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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 83

Réunion du mercredi 12 mai 2004 à 9 heures 30

Présidence de M. Michel Herbillon,
puis de M. Pierre Lequiller, Président

I. Examen du rapport d'information de M. Jacques Floch sur la présence et l'influence de la France dans les institutions européennes (réunion ouverte aux membres français du Parlement européen et à la presse)

A l'heure où l'Europe s'agrandit, M. Jacques Floch, rapporteur, a considéré que le temps était venu de faire un point sur l'état des lieux de la présence française au sein des institutions de l'Union, et sur les défis que notre pays doit relever pour assurer son influence dans les prochaines années. Le statut de pays fondateur qui est celui de la France représente un atout considérable, mais impose en contrepartie que notre pays soit à la hauteur de ses responsabilités et assume ses engagements européens.

La France a marqué la construction européenne de son empreinte, à travers une triple influence : politique, administrative et linguistique. Or la présence française, longtemps héritée, devient désormais une conquête, et ce pour plusieurs raisons :

- la première raison résulte des conséquences institutionnelles des élargissements successifs. Il s'agit d'une donnée arithmétique qui a provoqué un effet de dilution (et non pas de diminution) de la présence française ;

- un second indicateur d'influence est celui de l'utilisation de la langue française. Force est de constater que le français recule en Europe, même si notre langue n'est pas menacée dans son statut de deuxième langue la plus utilisée au sein des institutions. La Délégation pour l'Union européenne avait déjà eu l'occasion, en juin 2003, d'examiner l'excellent rapport de M. Michel Herbillon et de voter une proposition de résolution adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 6 janvier dernier.

L'image de la France est souvent mise à mal, en raison de plusieurs facteurs : l'absentéisme des responsables politiques, tant au Parlement européen qu'au Conseil de l'Union, l'insuffisante transposition des directives communautaires, le nombre de procédures d'infraction au droit communautaire, le montant des aides d'Etat ou encore la remise en cause chronique du siège du Parlement européen à Strasbourg. Chaque année, la France doit en effet se battre pour que le Parlement européen respecte ses engagements. Car s'il impose la tenue de sessions plénières à Strasbourg, le traité ne précise pas leur durée. C'est cette faille qu'utilisent habilement les partisans de Bruxelles pour réduire le temps de leur présence à Strasbourg. De cinq jours initialement, les sessions plénières sont ainsi passées à quatre avec la suppression, depuis 2001, de la journée du vendredi.

Il est urgent d'amplifier notre mobilisation pour préserver et conforter la vocation européenne de Strasbourg. Les efforts entrepris doivent être poursuivis, développés et activement soutenus, tant politiquement que financièrement. Au-delà, il faut aller de l'avant et promouvoir un projet mobilisateur pour l'avenir européen de Strasbourg. La France ne peut envisager le transfert à Bruxelles du siège du Parlement européen, car cela signerait le début d'une réelle perte d'influence. Un scénario d'avenir, régulièrement évoqué, consisterait à faire de Strasbourg la capitale européenne du droit, en y installant, en plus du siège du Parlement européen, la Cour de justice de l'Union européenne. Le dossier de Strasbourg n'est pas une affaire de droite ou de gauche, mais une question d'intérêt général, pour le rayonnement de Strasbourg et celui de la France.

La présence française doit désormais s'adapter au défi de l'élargissement. Au niveau politique, le premier défi est celui de notre présence au Parlement européen. La dispersion des élus français au sein des sept groupes politiques et des non-inscrits est extrêmement préjudiciable en raison de l'application, au sein de l'Assemblée de Strasbourg, de la « règle d'Hondt » qui attribue les postes en fonction de l'importance numérique des groupes politiques. En conséquence, les Français sont peu présents aux postes de responsabilités : seulement 2 présidences de commissions sur 17 (contre 4 pour l'Italie, et 3 pour l'Allemagne et pour le Royaume-Uni). Qui plus est, les députés français siègent peu dans les commissions dites législatives, c'est-à-dire celles où le Parlement européen dispose d'un pouvoir de codécision avec le Conseil de l'Union : la participation des eurodéputés français aux travaux législatifs est également moindre que leurs homologues. Si l'on se réfère au nombre de rapports confiés à des Français, on constate un taux d'activité de 1,36 rapport (sur la période 1999-2003) contre 3,45 rapports pour un député néerlandais et 3 rapports pour un député allemand. Le mandat de député européen demande un investissement très important, et la France dispose heureusement à Strasbourg de plusieurs parlementaires particulièrement impliqués dans le travail législatif. Leurs mérites doivent être mieux reconnus et valorisés, notamment par leurs partis politiques respectifs.

Au niveau administratif, la présence des fonctionnaires communautaires de nationalité française au sein des institutions de l'Union est globalement satisfaisante. Beaucoup de nos partenaires envient notre position. Il est vrai qu'avec environ 3 700 fonctionnaires sur un total de 30 725 agents communautaires, la France occupe 12 % des effectifs, contre 9,3 % pour les Allemands et seulement 7,1 % pour les Britanniques. 45 % de notre effectif est composé de fonctionnaires de catégorie A.

Au Parlement européen, les Français représentent 12,75 % des effectifs, mais la France arrive derrière les Allemands, les Italiens et les Britanniques en nombre d'administrateurs. A la Commission, la situation française est confortable. Avec 49 postes d'encadrement supérieur, la France se hisse au premier rang des 15 pays membres. Contrairement à des idées reçues tenaces, les fonctionnaires français sont présents en nombre, dans les Directions générales stratégiques telles que « marché intérieur », « entreprises » et « commerce ». Ils sont toutefois moins nombreux au sein de la DG « concurrence » où la présence allemande est historiquement forte.

Au Conseil, la situation des Français est quantitativement moins privilégiée, avec une 4ème place derrière les Belges, les Italiens et les Allemands. Mais la France est bien représentée au niveau de l'encadrement supérieur avec le secrétaire général adjoint, le directeur général du service juridique, le directeur général des questions politiques et le chef de l'Etat-major de l'Union européenne.

Avec l'élargissement, les institutions de l'Union vont recruter jusqu'à 6 000 ressortissants des nouveaux pays membres. Toutefois, l'élargissement ne signifie pas l'arrêt des recrutements pour les ressortissants des 15 « anciens » pays membres. A la Commission, par exemple, le renouvellement d'environ 3 500 postes (réservés aux ressortissants des quinze) est prévu dans les cinq prochaines années, en raison de départs à la retraite. Il est donc indispensable d'améliorer l'information à destination des candidats français qui souhaiteraient se présenter aux concours de l'Union, et qui pourraient penser, à tort, que la majeure partie des concours sera désormais réservée aux ressortissants des nouveaux Etats membres.

Il faut enfin prendre en compte la réforme du statut des fonctionnaires européens dans notre stratégie d'influence. Désormais, les quatre catégories A, B, C et D sont remplacées par deux groupes de fonctions : les assistants et les administrateurs. Le nouveau statut permet ainsi aux assistants d'évoluer vers la catégorie des administrateurs, sous certaines conditions (notamment la réussite à un examen d'aptitude). Ces nouvelles règles de gestion des carrières impliquent donc de mieux suivre ceux de nos ressortissants qui sont assistants et qui ont vocation à devenir administrateurs.

Dans ce contexte, la préparation aux concours européens est un enjeu stratégique. Le Centre d'études européennes de Strasbourg (CEES) a ainsi sensiblement renforcé depuis un an son module de préparation, qui a concerné près de 1 500 candidats en 2003. Les premiers résultats sont très encourageants dans la mesure où le taux de réussite des candidats préparés a été de 43,65 % contre un taux de réussite global du concours, au niveau de l'Union, de seulement 4,10 %. Ces bonnes performances soulignent l'importance qu'il y a à intensifier les activités de préparation aux concours, en les ouvrant également à des candidats non français, qui seront ainsi formés en langue française.

Face à la montée en puissance des enjeux européens, M. Jacques Floch a souligné que les intérêts français s'organisent. Le réveil a été tardif, mais il est bien réel. Entre Paris et Bruxelles, le Thalys a rapproché la France de l'Europe mais n'a pas encore entièrement comblé le choc des cultures. A Bruxelles, le lobbying est une activité transparente et encadrée par des règles déontologiques. Bruxelles est devenue la capitale mondiale du lobbying : sur 3 à 4 km², on y recense près de 10 000 lobbyistes, 700 associations professionnelles, 400 groupes d'intérêts, 150 sociétés de conseil, 150 cabinets d'avocats spécialisés dans les affaires européennes, 30 chambres de commerce et près de 1 000 journalistes accrédités. Mais quoiqu'en progression, la présence bruxelloise française demeure plus faible que celle de nos concurrents. Cependant, les signaux positifs se multiplient à tous les niveaux, notamment en ce qui concerne la représentation des entreprises, des syndicats et des collectivités territoriales. Un point faible, toutefois, concerne le nombre des médias français accrédités auprès des institutions. Avec 70 médias accrédités, la France arrive en 5ème position, loin derrière l'Allemagne qui en compte 147. Si la presse écrite est globalement bien représentée , il n'en va pas de même de la télévision. C'est ainsi que TF1, le média télévisé le plus regardé en France, ne dispose d'aucun journaliste permanent à Bruxelles, lorsque la télévision allemande ARD TV s'appuie sur un réseau de 12 correspondants accrédités... A l'opposé, une expérience originale mérite d'être signalée : celle du quotidien régional Ouest France, qui envoie régulièrement ses journalistes et autres cadres en séminaire de formation dans les institutions européennes.

S'agissant du traitement politique des affaires européennes, le rapporteur a évoqué le rôle du ministre des affaires européennes, et son rang gouvernemental, plaidant pour qu'il dispose de l'autorité politique nécessaire à sa fonction. En ce qui concerne l'implication du Parlement français dans les affaires européennes, il a plus particulièrement insisté sur le rôle des Délégations pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et du Sénat, et leur avenir institutionnel, notamment dans la perspective de l'adoption d'une Constitution européenne.

Il a également souligné la responsabilité des partis politiques dans le débat européen et à l'occasion des investitures pour les élections européennes.

Le chantier de la réforme de l'Etat doit aussi être celui de l'ouverture de l'administration française à l'Europe. Un enjeu concerne en particulier la gestion des carrières des fonctionnaires qui choisissent d'exercer leur mobilité dans les institutions européennes, c'est-à-dire les Experts nationaux détachés (END) pour lesquels il est indispensable de bien préparer le départ vers Bruxelles et, surtout, de mieux gérer le retour à Paris.

Or aujourd'hui, leur mobilité vers les institutions européennes n'est pas valorisée, et dans certains cas, est pénalisante pour ceux qui veulent légitiment faire carrière. Afin d'éviter le renouvellement d'expériences malheureuses souvent entendues, des dispositions statutaires devraient favoriser ce type de mobilité.

En conclusion, le rapporteur a estimé que contrairement à certaines idées reçues particulièrement tenaces, notre pays n'a pas à rougir de son rang et de son influence en Europe. Pour autant, certaines faiblesses structurelles pourraient nous nuire de façon irréversible si rien ne change.

A l'issue de l'exposé du rapporteur, le Président Pierre Lequiller s'est réjoui de la participation au débat de députés français du Parlement européen. Il a salué les efforts déployés par le Gouvernement pour améliorer les performances de la France dans les différents domaines mentionnés par le rapporteur et a estimé que la dispersion des élus dans les sept groupes politiques et les non-inscrits pénalisait lourdement l'influence française à Strasbourg.

M. Jacques Myard s'est, en revanche, félicité du fait que les Français soient en conséquence très bien représentés au sein de la Conférence des Présidents du Parlement européen.

M. Guy Lengagne a estimé que le choix des candidats investis pour les élections européennes relevait davantage de l'influence des personnes concernées au sein de leur parti respectif que de leur travail au Parlement européen.

Le Président Pierre Lequiller a souligné l'intérêt de ce rapport, présenté avant la tenue des élections européennes, qui propose un regard concret et non abstrait sur l'Europe et analyse un phénomène, la dilution de notre influence au sein des institutions européennes, ressenti par de nombreux Français.

Il a jugé, en outre, que ce rapport permet de battre en brèche des idées reçues, comme celle de la faiblesse de la présence des fonctionnaires français au sein de la Commission européenne. Observant que les tableaux figurant dans le rapport fournissent des informations très intéressantes et détaillées, il a souhaité qu'il puisse trouver un large écho médiatique et alimenter la réflexion des autorités françaises. Car la France doit impérativement renforcer son influence en Europe et rattraper son retard par rapport à l'Allemagne ou au Royaume-Uni.

Mme Pervenche Berès, députée européenne, a félicité le rapporteur pour la qualité de son travail, qui porte sur un sujet latent mais récurrent, apparaissant enfin au grand jour en raison de l'élargissement. Les Français craignent en effet que cette nouvelle étape européenne ne vienne diminuer l'influence de leur pays au sein des institutions européennes. Il est indéniable que la place de la France dans l'Union élargie ne ressemble en rien à celle qui a été la sienne dans l'Europe des Six.

Elle a souligné que le déclin de notre place dans l'Union ne résulte pas seulement des effets de facteurs mathématiques, comme l'élargissement, mais aussi de l'absence d'une stratégie nationale d'influence. Elle a noté, à cet égard, que, représentante du Parlement européen à la Convention sur l'avenir de l'Europe, elle n'a été reçue qu'une seule fois par le Chef de l'Etat, à la différence de certains de ses homologues.

Sur ce point, le Président Pierre Lequiller a rappelé que les Conventionnels français ont été reçus à plusieurs reprises par les responsables de l'exécutif - Président de la République, Premier ministre et ministre des affaires étrangères -. Il s'est opposé à toute utilisation partisane du sujet de l'influence française en Europe : cette question est trop grave pour que ni la majorité ni l'opposition en fassent un thème polémique pour la campagne électorale en cours.

Mme Pervenche Berès a estimé que la France a commencé à perdre son influence de manière significative au moment de l'adoption de l'Acte unique. Ce Traité a en effet donné pour la première fois au Parlement européen le rang de co-législateur, une évolution décisive dont la France n'a pas saisi toute l'importance. En effet, la stratégie d'influence nationale ne comporte pas une authentique dimension parlementaire, ce qui fait aujourd'hui gravement défaut. Or, le rôle du Parlement européen n'est pas comparable à celui des parlements nationaux. Ainsi, le Parlement européen exerce moins un parlementarisme de représentation qu'un « parlementarisme d'expertise ». C'est pourquoi, en raison de la nature particulière de cette fonction d'expertise, la présence des députés européens en séance plénière importe moins que la présence et le travail effectifs au sein des commissions. C'est donc sur ce terrain que la France doit porter son combat d'influence.

S'agissant de la présence des députés européens aux travaux du Parlement, le choix de bons candidats aux élections est bien entendu essentiel. Mais l'éclatement de la représentation des députés européens français au sein de plusieurs groupes politiques constitue un élément encore plus déterminant. Ainsi, la présence de quatre députés européens français actifs au sein de la Conférence des Présidents pèse moins que la capacité pour un Etat membre de se faire entendre au moment d'un vote important par la voix d'un député européen s'exprimant au nom de tout un groupe. Il convient donc de mettre en place des stratégies nationales pour que tous les acteurs puissent être, ensemble, plus actifs et plus efficaces.

Mme Geneviève Fraysse, députée européenne, a souligné la qualité du travail effectué par le rapporteur. Elle a évoqué son parcours de députée européenne, atypique, car issue de la société civile. Elle a également insisté sur le fait que le travail effectué au sein des commissions du Parlement européen était aussi important que la participation aux débats en séance plénière. Puis, elle a déploré que le Gouvernement n'ait jamais établi de lien permanent avec les députés européens français. A cet égard, la présidence française, en ce qui concerne la relation entre les autorités exécutives et les députés européens, peut être qualifiée de véritable « désert ».

Mme Geneviève Fraysse, faisant part de son expérience de membre de la commission culturelle et de la commission des droits des femmes du Parlement européen, a rappelé qu'elle a défendu des amendements communs avec Mme Marie-France Garraud, autre députée européenne, alors qu'elle ne partage pas les mêmes idées politiques. Elle a appelé de ses vœux la constitution d'un espace public européen auquel la France doit apporter sa contribution. En effet, la stratégie d'influence française ne doit pas oublier d'inclure cette dimension de la construction européenne. Il convient donc de développer des réseaux, d'organiser des contacts et de mener une réflexion commune sur les enjeux européens. La présence ministérielle au Conseil de l'Union, le travail réalisé au sein du Parlement européen constituent autant de terrains d'action, mais la France doit aussi œuvrer en faveur de la création d'une opinion publique européenne.

Le Président Pierre Lequiller a estimé que le rapprochement entre les institutions et les citoyens européens sera favorisé par la réforme du mode de scrutin intervenue en France. Observant que le système de circonscriptions en Angleterre permet de concilier représentation et efficacité, il a jugé que le scrutin proportionnel tel que pratiqué en France n'incite pas les députés européens à rendre compte de leur activité auprès de leurs électeurs.

Il a souhaité que MM. Jacques Floch et Michel Herbillon travaillent de concert pour proposer des solutions innovantes aux autorités exécutives concernant le renforcement de la langue française et de la présence française au sein de l'Union européenne. Il a noté que la France défend ses intérêts de manière moins habile que les Britanniques, qui savent plaider la cause de leurs industries auprès de Bruxelles.

Puis il a fait deux remarques. En premier lieu, tout en rappelant que la Délégation n'a pas vocation à concurrencer la Commission des affaires étrangères, la première doit devenir une commission ad hoc pour deux raisons essentielles. D'abord, le terme même de « délégation » n'a pas de réelle lisibilité auprès de l'opinion publique : le citoyen estime généralement que les membres de cette instance n'effectuent qu'un travail de représentation auprès des instances de l'Union. Ensuite, la Délégation est le seul organe spécialisé dans les affaires européennes des parlements nationaux à s'appeler ainsi, tous les autres étant des commissions à part entière.

En second lieu, le Président Pierre Lequiller a fait part de son désaccord avec les conclusions du rapporteur concernant l'autonomie du statut du ministre des affaires européennes par rapport au ministre des affaires étrangères. S'il paraît en effet difficile d'attribuer une totale indépendance au ministre chargé des affaires européennes, il devrait néanmoins acquérir une plus grande autonomie, qui pourrait passer, à terme, par son rattachement au Premier ministre.

Le rapporteur a rappelé à cet égard que les affaires étrangères relèvent, dans la tradition constitutionnelle de la Ve République, du domaine réservé du Président de la République. C'est donc la coutume qui empêche le ministre des affaires européennes de disposer d'une réelle latitude d'action. Il serait néanmoins hautement souhaitable que ce ministre jouisse d'une réelle autorité politique.

Le Président Pierre Lequiller a souhaité que le ministre des affaires européennes soit davantage présent à Bruxelles. Idéalement, ce dernier devrait assurer une représentation « permanente » de la France au sein du Conseil, une fonction parfois trop souvent confiée aux ambassadeurs. Le Président Pierre Lequiller a en outre déploré le rôle de bouc émissaire qui est parfois attribué à « Bruxelles ». Les ministres utilisent le résultat des négociations entre les Etats membres pour ne pas endosser la responsabilité politique des décisions prises à Bruxelles. Or, au sein du système institutionnel européen, dans de nombreux cas, le dernier mot appartient aux ministres, c'est-à-dire à des responsables politiques et non aux technocrates.

M. Michel Herbillon a salué la qualité du rapport sur un sujet passionnant, dont l'importance n'est pas conjoncturelle, parce que liée au calendrier électoral. La Délégation devrait assurer un suivi régulier de cette question, comme elle le fait pour la diversité linguistique au sein de l'Union. Dans tous les domaines cités (présence dans les institutions et dans l'administration européennes, lobbying, etc.), il faut exprimer une forte volonté politique, pour définir une stratégie d'influence. Cette stratégie devrait conduire à fixer des objectifs précis, assortis d'un programme de mesures concrètes et d'un calendrier, pour sortir des déclarations incantatoires sur le passé glorieux de la France. Pour Strasbourg, par exemple, il ne faut pas se contenter de réaffirmer son statut de capitale européenne, mais formuler des propositions, comme le fait ce rapport, en suggérant l'installation de la Cour de justice, ou en créant à Strasbourg un centre de formation initiale et continue des fonctionnaires européens, comme l'Assemblée nationale l'a proposé dans la résolution sur la diversité linguistique.

M. Michel Herbillon s'est déclaré frappé par la faiblesse de la représentation française au Parlement européen, sur le plan politique comme administratif. Une stratégie d'influence au sein de la fonction publique communautaire doit être développée, et le déroulement des carrières devrait prendre davantage en compte la dimension européenne. Les Français ont besoin d'un autre regard sur l'Europe, afin de mettre un terme à cette distance de l'opinion française à l'égard de l'Union. La présence de l'Europe en France doit être renforcée, au Parlement - il n'y avait que 45 députés dans l'hémicycle lors de l'ouverture du débat sur la ratification du traité d'adhésion des Dix - mais aussi dans les médias, le monde de l'entreprise et la société civile en général.

M. Michel Delebarre a souligné que la dispersion des députés français au Parlement européen au sein des groupes s'explique aussi par la faiblesse des seuils de constitution des groupes. Leur relèvement pourrait conduire à réduire cette dispersion. En ce qui concerne la représentation française au sein de la fonction publique européenne, il a relevé que les Français qui intègrent cette fonction publique deviennent fonctionnaires européens, alors que les Britanniques, par exemple, restent des Britanniques. Cette différence de mentalité est à mettre à l'honneur de la fonction publique française et de son sens du service public, mais elle constitue aussi une faiblesse pour notre pays. L'expérience acquise par les fonctionnaires détachés au sein des institutions européennes devrait être valorisée davantage, lors de leur retour dans leur administration d'origine. La création d'un poste, au sein du secrétariat général du gouvernement, exclusivement dédié à ce suivi, constituerait une excellente initiative. M. Michel Delebarre s'est interrogé sur l'attitude des grands corps de l'Etat (Inspection générale des Finances, Conseil d'Etat et Cour des comptes) à cet égard, et a souhaité que les cadres de la fonction publique territoriale aient également accès à ces détachements.

M. Michel Delebarre a estimé que le comité de régions et le comité économique et social européens constituent des pôles d'influence importants, où la France devrait s'investir davantage. La France est, en ce qui concerne la représentation des collectivités locales, défavorisée par rapport aux Etats fédéraux ou régionaux, dont les Etats fédérés ou les régions sont très influentes à Bruxelles. La Bavière, par exemple, y dispose d'une représentation impressionnante. Cette représentation contribue à accroître l'influence d'un pays, et non à l'affaiblir. Le rôle essentiel des interprètes doit aussi être pris en compte. Leurs organisations professionnelles sont en effet influentes, au sujet de Strasbourg, par exemple.

M. Michel Delebarre a rappelé que les affaires européennes ne peuvent plus être considérées, aujourd'hui, comme relevant des affaires étrangères. Elles devraient être confiées à un vice-premier ministre, exerçant ses fonctions à Bruxelles et se rendant régulièrement dans les autres capitales. Cette évolution est inévitable, pour donner un poids politique au titulaire de ce portefeuille.

Mme Anne-Marie Comparini a évoqué, au sujet de l'influence des collectivités territoriales sur l'Europe, l'exemple du débat sur les réseaux de transport européens, lors duquel la région Rhône-Alpes, associée au Bade-Wurthemberg et au Piémont, a pu faire entendre sa voix. D'autre part, il est urgent d'encourager la présence de fonctionnaires français dans les institutions de l'Union européenne.

Enfin, concernant la question de la participation des ministres français au Conseil, il serait souhaitable que le ministre des affaires européennes remplace les ministres absents, car il dispose d'un poids politique supérieur à celui du Représentant permanent.

Le Président Pierre Lequiller a approuvé ce dernier point.

M. Michel Herbillon a estimé que la fonction du ministre des affaires européennes, son influence au sein du Gouvernement, vis-à-vis du Parlement et des Etats membres de l'Union européenne, étaient plus importants que son autonomie par rapport au ministre des affaires étrangères.

Par ailleurs, il est étonnant que l'information des députés français du Parlement européen par l'administration française soit insuffisante ; un lien devrait être établi entre ces derniers et le ministre des affaires européennes.

Le Président Pierre Lequiller a émis le souhait que la Délégation établisse des comparaisons entre les Etats membres sur cette question de l'autonomie du ministre des affaires européennes.

La Délégation a ensuite examiné la proposition de conclusions du rapporteur.

M. Jacques Floch, rapporteur, a suggéré une nouvelle rédaction du point 14 : « considère que le ministre des affaires européennes doit disposer de l'autorité politique nécessaire à sa fonction ».

M. Bernard Derosier a jugé que, dans le premier paragraphe de la proposition de conclusions, l'expression « l'Europe est à nouveau unie » n'était pas totalement exacte, car le continent européen est loin d'être totalement réunifié. Le rapporteur a suggéré de remplacer ces termes par « l'Europe s'est élargie ».

M. Bernard Derosier a demandé que l'expression « think tank » soit remplacée par son équivalent en français.

M. Michel Delebarre a regretté le faible nombre d'organes de presse français accrédités auprès de l'Union européenne.

M. Jacques Floch, rapporteur, a estimé que certains médias régionaux s'efforçaient d'intéresser le public aux questions européennes, comme TV Breizh ou Ouest-France. Il est d'ailleurs significatif que 60 % des électeurs de l'Ouest de la France aient voté en faveur de l'autorisation de ratifier le Traité de Maastricht.

M. Michel Delebarre a proposé de compléter le point 12 de la proposition de conclusions par la phrase suivante : « Suggère que certaines fonctions dans l'administration française ne puissent être confiées qu'à des fonctionnaires ayant une expérience européenne ».

M. Michel Herbillon a indiqué que M. Jacques Myard lui avait fait part de ses réserves sur le point 14, mais que l'amendement proposé par le rapporteur serait sans doute de nature à le rassurer. Il a souhaité par ailleurs amender le point 5 en supprimant l'adjectif « nouveau », pour renforcer la formation à la langue française de l'ensemble des fonctionnaires des Etats membres.

Après que les membres de la Délégation aient marqué leur accord à ces modifications, la Délégation a adopté les conclusions ainsi modifiées :

« Depuis le 1er mai 2004, l'Europe s'est élargie. Vingt-cinq Etats ont librement choisi de rassembler leurs forces pour bâtir ensemble un destin commun.

Pays fondateur de l'Union européenne, la France a depuis cinquante ans exercé avec ses partenaires un rôle déterminant dans la conception et dans la conduite du projet européen.

L'Europe est à la croisée des chemins et la France, dont la présence se trouve arithmétiquement diluée dans l'Union élargie, doit se donner les moyens de son ambition et définir les priorités d'une réelle stratégie d'influence.

A cette fin, la Délégation :

1. Refuse le discours du déclin de l'influence française, qui n'est pas conforme à la réalité et accrédite l'idée d'une Europe subie plutôt que choisie ;

2. Est convaincue que l'élargissement impose plus que jamais de définir une stratégie d'influence ouverte et pragmatique, motivée par l'intérêt général européen, au-delà des clivages nationaux ;

3. Encourage la création et le développement des cercles de réflexion consacrés à l'Europe dans la mesure où ils contribuent à faire entendre la voix de la France dans le débat d'idées qui alimente la réflexion sur l'avenir de l'Europe ;

4. Souhaite que l'approfondissement des relations franco-allemandes s'inscrive dans la perspective de la définition progressive d'une stratégie d'influence commune à nos deux pays ;

5. Considère que la langue est un vecteur essentiel d'influence, ce qui rend indispensable de soutenir matériellement la formation au français des responsables politiques et des fonctionnaires des pays membres ;

6. Salue l'organisation, parfois tardive mais désormais réelle, de la représentation des intérêts français à Bruxelles et la prise de conscience d'une montée en puissance des enjeux européens ;

7. Regrette le traitement lacunaire de l'Europe par les médias français, tout en se félicitant de certains progrès récents, notamment à l'occasion de l'élargissement ;

8. Déplore l'accumulation des mauvaises performances françaises (non transposition des directives, procédures d'infraction, aides d'Etat, absentéisme au Parlement européen et au Conseil de l'Union) qui contribuent à alimenter une fausse image d'arrogance pénalisante pour la défense de nos intérêts en Europe ;

9. Invite les partis politiques à prendre leurs responsabilités à l'occasion des élections européennes en exigeant de leurs élus au Parlement de Strasbourg qu'ils s'engagent moralement à effectuer leur mandat jusqu'à son terme ;

10. Estime souhaitable que les députés européens français siègent en priorité au sein des commissions législatives et participent plus activement aux travaux du Parlement européen ;

11. Apporte son soutien déterminé au développement de Strasbourg, capitale européenne qui, outre l'accueil du siège du Parlement européen, a vocation à devenir la capitale du droit de l'Union européenne ;

12. Souligne l'enjeu que représente le suivi des fonctionnaires français au sein des institutions européennes, qui doit s'exercer à tous les niveaux hiérarchiques et pas seulement pour les plus hauts postes, et suggère que certaines fonctions dans l'administration française ne puissent être confiées qu'à des fonctionnaires ayant exercé une mobilité dans les institutions européennes ;

13. Estime indispensable de valoriser la mobilité des fonctionnaires français vers les institutions européennes, de bien préparer leur départ et de mieux gérer leur retour ;

14. Considère que le ministre des affaires européennes doit disposer de l'autorité politique nécessaire à sa fonction ;

15. Souhaite que s'engage une réflexion sur le rôle et le statut des Délégations parlementaires pour l'Union européenne afin de mieux associer le Parlement français au suivi des affaires européennes, notamment dans la perspective de l'adoption d'une Constitution européenne. »

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a examiné deux textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Aucune observation n'ayant été formulée, la Délégation a approuvé les textes suivants :

Point A

¬ Pêche

- proposition de règlement du Conseil portant suspension des droits autonomes du tarif douanier commun pour certains produits de la pêche originaires de Ceuta et Melilla (document E 2571).

Point B

¬ Questions sociales

- proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (document E 1976).

Ce texte tend à améliorer la reconnaissance des qualifications professionnelles en codifiant et en simplifiant la réglementation existante, et à faciliter la liberté de prestation de services au sein de l'Union européenne.

La version actuelle, qui constitue un texte équilibré, pourrait susciter un accord politique au Conseil « Compétitivité » du 17 mai prochain.

Tout en l'approuvant, la Délégation a estimé qu'il convenait de veiller à ce que l'adoption et la transposition de ce texte n'affaiblissent pas les garanties touchant au niveau et à la qualité des qualifications reconnues : elle a soutenu la position du Gouvernement tendant, notamment, à permettre l'extension du contrôle des Etats membres d'accueil aux professions ayant des implications en matière de santé et de sécurité publiques.

III. Nomination d'un rapporteur d'information

Sur proposition du Président Pierre Lequiller, la Délégation a nommé M. Thierry Mariani rapporteur d'information sur la sûreté du transport aérien en Europe.