil de l'Union européenne relative à l'admission de la République tchèque, de la République d'Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque à l'Union européenne (document E 2253) ;

- projet de décision du Parlement européen et du Conseil concernant la révision des perspectives financières (document E 2256) ;

- projet de position commune du Conseil 2003/.../PESC relative à la Birmanie/au Myanmar (document E 2258).