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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 145

Réunion du mercredi 16 novembre 2005 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Barrot, Vice-président de la Commission, chargé des transports, sur la politique européenne des transports et sur les principaux sujets d'actualité européens

Le Président Pierre Lequiller s'est déclaré heureux d'accueillir M. Jacques Barrot devant la Délégation, pour la seconde fois depuis sa nomination. Cette audition est particulièrement intéressante dans la mesure où le secteur des transports est fortement emblématique en Europe. D'une part, parce qu'il s'agit de l'une des politiques communes, comme le précise l'article 70 du Traité. D'autre part, car c'est un domaine dans lequel les citoyens européens peuvent clairement percevoir les avancées de la construction communautaire, mais aussi les obstacles auxquels elle se heurte. Au rang des avancées, il faut évoquer le système Galileo, les textes renforçant les droits des voyageurs et la volonté d'élaborer une liste noire des compagnies aériennes peu sûres. Du côté des difficultés, on peut malheureusement mentionner les retards dans la mise en œuvre d'une politique de sécurité maritime. Néanmoins, dans une période où l'Union européenne cherche un nouveau souffle, il est certain que les transports ont un rôle majeur à jouer, notamment grâce aux grands projets d'infrastructures.

M. Jacques Barrot, Vice-président de la Commission européenne, chargé des transports, a précisé que lors de sa précédente audition par la Délégation, il était en charge de la politique régionale et qu'il intervient donc au titre de la politique des transports pour la première fois devant la Délégation. A cet égard, il faut souligner le rôle de rapporteur de M. Christian Philip, qui est un relais précieux auprès de la Délégation. L'audition d'aujourd'hui donne l'occasion de faire le bilan d'une année d'action, qui a surtout permis de constater que l'échelon communautaire se révèle de plus en plus pertinent en matière de transports.

Avant d'aborder la question du Livre blanc sur les transports, M. Jacques Barrot a souhaité préciser sa conception de la mobilité en Europe et dans le monde.

Il faut, au préalable, souligner que la mobilité des citoyens européens ne cesse de croître. En 1970, ils parcouraient en moyenne 17 kilomètres par jour, contre 35 kilomètres aujourd'hui. De la même façon, le trafic des marchandises entre les Etats membres devrait doubler d'ici 2020. Cette mobilité accrue constitue un atout majeur pour la compétitivité de l'Europe dans le contexte de la mondialisation. Il y a encore quelques années, il existait une forte tentation de déconnecter le taux de croissance des transports de celui du produit intérieur brut, à cause des effets négatifs de la mobilité en matière de pollution ou d'encombrement par exemple. On a heureusement dépassé cette problématique et, aujourd'hui, le développement des transports apparaît compatible avec le développement durable. A partir de ce constat, trois objectifs majeurs peuvent être définis.

En premier lieu, il importe d'actionner tous les leviers de la mobilité pour assurer plus de compétitivité. Le premier levier vise à conforter la dynamique du marché intérieur, c'est-à-dire le renforcement de la mise en concurrence. Cela implique de respecter les échéances dans le domaine du transport ferroviaire, à savoir 2007 pour le fret et 2010 pour le transport de passagers. Cela suppose également d'assurer un cadre clair pour une concurrence équilibrée dans les transports publics, tout en protégeant les obligations de service public, comme le fait la proposition de la Commission sur le projet de règlement communautaire relatif aux services publics de transports de voyageurs par chemin de fer et par route. Cela conduit, en outre, à clarifier les conditions de concurrence entre les ports et à l'intérieur des ports, à encadrer les aides d'Etat aux aéroports régionaux pour le démarrage de nouvelles lignes aériennes et à engager, toujours dans le secteur aérien, une réflexion sur de nouvelles mesures communes portant sur les systèmes de réservation, les créneaux horaires et l'assistance en escale.

Le deuxième levier est lié à l'ouverture sur l'extérieur de notre marché intérieur dynamisé, afin de peser dans la compétition mondiale. C'est tout le sens des négociations sur l'open sky avec les Etats-Unis, relancées au mois de mars 2005, avec l'objectif de parvenir à un accord pour la fin de l'année sur la sécurité aérienne, la concurrence équilibrée, l'accès aux marchés, la propriété et le contrôle des compagnies. Cet accord conclu au niveau européen se substituera aux accords bilatéraux jusqu'alors en vigueur, dans la négociation desquels les Etats-Unis s'étaient souvent trouvés en position de force.

Le troisième levier de l'accroissement de la mobilité et de la compétitivité est la réalisation de nouvelles infrastructures qui irrigueront l'espace européen. Trente projets prioritaires ont été définis au titre des réseaux transeuropéens de transport pour un coût global très élevé de 225 milliards d'euros à l'horizon 2020. Ce sujet devra évidemment être étudié dans le cadre des perspectives financières pour la période 2007-2013. La Commission européenne a proposé une enveloppe de 20 milliards d'euros, c'est-à-dire un quadruplement de la participation de l'Union par rapport à la période 2000-2006. Ces crédits devraient être attribués pour l'essentiel au transport ferroviaire.

Il faut enfin stimuler les solutions alternatives au « tout routier ». Pour ce faire, le « rééquilibrage modal » est une nécessité puisqu'à ce jour, le transport de marchandises en Europe est encore assuré à 87 % par la route, avec un impact évident sur la sécurité et l'environnement. Un instrument essentiel en ce domaine devrait être la directive eurovignette concernant les poids lourds, qui a fait l'objet d'un accord lors du Conseil des ministres des transports le 21 avril 2005 et qui doit permettre à la fois de faire payer le juste prix lié à l'usage de la route et d'apporter le complément de financement nécessaire pour la réalisation d'infrastructures alternatives dans les zones les plus sensibles, notamment les zones montagneuses. Le « rééquilibrage modal » concerne aussi la réalisation des premières « autoroutes de la mer ». Une réflexion devrait également être engagée à partir de 2006 sur l'opportunité de créer des corridors ferroviaires dédiés au fret, comme cela existe aux Etats-Unis. D'ores et déjà, la Commission européenne souhaite aider les opérateurs européens, qui rencontrent tous des difficultés, et elle a accepté les aides publiques attribuées à la SNCF pour réorganiser son fret.

Le deuxième objectif majeur vise à conjuguer la demande de mobilité avec la sécurité et la qualité des transports. Dans le domaine aérien, dès le mois de février 2005, tirant toutes les conséquences de la catastrophe de Charm-el-Cheik, la Commission a voulu garantir le droit pour tout passager d'être informé préalablement au vol de l'identité de son transporteur. Ce matin même, le Parlement européen a voté à une très large majorité l'adoption d'une liste noire européenne des compagnies aériennes, sur la base de critères communs d'interdiction de vol. Dans le prolongement de cette action, la Commission a proposé hier une extension des compétences de l'Agence de sécurité aérienne, afin que désormais toutes les compagnies de pays tiers soient soumises à une certification de cette agence, qui supervisera également les opérations de vol et les licences des pilotes. Il est aussi prévu de lancer le programme SESAR qui renforcera, en liaison avec le programme Galileo, le pilotage automatisé des avions. En matière de sécurité routière, on ne peut se contenter de mettre en avant le principe de subsidiarité lorsque l'on sait que 43 000 personnes meurent chaque année sur les routes de l'Union européenne. Il importe donc de généraliser le permis de conduire infalsifiable, qui fait l'objet d'une proposition toujours en attente de vote, de poursuivre les contrevenants hors frontières, d'accroître la prise en compte de la sécurisation des infrastructures lors de l'attribution des financements, d'améliorer la technologie des véhicules par l'intermédiaire des études menées au sein du groupe Cars 21 et, enfin, d'édicter de nouvelles normes de contrôle pour les poids lourds avec notamment la généralisation au 1er janvier 2006 du chronotachygraphe numérique sur tous les véhicules neufs.

M. Jacques Barrot a ensuite indiqué que la protection de l'environnement était au cœur de son action. Les progrès accomplis en matière de sécurité maritime en sont l'exemple. Après l'adoption des paquets législatifs « Erika I » et « Erika II », un accord a été obtenu au Conseil le 12 juillet 2005 pour imposer des sanctions contre les actes intentionnels et les négligences graves, comme le dégazage en mer. Il a indiqué qu'il proposerait, la semaine prochaine, un paquet « Erika III » avec des propositions législatives relatives aux contrôles dans les ports, au contrôle de la délivrance des pavillons, au contrôle interne des sociétés de classification (qui donnent leur accord à la mise en service d'un navire), au suivi des navires qui entrent dans les eaux communautaires, à la création d'une méthode commune sur les enquêtes en cas d'accident d'ampleur communautaire et au renforcement des obligations de la chaîne de transport maritime en matière d'assurance et de responsabilité.

Dans cet objectif de renforcement de la sécurité, une attention particulière est portée aux professionnels du transport. Ainsi, un projet de législation européenne vise à limiter à 56 heures le temps de conduite hebdomadaire des chauffeurs routiers, au lieu de 74 heures actuellement, et à prévoir 45 heures de repos consécutives toutes les deux semaines. Certains Etats membres devront en conséquence modifier leur législation. De même, M. Jacques Barrot a indiqué qu'il œuvrait pour concrétiser des systèmes européens relatifs à la licence des conducteurs de trains, aux personnels de navigation maritime et aux contrôleurs de navigation aérienne et aux pilotes. Il convient de souligner que ces différents textes conduisent à une harmonisation sociale et peuvent être adoptés par le Conseil à la majorité qualifiée car ils concernent aussi la sécurité des transports.

L'amélioration de la qualité des transports passe également par le renforcement des droits des passagers dans le transport aérien. Ainsi, la proposition de règlement concernant les droits des personnes à mobilité réduite lorsqu'elles font des voyages aériens interdira aux opérateurs de refuser la réservation ou l'embarquement d'une personne en raison de son handicap, et permettra aux personnes à mobilité réduite de bénéficier d'une assistance gratuite dans les aéroports.

M. Jacques Barrot a ensuite souligné que le développement de l'innovation technologique était le troisième objectif de son action. L'excellence technologique est totalement liée à la compétitivité et à la sécurité. Elle stimule les industriels européens (télécommunications, espace, électronique...) et ouvre des marchés extérieurs considérables. Trois exemples peuvent être cités. L'ERTMS («European Rail Traffic Management System») permettra d'uniformiser les systèmes de contrôle de la vitesse ferroviaire. Les arrêts aux frontières nécessaires pour changer de système de contrôle pourront être évités, ce qui renforcera le secteur ferroviaire. Dans le domaine aérien, le système SESAR déjà évoqué permettra une modernisation de la gestion du trafic dans le ciel européen. Enfin, Galileo, le nouveau système de radionavigation par satellite, est actuellement le premier grand projet industriel de l'Europe. Il aura des retombées extrêmement positives et des applications très nombreuses, par exemple en matière de guidage, de secours, de prévisions météorologiques. Galileo est également un puissant vecteur de coopération internationale. La Chine, Israël, l'Ukraine et l'Inde ont adhéré au projet. Le premier satellite expérimental sera lancé à la fin de l'année.

M. Jacques Barrot a ensuite abordé la question de la révision du Livre Blanc de 2001 sur les transports. La Commission devrait en effet adopter une communication sur cette révision dans les premiers mois de 2006. Une consultation sur l'internet a été organisée et une conférence aura lieu à Bruxelles le 1er décembre prochain. Trois priorités devront guider la révision du Livre Blanc. En premier lieu, la mobilité doit être affirmée comme condition essentielle de la compétitivité européenne. Ensuite, les effets négatifs de la croissance des transports doivent être maîtrisés, en privilégiant les modes de transport les plus respectueux de notre environnement. Enfin, la sécurité de tous les modes de transport doit être consolidée.

Une série de défis doit être relevée. Il s'agit tout d'abord du défi du transfert modal et de l'intermodalité, puis du défi de la logistique, qui amène les entreprises à ne plus considérer les transports simplement comme un facteur de coût mais comme un rouage stratégique du processus de production et par conséquent un atout de compétitivité majeur. M. Jacques Barrot a indiqué qu'il se penchera sur ce thème avec la présidence finlandaise de l'Union, durant le deuxième semestre 2006, de façon à profiter de l'expérience de ce pays, notamment en raison du savoir-faire de Nokia. Il a noté que la Commission travaillerait sur les transports toute l'année 2006 en collaboration avec les ministres des transports autrichien et finlandais, dont les gouvernements assureront successivement la présidence de l'Union. Un autre défi concerne les technologies de l'information et de la communication et la perspective d'une plate-forme universelle embarquée. Le défi de la recherche des solutions alternatives énergétiques doit également être relevé, les transports, surtout routiers, étant consommateurs d'énergie et polluants. Un projet européen sur les biocarburants serait souhaitable. Le défi de la sécurité, et particulièrement de la sécurité routière revêt une importance capitale. M. Jacques Barrot a rappelé au sujet de la proposition de directive relative au permis de conduire que le Parlement européen s'était prononcé en faveur de permis pour les cyclomoteurs et de la progressivité des permis pour les motos. Enfin, l'Union doit répondre au défi de l'encombrement urbain. L'initiative CIVITAS met en compétition les principales villes européennes sur ce thème.

En conclusion, M. Jacques Barrot a estimé que l'Europe était un niveau pertinent pour la politique des transports, sans court-circuiter pour autant les politiques des Etats membres, qui sont essentielles. Il convient de rechercher une articulation entre le niveau européen et le niveau national. L'élargissement de l'Union impose la mise en œuvre de grands couloirs transeuropéens car la mobilité est un facteur essentiel de compétitivité. Sans la réussite de grands réseaux transeuropéens de transports, par exemple dans les Alpes avec l'axe Nord-Sud par le Brenner, l'axe Lyon-Budapest par le col du Mont-Cenis, ainsi que dans les Pyrénées, l'Europe ne pourra tirer tous les bénéfices du grand marché.

Le Président Pierre Lequiller a remercié M. Jacques Barrot, constatant qu'il était intéressant de voir quelles améliorations rapides et concrètes ont été introduites depuis qu'il est en charge des transports. Le permis de conduire européen, qu'il s'agisse des voitures ou des motos, est une mesure qui parle aux citoyens. La politique des transports est l'un des moyens d'améliorer l'image de l'Europe, en faisant progresser la mobilité.

M. Christian Philip a interrogé M. Jacques Barrot sur les trois sujets suivants :

S'agissant du projet de règlement sur les obligations de service public dans les transports publics locaux, sur lequel M. Christian Philip présentera prochainement un rapport à la Délégation, la proposition révisée reçoit un accueil largement positif, mais soulève deux problèmes : la définition de la frontière entre transport public régional et transport public urbain, et la question du statut de la RATP.

Sur le projet relatif aux services portuaires, d'une part, où en est l'étude d'impact qui avait été demandée à la Commission ? Et d'autre part, comme le texte prévoit que les lignes directrices en matière d'aides d'Etat aux ports seront adoptées dans les douze mois qui suivront l'entrée en vigueur de la directive, beaucoup craignent que les règles du jeu ne soient fixées qu'après l'adoption de la directive.

Concernant l'éventualité d'une extension des pouvoirs de l'Agence européenne de la sécurité aérienne, est-il question de lui confier le contrôle des qualifications et des licences des pilotes ? Il y a là un double problème : au regard du principe de subsidiarité, s'il appartient sans doute à l'Union européenne de s'assurer qu'un tel contrôle existe, ce contrôle ne doit-il pas relever plutôt des autorités nationales ? Par ailleurs, le développement des agences, nombreuses dans le secteur des transports, n'est-il pas une forme de démembrement de l'administration communautaire ? La Direction Générale des Transports de la Commission veille-t-elle à exercer les compétences qui sont les siennes, et y a-t-il une philosophie des agences ?

M. Marc Laffineur a évoqué les cinq thèmes suivants :

Pour les "autoroutes de la mer", la sécurité et la surveillance seront-elles assurées ? La France étant particulièrement concernée par les risques d'accidents, il importe qu'il y ait une volonté réelle en ce sens.

Concernant l'eurovignette, tous les poids lourds seront-ils taxés, et à qui les fonds ainsi récoltés bénéficieront-ils ?

En matière d'environnement, étant donnée la concentration considérable du trafic routier et ferroviaire en Europe, l'Union européenne doit rechercher des solutions alternatives au niveau des moteurs et des combustibles. Il est à noter qu'en comparaison, le Canada est nettement en avance sur l'Europe dans ces recherches et est demandeur pour conclure des accords en la matière.

S'agissant du budget européen, existe-t-il une chance d'aboutir à un accord sur les perspectives financières, et la présidence britannique manifeste-t-elle une réelle volonté d'en obtenir un ? La présidence se trouve dans une position difficile puisqu'elle porte la responsabilité de l'échec du dernier Conseil européen. La France se trouve encore sous le choc du résultat du référendum ; y a-t-il une véritable volonté de faire repartir l'Europe ? Il semble qu'aujourd'hui, dans l'opinion publique française, le scepticisme à l'égard de l'Europe soit encore plus grand qu'au moment du référendum.

Enfin, des négociations sont en cours dans le cadre de l'OMC. Va-t-on aboutir à un accord ? Ces négociations sont d'une très grande importance, pour des centaines de milliers d'emplois, pour l'agriculture mais aussi pour l'industrie.

M. Jacques Barrot, Vice-président de la Commission européenne, chargé des transports, a apporté les précisions suivantes :

- les transports publics urbains seront obligatoirement soumis à la concurrence, sauf si une collectivité décide d'organiser elle-même ses services de transport. Si elle a recours à la concession, la mise en concurrence sera obligatoire. En revanche, ce système n'a pas été retenu pour le transport public régional. Il faudra laisser jouer la subsidiarité pour tracer la frontière ;

- le Parlement européen a fait du bon travail sur les services portuaires, le projet de directive sera probablement très raisonnable et n'autorisera notamment pas l'auto-assistance (c'est-à-dire le déchargement des cargaisons par le personnel des navires à la place du personnel portuaire). Il faut que les lignes directrices en matière d'aides d'Etat ne soient pas écrites après la directive mais en même temps ;

- l'Agence européenne de la sécurité aérienne sera chargée de certifier les compagnies des pays tiers opérant en Europe, de contrôler la certification des pilotes, et de surveiller les opérations de vol. Mais tout cela se fera en coopération avec les services nationaux de l'aviation civile. Le respect de la subsidiarité ne doit pas impliquer un trop grand cloisonnement du ciel européen. Il faut sortir de la situation actuelle de désordre. L'Agence permettra cela, mais elle aura moins à effectuer un contrôle direct qu'à contrôler les contrôleurs. C'est particulièrement nécessaire pour les nouveaux Etats membres, dont les administrations sont loin d'avoir l'expérience de la DGAC française ou de l'administration britannique. La "liste noire" des compagnies aériennes ne sera pas publiée par l'Agence mais par la Commission. La responsabilité politique demeure à la Commission ;

- les autoroutes de la mer ne seront une alternative crédible pour désengorger les réseaux routiers que si les Etats membres désignent effectivement les ports susceptibles d'y être intégrés. La France devra ainsi choisir un port sur la côte atlantique, et un autre en Méditerranée ; une taille critique sera indispensable pour garantir un service quotidien aux futurs usagers ;

- s'agissant de la sécurité maritime, un paquet « Erika III » présenté dans quelques jours par la Commission permettra d'assurer un contrôle très rigoureux sur la chaîne des responsabilités. Des négociations sont également en cours avec la Russie pour que cessent des pratiques contraires à la réglementation européenne. Rien ne sert en effet d'affirmer que seuls des navires à double coque peuvent circuler dans l'espace maritime européen si des pays tiers ne respectent pas les règles ;

- afin d'encourager les solutions alternatives aux moteurs actuels fortement consommateurs de CO², M. Jacques Barrot a dit réfléchir à la possibilité de prévoir, pour les marchés publics passés par les collectivités, l'obligation d'achat d'un tiers de véhicules propres. Aucune décision n'est prise et il ne s'agit à ce stade que d'une piste de réflexion parmi d'autres ; mais en tout état de cause, des mesures ambitieuses devront le moment venu être prises dans ce domaine ;

- la négociation sur le budget européen est un test décisif sur l'état de santé de l'Union. A la question de savoir quelles sont les chances d'aboutir, M. Jacques Barrot a fait état de la pression actuellement exercée par les nouveaux Etats membres sur la présidence britannique. L'accès aux fonds de cohésion - qui se sont révélés par le passé décisifs pour le développement économique de pays comme la Grèce, l'Espagne, le Portugal ou l'Irlande - est essentiel pour les nouveaux pays membres, qui ne comprendraient pas que la présidence en exercice ne saisisse pas les chances d'un accord. Alors que le « rabais » britannique augmente au fur et à mesure de l'accroissement des dépenses de l'Union, il est paradoxal que le Royaume-Uni ne prenne pas sa part à la solidarité européenne, alors pourtant qu'il finance les Etats au stade de leur pré-adhésion. Mais il existe encore outre-Manche un certain nombre de responsables politiques très attachés au seuil de 1 % du PNB, une hypothèse que rejette le Parlement européen. M. Jacques Barrot a plaidé en faveur d'un accord sur le budget, qui est avant tout un budget d'investissement encourageant les Etats membres à réaliser des investissements d'avenir qu'ils ne feraient probablement pas sans la « contrainte » européenne ;

- les négociations en cours au sein de l'Organisation mondiale du commerce se déroulent dans le cadre d'un mandat qui ne permet pas d'aller au-delà des assouplissements strictement prévus par la politique agricole commune, ce dont le commissaire Peter Mandelson a parfaitement conscience. L'Union européenne n'aura pas à se sentir responsable d'un éventuel échec ; le comportement particulièrement offensif des pays émergents conduits par le Brésil, contre les intérêts des pays moins développés, doit décomplexer les Européens.

M. Bernard Deflesselles a rappelé qu'il y a autant de tués sur la route aux Etats-Unis (290 millions d'habitants) que dans l'Union européenne (460 millions d'habitants). Si des progrès doivent encore naturellement être accomplis, il a tenu à saluer la politique française et européenne de lutte contre l'insécurité routière. Il a ensuite demandé à M. Jacques Barrot des précisions sur le quadruplement annoncé des fonds qui devraient être alloués aux réseaux ferroviaires à grande vitesse. S'exprimant enfin sur les efforts considérables entrepris par l'Europe en matière de sécurité maritime, il s'est félicité de l'existence du futur paquet « Erika III » mais a souligné les difficultés observées s'agissant de l'application de la réglementation européenne par les Etats membres, notamment Chypre, Malte et la Grèce. Il s'est par ailleurs déclaré préoccupé par la décision du Tribunal de Brest qui rend impossible les poursuites dans le pays où l'infraction a été commise si des poursuites ont déjà été engagées dans l'Etat abritant le pavillon. Or, ce biais juridique trouvé par les armateurs et capitaines indélicats risque sérieusement de porter atteinte à la bonne application des sanctions prévues.

Le Président Pierre Lequiller a rejoint l'analyse du commissaire sur l'irritation que suscite la position britannique sur le budget auprès des nouveaux Etats membres. Ce sentiment a été exprimé à Prague lors de la réunion commune que vient de tenir la Délégation pour l'Union européenne avec la Commission pour les affaires européennes de la Chambre des députés de la République tchèque.

M. Michel Herbillon a d'abord rappelé que le secteur des transports, dont de nombreuses composantes influent sur la vie quotidienne, tels notamment les projets Galileo, pour le guidage ou la météorologie, et les autoroutes de la mer, intéresse particulièrement la Délégation pour l'Union européenne, attachée à une Europe qui ne reste pas confinée dans les cercles d'initiés ou d'experts. Il a donc souhaité connaître le bilan de l'initiative de M. Jacques Barrot qui s'était déplacé dans un aéroport pour expliquer aux passagers les enjeux des mesures récemment intervenues en leur faveur et prévoyant une indemnisation en cas de surréservation ou de retard, et souhaité savoir si d'autres domaines d'intervention feraient prochainement l'objet d'une telle action.

En réponse, M. Jacques Barrot a fait part des éléments suivants :

- en matière de sécurité routière, effectivement, certains Etats membres parmi lesquels la France obtiennent des résultats substantiels. Il faut donc tenir compte des évolutions et spécificités de chacun d'entre eux, en évitant de demander à l'échelon européen de faire plus qu'il ne peut. Certaines questions telles que la limitation de vitesse sont délicates à aborder pour certains Etats membres ;

- la question de l'Etat membre compétent pour les infractions maritimes devra être in fine tranchée au niveau de la Cour de Justice des Communautés européennes, et il semble difficile, comme le laisse penser la décision évoquée du tribunal de Brest, que l'on s'en remette aux trois Etats membres qui ont les pavillons les plus importants pour la mise en œuvre des règles communautaires ;

- la popularisation de l'Europe est un enjeu essentiel. Les mesures prises à son niveau doivent s'efforcer d'être lisibles et il faut éviter de légiférer lorsque ce n'est pas pertinent. Une mesure telle que la protection contre la surréservation contribue à la création d'une citoyenneté européenne et il convient de veiller à son application. Le bilan du renforcement des droits des passagers est positif, mais il ne faut pas oublier que l'instruction des plaintes relève des Etats membres.

Après avoir indiqué qu'il partageait l'approche exposée par M. Jacques Barrot en matière de transports à l'échelon communautaire, M. Pierre Forgues a souhaité que la traversée centrale des Pyrénées, qui fait partie des RTE, fasse l'objet de progrès concrets, de manière à ne pas décevoir notamment les attentes de l'Espagne. Quelque 18 000 poids lourds traversent quotidiennement les Pyrénées par les deux principaux points de passage, et les vallées jusque-là préservées commencent également à faire l'objet de transits routiers. Il est urgent d'agir compte tenu des perspectives annoncées d'un doublement du trafic à l'horizon 2020 et de l'importance de l'axe qui part de Rotterdam vers le Sud. L'Etat et les instances européennes doivent soutenir le projet. Un nouveau tracé est en cours d'étude et leur sera proposé.

S'agissant du TGV, il faut rappeler l'importance de la liaison entre l'Atlantique et la Méditerranée par Bordeaux, Toulouse et Narbonne, avec une connexion vers Perpignan, liaison qui n'est malheureusement pas classée dans les RTE. Sa défense au niveau communautaire par le commissaire chargé des transports s'impose pourtant.

En ce qui concerne la sécurité, les mesures annoncées sont pertinentes, mais il conviendrait également de prévoir des interventions sur les infrastructures ferroviaires des réseaux régionaux, dont l'état est dégradé et qui constituent pourtant un élément important de la maîtrise des risques. Comme l'a montré l'examen de la proposition de directive sur les dessins et modèles à propos des pièces détachées automobiles, la sécurité ne se conçoit que d'une manière globale.

Pour ce qui concerne enfin l'ouverture à la concurrence, on ne peut être que sceptique sur l'intérêt d'une telle opération pour les réseaux de transports locaux, urbains et régionaux, qui sont déficitaires et dont les recettes ne couvrent au mieux que 25% des charges. Leur exploitation ne peut intéresser le secteur privé qu'en contrepartie de subventions.

M. Jacques Myard a estimé que l'intervention de l'Union européenne en matière de transports est justifiée, compte tenu de l'aspect transfrontalier de ce secteur. Le poids de l'idéologie communautaire s'y fait cependant sentir et conduit la Commission à n'aborder ce secteur que sous l'angle de la concurrence. Cette logique fragilise des entreprises qui fonctionnent pourtant bien, comme la SNCF. Il doit y avoir des limites à l'ouverture totale à la concurrence dans les domaines ferroviaire comme aérien, afin de tenir compte notamment des impératifs de sécurité. En matière de sécurité routière, de nouvelles normes techniques ont été adoptées pour les feux tricolores sous la pression des industriels. Elles ont obligé toutes les communes à changer leurs feux, au prix d'investissements considérables.

M. Jacques Myard a également interrogé M. Jacques Barrot au sujet de l'indépendance réelle de Galileo face aux Américains, qu'il a mise en doute, ainsi que sur le contrôle exercé par les Etats-Unis sur internet. Il a souhaité savoir pourquoi des sociétés privées ne sont pas créées pour lever les capitaux nécessaires à la construction des grandes liaisons transeuropéennes, comme cela a été fait pour la liaison transmanche.

M. André Schneider a souligné que les transports et l'énergie entretiennent des liens étroits et a souhaité connaître la position de la Commission au sujet des bioénergies, en particulier en matière de transports. Il a également interrogé M. Jacques Barrot sur la desserte ferroviaire de Strasbourg.

Mme Arlette Franco a indiqué que l'Europe des transports devrait permettre de convaincre les Français que l'Union européenne est utile et qu'elle améliore leur quotidien. Elle a souhaité savoir comment l'Europe du Sud s'organisera en matière de transports dans le cadre euro-méditerranéen, et en particulier comment s'articuleront les autoroutes de la mer et le transport du fret par voie ferroviaire. Elle a estimé que les concessions accordées par la France à l'Espagne au sujet de la ligne électrique à très haute tension (THT) devraient s'accompagner de contreparties importantes en matière de transports.

M. Jean Proriol a souhaité savoir si le projet d'une liaison à grande vitesse transversale Alpes-Atlantique, soutenu par l'association logistique transport Ouest (ALTRO) et par le conseil économique et social de la région Auvergne, est susceptible de se concrétiser.

M. Jérôme Lambert a repris l'un des propos de M. Jacques Barrot, soulignant la volonté de la Commission d'assurer une concurrence équitable entre les divers modes de transports, et a précisé qu'il faudrait plutôt définir des choix et des priorités, afin d'éviter que tous les modes de transports ne se concurrencent.

M. Jacques Barrot, Vice-président de la Commission, chargé des transports, a fourni les réponses suivantes :

- il s'est déclaré très engagé sur l'axe central pyrénéen qui l'amènera à rencontrer les autorités compétentes en Aragon au premier trimestre 2006 et a considéré que les négligences dont la France a fait preuve pendant trop longtemps à l'égard de ses communications ferroviaires avec l'Espagne et le Portugal ne lui avaient pas permis de tirer tout le profit possible de l'essor de la péninsule ibérique. Le Président de la Commission a par ailleurs demandé un examen du financement des réseaux de transport non seulement ferroviaires mais aussi d'énergie. Il faut cependant constater les progrès de la ligne Perpignan-Figueras dont les travaux sont bien avancés. La liaison de l'autre côté des Pyrénées, partant de Tours à Bordeaux pour traverser le pays basque et rejoindre l'Espagne, constitue également une priorité ;

- les deux transversales Bordeaux-Limoges-Clermont-Ferrand-Lyon et Bordeaux-Toulouse-Perpignan ont un caractère national et ne relèvent pas du réseau de transport européen, tel qu'il a été défini dans le premier programme bénéficiant d'un budget considérable de 225 milliards d'euros. Cela ne signifie pas qu'elles ne seront pas inscrites dans le futur deuxième programme qui sera soumis à la réflexion des gouvernements nationaux ;

- la participation de fonds privés est une formule possible pour certains axes bénéficiant d'une certaine rentabilité, comme le montre la liaison Perpignan-Figueras. M. Jacques Barrot a fait adopter un instrument de garantie en cas de partenariat public-privé, géré par la Banque européenne d'investissement, afin d'assurer dans les premières années de mise en service une rémunération minimale aux capitaux privés et de rendre le projet attractif. Le TGV est une technologie tellement maîtrisée que l'Europe a intérêt à développer ces transversales qui répondent à ses besoins et elle devrait à cette fin recourir à ces nouveaux systèmes de financement ;

- la mise en sécurité du réseau ferroviaire relève des Etats membres et non du budget européen qui ne peut pas tout faire et doit consacrer ses ressources aux lignes transfrontalières ;

- la concurrence n'est pas une fin en soi et doit être régulée, comme l'a montré l'exemple du Royaume-Uni qui n'a pas seulement mis en concurrence des entreprises mais a privatisé des lignes et est revenu de ces excès. Un régulateur y attribue des sillons ferroviaires qui permettent la concurrence entre entreprises. La France, qui est réservée à l'égard de la concurrence, devrait pourtant prendre en considération les résultats d'une entreprise française comme la Connex, filiale de Veolia et de la Caisse des dépôts et consignations, qui gère notamment le tiers des autobus de Londres et la totalité de ceux de Sydney ;

- la RATP devra choisir entre rester un service sous l'autorité concédante de la région Ile-de-France assumant une autoproduction excluant d'aller chercher des marchés ailleurs, ou pratiquer la concurrence à l'extérieur et reconnaître chez soi sa propre mise en concurrence. A M. Jacques Myard critiquant une vision idéologique ne tenant pas compte de la possibilité de créer une société distincte, M. Jacques Barrot a répondu que des filiales de la RATP vont concurrencer les entreprises étrangères sur leurs marchés et que la RATP disposera de temps pour faire son choix. Mais il ne serait pas possible en Europe de garder le monopole chez nous et de profiter de la concurrence chez les autres ;

- il faut constater et reconnaître que les pays qui, comme l'Allemagne, ont accepté une concurrence ferroviaire régulée ont vu leur fret ferroviaire regagner des parts de marché parce que les compagnies en concurrence sur le fret sont sans doute plus attentives aux besoins des clients ;

- il ne faut pas changer de normes constamment mais constater que des normes standards rendent les marchés plus intéressants. Le Royaume-Uni, réticent au départ sur Galileo, se réjouit désormais de l'accord avec les Etats-Unis sur le respect de son signal. Cette belle aventure européenne qui va être rejointe par la Chine, l'Inde et Israël, connaît encore de petites dissensions entre Etats membres sur les organes chargés de la maîtrise des satellites, mais elle entrera en première application en 2008 et en pleine application en 2010 ;

- il faut que progressivement la régulation mondiale de l'internet échappe aux Etats-Unis et que l'Union européenne n'oublie pas qu'elle a une influence beaucoup plus grande dans les organisations internationales lorsqu'elle parle d'une seule voix ;

- le RTE comprend le TGV Est qui est une priorité à condition que le budget de l'Union européenne reste convenable ;

- la nécessité de relancer le partenariat euro-méditerranéen, dont le bilan est mitigé à son dixième anniversaire, a conduit M. Jacques Barrot à demander à Mme Loyola de Palacio d'étudier la prolongation du RTE au sud grâce à un franchissement ferroviaire du détroit de Gibraltar pour établir une liaison jusqu'à Rabat ainsi que sur la rive sud de la Méditerranée, à échéance de vingt-cinq ans ;

- les vingt prochaines années vont être marquées par des progrès du train à grande vitesse aussi importants que ceux de la révolution du transport ferroviaire à la fin du XIXème siècle. La grande vitesse redonnera la priorité au ferroviaire et les Etats membres devront construire des infrastructures, comme l'a compris l'Espagne avec son projet de réseau à grande vitesse. Le coût du pétrole sera également un facteur qui amènera l'Europe à se déplacer en avion pour les grandes liaisons avec les pays tiers, mais à circuler en TGV sur son territoire.

Le Président Pierre Lequiller a remercié M. Jacques Barrot pour la précision de ses réponses et lui a exprimé la fierté de notre pays pour le travail accompli en sa qualité de commissaire européen.