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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 133

Réunion du mercredi 29 juin 2005 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Audition, ouverte à la presse, de Mme Mariann Fischer Boel, commissaire européenne à l'agriculture, sur le cadre budgétaire et les évolutions de la politique agricole commune

Le Président Pierre Lequiller a souligné combien la venue, devant la Délégation, de la commissaire européenne à l'agriculture est importante, à l'heure où, après l'échec du Conseil européen de Bruxelles, la politique agricole commune (PAC) est au cœur de la crise que traverse actuellement l'Europe.

Derrière le « gel » du processus de ratification du projet de traité constitutionnel et l'incapacité à trouver un compromis sur les perspectives financières, se profile, en effet, une véritable « crise d'identité » de la construction européenne. Il est donc tout à la fois naturel et symbolique que la politique qui a cimenté, depuis 1960, l'Union se trouve placée au cœur des débats.

Le Président Pierre Lequiller a demandé à la commissaire si, malgré l'attitude de certains Etats membres, l'Europe pourra parvenir à un accord sur les perspectives financières qui respecte intégralement l'engagement du Conseil européen d'octobre 2002 de « sanctuariser » les aides de la PAC jusqu'en 2013.

Mme Mariann Fischer Boel, commissaire européenne à l'agriculture, a remercié le Président Pierre Lequiller de son invitation, qui lui permet de s'exprimer sur certains sujets agricoles « brûlants », comme le cadre financier de la PAC, les réformes en cours et le développement rural.

La commissaire européenne a toutefois souhaité, en préalable, évoquer le projet de traité constitutionnel. A ce sujet, elle a émis le vœu que la France puisse mettre à profit la période de réflexion décidée par le dernier Conseil européen. Puis elle a considéré qu'il serait regrettable que le « non » français conduise notre pays à perdre son rôle de moteur de la construction européenne. En effet, l'Union européenne a besoin de la France, tout comme la France a besoin de l'Union européenne.

La commissaire européenne a alors abordé le premier point de son exposé, le cadre financier de la PAC pour les années 2007-2013.

Après les discussions difficiles du Conseil européen de Bruxelles, les différentes institutions européennes « reprennent leur souffle ». Cependant, la commissaire européenne a jugé regrettable l'absence d'accord sur le paquet financier pour la période 2007-2013 : les agriculteurs ont besoin d'un cadre financier stable pour une mise en œuvre sereine de la réforme de 2003 et de la nouvelle politique de développement rural.

Le compromis de 370 milliards d'euros proposé par la présidence luxembourgeoise pour les dépenses de développement rural et celles du premier pilier aurait donc été acceptable. Certes, ce compromis aurait signifié, pour la Commission, une révision à la baisse de certaines de ses ambitions concernant d'autres politiques, notamment la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne. Mais il reste que ce « paquet » aurait permis d'étoffer la politique de développement rural, en la dotant d'une enveloppe conséquente, et d'écarter les menaces de cofinancement ayant pesé sur les aides du premier pilier.

Sur ce dernier point, la commissaire européenne a marqué son opposition à toute tentative, ouverte ou rampante, de cofinancement, avant de souligner combien l'Europe doit s'attacher à trouver, le plus rapidement possible, un bon compromis sur le budget pluriannuel de l'Union.

Par ailleurs, la commissaire européenne a souligné combien la mise en œuvre de la PAC dans les nouveaux Etats membres, ainsi que celle des réformes décidées ou prévues en 2003 et 2004, rendent absolument indispensable un accord sur un cadre financier stable. D'autre part, elle a mis en avant le fait que l'application de la nouvelle politique de développement rural sera gelée tant que son enveloppe budgétaire restera inconnue. Or plus l'Europe tardera à élaborer un bon compromis budgétaire, moins les Etats membres disposeront de temps pour soumettre à la Commission leurs programmes de développement rural.

Ne voulant pas rendre le contexte des prochaines discussions alarmant, la commissaire européenne a estimé qu'il n'y avait aucune raison que l'Europe ne parvienne pas à négocier un compromis satisfaisant sur les perspectives financières, pour autant que cette discussion essentielle ne soit pas noyée dans d'autres débats. S'il est légitime que l'Europe débatte de ses priorités pour l'avenir, cette réflexion ne doit pas l'écarter de l'objectif essentiel qu'est la conclusion d'un accord budgétaire.

La commissaire européenne a alors souligné que la PAC avait changé de nature avec la réforme de 2003. Pour la plupart des secteurs, cette politique aide désormais les agriculteurs, et non plus la production.

En outre, la part, dans le budget global, de l'effort financier consacré aux dépenses du premier pilier ira en diminuant. Cette évolution inéluctable est une conséquence directe de l'accord de Bruxelles d'octobre sur le plafonnement des aides directes.

Contrairement à ce qu'affirment certains détracteurs de la PAC, la part consacrée à l'agriculture, représentant aujourd'hui 40 % du total, tomberait à 33 % d'ici 2013 si les propositions de la présidence luxembourgeoise étaient mises en œuvre.

Par ailleurs, les aides directes qui représentaient 0,65 % du PIB en 1988 vont, elles aussi, baisser pour atteindre 0,33 % en 2013. L'Europe diminuera donc de moitié les crédits qu'elle consacre à l'agriculture.

La commissaire européenne a fait part de la volonté de la Commission de travailler sur cette question avec l'Etat membre qui assurera la prochaine présidence de l'Union à compter du 1er juillet 2005. Dans cette perspective, elle compte rappeler à tous les Etats membres que l'accord de Bruxelles de 2002 plafonnant les paiement directs entraîne, de fait, un déclin de ces aides dans les anciens Etats membres. Ceux qui décrient cet accord doivent ainsi se souvenir que, grâce au mécanisme de la discipline financière, les paiements directs seront automatiquement diminués à partir de 2007.

De plus, le Conseil européen ayant convenu de réévaluer la situation en 2008, la commissaire européenne a jugé qu'il était « difficile » de comprendre la crispation actuelle sur le budget de la PAC. Elle a en outre salué le geste, qu'elle a qualifié « d'encourageant », des dix nouveaux Etats membres consistant à renoncer à une partie des financements auxquels ils avaient droit. La commissaire européenne a estimé qu'à cette occasion, ils ont donné une véritable « leçon » aux anciens Etats membres.

Puis elle a rappelé que, le mois dernier, le Conseil des ministres de l'agriculture est parvenu à un accord sur les nouvelles règles juridiques du financement de la PAC et du développement rural. C'est ainsi qu'un fonds unique pour le développement rural est prévu par le nouveau règlement, ce qui souligne à quel point la Commission continue de travailler dans la « salle des machines malgré l'agitation régnant sur le pont ».

La commissaire européenne a d'ailleurs indiqué que le mouvement général de réforme de la PAC commencé depuis plusieurs années va se poursuivre, notamment dans le domaine du sucre.

Abordant le deuxième point de son exposé, la commissaire européenne a évoqué les grandes lignes de la réforme de l'organisation commune du marché du sucre.

Elle a tout d'abord souligné que ce secteur ne peut plus rester à l'écart du vent de réformes ayant soufflé sur la PAC. La situation est à terme intenable : le prix du sucre européen est, en effet, trois fois plus élevé que celui constaté sur les autres grands marchés.

Il existe donc plusieurs raisons impérieuses pour réformer la politique sucrière de l'Union.

Premièrement, la PAC doit constituer un ensemble cohérent, ce qu'elle n'est plus aujourd'hui. Depuis 2003, la PAC aide les agriculteurs et non la production. Les paiements découplés introduits pour les grandes cultures et l'élevage constituent un filet de sécurité pour les agriculteurs, qui laissent à ces derniers la liberté de produire ce qu'ils souhaitent, tout en leur incitant à respecter des normes environnementales et de bien-être animal.

Le secteur du sucre brille par sa différence : il n'a pratiquement pas été réformé depuis sa création, en 1968. Reposant sur une garantie de prix interne, l'OCM sucre risque, dans ce nouveau contexte, de créer des distorsions de concurrence à l'égard des autres secteurs de production.

Deuxièmement, le contexte commercial international contraint l'Europe à réformer sa politique sucrière.

D'abord, l'Union a perdu la bataille qu'elle a menée à l'OMC, ce qui a pour conséquence de l'obliger à réduire sa production de 4,6 millions de tonnes.

Ensuite, l'Europe s'est engagée à importer, sans quotas ni droits de douane, à partir de 2009, le sucre produit par les pays les moins avancés (PMA).

Par conséquent, si le régime de soutien continuait d'opérer sans être réformé, les conditions de production deviendraient rapidement insoutenables : l'Europe devrait alors réduire, dans les pires conditions imaginables, tous les quotas de productions, y compris ceux des pays les plus compétitifs, comme la France.

La commissaire européenne a déclaré que la Commission ne souhaite pas léser les intérêts des agriculteurs et des producteurs européens. C'est pourquoi la proposition de réforme de l'OCM sucre prévoit de baisser le prix du sucre de 39 %, en compensant partiellement les effets de cette diminution sur le revenu des producteurs.

La baisse de prix proposée permettra ainsi de respecter les engagements à l'OMC.

En outre, le prix d'intervention sera transformé en prix de référence, par l'élimination des mécanismes publics d'achat. Ces derniers seront remplacés par un régime de stockage privé, qui se déclenchera quand le prix du marché européen sera inférieur au prix de référence.

En contrepartie de la baisse de prix, la perte de revenu des agriculteurs sera compensée à hauteur de 60 %, par une aide versée dans le cadre du droit à paiement unique.

La Commission propose également d'inciter les industries sucrières à se restructurer, lorsqu'elles opèrent dans les régions où la production ne sera plus viable. A cet effet, une aide de 730 euros par tonne sera mise en place, la première année, pour permettre au secteur industriel de se réorganiser. En complément du fonds de restructuration, la Commission prévoit d'attribuer un quota de production supplémentaire d'un million de tonnes, à répartir entre les Etats membres, afin de rendre l'effort de restructuration de la production plus attractif.

La réforme comprend par ailleurs un important volet externe : le commissaire européen en charge du développement, M. Louis Michel, propose ainsi d'aider les pays ACP producteurs de sucre affectés par la réforme de l'OCM à surmonter leurs difficultés économiques. Ces pays recevront donc des crédits, soit pour rendre plus efficaces leurs industries, soit pour financer leur reconversion dans des conditions économiques et sociales satisfaisantes.

Enfin, la Commission a pris soin de proposer des mesures favorables aux régions ultra-périphériques, qui concerneront ainsi les départements d'outre-mer français.

La commissaire européenne a déclaré connaître les critiques suscitées par la proposition, avant d'insister sur son caractère réaliste. Par exemple, si le prix du sucre n'était baissé que de 25 %, le futur contexte budgétaire ne permettrait pas à la Commission de compenser d'une manière aussi satisfaisante que celle actuellement proposée la chute de revenu des producteurs. Elle ne pourrait le faire que dans une moindre mesure, ce qui, compte tenu du contexte international créé par l'OMC et de l'initiative en faveur des PMA, placerait les agriculteurs dans une situation très difficile. Dans une telle hypothèse, la Commission ne disposerait plus d'un seul euro supplémentaire pour financer, par la suite, les compensations qu'imposerait la situation des agriculteurs.

En conclusion, la commissaire européenne a souligné combien cette réforme est utile pour les agriculteurs et les industriels européens, avant de se déclarer prête à répondre aux questions des intervenants.

Le Président Pierre Lequiller a remercié Mme Mariann Fischer Boel de la clarté de son exposé. Il a en particulier salué la fermeté manifestée par la commissaire européenne sur le respect de l'accord d'octobre 2002 garantissant le financement de la PAC, et de la nécessité d'aboutir rapidement à un accord sur les perspectives financières 2007-2013.

M. Jean-Marie Sermier a évoqué la réforme de la filière sucre. Il a souligné que la proposition initiale faite en 2004, dans le cadre d'une communication, était préoccupante et que la nouvelle proposition de la Commission présentait en revanche un certain intérêt. Il faut une réforme forte pour permettre une véritable restructuration de la filière sucre, permettant aux agriculteurs les plus performants de poursuivre leur activité. La productivité des exploitations françaises s'établit en moyenne à douze tonnes l'hectare, ce qui est cinq à six fois supérieur à la productivité constatée dans certains autres Etats membres. Mais la baisse des prix garantis va entraîner une baisse des volumes produits, et par conséquent une baisse des revenus qui ne sera qu'insuffisamment compensée, soit à hauteur de 60 %, par l'aide actuellement prévue par la proposition de la Commission.

D'autre part, la production européenne de sucre correspond actuellement à une autosuffisance de 125 %, qui devrait passer à 95 % après la réforme. Toutefois, cette réduction de production ne servirait à rien si les contrôles sur l'origine du sucre importé n'étaient pas renforcés. A cet égard, les accords conclu avec les PMA ne doivent pas être remis en cause, mais il est inacceptable que des importations de sucre transitent par des PMA, pour pouvoir bénéficier de leur régime préférentiel d'exportation vers l'Union, alors qu'elles sont originaires d'autres pays. Ce risque de commerce triangulaire ou « SWAP » est réel, comme l'a montré l'exemple du sucre importé des Balkans. L'Europe a été obligée en effet de rétablir, pour ces importations de sucre, les quotas. Par ailleurs, la réduction des exportations de sucre induite par les résultats du panel de l'OMC correspond à environ 4 millions de tonnes de sucre exporté et non pas à 1,2 million de tonnes, comme prévu par la proposition de la Commission. Enfin, la condamnation par l'OMC des soutiens européens à l'exportation dans le secteur du sucre doit inciter l'Europe à négocier globalement, en intégrant cette question dans le cadre des négociations agricoles du cycle de Doha, comme l'ont fait les Etats-Unis après leur condamnation par l'OMC à propos du coton. L'Europe doit s'affirmer comme un acteur politique majeur sur la scène internationale et ne pas se contenter d'appliquer, à un secteur très particulier, les principes de l'économie de marché.

M. François Sauvadet a jugé que ce dialogue avec la Commission était particulièrement utile dans le contexte actuel, après l'échec du référendum et des discussions sur les perspectives financières. Il a plaidé pour que l'évaluation de la politique agricole ne porte pas seulement sur les moyens budgétaires mis en œuvre, mais aussi sur les objectifs de fond de cette politique, à la suite notamment des réformes intervenues ces dernières années. Le modèle agricole européen doit affirmer sa spécificité, en particulier vis-à-vis du modèle américain. L'évaluation doit porter sur les grandes productions, notamment sur la viande bovine, les céréales, les protéines et le soja. La baisse des prix observée et l'augmentation des importations dans certains secteurs sont préoccupantes. On ne peut exclure l'éventualité d'un futur « choc alimentaire » en Europe et il convient de réfléchir - en ce qui concerne le domaine agricole - à la place de l'Europe dans le monde. S'agissant du sucre, la baisse prévue de la production en Europe comporte des contraintes importantes, alors même que les Etats-Unis ont décidé d'augmenter leurs aides agricoles et de maintenir leur système de quotas de production.

Il a interrogé la commissaire européenne sur trois points particuliers :

- souhaite-t-on toujours assurer l'autosuffisance alimentaire de l'Europe ?

- veut-on préserver une agriculture européenne diversifiée et de qualité, largement présente sur le territoire et exportatrice ?

- quelle politique prévoit-on de mettre en œuvre en matière de sécurité alimentaire et de préservation de l'environnement ? Quelles mesures envisage-t-on en particulier, du point de vue de la sécurité alimentaire, en ce qui concerne les conditions d'accès au marché européen de productions de pays tiers ?

En réponse aux intervenants, Mme Mariann Fischer Boel a apporté les précisions suivantes :

- la précédente proposition de la Commission avait été difficilement accueillie par le Conseil. A la suite de ce rejet, et compte tenu de l'expiration du régime actuel de la filière, prévue en juillet 2006, la commissaire européenne s'est efforcée de consulter l'ensemble des parties prenantes pour aboutir à une nouvelle proposition. La nécessité d'une restructuration du secteur est apparue clairement. Par ailleurs, la décision de l'OMC implique une réduction de la production de sucre au sein de l'Union. En l'absence d'une telle réduction, le marché européen risquerait d'être envahi par les importations de pays tiers ;

- le secteur du sucre en Europe a bénéficié de bonnes conditions climatiques et la productivité de la production française est élevée. La commissaire européenne a rappelé que son mari était lui-même producteur de sucre et que celui-ci, en l'absence de réforme de la filière, aurait été amené à cesser son exploitation dans ce secteur ;

- le niveau de 60 % de compensation de la perte de revenus, prévu par la réforme, est dans la ligne de ce qui a été fait antérieurement pour d'autres secteurs (58 % pour le lait, 50 % pour les céréales) ;

- la réduction de la production de sucre laisse les exploitants libres de s'engager dans d'autres productions. Par exemple, l'augmentation du prix du pétrole renforce actuellement l'intérêt de la filière bioéthanol ;

- la proposition faite par les pays ACP d'établir des contingents fixes d'exportation de sucre vers l'Union fait en outre référence à des niveaux de prix du sucre « rémunérateurs », ce qui exclut une baisse de ce dernier de plus de 20 %. Cependant, le risque d'un système de contingentement est, dans tous les cas, de devoir en sortir à un moment ou à un autre, les pays exportateurs se retrouvant alors dans une situation pire qu'au départ ;

- la baisse des prix du sucre rendra le transit par les PMA moins intéressant pour les producteurs de pays tiers. En tout état de cause, la surveillance de l'origine des importations sera renforcée. L'OLAF doit s'investir dans cette surveillance accrue ;

- la réforme sucrière proposée est décente et il convient de se féliciter de ce que ses termes puissent faire l'objet d'un accord de la France ;

- en ce qui concerne l'application de la PAC réformée de 2003, il est prématuré de se prononcer, à ce stade. Il convient d'aider les Etats membres à en mettre les mécanismes en place de la manière la plus souple possible. Mais il faut souhaiter autant de découplage que possible au niveau européen, de manière à donner à tous les agriculteurs la faculté d'opter pour les productions de leur choix. En tout état de cause, la décision de procéder ou non au découplage relève de chacun des Etats membres. Il appartient à la France de prévoir les mécanismes qu'elle souhaite instaurer pour le secteur bovin. D'ailleurs, il y a lieu de noter qu'elle a déjà décidé de procéder à un découplage, de 25 %, pour la production céréalière ;

- s'il faut définir un modèle, l'avenir de l'agriculture européenne repose sur la recherche de la qualité, compte tenu du fait qu'il est difficile de penser qu'elle puisse, face aux pays très compétitifs, rester concurrentielle sur les grandes productions. Il faudra donc tirer parti de la valeur ajoutée et développer la transformation des produits, lesquels devront être aussi élaborés que possible ;

- en ce qui concerne les négociations dans le cadre de l'OMC, l'Europe, de même que les autres grandes économies, va devoir ouvrir son marché. S'il leur est possible d'exporter des produits d'une qualité élevée et offrant d'importantes garanties en matière de sécurité alimentaire, aux autres régions du monde, d'immenses opportunités s'offrent aux agriculteurs européens. Ainsi la Chine devient-elle peu à peu un marché important, grâce au nombre croissant de ses consommateurs à hauts revenus demandeurs de produits européens ;

- l'Europe est importatrice nette de viande bovine. Celle-ci, de bonne qualité, provient d'Amérique latine et notamment d'Argentine. A l'avenir, l'Union ne sera pas autosuffisante dans ce secteur. Elle ne doit d'ailleurs pas viser l'autosuffisance pour toutes les productions agricoles. En effet, si l'ensemble des grandes régions était autosuffisant, il n'y aurait pas d'échanges internationaux ;

- le prix des céréales en Europe est, cette année, peu élevé. C'est en partie lié à l'évolution du taux de change entre l'euro et le dollar, ainsi qu'au niveau élevé des dernières récoltes. D'une manière générale, l'activité agricole est un défi permanent où les risques sont constamment présents, notamment la sécheresse comme actuellement dans le Sud de l'Europe. De même, le niveau trop élevé des récoltes peut poser problème ;

- lors des réunions de l'OMC, les préoccupations dites « non commerciales », la sécurité alimentaire, le bien-être animal et les normes environnementales, font l'objet de discussions permanentes. L'Europe insiste beaucoup pour qu'elles soient prises en compte ;

- l'avenir de l'agriculture européenne permet d'envisager des structures diversifiées avec la coexistence de grandes exploitations et d'exploitations familiales, ces dernières étant maintenues grâce à la politique de développement rural. Les exploitations familiales, qui peuvent faire de la vente directe, bénéficient par ailleurs d'une certaine notoriété auprès des consommateurs, lesquels sont prêts à acquitter un prix plus élevé pour des produits dont ils connaissent l'histoire.

M. Daniel Garrigue s'est félicité de le volonté de la commissaire de respecter l'accord de Bruxelles d'octobre 2002. Il est d'ailleurs important de souligner auprès des agriculteurs français que peu de secteurs bénéficient de telles garanties économiques à un horizon aussi éloigné.

Il a ensuite souhaité savoir si les dépenses agricoles résultant de la future entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l'Union s'imputeraient sur l'enveloppe prévue lors de la conclusion de l'accord précité.

Evoquant ensuite la conditionnalité des aides qui impose aux agriculteurs de respecter certaines normes et de subir certains contrôles en contrepartie de la garantie de leurs ressources, il a noté que beaucoup d'exploitants âgés comprenaient mal les enjeux de ces normes. Celles-ci leur imposent d'engager des investissements très importants, alors qu'ils envisagent, à brève échéance, de cesser leur activité. Ne peut-on pas prévoir des assouplissements leur permettant d'éviter de telles contraintes ?

Rappelant ensuite que la commissaire avait indiqué que la force de l'agriculture européenne devait à l'avenir reposer sur le niveau élevé de la qualité de ses produits, M. Daniel Garrigue a estimé que ce secteur pouvait également avoir pour objectif de répondre aux besoins d'un marché intérieur considérable, lequel compte actuellement 450 millions de consommateurs environ.

M. Charles de Courson s'est félicité de la présence de la commissaire à l'Assemblée nationale, ce qui permet de mieux faire connaître l'Europe et d'éviter certaines critiques. Il a suggéré que cet exemple soit étendu aux autres Etats membres.

Il a ensuite relevé que l'absence de lien entre le foncier et les droits à paiement unique (DPU) perturbait actuellement le marché des terres agricoles. Il a demandé les raisons pour lesquelles l'Union n'avait pas fixé de critère de répartition des DPU entre l'exploitant et les acquéreurs. La France a tenté d'établir un tel lien mais, dans l'incertitude, de nombreuses successions et de nombreux transferts ne peuvent actuellement être réglés.

En ce qui concerne la réforme sucrière, M. Charles de Courson a émis l'hypothèse d'un lissage de la compensation de manière que le seuil de 60 % ne soit atteint qu'après un certain délai, puis a souhaité savoir si les négociations en cours dans le cadre de l'OMC permettraient de maintenir un droit de douane de l'ordre de 200 euros, lequel correspondrait à la différence entre le cours du sucre dans l'Union et celui du sucre de canne. Dans la négative, la stratégie prévue ne pourrait être maintenue.

Il s'est ensuite interrogé sur la nature des contrôles que l'Union pourrait prévoir pour éviter les importations indirectes, notamment celles en provenance du Brésil. La solution pourrait consister en un quota annuel, égal pour chaque Etat concerné à la différence entre sa production et sa consommation intérieure. En effet, il est actuellement impossible de contrôler la provenance du sucre.

Concluant son intervention, il a estimé que le développement des biocarburants et notamment du bioéthanol devait être promu. Qu'en est-il des possibilités de créer des DPU pour les terres à vocation énergétique et de renforcer les normes sur l'oxygénation des essences ?

En réponse, la commissaire européenne a apporté les précisions suivantes :

- concernant les paiements directs, la commissaire a indiqué qu'ils seraient réduits afin de répondre aux exigences financières. Cette baisse sera de 7 à 8 % pour les Quinze à l'horizon 2013 ;

- s'agissant du respect des normes, les exigences ont pris effet le 1er janvier 2005, le dernier Conseil Agriculture a décidé de donner la priorité aux jeunes agriculteurs. Ils disposent de trois ans pour remplir leurs obligations, mais doivent élaborer un plan d'action s'ils veulent bénéficier des 25 000 euros d'aide au démarrage. Cette décision du Conseil a été acceptée par tous les Etats membres. La commissaire a indiqué qu'elle avait rencontré des représentants des jeunes agriculteurs au cours de réunions informelles à Bruxelles et qu'elle trouvait très positif leur esprit d'entreprise et leur volonté de relever les défis. Pour les agriculteurs âgés, une période de trois ans est prévue par la réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2005. Cette réforme ne crée aucune nouvelle obligation, mais introduit un mécanisme de sanction, sous forme d'un versement de 5 % des paiements directs, si les obligations ne sont pas respectées ;

- le marché unique crée des opportunités, accentuées par les élargissements passés et à venir. Il est fondamental d'établir un dialogue entre la Commission et les agriculteurs dans les Etats membres ;

- s'agissant du paiement unique, l'idée de la réforme de la PAC était de découpler les aides de la production, celles-ci pouvant ensuite faire l'objet de transferts, avec ou sans terre. Certains Etats membres auront des difficultés à appliquer le nouveau système. Il faut espérer qu'ils pourront les régler, notamment grâce à la réserve nationale, qui sera abondée par les droits à paiement unique non utilisés ;

- pour la compensation proposée par la Commission dans le cadre de la réforme de l'OCM sucre, le taux de 60 % est le maximum acceptable au plan budgétaire. Il appartient maintenant aux Etats membres de se prononcer au sein du Conseil ;

- il est nécessaire d'élaborer des règles sur le pays d'origine pour les importations. Si certaines entrent illégalement, la Commission informera l'Office de lutte antifraude.

M. Louis-Joseph Manscour a souligné que les agriculteurs d'outre-mer avaient encore plus de raisons d'être inquiets que ceux de métropole. L'outre-mer souffre de nombreux handicaps, comme l'éloignement et les conditions climatiques. L'Union européenne lui a beaucoup apporté. Le vote de l'outre-mer à 69 % pour le oui au référendum sur la ratification du traité constitutionnel européen illustre la confiance des citoyens dans l'Europe. Cependant, on peut craindre que cette confiance ne soit altérée. Le sucre européen est trois fois plus cher que le sucre extra-européen. Les mesures de compensation risquent de ne pas être suffisantes. Des difficultés existent aussi pour la banane : comment expliquer que les Antilles écoulent difficilement les 400 000 tonnes qu'elles produisent par an alors que l'Union européenne en consomme 4 millions de tonnes ? On peut donc s'interroger sur les raisons pour lesquelles la préférence communautaire pour cette production ne joue pas.

M. Louis-Joseph Manscour a demandé à la commissaire les messages et les garanties qu'elle pouvait apporter face aux inquiétudes des producteurs de bananes, de canne et d'ananas.

M. Philippe-Armand Martin a évoqué la réforme de l'OCM vin. Il a indiqué qu'il avait été le rapporteur de la réforme de 1999 au Parlement européen. Depuis lors, le contexte a changé. La concurrence s'est amplifiée, les récoltes sont supérieures, certains nouveaux Etats membres sont producteurs de vin. La viticulture européenne est en crise, particulièrement la viticulture française. Il est important de réformer l'OCM.

M. Philippe-Armand Martin a interrogé la commissaire sur l'utilisation, depuis 1999, des instruments régulateurs de marché et le respect des normes, ainsi que sur les instruments qui seront prévus par la réforme annoncée. Il a également souhaité savoir si les spécificités de la viticulture européenne seraient respectées, et si la distillation de crise imposée par la Commission en 1999 serait maintenue. Par ailleurs, il a estimé qu'il serait préférable d'investir dans les actions de promotion pour mieux faire connaître les produits européens. Enfin, il a souhaité savoir comment seraient réglementées les plantations et si leur augmentation serait autorisée.

M. Léonce Deprez a déploré la campagne d'inquiétude et même d'intoxication menée dans la presse au sujet de la réforme de la PAC et dont les agriculteurs ont été victimes, alors que la commissaire européenne a rappelé que les aides directes bénéficieront d'une garantie de financement pour la période 2007-2013. Evoquant une réunion de la FNSEA, qui s'est tenue dans sa circonscription, il a estimé que l'absence de communication sur la réforme de la PAC n'avait pas réduit les inquiétudes du monde paysan et l'avait incité à voter non au référendum. Dans ce contexte, il s'est enquis des difficultés rencontrées à faire admettre que les engagements seront respectés.

Abordant la situation des nouveaux Etats membres au regard de la réforme de la PAC, il a fait valoir que ces derniers - plus que la France - avaient besoin d'un engagement stable pour la période 2007-2013, du fait de l'importance du poids économique des paysans et de l'étendue de l'espace rural à aménager. Dans des pays tels que la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, ou encore la Lettonie, l'agriculture devra disposer de cet engagement de longue durée pour procéder aux adaptations nécessaires, afin que ces Etats réussissent leur pleine intégration dans l'Union.

Enfin, il a regretté que la paperasserie et la bureaucratie auxquelles les agriculteurs sont confrontés pour l'obtention de primes ou l'adaptation aux normes soient de nature à favoriser leur découragement. Il a souhaité que la commissaire européenne apporte des clarifications, afin que la réforme de la PAC puisse bénéficier d'une approche plus positive en France.

Le Président Pierre Lequiller, déclarant partager les observations de M. Léonce Deprez, a fait part de son incompréhension devant le vote des paysans sur le référendum, alors que ces derniers reconnaissent le bien-fondé de la politique agricole commune. Il a estimé que cette position qu'il a qualifiée de schizophrène était imputable au sentiment des agriculteurs de devenir des assistés, faute de ne plus pouvoir bénéficier d'incitations à la production. C'est pourquoi, selon lui, la PAC qui aurait pu jouer un rôle positif dans la campagne référendaire n'a pas séduit le monde agricole et, dès le 30 mai 2005, a fait l'objet d'attaques. Il a estimé qu'à cet égard, l'Union européenne n'était pas fautive et qu'un travail de communication devait être effectué au sein des Etats membres, en particulier en France.

En réponse, Mme Mariann Fischer Boel a apporté les précisions suivantes :

- dans les discussions qui ont précédé la présentation de la proposition sur le marché du sucre, la Commission a rencontré les représentants des régions ultrapériphériques. Ces dernières bénéficieront de compensations généreuses. En outre, les producteurs ne paieront aucune cotisation et ne contribueront pas au fonds de restructuration. Dès le départ, ces solutions - qui étaient absentes de la communication de 2004 - ont été retenues, démarche qui devrait être de nature à faciliter l'application de nouvelles mesures ;

- le problème de la banane est délicat, car il faudra trouver un nouveau système de droits de douane à partir du 1er janvier 2006. Par ailleurs, il existe un système de compensation pour la production d'un montant de 200 millions d'euros pour ce qui concerne la zone européenne. Il sera donc nécessaire de procéder à de nouvelles discussions, parallèlement à celles sur les fruits et légumes, à la fin de l'année 2006 ;

- en 1999, une réforme du marché du vin est effectivement intervenue. Les difficultés actuelles résultent du fait que les importations en provenance de l'Australie, d'Afrique du Sud, du Chili, de l'Argentine et de la Californie continuent de s'accroître, alors que, parallèlement, la production au sein de l'Union européenne est considérable et que la consommation diminue. Il sera dès lors nécessaire de présenter une proposition de réforme en 2006, afin d'éviter la distillation continue de quantités considérables de vins de qualité. Dans cette perspective, il conviendra de procéder à une évaluation de l'impact des mesures envisagées. En tout état de cause, l'immobilisme ne serait pas opportun dans ce contexte d'aggravation continue ;

- s'agissant de la situation des nouveaux Etats membres au regard de la réforme de la PAC, il convient de rappeler que ces Etats ne bénéficient pas de paiements directs pour toutes leurs cultures. Ils seront contraints de procéder à une adaptation de leur agriculture puisque, par exemple, en Pologne, la taille moyenne des exploitations est de 2,8 hectares. Un des autres défis de la réforme de la PAC consistera à permettre à ces Etats de maintenir une gestion foncière traditionnelle ;

- en ce qui concerne les procédures bureaucratiques auxquelles sont confrontés les paysans, les difficultés qui en résultent sont liées au fait que l'on se trouve actuellement dans une période de transition. Lorsque la réforme de la PAC sera mise intégralement en œuvre, les choses seront plus simples, surtout en ce qui concerne le découplage des paiements directs. L'agriculture n'est pas le seul secteur dans lequel des critiques sont formulées à l'encontre de la bureaucratie, ce qui a conduit la Commission à mettre en œuvre un programme visant à faciliter les procédures administratives dans de nombreux domaines ;

- il est vrai que le système des paiements directs est susceptible de créer un sentiment d'assistance chez les jeunes agriculteurs. Une phase de transition est nécessaire afin que les agriculteurs puissent mieux relier le système du paiement direct avec la modernisation d'un certain nombre d'exploitations familiales.