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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 147

Réunion du mercredi 23 novembre 2005 à 17 heures

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Audition, ouverte à la presse, de Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur, sur les négociations en cours à l'Organisation mondiale du commerce (OMC)

Le Président Pierre Lequiller a remercié la ministre de sa venue, qui permettra d'apporter aux membres de la Délégation un éclairage sur les négociations à l'OMC. Ces discussions ont en effet une importance capitale pour les intérêts économiques de la France et de l'Europe.

Les informations et les rumeurs concernant la Conférence ministérielle de Hong-Kong, la prochaine étape clef des négociations multilatérales, peuvent nous inquiéter. En effet, l'un des principes politiques fondateurs de la construction européenne, qui garantit notre autosuffisance alimentaire, joue, depuis plusieurs semaines, son avenir.

Il semble que les jeux soient faits, avec la surenchère pratiquée par le Brésil, qui ne veut parler que d'agriculture, par les Etats-Unis, qui, à ce stade, jouent le jeu du Brésil pour nous isoler, et par le commissaire Peter Mandelson, qui, après une première offre, le 11 octobre dernier, a renchéri, avec la nouvelle offre du 28 octobre.

Comme vous le savez, à l'OMC, tout mouvement qui se fait sans contrepartie est immédiatement empoché. A cet égard, nous notons que l'offre de l'Union européenne est conditionnelle, comme l'a affirmé à plusieurs reprises le commissaire Mandelson.

En outre, certaines analyses techniques du ministère de l'agriculture tendent à démontrer qu'en raison des initiatives de la Commission, nous ne disposons plus de marges de manœuvre pour accorder des concessions agricoles : l'Europe ne pourrait plus assurer la préférence communautaire pour cinq productions, la viande bovine, le beurre, la volaille, le sucre et les tomates.

Dans ce contexte, le Président Pierre Lequiller a souhaité que la ministre indique à la Délégation :

- si la Commission, comme elle s'est engagée devant le Conseil du 18 octobre 2005, a apporté la démonstration technique que ses propositions restent dans les limites de son mandat ;

- s'il est clair pour la Commission que tout accord, même partiel, doit être soumis à l'approbation unanime du Conseil comme l'a reconnu, en mars dernier, l'avis du service juridique de ce dernier ;

- si l'Europe reste suffisamment unie, en exigeant des progrès sur les trois plans suivants : l'équilibre entre tous les sujets inscrits à l'ordre du jour (agriculture, tarifs industriels, services, indications géographiques et développement), l'équilibre entre les trois piliers de la négociation agricole (accès au marché, aides internes, subventions à l'exportation) et, enfin, au sein de ce dernier pilier, l'équilibre du traitement de toutes les formes de subventions aux exportations ;

- si la Conférence de Hong-Kong n'adoptera finalement qu'un paquet minimal sur les pays en développement, compte tenu des trop grandes divergences subsistant entre les membres de l'OMC sur les autres sujets.

Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur, a évoqué une mission récente effectuée en Afrique, qui l'a conduite à Nairobi. Dans cette capitale, elle a rencontré un entrepreneur indien fabriquant des génériques qui a souhaité, avec beaucoup de force, que le cycle de Doha réussisse : c'est la condition essentielle pour que riches et pauvres puissent mieux vivre ensemble.

Ces propos sont rappelés ici, car ils portent sur l'un des enjeux majeurs du cycle, auquel la France est naturellement attachée. Sans développement, il ne peut y avoir de sécurité aux frontières. Or il est évident que les négociations entamées à Doha peuvent y contribuer, en libéralisant de manière maîtrisée les échanges.

Mais Doha n'est pas seulement un cycle pour le développement : ce doit être aussi une opportunité offerte à nos industriels et fournisseurs de services, qui, dans ces domaines, occupent un rang mondial et ont des parts de marché à conquérir.

Si ce double aspect, levier pour le développement et source de croissance, est bien pris en compte, cela conduira à la réussite du cycle.

La ministre a abordé en premier lieu le champ de la négociation, qui couvre quatre grandes catégories de sujets.

Il faut commencer par l'agriculture, qui mobilise beaucoup les négociateurs. Mais à côté de ces discussions, d'autres négociations, capitales pour nos entreprises, ont été ouvertes, sur l'accès au marché pour les produits industriels, c'est-à-dire sur la réduction des droits de douane appliquée à ces biens, ainsi que sur la libéralisation du commerce des services. Ces deux sujets concentrent les intérêts offensifs de l'Europe et ne doivent pas être cachés sous la forêt des négociations agricoles.

Enfin, les autres sujets inscrits à l'ordre du jour recouvrent le développement, l'amélioration des règles existantes de l'OMC, le lien entre le commerce et l'environnement et certains aspects relatifs à la propriété intellectuelle.

Chaque sujet donne lieu à des discussions dans des groupes spécialisés, dotés d'un président. Bien entendu, pour les décisions formelles, seule la Conférence ministérielle, réunissant tous les membres de l'OMC, a le pouvoir d'engager l'ensemble des pays participants. Toutefois, de nombreuses discussions ont lieu au sein de groupes informels, plus restreints, qui préparent, en quelque sorte, le terrain pour d'éventuels accords : les « chambres vertes », comprenant plusieurs dizaines de membres, puis le G5 ou les Five Interested Parties, regroupant 5 partenaires clefs, l'Union européenne, l'Inde, le Brésil, le Japon et les Etats-Unis, puis, enfin, le G4, soit ces derniers moins le Japon ou le G6, c'est-à-dire le G5, auquel s'ajoute l'Australie.

S'agissant du « pilier » agricole de la négociation, celui-ci se divise en trois volets.

Premièrement, des négociations sont engagées pour baisser les soutiens internes avec des effets « distorsifs » pour le commerce mondial, car ceux-ci sont couplés à la production et aux prix. C'est pourquoi l'Europe a réformé en 2003 la PAC, en optant pour le découplage qui sécurise ainsi, à l'OMC, les aides à nos agriculteurs. On rappellera que cette grande évolution sera mise en œuvre en France à partir du 1er janvier 2006.

Il est vrai que l'opportunité d'adopter une telle réforme, avant la conclusion du cycle, a été discutée. Il est incontestable que l'Europe a fait son travail en avance, alors que les autres grands partenaires, comme dans une partie de poker, bluffent, c'est le cas du Brésil, passent leur tour, c'est le cas de l'Inde ou mettent très peu sur la table, c'est le cas des Etats-Unis.

On ne peut que constater ce fait : l'Europe a bougé, et rien n'est venu. Cela conduit légitimement à s'interroger sur la tactique de la Commission européenne.

Deuxièmement, les membres de l'OMC se sont mis d'accord, le 1er août 2004, pour supprimer les subventions aux exportations. Cela fait suite à une concession européenne, préparée par l'ancienne Commission, qui en se déclarant prête à supprimer les restitutions européennes, sous conditions, a facilité la négociation de l'accord-cadre de l'été 2004. Ce mouvement de l'Europe a été important, car il a permis le démarrage effectif des négociations enlisées depuis 2001 dans « les discussions sur les objectifs de la discussion ».

Cet accord obligera les Etats-Unis à renoncer à leurs crédits à l'exportation, ainsi qu'à l'utilisation détournée de leur aide alimentaire, en vue d'écouler leurs excédents agricoles. La Commission y veille, en le rappelant à son partenaire américain. Mais force est de constater que depuis l'accord-cadre de l'été 2004, les Etats-Unis font tout pour esquiver des discussions sérieuses sur les disciplines qui permettraient d'éliminer leurs propres subventions aux exportations.

Par ailleurs, il y a lieu de noter qu'aucune date n'a été fixée, par ce compromis, pour supprimer ces subventions, un point qui est reproché à l'Europe, notamment par la présidence britannique de l'Union, qui aime évoquer la date butoir de 2010. Il est évident que toute concession prématurée sur ce sujet ne serait pas acceptable.

Troisièmement, la négociation agricole porte sur l'accès au marché, c'est-à-dire sur les droits de douane applicables aux produits agricoles. Les discussions les plus difficiles ont lieu sur ce sujet, avec le problème que pose l'offre européenne du 28 octobre, jugée insuffisante par nos partenaires.

Il est probable que la Commission est allée un peu trop loin ou au moins jusqu'au taquet constitué par les concessions qu'autorise la PAC réformée. Des discussions ont lieu entre les experts de la France et de la Commission pour déterminer, de manière précise, si la Commission a franchi les limites du « compte en banque » que sont les réformes de la PAC de 1999 et de 2003.

Pour autant, il y lieu de souligner que, quand bien même la Commission aurait franchi cette limite pour les cinq productions précitées, ses propositions restent contestées par ses partenaires, qui les considèrent comme étant trop en deçà des efforts nécessaires pour libéraliser le commerce agricole. Ainsi, la Commission propose de limiter à 8 % des lignes tarifaires le nombre de produits agricoles classés comme « sensibles », c'est-à-dire bénéficiant d'une réduction des droits de douane moins élevée par rapport à celle appliquée aux autres produits agricoles.

C'est là une marge de manœuvre importante qu'il faut préserver. Or, il faut savoir que nos partenaires voudraient limiter ce pourcentage à 1 % des lignes tarifaires.

En ce qui concerne le volet développement de la négociation, plusieurs sujets sont à l'ordre du jour.

D'abord, l'Europe propose que les autres pays développés et certains pays émergents adoptent à l'égard des pays les moins avancés (PMA) des mesures équivalentes à sa grande initiative « Tout sauf les armes ». Celle-ci permet un accès sans droits de douane pour les exportations de ce pays, les plus pauvres de la planète, moins les armes et les munitions.

Ensuite, les règles de l'OMC concernant le traitement spécial et différencié réservé en faveur des pays en développement doivent être améliorées. Il s'agit d'un volet important des négociations, car, l'Europe, sous le couvert de ces discussions, tente d'introduire un plus grande différenciation entre les pays en développement : à côté des PMA, qui forment une catégorie bien identifiée à l'OMC car reconnue par l'ONU, l'OMC reconnaît le groupe, trop vaste, des pays en développement, qui englobe donc des pays pauvres, enclavés ou faiblement peuplés, au niveau de vie proche des PMA, et des pays émergents, très compétitifs, comme le Brésil, la Chine, l'Inde et le Mexique.

Sur ce dernier point, la ministre a insisté sur le jeu du Brésil, qui, sans aucun complexe, se retranche derrière son statut de pays en développement et se cache derrière la masse des pays du G90, un groupe informel englobant les PMA et d'autres pays presque aussi pauvres, pour plaider sa cause, qui est de limiter ses efforts et sa contribution dans les négociations sur les tarifs industriels et les services.

Trois autres sujets sont traités sous le chapitre du développement :

- l'aide au commerce, qui consiste à renforcer les capacités humaines et techniques des pays pauvres devant mettre en œuvre les obligations souscrites à l'OMC ;

- le coton, inscrit à l'ordre du jour à la demande des pays africains écrasés par la concurrence exercée par les producteurs des Etats-Unis, lesquels bénéficient de subventions publiques considérables ;

- la révision de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), afin d'y inclure le compromis négocié en août 2003 à Genève. Celui-ci permet, par une dérogation apportée à un article de l'Accord ADPIC, à un pays pauvre victime d'une pandémie et dépourvu de capacités de production de génériques d'importer d'un pays en développement, fabriquant des génériques sous le couvert d'une licence obligatoire, les médicaments permettant de lutter contre ce fléau.

Sur ce volet « développement », la France et le Royaume-Uni sont d'accord. Il est d'ailleurs probable que les membres de l'OMC puissent parvenir à Hong-Kong à un accord sur le sujet, à condition que le Congrès accepte de bouger sur les subventions aux producteurs américains.

Abordant le deuxième point de son exposé, la ministre a rappelé que nos intérêts offensifs dans la négociation concernent principalement le domaine industriel.

Une baisse des tarifs douaniers est recherchée, chez les pays émergents mais aussi dans les pays développés, qui pratiquent souvent des pics tarifaires. Par exemple, les exportations de véhicules utilitaires et tout terrain vers les Etats-Unis se voient appliquer des droits de douane de 34 % et les exportations de céramique des tarifs douaniers de 14 %. L'Union européenne est une zone très ouverte, avec des droits de douane moyens de 4 %, certains pouvant aller jusqu'à 10 %. Cette ouverture appelle la réciprocité. La suppression des barrières non tarifaires est également un objectif important car certaines formalités administratives excessives peuvent bloquer nos exportations, avec des conséquences extrêmement coûteuses.

Nos intérêts défensifs concernent les produits agricoles, quelques secteurs industriels, notamment l'électronique, et quelques secteurs de services, bien que les intérêts dans ce domaine soient surtout offensifs, par exemple en matière de télécommunications, de transport maritime, de services professionnels et bancaires.

Le premier objectif général de la réunion de Hong-Kong est de permettre de conclure le cycle fin 2006-début 2007 sans modalités complètes. Cette échéance s'impose car le président Bush ne dispose de la compétence pour conclure des accords commerciaux, en vertu de l'autorisation dite « fast track », que jusqu'en juillet 2007. Il est donc nécessaire d'avoir terminé la négociation et les différentes traductions et transpositions d'ici la fin 2006. M. Pascal Lamy avait émis le souhait que deux tiers des sujets du cycle soient réglés lors de la réunion de Hong-Kong. Cela est aujourd'hui exclu et M. Lamy l'a reconnu. Il est probable qu'une nouvelle conférence ministérielle « permanente » se tiendra à partir de fin janvier à Genève. Le second objectif général de la réunion de Hong-Kong est d'obtenir un développement.

La conférence ministérielle doit permettre de rééquilibrer la négociation. Celle-ci avance dans le domaine agricole, même si elle est déséquilibrée. Elle progresse relativement dans le domaine non agricole. Ainsi, une proposition de réduction tarifaire selon la « formule suisse » vise à une baisse horizontale des droits de douane avec un taquet de 15 % pour les pays en développement et de 10 % pour les pays développés.

Il est également impératif d'éviter un accord partiel sur l'agriculture, car c'est le domaine dans lequel l'Union européenne a fait des compromis.

La ministre a ensuite souligné l'importance du dialogue avec les parlementaires nationaux, les autres Etats membres et la société civile.

Elle a d'abord indiqué que douze parlementaires français seraient présents lors de la conférence de Hong-Kong, parmi lesquels M. Marc Laffineur et M. Jean-Claude Lefort, et qu'elle tiendrait des réunions quotidiennes avec eux, ainsi qu'avec la presse. Elle a précisé que la négociation serait conduite par la Commission pour le compte des 25 Etats membres, et que les commissaires Peter Mandelson - à l'égard duquel il sera fait preuve de vigilance - et Mariann Fischer Boel seraient présents.

Le gouvernement entretient également un dialogue avec la société civile, c'est-à-dire avec les syndicats, les ONG et les fédérations professionnelles. La ministre a insisté également sur l'importance de la concertation avec l'Allemagne, mais aussi avec les autres Etats membres, qu'ils aient des positions proches de la France, comme la Pologne, l'Espagne, l'Irlande et la Hongrie, ou plus éloignées, comme les Pays-Bas, la Suède et le Danemark. Le gouvernement mène un travail d'explication des positions françaises, trop souvent décrites partiellement et réduites aux questions agricoles, sans compréhension des enjeux et en ignorant les secteurs de l'industrie et des services, ainsi que la question du développement. La ministre a précisé que cette démarche d'explication était menée auprès de ses homologues et par le biais de nos ambassades. Enfin, elle a indiqué que lors de ses déplacements en région elle dialoguait avec les jeunes, de façon à leur présenter les enjeux de la mondialisation et ses aspects positifs pour l'économie.

En conclusion, la ministre a noté que la conférence de Hong-Kong serait probablement centrée sur la question du développement, mais que d'autres questions seraient traitées. En attendant, les présidents des quatre groupes précédemment évoqués ont remis à M. Pascal Lamy des textes qui ne satisfont pas la France mais ne créent pas d'inquiétudes car ils dressent un état des lieux, sans faire de propositions. Ces documents comportent des chiffres, qui montrent les écarts entre les propositions de l'Union européenne et celles des autres Etats. Ceci pourrait faire naître la tentation de calculer une moyenne, qui ne satisfait pas l'Europe, l'offre du commissaire Mandelson étant conditionnelle, globale et finale. A la fin du mois de novembre, M. Pascal Lamy va proposer un document, dont on peut espérer qu'il ne reprendra pas de chiffres. Ceci est l'hypothèse la plus probable car M. Pascal Lamy veut éviter un échec.

Après l'exposé de la ministre, M. Marc Laffineur a souligné que la Commission avait fait une première offre agricole le 11 octobre dernier, déjà très difficile à accepter pour la France, et qu'elle avait présenté le 28 octobre une nouvelle offre allant encore plus loin. Il a cité comme exemple le prix en Europe de la tonne de beurre, qui est de 2 267 euros, qui connaîtra un « défaut de protection » de l'ordre de 334 euros par rapport au prix aux frontières avec la nouvelle offre de la Commission. Des problèmes similaires se posent pour le sucre, la volaille et la viande bovine. M. Marc Laffineur a interrogé la ministre sur la possibilité de maintenir la préférence communautaire dans ces conditions et a estimé qu'il existait un risque d'une nouvelle réforme de la PAC en 2007-2008. Il a également regretté que ces négociations coïncident avec la discussion des perspectives financières.

La question des conditionnalités de l'offre du 28 octobre est essentielle. Les droits de douane s'élèvent en moyenne à 27 % au Brésil, à 32 % en Inde et à 36 % en Indonésie, tandis qu'ils sont de l'ordre de 4 % dans l'Union européenne. Les négociations sur l'industrie doivent être offensives, faute de quoi l'Union sera perdante dans tous les domaines. L'agriculture est le seul moyen de pression pour pouvoir négocier dans les autres secteurs.

M. Marc Laffineur a ensuite interrogé la ministre sur la possibilité de pouvoir distinguer au sein des pays en développement les pays émergents, qui tendent à profiter de leur appartenance à ce groupe. Il a également souhaité que la France fasse une démarche auprès des pays francophones pour expliquer ses positions.

Il a demandé des précisions sur l'état des discussions sur les services, après avoir remarqué que le manque d'offres était patent. Il a aussi interrogé la ministre sur la création du registre multilatéral de notification et d'enregistrement des indications géographiques de vins et spiritueux.

Enfin, il a souhaité savoir si la France utilisera son droit de veto.

Le Président Pierre Lequiller, évoquant la réunion du G5 qui s'est tenue le 22 novembre 2005, s'est enquis des chances d'aboutir à une différenciation entre les pays émergents et les pays en développement non PMA.

M. Jean-Marie Sermier a fait part de ses doutes quant à la vision exprimée par la ministre sur la réforme de la PAC. Quand celle-ci est intervenue, l'Union européenne a procédé au découplement des aides et de la production au motif que cette démarche avait été considérée comme la seule façon d'apparaître comme le bon élève de la classe, dans la perspective des négociations de Cancún. Or, les Etats-Unis ont « réarmé » leur politique agricole et accru les aides. Dans ce contexte, il importe de souligner que la Commission n'a pas respecté ses engagements de l'époque concernant le fait que le découplage mettrait la PAC définitivement à l'abri des négociations. M. Jean-Marie Sermier a donc souhaité savoir quelle était la position de la ministre sur ce dossier et obtenir la liste des pays qui soutiennent la France au sein de l'Union européenne.

Abordant l'accès des pays pauvres au marché, il a considéré que si la négociation avec les PMA était louable, afin d'encourager l'exportation de leur production, il a toutefois estimé nécessaire d'appliquer en la matière de très strictes règles d'origine. Ainsi, il a indiqué qu'il n'était pas acceptable que l'ensachage suffise à le qualifier comme étant originaire d'Ethiopie. De même, en ce qui concerne la question du SWAP, il convient de s'assurer que des pays émergents tels que le Brésil n'en tirent pas profit au détriment des pays pauvres. De façon générale, il importe que les avancées dans les négociations sur le volet externe de la réforme de l'OCM sucre s'accompagnent de l'établissement de règles connues de tous et appliquées par tous. M. Jean-Marie Sermier a souhaité savoir si la ministre a pris contact avec les PMA et si elle leur a demandé dans quelle mesure ils accepteraient l'aide de l'Union européenne, afin qu'ils respectent les règles d'origine.

Enfin, évoquant le mandat assigné au commissaire Mandelson, il a estimé que les Etats membres se devaient de contrôler que ce dernier respecte effectivement les termes de son mandat.

En conclusion, il a considéré que l'échec des négociations à Hong-Kong ne constituerait pas une catastrophe, surtout pour le volet agricole.

M. Jacques Myard a considéré que l'échec du référendum sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe a permis d'éviter un vote à la majorité qualifiée qui n'aurait pas manqué de s'appliquer en la circonstance.

S'interrogeant sur l'utilité et le coût des négociations, il a estimé que les trois objectifs assignés par l'agenda de développement de Doha - poursuivre l'ouverture des échanges, encadrer ces échanges par des règles multilatérales plus justes, faciliter l'insertion des pays en voie de développement dans le commerce mondial - comportaient des contradictions. Il est erroné de considérer que le développement continu du commerce mondial - d'environ 7 % par an - profite aux pays émergents et aux pays pauvres en raison des disparités des niveaux de développement entre ces derniers et les pays riches, de l'encouragement aux délocalisations qui en résulte et des variations de taux de change. Se référant à un ouvrage de M. Maurice Allais, il a affirmé que l'instauration d'un commerce juste et équitable supposait l'élimination de telles disparités. Il convient dès lors de se départir de l'idéologie anglo-saxonne selon laquelle il faut promouvoir un développement continu du commerce alors que, dans le même temps, les Etats-Unis, qui en sont l'avocat, pratiquent le protectionnisme. Dans ce marché de dupes, il n'existe aucun gain en retour pour la France, ce qui lui impose, ainsi qu'à l'Europe, de protéger la préférence communautaire. Tout en considérant qu'un échec des négociations ne constituerait pas une catastrophe pour notre économie, il a insisté sur la nécessité de prendre conscience des effets déstabilisateurs qui s'attachent à cette idéologie fondée sur le développement du commerce et de rompre avec cette dernière.

M. François Guillaume, se référant aux propos de la ministre selon lesquels le développement des pays pauvres était une nécessité afin de prévenir l'extension de la paupérisation et le risque terroriste, a contesté la pertinence de la méthode préconisée par M. Pascal Lamy, fondée sur la libéralisation des échanges commerciaux, laquelle permettrait aux pays pauvres de faire valoir leurs avantages comparatifs. M. François Guillaume a estimé qu'un tel raisonnement était erroné car la libéralisation totale des échanges profite, selon lui, aux pays émergents et non aux pays pauvres. Il importe par ailleurs de protéger ces derniers d'un commerce mondial perturbé par les Etats-Unis avec leurs aides et leur protectionnisme, en particulier dans le domaine agricole. En tout état de cause pour les pays pauvres, le libre accès au marché ne règle nullement leurs problèmes en raison de risques de détournement de trafics, comme l'a constaté M. Jean-Marie Sermier.

Abordant la stratégie mise en œuvre par la France et l'Union européenne, il a déploré que les leçons des négociations intervenues en 1992 n'aient pas été tirées, puisque l'Union européenne ne cesse de faire des concessions aux Etats-Unis, qui formulent un nombre toujours croissant d'exigences, sans déposer en contrepartie aucune offre, ce qu'il a qualifié de marché de dupes. S'agissant de la France, il a contesté la démarche entreprise par la ministre de confier aux ambassadeurs le soin d'exposer les positions françaises, car ces derniers ne sont pas, selon lui, les bons interlocuteurs. Il a regretté que la France ait commis la même erreur que lors des négociations de l'Uruguay Round, en s'abstenant de prendre contact avec les pays africains francophones. En outre, il a relevé que l'ambassadeur de l'Union européenne à Genève ne s'est jamais entretenu avec un ministre français. On peut d'autant plus déplorer ces erreurs qu'il a qualifiées de stratégiques que, selon lui, les Etats-Unis cherchent à affaiblir, par des préaccords, la protection communautaire comme ce fut le cas lors des discussions de Blair House. Par ailleurs, il a jugé scandaleux l'accord déséquilibré sur le commerce du vin, par lequel l'Union européenne a fait des concessions aux Etats-Unis sur les pratiques œnologiques. De même, il a constaté que la protection des indications géographiques de vins français et européens avait été affaiblie puisque, les Etats-Unis, en menaçant de recourir à un processus de certification des vins européens, ont imposé un accord légitimant les usurpations des appellations européennes.

A propos des soutiens internes, il s'est étonné que personne n'attaque les Etats-Unis s'agissant des « deficiency payments » qui compensent l'écart entre le prix de soutien et le prix du marché. M. François Guillaume a alors fait état du refus opposé par les Américains de supprimer totalement leurs aides à l'exportation et de leur demandes récurrentes visant à multiplier les dérogations en leur faveur. S'exprimant ensuite sur l'accès au marché, il a déploré que de 25 % de réduction des droits de douane, la Commission européenne ait proposé en septembre de passer à 35 % jusqu'à aller à une réduction à ses yeux inacceptable de 50 % ! Il a également indiqué que l'appui apporté aux pays en développement sera nécessairement plus conséquent, en raison du dispositif déjà très avancé instauré en Europe dans le cadre des accords ACP. Au terme de ces observations, M. François Guillaume a interrogé la ministre sur notre stratégie pour convaincre nos partenaires de nous soutenir, estimant que les compensations envisagées sont sans commune mesure avec les concessions demandées.

M. Jean-Claude Lefort a tout d'abord formulé une remarque de forme, s'agissant de la survivance de la pratique antidémocratique des « chambres vertes » qui avait en partie expliqué l'échec de la conférence ministérielle de Seattle. M. Pascal Lamy avait d'ailleurs en son temps qualifié l'OMC d'« organisation médiévale ». L'existence de comités restreints agace nombre des 148 pays membres de l'OMC et provoque un effet désastreux dans les opinions publiques. Sur le fond, il a rejoint les observations formulées par ses collègues et a demandé des précisions sur le fait que le commissaire Peter Mandelson aurait franchi la ligne rouge en sortant de son mandat de négociation sur le dossier agricole. A l'instar du Premier ministre britannique M. Tony Blair, le commissaire européen chargé des négociations commerciales paraît plus enclin à défendre un intérêt national que l'intérêt général européen, et considère l'agriculture comme quantité négligeable (2 % du PNB), en comparaison avec les services qui représentent 70 % du PNB. Face à ces rapports de force, il a demandé à la ministre s'il existait un argumentaire sur la mauvaise foi caractérisée des Etats-Unis qui se révèlent en réalité être les plus protectionnistes. M. Jean-Claude Lefort a ensuite plaidé contre l'intégration de l'accord du 30 août 2003 dans l'accord ADPIC. Il a considéré cet accord de 2003 non conforme à la Déclaration de Doha qui prévoit que les intérêts commerciaux s'effacent devant les intérêts humains, s'agissant notamment de l'accès aux médicaments. En ce qui concerne enfin le secteur du coton, il a demandé des précisions sur la mise en œuvre du jugement rendu par l'ORD en faveur du Brésil.

En réponse aux différentes interventions, la ministre a apporté les informations suivantes :

- elle a précisé sa conception de ses fonctions ministérielles, estimant qu'il lui appartient de défendre les positions françaises dans le cadre d'une mondialisation qui doit être maîtrisée. Cela est indispensable pour l'état du monde, étant donné que la mondialisation est une réalité, qu'on le veuille ou non. Le mérite de l'OMC est d'avoir introduit un organisme de règlement des conflits (ORD) qui permet d'élever les contentieux entre les Etats, de les instruire et, le cas échéant, de prononcer des sanctions. A ce jour, les Etats-Unis sont le pays le plus souvent condamné. S'agissant du coton, la décision rendue en septembre est favorable au Brésil qui aurait ainsi pu prononcer des sanctions contre les Etats-Unis, mais ne l'a pas fait ;

- en ce qui concerne nos relations avec les pays les moins développés, en particulier d'Afrique francophone, elle a estimé que les ambassadeurs étaient des relais pertinents mis à disposition de l'Etat pour diffuser la doctrine française. Elle a également salué l'action des missions économiques à l'étranger. La ministre a indiqué s'être rendue dans quatre pays africains, de même que Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, s'est également rendue dans plusieurs Etats d'Afrique. Il est en effet très important de rétablir la réalité de nos positions que d'autres n'hésitent pas à présenter de façon tronquée ;

- le mandat de négociation du commissaire européen chargé du commerce a été défini en 1999 et il a depuis été amendé environ une dizaine de fois. Ce mandat fait expressément référence au respect de la politique agricole commune et précise que la solution globale adoptée à l'issue des négociations devra respecter les grands équilibres de la PAC. Le commissaire Peter Mandelson affirme que ses propositions sont restées dans le cadre de son mandat, tandis que la France souligne qu'il est allé, sinon au-delà, du moins jusqu'à son extrême limite. Les réunions techniques qui se sont tenues jusqu'à présent n'ont pas permis de déterminer si les limites du mandat ont été franchies ou non, car les simulations aboutissent à des résultats très variables selon que l'on prend pour hypothèse de départ la situation de la PAC en 2006 ou son application jusqu'en 2013. En tout état de cause, même si M. Mandelson n'a pas outrepassé son mandat, il n'apparaît pas de très bonne stratégie d'être déjà allé jusqu'à son extrême limite dès sa proposition du 28 octobre dernier et de s'être ainsi privé de ses marges de négociations pour le « bouclage » des négociations. La France n'est pas isolée sur ce sujet. Les points qui pourront encore faire l'objet de négociations portent sur le pourcentage de produits sensibles, les modalités qui seront appliquées à ces produits et les clauses de sauvegarde ;

- la France n'est pas seule à défendre les indications géographiques, mais les pays la souhaitant pour les vins et spiritueux sont peu nombreux. Par ailleurs, il a été tenté d'étendre cette protection à d'autres produits agricoles, comme le riz ou les fromages, pour rallier d'autres Etats, mais cela complique les négociations sur les indications géographiques, et suscite de nouvelles oppositions. Une décision stratégique devra être prise, entre une protection limitée aux indications géographiques de vins et une protection étendue à d'autres produits agricoles ;

- la France, comme tous les autres Etats membres, dispose d'un droit de veto et se réserve le droit de l'utiliser en temps utile et opportun, si les circonstances pour le faire sont réunies. Elle l'a fait savoir aux négociateurs, y compris au plus haut niveau ;

- un échec total des négociations ne semble pas envisageable, car il serait politiquement inacceptable sur un sujet comme l'accès aux médicaments pour les pays pauvres, compte tenu de l'urgence de la situation. Si les négociations ne progressent pas sur les autres dossiers, le directeur général de l'OMC devra « remettre la pression » sur les quatre piliers et fixer une date butoir pour ne pas manquer l'échéance de 2007. Ne pas respecter cette échéance ne serait sans doute pas catastrophique pour l'agriculture française, mais serait dommageable pour l'industrie et le secteur des services français. En outre, cet échec conduirait à un retard dans la conclusion du cycle pendant encore trois à quatre ans ;

- le commerce mondial a une croissance généralement supérieure à 3 % par an, mais il croît de manière désordonnée. La Chine a adhéré à l'OMC en 2001 comme pays en développement et dispose donc d'un délai de cinq ans pour adapter son économie aux obligations qu'elle a souscrites, par exemple en matière de respect des règles de propriété intellectuelle. Les Etats-Unis ont déposé récemment à l'OMC une demande de vérification du respect de la législation relative à la propriété intellectuelle en Chine, à laquelle l'Union européenne devrait s'associer ;

- la ministre a indiqué laisser à l'actuel directeur général de l'OMC son appréciation sur le caractère « médiéval » de cette organisation, et s'est étonnée qu'il n'ait pas décidé de la réformer, puisqu'il la dirige désormais ;

- deux courants d'intérêts différents se sont exprimés lors de la négociation de l'accord entre la Communauté européenne et les Etats-Unis sur le vin. Les producteurs de vins eux-mêmes ont des sensibilités différentes, et ils n'ont pas les mêmes intérêts que les exportateurs. La balance a plutôt penché en faveur des exportateurs au cours de cette négociation. Les producteurs des Etats-Unis se sont engagés à renoncer à utiliser, à l'export, les appellations qu'ils ont usurpées dans un délai raisonnable, et il nous appartiendra d'obtenir un délai précis ;

- sur l'intégration de l'accord du 30 août 2003 dans l'accord ADPIC, une clause de révision annuelle est stipulée.

Le Président Pierre Lequiller a remercié la ministre pour la précision et la clarté de ses propos et a souhaité que les échanges sur ce sujet se poursuivent tout au long des négociations en cours à l'OMC.