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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 47

Réunion du mardi 10 juin 2003 à 16 heures 45

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Réunion de travail avec une délégation de la commission des lois et une délégation de la commission des lois de la Chambre des députés de la République tchèque

Après avoir remercié le Président Pierre Lequiller pour son accueil, M. Stanislav Krecek, Vice-président, a exprimé son intérêt pour le processus d'intégration du droit communautaire dans la législation nationale. Il a demandé quels étaient les mécanismes d'intégration, notamment s'agissant des droits de l'homme. Il a souhaité connaître, à cet égard, le rôle des institutions nationales, en particulier, du Conseil constitutionnel.

Le Président Pierre Lequiller a répondu que cette question était au cœur des compétences de la Délégation pour l'Union européenne. Composée de trente-six membres, appartenant à la fois à l'ensemble des groupes politiques et des six commissions permanentes de l'Assemblée nationale, la Délégation examine régulièrement les propositions de directive et de règlement communautaires, sur lesquelles elle donne un avis qui, lorsqu'il prend la forme d'une proposition de résolution, est examiné par la commission permanente compétente. Cette position est transmise au Gouvernement qui négocie au Conseil de l'Union. La Délégation participe également aux travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe en vue d'élaborer une future Constitution pour l'Union.

Il a rappelé par ailleurs que la France accusait un retard concernant la transposition des directives communautaires. Ce retard, principalement lié au mode de traitement des dossiers par les ministères concernés, est en train d'être réduit, de sorte que la France devrait bientôt se retrouver en la matière dans la moyenne des pays de l'Union.

M. Jacques Floch a ajouté que les droits de l'homme ne donnaient pas lieu à un processus d'intégration juridique particulier : ils font depuis longtemps partie intégrante du droit français. D'ailleurs, le préambule de la Constitution française proclame l'attachement du peuple français à ceux-ci. En outre, le droit national est largement conforme à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

M. Stanislav Krecek, Vice-président, a précisé que la Cour suprême tchèque pouvait annuler certaines décisions des tribunaux nationaux et que, par ailleurs, sa jurisprudence pouvait parfois être contraire à celle de la Cour européenne des droits de l'homme, ce qui n'est pas sans poser problème.

S'agissant de la Convention sur l'avenir de l'Europe, il a indiqué que la Chambre des députés tchèque suivait de près ses travaux, ainsi que les propositions formulées par les « petits » pays. Il a demandé comment la France voyait l'issue de ses travaux.

Le Président Pierre Lequiller a indiqué qu'il fallait réformer les traités de façon à permettre à l'Europe de mieux fonctionner. La République tchèque y a d'ailleurs intérêt dans la perspective de son entrée dans l'Union le 1er mai 2004. Les propositions présentées par la Convention tendent à améliorer ce fonctionnement et à rendre l'Europe plus forte. Quatre orientations principales se dégagent aujourd'hui. D'abord, la désignation d'un président stable du Conseil européen. Cela permettra aux citoyens européens d'avoir une meilleure visibilité de l'action de l'Union européenne et de conférer à celle-ci une plus grande continuité. Deuxièmement, l'instauration d'une Commission supranationale, dans laquelle les commissaires ne seraient pas désignés pour représenter leur pays, mais pour défendre pleinement l'intérêt de l'Europe - même dans les domaines où ces intérêts ne coïncident pas avec ceux de leur propre pays. Pour répondre au souci manifesté par certains « petits » pays de conserver un commissaire, a été proposé un compromis selon lequel tous les pays auront un commissaire jusqu'en 2009, date à partir de laquelle le nombre de ceux-ci sera limité à quinze et où sera instauré un mécanisme de rotation égalitaire. Troisièmement, l'adoption d'un nouveau système de majorité qualifiée au Conseil, fondé sur la majorité des Etats membres représentant au moins les trois cinquièmes de la population de l'Union. La France a accepté, malgré les réserves qu'elle pouvait éprouver, l'application de ce principe de majorité qualifiée à la politique étrangère et aux questions de justice et des affaires intérieures. Il est cependant regrettable que cette nouvelle règle ne s'applique qu'à partir de 2009, voire - si le Conseil en décidait ainsi - à partir de 2012. Il est enfin prévu de renforcer le rôle de la Commission, la désignation de son Président étant proposée par le Conseil européen, puis approuvée par le Parlement européen. De même, le rôle de colégislateur du Parlement européen serait accru. Les conseils sectoriels feraient l'objet d'une présidence tournante, d'au moins un an, afin d'associer au mieux l'ensemble des pays de l'Union.

Le projet offre donc l'avantage de constituer une réforme audacieuse et pertinente des institutions européennes, tout en ménageant une période de transition.

Le Président Pierre Lequiller a souligné les autres avancées importantes réalisées par la Convention européenne, telles que l'intégration de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dans le traité constitutionnel, le droit d'alerte précoce confié aux Parlements nationaux pour assurer le respect du principe de subsidiarité ou la réforme des instruments législatifs de l'Union, avec les lois et les lois-cadres européennes. Il a rappelé que les nombreuses rencontres du président de la Convention, M. Valéry Giscard d'Estaing, au cours de la semaine dernière, avec les différentes composantes de la Convention ont permis de rassurer les représentants des chefs d'Etat ou de gouvernement, en particulier des nouveaux Etats membres.

M. Jérôme Lambert a rappelé que les commissaires européens ne représentent pas leur Etat membre au sein de la Commission et qu'ils prennent leur décision en fonction de l'intérêt général de l'Union. La France, qui dispose de deux commissaires, est d'ailleurs fréquemment mise en difficulté par des décisions de la Commission, par exemple en matière budgétaire.

M. Radim Chytka a estimé qu'une partie des parlementaires et de l'opinion publique tchèques s'inquiète de l'adhésion. La République tchèque vient en effet de retrouver sa liberté et sa souveraineté et ne souhaite pas la perdre. La volonté d'une Europe plus forte ne doit pas conduire à une Europe fédérale, que les citoyens européens ne veulent pas. Un président unique pour la Commission et le Conseil européen irait dans le sens d'une telle Europe fédérale. Il a souligné que le futur traité constitutionnel sera soumis, en République tchèque, à un référendum, et a souhaité savoir s'il en serait de même dans les autres Etats membres, notamment en France.

Le Président Pierre Lequiller a indiqué qu'il comprenait la crainte que se constitue une Europe fédérale et estimé que le projet de Constitution ne mettait pas en place un système fédéral. Dans certains domaines, comme la concurrence, l'euro ou la politique commerciale, les Etats membres ont volontairement transféré leurs compétences à l'Union. Mais dans beaucoup d'autres secteurs, les compétences restent partagées ou relèvent exclusivement des Etats membres. Il a précisé que son inquiétude tient donc plutôt à ce que l'Europe n'avance pas assez vite. Pour que l'Europe soit plus forte, il faut recourir davantage à la majorité qualifiée au Conseil et envisager d'autres transferts de compétences. Cela ne conduira pas à une perte d'identité, parce que l'originalité de l'Union européenne consiste à combiner certains aspects fédéraux avec des mécanismes intergouvernementaux, qui respectent le droit de chacun des Etats membres. En ce qui concerne la ratification du futur traité constitutionnel par référendum ou après autorisation parlementaire, ce choix relève, en France, du président de la République. Le Président Pierre Lequiller a cependant souligné qu'il est probable, compte tenu des enjeux, que celui-ci choisisse de recourir au référendum.

M. Jérôme Lambert a précisé que le parti socialiste souhaite que ce traité soit soumis à un référendum.

M. Radim Chytka s'est interrogé sur la capacité de l'Union européenne de mettre en place une politique étrangère et une défense communes, après les divisions qu'a suscitées la guerre en Irak entre les Etats membres.

Le Président Pierre Lequiller a relevé que les modes de décision applicables en matière de politique étrangère commune ont révélé leurs faiblesses. Le conseil « Affaires générales » qui s'est déroulé en janvier dernier au sujet du conflit irakien n'a en effet donné lieu à aucun débat, chaque Etat membre se contentant à cette occasion de rappeler sa position. L'Union doit progresser dans ce domaine, et la création d'un ministre des affaires étrangères de l'Union, qui exercera les fonctions de l'actuel commissaire chargé des relations extérieures, M. Chris Patten, et du Haut représentant pour la PESC, M. Javier Solana, y contribuera. A la fois vice-président de la Commission et président du conseil « affaires étrangères », ce ministre des affaires étrangères européen bénéficiera de l'autorité nécessaire. Combiné à l'adoption d'une présidence stable du Conseil européen, il mettra fin aux deux grandes faiblesses de la politique étrangère commune : la multiplicité des acteurs et la précarité de son acteur principal. En matière de défense européenne, des progrès importants ont été enregistrés pendant le conflit irakien, en dépit des divisions des Etats membres. C'est le cas, par exemple, avec l'A400M, le système Galileo, ou la coopération franco-britannique pour la construction d'un second porte-avions. La France souhaite progresser davantage dans ce domaine.

M. Radim Chytka a interrogé le Président Pierre Lequiller sur sa position quant aux règles devant régir la prise de décision en matière de politique étrangère, à la majorité qualifiée ou à l'unanimité.

Le Président Pierre Lequiller a indiqué que les règles de prise de décision en matière de politique étrangère pouvaient être différentes suivant les sujets concernés. Il a précisé que la France était favorable à la règle de la majorité qualifiée, à l'exception des décisions ayant des implications en matière de défense.

Il a ainsi souligné que la décision d'envoi de troupes dans un conflit armé devait continuer à relever des Etats membres. Il a exprimé le regret que la Convention n'ait néanmoins pas étendu, à ce stade de ses travaux, davantage la règle de la majorité qualifiée en matière de politique étrangère.

M. Jacques Floch a noté que l'idée d'une clause d'assistance mutuelle liant les Etats de l'Union en matière de défense participait à l'émergence d'une véritable solidarité européenne. Il a considéré que beaucoup de pays d'Europe centrale et orientale estimaient que l'adhésion à l'OTAN représentait une garantie de sécurité et que l'adhésion à l'Union européenne s'inscrivait, quant à elle, dans une perspective de développement économique et social. Il a souligné que l'Europe devait à terme assurer elle-même sa défense, mais que ce processus serait long. Il a jugé qu'il n'y avait aucune raison que les pays européens, qui représentent ensemble un poids économique et démographique très important, se laissent imposer des choix de l'extérieur. Il a rappelé que plusieurs « avant-gardes » existaient déjà au sein de l'Union en matière de défense.

M. Stanislav Krecek, Vice-président, a rejoint l'opinion exprimée par M.Jacques Floch quant à la durée nécessairement longue du processus qui pourrait conduire, à terme, à une défense européenne. Il a par ailleurs considéré que l'équilibre du monde n'était pas seulement lié à l'existence de forces militaires, mais aussi à un meilleur partage des richesses.

Evoquant le Secrétariat général du Comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (SGCI), M. Stanislav Krecek a interrogé le Président Pierre Lequiller sur l'étendue des pouvoirs de ce Secrétariat général, craignant que celui-ci n'empiète sur le rôle du Gouvernement et du Parlement en matière européenne.

Le Président Pierre Lequiller a indiqué que le SGCI était placé sous l'autorité du Premier ministre et que son rôle s'exerçait entièrement dans le cadre de la nécessaire concertation interministérielle en matière européenne. Il a précisé que la Délégation avait des relations de travail très suivies avec le SGCI et que celui-ci n'avait en aucune façon vocation à empiéter sur le rôle du Parlement dans l'exercice de son contrôle de l'action du Gouvernement en matière européenne.

Par ailleurs, le Président Pierre Lequiller a tenu à préciser que le dernier projet de Constitution européenne présenté, la semaine dernière, par le Présidium, ne mentionnait plus d'incompatibilité entre les fonctions de Président du Conseil européen et de Président de la Commission. L'option ainsi ouverte constitue évidemment un important saut qualitatif, qui n'est pas envisageable à court terme.

M. Stanislav Krecek, Vice-président, a remercié le Président Pierre Lequiller pour son accueil et pour ce débat sur un sujet auquel les parlementaires tchèques accordent une grande importance. Il a souhaité que la coopération franco-tchèque, dans les organes européens, soit excellente.

Le Président Pierre Lequiller a affirmé que la commission des lois et la Délégation avaient été très heureuses de l'organisation de cette rencontre, d'autant que beaucoup de liens existent entre la France et la République tchèque. La France dispose d'une image forte en République tchèque, qui comprend d'ailleurs beaucoup de francophiles. Il faut enfin souhaiter à la République tchèque une entrée brillante dans l'Union européenne.