Version PDF

DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 130

Réunion du mercredi 15 juin 2005 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Examen du rapport d'information de MM. Michel Delebarre et Didier Quentin sur la réforme de la politique régionale

M. Didier Quentin, rapporteur a d'emblée souligné qu'il n'y avait pas de domaine où l'élargissement ait mis l'Union européenne aux prises avec un défi plus grand que les fonds structurels. Les dix nouveaux Etats membres entrés dans l'Union européenne en 2004 ont en effet un niveau de vie nettement inférieur (environ la moitié) à celui des anciens Etats membres. La Commission a pris la mesure de l'effort de solidarité à accomplir en proposant d'investir quelque 162 milliards d'euros sur sept ans dans les nouveaux Etats membres. Il a rendu hommage à l'ancien commissaire Michel Barnier, qui a su élaborer des propositions qui ne renient pas non plus l'obligation d'une cohésion économique, sociale et territoriale bénéficiant à l'ensemble des régions de l'Union européenne et, à travers elles, à l'ensemble des citoyens. Car la politique régionale de l'Union européenne doit avoir pour double fonction de réduire les disparités entre les territoires et de rapprocher les citoyens de l'Europe, en leur montrant qu'elle sait encourager des projets pratiques et concrets. Au demeurant, il vaudrait la peine de mener une étude de sociologie électorale sur l'incidence qu'elle peut avoir. Les résultats seraient sans doute sévères pour la politique de communication de l'Union européenne.

En tout état de cause, selon les propositions de la Commission, environ
175 milliards d'euros devraient aller aux régions des anciens Etats membres, pour les aider à poursuivre l'action déjà entreprise entre 2000 et 2006.

Le rapporteur a exposé que les fonds structurels se diviseraient entre trois grands chapitres d'importance inégale, représentant respectivement 82, 15 et 3 % des crédits, selon la dernière répartition discutée sous présidence luxembourgeoise.

Le premier volant de crédits servirait à poursuivre un objectif de convergence. Il viendrait au secours de toutes les régions dont le niveau de vie par habitant est inférieur d'au moins un quart à la moyenne de l'Union européenne. Les régions des nouveaux Etats membres sont pratiquement toutes concernées, ainsi que les régions ultrapériphériques françaises. Les nouveaux programmes suivraient le modèle des expériences menées en Espagne et en Irlande, où les efforts intensifs de formation de la main-d'œuvre ou d'équipement en infrastructures ont permis de réaliser de notables avancées économiques. Les départements français d'outre-mer devraient , quant à eux, bénéficier, comme les autres régions ultrapériphériques, d'une enveloppe supplémentaire, appelée « allocation spécifique ». D'un montant d'un demi milliard d'euros, cette enveloppe s'ajoutera aux versements auxquels ils auront droit comme toute autre région en dessous de la barre de 75 % du produit intérieur brut communautaire.

L'objectif de compétitivité régionale et de croissance intéresse, quant à lui, plutôt les régions métropolitaines. Elles reçoivent presque douze milliards d'euros sur l'actuelle période de sept ans (2000-2006). Ce montant devrait inéluctablement se tasser sous l'effet des trois exigences qui forment le socle de négociation français : maintien des dépenses agricoles à leur niveau (301 milliards d'euros) ; plafonnement du budget européen aux alentours de 1 % (815 milliards d'euros) ; respect d'un effort de solidarité à l'égard des nouveaux Etats membres qui ne descende pas sensiblement sous la barre des 162 milliards d'euros. Les rapporteurs ont estimé raisonnable de fixer comme plancher aux éventuelles réductions le seuil symbolique du milliard d'euros transféré chaque année aux régions françaises, soit
7 milliards d'euros. Mais ils se sont surtout efforcés de mettre en avant les arguments qui rendent indispensables le maintien d'un deuxième objectif qui ne subsiste pas qu'à titre résiduel.

Le premier argument est politique : que penseraient, en effet, les citoyens des anciens Etats membres, à commencer par les citoyens français, si les fonds qu'ils reçoivent partaient tous du jour au lendemain vers les nouveaux adhérents ? La situation ne manquerait pas d'être exploitée avec la démagogie qu'il est facile d'imaginer. La solidarité européenne associe par définition tous les territoires dans un même effort d'entraide, quelle que soit leur date d'entrée dans l'Union européenne. Le deuxième argument est économique : ces fonds ne doivent pas être considérés seulement comme des subventions, mais comme des investissements dans l'avenir. La Commission a par exemple proposé qu'ils puissent servir à financer les réseaux de coopération entre universités et entreprises, contribuant ainsi à la poursuite de la stratégie de Lisbonne. Les deux rapporteurs ont marqué leur net soutien à cette démarche.

Il en résulte cependant mécaniquement que certains chantiers devront sans doute attendre une prochaine programmation. Le transport non polluant, comme les autoroutes de la mer, méritaient une attention particulière. Mais ils ne sauraient être mis en avant sans qu'une compensation soit trouvée sur d'autres plans. Ainsi, il paraît difficile de suivre le Parlement européen quand il propose que les fonds du deuxième objectif puissent également financer des actions de lutte contre le changement climatique. Car les rapporteurs craignent avant tout le saupoudrage des crédits sur des actions symboliques et inefficaces.

Le troisième objectif, d'importance bien moindre que les deux précédents - à l'origine 4 % du total des crédits, soit environ 14 milliards d'euros - ne devrait pas lui non plus échapper à quelques coupes budgétaires. Visant à améliorer la coopération territoriale entre les collectivités locales européennes, il propose de s'appuyer sur la formule du groupement européen territorial, qui serait constitué sur le modèle des associations et suivrait, dans chaque lieu où il est constitué, les règles qui sont applicables à ces dernières. Les critiques parfois sévères de la Cour des comptes semblent avoir servi d'argument aux partisans d'une réduction des dépenses, pour que l'objectif de coopération territoriale ne représente plus dans la dernière version de la boîte de négociation que 3 % des crédits proposés.

Beaucoup dépend de l'accord général qui aura lieu sur les perspectives financières. Il scellera le sort d'une partie des fonds structurels, mais d'une partie seulement. En plaçant la barre assez haut dès le début, la Commission européenne aura sans doute contribué à ce que la politique régionale européenne, notamment dans les anciens Etats membres, continue de disposer d'une marge d'action substantielle. Les rapporteurs forment le vœu que les régions françaises les utilisent au mieux après 2006.

M. Jacques Myard s'est déclaré dubitatif sur la méthode même des fonds structurels qui peut être assimilée à une « usine à gaz ». On ne peut que souscrire à la nécessité de soutenir les territoires en difficulté des anciens Etats membres et d'aider les nouveaux adhérents, mais il faudrait éviter le saupoudrage des aides ou encore l'octroi de fonds publics européens pour l'achat de wagons japonais pour le métro de Dublin, par exemple. Une autre méthode serait envisageable, celle des protocoles financiers, qui permettrait d'accorder des aides avec une structure de contrôle, tout en évitant de transiter par Bruxelles pour des projets de niveau communal. Il importe donc d'engager, au préalable, une réflexion d'ensemble sur les moyens mis en œuvre pour la politique régionale.

M. Didier Quentin, rapporteur, a confirmé que la politique des fonds structurels était l'objet de nombreuses critiques, qu'il avait pu entendre exprimer, par exemple, lors d'un entretien au Bundestag l'an passé avec des parlementaires CDU/CSU.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que les propositions initiées par l'ancien commissaire européen Michel Barnier visaient justement à éviter le saupoudrage des aides, qui a conduit au financement communautaire de salles polyvalentes ou de piscines.

M. Jérôme Lambert a indiqué que même s'il n'avait pas le sentiment que les fonds communautaires accordés à son département de la Charente avaient été gaspillés, il devait convenir que leur répartition au niveau local avait soulevé des difficultés par le passé et était source d'incertitudes pour l'avenir. L'ensemble du département étant éligible, le préfet de région, en accord avec quelques élus locaux, a eu recours à la technique du découpage, qui a créé de nombreuses insatisfactions dans les zones écartées du dispositif. Or, l'annonce des nouveaux critères d'utilisation des fonds communautaires risque de conforter ce sentiment d'injustice puisqu'il ne sera plus possible de construire des équipements que les collectivités voisines ont pourtant réussi à obtenir.

Le rapporteur a expliqué l'accueil parfois réservé des élus locaux en raison de la lourdeur des procédures administratives pour des résultats souvent incertains. Il arrive en outre que les fonds européens financent des réalisations sans véritable lien avec la cohésion économique et territoriale.

Le Président Pierre Lequiller a toutefois précisé que la réforme envisagée visait à réorienter l'attribution des fonds structurels vers des projets davantage tournés vers la compétitivité, la recherche et la création d'emplois.

M. Jacques Myard a déploré les rigidités propres aux financements croisés et le coût pour la collectivité d'une telle bureaucratie. Mis à part l'outre-mer, la France est essentiellement concernée par l'Objectif 2, ce qui représente environ 15 % des crédits. Mais en raison des règles d'attribution des fonds, notre pays devrait sensiblement augmenter sa contribution au budget de l'Union pour bénéficier d'une masse financière similaire dans les prochaines années.

M. Jean-Marie Sermier a regretté que la politique régionale ne se soit pas imposée comme un facteur identitaire propre à l'Union européenne, dès lors que les bénéficiaires des fonds structurels affichent leur mécontentement. Il est vrai que l'administration française ne facilite pas la fluidité des procédures et il serait souhaitable de permettre aux collectivités territoriales de contractualiser directement avec l'Union européenne, sans passer par l'échelon national. L'Europe ne doit pas être une simple organisation de redistribution ; il faut se donner les moyens de construire une Europe politique capable de donner une ambition nouvelle à la politique régionale.

Le Président Pierre Lequiller a alors rappelé les progrès économiques considérables réalisés, notamment par l'Irlande, l'Espagne et le Portugal, grâce à la politique régionale européenne.

M. Jérôme Lambert a néanmoins considéré que les conditions de rattrapage des nouveaux pays membres sont bien différentes de celles de l'Espagne et du Portugal, du fait de la mondialisation et de ses conséquences.

Le Président Pierre Lequiller a cependant fait le pari d'un rattrapage économique et social très rapide des anciens pays de l'Est.

Le rapporteur a rejoint cette analyse, évoquant un déplacement récent dans les Pays baltes qui lui a permis de mesurer la réalité du décollage économique de ces Etats - dont la croissance du PIB atteint 5 à 10 % par an - qui contraste fortement avec la situation de l'enclave de Kaliningrad, qui ne fait pas partie de l'Union européenne.

A l'issue de ce débat, la Délégation a adopté, à l'unanimité et avec une abstention, la proposition de résolution suivante :

« L'Assemblée nationale,

- Vu l'article 88-4 de la Constitution,

- Vu la proposition de règlement du Conseil portant dispositions générales sur le Fonds européen de Développement régional, le Fonds social Européen et le Fonds de cohésion (COM (2004) 492/E 2647),

- Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au Fonds de développement régional (COM (2004) 495/E 2660),

- Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au Fonds social européen (COM (2004) 493/E 2668),

- Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'institution d'un groupement européen de coopération transfrontalière (COM (2004) 496/E 2661),

1. Approuve l'ambition de renforcer l'assise territoriale de l'Union européenne à travers une politique régionale équilibrée sur le plan géographique et réaliste sur le plan budgétaire ;

2. Souligne les besoins révélés par l'élargissement, justifiant un engagement fort de l'Union européenne dans les régions des nouveaux Etats membres ;

3. S'oppose à toute éventuelle réduction des crédits prévus pour ces nouveaux Etats membres, dans la mesure où elle entraverait de manière significative la capacité réelle d'intervention des fonds structurels sur leur territoire et ne serait pas calculée à due proportion de leurs taux comparés de revenu national brut par habitant ;

4. Affirme la nécessité de maintenir aux régions des anciens Etats membres un soutien communautaire qui ne subsiste pas qu'à titre résiduel, mais témoigne au contraire de la volonté de l'Union européenne de s'ancrer durablement dans tous les territoires ;

5. Appuie les propositions de la Commission mettant l'accent sur la dimension urbaine du futur Objectif 2, qui justifierait la possibilité pour les villes de mettre en œuvre directement certains des programmes conçus à leur intention, par application de procédures appropriées de subdélégation ;

6. Demande que les autoroutes de la mer figurent expressément dans la liste des opérations susceptibles d'un soutien de la part du FEDER, conformément aux engagements pris par les institutions européennes en faveur du développement durable, notamment à Göteborg ;

7. Estime que les groupements européens de coopération territoriale peuvent constituer un outil très utile pour mener à bien des projets impliquant des régions de différents Etats membres dans le cadre de l'Objectif 3, à la condition que leur contenu juridique ne soit pas intégralement défini a priori au niveau communautaire, mais puisse au contraire s'adapter aux dispositions en vigueur relativement aux associations dans le lieu même où ils sont constitués ;

8. Demande que ces groupements soient tenus de s'enregistrer également auprès du Comité des régions, qui puisse ainsi centraliser à l'avenir toutes les initiatives permettant de rapprocher entre elles toutes les collectivités territoriales de l'Union européenne. »

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Point A

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Aucune observation n'ayant été formulée, la Délégation a approuvé les deux textes suivants :

¬ PESC et relations extérieures

- proposition de règlement du Conseil concernant la gestion de restrictions à l'importation de certains produits sidérurgiques en provenance de la République du Kazakhstan (document E 2889) ;

- proposition de décision du Conseil concernant la conclusion d'un accord entre la Communauté européenne et la République du Kazakhstan relatif au commerce de certains produits sidérurgiques (document E 2890).