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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 70

Réunion du jeudi 8 janvier 2004 à 9 heures 30

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Echange de vues sur le recensement des points d'accord sur le projet de Constitution européenne

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que la Délégation, à la suite de l'échec des discussions du Conseil européen de Bruxelles sur le projet de Constitution, avait décidé d'envoyer certains de ses membres auprès des parlements nationaux des Etats membres et des nouveaux pays adhérents.

Il pourrait être envisagé d'organiser des missions, par exemple, dans les pays suivants : le Danemark, l'Espagne, la Hongrie, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la République tchèque, le Royaume Uni, ainsi que dans un des pays baltes. La réunion fixée le 28 janvier à Berlin, dans le cadre des rencontres du « Triangle de Weimar », permettrait en outre de débattre avec les parlementaires allemands et polonais.

Il a indiqué qu'une note avait été préparée par le secrétariat afin d'aider les députés dans leur mission.

II. Communication de M. Jacques Floch sur l'adhésion de Malte à l'Union européenne (rapport de mission)

M. Jacques Floch, rapporteur, a présenté une communication sur l'adhésion de Malte à l'Union européenne. La Délégation avait examiné, le 8 avril 2003, un rapport d'information (n° 777) sur l'adhésion de Malte à l'Union européenne. Le rapporteur n'avait pu se rendre sur place à l'époque, en raison du contexte politique difficile où intervenait la ratification du traité d'adhésion.

Une campagne référendaire particulièrement agitée a, en effet, précédé dans l'île des élections législatives non moins disputées. Car la vie politique maltaise est structurée, comme au Royaume-Uni, autour d'un bipartisme représenté, d'un côté, par les conservateurs et les libéraux, et de l'autre, par les socialistes. Les rapports de force sont équilibrés et l'île connaît une alternance régulière. L'adhésion à l'Union européenne est un sujet qui divise l'opinion publique et le « oui » au référendum l'a emporté à une courte majorité (52 %), seuls les conservateurs et les libéraux s'étant prononcés en faveur de la ratification.

La mission à Malte, effectuée du 8 au 10 décembre 2003 au nom de la Délégation, a permis au rapporteur de rencontrer les plus hautes autorités de l'Etat - le Président de la République de Malte, M. Guido de Marco, le ministre des affaires étrangères, M. Joe Borg -, des parlementaires et des responsables de partis politiques, en particulier le président de la commission des affaires étrangères et européennes, M. Michael Frendo, et le chef adjoint du Parti travailliste, M. Charles Mangion.

Cinq points ont principalement retenu son attention au cours de ces auditions : l'évolution politique générale semble aller dans le sens de l'europhilie ; au sein du Parlement maltais, le traitement des questions européennes paraît trouver peu à peu sa place ; sur le plan stratégique et diplomatique, les interlocuteurs rencontrés ont exprimé le souhait d'une relance des relations euro-méditerranéennes ; la situation économique de l'île fait apparaître des relations commerciales très étroites avec la France. La mission se déroulait enfin à la veille du sommet de Bruxelles et les entretiens se sont naturellement portés sur les négociations constitutionnelles dont l'issue, espérons-le provisoire, est désormais connue.

Du fait des reports successifs de sa visite, le rapporteur a eu l'avantage de suivre les questions maltaises sur une période assez longue, de sorte qu'il a pu apprécier à leur juste valeur, au cours de son déplacement, les évolutions politiques qui se font jour à Malte depuis quelques mois. Quelques premiers signes indiquent en effet que l'adhésion à l'Union européenne a enfin pris, dans l'île, le caractère d'un fait acquis, ce qui pourrait infléchir le cours habituel des prises de position politiques, trop souvent réduites par le passé à une opposition frontale des deux grands partis en présence, le Parti nationaliste au pouvoir, pro-européen, et le Parti travailliste, beaucoup plus réservé sur l'entrée dans l'Union européenne.

Les résultats du référendum puis des élections législatives ont constitué un double désaveu pour les sociaux-démocrates, lesquels ont compris que leur discours européen devait évoluer. Les travaillistes ont désigné au sein de leur parti un nouveau secrétaire général et la nouvelle équipe dirigeante du parti s'affirme désormais plus favorable à l'Europe, en phase avec un peuple qui s'est prononcé pour une adhésion pleine et entière à l'Union européenne.

Aussi le rapporteur a-t-il pu entendre, au siège du parti, un discours nettement moins hostile à l'Union européenne que ne le laissait pressentir la lecture de la presse. Après une opposition acharnée à l'adhésion, au printemps dernier, le parti était sur le point d'examiner à la mi-décembre, au cours de son congrès général, une motion qui propose de reconnaître comme intangible la participation de Malte à l'Union européenne, en cas de retour au pouvoir des responsables travaillistes. En tempérant ainsi leur hostilité à la construction européenne, les responsables travaillistes pourraient préparer le terrain à une révision des positions de leur parti et, d'une manière générale, à une recomposition partielle du paysage politique maltais, sur un modèle plus proche de ceux de l'Europe continentale.

A la Commission des affaires étrangères du parlement maltais, qui ne comporte qu'une seule chambre, les affaires européennes constitue un champ de compétences nouveau. Le gouvernement n'a pas souhaité, pour des raisons principalement matérielles, que soit instituée une commission propre aux affaires communautaires, malgré les vœux exprimés par les parlementaires. Chacun paraît avoir conscience que l'organe actuel, de taille relativement modeste, sera soumis à rude épreuve après le 1er mai 2004, lorsqu'il devra exercer ses attributions nouvelles.

Quant à l'avenir plus lointain, tous ne perçoivent cependant pas encore que le mécanisme d'alerte précoce proposé par la Convention impliquera, s'il est adopté, une coopération accrue entre les parlements nationaux. M. Anton Tabone, président du parlement maltais, s'est pourtant rendu à Paris le mercredi 3 décembre 2003, à l'invitation du Président Jean-Louis Debré, qui a exposé à l'ensemble des présidents de parlement des nouveaux Etats membres qu'une collaboration accrue entre eux, facilitée par la mise en place d'un réseau électronique interparlementaire, deviendrait bientôt nécessaire du fait de l'évolution institutionnelle de l'Union. Pour toutes ces raisons, il est apparu qu'il fallait marquer nettement aux interlocuteurs maltais la volonté française de resserrer les liens avec eux, proposition qu'ils ont chaleureusement accueillie.

Au-delà des relations bilatérales, la relance des relations euro-méditerranéennes a semblé être une vraie préoccupation chez nos interlocuteurs maltais, tant à la Présidence de la République qu'au ministère des affaires étrangères. L'île de Malte constitue un formidable carrefour d'influence en Méditerranée, atout dont ses dirigeants sont bien conscients. Ils se sont déclarés prêts à le mettre au service d'une relance de l'activité du Forum euro-méditerranée. La frontière extérieure de l'Union, qui passera au sud des eaux territoriales de l'archipel, ne doit pas devenir un fossé infranchissable entre les deux rives d'une mer qui s'appelait, dans l'Antiquité, la mer commune (mare nostrum). Au sommet de Tunis des 5 et 6 décembre, les chefs des Etats euro-méditerranéens ont rappelé que la région devait rester un espace de partage et non d'exclusion.

Mais Malte ne s'est pas cantonnée à des déclarations de principe. Lorsque le Forum euro-méditerranée a décidé, à l'occasion de ce sommet, que soit créée en son sein une fondation pour le dialogue entre les cultures, les autorités de l'île ont proposé d'en accueillir le siège, auquel elles sont prêtes à affecter l'un des palais nationaux. Sa situation géopolitique paraît à vrai dire désigner naturellement Malte, de préférence à une localisation en Egypte, aussi envisagée. Il est surtout manifeste que tout appui à cette candidature serait apprécié dans l'île à sa juste valeur et pourrait utilement renforcer des liens d'amitié et de bonne intelligence avec ce nouvel Etat membre. Le rapporteur a attiré l'attention du ministre des affaires étrangères sur ce point, par un courrier du 16 décembre dernier.

Dans le domaine économique aussi, la France a son rôle à jouer. Elle est déjà le premier fournisseur et le premier client de l'île, qui réalise 15 % de ses échanges avec elle. L'entrée dans l'Union européenne met Malte aux prises avec de nouveaux défis. L'agriculture traditionnelle a été entièrement détruite au profit d'une culture du coton bien éphémère. Paradoxalement, l'île ne produit plus d'oranges maltaises, qui sont aujourd'hui commercialisées par Israël et par les pays du Maghreb. C'est pourquoi les Maltais ont besoin de l'aide de chercheurs agronomiques, qui pourraient être français, afin de réintroduire des cultures disparues. L'élevage des lapins représente la seconde production de l'île et des recherches zoologiques spécifiques pourraient également se révéler utiles pour conforter le positionnement de Malte sur ce marché.

Quant à l'avenir institutionnel de l'Union européenne, il paraît enfin avoir cessé de causer de l'inquiétude aux dirigeants maltais, que les négociations ont rassurés sur le sort qui serait fait aux « petits pays » dans une éventuelle Constitution de l'Union. Le rapporteur a eu le plaisir de retrouver un collègue à la Convention en la personne de M. Michael Frendo, président de la Commission des affaires étrangères, dont les vues rejoignaient sur l'essentiel celles du ministre des affaires étrangères, M. Joe Borg. Ils ont certes marqué leur préférence pour une inscription d'une référence aux valeurs chrétiennes dans le préambule ; Malte est un pays très catholique, où la pratique est particulièrement fervente, comme l'atteste la présence d'églises nombreuses et monumentales. Mais les représentants de l'île n'ont pas paru fermés sur le sujet à l'idée d'un compromis semblable à ceux que la présidence italienne avait pu proposer. Cette attitude s'explique en partie par les avancées obtenues par Malte sur les questions institutionnelles : à la date où s'est déroulée la mission, il semblait acquis que chaque pays désignerait l'un de ses nationaux pour siéger au sein du collège de la Commission, ce à quoi les autorités maltaises ont toujours marqué leur attachement.

Une revendication plus spécifiquement nationale, la création d'un sixième député maltais au Parlement européen, semblait d'autre part faire son chemin à la table des négociations, où les autorités maltaises pensaient pouvoir obtenir satisfaction en plaidant pour une augmentation ponctuelle et minime du total des parlementaires européens, porté de 736 à 737, de préférence à la réduction de la délégation d'un autre pays membre, ce qui aurait été moins aisément défendable. Ce dernier trait prouve bien que les Maltais, quoique nouveaux arrivants, sont déjà rompus à l'art de la négociation communautaire, qui ne permet cependant pas toujours d'aboutir, comme l'a prouvé en décembre dernier l'échec de la conférence intergouvernementale.

En conclusion, le rapporteur a souhaité que les pourparlers reprennent activement en 2004 et que la nouvelle année apporte la Constitution tant attendue.

III. Communication de MM. Guy Lengagne et Didier Quentin relative à la fixation des quotas de pêche par l'Union européenne pour 2004

M. Guy Lengagne, rapporteur, a expliqué que la politique commune de la pêche constitue la politique européenne la plus intégrée. La France en bénéfice très largement et il convient de l'expliquer clairement aux pêcheurs. En effet, seulement 15 % du poisson pêché par les Français provient de nos eaux territoriales. L'essentiel est donc pêché dans des eaux européennes non françaises. Alors que l'agriculture souffre d'une surproduction, la pêche est caractérisée par une sous-production. L'industrie française de transformation doit en effet importer du poisson pour pouvoir continuer son activité. Cette situation est susceptible d'accroître les prix à la consommation.

La méthode de fixation des totaux admissibles de captures (TAC) et des quotas est à l'origine de conflits récurrents entre les scientifiques et les professionnels du secteur.

Les TAC sont décidés chaque année par le Conseil « Pêche » en décembre. Cette décision constitue la dernière phase d'un processus associant les scientifiques et, dans de nombreux cas, les pêcheurs des Etats membres.

Le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM) utilise les données biologiques collectées par les instituts nationaux de recherche, à partir de campagnes de recherche et des statistiques de débarquements, qui ne sont d'ailleurs pas toujours extrêmement fiables, pour évaluer l'état des principaux stocks commerciaux. Les résultats de cette évaluation des stocks sont alors examinés par le Comité consultatif de la gestion de la pêche (CCGP) du CIEM, comité qui est constitué de représentants de chacun des pays. Ses conclusions constituent les recommandations du CIEM.

La Commission européenne consulte, à cet égard, son propre Comité scientifique, technique et économique de la pêche (CSTEP), qui est également constitué d'experts nationaux. Des négociations ont lieu avec les pays tiers et les organisations de pêche régionales ayant un intérêt ou une responsabilité pour les mêmes lieux ou stocks de pêche. Dans le cas de stocks conjoints, comme pour le cabillaud de la mer du Nord, la Commission négocie avec la Norvège. La France ne peut en effet pas directement négocier un accord avec un pays tiers.

La Commission analyse alors les différentes possibilités et élabore des propositions concernant les TAC de l'année suivante, ainsi que les conditions dans lesquelles ces captures doivent se faire. Ces propositions sont envoyées au Conseil des ministres, qui statue, en dernière instance, en ce qui concerne les TAC, les quotas par Etat membre et d'éventuelles mesures connexes. Les propositions de la Commission ne peuvent être modifiées qu'à l'unanimité, ou avec l'accord de la Commission.

Les propositions initiales de la Commission pour 2004 ont été, à juste titre, considérées comme inacceptables par la France et les organisations de pêcheurs.

Les mesures préconisées par la Commission le 4 décembre 2003 sont apparues à de nombreux Etats membres comme brutales et les professionnels ont regretté de ne pas avoir été suffisamment associés à l'évaluation des stocks.

Pourtant, elles étaient déjà en retrait par rapport aux recommandations scientifiques du CIEM. Le CIEM proposait, en effet, purement et simplement, la fermeture des stocks les plus dégradés, c'est-à-dire tous les stocks de cabillaud en dehors de la mer Baltique, ainsi que le merlan de la mer d'Irlande, la sole de la Manche occidentale, le merlu et la langoustine au large de la péninsule ibérique.

Les stocks pour lesquels les scientifiques recommandaient non pas la fermeture, mais une réduction au niveau le plus bas possible étaient la plie et le merlu de la mer du Nord, le cabillaud et la plie de la mer Celtique, la sole du golfe de Gascogne et la lotte au large de la péninsule ibérique.

Enfin, une réduction sensible de la pêche était souhaitée par les scientifiques pour l'anchois et la langoustine dans le golfe de Gascogne et la lotte à l'ouest de l'Ecosse.

La Commission, dans les propositions adoptées le 4 décembre, n'a pas entièrement suivi ces avis scientifiques. Pour éviter la fermeture de certaines pêcheries, elle a suggéré, en particulier, d'étendre aux espèces menacées les mesures de limitation de l'effort de pêche qui existent actuellement pour certains stocks de cabillaud.

Le système de limitation de l'effort de pêche proposé fixe un nombre maximal de jours de pêche par zone et par engin de pêche : 30, 42, 50 ou 66 jours par trimestre civil (en fonction de l'engin de pêche) pour le cabillaud et la sole en Manche, autant pour la plie et le cabillaud dans la mer du Nord et 39 jours pour la langoustine, la lotte et le merlu dans l'Atlantique. De plus, les propriétaires seraient tenus d'indiquer, avant le premier jour de chaque période trimestrielle, les types d'engins qu'ils entendent utiliser, avec interdiction d'en changer au cours de la période. Un nombre supplémentaire de jours hors du port pourrait être alloué par la Commission à la lumière des résultats des programmes d'aide au déchirage des navires.

De plus, dans ses propositions sur les totaux admissibles de captures (TAC) et les quotas pour 2004, la Commission demandait de réduire de manière importante les droits de pêche pour les espèces menacées.

Les réactions des pêcheurs aux propositions de la Commission ont été très vives. Les pêcheurs ont bloqué, le mercredi 10 décembre, les ports de Boulogne-sur-Mer, Cherbourg, Concarneau, Marseille, Nice, Calais et Dunkerque, pour protester contre le plan de la Commission. Cette journée européenne d'action des pêcheurs a été coordonnée en France par le Comité national des pêches maritimes et son nouveau président, qui a estimé le plan « injustifié, inadapté, inefficace et dangereux », soulignant qu'il entraînerait la perte de 50 000 emplois chez les pêcheurs européens.

M. Didier Quentin, rapporteur, a, à son tour, souligné la nécessité d'un travail d'explication auprès des pêcheurs sur le bénéfice retiré par la France d'une politique européenne de la pêche. Il a toutefois fait part de sa compréhension à l'égard de l'hypersensibilité des pêcheurs, qui exercent une activité dangereuse et souvent précaire.

Il a rappelé que, dès le 8 décembre, le Gouvernement, par la voix de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture et de la pêche, a clairement exprimé son opposition aux propositions de la Commission. L'objectif du gouvernement français, en étroite liaison avec la présidence italienne et les pays qui ont la même position que la France sur ce dossier, consistait :

- à limiter au maximum les variations à la baisse du total des captures ;

- à refuser les diminutions drastiques des possibilités de capture sans diagnostic scientifique solide ;

- à refuser le volet « effort de pêche » des plans de restauration, ainsi que le régime exceptionnel pour le cabillaud.

Paris voulait limiter les variations de plafonds de captures à plus ou moins 15 % d'une année à l'autre et s'opposait à l'idée d'une limitation des jours de pêche.

L'Espagne, qui dispose, avec Vigo, du plus grand port de pêche d'Europe, a également réagi très fortement. La péninsule ibérique, qui a été obligée de réduire sa flotte de 40 % depuis son entrée dans l'Union européenne et qui a subi les conséquences du non-renouvellement de l'accord de pêche Union européenne-Maroc, était particulièrement hostile à la réduction brutale de la pêche de langoustines, de cabillauds et d'anchois, ainsi qu'à la limitation de l'accès de ses bateaux dans les eaux irlandaises.

M. Guy Lengagne a précisé que la flotte de pêche espagnole était, au moment de l'entrée dans l'Union européenne, plus importante que la totalité de la flotte de pêche des autres Etats membres.

M. Didier Quentin a rajouté que l'opposition au plan de la Commission a également largement dépassé, pour la première fois, le groupe des pays dits « Amis de la pêche » (France, Espagne, Portugal, Irlande). Elle a aussi rassemblé certains pays d'Europe du Nord habituellement plus sensibles aux préoccupations écologiques, comme le Danemark, les Pays-Bas, la Belgique, le Royaume-Uni ou la Finlande. Tous ces pays préféraient proroger les TAC et quotas adoptés en décembre 2002.

Dans le cas de la France, cette prorogation aurait présenté l'avantage d'épargner la pêche en Manche orientale, zone prisée des pêcheurs de Boulogne-sur-Mer, premier port de pêche français. Cette zone est vitale pour les bateaux boulonnais, qui y trouvent des espèces pêchées en même temps que le cabillaud, mais non soumises à quotas, comme la sole, les encornets et les rougets barbets.

Dans la négociation préparatoire au Conseil « Pêche » des 17-19 décembre, le commissaire européen chargé de la pêche, M. Franz Fischler, a proposé aux ministres le marché suivant : soit ils acceptaient les plans de reconstitution sur le cabillaud et le merlu et lui-même s'engageait à revoir à la hausse ses propositions de TAC pour ces espèces pour 2004, soit les ministres refusaient et lui-même demeurait inflexible.

Une majorité d'Etats, dont la France, se sont dits favorables au principe d'une gestion pluriannuelle pour certaines espèces, tout en rejetant le rythme trop brutal proposé par la Commission. Il est important de donner aux professionnels une certaine visibilité à moyen terme.

Grâce aux efforts de nombreux Etats, dont la France, et à la mobilisation des pêcheurs, les décisions du Conseil des ministres européens de la pêche permettront finalement de donner aux pêcheurs les moyens de travailler en 2004

Après deux jours de négociations intenses, dont une nuit blanche, les ministres de la pêche sont parvenus à un accord à l'unanimité, le vendredi 19 décembre en fin de matinée, sur la mise en place, en 2004, de plans de préservation des stocks de cabillauds (dans les zones Kattegat et Skagerrak, mer du Nord, Manche est, ouest Ecosse et mer d'Irlande) et de merlus du nord (mer du Nord, Skagerrak-Kattegat, ouest Ecosse, Manche, mer d'Irlande, mer Celtique, ouest de l'Irlande et Golfe de Gascogne). Seule la Belgique s'est abstenue au sujet de ces plans. Le Conseil est parvenu aussi à un accord à la majorité qualifiée sur les TAC et quotas pour 2004. L'Allemagne et la Suède ont voté contre et la Grèce s'est abstenue, au motif que le compromis faisait la part trop belle aux intérêts des Etats membres disposant d'une puissante flotte de pêche et n'assurait pas une protection suffisante des stocks.

Le compromis sur les plans de reconstitution est axé sur l'abolition des mesures supplémentaires de limitation de l'effort de pêche du cabillaud et du merlu, et notamment de la mesure kilowatt/jour. Ensuite, il prévoit un seuil de 50 kg par espèce en dessous duquel les pêcheurs ne seront pas tenus de déclarer une capture. Une marge de tolérance de 8 % est introduite dans la différence entre la capture consignée dans le livre de bord et la capture débarquée.

En ce qui concerne le cabillaud, de nouvelles mesures différenciées limitant l'effort de pêche impliquent pour la Commission de préciser un nombre maximum de jours en mer pour chaque zone de pêche et chaque type d'équipement.

La Commission a fait une série de concessions. C'est ainsi que la France a obtenu que les bateaux de moins de quinze mètres puissent pêcher cinq jours de plus par mois (soit 19 jours au lieu de 14) dans la région de la Manche orientale. Sur la voie du compromis, la Commission a aussi fait des concessions à l'Espagne, au Portugal, à l'Irlande et au Royaume-Uni.

Autre point d'importance pour la France et l'Espagne, le retrait des zones de pêche de la Manche occidentale et de la péninsule ibérique qui ne sont plus concernées par les mesures de limitation de l'effort de pêche.

Le Conseil a reporté expressément tout effort de reconstitution pour les autres espèces menacées identifiées par le CIEM.

S'agissant des TAC et des quotas, le Conseil « Pêche » a enfin adopté une proposition révisée de la Commission, qui instaure des majorations bienvenues par rapport aux propositions initiales de la Commission.

En définitive, au terme de négociations difficiles, il a été possible de parvenir à un compromis plus acceptable. D'une part, la décision tient compte des aspects sociaux, en donnant aux pêcheurs la possibilité de continuer à pêcher dans certaines limites, alors que le CIEM recommandait l'arrêt brutal de certaines pêcheries, et d'autre part, le compromis n'est pas négligeable sur le plan biologique, puisque des plans de reconstitution à long terme vont s'appliquer aux stocks les plus menacés.

Ainsi, même si l'année 2004 restera difficile pour de nombreux pêcheurs, la France estime qu'elle est parvenue à introduire un équilibre entre la conservation des espèces et l'activité économique du littoral. C'est donc l'option d'une gestion durable de la ressource, mais avec des mesures progressives et non pas brutales qui a fini par prévaloir. Il faudra cependant, à l'avenir, poursuivre un important effort de pédagogie, y compris vis-à-vis des pêcheurs.

M. Pierre Forgues a indiqué que des modifications aussi importantes que celles proposées en matière de quotas de pêche au cours des négociations communautaires conduisaient à s'interroger sur la fiabilité des données scientifiques sur lesquelles reposaient les propositions initiales, ainsi que sur la crédibilité des travaux du Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM). Il a également souhaité connaître les perspectives de développement de l'aquaculture.

M. Jacques Floch a demandé quelles avaient été les réactions du CIEM à la suite de ces modifications.

En réponse à ces interventions, M. Didier Quentin a indiqué qu'il fallait effectivement revoir les modes d'établissement des données scientifiques. M. Guy Lengagne a ajouté, concernant la question de l'aquaculture, que, depuis la crise de la vache folle, on ne pouvait plus nourrir les poissons élevés avec des farines animales terrestres, mais seulement avec des farines de poisson. Or, la production de farines de poisson exige quatre à sept fois plus de matière première que la viande. Ainsi, par exemple, les Danois pêchent-ils maintenant, au nord du Jutland, des espèces qui ne sont pas destinées à la consommation humaine. Cette évolution soulève la question plus large de l'évolution et de la gestion de toute la ressource halieutique en général. S'agissant des propositions du CIEM, il a estimé que celui-ci avait tendance à formuler des exigences plus strictes, sachant que celles-ci seraient probablement atténuées au cours des discussions communautaires.

Le Président Pierre Lequiller a estimé que le débat communautaire sur la pêche illustrait la difficulté, pour l'opinion publique, de percevoir le partage des responsabilités entre la Commission et le Conseil des ministres dans l'action de l'Union européenne. Si parfois la position de la Commission peut justifier des critiques, comme ce fut le cas concernant ses propositions initiales, en matière de quotas de pêche, elle est aussi accusée à tort sur des questions telles que le naufrage du Prestige ou la sécurité aérienne, alors qu'elle a proposé des mesures positives qui n'ont pas été entérinées par le Conseil des ministres.