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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 62

Réunion du mercredi 5 novembre 2003 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Audition de M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, sur les travaux de la Conférence intergouvernementale

Le Président Pierre Lequiller a accueilli M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, en soulignant l'attention très suivie portée par la Délégation au déroulement de la Conférence intergouvernementale (CIG).

M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, a estimé qu'un mois après l'ouverture de ses travaux, la CIG entrait à présent dans une nouvelle phase. Avant le conclave ministériel prévu fin novembre, la présidence italienne doit proposer un projet de compromis final. Le ministre a considéré que cet exercice était délicat et incertain. Depuis l'ouverture de la CIG, les échanges n'ont pas vraiment permis une évolution des positions des Etats.

Le clivage est clair entre ceux qui souhaitent préserver l'équilibre auquel est parvenue la Convention et ceux, plus nombreux, qui veulent remettre sur le métier l'ensemble des points sur lesquels la Convention a proposé des innovations ou des progrès. Ce clivage ne correspond nullement à une distinction entre « grands » et « petits » Etats.

Les difficultés principales dans le domaine institutionnel sont liées, d'une part, à la réduction de la taille de la Commission, à laquelle sont opposés un grand nombre d'Etats, et, d'autre part, au système de la double majorité au Conseil que l'Espagne et la Pologne refusent. Sur ces deux points, les Etats qui contestent le projet de la Convention souhaitent en revenir aux dispositions du traité de Nice. Par ailleurs, de très nombreux amendements ont été proposés en ce qui concerne les dispositions relatives aux politiques, y compris par des Etats qui ne souhaitent pas remettre en cause le compromis institutionnel. La France est opposée aux amendements qui visent à revenir sur les dispositions étendant le champ de la majorité qualifiée dans le domaine fiscal et social. Une majorité de partenaires reste opposée aux possibilités nouvelles ouvertes par le texte de la Convention en matière de défense, notamment aux dispositions relatives aux coopérations structurées et à la clause de défense mutuelle. A travers ces divergences se pose la question des relations entre une future défense européenne et l'OTAN.

Le ministre a ensuite souligné que face à ces difficultés, la France adopte une approche constructive et ouverte. Le Président de la République a indiqué dès l'ouverture de la CIG à Rome que la France souhaite que la Conférence s'écarte le moins possible du projet adopté par la Convention. La Convention a en effet été un véritable exercice politique démocratique et transparent dont la légitimité est forte. Le résultat est inespéré et répond à l'objectif fixé : une Union plus efficace, plus démocratique et plus transparente. L'équilibre atteint sera difficile à modifier. La France plaide pour que tout changement au texte de la Convention ne soit accepté qu'à condition d'avoir fait l'objet d'un consensus.

Il a souligné que le projet de la Convention est naturellement perfectible. Dans le domaine institutionnel, la France est ainsi favorable à ce que des clarifications soient apportées, d'une part, à l'organisation de la présidence du Conseil des ministres, le débat sur ce sujet pouvant être reporté à l'après CIG, d'autre part, au rôle et aux attributions du ministre des affaires étrangères de l'Union : celui-ci devant avoir une place particulière au sein du collège des commissaires, il s'agit de garantir la mise en œuvre des décisions politiques du Conseil, le cas échéant à travers les moyens de la Commission. S'agissant des dispositions relatives aux politiques de l'Union, la France a proposé des ajustements limités visant au renforcement de la capacité décisionnelle de la zone euro, à l'élargissement du champ de la majorité qualifiée en matière sociale et pour la fiscalité liée au marché intérieur, à une meilleure répartition des pouvoirs entre le Conseil et le Parlement européen en ce qui concerne la procédure budgétaire annuelle, à une prise en compte renforcée de la spécificité des régions ultra périphériques. En matière de défense, la France s'efforce de répondre aux craintes exprimées par certains Etats en ce qui concerne l'ouverture et la transparence de la coopération structurée, tout en veillant à préserver les avancées du projet. Il s'agit de permettre à l'Europe de se doter des moyens d'assurer sa crédibilité sur la scène internationale.

Le ministre a, par ailleurs, indiqué que la France était à l'écoute des préoccupations de ses partenaires pour trouver des solutions, en particulier sur les sujets les plus difficiles. S'agissant de la composition de la Commission, la France n'est pas favorable à une Commission élargie et soutient donc le texte de la Convention. La plupart des Etats membres conteste cette approche. Il n'est pas exclu que le prochain compromis préparé par la présidence italienne puisse revenir sur le texte de la Convention pour aller dans le sens d'une représentation de tous les Etats au sein de la Commission, avec la possibilité de deux commissaires pour les « grands ». En ce qui concerne la question du vote au Conseil, la France a accepté le système de la double majorité en considérant qu'il reflétait clairement la double nature démocratique de l'Union, qu'il était compréhensible pour le citoyen et qu'il donnait à la France un plus grand poids. La France est opposée à un retour à la pondération issue du traité de Nice et examine d'autres solutions pour régler les difficultés de l'Espagne et de la Pologne. Mais il faut garder à l'esprit que dans une Europe élargie, l'Europe a besoin d'être forte et réactive. Elle doit aussi pouvoir agir de façon diversifiée, ce à quoi répond le système des coopérations renforcées. Il faut que chacun s'efforce de dépasser la défense de ses intérêts nationaux à court terme, sinon on prend le risque lourd de la paralysie et de l'échec. La nécessité de préserver les possibilités d'avancées tend heureusement à grandir chez un certain nombre d'Etats.

M. Dominique de Villepin a souligné que la balle est à présent dans le camp de la présidence italienne qui doit maintenant proposer les éléments d'un compromis global. Compte tenu de la fermeté des positions de certains partenaires, un échec de la CIG n'est pas une hypothèse à exclure.

Si les débats en cours aboutissaient à un abandon de certaines des avancées principales de la Convention - présidence stable du Conseil européen, ministre européen des affaires étrangères, extension de la majorité qualifiée, approfondissement de la politique de défense, défense de l'identité culturelle...-, la France préférera un constat clair d'échec à l'affadissement du niveau d'ambition. Mais il convient de faire confiance à la capacité de la présidence italienne de faire naître un consensus proche du texte de la Convention. Un accord est possible si chacun souhaite aboutir. Il ne pourra se nouer qu'au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, sans doute au cours du Conseil européen de la mi-décembre.

Le ministre a conclu en estimant qu'il fallait s'armer de patience et faire preuve de détermination, chacun mesurant bien les enjeux essentiels de la négociation en cours. En tout état de cause, on n'empêchera pas d'avancer ceux qui le souhaitent. Le mouvement n'est pas négociable. Dans les quelques semaines qui restent avant la fin de la CIG, il faut se mobiliser, poursuivre le travail de contact et de persuasion auprès de tous nos partenaires, maintenir nos convictions. Il s'agit de faire la preuve qu'une fois de plus, l'Europe peut parvenir, en dépit des difficultés, à des accords ambitieux et des décisions courageuses.

Le Président Pierre Lequiller, après avoir remercié le ministre pour la clarté et la précision de son propos, a rappelé les périodes de crise qu'avait, en son temps, également traversé la Convention quelques jours avant la fin de ses travaux. Nombreux étaient les journalistes qui misaient alors sur un échec, lequel ne s'est finalement pas produit. Puis il a interrogé le ministre sur la stratégie de négociation de certains gouvernements qui placent volontairement très haut la barre de leur revendications mais dont les positions pourraient, à terme, se révéler moins rigides. Evoquant le rôle du futur ministre européen des affaires étrangères, il a demandé des précisions sur la clarification de son statut face au Conseil et face à la Commission. La proposition de la Convention visant à créer un Conseil législatif ne semble pas avoir été retenue par les gouvernements, qui l'auraient rejeté dès la première session ministérielle de la CIG. Ce refus est-il définitif ? En ce qui concerne les modalités de révision du traité constitutionnel, le Président Lequiller a souhaité savoir si la France serait favorable à un assouplissement des modalités de révision, dans la perspective d'éventuelles modifications futures du texte constitutionnel. S'exprimant ensuite sur la négociation relative à la composition de la Commission, il a souhaité connaître la position de l'Allemagne au sein de la CIG, après les récentes déclarations du Chancelier Gerhard Schröder laissant entrevoir un possible ralliement au principe d'au moins un commissaire par Etat membre. Puis il a interrogé le ministre sur l'intention qu'auraient manifesté plusieurs Etats de limiter la coopération judiciaire et policière.

En réponse, M. Dominique de Villepin a apporté les précisions suivantes :

- la stratégie de négociation varie d'un pays à l'autre au sein de la Conférence intergouvernementale. Certains Etats ont d'ores et déjà infléchi leurs positions initiales, dans un esprit de réalisme et de responsabilité. C'est le cas de la Slovénie qui se concentre désormais sur le nombre de ses députés européens et sur sa représentation au sein de la Commission. En revanche, d'autres pays restent sur leurs positions, comme l'Espagne et la Pologne qui exigent que la Commission soit composée d'un commissaire par Etat membre et qui rejettent le principe de double majorité qui remet en cause le mécanisme de pondération des voix prévues par le traité de Nice. Dans la recherche d'un compromis, il faudra donc veiller à accorder à ces pays des compensations afin de préserver le système de double majorité préconisé par la Convention, et qui constitue un point dur pour l'Allemagne. En tout état de cause, il est prématuré de se prononcer sur l'issue de la négociation en cours. L'arbitrage qui sera opéré par la présidence italienne vers la mi-novembre permettra de savoir si l'on s'oriente vers une crise ou vers la recherche d'un système compensatoire ;

- l'instauration d'un ministre européen des affaires étrangères est une innovation majeure de la Convention. Il s'agit, en regroupant les fonctions de Commissaire et de
Haut-Représentant, de mettre en commun les moyens budgétaires et les instruments de la politique extérieure au service de l'influence de l'Union sur la scène internationale. Il reste néanmoins à clarifier ses fonctions face au Conseil et à la Commission. La France plaide pour un statut intermédiaire qui lui confère une forte capacité de proposition ;

- s'agissant du Conseil législatif, un consensus se dégage pour mieux distinguer au sein de chaque formation du Conseil les activités législatives des activités opérationnelles ;

- les modalités de révision de la future Constitution européenne devront répondre à une double préoccupation : d'une part, prémunir l'Union contre les blocages liées à l'exigence de l'unanimité ; d'autre part, assurer la légitimité démocratique qui nécessite l'intervention des Parlements nationaux. La France considère qu'il est nécessaire d'assouplir l'actuelle procédure de révision ;

- une Commission élargie à un commissaire par Etat membre n'est pas un gage d'efficacité et de collégialité de l'institution. Les demandes en ce sens traduisent en réalité une conception erronée du fonctionnement institutionnel de l'Union, étant donné que la Commission n'a pas vocation à représenter les Etats membres. Dans la recherche d'un consensus, plusieurs solutions ont été formulées. La proposition luxembourgeoise d'une Commission resserrée à dix-huit membres est intéressante car elle permettrait, dans une Europe à 27 pays, une rotation par groupes composés de deux tiers des Etats membres ;

- plusieurs pays, notamment le Royaume-Uni, souhaitent le maintien de l'unanimité dans les domaines de la coopération judiciaire et policière, ce qui constituerait, pour la France, un retour en arrière. L'émancipation de l'Union ne doit pas régresser à la lumière des événements internationaux car, in fine, ce sont la crédibilité et la capacité de l'Union à peser sur le destin des peuples et du monde qui sont en jeu.

M. Jacques Myard a estimé que la possibilité d'un échec de la CIG évoquée par le ministre, permettait d'aller vers davantage de réalisme, alors que le texte de la Convention présente - à ses yeux - l'inconvénient de contenir trop d'éléments communautaires dans des matières intergouvernementales et vice-versa. Considérant qu'il serait utile de faire davantage la distinction entre ce qui relève du marché et ce qui est du ressort de la souveraineté des Etats, il a regretté que le projet de texte n'organise pas suffisamment la coopération dans le cadre de l'Europe élargie, comme le montre l'exemple du ministre des affaires étrangères que l'on veut ériger en instrument des Etats, alors qu'il revêt encore des aspects trop communautaires. Il a souhaité savoir qu'elle était la place qui était accordée à l'arrangement de Luxembourg dans l'esprit du Gouvernement et si ce dernier envisageait, dans l'hypothèse où un texte serait élaboré, de soumettre celui-ci à la procédure du référendum, qu'il a qualifiée d'incontournable.

M. Michel Herbillon a jugé nécessaire que la France et d'autres Etats conjuguent leurs efforts pour que la CIG débouche non pas sur un échec mais sur un succès. Evoquant les sujets perfectibles mentionnés par le ministre, il a souhaité connaître les solutions envisagées pour définir le statut de la présidence du Conseil des ministres. S'agissant des sujets pour lesquels le Président de la République et le ministre se sont exprimés en hérauts - la défense et la diversité culturelle par exemple - il a demandé au ministre s'il existait une unanimité ou au contraire des divergences quant à la nécessité de préserver un statut particulier pour les biens culturels.

M. Christian Paul, constatant qu'il existe un décalage saisissant entre la négociation intergouvernementale et le débat public, a rappelé que le Forum social européen se réunirait prochainement en France. Il a demandé au ministre quel message la France pourrait lui adresser. Evoquant la perspective - que le ministre n'a pas écartée - d'un échec de la CIG, ce qui signifierait une menace de retour au traité de Nice, il s'est enquis des conséquences qui pourraient en résulter et notamment du fait de savoir si ce risque de blocage n'exigerait pas de procéder à la relance du chantier constitutionnel. Abordant la procédure de ratification du projet de traité constitutionnel, il a souhaité connaître les critères qui pourraient amener le Gouvernement à choisir la voie référendaire ou parlementaire.

M. René André s'est déclaré pessimiste devant l'attitude qu'il a qualifiée d'inquiétante des pays d'Europe centrale et orientale, dont le retour en Europe avait pourtant été accueilli dans l'enthousiasme. Si le fonctionnement de l'actuelle Commission n'est pas totalement satisfaisant, on risquera toutefois d'assister à la paralysie de cette dernière dans le cas où les vingt-cinq Etats désigneraient chacun un commissaire, solution qui est une illustration du plus petit dénominateur commun. Les nouveaux entrants auxquels le Président François Mitterrand avait proposé de constituer une confédération, idée qu'ils avaient refusée, car ils voulaient être des Européens à part entière, agissent en fait en vue de son instauration. Evoquant le rôle de la France, M. René André a considéré que si elle voulait aller de l'avant, il lui faudrait constituer avec d'autres Etats un groupe pionnier et promouvoir des coopérations renforcées. Tout en s'interrogeant sur la composition d'un tel groupe, il a estimé qu'il lui incombera prioritairement d'élaborer une politique commune dans les domaines de la défense, de la politique étrangère, de la justice et de la police. S'agissant de ce dernier point, il a souligné que les Etats n'étaient plus en mesure de faire face à l'internationalisation de la fraude au moyen de solutions purement nationales, ce qui posera la question de savoir quels sont les Etats qui accepteront de créer un Parquet européen.

M. Guy Lengagne a repris la teneur des dernières dépêches parues au sujet de la coopération policière et judiciaire européenne pour s'interroger sur les raisons profondes des Etats qui souhaiteraient mettre un frein à son développement, jugeant que, dans ce domaine important, la proximité avec les Etats-Unis ne saurait tout expliquer. Evoquant la réunion tenue le matin en Commission des affaires étrangères, il a souligné que le texte élaboré par la Convention y suscitait une large approbation, sans que le besoin se fasse sentir de le compléter par une référence aux valeurs chrétiennes, comme le réclament certains Etats membres qui reviennent aujourd'hui à la charge au sein de la Conférence intergouvernementale. Quant au combat sur le nombre des commissaires, il paraît perdu d'avance, attendu qu'il n'est pas d'Etat qui puisse accepter d'être représenté par un sous-commissaire, si bien que les partisans du texte de la Convention devraient être amenés à céder sur la question. D'une manière plus générale, il a jugé que l'enthousiasme personnellement affiché par le ministre avait baissé au cours des derniers mois, puisqu'il acceptait déjà d'envisager l'éventualité d'un échec de la Conférence intergouvernementale. Dans cette hypothèse, quelles propositions formulerait la diplomatie française ?

M. Robert Lecou a demandé des précisions sur l'identité des nouveaux Etats membres qui constitueraient cette Europe à 27, voire à 30 et plus, dont le ministre a parlé.

Le ministre a d'abord souhaité livrer son sentiment général sur la situation, sentiment qui reste teinté d'enthousiasme, malgré des apparences peut-être trompeuses. Pour rafraîchir les mémoires, il a rappelé qu'au moment où personne ne croyait à la réussite de la Convention, il avait marqué, en assemblée plénière, son hostilité à l'idée que la France puisse accepter un mauvais projet de constitution européenne en cas d'échec des travaux en cours. Même si le mérite du résultat auquel la Convention est finalement arrivée ne saurait être attribué tout entier à cette prise de position du gouvernement français, force est cependant de constater que le rappel des principes et des exigences fondamentales s'avère en définitive payant, leçon qui guide l'action du Gouvernement aujourd'hui. Il affiche fermement sa volonté de ne pas accepter n'importe quel texte. Que la Conférence intergouvernementale aboutisse ou non, l'Europe avancera avec ceux qui le voudront et qui disposent pour ce faire de plusieurs cordes à leur arc. Des situations de crise sont déjà sorties par le passé des solutions qui se sont révélées à l'usage ne pas être les plus mauvaises.

Puis, le ministre a apporté les éléments de réponse suivants :

- il prend note des positions de ceux qui formulent des critiques sur l'articulation de la dimension communautaire et de la dimension intergouvernementale au sein de l'actuel projet de Constitution ; mais le ministre rappelle que la Convention a précisément souhaité fondre dans son texte les piliers qui différenciaient les deux approches ;

- l'esprit du compromis de Luxembourg est toujours présent dans le traité, notamment sous le chapitre relatif à la politique étrangère et de sécurité commune ; il subsiste par ailleurs dans la pratique diplomatique des Etats, qui peuvent toujours y recourir, en cas d'atteinte à leurs intérêts vitaux ;

- le pays ne pourra pas occulter un grand débat sur l'Europe. Qu'il se déroule devant l'ensemble des citoyens ou devant leurs seuls représentants, sa légitimité sera incontestable au regard du respect dû à la souveraineté du peuple et de la nation, mais il convient avant tout qu'il ne soit pas détourné de son objet et que les perspectives constitutionnelles de l'Europe restent le centre des discussions ;

- à propos de la présidence du conseil des ministres, la formule d'une présidence par équipes est encore évoquée dans les débats au sein de la Conférence intergouvernementale, malgré les contraintes supplémentaires que le mécanisme implique en termes de coordination des hommes et des calendriers. Puisque rien de vraiment satisfaisant ne se dessine à la table des négociations, les Etats paraissent s'acheminer vers une solution qui ferait inscrire dans la Constitution les principes du fonctionnement de l'institution, en renvoyant à des textes ultérieurs la détermination de ses modalités ;

- le retour au traité de Nice multiplierait les possibilités de blocage puisque le texte fixait à 73 % environ le seuil de la majorité. En interdisant l'application d'une double majorité, l'installation d'une présidence stable du Conseil européen et l'élection du président de la Commission par le Parlement européen, ce pas en arrière conduirait vraisemblablement à une paralysie des institutions européennes, situation qui ne pourrait que relancer le besoin d'un nouveau projet de constitution dont les travaux de la Convention et les discussions actuelles au sein de la Conférence intergouvernementale formeraient nécessairement la base. Quel Etat serait prêt à porter devant l'opinion l'opprobre d'un pareil échec ?

- face à la question du recours ou non au référendum, le seul souci devra être l'Europe et la volonté de la mettre au centre des débats ;

- au sujet des groupes pionniers, il est important que la Constitution les définisse selon la formule la plus souple possible, afin de favoriser leur développement : si le marché intérieur et les conditions de concurrence imposent des règles unifiées, les Etats doivent pouvoir avancer en groupes resserrés dans d'autres domaines, comme l'éducation ou la justice, mais aussi la défense ou la politique étrangère. Ainsi en Iran, la récente mission des gouvernements français, allemand et anglais, a montré que les Etats peuvent mettre la diversité de leurs talents au service de l'intérêt commun.

M. Jacques Myard a observé sur ce point qu'un texte fondamental n'était pas nécessaire à ce genre d'opération, telle que l'Europe en a déjà tant connu dans sa longue histoire.

Reprenant son exposé, le ministre a souligné les points suivants :

- ces coopérations resserrées, qui doivent être organisées, présentent le risque de pouvoir froisser les autres Etats membres, qui ont le sentiment de ne pas être suffisamment consultés ; mais elles ne doivent pas non plus tomber dans l'ornière d'une procédure bureaucratique ;

- au sujet de l'héritage spirituel des Européens, il semble que quelques Etats, notamment l'Italie, la Pologne et l'Espagne, envisagent encore de changer le texte pour qu'il y soit fait mention des valeurs chrétiennes. Il est encore trop tôt pour mesurer l'ampleur de leur résistance, puisqu'aucune proposition de modification n'a encore été officiellement enregistrée. Aux yeux du gouvernement français, il n'est pas souhaitable de rouvrir le débat, la forme actuelle du texte donnant toute satisfaction ;

- les élargissements futurs de l'Europe concerneront d'abord la Roumanie et la Bulgarie, mais aussi la Turquie, trois pays au sujet desquels la Commission européenne vient de publier un rapport ce matin ; à ce trio s'ajoutent les cinq pays des Balkans - Croatie, Bosnie-Herzégovine, Serbie-Monténégro, Albanie, ex République yougoslave de Macédoine - ; la Norvège, la Suisse et l'Islande apparaissent également comme des candidats potentiels. Cette longue liste pose la question de savoir quel visage aura l'Europe au terme de cette évolution ;

- quant aux biens culturels, certains Etats peuvent avoir fait le calcul qu'en n'inscrivant pas le principe de leur reconnaissance dans le texte de la Convention, cela pourrait servir de monnaie d'échange dans les négociations au sein de la Conférence intergouvernementale ; mais il semble aujourd'hui que cette manœuvre ait tourné court, si l'on se réfère aux débats récents de l'UNESCO sur la diversité culturelle.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que la Délégation avait tenu avec son homologue du Bundestag une réunion commune à l'issue de laquelle les deux organes avaient adopté ensemble une déclaration où ils exprimaient leur soutien au texte de la Convention. La COSAC a également adopté, à une très large majorité, un texte commun allant dans le même sens, ce qui témoigne de l'engagement des parlements nationaux en faveur de l'actuel projet de Constitution. Soulignant que la France a su prendre des initiatives dans le domaine de la défense, il s'est demandé quelle était aujourd'hui la position des Britanniques au sujet de la création d'un état-major européen distinct de celui de l'OTAN, solution qui semblait avoir leur faveur avant qu'ils ne reviennent sur les premières intentions qu'ils avaient exprimées.

Le ministre a répondu que pour la diplomatie britannique, les embarras qu'a fait naître la crise irakienne pèsent lourd sur son action actuelle. Certains prêtent à la France des intentions cachées en l'accusant, de manière infondée, de vouloir distendre les relations entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis. L'activité diplomatique est en vérité compliquée aujourd'hui par les traces que la crise irakienne et les froissements qu'elle a provoqués ont laissées dans la communauté internationale. Cette dernière ne retrouvera sa sérénité qu'au prix de certains ajustements. Dans cette réorganisation, l'intérêt général européen doit l'emporter, ce qui est de l'intérêt des Etats-Unis eux-mêmes, car aucun pays ne peut à lui seul régler l'ensemble des défis posés par le monde d'aujourd'hui.

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Point A

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Aucune observation n'ayant été formulée, la Délégation a approuvé les trois textes suivants :

¬ Pêche

- proposition de décision du Conseil concernant la conclusion de l'accord sous forme d'échange de lettres relatif à l'application provisoire du protocole modifiant le quatrième protocole fixant les conditions de pêche prévues dans l'accord en matière de pêche entre la Communauté économique européenne, d'une part, et le gouvernement du Danemark et le gouvernement local du Groenland, d'autre part, pour ce qui est des dispositions sur la pêche expérimentale (document E 2407) ;

- proposition de règlement du Conseil relatif à la conclusion du protocole modifiant le quatrième protocole fixant les conditions de pêche prévues dans l'accord en matière de pêche entre la Communauté économique européenne, d'une part, et le gouvernement du Danemark et le gouvernement local du Groenland, d'autre part (document E 2409).

¬ Commerce extérieur

- proposition de règlement du Conseil portant modification du règlement (CE) n° 427/2003 du Conseil relatif à un mécanisme de sauvegarde transitoire applicable aux importations de certains produits de la République populaire de Chine et du règlement (CE) no 519/94 du Conseil relatif au régime commun applicable aux importations de certains pays tiers (document E 2413).