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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 148

Réunion du mardi 29 novembre 2005 à 17 heures 30

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Communication de M. Christian Philip sur l'amélioration de la coopération policière entre les Etats membres de l'Union européenne, en particulier aux frontières intérieures, et modifiant la Convention d'application de l'Accord de Schengen (E 2932)

M. Christian Philip, rapporteur, a indiqué que la Délégation est saisie d'un projet de décision du Conseil visant à améliorer la coopération policière entre les Etats membres de l'Union européenne, en particulier aux frontières intérieures. Ce projet modifie, notamment, les articles de la Convention d'application de l'accord de Schengen de 1990 (ci-après la convention de Schengen) relatifs à l'observation et aux poursuites transfrontalières.

La plupart des dispositions proposées renforceront utilement la coopération policière et ne posent pas de difficultés particulières. Elles visent à développer l'acquis de Schengen en matière de coopération policière transfrontalière. La Convention de Schengen a en effet prévu un ensemble de mesures destinées à compenser la levée des contrôles aux frontières intérieures par un renforcement de la coopération policière, afin que la suppression des contrôles frontaliers ne se traduise pas par une diminution de la sécurité des personnes. Ces dispositions, relativement générales, ont été précisées par une série d'accords bilatéraux ou multilatéraux conclus entre les Etats membres. La France a ainsi mis en place des centres de coopération policière et douanière (CCPD) avec l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, l'Italie et le Luxembourg.

La Commission propose de créer un cadre commun permettant de développer ce type de coopération, sans remettre aucunement en cause les accords existants. Le texte projeté précise ainsi la nature des informations échangées entre les autorités policières des Etats membres en application de l'article 39 de la Convention de Schengen. Il prévoit une coordination en matière de programmes et d'activités opérationnels, ainsi qu'en matière de compatibilité et d'interopérabilité du matériel et d'organisation de programmes de formations communs. La proposition vise également à renforcer la coopération opérationnelle, grâce notamment à la constitution de patrouilles communes, la réalisation d'interventions et d'observations conjointes dans les régions frontalières et la mise en place d'équipes communes d'enquête. La création de structures permanentes de coordination dans les régions frontalières situées aux frontières intérieures des Etats membres, inspirées des CCPD, est prévue.

D'une manière générale, la valeur ajoutée de ce cadre commun sera relativement faible pour les anciens Etats membres appartenant à l'espace Schengen, compte tenu du degré élevé de coopération existant déjà entre eux. Elle est en revanche réelle pour les nouveaux Etats membres, qui bénéficieront de l'expérience acquise dans ce domaine. Ce texte contribuera ainsi à permettre, à terme, la suppression des contrôles aux frontières intérieures des nouveaux Etats membres.

L'extension projetée de l'observation et des poursuites transfrontalières soulève en revanche des difficultés d'ordre constitutionnel. M. Philip a rappelé que l'observation transfrontalière permet aux officiers de police d'un pays, dans le cadre d'une enquête judiciaire, de continuer sur le territoire d'un autre pays Schengen la surveillance et la filature d'une personne. Cette possibilité est cependant très encadrée. L'observation est en effet soumise, sauf urgence, à l'autorisation préalable de l'Etat sur le territoire duquel elle s'effectue, sur la base d'une demande d'entraide judiciaire. Si l'autorisation préalable de l'Etat concerné n'a pu être obtenue en raison de l'urgence, l'observation doit prendre fin dès que l'Etat sur le territoire duquel se déroule l'observation le demande et au plus tard cinq heures après le franchissement de la frontière, et n'est possible que si les faits visés figurent sur une liste limitative d'infractions graves. Les agents observateurs doivent obtempérer aux injonctions des autorités localement compétentes et ne peuvent se servir de leur arme de service qu'en cas de légitime défense. L'entrée dans les domiciles et les lieux non accessibles au public leur est interdite, et ils ne peuvent ni interpeller ni arrêter la personne observée.

Le droit de poursuite autorise les officiers de police d'un Etat signataire, sans autorisation préalable, à poursuivre un individu sur le territoire d'un autre Etat Schengen en cas de flagrant délit ou d'évasion. Il est également très encadré. Chaque Etat partie peut en effet faire une déclaration excluant tout droit d'interpellation pour les agents poursuivants, limitant les poursuites dans l'espace ou dans le temps, ou encore les limitant à une liste d'infractions. La France a ainsi exclu tout droit d'interpellation des agents poursuivants et limite les poursuites aux cas de commission de l'une des infractions figurant dans la liste limitative prévue. Les agents poursuivants ne peuvent ni entrer dans les domiciles et les lieux non accessibles au public, ni se servir de leur arme de service, sauf en cas de légitime défense. Les poursuites ne peuvent en outre se faire que par les frontières terrestres.

La Commission européenne propose d'étendre l'observation et le droit de poursuite de manière significative. En ce qui concerne l'observation transfrontalière, la Commission propose de supprimer la liste limitative des infractions ouvrant le droit à ce procédé sans autorisation préalable de l'Etat concerné en cas d'urgence. L'observation serait donc possible, en cas d'urgence, sans autorisation préalable dès lors que les faits visés peuvent faire l'objet d'une peine privative de liberté d'au moins un an. La Commission propose également d'étendre le droit de poursuite, en supprimant la possibilité de le limiter à une liste d'infractions et en l'étendant à l'espace aérien, fluvial et maritime. La Belgique a proposé, au cours des discussions au Conseil, d'aller encore plus loin. Elle suggère ainsi d'appliquer le droit de poursuite, non seulement aux cas de flagrant délit ou d'évasion, mais aussi aux suspicions de flagrant délit. En outre, le droit de poursuite ne pourrait plus être limité à une zone géographique ou à une période donnée, et devrait s'étendre à l'ensemble du territoire, sans limitation de durée. Enfin, la délégation belge propose de supprimer la faculté pour les Etats membres d'interdire aux agents poursuivants d'interpeller les personnes poursuivies.

Ces propositions sont sûrement souhaitables car efficaces, mais soulèvent des difficultés d'ordre constitutionnel. Lors de l'examen de la loi autorisant la ratification de la Convention de Schengen, le Conseil constitutionnel a en effet jugé que l'observation et la poursuite transfrontalières n'étaient pas contraires à la Constitution française parce que :

- le droit d'observation est subordonné, dans le cas général, à l'acceptation d'une demande préalable d'entraide judiciaire et que, dans le cas d'urgence, il est expressément stipulé que l'observation doit prendre fin dès que l'Etat sur le territoire duquel se déroule l'observation le demande et au plus tard cinq heures après le franchissement de la frontière ;

- le droit de poursuite transfrontalière n'est ni général, ni discrétionnaire et que cette procédure n'est applicable qu'à des hypothèses où il y a soit des infractions flagrantes d'une particulière gravité, soit une volonté de la part de la personne poursuivie de se soustraire à la justice de son pays ;

- les agents poursuivants ne disposent en aucun cas du droit d'interpellation et que l'entrée dans les domiciles et les lieux non accessibles au public leur est interdite.

Si la Constitution européenne était entrée en vigueur, ces difficultés auraient sans doute été atténuées, mais tel n'est pas le cas. Compte tenu de ces contraintes constitutionnelles, il serait préférable que le Gouvernement français saisisse le Conseil d'Etat d'une demande d'avis sur ce texte, comme le prévoit dans cette situation la circulaire du Premier ministre du 30 janvier 2003. Un tel avis permettrait de lever toute incertitude juridique et d'éviter qu'une nouvelle révision constitutionnelle ne soit nécessaire, a posteriori, pour permettre l'application en droit français de ce texte, comme ce fut le cas pour le mandat d'arrêt européen.

La modification de la convention de Schengen par une décision du Conseil pose également question par rapport aux prérogatives des Parlements nationaux. Ce projet de décision a en effet pour objet de modifier des dispositions de la Convention de Schengen, qui est une convention internationale ayant été soumise à ratification après autorisation parlementaire, en application de l'article 53 de notre Constitution. Or la présente décision ne sera pas soumise à ratification parlementaire.

Certes, la modification de la convention de Schengen par un acte européen de droit dérivé est juridiquement autorisée par le protocole intégrant l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne, annexé au traité d'Amsterdam. Ce protocole prévoit en effet, en son article 5, que les propositions et initiatives fondées sur l'acquis de Schengen sont désormais soumises aux dispositions pertinentes du traité sur l'Union européenne et du traité instituant la Communauté européenne. Les articles 40 et 41 de la Convention de Schengen, qui sont désormais fondés sur les articles 32 et 34 du traité sur l'Union européenne, peuvent donc être modifiés par des décisions-cadres, des décisions ou des conventions du « troisième pilier » de l'Union européenne, adoptées à l'unanimité par le Conseil après consultation du Parlement européen. Le choix de l'instrument retenu pour cette modification appartient au Conseil, qui est juridiquement libre de retenir l'instrument qui lui convient.

Pour des raisons politiques davantage que juridiques, il serait toutefois préférable de procéder à ces modifications par le biais d'une convention lorsque les changements envisagés concernent un sujet aussi sensible pour les libertés publiques, afin de permettre aux Parlements nationaux d'exercer pleinement leur contrôle. Un tel choix n'entraînerait pas de délais supplémentaires pour l'entrée en vigueur effective de ces modifications, dans la mesure où les conventions peuvent être d'application directe, tandis qu'une décision du Conseil nécessiterait des mesures de transposition en droit interne.

M.  Guy Lengagne a demandé si l'extension du droit de poursuite concernait toutes les infractions et si le principe de l'incrimination dans chacun des pays concernés serait bien appliqué, s'appuyant sur l'exemple de l'interruption volontaire de grossesse, qui constitue une infraction pénale dans certains des Etats membres uniquement.

Le rapporteur a indiqué qu'il est proposé que le droit de poursuite s'applique à toute infraction punie d'une peine privative de liberté d'au moins un an. Il a également précisé que le principe de la double incrimination s'applique actuellement et que ce point fait débat.

A l'issue de cette discussion, la Délégation a adopté les conclusions suivantes :

« La Délégation pour l'Union européenne,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le projet de décision du Conseil concernant l'amélioration de la coopération policière entre les Etats membres de l'Union européenne, en particulier aux frontières intérieures, et modifiant la Convention d'application de l'Accord de Schengen,

1. Approuve l'objectif d'approfondissement de la coopération policière entre les Etats membres de l'Union européenne, en particulier aux zones frontalières,

2. Demande au Gouvernement de s'assurer de la conformité à la Constitution française des modifications proposées concernant l'observation et la poursuite transfrontalières, en saisissant le Conseil d'Etat d'une demande d'avis sur ce texte,

3. Recommande au Conseil de retenir l'instrument de la convention, soumise à ratification parlementaire, plutôt qu'une décision dans la mesure où les modifications de la Convention de Schengen envisagées concernent les libertés publiques. »

II. Examen du rapport d'information de MM. Michel Delebarre et Didier Quentin sur la réforme des aides d'Etat à finalité régionale, réunion ouverte aux députés européens français

Rappelant que la fixation des lignes directrices relève d'une compétence exclusive de la Commission et ne faisait pas l'objet d'un document transmis au titre de l'article 88-4 de la Constitution, M. Michel Delebarre, rapporteur, a déclaré que la Délégation se devait néanmoins d'examiner le projet de lignes directrices en raison de l'importance de la politique régionale, dont les aides d'Etat à finalité régionale sont l'un des instruments.

Il a craint que, s'agissant d'une matière technique, la Commission n'ait pas contribué à en faciliter la compréhension par l'opinion publique et à rendre plus lisible la construction européenne. Il a ainsi déploré que, tout en étant revenu sur une mesure inéquitable - proposée initialement par la Commission - qui aurait privé la France, ainsi que l'Allemagne, l'Autriche et le Royaume-Uni, de toute possibilité d'accorder des aides à finalité régionale, le projet actuel n'en demeure pas moins très insatisfaisant. Car non seulement les bases de calcul retenues par la Commission maintiennent la France dans une position défavorable en comparaison d'Etats membres dont le développement économique est équivalent - tels que l'Allemagne ou le Royaume-Uni - mais en outre, le taux des aides accordées aux DOM et aux régions ultrapériphériques a fortement diminué.

M. Michel Delebarre a déclaré que le rapport préconisait des mesures correctrices, reprises dans une proposition de conclusions, et a d'abord exposé les conditions dans lesquelles des améliorations limitées avaient été apportées aux propositions initiales.

Les propositions initiales se sont inscrites dans un contexte restrictif. Les aides à finalité régionale constituent des dérogations à l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne, selon lequel les aides publiques accordées aux entreprises sont incompatibles avec le marché commun lorsqu'elles faussent ou menacent de fausser la concurrence. Soit ces aides dérogatoires sont, en application de l'article 87-3-a du traité, destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi. Les régions sont encore qualifiées de régions en retard de développement. Soit, aux termes de l'article 87-3-c du traité, ce sont des aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions, sous réserve qu'elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt communautaire.

Aux termes des actuelles lignes directrices applicables à la période 2000-2006, les régions en retard de développement, qui correspondent aux régions éligibles à l'Objectif 1 au titre des fonds structurels, peuvent percevoir des aides d'Etat dont le montant varie de 40 à 65 % du montant de l'investissement, le taux maximum s'appliquant aux régions ultrapériphériques. En ce qui concerne la France, les quatre DOM sont régis par ces dispositions. Les autres régions éligibles à l'article 87-3-c sont des zones géographiques dont la population s'élève généralement à 100 000 habitants au minimum, sauf pour les îles et autres régions isolées. Les plafonds d'aides qui leur sont versées sont inférieurs à ceux prévus pour les régions en retard de développement. Ils varient de 10 à 30 % du coût de l'investissement.

Afin de contrôler efficacement les aides, la Commission fixe un plafond global de couverture de ces dernières, qui comprend les régions éligibles au titre de l'article 87-3 points a) et c) du traité. Pour la période en cours 2000-2006, ce plafond communautaire est fixé à 42,7 % de la population européenne et se décline en seuils nationaux pour chacun des Etats membres. Pour la France, ce seuil est de 36,7 %, y compris les départements d'outre-mer.

Les aides notifiées par les Etats membres sont exprimées en équivalent-subvention net. Ce mécanisme permet de tenir compte de la fiscalité qui pèse sur les aides incorporées au résultat des entreprises et de ne pas pénaliser les entreprises investissant dans les pays à forte fiscalité.

La Commission regarde ces aides comme des distorsions de concurrence, qui ne sont justifiées que sous réserve d'être exceptionnelles et temporaires. C'est pourquoi, l'étendue totale des régions éligibles doit rester inférieure à celle des régions non aidées et, de ce fait, être inférieure à 50 % de la population de l'Union. Cette règle a déjà été appliquée antérieurement à la période actuelle 2000-2006, puisque le plafond communautaire atteignait alors 46,4 %, taux qui a été abaissé à 42,7 % pour la période actuelle. Plusieurs Conseils européens entre 2001 et 2005 ont entériné cette démarche de la Commission en vue d'une réorientation des aides d'Etat, dans laquelle s'inscrivent les propositions initiales de la Commission présentées en 2004.

M. Michel Delebarre a fait remarquer que ces dernières avaient privé la France métropolitaine l'Allemagne, l'Autriche et le Royaume-Uni de toute possibilité d'accorder une aide en application de l'article 87-3-c.

En second lieu, la Commission avait autorisé les aides d'Etat dans la grande majorité des nouveaux Etats membres, mais les interdisait dans les anciens Etats membres, générant ainsi le risque de nouvelles délocalisations au détriment de la France, mais plus encore de l'Allemagne, de l'Autriche et de l'Italie, ces pays étant limitrophes des nouveaux Etats membres. Enfin, la Commission prenait le risque d'encourager le dumping fiscal en proposant de calculer le plafond des aides sur la base de l'équivalent-subvention brut, ce qui priverait la Commission de la possibilité de prendre en compte les différentiels de fiscalité.

Le projet de lignes directrices comporte de réelles améliorations et des lacunes persistantes. Au rang des premières figure d'abord la délimitation des régions bénéficiaires. Si la Commission européenne a maintenu son objectif de concentrer les aides à finalité régionale sur les régions les plus défavorisées des 25 Etats membres de l'Union européenne, elle mentionne toutefois également les régions les plus défavorisées au sein de chacun des Etats membres de l'Union, ce qui permet le maintien des aides à finalité régionale dans les pays plus riches de l'Union. Dans cette perspective, la Commission a introduit une nouveauté
- qualifiée de filet de sécurité - selon laquelle chaque Etat membre ne devra pas perdre plus de 50 % de sa population couverte par les aides à finalité régionale pour la période 2000-2006. La France aurait donc un taux de couverture de 18,4 % de sa population, soit 2,9 % de population couverte au titre des quatre départements d'outre-mer et 15,5 % pour le reste du territoire.

En second lieu, la Commission a proposé de réduire le différentiel d'intensité des aides. Leur montant a été ramené de 50 % à 15 % dans les régions autres que celles qui ont vu augmenter leur PIB par rapport à la moyenne communautaire du fait de l'élargissement ou de leur propre développement économique.

En troisième lieu a été proposé un régime d'aides à la création d'entreprises dans certaines régions éligibles. Ces aides devront couvrir - dans la limite de 2 ou 3 millions d'euros, selon les cas - les dépenses réellement exposées dans les phases d'établissement et d'expansion des petites entreprises, au cours des cinq premières années suivant leur constitution sans devoir se limiter strictement aux investissements. La Commission précise toutefois qu'elle décidera ultérieurement si cette aide doit figurer dans les lignes directrices concernant les aides régionales ou dans les règles sur les aides horizontales.

Evoquant les lacunes persistantes du projet de la Commission, M. Michel Delebarre a tout d'abord critiqué les modes de calcul inéquitables de la population éligible. Le taux de couverture de population éligible est fixé à 43,1 % de la population de l'Union européenne élargie, soit un taux voisin de celui applicable depuis 1999 à l'Union européenne à 15 Etats membres (42,7 %). En revanche, la France voit sa couverture globale de population fortement réduite puisqu'elle passe de 37 %, outre-mer compris, à 18,4 %, soit une diminution de 50 %. Cette baisse dépasse de très loin non seulement celle de 6 %, que la France a enregistrée en 2000 lors de l'entrée en vigueur des actuelles lignes directrices, mais aussi celle qu'ont pu subir l'Allemagne (-14 %) ou le Royaume-Uni (-18 %). M. Michel Delebarre a déploré que la couverture proposée ne tienne pas suffisamment compte des difficultés de développement économique rencontrées par les régions françaises, puisque la France se classe en 21ème position sur les 25 Etats membres en pourcentage de la population couverte, alors qu'elle est le 9ème Etat dont le taux de chômage est le plus élevé et le 15ème en termes de PIB par habitant.

Cette situation résulte, en particulier, de la spécificité française en matière de découpage territorial statistique, qui repose sur des unités statistiques territoriales plus étendues que celles retenues par la plupart des autres Etats membres. Par exemple, en France, la NUTS 2 (Nomenclature des unités territoriales statistiques), qui correspond à l'échelon régional, peut recouvrir dans certains cas 7 à 8 départements. En revanche, au Royaume-Uni, la zone équivalente pourra représenter l'équivalent d'un arrondissement en France.

M. Michel Delebarre a fait observer qu'il était difficile de modifier un tel découpage, car cela suppose une concertation étroite entre les Etats membres comme l'exige le règlement CE 1059/2003, relatif à l'établissement d'une nomenclature commune des unités territoriales statistiques. Il a souhaité que le Président Pierre Lequiller demande au Gouvernement des éclaircissements sur les conditions d'établissement des NUTS en France.

Examinant ensuite la baisse préoccupante des taux d'aides aux DOM et aux régions ultrapériphériques, le rapporteur a précisé que, dans certains cas, les taux envisagés pouvaient être inférieurs de 15 points aux taux d'aides actuels.

Or, dans les départements d'outre-mer français, les entreprises se trouvent dans des conditions de concurrence non pas par rapport à l'Union européenne, mais plutôt par rapport à leur environnement régional. Les intensités de taux d'aide doivent donc être considérées différemment dans les DOM, où elles sont une condition de survie pour ces économies et non un ajustement concurrentiel.

En troisième lieu, M. Michel Delebarre a noté que la Commission avait maintenu sa proposition consistant, à travers le mécanisme d'équivalent-subvention brut (ESB), à appliquer les taux maximum en aides exprimées en montants bruts, en justifiant une telle mesure par le fait que l'utilisation de l'ESB sert également à calculer le montant d'autres formes d'aides d'Etat. Le rapporteur a émis la crainte que l'application de l'ESB n'entraîne inévitablement l'augmentation des écarts entre les aides auxquelles peuvent prétendre les entreprises non sur la base de critères de cohésion mais sur celle de la fiscalité de chaque pays, alors même que d'importantes disparités fiscales existent entre les Etats membres.

Enfin, le rapporteur a souligné l'absence d'articulation claire entre la réforme des aides à finalité régionale et celle des fonds structurels, à la différence des lignes directrices actuelles. Il a fait valoir que s'il était souhaitable qu'une cohérence soit assurée entre les deux réformes, aucune disposition ne l'impose toutefois du point de vue juridique, chacune d'entre elles reposant sur des mécanismes spécifiques. Néanmoins, il a considéré que, faute de cohérence, certaines régions pourraient se trouver confrontées à de sérieuses contradictions, puisque, par exemple, le zonage sera supprimé dans les régions relevant de l'Objectif 2, alors qu'un zonage réduit sera maintenu en faveur des régions éligibles à l'article 37, paragraphe 3, point c).

M. Didier Quentin, rapporteur, a alors abordé la nécessité des mesures correctrices qui, à ses yeux, visent à remédier à des situations contraires à l'équité, mais aussi à sauvegarder cette idée-force de la construction européenne, fondée sur la recherche d'une conciliation efficace et harmonieuse entre les exigences de la concurrence et celles de la cohésion économique, sociale et territoriale.

Pour y parvenir, il faut d'abord que les aides à finalité régionale restent un instrument destiné à promouvoir cette cohésion, conformément à l'article 158 du traité instituant la Communauté européenne.

L'invocation de cette disposition est d'autant plus opportune que, comme le rapport sur la réforme des fonds structurels l'a souligné, l'élargissement a pour effet de révéler dans toute leur ampleur les inégalités de développement et de niveau de vie au sein de l'Union européenne, ce qui précisément imposera à l'Union de mettre en œuvre une politique régionale ambitieuse et dynamique au service de la cohésion économique, sociale et territoriale.

Le rapporteur s'est toutefois déclaré préoccupé car, au moment où la politique régionale est appelée à devenir une priorité de l'Union - puisqu'elle devrait constituer, à partir de 2007, le plus gros chapitre du budget communautaire si les perspectives financières sont adoptées - certaines orientations en matière d'aides d'Etat, ou certaines déclarations de Mme Neelie Kroes, commissaire européenne à la concurrence, ont pu laisser à penser que les aides à finalité régionale n'auraient plus aucun rôle à jouer.

En contrepoint de cette évolution, M. Didier Quentin s'est félicité que la Commission ait annoncé son projet de créer un Fonds d'ajustement à la globalisation, dont l'objet pourrait être de venir en aide aux personnes touchées par les délocalisations. Bien que les modalités exactes de son fonctionnement ne soient pas encore connues, il a relevé que cette mesure venait toutefois corriger - même partiellement - le silence du projet de lignes directrices sur la question des délocalisations.

Quoi qu'il en soit, la promotion de l'objectif de cohésion dans les futures lignes directrices passe par une meilleure prise en compte de la spécificité des régions défavorisées. Une distinction pourrait être établie entre certaines parties du territoire européen, qui souffrent de handicaps importants empêchant une convergence avec la moyenne européenne, et d'autres régions qui sont parvenues à croître, tout en ayant besoin d'améliorer leur compétitivité. Dans chaque cas, le plafond des aides serait gradué, celui des aides régionales pour les premières et celui des aides à finalité horizontale pour les secondes.

Le rapporteur a ensuite évoqué le deuxième aspect de l'objectif de cohésion, qui réside, selon lui, dans la reconnaissance de la dimension territoriale dans la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne. Il a déclaré qu'une telle proposition ne faisait qu'appliquer un principe énoncé à l'article 159 du Traité instituant la Communauté européenne, selon lequel la politique économique des Etats membres et celle de la Communauté doivent prendre en compte la dimension régionale.

Malheureusement, la stratégie de Lisbonne a négligé cette dernière, en étant restée à un niveau macro-économique. Ceci peut en altérer la réussite et serait d'autant plus regrettable que, d'une part, les collectivités territoriales versent la majorité des aides à finalité régionale et que, d'autre part, leur participation accrue est parfaitement conforme à l'objet même de ces aides. Elles ont précisément une base territoriale et elles présentent l'avantage, par rapport aux aides horizontales, qui concernent un domaine spécifique, de pouvoir être utilisées au profit de très nombreux secteurs. Dès lors, le rapporteur a estimé que, pour l'établissement des régions éligibles proposées par les Etats membres à la Commission, les collectivités territoriales, notamment en France, devaient être pleinement consultées. Toutefois, comme l'ont relevé les autorités françaises et britanniques, le délai de trois mois imparti par la Commission aux Etats membres pour lui faire parvenir la carte de zonage retenue est critiquable en raison de sa brièveté.

Evoquant ensuite les voies souhaitables de la prévention de la fracture territoriale, M. Didier Quentin a jugé essentiel de soutenir la démarche entreprise, le 6 octobre 2005, auprès de Mme Neelie Kroes par les autorités françaises, qui ont demandé que le filet de sécurité soit fixé à 25 % au lieu de 50 %. Pour le Gouvernement, cette mesure aurait pour effet d'aboutir à un niveau de population couverte pour la France - environ 28 % - comparable à celui des Etats membres connaissant des situations économiques similaires, sans pour autant modifier les grands principes du projet de lignes directrices. En outre, elle n'introduirait qu'une faible augmentation de la population couverte au niveau communautaire qui passerait de 43,1 % à 44,7 %. Le rapporteur s'est réjoui que la Commission du développement régional du Parlement européen, lors de l'examen du rapport de M. Milõs Koterec, le 23 novembre 2005, ait fait écho aux préoccupations des autorités françaises, puisqu'une majorité de cette commission s'est déclarée également favorable à un relèvement du filet de sécurité, sans toutefois s'être prononcée sur un taux précis, lequel pourrait faire l'objet d'un amendement lors de la discussion en séance plénière, le 15 décembre 2005.

Abordant ensuite la nécessité de parvenir à un ciblage territorial des aides plus adéquat, le rapporteur a émis le souhait que les futures lignes directrices aient une meilleure approche de la spécificité géographique, économique et sociale des départements d'outre-mer et des régions ultrapériphériques (RUP), d'une part, et, d'autre part, des régions insulaires ainsi que des zones très enclavées.

S'agissant des DOM et des RUP, la lettre du 7 novembre 2005 que M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, et ses collègues espagnol et portugais ont adressée à Mme Neelie Kroes, a parfaitement souligné les conséquences défavorables résultant pour ces régions de la diminution des taux d'aide. Il apparaît dès lors souhaitable que la Commission procède au réexamen de leur situation, afin de parvenir à leur meilleure insertion dans leurs zones géographiques préconisée par la communication de la Commission du 26 mai 2004 sur « un partenariat renforcé pour les régions ultrapériphériques ».

En ce qui concerne les régions insulaires et les zones particulièrement enclavées, M. Didier Quentin a préconisé, au nom de l'équité et de l'objectif de cohésion, l'attribution d'aides au fonctionnement pour couvrir les surcoûts de transport supportés par les entreprises exerçant leur activité dans ces zones, car elles sont, d'une manière générale, confrontées aux mêmes difficultés que les régions à faible densité.

Bien que certains interlocuteurs des rapporteurs aient fait valoir que la France serait, sur certains points, isolée, M. Didier Quentin a déclaré que les rapporteurs avaient estimé nécessaire d'inviter la Délégation à prendre une position politique dans des conclusions, dont ils ont souhaité que le Président Pierre Lequiller les transmette au Gouvernement et à Mme Neelie Kroes, la Commission devant arrêter les lignes directrices vers la fin du moins de décembre. En effet, ce dossier des aides à finalité régionale constitue un test de la capacité de l'Europe à restaurer le lien entre les Européens et leurs institutions, à travers un développement harmonieux et optimal des territoires. M. Didier Quentin y a vu un pari sur l'avenir que l'Europe doit gagner. Dans cette perspective, il a considéré qu'il n'était pas inutile de rappeler que le projet de Traité portant « Constitution pour l'Europe » fixait la « cohésion territoriale » comme l'une des exigences de l'Union européenne.

L'exposé des rapporteurs a été suivi d'une discussion.

M. Christian Philip a demandé des précisions sur le champ d'application des lignes directrice aux secteurs concernés, notamment la situation des transports.

M. Michel Delebarre, rapporteur, a répondu qu'ils en étaient exclus. Il a ensuite fait part de son inquiétude sur l'accord qui semble se dessiner entre la présidence et la commission sur les futures perspectives financières 2007-2013. Celui-ci prévoirait une baisse des fonds structurels, selon des modalités reconnaissant la priorité aux régions des nouveaux Etats membres. On peut craindre que le fonds d'ajustement à globalisation ne soit alors présenté comme une contrepartie à la réduction des fonds structurels pour les anciens Etats membres et même comme ce qu'il a qualifié de leurre.

M. Didier Quentin, rapporteur, tout en partageant l'inquiétude exprimée par M. Michel Delebarre, a insisté sur la nécessité de clarifier la question de l'établissement par l'INSEE des unités statistiques territoriales.

Le Président Pierre Lequiller a indiqué qu'il transmettrait l'ensemble des conclusions des rapporteurs et de ces éléments au Gouvernement.

La Délégation a ensuite adopté, dans le texte proposé par les rapporteurs, les conclusions suivantes :

« La Délégation,

Vu l'article 87, paragraphe 3, points a) et c) du Traité instituant la Communauté européenne relatif aux aides d'Etat à finalité régionale,

Vu le Titre XVII du traité instituant la Communauté européenne relatif à la cohésion économique et sociale,

Vu l'article 299, paragraphe 2, du Traité instituant la Communauté européenne relatif aux départements français d'outre-mer et aux régions ultrapériphériques,

Vu le projet de communication de la Commission relatif aux lignes directrices concernant les aides d'Etat à finalité régionale pour la période 2007-2013,

1. Considère que les aides d'Etat à finalité régionale doivent rester un instrument destiné à promouvoir la cohésion économique, sociale et territoriale au sein de l'Union européenne ;

2. Souhaite que la dimension territoriale soit pleinement reconnue dans la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne, afin que le nombre le plus élevé possible de régions puissent satisfaire à l'exigence de compétitivité ;

3. Estime, dès lors, nécessaire que la Commission puisse, dans l'élaboration des lignes directrices pour la période 2007-2013, procéder aux mesures correctrices suivantes :

a) limiter à 25 % - au lieu de 50 % - la diminution maximale de la population couverte par l'Etat membre, en vue de remédier aux situations inéquitables auxquelles certains Etats membres risquent d'être confrontés ;

b) réexaminer les taux d'aide envisagés pour les départements d'outre-mer et les régions ultrapériphériques, la baisse préoccupante de ces taux risquant d'entraver leur insertion dans leurs zones géographiques ;

c) prévoir la possibilité du versement à toutes les îles et aux zones particulièrement enclavées, d'aides au fonctionnement pour couvrir les surcoûts de transport auxquels les entreprises sont exposées dans ces régions ».

III. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Point B

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Aucune observation n'ayant été formulée, la Délégation a approuvé les trois textes suivants :

¬ Environnement

- proposition de décision du Conseil exposant les effets de l'adhésion de la République tchèque et de la Pologne sur la participation de la Communauté européenne à la convention relative à la commission internationale pour la protection de l'Oder contre la pollution et à la convention relative à la commission internationale pour la protection de l'Elbe (document E 2808).

¬ Espace de liberté, de sécurité et de justice

- initiative du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord en vue de l'adoption d'une décision du Conseil modifiant la décision 2003/170/JAI relative à l'utilisation commune des officiers de liaison détachés par les autorités répressives des Etats membres (document E 2929).

¬ Divers

- proposition de décision du Parlement européen et du Conseil modifiant la décision n° 2256/2003/CE en vue de la prolongation en 2006 du programme pour la diffusion des bonnes pratiques et le suivi de l'adoption des TIC (document E 2947).

IV. Nomination de rapporteurs d'information

Sur proposition du Président Pierre Lequiller, la Délégation a nommé MM. Michel Delebarre et Christian Philip rapporteurs d'information sur les services sociaux d'intérêt général.