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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 139

Réunion du mercredi 12 octobre 2005 à 17 heures

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Martin Folz, président du groupe PSA Peugeot-Citroën, sur la politique industrielle de l'Union européenne

Le Président Pierre Lequiller, après avoir remercié M. Jean-Martin Folz d'avoir accepté de s'exprimer devant la Délégation, a souligné qu'il souhaitait développer les auditions de personnalités du monde de l'industrie, de façon à refléter la dimension concrète de l'Europe. Il a ensuite interrogé M. Jean-Martin Folz sur les implantations du groupe PSA Peugeot-Citroën dans les nouveaux Etats membres, qualifiées, selon lui, à tort, de délocalisations, sur la crise pétrolière et le développement de la voiture propre, sur la part de l'investissement consacrée par le groupe à la recherche, sur les initiatives communautaires qui concernent l'industrie automobile, ainsi que sur la politique industrielle européenne - qui doit concilier le respect des principes de concurrence et l'émergence de grands groupes européens - et la nécessité de pôles de compétitivité européens.

M. Jean-Martin Folz s'est déclaré honoré par l'invitation de la Délégation, qui est la marque de son intérêt pour les questions industrielles. Il a souligné le rôle de la Délégation dans la propagation d'une culture européenne qui fait défaut à la France.

Il a tout d'abord souhaité présenter le groupe PSA Peugeot-Citroën. Celui-ci représente 3,4 millions de voitures vendues dans le monde et se place au sixième rang mondial, au deuxième rang européen et au premier rang en France. Son chiffre d'affaires est de 57 milliards d'euros. Le groupe emploie 207 000 personnes dans le monde. Il se caractérise par la croissance : du nombre de voitures vendues, des résultats, de la dimension internationale et des emplois.

A cet égard, les chiffres ne sont pas assez connus et il convient de souligner que la création d'emplois n'est pas l'apanage des PME. De 1999 à 2004, soit sur une période de six ans, le groupe a recruté 93 000 personnes dans le monde, dont 52 000 en France. Ceci représente 10 000 créations nettes d'emplois en contrat à durée indéterminée (CDI) en France dans la branche automobile. En 2005, le nombre de personnes recrutées en CDI devrait être de 5 000.

Le groupe PSA Peugeot-Citroën est véritablement un constructeur européen, avec ses implantations en France, au Royaume-Uni, en Espagne, au Portugal, en Italie, en République tchèque et en Slovaquie. Son ancrage industriel et technique se situe en France, puisque 23 % des voitures produites y sont vendues et que deux-tiers des voitures y sont produites. En termes de valeur ajoutée, la quasi-totalité des moteurs et des boîtes de vitesses sont produits en France. Sur les 15 500 ingénieurs et techniciens employés en recherche et développement, 95 % le sont en France, dans deux centres situés en région parisienne et un troisième en Franche-Comté (à Sochaux).

Le groupe a une stratégie de développement international. Les ventes hors de l'Europe sont passées de 350 000 voitures en 1998 à 950 000 en 2004 et on peut espérer que celles-ci dépasseront le million de véhicules en 2005.

Le groupe mène également d'autres activités. La banque PSA Finance assure le financement du quart des clients et de la quasi-totalité des concessionnaires. Elle dispose d'un encours de 21 milliards d'euros. En matière de transports et de logistique, Gefco est une filiale à 100 % de PSA Peugeot-Citroën, qui se place au deuxième rang en France, et au septième ou huitième rang européen. Elle a un chiffre d'affaires de 2,5 milliards d'euros. Enfin, PSA Peugeot-Citroën est actionnaire à 71 % de Faurecia, équipementier qui se place au sixième ou septième rang mondial et a un chiffre d'affaires de 11 milliards d'euros.

La situation économique de PSA Peugeot-Citroën est saine, les résultats sont positifs depuis sept ans. La marge opérationnelle a été multipliée par deux et les résultats nets par trois. L'actionnariat du groupe familial représente 30 % du capital et 40 % des droits de vote à l'assemblée générale. M. Jean-Martin Folz a souligné que cet actionnariat fait preuve d'un engagement de très long terme dans l'industrie automobile et d'un soutien à sa stratégie en tant que président du directoire.

Enfin, la gamme de produits s'est fortement renouvelée, puisqu'entre mi-2004 et mi-2006, ce renouvellement concernera les deux-tiers de la gamme.

L'industrie automobile joue un rôle essentiel dans l'économie européenne. Elle représente deux millions d'emplois directs et huit millions d'emplois indirects, soit 6 à 7 % de l'emploi industriel. Elle dégage un excédent commercial de 35 milliards d'euros. Enfin, l'automobile est une assiette fiscale importante et fournit des recettes fiscales s'élevant à 340 milliards d'euros pour les gouvernements.

La compétitivité de l'industrie automobile dépend de trois facteurs-clés. Le premier de ces facteurs est la possibilité de disposer d'un marché-socle européen rémunérateur et dynamique. Celui-ci représente 25 % du marché mondial. Il est cependant saturé et repose sur le renouvellement des véhicules. Après avoir fléchi, il est aujourd'hui stable. Ce marché est hyper-concurrentiel, puisque tous les constructeurs mondiaux sont présents. Du fait des disparités de fiscalité, il ne s'agit pas d'un marché unique, ce qui crée des distorsions de concurrence et oblige les constructeurs européens à pratiquer des prix hors-taxes différents selon les pays. L'amende récemment infligée à PSA Peugeot-Citroën par la Commission européenne est liée à cette situation.

Un environnement réglementaire compatible avec la concurrence mondiale est la deuxième condition de la compétitivité. A cet égard, il est faux d'affirmer que la sur-réglementation bénéficie à l'industrie automobile européenne, d'une part parce qu'elle s'imposerait de la même façon à ses concurrents, et d'autre part parce qu'elle favoriserait l'excellence. Il s'agit d'un double contresens, puisque la réglementation ne touche pas de façon symétrique les constructeurs européens, dont tous les véhicules sont concernés, et les autres, dont seuls les véhicules commercialisés en Europe sont visés. Par ailleurs, la réglementation n'est pas un facteur de compétitivité car les acheteurs se déterminent avant tout en fonction des prix.

M. Jean-Martin Folz a ensuite souligné que la compétitivité de l'industrie automobile dépendait également des relations entre l'Europe et le reste du monde. Il importe donc que l'ouverture des marchés soit réalisée en veillant véritablement à l'élimination non seulement des obstacles tarifaires, mais aussi des obstacles non tarifaires. Or, les négociateurs européens semblent parfois faire preuve d'un certain angélisme, comme l'illustrent les conditions concrètes de l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Il faut souhaiter que le nouveau commissaire en charge de ce dossier fasse preuve d'une grande fermeté pour amener la Chine à respecter ses engagements.

Le problème de la lutte contre la pollution atmosphérique permet d'illustrer la nécessité de réaliser une synthèse entre les exigences d'efficacité d'une politique publique et de préservation de la compétitivité. En la matière, il convient de distinguer la pollution dite « locale », imputable aux polluants traditionnels, de la pollution qui génère l'effet de serre. La bataille contre la pollution locale est en passe d'être gagnée grâce aux progrès de la technologie et, en particulier, grâce à l'invention par le groupe PSA Peugeot-Citroën du filtre à particules. Désormais, l'amélioration de la qualité de l'air en ville dépend surtout de l'élimination du parc automobile des véhicules les plus anciens. Il faut rappeler, à cet égard, que la moyenne d'âge des véhicules en France est de 13,4 années, ce qui implique que beaucoup de voitures en circulation ont plus de quinze ans d'âge et ne respectent donc aucune des normes communautaires en matière d'émission de polluants. L'incitation au retrait de ces véhicules ne doit pas être soutenue par des primes du type « Juppette » ou « Balladurette » mises en œuvre par le passé, mais plutôt par des primes à la destruction sans contrepartie d'achat d'un véhicule neuf. Toutefois, le sujet principal aujourd'hui réside dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Sur ce point, il importe de souligner que les transports ne sont responsables que de 15 % des émissions de gaz carbonique et que les automobiles n'émettent que 7 % de ce gaz, ce qui n'est pas toujours clairement perçu. La réglementation communautaire en ce domaine n'est malheureusement pas toujours adaptée. Ainsi, la proposition de directive relative aux émissions provenant des dispositifs de climatisation équipant les véhicules à moteur, dite « directive MAC », ne s'applique qu'aux constructeurs européens et limite leur compétitivité.

En conclusion, M. Jean-Martin Folz a souhaité énumérer les cinq points qui devraient être pris en compte par le législateur communautaire et national pour ne pas porter atteinte à la compétitivité des constructeurs automobiles.

En premier lieu, il convient de privilégier une approche globale et intégrée. Une approche globale conduirait à éviter les contradictions entre les législations. Plusieurs exemples illustrent la nécessité d'une telle approche. Ainsi, la législation visant à réduire l'impact des chocs en cas d'accident tend à favoriser la production de voitures plutôt rondes et à capot, alors que les véhicules en forme de flèche seraient moins consommateurs de carburant et, par conséquent, moins émetteurs de polluants. De même, le souci de développer le recyclage favorise l'utilisation de métaux, plus aisément recyclables que les plastiques, ce qui va à l'encontre de la lutte contre la pollution. Un dernier exemple peut être fourni par la future norme « Euro V », qui renchérira le coût des moteurs diesel et incitera donc les consommateurs à acheter des véhicules à moteur essence, dont la consommation et la contribution à l'effet de serre est supérieure de 20 % par unité à celle des automobiles fonctionnant au diesel. L'approche normative doit également être intégrée, ce qui signifie que la poursuite d'un objectif doit prendre en considération l'ensemble des paramètres concernés. Dans le domaine de la sécurité routière, par exemple, il faut avoir conscience que tous les progrès ne pourront pas être réalisés par les seuls constructeurs automobiles, qui ont déjà beaucoup contribué à l'amélioration de la sécurité active et passive des véhicules, et que des marges de manœuvre beaucoup plus importantes existent en matière d'aménagement des réseaux routiers et d'amélioration du comportement des conducteurs.

En deuxième lieu, il est indispensable de faire confiance au marché et de ne pas se tromper sur les responsabilités des divers intervenants. Le rôle des constructeurs automobiles est de mettre à la disposition des consommateurs une gamme complète de véhicules, en veillant à proposer des véhicules peu consommateurs d'énergie et peu polluants. C'est ce que réalise le groupe PSA Peugeot-Citroën puisqu'en 2004, sur cent automobiles émettant moins de 120 g/km de CO2, soit un taux inférieur à l'engagement pris par les constructeurs européens d'atteindre un niveau moyen de 140 g/km d'ici 2008/2009, soixante étaient produites par ce groupe. Pour le reste, c'est le consommateur et lui seul qui décide d'acheter de gros véhicules plus polluants que la moyenne et qui détermine l'usage plus ou moins intensif qu'il en fera.

En troisième lieu, toute politique publique se doit de respecter un principe de neutralité technologique, car il vaut mieux fixer aux industriels des objectifs quantifiables reflétant une priorité clairement définie, que de chercher à leur assigner des voies technologiques à emprunter. Evoquant le programme visant à inciter le consommateur à acquérir un véhicule propre, M. Jean-Martin Folz s'est étonné que - du fait de la norme en CO2/km déterminée par les ministères - des véhicules fabriqués en France par Renault et PSA Peugeot-Citroën n'aient pu obtenir le label de véhicules propres - alors que leur émission est inférieure à 110 g/km de CO2 - à la différence de voitures japonaises. Il a jugé que cette décision était contraire au patriotisme économique.

En quatrième lieu, M. Jean-Martin Folz a indiqué que - l'industrie automobile étant plus ou moins réactive - le législateur communautaire devait prendre en compte le temps industriel. Il a rappelé que l'industrie automobile reposait sur des cycles longs et que dans ces conditions, il était nécessaire que les industriels puissent bénéficier d'un délai suffisant, qui leur permette d'intégrer les conséquences technologiques d'une réglementation nouvelle. Il a ainsi regretté que le débat sur « Euro V » - dont l'application est prévue pour 2010 - ait déjà été entamé alors qu'« Euro IV » est à peine entré en vigueur le 1er octobre 2005. Par ailleurs, M. Jean-Martin Folz a fait observer que la durée du processus de codécision pouvait s'étaler sur deux à trois ans en vue de la conclusion d'un accord sur un texte, alors que l'industrie automobile se doit d'être réactive dans un délai qui peut être plus bref.

En conclusion, M. Jean-Martin Folz s'est demandé si l'Europe était toujours dotée d'une vision industrielle. La constitution du groupe Cars 21, chargé de réfléchir au rôle de l'automobile au XXIème siècle, a certes permis d'espérer que l'Europe prendrait conscience de la nécessité de mettre en œuvre une politique industrielle. Toutefois, ce groupe est devenu aujourd'hui ce que M. Jean-Martin Folz a qualifié d'« aspirateur à réglementation », puisqu'il réfléchit à la réglementation qui pourrait être édictée jusqu'en 2035, un tel calendrier risquant de ne pas répondre aux exigences de la compétitivité de l'industrie automobile européenne.

M. Jean-Martin Folz a déploré la position, qu'il a qualifiée de largement schizophrène, de l'Union européenne en ce qui concerne la protection de la propriété industrielle dans le domaine des dessins et modèles. S'il s'est félicité que la Délégation pour l'Union européenne, à travers les rapports d'information de MM. Pierre Forgues et Marc Laffineur, ait appelé l'attention sur les dangers de la contrefaçon, il a en revanche déploré que la proposition de directive relative à la protection juridique des dessins et modèles ait pour effet de porter atteinte aux intérêts des industriels européens, mais aussi à ceux des consommateurs. En ce qui concerne ces derniers, il importe de noter que, dans les pays qui ont supprimé la protection des dessins et modèles dans le domaine des pièces détachées automobiles, les contrefacteurs peuvent vendre librement leurs produits, ce qui est, à l'évidence, une source de dangers pour les consommateurs puisque, par exemple, des capots déchirés contrefaits présentent de vrais risques. Cette liberté de manœuvre accordée aux contrefacteurs n'est pas non plus dans l'intérêt des salariés européens. M. Jean-Martin Folz a fait part de sa totale incompréhension devant les mesures adoptées par la Commission européenne, qu'il juge choquantes puisqu'elles vont clairement à l'encontre des intérêts de l'industrie automobile européenne.

Un débat a suivi l'exposé de M. Jean-Martin Folz.

Le Président Pierre Lequiller a souhaité obtenir des précisions sur l'implantation de PSA Peugeot-Citroën en Europe centrale.

M. Jérôme Lambert, après avoir félicité M. Jean-Martin Folz pour le tableau très complet et clair qu'il a brossé des problèmes de l'industrie automobile, s'est enquis du régime actuel de la distribution automobile.

M. Michel Herbillon, rappelant que l'un des sujets de préoccupation de la Délégation est d'examiner les conditions dans lesquelles la construction européenne pourrait être rapprochée des citoyens, a souhaité savoir comment le responsable d'un groupe industriel, dont l'Europe constitue l'horizon quotidien, à la différence de la majorité des Français pour qui l'Europe est une entité lointaine, analyse ce décalage considérable qui est apparu lors du référendum, en France mais aussi dans d'autres pays.

M. Jean-Martin Folz a indiqué, en réponse à la question du Président Pierre Lequiller, que PSA Peugeot-Citroën a opéré deux investissements récents en Europe centrale. Le premier a été l'installation, sous forme d'un « joint venture », d'une usine à Kolin, en République tchèque, d'une capacité de production de 300 000 véhicules (dont 100 000 pour Toyota), et qui fabrique des modèles C1 pour Citroën et des modèles 107 pour Peugeot. Ces voitures ne sont pas entièrement fabriquées en République tchèque mais sont entièrement montées là-bas.

Il faut savoir que, dans une usine européenne, le prix de revient pur (c'est-à-dire hors coûts d'études, de recherche, de commercialisation...) se décompose en 75 % d'achats et 25 % de valeur ajoutée. Dans ces 25 %, il y a 12 % qui sont les salaires payés. Il convient de garder ces chiffres en tête dans tout débat sur les délocalisations. Ainsi, les voitures montées en République tchèque intègrent-elles des achats provenant d'un peu partout en Europe, notamment des moteurs diesel fabriqués en France.

La deuxième installation créée en Europe centrale est l'usine de Trnava, en Slovaquie, qui est strictement un établissement PSA Peugeot-Citroën. Elle produira, à partir de 2006, des modèles Citroën C2 et C3, et des Peugeot 1007.

En commentant ces indications, M. Jean-Martin Folz a souligné que les capacités de production de ces deux installations sont bien des volumes complémentaires pour l'entreprise. PSA Peugeot-Citroën a continuellement besoin de produire plus pour répondre à la demande. Des usines ont été implantées en Amérique latine et en Chine, mais les besoins européens représentent 750 000 voitures. L'entreprise avait, dans un premier temps, augmenté le taux de charge de ses usines existantes en les faisant tourner sur un rythme élevé. Selon la norme établie par les Etats-Unis, une usine tourne à 100 % de sa capacité lorsqu'elle fonctionne 16 heures par jour et 235 jours par an. Par rapport à ce standard, PSA Peugeot-Citroën avait atteint, en 2005, un taux de capacité de 112 %. La situation était donc favorable, mais en apparence seulement : pour des raisons à la fois techniques, économiques et sociales, il est clair que le travail de nuit et les très longues heures ne sont pas souhaitables. Au plan technique, le fonctionnement d'une installation en continu augmente les risques de défaillance des machines. Au plan économique, les heures de nuit et de week-end sont payées plus cher. Leur acceptabilité sociale est inégale d'un site à l'autre, et en tout état de cause, n'est pas durable.

La direction de l'entreprise en a conclu qu'un accroissement des capacités de production était nécessaire. Où les installer ? Le choix a été fait sur la base d'un critère logistique. L'industrie automobile nécessite beaucoup de transport, qu'il s'agisse du transport des pièces ou de celui des véhicules. Il est donc nécessaire de rapprocher le plus possible le centre de gravité de la production, du centre de gravité de la distribution. Or le centre de gravité de la distribution est, pour PSA Peugeot-Citroën, nettement situé à l'ouest de l'Europe. Les installations complémentaires ont donc été implantées en République tchèque et en Slovaquie, pour permettre une localisation équilibrée. Il ne s'agit vraiment pas d'une délocalisation. Les voitures qui seront produites en Slovaquie seront toutes équipées de moteurs et de boîtes de vitesse produits en France. En réponse à une question de M. Michel Herbillon, M. Jean-Martin Folz a précisé que ces voitures seraient ensuite vendues dans toute l'Europe et non pas seulement en Europe de l'Est. La Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et la Slovénie représentent un marché d'un million d'automobiles, donc un marché significatif et destiné à se développer grâce à l'élévation du niveau de vie favorisée par l'adhésion de ces pays à l'Union européenne. Mais ce chiffre est à comparer aux 16 millions d'automobiles que représente pour PSA Peugeot-Citroën l'Europe de l'Ouest.

Concernant la réglementation européenne sur la distribution, M. Jean-Martin Folz a indiqué que PSA Peugeot-Citroën distribue ses automobiles par l'intermédiaire de concessionnaires, comme tous les constructeurs partout dans le monde. Il s'agit d'ententes, de concentration verticale, nécessitant une exemption par rapport aux dispositions des traités communautaires. Les constructeurs vivent donc sous l'empire d'un règlement d'exemption.

Celui-ci, arrivé à expiration en 2002, a été renouvelé à l'issue d'un débat animé mais assez confus sur ce que devait être la nouvelle organisation de la distribution automobile. Il existe au sein de l'Union européenne à la fois des disparités très fortes de fiscalité et des disparités, moins fortes, entre les prix hors taxes. La Direction générale de la concurrence considère celles-ci comme suspectes au regard des principes de concurrence. Toute la discussion a par conséquent porté uniquement sur les disparités de prix. La Commission a proposé la suppression de la « clause de localisation » qui permettait à un constructeur de reconnaître à chacun de ses concessionnaires un « territoire d'exclusivité », à l'intérieur duquel le constructeur s'engageait à ne pas installer d'autre concessionnaire. Du fait de cette suppression, n'importe quel concessionnaire peut désormais ouvrir un point de vente n'importe où en Europe. L'objectif de la Commission était de favoriser un alignement des prix vers le bas. Or les constructeurs n'ont pas la capacité d'harmoniser leurs prix en Europe.

Très concrètement, cela va entraîner une harmonisation à la hausse de prix pratiqués dans les pays à faible fiscalité. La Commission européenne y verrait-elle un moyen détourné pour favoriser une harmonisation de la fiscalité ? En tout état de cause, le danger bien réel est celui d'une restructuration à la hussarde des réseaux de concessionnaires. Cette disposition, parée de toutes les vertus de la concurrence, risque d'aboutir à la formation de monopoles régionaux de concessions, même s'il est vrai qu'aucun mouvement significatif n'a encore été observé.

M. Jean-Martin Folz a ensuite souhaité s'exprimer sur l'amende de 49,5 millions d'euros infligée à son groupe par la Commission européenne. Bruxelles reproche en effet à PSA Peugeot-Citroën d'avoir mis en place en 1997 un dispositif promotionnel qui dissuaderait ses concessionnaires néerlandais de vendre des véhicules aux ressortissants non néerlandais, dès lors que les vendeurs doivent délivrer une copie de la carte grise des acheteurs pour toucher leur prime. Ce système a permis à PSA Peugeot-Citroën de faire progresser de 7 à 10,5 % son taux de pénétration aux Pays-Bas. M. Jean-Martin Folz a qualifié cette affaire de très choquante car il n'existe en l'espèce ni faute, ni victime. Tout démocrate est attaché au principe de séparation des pouvoirs, qui représente la meilleure garantie pour la liberté des individus. Or à la Commission européenne, la Direction générale Concurrence est juge et partie, puisqu'elle assure à la fois les fonctions de législateur, de police (avec un important pouvoir d'enquête) et de justice grâce au pouvoir qu'elle a d'infliger des sanctions au moins en première instance. En démocratie, ce cumul est choquant.

En réponse à la question posée par M. Michel Herbillon, M. Jean-Martin Folz a souligné l'importance que représente le marché européen pour son groupe. Avec 16 millions de véhicules vendus, il s'agit d'un marché essentiel dans une stratégie de développement mondial. Aujourd'hui, l'automobile est le produit grand public le plus réglementé qui soit, qu'il s'agisse des normes liées à la sécurité, à l'environnement ou à la distribution. L'Europe s'impose comme une évidence puisque l'outil de production est européen et les véhicules fabriqués sur un territoire sont destinés à l'ensemble du marché de l'Union. En outre, l'euro est incontestablement un facteur bénéfique, puisqu'il protège contre les effets négatifs provoqués par les dévaluations compétitives comme cela a pu être le cas par le passé, avec la lire italienne. Néanmoins, si la plupart des cadres du groupe PSA Peugeot-Citroën sont persuadés des avantages de la construction européenne, une partie du personnel a une vision obscurcie par le débat sur les délocalisations, même si celui-ci n'est pas pertinent pour notre industrie.

MM. André Schneider et Pierre Forgues ont ensuite interrogé M. Jean-Martin Folz sur l'utilisation des biocarburants et, plus globalement, sur le recours aux énergies renouvelables.

En matière de lutte contre l'effet de serre, M. Jean-Martin Folz a distingué les solutions immédiatement disponibles de celles qui le seront à moyen et à long terme. Il existe à l'heure actuelle deux solutions immédiatement disponibles : d'une part, le développement de la motorisation diesel et d'autre part le développement des biocarburants, une option que son groupe soutient sans réserve. C'est en effet le seul moyen de réaliser des progrès avec les moteurs et les carburants d'aujourd'hui. Puis il a évoqué les solutions de demain, qu'il faut encourager, comme le développement des carburants alternatifs, non pas le GPL, potentiellement dangereux, mais le gaz naturel. Il a alors mentionné l'expérience qui vient d'être lancée à Toulouse conjointement avec Gaz de France de voitures fonctionnant au gaz naturel (moteur essence-GNV), et permettant de faire le plein à domicile grâce à la fourniture de compresseurs domestiques. A plus long terme, il a également évoqué le développement des moteurs hybrides qui sont un succès sur le plan technologique, mais qui restent extrêmement coûteux pour un impact énergétique équivalent au passage de l'essence au diesel. Pour cette raison, le développement de l'hybride essence n'est pas viable d'un point de vue économique.

Parmi les solutions de demain, les véhicules équipés d'un système dit « stop and start », qui se caractérise par l'arrêt du moteur juste avant et pendant l'immobilisation du véhicule (aux feux tricolores, dans un embouteillage, etc.), constituent une autre voie. Ils permettent un gain de consommation compris entre 8 et 10 %. La Citroën C3 est équipée de ce système, qui en fait une voiture propre mais pas considérée comme telle par l'administration.

Les solutions d'après demain, ce sont des véhicules hybrides diesel, combinant les avantages du diesel et de l'électricité. Le groupe PSA Peugeot-Citroën présentera des propositions à ce sujet en 2006.

M. Pierre Forgues a remercié M. Jean-Martin Folz pour la clarté de ses propos. Il a estimé que les Européens font preuve d'angélisme par rapport au reste du monde, parce qu'ils cherchent à être les plus vertueux, les meilleurs de la classe. Il a souhaité savoir si le groupe PSA Peugeot-Citroën envisage de construire des usines de déconstruction et de recyclage des véhicules usagés les plus polluants. Il a estimé que les politiques publiques ne peuvent être complètement neutres d'un point de vue technologique : lorsque les pouvoirs publics imposent un pourcentage de matériaux recyclables, par exemple, cela a naturellement un impact sur les technologies employées par les constructeurs automobiles. Les contradictions des politiques menées par l'Union européenne découlent d'un manque de vision globale. Il a enfin interrogé M. Jean-Martin Folz, au nom de M. Guy Lengagne, sur les avantages des biocarburants.

Mme Anne-Marie Comparini a souhaité savoir pourquoi M. Jean-Martin Folz portait un jugement si négatif sur le groupe de travail Cars 21, qui a l'avantage de mener une analyse prospective associant des chefs d'entreprise et des responsables politiques, en vue de renforcer la compétitivité de l'industrie automobile.

Mme Irène Tharin a félicité M. Jean-Martin Folz pour son enthousiasme et pour avoir présenté un bilan de santé aussi positif de l'industrie automobile française, dans un contexte marqué par une certaine morosité. Elle a estimé que cette audition souligne la nécessité pour les élus d'être davantage à l'écoute des préoccupations des industriels.

M. Daniel Garrigue a souligné que l'implantation industrielle de PSA Peugeot-Citroën en Slovaquie est très positive et que, d'une manière générale, il faudrait mettre davantage l'accent sur les bénéfices tirés de la présence de nos entreprises dans les nouveaux Etats membres. Il a interrogé M. Jean-Martin Folz sur les politiques de soutien à l'industrie menées aux Etats-Unis et dans les pays asiatiques, par rapport à celles de l'Union européenne.

En réponse aux différents intervenants, M. Jean-Martin Folz a apporté les précisions suivantes :

- la déconstruction automobile est très réglementée, et les circuits de collecte et de récupération des voitures existent et fonctionnent aujourd'hui très bien, dans de bonnes conditions environnementales et économiques. Il existe deux stades, celui du démontage, durant lequel les métaux précieux et le plomb, par exemple, sont récupérés et recyclés, puis celui du broyage des véhicules, dont les résidus sont utilisés par l'industrie sidérurgique. Un objectif de 90 % de matériaux recyclables est parfaitement légitime, mais les politiques publiques ne devraient pas définir la manière d'y parvenir. De même, la notion de véhicule propre devrait être définie par le taux d'émission de CO2/km, et non en fonction de la technologie employée ;

- l'Union européenne pèche souvent dans les négociations par manque de réalisme et parce qu'elle privilégie le multilatéralisme par rapport au bilatéral. Avec l'Amérique du Sud, par exemple, des négociations potentiellement fructueuses sur l'industrie automobile sont bloquées à cause du dossier agricole ;

- la démarche du groupe de travail Cars 21 est partie sous les meilleures auspices mais se transforme en un véritable « aspirateur à réglementation », dont aucun élément positif ou créatif n'est sorti pour l'instant ;

- le groupe PSA Peugeot-Citroën est de loin le premier producteur de véhicules électriques, avec près de 12 000 voitures vendues. Le développement des voitures électriques reste cependant entravé par leur faible autonomie. Leur rayon d'action, compris entre
80-120 kilomètres, les réserve en effet à une utilisation exclusivement en centre ville (qui peut être très utile, par exemple, pour les véhicules de livraison). L'avenir de la voiture électrique dépend de la recherche en matière électro-chimique sur les batteries, qui devrait réduire à terme le poids nécessaire pour produire un kilowatt ainsi que le temps de recharge des batteries. Le groupe PSA Peugeot-Citroën va cependant arrêter la production de ces véhicules, en raison de la réglementation excessivement contraignante des batteries de nickel cadmium. Les risques de pollution attachés à ces batteries sont pourtant réduits, car elles sont systématiquement recyclées en raison de la valeur marchande des plaques de nickel cadmium qu'elles contiennent ;

- il y a un angélisme certain à ne pas voir ce que d'autres pays font pour leur industrie automobile. Les Etats-Unis ont ainsi accordé des aides d'un montant d'un milliard de dollars à leurs constructeurs automobiles pour développer des véhicules à faible consommation. Le gouvernement japonais soutient également fortement ses constructeurs pour le développement des véhicules fonctionnant avec des piles à combustible. Dans l'Union européenne, les programmes de soutien sont en revanche rares et lacunaires. Le décideur public semble en effet ne pas « aimer » l'automobile, parce qu'il estime que les citoyens n'aiment pas l'industrie automobile, tout en étant très attachés à leur propre véhicule. La voiture reste pourtant un outil fondamental au service de la liberté individuelle, comme le montrent les travaux de l'Institut « Ville en mouvement », présidé par M. Xavier Fels.

Le Président Pierre Lequiller a remercié M. Jean-Martin Folz pour cette audition passionnante, qui a permis aux membres de la Délégation d'être plus conscients des difficultés auxquelles l'industrie automobile est confrontée.