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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 128

Réunion du mercredi 8 juin 2005 à 9 heures 30

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Examen du rapport d'information de M. Marc Laffineur sur la lutte de l'Union européenne contre la contrefaçon

M. Marc Laffineur, rapporteur, a indiqué que ce rapport est le résultat d'un travail d'investigation commencé en décembre dernier, et qui l'a conduit à interroger plus de 70 personnes et à se déplacer en Russie et en Chine.

Il fait suite à la publication, le 14 novembre 2004, d'une communication de la Commission, intitulée « Stratégie visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle dans les pays tiers ».

Ce document marque, en effet, un tournant dans la trop courte histoire de la lutte de l'Union européenne contre la contrefaçon : avec cette stratégie de la Commission, ce combat devient, pour la première fois, une priorité politique pour l'Europe.

C'est pourquoi la Délégation devait se saisir d'un sujet qui n'est qu'en apparence technique : il s'agit de contrer un phénomène qui, d'une part, menace notre base technologique et industrielle d'un pillage organisé à grande échelle et, d'autre part, porte de graves atteintes à la sécurité et à l'ordre publics.

Le rapporteur a dressé un état des lieux de la contrefaçon et des instruments européens et internationaux permettant d'y faire face, avant de présenter quelques-unes des quinze mesures d'urgence qu'il propose pour juguler ce fléau.

En ce qui concerne l'état des lieux, le rapporteur a insisté sur le fait que la contrefaçon est une activité présentant trois caractéristiques : elle est, en premier lieu, industrialisée et massifiée, en deuxième lieu, étroitement liée à la criminalité organisée et au terrorisme et, en troisième lieu, spécialisée dans la production de biens de consommation desquels notre santé et notre sécurité dépendent.

Le nouveau visage de la contrefaçon n'a plus rien à voir avec l'activité essentiellement artisanale et localisée des débuts, qui ne se consacrait qu'à la production de faux produits de luxe.

Il s'agit en effet, et le rapport contient de nombreux exemples à ce sujet, d'un secteur hautement productif, qui repose sur des industries, des holdings, des investissements, car ceux-ci sont indispensables à la fabrication de produits sophistiqués, des études de marché, nécessaires au ciblage des produits « porteurs » et des filières d'acheminement, de distribution et de stockage mobiles et diversifiées.

Cet univers fortement structuré, dont les dimensions sont proprement vertigineuses, peut tout produire, des lentilles de contact aux jouets, des pièces détachées automobiles et des pièces d'avions aux stations-service, des antibiotiques au lait en poudre, tout copier, des CD aux jeux vidéo, et tout vendre, jusqu'aux étals de nos supermarchés. Sur ce dernier point, le rapporteur a cité des exemples de jugements condamnant Auchan et Carrefour pour vente de contrefaçons.

Quant à la contrefaçon de médicaments, le rapporteur en a souligné le caractère particulièrement dangereux pour la santé et la sécurité des personnes. Ce « marché » est en pleine expansion, avec un taux de contrefaçon qui atteint les 50 % dans certains pays d'Afrique pour les traitements anti-paludéens.

S'agissant de la contrefaçon des produits textiles, le rapporteur a cité l'exemple de Lacoste, victime à Pékin d'une marque « crocodile ». Par ailleurs, en déplacement à Manille, il a pu constater que de faux Lacoste étaient vendus à 4 euros l'unité, assortis d'une fausse facture toute prête de 40 dollars, pour le franchissement de la douane. Ce produit est en outre vendu avec une étiquette rédigée en français précisant que l'article ne peut être distribué que par le réseau Lacoste.

Les contrefaçons dans le secteur audiovisuel se sont également fortement développées, 90 % des CD vendus en Russie étant des copies. En Chine, la qualité des CD piratés ne cesse d'augmenter.

Au total, l'économie parallèle de la contrefaçon, dont la mesure statistique est, par définition, difficile, représenterait, aujourd'hui, près de 10 % du commerce mondial et aurait induit une perte de 200 000 emplois dans l'Union européenne, dont environ 40 000 en France.

Cette contrefaçon massifiée est particulièrement inquiétante en Russie, où le plus gros contrefacteur de médicaments est un député de la Douma, qui ne se déplace qu'en compagnie de gardes du corps armés et où l'armée, pour payer la solde, fabrique des contrefaçons dans les casernes.

Le rapporteur a regretté, à cet égard, que la Délégation de la Commission européenne à Moscou tienne aux autorités russes un discours totalement décalé par rapport à l'ampleur du fléau constaté dans ce pays. En effet, elle a indiqué au rapporteur que la Commission n'avait plus à se préoccuper de cette question dans le cadre des négociations d'accession de la Russie à l'OMC : elle en laisse le soin aux Etats-Unis, alors même que ces discussions créent une opportunité rêvée pour obliger la Russie à prendre le problème à bras le corps.

Les zones de production et d'exportation sont principalement l'Asie, avec la Chine comme premier contrefacteur mondial, 8 % de son PIB étant peut-être consacré à cette activité, qui emploie de 3 à 5 millions de personnes, suivie du bassin méditerranéen, avec le Maghreb et la Turquie, de l'Europe du Sud, avec l'Italie comme premier producteur de notre continent, et des nouveaux Etats membres, comme la Pologne, où, par exemple l'industrie légale du disque est menacée de disparition.

Le rôle des pays émergents doit être souligné : très souvent, la contrefaçon est perçue comme un outil de développement économique et industriel, qui bénéficie de l'appui d'autorités locales ou centrales à la recherche de ressources « extrabudgétaires ». En Russie, où l'avocat français de Pernod-Ricard, spécialisé dans les questions de propriété intellectuelle, a été assassiné il y a quelques semaines, ce sont des usines entières qui fabriquent par millions des contrefaçons. En Chine, des marchés de gros de produits contrefaits, tenus par les municipalités, sont visités par quelque 10 000 hommes d'affaires, venus d'Asie, mais aussi d'Afrique ou du Moyen-Orient pour y faire des achats. Y est ainsi vendu tout ce que les PME et les entreprises d'Etat « géantes » chinoises ont pu piller des sociétés étrangères, alors que, dans le même temps, la politique nationale de protection des marques et des brevets chinois est très agressive, car les autorités veulent, à tout prix, doter ce pays de grands groupes, qui s'appuient sur des structures performantes de recherche et développement.

C'est pourquoi dans ces conditions politico-économiques, les procédures qui peuvent être activées contre les contrefacteurs, qu'elles soient judiciaires ou administratives, sont autant de tigres en papier, qui ne peuvent enrayer un phénomène en voie de prolifération.

Les quantités produites sont donc colossales : à titre d'illustration, 100 millions d'articles ont été interceptés par les douanes communautaires en 2003, alors que 5 % seulement de flux d'entrée sont contrôlés : aller au-delà de ce pourcentage bloquerait, de toute manière, la logistique du commerce international.

Il doit être rappelé, en effet, que les ports de la planète ont une capacité d'accueil totale de 43 millions de conteneurs. Par exemple, à Rotterdam, ce sont 31 km de quai qu'il conviendrait de passer au peigne fin, ce qui est matériellement impossible.

Or, cette économie globale parallèle est d'autant plus effrayante qu'elle est contrôlée et financée par les réseaux criminels, voire mafieux, voire terroristes.

En effet, ceux-ci diversifient leurs activités délictuelles pour, d'une part, minimiser les risques pénaux qu'ils prennent et, d'autre part, bénéficier du taux de retour d'une production et d'un trafic qui, à l'image de la drogue, garantit 10 euros de bénéfice pour 1 euro de dépense.

Aussi la contrefaçon est-elle une activité fortement criminogène, qui peut également, Interpol et la justice française ayant été saisis d'affaires dans ce sens, servir les intérêts financiers des groupes terroristes.

Mais la contrefaçon ne fait pas que nourrir le crime : elle porte aussi des coups destructeurs à la vie et à la santé des personnes, en inondant le marché de produits dangereux, destinés à nous équiper, nous déplacer, nous soigner ou nous divertir.

Il peut s'agir ainsi de contrefaçons qui blessent, Peugeot ayant communiqué à cet égard les résultats de tests de dangerosité des pièces contrefaites découvertes en 2004, ou qui sont mortelles, dans le cas des médicaments ou des aliments. En Chine, en mai 2004, du lait en poudre contrefait pour bébé a été découvert après qu'il ait provoqué le décès d'une douzaine de nourrissons.

Bref, cette activité, constitue l'un des plus grands désordres de la mondialisation : elle bafoue non seulement le droit qu'a tout être humain de voir ses inventions protégées, mais ignore aussi toutes les réglementations douanières, pénales et sanitaires.

La menace qu'elle fait peser sur notre sécurité et notre prospérité doit donc être prise au sérieux.

Le rapporteur a estimé que la communauté internationale prend conscience de l'ampleur de ce phénomène et de ses dégâts : les rencontres et les déclarations de principe se multiplient, mais ce début de mobilisation se fait en ordre dispersé, sans stratégie d'ensemble.

Toutefois, parmi les mécanismes les plus utiles, il y a lieu de souligner le plus récent d'entre eux, à savoir l'action de l'Organe de règlement des différends de l'OMC, qui peut être saisi d'une plainte déposée pour violation de l'Accord sur les droits de propriété intellectuelle. L'OMC constitue, en effet, l'unique cadre de référence international contraignant pour lutter contre la contrefaçon, car il fixe des règles de base, épaulées par un quasi-tribunal, pour prévenir et réprimer les atteintes à la propriété intellectuelle.

Les négociations menées dans le cadre de l'OMC, qu'elles concernent l'accession de nouveaux membres ou la libéralisation des échanges, doivent donc servir de moyen de pression pour faire évoluer la situation législative et administrative des pays problématiques.

Le rôle des Etats-Unis doit être mentionné également, car ils établissent des « listes noires » de pays contrefacteurs, soumis à une surveillance annuelle, et auxquels l'administration américaine demande des changements législatifs précis pour mieux lutter contre ce phénomène, sous peine d'imposer des sanctions commerciales. Toutefois, ce dispositif, aussi impressionnant et menaçant soit-il, ne délivre pas les monts et merveilles promis, car il reste tributaire, au final, de la bonne volonté des pays ainsi mis sur la sellette.

L'Union européenne, quant à elle, est désarmée : le règlement douanier de 2003 et la directive anti-contrefaçon d'avril 2004 forment un socle de règles communes a minima, car dépourvu de tout contenu pénal.

Elle est la victime, dans ce domaine, d'un manque d'intégration, que l'extension, le 1er janvier 2002, du mandat d'Europol au délit de contrefaçon n'a que partiellement compensé.

Les disparités entre les législations douanières et pénales des Etats membres sont encore trop importantes et permettent, selon le directeur général des douanes du ministère des finances, aux contrefacteurs et aux filières criminelles qui les encadrent de s'organiser en fonction de l'état des droits nationaux. En Italie par exemple, la procédure de « saisie contrefaçon » mise en œuvre par les douanes n'existe pas, tandis que le consommateur ne peut être puni, à l'inverse de ce que prévoit le droit français, pour simple achat de produits contrefaits.

A cela, s'ajoutent les difficultés, en termes d'efficacité globale du dispositif, qui résultent de l'action d'une Commission structurellement affaiblie dans ce combat, car ce dernier est mené par quatre directions générales différentes.

Or, ce manque d'Europe sera, à terme, très préjudiciable pour l'avenir de ses économies : ces dernières, pour survivre à la concurrence des pays émergents à bas salaires, devront se tourner de plus en plus vers la valorisation des droits de propriété intellectuelle.

La France apparaît donc isolée en Europe, avec un dispositif pénal et douanier d'une sévérité exemplaire, mais dont l'efficacité finale est réduite par les trop nombreuses failles laissées par ses voisins.

La publication, par la Commission, de la communication du 14 novembre 2004 constitue donc une avancée indéniable, qui doit être saluée. Parallèlement, la Commission doit publier, cet été, deux propositions visant à renforcer le cadre juridique anti-contrefaçon. Il nous faudra donc être vigilants à cette occasion, car nous devrons nous assurer que l'harmonisation ne se fera pas par le bas.

A partir de ces évolutions très récentes, le rapporteur a souhaité avancer quelques propositions, quinze en tout, pour renforcer les dispositifs nationaux, communautaires et mondiaux.

Il en a donc détaillé quelques-unes unes.

Tout d'abord, au niveau des Etats membres de l'Union européenne, il conviendrait de créer des « comités nationaux anti-contrefaçon » rassemblant les pouvoirs publics, les créateurs, les industriels et les consommateurs, ainsi que des groupes de travail comprenant tous les services chargés d'appliquer la législation relative à la lutte contre la contrefaçon, c'est-à-dire les douanes, le ministère de la justice, la police et les services spécialisés dans la répression des fraudes et dans la lutte contre le blanchiment d'argent.

Par ailleurs, il conviendrait de former davantage les juges aux droits de propriété intellectuelle et au caractère dangereux des atteintes qui y sont portées.

Les juges doivent être conscients des liens qui existent entre la contrefaçon et la petite et la grande criminalité et du rôle que joue cette activité dans le financement du terrorisme. Le rapporteur a insisté sur le rôle déterminant des tribunaux dans cette lutte contre les contrefacteurs : leurs pratiques et leur jurisprudence doivent évoluer vers une plus grande sévérité, car aujourd'hui, ils tendent à traiter le délit de contrefaçon comme un délit mineur.

Au niveau communautaire, il conviendrait de désigner les commissaires européens en charge de la justice et du commerce extérieur comme les chefs de file du dispositif communautaire de lutte contre la contrefaçon.

En outre, l'Union européenne doit adopter un cadre pénal sévère qui au minimum :

- qualifie d'infraction pénale toute atteinte, y compris la détention de contrefaçons, à la propriété intellectuelle ;

- attache à cette infraction pénale des peines privatives de liberté et prévoit, dans les cas d'atteinte grave aux droits protégés, c'est-à-dire d'atteinte intentionnelle et commise à des fins commerciales, des peines complémentaires ;

- fixe des seuils minima, par exemple 5 ans, aux peines privatives de liberté dans les cas où l'atteinte à la propriété intellectuelle est liée à la criminalité organisée et ceux où elle met en danger la santé et la sécurité des personnes.

La généralisation, dans l'Union, du délit douanier de contrefaçon et de la procédure de « saisie contrefaçon » compléterait utilement ce dispositif pénal.

Enfin, au niveau mondial, un front commun anti-contrefaçon Nord-Sud doit être constitué.

Dans ce but, il convient de tendre la main aux pays qui font des efforts dans le domaine de la lutte contre la contrefaçon en mutualisant les programmes de formation des pays développés et des organisations internationales.

De plus, il convient de soutenir la création d'une base de données internationale permettant d'échanger, entre les autorités répressives, des informations sur les délits liés à la propriété intellectuelle, en s'appuyant sur les travaux d'Interpol.

Enfin, il convient d'identifier une liste de pays prioritaires auxquels des objectifs seront proposés, tout en laissant ouverte la possibilité de recourir à la procédure de règlement des différends de l'OMC en cas de contrefaçon organisée à grande échelle.

La règle doit être rappelée avec force : un membre de l'OMC, qui tire profit des gains qu'apporte son appartenance à cette organisation et de la nouvelle division internationale du travail, ne peut gagner sur tous les tableaux.

En conclusion, la prise de conscience de la gravité de ce fléau ne fait qu'émerger. En Chine, par exemple, les autorités se rendent compte que leur pays est devenu une victime de la contrefaçon. Ce dernier est en effet le premier déposant mondial de brevets et de marques et souhaite protéger ces droits. La volonté de lutter contre la contrefaçon existe au niveau du gouvernement central, mais se heurte aux problèmes d'application rencontrés dans les provinces. Des pans entiers de l'économie sont encore aux mains des politiques, notamment ceux qui dirigent les collectivités locales. Pour enrayer ce phénomène, les lois qui existent doivent être appliquées à tous les niveaux de collectivités, ce qui impliquera de la part des juges et des administrations un véritable changement de mentalités. La croissance folle de ce pays, qui construit 4 000 kilomètres d'autoroutes par an, fait tourner la moitié des grues dans le monde et bénéficie d'une monnaie sous-évaluée et d'investissements dans les infrastructures colossaux, rend cette révolution culturelle d'autant plus urgente.

Le combat contre la contrefaçon est une œuvre de longue haleine, à mener sur les plans national, européen et mondial. Il faut rester toutefois optimiste et y travailler dès aujourd'hui.

L'exposé du rapporteur a été suivi d'un débat.

Le Président Pierre Lequiller, tout en regrettant que le rapporteur traite d'un sujet majeur peu évoqué, a suggéré qu'il puisse être transmis à M. Pascal Lamy, Directeur général de l'OMC.

M. André Schneider a indiqué que les dangers et les fléaux dont le rapporteur a fait état, reflétaient la réalité dont lui-même a pu se rendre compte lors d'un déplacement qu'il a effectué en Chine avec le précédent ministre du commerce extérieur. Soulignant le rôle du crime organisé dans le développement de la contrefaçon, il a mis l'accent sur le risque d'invasion auquel notre économie était ainsi confrontée. Pour ces raisons, il a estimé également que le rapport pourrait être adressé au directeur général de l'OMC et aux responsables politiques.

M. Michel Herbillon s'est déclaré frappé par le décalage considérable existant entre, d'une part, l'ampleur croissante de la contrefaçon - imputable aux mafias - et, d'autre part, la prise de conscience récente de la nécessité d'enrayer cette évolution ainsi que l'insuffisance des arsenaux juridiques nationaux. Il a souhaité savoir quelles seraient, parmi les propositions présentées par le rapporteur, les mesures les plus urgentes à mettre en œuvre au sein de l'Union européenne et de l'OMC.

Le rapporteur, évoquant le cas de la Chine, a considéré que les conséquences économiques et sociales des délocalisations en Chine sont moindres que celles de la contrefaçon provenant de ce pays. Il a estimé que la Chine se devait de réévaluer sa monnaie et de développer la lutte contre la contrefaçon.

Abordant le rôle de l'arsenal juridique de la France, le rapporteur a fait valoir qu'il était le plus répressif, comme le montrent le montant des amendes ou le quantum des peines susceptibles d'être infligées.

M. André Schneider a appelé l'attention sur certaines lacunes du système de contrôle français, puisque les douaniers ne sont pas toujours en mesure de détecter les contrefaçons et risquent ainsi de commettre des méprises dont les honnêtes citoyens peuvent être les victimes.

Le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

- les douanes élaborent actuellement une banque de données, qui permettra de saisir une image de tous les produits et de mieux détecter les produits contrefaits. La détection est toutefois rendue difficile dans certains cas, par le fait que, par exemple, des boîtes de médicaments sont de parfaites imitations mais ont un contenu contrefait ;

- la prise de conscience des dangers de la contrefaçon est récente dans les autres pays que la France du fait de différences culturelles. En Italie, il est impossible de condamner la personne ayant acheté un produit contrefait. En Chine, le fait d'imiter les produits n'est pas répréhensible, ce qui a, au demeurant, contribué au développement de l'économie de ce pays, comme ce fut le cas du Japon. Cela étant, les Chinois commencent, d'une part, à prendre conscience qu'ils peuvent également souffrir des effets de la contrefaçon et, d'autre part, à renforcer leur législation ;

- au sein de l'OMC, il importe que l'Union européenne agisse en particulier en direction du Brésil et des Etats du Mercosur, le Brésil jouant un rôle important dans la contrefaçon des pièces détachées ;

- s'il existe d'importantes différences culturelles entre les Etats, apparaît toutefois une prise de conscience universelle accrue quant aux dommages économiques que la contrefaçon peut causer. Dans ce contexte, il importe d'appeler l'attention des pays émergents sur l'intérêt que ces derniers auraient également à lutter contre la contrefaçon et à cette fin de mettre en place des programmes de formation. Malheureusement, lorsque des progrès en ce sens existent, ils s'avèrent toutefois limités, comme le montre le cas de la Chine où le développement de la lutte contre la contrefaçon est amorcé seulement à Pékin ;

- il y a lieu de relever que certains hypermarchés français ont déjà été lourdement condamnés pour avoir écoulé des produits contrefaits.

La Délégation a décidé d'autoriser la publication du rapport d'information.

II. Examen du rapport d'information de M. Thierry Mariani sur le Livre vert sur une approche communautaire de la gestion des migrations économiques

M. Thierry Mariani, rapporteur, a rappelé que la Commission européenne a déposé, le 11 janvier dernier, un Livre vert sur la gestion des migrations économiques. Ce Livre vert a pour objet d'ouvrir une vaste consultation sur le sujet, et devrait déboucher sur un programme d'action sur l'immigration légale à la fin de l'année 2005, puis sur des propositions législatives visant à établir un cadre communautaire en matière de migrations à des fins d'emploi.

Le Livre vert fait suite à l'échec de la proposition de directive relative à l'admission d'étrangers aux fins d'emploi de 2001, que les Etats membres ont rejeté. Cet échec, ainsi que le rejet de la proposition italienne de mettre en place des quotas européens d'immigration, montrent que le débat engagé par le Livre vert sera difficile. La politique européenne d'immigration légale reste, en outre, régie par l'unanimité.

La Commission part du constat qu'entre 2010 et 2030, aux taux d'immigration actuels, l'Europe perdra vingt millions de travailleurs. Elle estime qu'il sera nécessaire de développer le recours à la main d'œuvre étrangère, tout en soulignant que l'immigration en soi ne constitue pas une solution au vieillissement de la population. Cette approche très globale ne prend pas suffisamment en compte les spécificités de la France en matière démographique, d'emploi et d'immigration. D'un point de vue démographique, la France bénéficie d'une fécondité élevée (1,91 enfant par femme), proche du seuil de remplacement, bien supérieure au taux moyen de l'UE 25 (1,48). Du point de vue de l'emploi, la France connaît par ailleurs un taux de chômage élevé et persistant, particulièrement chez les jeunes, les femmes, les plus de 55 ans et les immigrés. Enfin, la France, pays d'immigration traditionnelle, connaît déjà un flux régulier d'étrangers, qui entrent pour s'y établir de manière permanente et ont accès au marché du travail. Ainsi, si le nombre d'étrangers admis à des fins d'emploi est faible (6 500 en 2003), ce sont près de 100 000 étrangers qui accèdent en réalité chaque année au marché du travail français, admis principalement au titre du regroupement familial, de l'asile ou en tant que membre de famille de Français.

Compte tenu de ces caractéristiques, il convient de privilégier d'abord des politiques de retour à l'emploi et d'insertion professionnelle, notamment par des actions de formation et de revalorisation de certains métiers, en particulier dans le bâtiment, les transports, l'hôtellerie et la restauration, métiers où les employeurs éprouvent de graves difficultés à recruter de la main d'œuvre au sein de la population française. Le plan national de lutte contre les difficultés de recrutement (« Objectif 100 000 emplois »), présenté par le Gouvernement en février 2004, et le plan de cohésion sociale vont dans ce sens. Cette orientation n'exclut cependant pas de mener une réflexion prospective sur les besoins de main d'œuvre auxquels la France devra faire face au cours des prochaines décennies, comme l'a fait le Commissariat général au Plan en 2001, avec le rapport Héran, que prolonge les travaux du groupe Kazan sur la prospective de la population active, des besoins de main d'œuvre et des migrations.

Le Livre vert ne tient pas davantage compte des flux migratoires générés par la levée des restrictions transitoires à la libre circulation des travailleurs des nouveaux Etats membres (hors Chypre et Malte). Trois Etats (l'Irlande, le Royaume-Uni et la Suède) ont décidé d'ouvrir leur marché du travail sans restriction, et les flux constatés au Royaume-Uni et en Irlande sont impressionnants : 176 000 immigrants en provenance des huit pays concernés sont entrés sur le marché du travail britannique entre le 1er mai 2004 et le 31 mars 2005, et 84 918 sur le marché du travail irlandais entre le 1er mai et le 30 avril 2005 (à rapporter à une population totale d'environ 4 millions d'habitants). M. Thierry Mariani s'est prononcé en faveur d'une levée partielle des restrictions, à titre expérimental, dans les régions et pour les métiers où les tensions sur le marché du travail sont les plus fortes, sous réserve que cette levée s'accompagne d'un renforcement de la coopération entre les autorités françaises et celles des nouveaux Etats membres en matière de lutte contre le travail illégal.

Le rapporteur a souligné la nécessité d'une politique européenne d'immigration économique, car l'admission de ressortissants de pays tiers dans un Etat membre affecte tous les autres Etats membres. Il a détaillé les différents systèmes de sélection des travailleurs étrangers existants, par les employeurs (les demandes sont déposées par l'employeur pour un travailleur qu'il désire embaucher) ou par les pays d'accueil (système à points, comme au Canada par exemple). Il s'est prononcé en faveur d'un système mixte pour la France, qui devrait introduire un système à points pour les travailleurs qualifiés.

Le Livre vert aborde également la question des « quotas ». Depuis que les Etats-Unis et le Canada ont abandonné les quotas par pays dans les années 60, seules l'Italie (depuis 1998) et l'Espagne (depuis 1993) pratiquent ce système. Une partie (Italie) ou la totalité (Espagne) de ces quotas sont réservés aux pays tiers avec lesquels des accords bilatéraux ont été conclus, en fonction de leur coopération dans la lutte contre l'immigration clandestine. Ces quotas sont également déclinés par régions et par provinces, ainsi que par types de main d'œuvre (travail saisonnier, salarié ou indépendant) et catégories d'emploi. En Italie comme en Espagne, les limites d'un tel système sont évidentes : il est bureaucratique et difficile à gérer, et surtout les chiffres sont sans commune mesure avec la réalité des flux qu'accueillent ces deux Etats. Les besoins de main d'œuvre des entreprises et des particuliers sont difficiles à évaluer à l'avance, et la faiblesse des chiffres retenus explique largement l'ampleur de l'immigration clandestine constatée (cf. la régulation opérée en 2002 en Italie - 634 728 personnes sur 705 404 demandes - et en 2004 en Espagne - 700 000 demandes enregistrées entre le 7 février et le 7 mai derniers).

Aux Etats-Unis, des plafonds numériques sont fixés pour chaque catégorie d'immigrants permanents. Le plafond total est de 675 000 personnes par an, parmi lesquelles 480 000 sont réservés à l'immigration au titre du regroupement familial, 140 000 au titre de l'emploi et 55 000 dans le cadre de la « loterie diversité » (qui est réservée aux ressortissants de pays dont le taux d'admission aux Etats-Unis est faible). Les inconvénients du système sont importants. Des délais d'attente considérables se sont développés en matière de regroupement familial. Par ailleurs, en quelques années, près de 10 millions de travailleurs clandestins, que les Etats-Unis s'apprêtent peut-être à régulariser, sont apparus, du fait aussi que les Etats-Unis ont une politique ferme en matière d'entrée et de contrôle aux frontières mais ne luttent pas contre les immigrants clandestins installés, en augmentant significativement le contrôle du travail illégal et le nombre de reconduites à la frontière.

Des quotas ont aussi été introduits en Autriche en 1993. Les admissions à des fins d'emploi, au titre du regroupement familial et dans le cadre de séjours privés sont soumis à ces limitations, déclinées par Länder. En pratique, les quotas ne concernent qu'une infime partie des entrées d'étrangers : 6 000 à 7 500 personnes, sur un total de 65 000 entrées par an. Le regroupement familial à la demande des citoyens européens n'est en effet pas soumis à quotas et constitue la majorité des admissions. Le phénomène de file d'attente créé par les quotas pour le reste du regroupement familial a en outre conduit l'Autriche à créer une procédure d'admission spéciale, pour motifs humanitaires, afin d'éviter d'être condamnée par la cour constitutionnelle autrichienne. Ce système, rigide et bureaucratique, conduit ainsi à des débats politiques difficiles chaque année au Parlement, alors qu'il ne porte que sur une faible proportion des admissions.

Le système canadien apparaît, en comparaison, plus séduisant. Il repose sur un système de sélection à points et des « niveaux cibles », fixés entre 220 000 et 245 000 nouveaux résidents permanents par an. L'ajustement du nombre de points requis permet, en pratique, au Canada d'atteindre cette cible chaque année. Ce système fonctionne toutefois d'autant plus efficacement qu'il y a peu d'immigration clandestine aux frontières en raison de la situation géographique du pays. Le Canada a ainsi su maintenir une très importante proportion de l'immigration à des fins d'emploi, c'est-à-dire sélectionnée (de l'ordre de 60 %, contre 40 % pour le regroupement familial et l'asile).

Au regard de ces expériences, M. Thierry Mariani a recommandé l'adoption par la France de plafonds tant en matière de regroupement familial que de travail. Ces plafonds (c'est-à-dire le nombre maximum de titres de séjour délivrés chaque année) seraient fixés par le Parlement en fonction des besoins de notre économie et de nos capacités d'accueil.

Toutefois, quel que soit le système finalement choisi, une politique européenne en matière d'immigration légale ne pourra fonctionner que si, dans tous les pays de l'Union, une politique ferme en matière de lutte contre l'immigration illégale continue d'être menée.

Le rapporteur a insisté sur la nécessité de renforcer la coopération avec les pays d'origine et de transit en matière d'immigration. Cette coopération doit s'inscrire dans le cadre d'une politique européenne de co-développement ambitieuse, dans l'intérêt mutuel de l'Union et des pays tiers concernés.

Le Président Pierre Lequiller a remercié le rapporteur pour la qualité de son exposé et sa présentation très instructive de la situation dans différents pays, qui révèle qu'en matière de gestion des migrations économiques, la politique de l'Union européenne n'en est encore qu'à ses balbutiements. Puis il a demandé au rapporteur des précisions sur le système de points en vigueur au Canada.

M André Schneider a, quant à lui, souhaité connaître les modalités concrètes de sélection des candidats à l'immigration économique.

En réponse, le rapporteur a apporté des précisions sur le système en vigueur au Canada, fondé sur un barème de points. Il est nécessaire de totaliser un minimum de 67 points, qui sont attribués en fonction d'un certain nombre de critères : âge, niveau d'études, maîtrise d'une langue étrangère, présence de membres de sa famille sur le territoire, etc. C'est la combinaison de ces critères qui permet d'atteindre le nombre requis de points. Le Canada envisage néanmoins de réviser sa grille d'évaluation afin de privilégier l'employabilité plutôt que le niveau de diplôme, pour tenir compte des réticences qu'ont certains ordres professionnels à s'ouvrir à des travailleurs étrangers.

S'agissant des modalités concrètes de sélection, le rapporteur a évoqué, pour le Canada, la compétence d'un organisme d'Etat. Les candidats à l'immigration économique peuvent s'auto-évaluer directement sur Internet, et sont informés du nombre de points qu'ils totalisent. Mais l'accès au territoire canadien ne signifie pas forcément l'obtention d'un contrat de travail. A cet égard, la situation est différente en Espagne où le travailleur doit déjà détenir un contrat de travail et où les employeurs jouent un rôle déterminant dans le processus de sélection. Le rapporteur a pris l'exemple du secteur de l'hôtellerie. Après avoir préalablement évalué leurs besoins en personnel, les représentants des chambres de commerce se rendent directement dans le pays d'origine des travailleurs migrants pour y présélectionner leur main d'œuvre. Les entretiens peuvent avoir lieu par visioconférences et les employeurs espagnols confirment ou non l'embauche des candidats présélectionnés.

En ce qui concerne la situation dans l'Union européenne, le rapporteur a rappelé une double contrainte. D'une part, le principe de libre circulation dont l'effet immédiat est que la régularisation dans un pays membre a des conséquences pour tous les autres ; d'autre part, le maintien de la règle de l'unanimité qui empêche des progrès rapides au niveau de l'Union.

L'analyse des procédures en vigueur dans différents pays, européens ou non, souligne à quel point il n'existe pas de solution miracle. Certaines bonnes pratiques existent néanmoins, comme au Canada qui, servi par sa géographie et son voisinage, semble réussir le pari de l'intégration de ses travailleurs immigrés.

S'exprimant sur les quotas, le rapporteur s'est déclaré attentif à certaines pratiques, tout en ayant conscience des limites de ce système. Réservés à l'immigration économique, les quotas ne concerneraient que 5 à 6 % de notre immigration et ne protégeraient pas à eux seuls des vagues d'immigration clandestine. En Italie, la mise en place des quotas se traduit par un système de « donnant- donnant » avec les pays concernés, qui permet de très bons résultats en matière de réadmission, notamment en ce qui concerne les ressortissants albanais. Pour autant, le système italien est excessivement bureaucratisé et à certains égards peu efficace. En outre, comme c'est également le cas en Espagne et aux Etats-Unis, la quasi-absence de contrôle une fois passées les frontières révèle une certaine hypocrisie.

En conclusion, le rapporteur a souligné l'enjeu des politiques de co-développement pour déplorer la faiblesse des réalisations, malgré les efforts déployés ces dernières années par la France. Cette politique n'est pas une solution miracle et il est illusoire de croire que l'on peut obliger à rentrer dans leur pays d'origine des étrangers réguliers qui ne le veulent pas.

M. André Schneider a évoqué l'immigration turque qui passe par l'Allemagne et se retrouve dans l'est de la France dans le cadre de l'espace Schengen, ainsi que les attitudes très disparates des consulats de France dans les pays tiers en matière de visas, certains refusant des dossiers très solides assortis de contrats de travail conduisant les parlementaires à intervenir auprès du ministère des affaires étrangères alors que d'autres se montrent plus ouverts. Il a demandé au rapporteur, en conclusion de son excellent rapport, quelle méthode il conseillait d'adopter pour l'Union européenne et pour la France.

Le rapporteur a estimé que l'Union européenne se trouvait à mi-chemin, dans une situation où elle ne tire pas encore les conséquences de la définition de conditions d'entrée communes. La création de consulats communs à plusieurs pays de l'Union européenne hérisse encore de nombreux diplomates, alors qu'elle serait cohérente avec la définition de conditions d'entrée identiques dans l'espace Schengen. Elle serait en outre source d'économies, elle permettrait de mettre en place des procédés communs tels que l'empreinte biométrique, trop coûteuse pour chacun des consulats nationaux, et elle éliminerait les maillons faibles. L'Union européenne est allée trop loin pour ne pas aller plus loin, en uniformisant les conditions d'entrée non seulement sur le volet emploi, mais aussi sur le volet regroupement familial, afin d'éviter des phénomènes de « shopping ».

M. André Schneider s'est interrogé sur la situation des clandestins et le choix de régulariser ceux qui ont une capacité d'emploi.

Le rapporteur a indiqué qu'il n'y avait pas plus de clandestins en France qu'ailleurs et que l'Espagne et l'Italie ont procédé à des régularisations sur l'initiative des employeurs, très différentes de celles opérées jusqu'à présent en France.

Le Président Pierre Lequiller a suggéré de mettre l'accent dans l'intitulé du rapport sur son aspect comparatif, afin de bien mettre en valeur tout son intérêt.

M. Didier Quentin a demandé quels arguments étaient invoqués par les milieux diplomatiques contre le regroupement des consulats, comme conséquence de l'uniformisation des règles.

Le rapporteur a rappelé que les règles d'entrée n'étaient pas complètement uniformisées et que le regroupement des consulats était une perspective acceptée par la France. Il existe d'ailleurs un projet, très avancé, de consulat franco-allemand au Cameroun.

III. Communication de M. Edouard Landrain sur la proposition de directive sur l'aménagement du temps de travail (document E 2704)

Le Président Pierre Lequiller, suppléant M. Edouard Landrain, rapporteur, a d'abord rappelé que la proposition de directive, visait à modifier la directive 2003/88/CE qui fixe les règles essentielles de protection de la sécurité et de la santé en matière d'aménagement du temps de travail, suivant le système des prescriptions minimales. Chaque Etat membre de l'Union européenne doit les respecter mais conserve la faculté de prévoir et d'appliquer, le cas échéant, des dispositions plus favorables à ses travailleurs. Il ne s'agit pas d'une refonte du dispositif actuel, dont l'essentiel remonte à 1993, et n'a nullement fait obstacle, en France, à plusieurs modifications relatives à l'aménagement du temps de travail, qu'il s'agisse des 35 heures, ou des récentes mesures ultérieures à 2002, mais de trois modifications ciblées.

Le texte de la Commission a été contesté par les partenaires sociaux. Il n'a pas fait l'objet d'un accord des Etats membres au sein du Conseil. Le principal point de désaccord est la règle dite d'opt out qui permet de déroger sur une base individuelle à la limitation à 48 heures en moyenne de la durée maximale de travail hebdomadaire.

D'une manière plus précise, la Commission a proposé, sur la question du temps de garde, de renvoyer le règlement des conséquences posées par plusieurs arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, au niveau national, en distinguant, au sein du temps de garde, une période active et une période inactive. Cette dernière ne serait pas assimilée à du temps de travail sauf si une disposition législative nationale ou un accord collectif le prévoit. S'agissant de la période de référence retenue pour apprécier le respect de la limite des 48 heures hebdomadaires, la Commission a proposé d'introduire plus de flexibilité en étendant les modalités permettant d'accroître sa durée maximale de 4 mois à 12 mois. En ce qui concerne enfin l'opt out, la Commission a proposé d'en rendre l'accès plus restrictif en subordonnant sa mise en œuvre, lorsque les circonstances le permettent, à la négociation collective, ainsi qu'en encadrant strictement ses conditions d'application au niveau individuel. La Commission a sur ce point estimé nécessaire de prévoir un plafond hebdomadaire à 65 heures. Cette initiative vise certes à fixer une limite à un dispositif qui n'en comprend actuellement pas, mais son niveau a pu apparaître comme provocateur.

Sur la question de l'opt out, la proposition de la Commission n'a pas fait l'objet d'un accord entre les partenaires sociaux ni au niveau européen ni au niveau national. Les débats ont par ailleurs été difficiles au sein du Conseil, opposant notamment le Royaume Uni, qui y a massivement recours, ainsi que la Slovaquie, la Pologne, la Lettonie notamment, à la France, la Belgique, l'Espagne et la Suède, entre autres. Les pays favorables à la suppression progressive de l'opt out représentent une minorité de blocage au Conseil avec 31 % des voix.

Dans ces circonstances, il apparaît donc opportun de soutenir l'équilibre défini à une large majorité par le Parlement européen car il est bien plus conforme au modèle social européen que le texte initial. Les propositions du rapporteur du Parlement européen, M. Alejandro Cercas (PSE), qui relèvent du même esprit que les options de la France, ont été dans l'ensemble suivies. La résolution adoptée par 355 voix contre 272 a notamment reçu l'approbation des travaillistes britanniques. Elle prévoit la suppression de l'opt out dans un délai de deux ans à compter de l'entrée en vigueur de la directive, le maintien d'une plus grande souplesse pour les conditions de l'annualisation de la période de référence pour l'appréciation de la limite des 48 heures hebdomadaires, lesquelles sont assorties de garanties renforcées et une inversion de la logique de la Commission sur le temps de garde.

Le texte a reçu l'appui de la Confédération européenne des syndicats.

En réponse au vote du Parlement européen, la Commission a diffusé une proposition modifiée de directive qui en diffère sur deux points, d'une part en revenant au principe qu'elle avait initialement proposé, sur le temps de garde, et d'autre part en permettant aux Etats membres qui en feraient la demande de solliciter auprès de la Commission une prolongation du recours à l'opt out, au-delà de la date prévue pour sa suppression. Dans de telles circonstances, il appartient donc à la Délégation de rappeler que le texte, qui devra en définitive être adopté à l'issue de la procédure de codécision, doit conserver les principaux éléments de la position du Parlement européen et en particulier le maintien, sur le principe, de la suppression de l'opt out.

Conformément aux conclusions du rapporteur, présentées par le Président Pierre Lequiller, la Délégation a ensuite approuvé au bénéfice de ces réserves et observations la proposition de directive et a adopté la proposition de résolution dont le texte figure ci-après.

« L'Assemblée nationale,

- Vu l'article 88-4 de la Constitution,

- Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (document E 2704) ;

- Considérant que l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux prévoit que tout travailleur a droit « à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité » et « à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire ainsi qu'à une période annuelle de congés payés » ;

- Soulignant que la construction européenne doit s'accompagner d'une consolidation du modèle social européen, laquelle repose notamment sur une harmonisation par le haut des conditions de travail dans les Etats membres de l'Union européenne et ainsi des règles touchant à la santé et à la sécurité au travail ;

- Se félicitant de ce que le Parlement européen a adopté à une large majorité, le 11 mai 2005, une résolution législative équilibrée qui tend, d'une part, à supprimer à un terme précis toute possibilité de déroger au plafonnement à 48 heures en moyenne de la durée hebdomadaire de travail (suppression de l'opt out), et, d'autre part, à renforcer les garanties des salariés pour ce qui concerne le recours à l'annualisation du temps de travail ;

- Soulignant avec satisfaction que cette même résolution vise à reconnaître le temps de garde comme du temps de travail tout en permettant la prise en compte, le cas échéant, de sa spécificité ;

- Considérant que cette résolution législative vise également à assurer dans un délai adapté l'intervention du repos compensateur en cas de dérogation aux repos minima quotidien et hebdomadaire ainsi qu'à permettre aux salariés de mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale ;

Estime que le texte qui sera en définitive adopté à l'issue de la procédure de codécision doit conserver les principaux éléments de la position adoptée par le Parlement européen sur les points évoqués, et en particulier maintenir, sur le principe, la suppression de l'opt out. »

IV. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Point A

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Aucune observation n'ayant été formulée, la Délégation a approuvé les textes suivants :

¬ Commerce extérieur

- décision du Conseil concernant la conclusion de l'accord de coopération scientifique et technologique entre la Communauté européenne et les Etats-Unis du Mexique (document E 2796) ;

- proposition de décision du Conseil relative à la signature d'un accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse portant révision de l'accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse relatif à la reconnaissance mutuelle en matière d'évaluation de la conformité. Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion de l'accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse portant révision de l'accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse relatif à la reconnaissance mutuelle en matière d'évaluation de la conformité (document E 2888) ;

- proposition de décision du Conseil concernant la conclusion d'un accord sous forme d'échange de lettres entre la Communauté européenne et les Etats-Unis d'Amérique en ce qui concerne le mode de calcul des droits appliqués au riz décortiqué et modifiant les décisions 2004/617/CE, 2004/618/CE et 2004/619/CE (document E 2891) ;

- proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1255/96 portant suspension temporaire des droits autonomes du tarif douanier commun sur certains produits industriels et agricoles (document E 2892).

¬ Espace de liberté, de sécurité et de justice

- projet de budget 2006 pour Europol (document E 2860) ;

- décision du Conseil fixant la date d'application de certaines dispositions du règlement (CE) n° 871/2004 concernant l'attribution de certaines fonctions nouvelles au Système d'information Schengen, y compris dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (document E 2880).

¬ Politique agricole

- proposition de décision du Conseil approuvant l'adhésion de la Communauté européenne à la convention internationale pour la protection des obtentions végétales, révisée à Genève le19 mars 1991 (document E 2807).

Le Président Pierre Lequiller a indiqué aux membres de la Délégation que les textes inscrits à l'ordre du jour de la réunion en point B, en application de l'article 88-4 de la Constitution, seront examinés lors de la prochaine réunion de la Délégation.