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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 119

Réunion du mercredi 16 mars 2005 à 16 heures 45

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Réunion commune avec la Commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen, présidée par M. Jo Leinen, sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe et son processus de ratification (réunion ouverte à la presse)

Le Président Pierre Lequiller s'est déclaré heureux d'accueillir à l'Assemblée nationale plusieurs membres de la Commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen autour de son Président M. Jo Leinen. Après avoir rappelé que le Parlement européen avait adopté en janvier dernier une résolution de soutien au traité constitutionnel, il a indiqué que les députés européens s'étaient déjà rendus au parlement britannique pour débattre du projet de Constitution européenne.

Le Président Jo Leinen a remercié les membres de la Délégation pour l'Union européenne pour leur accueil et a excusé l'absence de M. Pottering, Président du groupe PPE du Parlement européen, retenu pour un engagement. Il a ensuite exposé son analyse du traité constitutionnel qui ne comporte, selon lui, aucun recul et que des progrès - certains ambitieux, d'autres plus timides - au regard du traité de Nice. Les thèmes en débat en France sont souvent sans rapport avec le traité constitutionnel. Ainsi, la directive Bolkestein (que certains appellent même « Frankenstein » !) a été proposée par la Commission sous l'empire du traité de Nice tandis que le calendrier d'un éventuel élargissement à la Turquie a été fixé en 1999 lors du Conseil européen d'Helsinki. Les citoyens français doivent donc répondre à la seule question qui leur est posée, à savoir pour ou contre la Constitution européenne alors que les autres sujets évoluent selon des procédures sans lien avec l'adoption ou le rejet du traité constitutionnel. En effet, l'avenir de la proposition de directive sur les services dépend désormais du Parlement européen et du Conseil des ministres, tandis qu'un possible élargissement de l'Union à la Turquie relève d'une décision éminemment politique que prendra le Conseil européen, le moment venu, et au plus tôt en 2014.

En ce qui concerne le calendrier de ratification du Traité constitutionnel, le Président Jo Leinen a mentionné l'achèvement très prochainement de la procédure de ratification parlementaire en Italie, alors qu'en Allemagne, le Bundestag se prononcera le 12 mai et le Bundesrat le 27 mai. Il a souligné l'enjeu particulier qui entoure le référendum organisé en France, pays fondateur de l'Union européenne. Un vote négatif ouvrirait une crise grave et profonde, ne résoudrait aucun des problèmes soulevés par les partisans du non et créerait l'incompréhension des partenaires de la France, à commencer par l'Allemagne.

Le Président Pierre Lequiller s'est dit confiant dans une victoire du oui au référendum du 29 mai. Le choix fait par le Président de la République de recourir à la voie référendaire permet un débat démocratique dont l'issue est cependant moins certaine que dans le cas d'une ratification parlementaire. Dans ce contexte, il a constaté qu'on ne pouvait artificiellement isoler le débat sur la Constitution des autres questions que se posent les citoyens sur une Europe qu'ils connaissent mal mais qu'ils veulent mieux comprendre, comme le montrent les nombreuses réunions sur le terrain.

Observant que, paradoxalement, les agriculteurs sont très critiques à l'égard de l'Europe alors même qu'ils bénéficient largement de la politique agricole commune, il a ensuite énuméré plusieurs sujets qui préoccupent les Français et interfèrent avec le débat sur la Constitution européenne : la Turquie (même si la question de l'adhésion ne se posera que dans une quinzaine d'années et que les Français se prononceront obligatoirement par référendum, en application de la révision constitutionnelle adoptée le 28 février dernier), les délocalisations, la directive Bolkestein, l'Europe sociale et, dans une moindre mesure, l'absence de référence aux origines chrétiennes de l'Europe. Il a ainsi plaidé en faveur d'un travail d'explication et d'une campagne active permettant de souligner les importants progrès contenus dans le projet de Constitution européenne. Ce travail est d'autant plus indispensable qu'en France, la pédagogie sur l'Europe est, de manière générale, insuffisante.

M. Philippe Martin a souhaité connaître l'état du débat sur la ratification de la Constitution européenne dans les Etats membres qui ne font pas partie de la zone euro.

Le Président Jo Leinen a rappelé que le Danemark a déjà organisé six référendums sur l'Europe. Quatre ont été positifs, et deux négatifs. La campagne sera menée sous l'égide du Mouvement européen danois, les partis politiques de gauche et de droite partisans du oui étant d'accord pour une campagne commune. Les sondages y indiquent qu'environ 70 % des votants sont favorables au traité constitutionnel. En Suède, la ratification se fera par voie parlementaire. Les communistes et les verts sont opposés à la Constitution, mais une large majorité y est favorable. Le Royaume-Uni sera sans doute le dernier Etat à tenir un référendum sur le texte. Les sondages y sont négatifs, mais ils l'étaient également lors du référendum d'adhésion à la Communauté européenne, en 1972. Si tous les autres Etats ratifient, les Britanniques diront oui également, par crainte d'être isolés.

M. Iñigo Méndez de Vigo a souligné que le référendum français représente un enjeu important, qui explique ce déplacement de la délégation de la Commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen à Paris. Le Parlement européen n'a rien fait lors du référendum organisé au Danemark sur le traité de Maastricht, ou lors du référendum irlandais sur le traité de Nice. Il entend jouer cette fois un rôle actif, en raison de l'importance de la Constitution européenne. Il a souligné sa volonté de pouvoir débattre avec les partisans du non.

M. Christian Paul a précisé qu'il ne s'exprime pas en tant qu'adversaire de la Constitution européenne, et encore moins comme adversaire de l'Europe. En France, le camp des partisans du traité constitutionnel, comme celui de ses opposants, n'est pas homogène. Il y a de grandes différences entre le oui du Premier ministre britannique, M. Tony Blair, et le oui de certains socialistes français. Il y a également de grandes différences entre le non souverainiste de certains et le non critique fondé sur la défense de l'Europe. Il a regretté que le Président Jo Leinen assimile le oui à la volonté de poursuivre la construction européenne, tandis que les partisans du non souhaiteraient la bloquer. Des Européens convaincus sont opposés au traité constitutionnel, parce qu'ils considèrent qu'il ne représente pas un progrès à la hauteur des enjeux. Le texte apporte peu d'avancées, en particulier sur le plan démocratique, et ne permet pas de répondre aux défis actuels.

M. Klaus Hänsch a souhaité que l'on évite les arguties juridiques autour du texte. La question fondamentale posée est de savoir si l'on est pour ou contre l'Europe. Il ne faut pas tomber dans le piège d'un non européen. Il existe peut-être en France, mais dans les autres Etats membres, ce non ne sera pas interprété comme exprimant une volonté française de construire une meilleure Europe, mais comme un refus de l'Europe. Le non d'un petit Etat membre dont l'adhésion serait récente, par exemple, pourrait être expliqué à l'opinion publique et surmonté. Un rejet britannique pourrait également être expliqué et compris par l'opinion publique. Il n'en serait pas de même d'un refus français, dont les effets seraient dévastateurs pour la construction d'une Europe politique. La construction européenne se poursuivrait, mais sous une forme intergouvernementale et cela marquerait la fin de l'Europe des citoyens. M. Klaus Hänsch a refusé que l'on considère que certains sont de meilleurs socialistes que d'autres sur ce point.

Le Président Jo Leinen s'est étonné qu'on puisse opposer au traité établissant une Constitution pour l'Europe l'argument du manque de démocratie, dans la mesure où l'un des apports les plus importants de ce texte est justement l'institution d'un double contrôle des initiatives de la Commission, à la fois par le Parlement européen et par chaque chambre des parlements nationaux.

M. Jérôme Lambert s'est déclaré stupéfait qu'on puisse refuser aux citoyens européens d'exprimer un point de vue sur les politiques conduites depuis des décennies dans le cadre des précédents traités européens et leur contester la liberté de dire non. La responsabilité des dirigeants européens est avant tout d'écouter la parole du peuple. Si cette dernière n'est pas entendue, on ne peut plus estimer appartenir à un système démocratique et cela est inquiétant.

Rappelant une boutade de Marx - Groucho Marx - qui ne se voyait pas adhérer à un club assez bête pour l'accepter, M. Bronislaw Geremek a souligné que la Pologne avait choisi d'adhérer à l'Union européenne car elle y voyait un espace de paix permettant de vivre ensemble sans lutte de classes ou de religions. A titre personnel, il voit dans l'Europe la réalisation de ses rêves de jeunesse. L'Union européenne, avant d'être un espace juridique ou économique, est d'abord une communauté, c'est-à-dire quelque chose de chaleureux.

Le traité comporte probablement des faiblesses, notamment une troisième partie qui, pour être nécessaire, n'en est pas moins soporifique, mais l'ensemble des Etats membres devrait d'abord s'interroger, comme l'ont fait les dix nouveaux adhérents, sur les raisons qui motivent leur appartenance à l'Union.

En Pologne, le référendum devrait avoir lieu le 26 septembre 2005. A peu près tous les partis polonais sont opposés au traité, mais fort heureusement les sondages actuels indiquent que 62 % de la population y est favorable. Cette position est partagée, en particulier, par les paysans qui, pourtant, il y a encore dix mois, étaient hostiles pour 80 % d'entre eux à l'adhésion. Cette évolution montre bien que le vote sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe est surtout un vote sur l'Europe.

D'ailleurs, le traité apporte de nombreuses avancées. Il permet de clarifier et simplifier les textes régissant les institutions communautaires. Il introduit un droit d'initiative législative en faveur des citoyens européens. L'article I-52 va beaucoup plus loin que n'importe quelle Constitution nationale en instituant des relations entre l'Union et les Eglises fondées non seulement sur la liberté, mais aussi sur le dialogue, ce qui constitue un enrichissement.

Appartenant à une génération qui n'a pas oublié la guerre et qui se rappelle que Robert Schuman avait envisagé, dès les origines de la construction européenne, la présence des pays d'Europe centrale et orientale, il s'est réjoui de la création d'un ministre des affaires étrangères de l'Union qui, même si elle ne signifie pas l'existence d'une politique étrangère commune, s'insère dans la pratique communautaire habituelle d'avancées par petits pas.

Il appartient à chaque peuple de se prononcer sur le traité et sur l'Europe, en percevant que ce texte offre des chances et des espoirs.

M. François Calvet a rappelé qu'il était né dans une région frontalière proche de l'Espagne, où les territoires ont été artificiellement séparés par le traité des Pyrénées. Dès lors, il adhère naturellement à la construction européenne et se retrouve dans le traité, même s'il est bien sûr imparfait, comme tout acte humain. Il ne faut pas oublier que l'identité communautaire assure la protection des citoyens en écartant toute menace de guerre sur un continent couvert de monuments aux morts, rappelant les conflits constants du passé. Le traité constitue une extraordinaire colonne vertébrale, ouvrant des perspectives remarquables en matière de justice, avec le parquet européen, de défense ou encore d'échanges universitaires. Le bon sens doit prévaloir au moment de voter. Si le non l'emportait, ce serait une catastrophe.

M. Pierre Forgues a souligné que tous les parlementaires présents, en tant qu'hommes et femmes politiques, étaient suffisamment avertis des affaires des Etats membres et de l'Union européenne pour ne pas jouer à se faire peur. Il a estimé qu'il serait regrettable de lier ainsi l'avenir de l'Europe au référendum. Certes, il peut arriver que dans le cadre d'une campagne électorale, des choses soient dites qui ne résistent pas à l'analyse. Il serait très critiquable d'interpréter le « non à la Constitution » comme signifiant un « non à l'Europe ».

Il a insisté sur le fait que la question qui est posée aux citoyens n'est pas « Etes-vous pour ou contre l'Europe ? » mais « Etes-vous pour ou contre le projet de Constitution ? ». Il a souligné que les critiques dont il se fait le porte-parole ne portent que peu sur l'aspect strictement constitutionnel du traité. Si cette Constitution se limitait à édicter des « règles du jeu », à organiser la gouvernance, elle pourrait être acceptable, mais le projet va beaucoup plus loin. Il est bien évident que les Français sont en faveur de la paix, et sont satisfaits de former avec les Polonais et les autres nouveaux membres une communauté. Un consensus existe pour construire l'Europe et pour en faire un espace de paix, et de diversité.

Mais le projet de Constitution est critiquable, notamment en ce qu'il n'est pas laïc. En Pologne et dans certains autres Etats membres, l'Eglise peut intervenir dans les affaires de l'Etat. M. Pierre Forgues a exprimé son refus d'envisager que cela soit possible en France, et son refus du communautarisme. Dans le projet de Constitution, l'article II-70 consacre « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites ». Or la France s'est dotée en 2004 d'une loi encadrant le port de signes religieux dans les écoles : cette loi ne pourrait être maintenue face à l'article II-70. M. Pierre Forgues a exprimé son désaccord sur le fait que la Constitution européenne aborde ce sujet.

Il a également critiqué la mise en place prévue d'une défense européenne, nécessairement accompagnée d'une diplomatie européenne, en soulignant que cette défense européenne ne serait en aucune façon autonome puisque le dernier alinéa du paragraphe 7 de l'article I-47 dispose que c'est l'OTAN qui en sera le fondement et qui en permettra la mise en œuvre.

Il a reconnu que le traité constitutionnel constitue un progrès par rapport au traité de Nice, mais a estimé que c'est uniquement parce que le système du traité de Nice est mauvais, et qu'il n'est donc pas possible de se contenter de cet argument. Il convient d'aller au-delà pour faire progresser l'Europe.

D'autre part, est-ce le rôle d'une Constitution de déterminer précisément les politiques à mener ? M. Pierre Forgues a considéré que les dispositions du traité ne conviennent pas, et a souligné le risque que l'harmonisation dans les domaines fiscal et social se fasse vers le bas, par le seul jeu du marché. Si le but du traité est de tout soumettre à la loi du marché, cela devrait être dit plus clairement, et en tout état de cause cela serait extrêmement critiquable, tout autant que de prétendre qu'être défavorable à cette Constitution signifie que l'on est « contre l'Europe ». En France la ratification sera décidée par le peuple. Or qui peut dire aujourd'hui ce que le peuple français décidera ? M. Pierre Forgues a insisté pour qu'on ne dise pas et qu'on ne laisse pas dire que les Français sont « contre l'Europe ». Il a déclaré que lui-même et ceux qu'il représente sont européens mais ne veulent pas n'importe quelle Europe. Il a conclu en insistant de nouveau pour que ne soit pas porté de jugement simpliste.

M. Iñigo Méndez de Vigo a relevé que l'on pouvait mesurer les progrès de l'Europe au fait que les arguments des partisans du non en France et en Espagne se ressemblaient beaucoup, en ce qu'ils comportent des éléments d'inexactitude. Ainsi, il est faux de dire qu'en Espagne des joueurs de football ont fait campagne en faveur de la Constitution européenne.

M. Pierre Forgues a indiqué que les médias avaient rapporté cette information.

M. Iñigo Méndez de Vigo a précisé qu'ils avaient été sollicités dans la campagne d'information sur la Constitution européenne.

S'agissant de l'article II-70, il a souligné qu'il devait être interprété en liaison avec l'article II-111 qui régit le champ d'application de la Charte des droits fondamentaux. En effet, l'Union n'a pas de droits originaires, elle ne dispose que des droits et compétences qui lui ont été attribuées par les Etats, et la Charte contenue dans la Constitution ne crée aucune nouvelle compétence pour l'Union. Il n'y a ainsi, sur les thèmes de société tels que la religion, pas de compétence communautaire. De plus, le paragraphe 6 de l'article II-112 dispose que les législations et pratiques nationales doivent être pleinement prises en compte. L'Union européenne ne peut pas légiférer en matière de port des signes religieux, puisqu'elle n'en a pas la compétence.

Le Président Pierre Lequiller a indiqué que le texte de l'article II-70 relatif à la liberté de pensée, de conscience et de religion reprenait une disposition de la Convention européenne des droits de l'homme et que le Conseil constitutionnel avait précisé qu'il n'était pas en contradiction avec le principe français de laïcité.

M. Jacques Myard a exprimé son désaccord avec M. Iñigo Méndez de Vigo. Si les ressortissants des Etats membres sont des citoyens de l'Union, ils détiennent des droits directement d'elle et, par voie de conséquence, le droit de l'Union devient un tout et double les compétences des Etats. Avec une telle primauté du droit européen, la Charte européenne des droits fondamentaux va venir coiffer les constitutions nationales. Les conséquences juridiques d'un tel schéma sont inacceptables. Le président du Conseil constitutionnel aurait d'ailleurs indiqué au Président de la République que si la jurisprudence européenne évolue, la France devra changer sa législation sur la laïcité.

Le Président Jo Leinen a indiqué que, pour sa part, les éléments du projet qui l'empêchaient d'être pleinement satisfait, ne le conduisait pas à rejeter le résultat d'un travail de six années, lequel représentait ce qu'il avait été possible d'élaborer en 2003-2004.

La distinction entre un « non positif » et un « non négatif » est par ailleurs illusoire. Un non est un non et exprime le rejet d'un projet. La construction européenne s'est effectuée sur cinquante ans et un non à l'Union politique exigera des années pour reconstituer un projet, étant donné l'absence de partenaire pour ce faire. Au sein du parti socialiste européen, seuls certains députés français se sont prononcés contre le projet de traité constitutionnel. Les autres parlementaires européens n'ont pas vu dans le texte proposé la catastrophe invoquée, mais, au contraire, un grand progrès. Par ailleurs, si le Président Giscard d'Estaing a indiqué que le texte était gravé dans le marbre, il n'est cependant pas intangible, pour l'avenir. Une Constitution peut toujours être modifiée.

Son expérience de sarrois permet de mesurer les progrès qu'a permis la construction européenne, en premier lieu pour les relations familiales transfrontalières.

En définitive, un non ne débouchera pas sur un nouveau projet, mais sur ce que craignent les opposants au traité, c'est-à-dire sur une zone économique qui s'étend vers l'Est.

M. Iñigo Méndez de Vigo a estimé qu'il était erroné de parler d'une extension des compétences de l'Union, puisque les domaines d'intervention nouveaux se limitaient pour l'essentiel au sport et à la protection civile. Le marché intérieur est issu du traité de Rome et de l'Acte unique. La Convention n'avait pas pour mission de refaire la troisième partie du traité sur les politiques de l'Union, lequel fait néanmoins l'objet d'un progrès sur le plan de la démocratie avec l'extension du domaine d'intervention du Parlement européen et de la majorité qualifiée.

Un rejet du projet de traité constitutionnel entraînera le maintien du traité de Nice ainsi que du champ actuel de l'unanimité.

M. Jacques Myard a indiqué que « le Parlement européen, ce n'est pas la démocratie ».

Mme Arlette Franco a observé que les citoyens voyaient l'Europe au prisme de problèmes particuliers tels que, dans la zone frontalière qu'elle représente, la différence des taux de TVA sur la restauration ou des niveaux des charges sociales et fiscales des commerçants ou artisans. Il convient donc de rappeler que les progrès interviennent peu à peu et que le recul du champ de l'unanimité, où un pays peut bloquer seul une initiative, en est un. Au-delà, la fin des relations belliqueuses et les avantages qu'offrent, pour les populations des nouveaux adhérents, l'espoir d'un alignement social vers le haut doivent être pris en compte. De même, l'Europe représente un progrès en matière d'égalité des droits entre les individus, notamment en matière d'égalité entre les femmes et les hommes. Un référendum favorable est le moyen de permettre un règlement des difficultés en suspens, et si certaines dispositions posent problème, elles pourront être modifiées ultérieurement.

M. Jérôme Lambert s'est déclaré peu satisfait d'une telle situation où l'on explique qu'il n'y a pas d'autre choix possible. L'idée qu'il n'y a pas d'autre voie n'est pas conforme à la nature de la politique. S'il n'y avait qu'un seul chemin, il n'y aurait pas de démocratie. Par ailleurs, la portée de certaines dispositions du traité est ambiguë. Quelle est ainsi la raison d'être de la présence d'une disposition sur la liberté religieuse dont on explique qu'elle ne s'appliquera pas ?

Après avoir indiqué combien il croyait à la qualité des débats et des échanges politiques en Europe, M. Christian Paul a estimé qu'il convenait d'éviter de prendre quiconque en otage et de considérer que l'option était entre le oui et le chaos. L'exemple de la Communauté européenne de défense (CED), dont l'échec a conduit quelques années après à la signature du traité de Rome, le rappelle. De même que M. Dominique de Villepin, alors ministre des affaires étrangères, a pu déclarer qu'un échec de la Convention exigerait de reprendre le chantier constitutionnel, un rejet du projet conduira à se remettre à l'ouvrage. La diversité des motifs du non ne doit pas conduire à méconnaître celle des raisons du oui. Le Labour se prononce en faveur du traité pour des motifs très différents de ceux du SPD allemand. La situation actuelle reflète certainement l'absence de concertation préalable entre les composantes des partis avant l'élaboration du projet.

En définitive, la critique de gauche suivant laquelle la Constitution crée un sanctuaire qu'il sera difficile de remettre en cause, pour l'essentiel, conduit à recommander un rejet du projet.

M. Klaus Hänsch a d'abord réagi aux propos selon lesquels le Parlement européen n'avait pas de base démocratique en rappelant qu'il avait été élu sur une liste nationale par plus de vingt millions de citoyens.

Il a souligné ensuite que le principe de primauté du droit européen s'applique uniquement dans les domaines où l'Union européenne dispose de la compétence de légiférer. La Constitution ne fait rien d'autre que consacrer ce qui est déjà la pratique depuis quarante ans.

Enfin, il a déclaré que les raisons du non peuvent s'appuyer sur des inconvénients ou même des fautes de la Constitution, car personne ne peut nier qu'il y en ait, et que les Français ont un choix entre le oui et le non que personne ne peut critiquer. Mais c'est une décision nationale qui aura forcément des conséquences européennes. Ces conséquences ne seront malheureusement pas celles qu'imaginent certains des intervenants, car l'Union européenne n'est plus dans la situation des années cinquante où il a suffi de quatre années après l'échec de la Communauté européenne de défense pour réunir la conférence de Messine et conclure le traité de Rome. Avec vingt-cinq Etats membres, ce ne sera plus aussi facile qu'auparavant. Les peuples qui sont autour de la France gardent confiance dans la volonté du peuple français de continuer ce qu'il a commencé. Mais un non de sa part détruirait plus que la Constitution. S'il ne touchait que la Constitution, ce ne serait pas trop grave et l'Europe continuerait à vivre. Mais tel ne serait pas le cas. Les Français ont un choix libre mais ils doivent en mesurer les conséquences.

Le Président Jo Leinen a déclaré avoir assisté à une séance plus vivante qu'au Parlement britannique, de nature à lui donner confiance. Dans la Constitution, il faut voir la forêt et non les arbres individuellement, dont une vingtaine ne lui plaisent pas. Est-elle globalement un progrès ou non ? Les Français sont libres de dire oui ou non.

Le Président Pierre Lequiller a remercié les députés européens pour cet échange de vues vif et passionné.

II. Information relative à la Délégation

M. Christian Paul a souhaité interroger le Président Pierre Lequiller sur la possibilité pour la Délégation de se saisir à nouveau de la proposition de directive sur les brevets concernant les logiciels.

M. Christian Paul a rappelé que le Conseil a adopté sans discussion, le 7 mars dernier, une position commune sur cette proposition. Ce texte est en cours d'examen depuis plusieurs années et il a fait l'objet, au Parlement européen, de fortes critiques ainsi que d'amendements conséquents. Or la nouvelle version du texte adoptée le 7 mars ne prend quasiment pas en compte ces amendements.

La proposition de directive crée un risque de confiscation des logiciels et représente un enjeu économique important. Elle ouvre la possibilité d'une brevetabilité des logiciels. La position sur ce sujet de la Commission présidée par M. José Barroso pourrait conduire à la surnommer la « Commission Microsoft ».

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne a examiné cette proposition de directive au quatrième trimestre de 2002, sans disposer à l'époque d'une étude d'impact. M. Christian Paul a indiqué que les députés du groupe socialiste membres de la Délégation souhaiteraient que celle-ci se saisisse à nouveau du texte, comme elle a le droit de le faire, et qu'elle dispose de quelques semaines avant que le Parlement européen ne le réexamine.

M. Jacques Myard a approuvé cette initiative, en soulignant que permettre de breveter les logiciels aboutirait à donner un monopole quasi mondial aux Etats-Unis. L'enjeu de ce texte est donc considérable en termes d'indépendance européenne et nationale. M. Jacques Myard a indiqué qu'il avait étudié le sujet dans le cadre de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle et qu'il considère que les conséquences de cette directive seraient dramatiques. Les logiciels doivent rester protégés par les droits d'auteur. La Commission se montre en la matière influencée par des intérêts qui ne sont pas européens.

M. Christian Paul a rappelé que, selon le rapport présenté à la Délégation en 2002, les experts français sont défavorables à une brevetabilité généralisée des logiciels.

A la demande de M. Christian Paul, et après intervention du Président Pierre Lequiller, la Délégation a décidé de se saisir à nouveau de la proposition de directive concernant la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur (COM [2002] 92 final du 20 février 2002, document E 1965).