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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 109

Réunion du mercredi 12 janvier 2005 à 15 heures

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président,

Examen du rapport d'information du Président Pierre Lequiller sur la révision constitutionnelle préalable à la ratification de la Constitution européenne

Le Président Pierre Lequiller, rapporteur, a rappelé que cette révision sera la dix-huitième depuis 1958 et la cinquième directement liée à la construction européenne. Le dispositif du projet de loi constitutionnelle comporte quatre articles, en réalité répartis en deux groupes de dispositions : d'une part, celles qui seront d'application immédiate, indépendamment de l'entrée en vigueur du traité constitutionnel et d'autre part, celles qui s'ajoutent aux dispositions précédentes, mais dont l'entrée en vigueur est conditionnée par la ratification du traité constitutionnel. Il s'agit notamment des articles visant à permettre aux parlements nationaux d'exercer leurs nouvelles prérogatives en matière de contrôle du principe de subsidiarité et de droit d'opposition à une procédure de révision simplifiée du traité constitutionnel.

Dans sa décision du 19 novembre 2004, le Conseil constitutionnel a jugé que le traité constitutionnel européen ne bouleversait pas notre ordre juridique, estimant que ni l'affirmation explicite du principe de primauté du droit de l'Union sur le droit national, ni la « constitutionnalisation » de la Charte des droits fondamentaux n'appellent une révision de notre Constitution. La Constitution française reste la norme juridique suprême.

L'article I-6 du Traité constitutionnel reconnaît explicitement la primauté du droit de l'Union sur le droit des Etats membres, alors que le principe de primauté était jusqu'alors de nature exclusivement jurisprudentielle. A la demande du Royaume-Uni, la conférence intergouvernementale a toutefois adopté une déclaration jointe au Traité constitutionnel qui constate que les dispositions de cet article « reflètent la jurisprudence existante de la Cour de justice des Communautés européennes et du Tribunal de première instance ». Le juge constitutionnel a alors considéré que la portée du principe de primauté demeurait inchangée par rapport à ce que reconnaît l'article 88-1 de notre Constitution qui consacre la reconnaissance par la France d'un ordre juridique communautaire distinct de l'ordre juridique interne comme de l'ordre juridique international.

S'agissant de la conformité à la Constitution française de la Charte des droits fondamentaux, le rapporteur a apporté des précisions sur le respect de la conception française du principe de laïcité. L'article II-70 du traité constitutionnel, calqué sur l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), reconnaît le droit à toute personne de « manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites ».

Le Conseil constitutionnel a estimé que cette disposition ne menaçait pas notre conception de la laïcité. L'article II-112 § 4 de la Charte énonce en effet que « dans la mesure où la présente Charte reconnaît des droits fondamentaux tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, ces droits doivent être interprétés en harmonie avec lesdites traditions ». Le Conseil constitutionnel relève également que l'article 9 de la CEDH a été constamment appliqué par la Cour européenne des droits de l'homme en harmonie avec la tradition constitutionnelle des Etats membres, permettant de concilier la liberté de culte avec le principe de laïcité. Un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme figure même parmi les visas de la décision du Conseil constitutionnel qui se réfère à l'affaire Leyla Sahin c/Turquie dans laquelle la Cour de Strasbourg, se prononçant sur l'interdiction faite aux étudiantes turques d'avoir la tête couverte, a jugé qu'une telle prohibition n'était pas contraire à l'article 9 de la Convention. En conséquence, le traité constitutionnel européen ne remet nullement en cause la conception française de la laïcité, telle qu'elle est notamment formulée dans la récente loi sur le voile.

Le rapporteur a ensuite évoqué les modifications constitutionnelles d'ampleur limitée, rendues nécessaires par la décision du Conseil constitutionnel. Elles sont liées aux nouveaux transferts de compétences régaliennes, notamment dans le domaine de l'espace européen de liberté, de sécurité et de justice : contrôle aux frontières, coopération judiciaire en matière civile et pénale, possibilité de créer un Parquet européen.

Compte tenu de la diversité des dispositions déclarées non conformes, le projet de loi constitutionnelle opte en faveur d'une clause générale validant l'ensemble des transferts de compétences consentis au titre de la participation de la France à l'Union européenne.

La révision constitutionnelle découle également des modalités nouvelles d'exercice des compétences déjà transférées et qui concernent le passage de l'unanimité à la majorité qualifiée, et l'extension de la procédure de codécision (désormais qualifiée de procédure législative ordinaire). Le juge constitutionnel considère que la perte du droit de veto de la France consécutive au passage de l'unanimité à la majorité qualifiée affecte les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. Il estime que les nouvelles compétences reconnues au Parlement européen, « lequel n'est pas l'émanation de la souveraineté nationale » sont également susceptibles de porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté.

Il en est de même de la disparition du droit d'initiative individuel de la France en matière de coopération policière et pénale puisque est substituée à ce droit d'initiative individuel, une initiative conjointe d'un quart des Etats membres en vue de présenter un projet d'acte européen dans des matières relevant de l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

Les clauses passerelles autorisant, à l'unanimité, le passage à la majorité qualifiée et à la procédure législative ordinaire ne sont pas conformes à la Constitution. L'activation de la clause passerelle n'est possible que par une décision du Conseil européen adoptée à l'unanimité. Pour autant, le Conseil constitutionnel estime que sa mise en œuvre aboutit nécessairement à l'instauration de nouvelles modalités d'exercice de compétences déjà transférées, mais qui ne pourront alors faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité. Dès lors que le juge constitutionnel déclare non conformes à la Constitution les nouvelles modalités d'exercice des compétences déjà transférées, il était cohérent qu'à titre préventif, il déclare non conforme à la Constitution l'existence des clauses passerelles particulières et de la clause passerelle générale de l'article IV-444 qualifiée de « procédure de révision simplifiée ».

Le rapporteur a ensuite présenté l'article 2 du projet de loi constitutionnelle prévoyant l'obligation de soumettre à référendum toute nouvelle adhésion d'un Etat à l'Union européenne, à l'exception de la Bulgarie, de la Croatie et de la Roumanie. Après avoir rappelé qu'à ce jour, seul l'élargissement de 1973 au Danemark, à l'Irlande et au Royaume-Uni avait donné lieu à l'organisation d'un référendum en France, il a estimé que cette disposition contribuait à l'approfondissement démocratique de l'Union et devait permettre de déconnecter le référendum sur le traité constitutionnel du débat sur la Turquie. A cet égard, le rapporteur a rappelé que le Conseil européen de Bruxelles des 16 et 17 décembre 2004 a soumis l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie à trois garanties particulièrement fortes :

- premièrement, l'Union européenne n'a rien cédé sur les exigences et les conditions d'adhésion. La Turquie ne pourra rejoindre l'Union européenne qu'à la condition de reprendre à son compte intégralement l'acquis communautaire et de se réconcilier avec elle-même et avec ses voisins, en particulier Chypre et l'Arménie ;

- deuxièmement, le cadre de négociation, applicable également aux autres pays candidats des Balkans occidentaux, a été renforcé pour que les Etats membres conservent la maîtrise totale du processus de négociation qui pourra être interrompu à tout moment. La négociation des chapitres se fera l'un après l'autre et non plus par paquets, en s'assurant de la mise en œuvre effective de chaque chapitre et non plus seulement d'un engagement d'appliquer la législation adoptée ;

- troisièmement, la négociation est un processus ouvert qui ne conduit pas automatiquement à l'adhésion. L'issue ne peut être garantie à l'avance et l'option alternative du lien le plus fort entre la Turquie et l'Union européenne pourra jouer dans deux hypothèses : l'impossibilité pour l'Union d'absorber la Turquie ou le fait que ce pays ne puisse pas ou ne veuille plus rejoindre l'Europe.

Le projet de révision constitutionnelle présenté par le Gouvernement ajoute une quatrième garantie en permettant au peuple français d'avoir le dernier mot sur le résultat des négociations d'adhésion.

Dans le second temps de son exposé, le rapporteur a plus particulièrement souligné l'enjeu de cette révision constitutionnelle au regard du renforcement du contrôle parlementaire sur les affaires européennes.

Sur le sujet du rôle des parlements nationaux, la contrariété relevée entre le traité constitutionnel européen et la Constitution française est d'une nature particulière puisqu'elle est due au silence de la Constitution qui s'oppose en l'état à ce que soient exercées les nouvelles prérogatives reconnues à l'Assemblée nationale et au Sénat, à savoir :

- le droit de saisir directement les institutions européennes (le Conseil, le Parlement ou la Commission) en vue d'assurer le respect du principe de subsidiarité ;

- la faculté de demander au gouvernement de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, aux mêmes fins ;

- la possibilité de s'opposer à une révision simplifiée du traité constitutionnel.

S'agissant du contrôle du respect du principe de subsidiarité, le rapporteur a rappelé les propositions formulées par MM. Jérôme Lambert et Didier Quentin et l'échange de vues au sein de la Délégation qui a suivi la présentation de leur rapport. Ces propositions concernent le Règlement de l'Assemblée nationale et devront, le moment venu, être discutées avec son Président. Une concertation avec le Sénat est également envisagée.

Au plan constitutionnel, le projet de loi constitutionnelle insère un article 88-5 dans le Titre XV de la Constitution pour donner une base juridique constitutionnelle aux nouvelles prérogatives reconnues par le Traité constitutionnel aux parlements nationaux.

S'agissant des avis motivés sur le principe de subsidiarité, ils prendront la forme juridique de résolutions.

Le nouvel article 88-5 reconnaît de façon explicite la faculté qu'aura chaque chambre, séparément, d'adopter des résolutions portant avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité. Le champ des « actes législatifs européens » ne recouvre pas celui mentionné à l'article 88-4 des « projets ou propositions d'actes des institutions européennes comportant des dispositions qui sont du domaine de la loi », au sens de l'article 34 de la Constitution française. Il existe en conséquence une étanchéité totale entre les articles 88-4 et 88-5 ouvrant ainsi, en l'état, la voie à trois cas de figure : l'adoption d'une résolution portant avis motivé au titre de l'article 88-5 sans possibilité de voter une résolution au titre de l'article 88-4 ; l'adoption d'une résolution au titre de l'article 88-4 sans être compétent au titre de l'article 88-5 ; l'adoption d'une résolution portant avis motivé au titre de l'article 88-5 et d'une seconde résolution au titre de l'article 88-4. Pour rendre le système plus compréhensible et plus efficace, il y aurait une logique à ce que le Gouvernement soumette obligatoirement au Parlement tous les projets d'actes législatifs européens ainsi que, comme c'est le cas aujourd'hui, toute autre proposition d'acte européen comportant des dispositions de nature législative. Bien entendu, la clause facultative devrait être maintenue.

Le rapporteur a ensuite précisé que l'Assemblée nationale et le Sénat seront constitutionnellement tenus d'informer le Gouvernement de l'existence d'avis motivés. En sa qualité de négociateur au sein du Conseil de l'Union, il est en effet indispensable que le Gouvernement soit mis au courant des avis motivés directement adressés aux institutions de l'Union.

En ce qui concerne le droit de former un recours juridictionnel, le projet de loi constitutionnelle établit clairement une compétence liée du Gouvernement, tenu de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne tout recours d'origine parlementaire formé contre un acte législatif pour violation du principe de subsidiarité. Cela est pleinement conforme à l'esprit des dispositions du traité constitutionnel européen.

Le droit d'opposition à la mise en œuvre de la procédure de révision simplifiée (article IV-444) constitue un autre motif d'inconstitutionnalité, et justifie l'ajout dans la Constitution d'un article 88-6 pour permettre au Parlement d'exercer son droit d'opposition. Un vote identique commun aux deux chambres sera nécessaire (à la différence des prérogatives reconnues séparément à chaque assemblée dans le cadre du contrôle du principe de subsidiarité).

Le rapporteur a enfin mentionné les autres droits reconnus aux parlements nationaux mais qui ne nécessitent pas de révision constitutionnelle comme l'association des parlements nationaux à l'évaluation des activités d'Eurojust et au contrôle d'Europol.

Le rapporteur a ensuite dressé devant la Délégation un bilan de l'article 88-4 de la Constitution. Evoquant le droit à l'information du Parlement en matière européenne, il a indiqué qu'il s'étend bien au-delà des seuls textes soumis par le gouvernement
- obligatoirement ou à titre facultatif - au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Les lois « Josselin » (1990) et « Pandraud » (1994) garantissent en effet le droit à l'information puisqu'elles imposent au Gouvernement de transmettre aux Délégations pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et du Sénat tout document établi par les différentes institutions de l'Union, à l'exception toutefois des actes nominatifs. En conséquence, l'accès à l'information ne soulève plus de réelles difficultés. Entre 1000 et 1300 projets d'actes européens sont ainsi transmis chaque année au Parlement, dont environ un quart le sont au titre de l'article 88-4 de la Constitution, ouvrant un droit à l'adoption de résolutions. En effet, le Parlement n'est autorisé à voter des résolutions que sur les seuls textes qui lui sont « soumis » par le Gouvernement au titre de l'article 88-4, et non sur tous les autres qui lui sont « transmis » au titre des dispositions législatives qui garantissent son droit à l'information.

Si le Gouvernement fait actuellement office de « courroie de transmission », l'entrée en vigueur du Traité constitutionnel entraînera la transmission directement par les institutions de l'Union de tous les projets d'actes législatifs européens ainsi que des documents de consultation de la Commission (livres verts, livres blancs et communications) et de son programme législatif annuel. L'information sera donc exhaustive et ces transmissions se révéleront redondantes avec celles émanant du Gouvernement. A l'heure de l'Internet, l'accès aux textes ne pose plus de difficultés dès lors que les documents sont publics. L'enjeu pourrait même s'inverser, à savoir réussir le tri parmi des dizaines de milliers de pages (généralement en français, mais de plus en plus souvent en langue anglaise) entre les documents de nature essentiellement technique et ceux qui présentent un intérêt politique.

Sur la question des délais d'examen, le rapporteur a rappelé que depuis l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam (1999), le protocole sur le rôle des parlements nationaux prévoit qu'un délai de six semaines doit s'écouler entre le moment où la Commission transmet une proposition d'acte au Conseil et au Parlement européen et la date à laquelle cette proposition est inscrite à l'ordre du jour du Conseil en vue d'une décision.

A cette garantie prévue par le droit européen, il faut ajouter l'engagement pris par le Gouvernement de respecter un délai d'un mois avant de prendre position à Bruxelles lors des négociations au Conseil. Cette « réserve d'examen parlementaire » introduite par la « circulaire Balladur » du 19 juillet 1994 relative à la prise en compte de la position du Parlement français dans l'élaboration des actes communautaires signifie que le Gouvernement s'engage à s'opposer, dans le délai d'un mois, à l'inscription à l'ordre du jour du conseil des ministres de l'Union d'une proposition d'acte n'ayant pas encore fait l'objet d'une prise de position du Parlement national. En pratique, le Gouvernement a, de ce délai d'un mois, une interprétation extensive et respectueuse des droits du Parlement car il sollicite toujours la position de la Délégation pour l'Union européenne avant l'adoption d'un projet d'acte européen par le Conseil.

Evoquant le recours à la procédure des résolutions, le rapporteur a indiqué qu'entre le 25 juin 1992 et le 31 décembre 2004, l'Assemblée nationale avait adopté 141 résolutions sur des projets ou propositions d'actes européens.

Il ressort toutefois des statistiques que la majorité des résolutions a été votée dans les premières années de mise en œuvre de l'article 88-4 de la Constitution : 70 entre 1993 et 1996, 47 entre 1997 et 2000 et seulement 24 depuis le 1er janvier 2001.

Cette diminution très marquée ne signifie pas pour autant une baisse de l'intensité du contrôle parlementaire sur les affaires européennes. Bien au contraire, si l'on en juge par l'augmentation importante du nombre des conclusions adoptées par la Délégation pour l'Union européenne sur des documents soumis par le Gouvernement au titre de l'article 88-4 : 18 sous la XIème législature (1997-2002), et déjà 35 à mi-mandat de la XIIème législature.

En réalité, la lourdeur de la procédure d'adoption des résolutions entraîne incontestablement un effet dissuasif. La Délégation pour l'Union européenne n'a pas en effet le pouvoir d'adopter seule une résolution. Elle ne peut voter qu'une proposition de résolution automatiquement transmise à la commission permanente compétente au fond, qui doit l'examiner dans le délai d'un mois. Mais la surcharge de l'agenda des commissions rend le respect de ce délai très théorique.

Quant à l'examen des résolutions en séance publique, il a de plus en plus un caractère exceptionnel.

Une réforme de la procédure d'adoption permettrait de remédier à cette évolution. L'obligation faite aux commissions permanentes de se saisir des propositions de résolution de la délégation aboutit souvent à faire procéder à deux examens identiques : l'un en délégation, l'autre en commission, parfois même sous la conduite du même rapporteur ! L'ordre du jour de la commission aura alors été encombré inutilement, comme seront déposés, imprimés et distribués des documents redondants par rapport à ceux de la délégation.

Comme ce qui pourrait être envisagé pour la subsidiarité, une procédure simplifiée viserait à maintenir le principe d'un examen par la commission permanente compétente au fond, mais si celle-ci n'estimait pas nécessaire de se saisir de la proposition de résolution (dans un délai de quinze jours, par exemple), le texte adopté par la Délégation deviendrait définitif, sous réserve d'une demande d'examen en séance publique selon les conditions actuellement en vigueur.

Evoquant plus particulièrement la portée politique des résolutions, le rapporteur a précisé qu'elles pouvaient soit renforcer, soit infléchir la position du Gouvernement. Elles renforcent la position du Gouvernement, en lui permettant de s'appuyer sur une résolution parlementaire pour défendre une position ; mais elles peuvent également l'infléchir, lorsque le Parlement adopte une position qui, sans être en opposition avec celle du Gouvernement, peut se révéler différente. Ce fut le cas, par exemple, de la résolution sur la création d'un procureur européen même si le texte voté en séance publique le 22 mai 2003 fut en retrait par rapport à la proposition de résolution initiale adoptée par la Délégation pour l'Union européenne.

Le rapporteur a ensuite analysé l'impact des évolutions de la construction européenne sur l'article 88-4, abordant plus particulièrement le rôle du Parlement sur les questions liées à l'édification d'un espace de liberté, de sécurité et de justice, qui représente l'un des chantiers majeurs de l'approfondissement de la construction européenne des dix prochaines années. Cette ambition répond aux préoccupations des citoyens et touche à une compétence traditionnelle des parlements nationaux. En ce sens, les évolutions envisagées dans le domaine de la justice et des affaires intérieures (JAI) doivent aller de pair avec un renforcement du contrôle parlementaire sur ces sujets où les décisions se prennent de plus en plus à Bruxelles et à Strasbourg.

Puis il a lancé un débat plus général sur les moyens de renforcer l'efficacité du contrôle parlementaire, au-delà du mécanisme de l'article 88-4. A cet égard, il a salué l'ouverture européenne de plus en plus forte de l'Assemblée nationale, notamment à travers la séance mensuelle de questions d'actualité européenne. Au vu de son succès, cette pratique pourrait à terme être encore plus largement développée. Le rapporteur a également mentionné l'existence d'un bureau de représentation de l'Assemblée nationale à Bruxelles, la multiplication des auditions et débats avec des personnalités européennes, l'organisation de réunions conjointes avec des parlementaires d'autres pays de l'Union, le renforcement des relations parlementaires franco-allemandes, etc. Il s'est également félicité de la visibilité des pages européennes du site Internet de l'Assemblée nationale, et de leur consultation fréquente par les députés européens.

Dans cet esprit d'ouverture, le rapporteur a évoqué la proposition récemment formulée par la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) lors de sa dernière réunion à La Haye, les 22 et 23 novembre 2004 d'organiser une journée européenne dans les différents parlements de l'Union. Cette journée serait organisée autour de débats thématiques au sein des commissions permanentes et de la Délégation pour l'Union européenne, suivis d'un débat d'actualité en séance publique en présence d'une haute personnalité européenne.

Un autre aspect important d'une meilleure visibilité des affaires européennes au Parlement consisterait en un changement de dénomination de la Délégation en Commission pour l'Union européenne. En effet, il n'est pas un seul parlement de l'Union européenne, à l'exception de la France, où l'organe chargé du suivi et du contrôle des affaires européennes n'ait pas l'appellation de « commission ». Notre dénomination de « délégation » n'est comprise ni de nos concitoyens ni des parlementaires de l'Union européenne qui appartiennent, au sein de leur parlement national, à une commission des affaires européennes. Un changement de dénomination ne porterait pas atteinte à l'article 43 de la Constitution, qui limite à six le nombre des commissions permanentes à caractère législatif et chargées du contrôle général du Gouvernement. Il ne s'agit en effet nullement d'instituer une septième commission. C'est pourquoi cette commission serait visée dans le titre XV de la Constitution sur les Communautés européennes et l'Union européenne et non pas à l'article 43 qui traite des six commissions permanentes. Vigie européenne, cette nouvelle commission conserverait ses missions actuelles d'information, de suivi, d'évaluation et de contrôle dans le domaine européen. Du fait de sa composition transversale, dans la mesure où elle comprend des membres des six commissions permanentes, la commission pour l'Union européenne conserverait un rôle spécifique, sui generis, sans empiéter sur les compétences des commissions permanentes. Les projets ou propositions de loi ne lui seraient pas envoyés. Dans le cadre d'un projet de loi constitutionnelle qui modifie l'ensemble du titre XV de la Constitution, une telle évolution permettrait de mieux associer notre parlement national aux questions européennes et, par-delà, de rendre l'Europe plus lisible et plus compréhensible par les citoyens.

Enfin, le renforcement de l'efficacité du contrôle parlementaire des affaires européennes suppose également l'approfondissement de bonnes relations entre le Gouvernement et le Parlement à travers le respect d'un code de bonne conduite, tel que celui adopté en janvier 2003 par la COSAC. Il est ainsi recommandé que  les parlements soient informés suffisamment à temps par les gouvernements de leurs pays respectifs des décisions prévues au niveau de l'Union européenne et des propositions de décision que les gouvernements comptent présenter aux réunions du Conseil, aux sommets et aux conférences intergouvernementales. La transmission de notes d'information établies par le Gouvernement sur l'état d'avancement des négociations au sein du Conseil ainsi que sur la position française et son évolution au cours de la négociation se révélerait ainsi particulièrement utile. En tout état de cause, l'information du Parlement, et en particulier celle de la Délégation pour l'Union européenne, passe aussi par des auditions régulières des différents ministres, tant en amont qu'en aval des conseils sectoriels au cours desquels sont débattus et votés les actes législatifs européens.

Le contrôle parlementaire des affaires européennes concerne également la transposition des directives. La dernière édition du rapport annuel de la Délégation pour l'Union européenne indique pour fin mai 2004 la non-transposition de 62 directives relatives au marché intérieur, contre 50 un an auparavant. Cela porte le déficit de transposition à 4,1 %, bien loin de l'objectif de 1,5 %. La surcharge de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ne doit pas être un frein à notre obligation de transposition des directives. Le principe de rendez-vous mensuels de transposition représente à cet égard un progrès significatif.

A l'issue de la présentation du rapport d'information, un débat s'est engagé.

M. Jacques Myard a rappelé l'importance de cette révision constitutionnelle, qui devrait être longuement débattue en séance publique et sur lequel il défendra une question préalable. La décision du Conseil constitutionnel sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe est schizophrène et surréaliste. Le Conseil constitutionnel a en effet « neutralisé » l'article I-6 du traité, qui affirme pour la première fois explicitement le principe de primauté, alors que cet article est incompatible avec la Constitution française, avec laquelle il est antinomique. Le Conseil constitutionnel a abandonné le monisme juridique, au profit d'une dualité d'ordres juridiques, qui ferait cohabiter l'ordre juridique communautaire et l'ordre juridique national. Or cette dualité n'existe pas, et la Cour de justice dira in fine que le droit de l'Union l'emporte sur la Constitution française et qu'un Etat fédéral a été mis en place.

Le raisonnement du Conseil constitutionnel au sujet de la Charte des droits fondamentaux ne manque pas non plus de piquant. Le Conseil s'appuie sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui serait conforme à notre tradition républicaine et laïque. Mais il n'existe aucune garantie que cette jurisprudence, par nature évolutive, restera inchangée, car un revirement jurisprudentiel est toujours possible. Le Conseil constitutionnel a ainsi subordonné la constitutionnalité de la Charte à une décision de justice, alors que cette jurisprudence peut évoluer, sans que la France ne puisse y changer quoi que ce soit.

Les articles 88-4 et 88-5 ne sont qu'une apparence de renforcement des pouvoirs du Parlement. Dans le cadre de l'article 88-4, le gouvernement donne la suite qu'il entend aux résolutions adoptées par les assemblées, qui n'ont aucun pouvoir contraignant. Les avis motivés sur le respect du principe de subsidiarité sont de simples clauses procédurales, qui s'appliquent à un ensemble vide. C'est en effet le centre, c'est-à-dire l'Union, qui détermine ce qui relève de ses compétences, alors que cela devrait être les Etats membres.

Le Président Pierre Lequiller a souligné que la Charte des droits fondamentaux elle-même précise, en son article II-112, que les droits qu'elle reconnaît doivent être interprétés en harmonie avec les traditions constitutionnelles des Etats membres. Il a rappelé que le traité constitutionnel met pour la première fois en place un véritable contrôle du respect du principe de subsidiarité, qui démontrera d'ailleurs sans doute que ce principe est, en pratique, respecté par les institutions européennes.

M. Pierre Lellouche s'est déclaré à moitié convaincu par le raisonnement du Conseil constitutionnel. Le Conseil a en effet « botté en touche » sur une autre juridiction, la Cour européenne des droits de l'homme. Cela n'est pas satisfaisant, d'autant que la France est, en ce qui concerne la laïcité, plutôt une exception par rapport aux autres Etats membres, qui accordent une place prépondérante à la liberté de conscience. La France sera à la merci d'une évolution ultérieure de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Il faudra clarifier ce point lors des débats.

Le dispositif mis en place par l'article 88-5 pour le respect du principe de subsidiarité revient également à « botter en touche » vers une juridiction que nous ne contrôlons pas. Si l'Assemblée nationale estime qu'un projet d'acte législatif est contraire au principe de subsidiarité, ce sera in fine la Cour de justice qui décidera si tel est bien le cas. Des pouvoirs considérables continuent à être transférés à l'Union, sans qu'il y ait de garantie de pouvoir sanctionner des violations éventuelles.

La distinction entre les domaines législatif et réglementaire n'a aucun sens pour le droit européen, qui ne connaît pas cette distinction. Elle ne devrait donc pas conduire à brider les pouvoirs, au demeurant consultatifs, du Parlement sur les affaires européennes. Ce n'est pas par le biais de simples pouvoirs consultatifs qu'il sera porté remède au dessaisissement des Parlements nationaux entraîné par la construction européenne. Actuellement, la législation européenne est élaborée par les exécutifs nationaux, la Commission et le Parlement européen. Dans ce trio, il n'y a pas de place pour les Parlements nationaux. Pour remédier à ce déficit, trois voies sont envisageables :

- la création d'un Sénat européen associant les Parlements nationaux des Etats membres, qui a été proposée à plusieurs reprises mais rejetée notamment par la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC). La France devrait reprendre cette initiative ;

- la Délégation pour l'Union européenne ne devrait pas simplement changer de nom, mais de statut. Le problème sur ce point n'est pas tant la Constitution, que l'opposition des présidents de commission. Cette révision est l'occasion de poser à nouveau le problème, qui relève pour beaucoup simplement du règlement de l'Assemblée nationale. Les moyens actuels ne sont, en tout état de cause, pas à la hauteur des enjeux ;

- il faudrait associer les parlementaires aux négociations, en les faisant participer à la délégation chargée de négocier les textes à Bruxelles.

Ce sont ces idées qu'il faut faire avancer, sans s'interdire de poser les problèmes au nom du respect de l'équilibre des pouvoirs ou de la discipline majoritaire.

Le Président Pierre Lequiller a observé que le dispositif de contrôle de la subsidiarité représentait un progrès significatif par rapport à la situation actuelle. Dans le cadre du contrôle ex ante, la Commission aura l'obligation de procéder à un réexamen de sa proposition dès lors qu'un tiers des voix des parlements nationaux sera réuni pour considérer qu'il y a atteinte à ce principe. S'agissant du contrôle ex post, la faculté de saisir la Cour de justice des Communautés européennes constitue une prérogative importante.

En ce qui concerne par ailleurs la création d'un Sénat européen, l'idée d'un Congrès a été défendue par la France dans le cadre des travaux de la Convention, mais n'a en définitive pas été retenue. Il faut donc continuer à la faire avancer. Sur un autre plan, l'hypothèse d'une association de parlementaires français aux négociations communautaires doit être considérée d'une manière favorable. Enfin, pour ce qui concerne la Délégation, peut-être faut-il d'abord s'attacher au changement de sa dénomination.

M. Jacques Floch a préalablement rappelé que certains des éléments et points de vue évoqués par M. Pierre Lellouche avaient été défendus, malheureusement sans succès, par les membres français de la Convention, dont l'action s'était inscrite dans la perspective d'une construction européenne qui s'attache à la défense des intérêts français selon une conception naturellement différente de celle des souverainistes. La question est posée de savoir si une majorité de Français souhaitent une construction européenne qui se traduise dans un futur éloigné par un Etat fédéral ou si tel n'est pas le cas.

En ce qui concerne la laïcité, le traité constitutionnel pose effectivement une question de fond. La conception qu'en a retenue la France, à la fois cultuelle, culturelle et sociale, est spécifique. C'est une idée de la citoyenneté et de l'Etat dans ses relations avec les organisations religieuses et philosophiques qui est le reflet d'une histoire particulière. La loi de 1905 a mis fin à plusieurs siècles de mainmise de l'Etat sur les églises. La République a réussi la séparation, mais a toutefois conservé des relations fortes avec les organisations religieuses. Il y a plusieurs mois, le ministre de l'intérieur d'alors a d'ailleurs tenté d'organiser le culte musulman, selon un cadre qui ne relève pas d'une conception stricte de la laïcité.

M. Jacques Floch a qualifié de « scandaleuse » la présence de l'article 2 du projet de loi constitutionnelle. Cette disposition prive le Président de la République de la faculté d'apprécier dans le futur si un élargissement doit ou non être soumis à référendum. Les prérogatives du Parlement seront également diminuées puisqu'il ne pourra pas y avoir de débat préalable. Il s'agit d'une disposition de pure opportunité uniquement destinée à répondre aux attentes de certains membres de la majorité. Il est d'ailleurs significatif que le président Pierre Lequiller ait évoqué la Turquie dans le cadre de son rapport. En effet, certains membres de la majorité pensent que les électeurs ne voteront pas le traité constitutionnel en l'absence d'une telle garantie sur les conditions de l'adhésion de cet Etat. Un amendement de suppression de cette disposition sera donc déposé.

Les articles 88-4 et 88-5 de la Constitution conduisent à examiner la question du rééquilibrage des pouvoirs législatif et exécutif. Le traité constitutionnel prévoit une normalisation des appellations des textes dits législatifs et dits réglementaires. Il y aura donc un tri des textes en amont selon leur nature. Un approfondissement de la réflexion conduit à rappeler que les chefs d'Etat et de Gouvernement disposent d'une compétence législative à laquelle le Parlement est en France peu associé. Certes, la coutume veut que la Commission des affaires étrangères et la Délégation soient consultées avant les réunions du Conseil européen. Néanmoins, a-t-on mesuré une fois les conséquences de ces débats sur les conclusions du Conseil européen ? Dans un certain nombre d'Etats tels que la Finlande, un dispositif de mandat impératif est mis en œuvre. En pratique, une simple pression du Parlement est suffisante.

Sur un autre plan, l'amélioration des mécanismes actuels conduit à se poser la question des modalités de l'élection des membres du Parlement européen. La diversité des modes de scrutin fait que chaque citoyen n'a pas le même poids.

Dans un tel contexte, l'amendement de la Commission des affaires étrangères, adopté à l'initiative du Président Edouard Balladur, va dans le bon sens. Toutefois, un véritable rééquilibrage n'interviendra que par une modification de l'article 48 de la Constitution sur la fixation de l'ordre du jour.

Le débat doit avoir lieu puisque l'état d'esprit a changé depuis les débuts de la Vème République. Les pouvoirs dits réservés du Président de la République proviennent des circonstances particulières résultant de la Guerre d'Algérie. C'est une notion identifiée par Jacques Chaban-Delmas pour permettre au Général de Gaulle de régler la question algérienne. Le Président François Mitterrand a ensuite fait sienne cette conception du rôle du Président de la République lorsqu'il a décidé l'annulation de la dette des Etats les plus pauvres.

D'une manière cohérente avec ses prises de position antérieures, le groupe socialiste votera le projet de révision constitutionnelle, mais proposera des modifications, notamment la suppression de l'article 2.

Le Président Pierre Lequiller a justifié la nécessité de l'article 2 du projet de loi constitutionnelle à la fois par le besoin de déconnecter la question du traité établissant une Constitution pour l'Europe du débat touchant à l'adhésion de la Turquie et par le caractère politique majeur des décisions liées à l'élargissement de l'Union.

M. Daniel Garrigue a d'abord estimé que la décision du Conseil constitutionnel rappelant que la Constitution française demeurait la norme juridique suprême peut s'expliquer si l'on veut bien considérer que le traité établissant une Constitution pour l'Europe constitue juridiquement un traité international comme les autres. Par ailleurs, les critiques exprimées précédemment touchant aux risques susceptibles de peser sur le principe de laïcité devraient prendre en compte le fait que le problème remonte à la décision d'approuver la convention européenne des droits de l'homme elle-même. Quant aux observations sur les modalités de contrôle du principe de subsidiarité, il faudrait surtout apprécier les progrès résultant des dispositions proposées par rapport au système actuel, même si, dans l'idéal, il serait préférable que l'organisme compétent pour trancher les litiges s'apparente plus à un Sénat européen qu'à la Cour de justice des Communautés européennes.

Le problème de la dénomination de la Délégation pour l'Union européenne n'est pas seulement une question de forme. Le moment est venu de donner à la Délégation un statut équivalent à celui des six autres commissions permanentes pour trois raisons au moins. Tout d'abord, la lourdeur de la mise en œuvre des procédures prévues par l'article 88-4 et les futurs articles 88-5 et 88-6 de la Constitution réduit singulièrement les facultés d'examen en séance publique des grandes questions européennes. Ensuite, il apparaît souhaitable de mettre fin à la dichotomie actuelle où la Délégation ne peut intervenir qu'en amont, avant l'adoption d'une proposition communautaire par le Conseil, et est dépourvue de compétences lors des procédures de transposition ; il conviendrait qu'elle puisse poursuivre son action en se saisissant soit au fond, soit pour avis, selon l'importance du texte concerné. Enfin, une évolution est indispensable pour que les enjeux européens puissent être au cœur de tous les débats essentiels tenus au sein de notre assemblée, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui comme l'illustre le peu de références aux questions européennes lors des débats sur le projet de loi de finances. Comme il est peu probable qu'une restructuration des commissions permanentes existant à ce jour puisse autoriser la transformation de la Délégation en une sixième commission, il serait plus aisé de proposer la création d'une septième commission permanente, ce qui aurait pour intérêt essentiel de pouvoir traiter des questions européennes en séance publique. Une telle réforme remettrait évidemment en question la double appartenance des députés à la Délégation et à une commission permanente, mais l'enjeu le justifie.

Le Président Pierre Lequiller a estimé que l'expérience de tous les Présidents de la Délégation qui se sont succédés depuis l'origine de cet organe montre clairement les difficultés pratiques que cette question rencontre. En outre, la double appartenance des députés s'avère très utile et il serait opportun de ne pas la remettre en cause. C'est pourquoi il semble préférable de proposer une disposition visant à inclure dans le titre XV de la Constitution une référence à une commission pour l'Union européenne, ce qui aboutirait à créer une commission ad hoc ou sui generis, et constituerait une grande avancée sur le plan symbolique.

Mme Elisabeth Guigou a d'abord noté que la présentation effectuée par le Président Pierre Lequiller laissait présumer de l'excellence du rapport. La transformation de la Délégation en commission permanente apparaît nécessaire, même si cette proposition a toujours suscité des résistances. Une telle réforme est rendue indispensable par l'accroissement de l'imbrication des questions européennes dans tous les projets examinés par le Parlement. En ce qui concerne la question délicate de la double appartenance, elle pourrait être résolue, par exemple, en prévoyant qu'un député peut être à la fois titulaire dans une commission et suppléant dans une autre. Il est compréhensible que le Président de la Délégation soit astreint à une certaine prudence dans ce domaine, mais une réforme plus audacieuse semble s'imposer.

La décision du Conseil constitutionnel dit clairement que le texte est un traité international, même s'il se nomme « Constitution ». A cet égard, il est important de parler de « traité constitutionnel », notamment pour répondre aux partisans du « non » qui affirment qu'il s'agit d'une Constitution intangible. Ce traité ne modifie pas la portée du droit européen et permet la poursuite de la construction d'une hiérarchie juridique.

Mme Elisabeth Guigou a souligné qu'elle ne se serait jamais prononcée en faveur du traité constitutionnel si elle avait pensé que celui-ci risquait de saper le principe de laïcité. D'une part, tous les débats sur le traité constitutionnel ont fait apparaître que la conception des partisans de la laïcité avait prévalu. D'autre part, le préambule est très clair : il ne mentionne pas d'héritage judéo-chrétien mais « des héritages culturels, religieux et humanistes ». L'article II-70 reprend l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, en vigueur depuis 1950, qui n'est pas contraire à la laïcité française. Toute la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme maintient la compétence des Etats pour définir ce qui est conforme au principe de laïcité. Récemment, dans l'arrêt Leyla Sahin contre Turquie, la Cour a affirmé fortement ce principe.

Concernant le rôle des parlements nationaux, elle a souligné son accord avec les propos de M. Jacques Floch.

Mme Elisabeth Guigou a ensuite affirmé que si l'on était en faveur de la ratification du traité constitutionnel, il fallait approuver la révision constitutionnelle et ses articles 1 et 3. Elle a indiqué qu'elle voterait contre l'article 2 du projet de loi, qui représente selon elle une faute car il contredit le principe de la Vème République. Il retire des pouvoirs au Président de la République et au Parlement. En outre, il introduit un élément d'opportunité dans une révision constitutionnelle qui ne devrait être motivée que par des questions de principe. Cet article reconnecte la question de l'adhésion de la Turquie avec le débat sur le traité constitutionnel. Il faut clairement affirmer qu'il s'agit de deux sujets différents, afin d'éviter d'encourager les peurs et les amalgames. Mme Elisabeth Guigou a indiqué que le groupe socialiste aura une position unanime contre cet article.

Elle a jugé excellent l'amendement proposé par le Président Edouard Balladur car il permet d'infléchir en même temps l'esprit et la pratique. Il donne au Parlement un droit de consultation systématique, hors de l'initiative du Gouvernement. Les avis du Parlement ne lieraient pas le Gouvernement et pourraient l'appuyer dans ses négociations.

Le Président Pierre Lequiller s'est déclaré en accord avec ses propos sur la laïcité. En revanche, il a considéré que l'article 2 du projet de loi permettait de déconnecter le débat sur l'adhésion de la Turquie de celui sur le traité constitutionnel et de répondre ainsi aux partisans du « non ». Il a ensuite indiqué qu'il s'était prononcé contre l'amendement du Président Edouard Balladur car celui-ci affecterait l'équilibre institutionnel. Même si la proposition ne prévoit qu'un avis du Parlement, il sera difficile pour le Président de la République de ne pas en tenir compte dans les négociations, ce qui porte atteinte à l'article 52 de la Constitution selon lequel le Président de la République négocie et ratifie les traités.

Mme Elisabeth Guigou a estimé que le quinquennat et l'évolution de la vie politique rendent nécessaire des changements institutionnels. Dans ce contexte, l'amendement proposé par le Président Edouard Balladur est un aménagement positif. Il n'aboutit pas à un mandat impératif mais il imposera au Premier ministre de débattre avec le Parlement avant les négociations. La majorité ne lui créera vraisemblablement pas de difficulté et le libellé des résolutions qu'elle adoptera ne supprimera pas toute marge de manœuvre pour le Président de la République.

Le Président Pierre Lequiller a souligné que les modalités du contrôle parlementaire sur les questions européennes n'étaient pas très différentes dans les autres pays de l'Union. Dans un régime parlementaire comme le Royaume-Uni, la Chambre des Communes ne se prononce pas par un vote avant la réunion du Conseil européen. Elle organise un simple débat. Au Danemark, en revanche, la Commission des affaires européennes peut imposer un mandat au gouvernement. L'amendement proposé par le Président Edouard Balladur affaiblirait la capacité de négociation et la liberté politique du Président de la République et du Gouvernement.

M. Nicolas Dupont-Aignan a estimé qu'il était surnaturel d'invoquer l'équilibre des institutions pour condamner l'amendement du Président Balladur, tout en soutenant un projet de Constitution européenne contraire à des principes fondateurs de la Vème République comme l'indépendance nationale et la souveraineté populaire. Cette hypocrisie devrait à elle seule inciter à voter Non au référendum. L'article 2 du projet de loi constitutionnelle procède d'un mouvement tactique qui ne trompe personne. Il revient à réduire pour l'avenir le pouvoir de libre arbitre du Président de la République, sans réussir à détruire le lien entre la constitution européenne et l'adhésion de la Turquie. Lorsqu'un Français se marie, il regarde qui il épouse beaucoup plus qu'il ne se plonge dans la lecture du Code civil. Avant de s'engager à accepter la Constitution, les Français devaient savoir avec qui ils sont susceptibles de la partager. Un référendum sur l'adhésion de la Turquie devait donc avoir lieu avant le référendum sur la Constitution européenne ou bien les deux questions auraient dû être posées le même jour de manière distincte. Car la Constitution, en modifiant le mode de calcul de la majorité qualifiée, donnerait à la Turquie un poids considérable si elle devait entrer un jour dans l'Union européenne. Par conséquent, la constitution européenne n'implique certes pas l'entrée de la Turquie, mais elle lui assure la possibilité de disposer un jour de ce poids renforcé au sein de l'Union.

Aussi M. Nicolas Dupont-Aignan a-t-il annoncé qu'il s'associerait à la question préalable posée par M. Jacques Myard. Au sujet de l'article I-6 du projet de Constitution européenne, l'équivoque ne lui semble pas levée. En évitant seulement de justesse l'adjectif « fédéral », cet article consacre la primauté du droit européen sur les droits nationaux, tandis que le Conseil constitutionnel français affirme la primauté du droit constitutionnel français sur le droit européen. La situation ne peut que remettre en mémoire le propos de Jacques Rueff lorsqu'il appelait à « être libéral ou à être socialiste, mais pas menteur ».

M. Nicolas Dupont-Aignan a repris l'analyse de Mme Elisabeth Guigou sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, mais s'est interrogé sur la position que pourrait adopter, quant à elle, la Cour de justice de Luxembourg sur la question de la laïcité. L'avenir de la conception française paraît bien être passée aux mains des juges européens.

Le contrôle de la subsidiarité tel qu'il est prévu est un leurre. Il cantonne les parlements nationaux dans un rôle de spectateurs passifs, en ne leur apportant tout au plus qu'une satisfaction symbolique. La Cour de Luxembourg reste maîtresse de l'étendue du principe. La proposition d'un Sénat européen, évoquée par M. Pierre Lellouche, constituait en effet une meilleure formule. Son échec n'est qu'un avant-goût des déceptions à venir. Sans doute les Français se lasseront-ils un jour que l'exception nationale soit battue en brèche par des politiques communes qui, comme la politique monétaire européenne ou la politique de la concurrence, ne sont pas adaptées. Ce sont eux qui trancheront en tout cas sur le projet de la Constitution européenne.

Le Président Pierre Lequiller a estimé que l'évolution actuelle de la construction européenne ne devrait pas conduire selon lui à une Europe fédérale, mais à une construction sui generis, à une fédération d'Etats-nations qui respecterait la diversité des identités nationales. Il a souligné que ce sentiment était largement répandu.

M. Edouard Landrain a dit partager les inquiétudes qui s'étaient exprimées. D'abord partisan de la raison, il a jugé que l'avis du Parlement français devait être mieux pris en compte lorsqu'il s'agissait de recourir au référendum prévu par l'article 2 du projet de loi constitutionnelle. Dans cet article, l'expression « après débat au Parlement » devrait pouvoir être insérée de sorte que le recours au référendum n'apparaisse pas comme la décision d'une personnalité seule. Cet ajout d'inspiration profondément démocratique n'impliquerait pas au demeurant que ce débat parlementaire soit obligatoirement suivi d'un vote.

M. Edouard Landrain a d'autre part indiqué que l'organisation d'une journée européenne à l'Assemblée nationale lui semblait une très bonne idée. Estimant que les manifestations annuelles du 9 mai n'étaient pas suffisantes, il a formé le vœu qu'une journée de l'Europe similaire puisse être organisée dans les collectivités territoriales, régions et départements, afin que les questions européennes soient débattues dans leurs implications locales, ce qui pourrait nourrir par la suite le débat parlementaire au niveau national.

M. Michel Herbillon a déclaré ne pas être convaincu par les arguments avancés pour s'opposer à l'article 2 du projet de loi constitutionnelle. Au-delà du droit, l'aspect politique a également son importance. L'article 2 présente l'avantage de dissocier nettement la question de l'adhésion turque et la question de la constitution européenne. Sans cette soupape de sécurité juridique, le résultat du référendum sur la Constitution se trouverait mis en péril à cause d'une assimilation erronée.

Tous les membres de la Délégation devraient d'autre part tomber d'accord sur la dénomination, les pouvoirs, le statut, les moyens et le rôle qu'ils veulent pour elle. La Délégation suit des questions dont l'importance ne cesse de grandir au sein des assemblées comme au sein de la société. Il serait naturel qu'elle devienne enfin une commission à part entière. Plusieurs méthodes sont possibles, mais l'essentiel est que l'appartenance de ses membres à une autre commission puisse être conservée et que son statut de commission devienne officiel. Il est temps de mettre fin à l'anomalie française qui dénie le nom de commission à l'organe qui suit les affaires européennes. Ce progrès serait symétrique de celui qui, dans le projet de Constitution européenne, donne aux parlements nationaux l'occasion de développer leur pouvoir de contrôle sur les affaires communautaires. Encore faudrait-il que tous les membres de la Délégation se mettent d'accord sur un texte d'amendement auquel cette unanimité donnerait précisément plus de poids. Car la révision prochaine de la Constitution constitue une occasion unique.

Reprenant les idées antérieurement exprimées, M. Michel Herbillon s'est dit favorable à ce que les parlementaires français soient mieux associés aux négociations européennes, à ce que des liens organiques se développent entre les parlementaires européens et leurs homologues français et enfin à ce que la Délégation et les commissions renforcent leur coopération.

Il a enfin appelé tous les membres de la Délégation à combler le déficit d'information qui subsiste encore trop souvent sur les questions européennes à l'intérieur même de l'Assemblée nationale.

Le Président Pierre Lequiller a souligné que les parlementaires européens étaient régulièrement invités à participer aux travaux de la Délégation. Certains d'entre eux sont déjà attendus pour débattre du projet de la directive « services ». Quant aux auditions communes avec les commissions permanentes, il y en a déjà eu et ces initiatives seront poursuivies.

Sur la Délégation, le Président a répondu que la solution possible résidait dans le changement de sa dénomination. Il a renouvelé son opposition à l'amendement de la Commission des affaires étrangères, suivi, notamment, par MM. Michel Herbillon, Edouard Landrain et Mme Irène Tharin.

M. Jacques Floch a déclaré que la configuration politique actuelle dans laquelle la majorité parlementaire se situe dans le même camp que le Président de la République offrait une véritable occasion de réformer la Constitution française qui ne se représenterait pas de sitôt. Il faudrait aboutir enfin à un progrès pour définir clairement le lieu où l'on parle et décide vraiment des affaires européennes dans cette assemblée. Une proposition allant dans ce sens qui resterait suffisamment claire sans trop déborder du sujet, pourrait recevoir l'aval du principal groupe de l'opposition et donc recueillir le soutien d'une très large majorité des membres de l'Assemblée nationale.

M. Daniel Garrigue a souligné que les longs débats du Comité consultatif constitutionnel, en 1958, sur la fixation à six du nombre des commissions permanentes montraient que se poser la question de la création d'une commission des affaires européennes n'était pas contraire à l'esprit de la Constitution.

A l'issue de ce débat, la Délégation a autorisé la publication du rapport d'information.