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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 157

Réunion du mercredi 1er février 2006 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Examen du rapport d'information de M. André Schneider sur l'efficacité énergétique dans l'Union européenne (réunion ouverte à la presse)

Le Président Pierre Lequiller a souligné que l'énergie était aujourd'hui un problème fondamental et qu'il convenait de définir les modalités d'intervention de l'Europe. Il existe des réticences de la part des Etats membres, car cette question touche à la souveraineté, mais la Délégation doit examiner avec attention ce dossier.

M. André Schneider, rapporteur, a confirmé que l'énergie constituait le défi majeur du XXIème siècle. Il est donc indispensable que l'Union européenne mène une politique énergétique pragmatique et cohérente, afin que les générations futures conservent un niveau de vie comparable au nôtre. Cette question est d'ailleurs mondiale, comme le confirme le discours sur l'état de l'Union prononcé ce matin même par le Président George Bush. Il faut avoir conscience de la fin prochaine des énergies fossiles, à échéance de 40 ans pour le pétrole, de 60 à 65 ans pour le gaz et de 200 ans pour le charbon. De plus, cette problématique recoupe celle du changement climatique et de la lutte contre les gaz à effet de serre. Le rapport participe du débat lancé par la Commission européenne par la publication du Livre vert sur l'efficacité énergétique, qui envisage une réduction de 20 % des consommations énergétiques de l'Union d'ici 2020. Il répond schématiquement à trois questions, à savoir pourquoi faut-il économiser l'énergie ? qui, de l'Union européenne ou des Etats membres, est le plus à même de mettre en œuvre les mesures adaptées ? comment faire les choix les plus pertinents ?

L'efficacité énergétique est une contrainte résultant de l'épuisement des réserves d'énergies fossiles, mais aussi, et peut-être surtout, du changement climatique. Cette donnée impose de réduire l'utilisation du charbon, puisqu'une tonne de charbon consumé rejette plus de trois tonnes de CO2 dans l'atmosphère. En outre, que cela nous fasse plaisir ou pas, l'énergie nucléaire apparaît comme une solution incontournable pour alimenter en électricité les grandes agglomérations. On ne saurait considérer comme responsable une attitude consistant à refuser la présence de centrales nucléaires sur le territoire d'un Etat, tout en important de l'électricité d'origine nucléaire produite par un Etat voisin. Dès lors, il faut s'étonner et regretter que le Livre vert ne fasse quasiment pas mention du nucléaire. La dimension climatique de la question énergétique rend également indispensable le traitement du problème au niveau international. A titre d'exemple, on peut signaler que la Chine met en service actuellement une centrale thermique tous les cinq jours. L'Union européenne devrait donc intégrer une dimension de promotion de l'utilisation rationnelle de l'énergie dans tous ses accords de coopération. Elle y a d'autant plus intérêt que l'efficacité énergétique peut constituer un instrument de compétitivité européenne, dans la mesure où nos entreprises sont très performantes en ce domaine.

La répartition des compétences entre l'Union européenne et les Etats membres est un point particulièrement sensible. La Commission a déjà développé une action importante dans le domaine énergétique en adoptant des directives visant à diversifier les sources d'énergie, à établir un marché intérieur de l'énergie plus rationnel et à gérer la demande. Elle a aussi engagé une politique de consolidation de ses liens avec les pays fournisseurs ou avec les pays tiers accueillant des infrastructures de transport de l'énergie. Cette politique très active s'est néanmoins heurtée aux réticences des Etats membres qui ont invoqué le principe de subsidiarité. Le dernier exemple en la matière porte précisément sur la proposition de directive relative à l'efficacité énergétique, pour laquelle les Etats refusent des objectifs contraignants au bénéfice d'un objectif indicatif de réduction des consommations de 9 % sur neuf ans pour la période 2008-2017. Il faut néanmoins souligner que la France s'impose à l'échelon national des objectifs plus élevés que ceux prévus par les textes communautaires. Tout en prenant en compte la volonté des Etats de préserver une maîtrise sur la politique énergétique, il faut aussi définir une stratégie européenne et envisager à l'horizon 2010-2015 une action communautaire plus contraignante s'il apparaissait que les principaux engagements arrivant alors à échéance n'étaient globalement pas respectés. Le Conseil européen d'Hampton Court du 27 octobre 2005 a d'ailleurs affirmé la nécessité d'une action commune.

Les grands axes de cette action restent bien sûr à définir mais quelques pistes peuvent d'ores et déjà être tracées. Il faut d'abord accorder une priorité absolue aux économies d'énergie. Notre pays a déjà réalisé des efforts considérables en ce domaine, puisque les importations de pétrole ont été réduites de 30 millions de tonnes entre 1970 et aujourd'hui et que l'efficacité énergétique de l'industrie française s'est améliorée de 54 % entre 1973 et 2002. Il est évident que des économies supplémentaires seront plus difficiles à atteindre pour un pays exemplaire que pour un Etat n'ayant pas déjà engagé une politique sérieuse de réduction des consommations. Des progrès peuvent toutefois être encore réalisés, notamment sur le plan de l'éducation des populations à la lutte contre le gaspillage énergétique. En effet, on constate que les économies technologiques sont plus difficiles à obtenir, mais demeurent irréversibles, alors que les économies comportementales sont plus fortement réversibles.

Les actions d'économie doivent se concentrer sur les deux secteurs les plus fortement consommateurs, à savoir les transports et le bâtiment. Les transports absorbent à eux seuls les deux tiers de la consommation finale énergétique de produits pétroliers et c'est le secteur dont la croissance de la consommation est la plus importante. Des politiques peuvent pourtant être engagées, tel que le développement du transport combiné et du ferroutage. Le Premier ministre, M. Dominique de Villepin, vient d'ailleurs d'annoncer qu'une autoroute ferroviaire de plus de 1 000 kilomètres, entre Luxembourg et Perpignan, devrait ouvrir en janvier 2007. Il devrait être aussi possible de diminuer la dépendance à la voiture dans les déplacements urbains de personnes. Il importe surtout de favoriser l'apparition de véhicules économes et propres et, sur ce point, les auditions préparatoires au présent rapport ont permis de constater que de nombreuses solutions sont à l'étude. C'est un peu moins vrai s'agissant du transport aérien, dont l'avenir peut apparaître problématique en l'état des connaissances scientifiques, même si des perspectives de recherche sont déjà entrevues.

En ce qui concerne le bâtiment, il faudrait accorder une priorité aux bâtiments existants. Là aussi, des solutions existent et la France dispose d'un important atout avec les sociétés de service en efficacité énergétique, profession qui a été créée dans notre pays. Un autre point fort de la France réside dans la mise en place prochaine d'un marché de certificats d'économie d'énergie. L'action à l'égard des bâtiments devrait aussi viser, évidemment, les bâtiments neufs et la réduction de la consommation des équipements électriques.

Tant en matière de transports qu'en matière de bâtiment, le secteur public se doit d'apparaître exemplaire en utilisant des véhicules propres et en promouvant les énergies renouvelables.

En tout état de cause, une transition massive vers une unique énergie de substitution aux hydrocarbures n'est pas réaliste. C'est donc un bouquet énergétique qu'il faut concevoir, en sachant que ce domaine est extrêmement évolutif et que les responsables politiques sont en quelque sorte au stade de l'expérimentation en laboratoire. Il existe un foisonnement de solutions alternatives, le Parlement européen ayant par exemple recensé 21 sources d'énergies renouvelables. Ce qui est important, désormais, c'est de définir les critères devant guider l'action des pouvoirs publics.

L'intérêt général doit être la première des préoccupations. On sait que les compagnies pétrolières, les constructeurs automobiles, les fournisseurs d'électricité et de gaz, les professions agricoles ou encore les diverses composantes de l'écologisme essaient de faire prévaloir leurs divers points de vue, mais les décideurs politiques se doivent de faire la part des choses. Il faut éviter des situations telles que celles résultant de la part croissante des automobiles fonctionnant au gazole alors que l'industrie du raffinage privilégie la production d'essence. Ces choix opposés imposent à l'Europe d'importer chaque année une vingtaine de millions de tonnes de gazole, tandis que 20 millions de tonnes d'essence excédentaires sont exportées. Les conflits d'intérêt sont aussi importants en ce qui concerne les biocarburants et le choix de la filière adaptée est une question des plus difficiles. Tous ces débats ne doivent pas faire oublier que les biocarburants ne peuvent fournir qu'une contribution modeste à la sécurité énergétique. Il ne faut donc pas laisser croire qu'ils sont une solution miracle pour nos agriculteurs. Un soutien important aux biocarburants ne saurait se justifier que s'ils apparaissent en mesure d'apporter une réponse satisfaisante à la crise énergétique et non pour assurer de nouveaux débouchés à l'agriculture européenne.

Les coûts respectifs des diverses énergies sont aussi à prendre en compte dans les choix politiques qui doivent être réalisés. Ainsi, l'Allemagne est souvent citée en exemple pour son parc éolien, mais il faut constater que le kilowatt/heure d'électricité produite par ce moyen est acheté de façon obligatoire 8,7 centimes d'euros par les distributeurs d'électricité alors que le prix moyen de l'électricité issue des filières conventionnelles est de 3 centimes d'euros. Le soutien à l'énergie éolienne a donc coûté 2,2 milliards d'euros en 2004 à nos partenaires allemands.

Le troisième critère à retenir au moment du choix est la nécessaire distinction du court et du long terme. Le risque est grand de financer durablement le déploiement de moyens qui s'avéreront rapidement dépassés, car une rupture technologique peut intervenir et bouleverser l'économie d'une autre filière.

En conclusion, l'après pétrole est un défi dont tous les enjeux sont perçus par les autorités politiques, aussi bien au niveau communautaire qu'au niveau national. Pour les citoyens français, en revanche, la transition risque d'être difficile à accepter si elle conduit à remettre en cause certaines habitudes culturelles nées de la diffusion du pétrole. La crise qui s'annonce n'est pas simplement d'ordre énergétique, elle recouvre aussi une dimension culturelle. C'est un problème de choix de société. Le rapporteur a précisé que ses propositions de conclusions reprenaient tous les points évoqués.

Le Président Pierre Lequiller a remercié le rapporteur de cette présentation qui brosse un tableau très complet de la situation actuelle et fait état des fausses idées. Il a rappelé que le Livre vert de la Commission s'intitulait « Comment consommer moins en consommant mieux ? », considérant que le champ d'intervention évoqué dans cet intitulé ne permettait d'apporter qu'une réponse partielle au problème très sérieux auquel l'Europe et le monde sont confrontés.

Il a estimé que plusieurs voies devaient être explorées : la recherche ; l'investissement ; la diversification suffisante des sources d'énergie. Sur ce dernier point, l'exemple de l'Autriche, dont l'approvisionnement énergétique dépend pour 30 % de la Russie, est très pertinent. On peut prendre la mesure des difficultés auxquelles pourraient être confrontées l'Autriche et l'Union européenne en cas de crise avec ce fournisseur, analogue à celle qu'a pu connaître l'Ukraine. Citant également des observations que lui a faites M. Jean-Louis Beffa, Président de Saint-Gobain, le Président Pierre Lequiller a déclaré que l'approvisionnement énergétique d'un Etat devrait, dans l'idéal, dépendre à hauteur de 12 % au maximum d'un même fournisseur et qu'au-delà de 30 %, son indépendance risquait d'être mise en danger.

Constatant que l'augmentation de la consommation d'énergie de la Chine, de l'Inde et du Brésil entraînait une véritable révolution, il s'est interrogé sur les actions que l'Europe devrait mener en cas de crise. Il a estimé qu'une action solidaire au sein de l'Union européenne serait alors préférable à un repli nationaliste, car ce dernier, selon lui, pourrait entraîner des retombées négatives sur chacun des Etats membres.

En conclusion, tout en insistant sur l'importance de l'enjeu et le risque qu'une crise ne survienne rapidement - comme l'a craint le Président de la République -, il a déclaré que l'Europe avait d'autant plus un rôle à jouer que ce dossier relevait de la politique concrète qu'attendent les citoyens européens.

M. Robert Lecou s'est félicité d'un rapport intéressant et d'une utilité incontestable, car il pose de nombreuses questions telles que les sources d'énergie, l'indépendance énergétique, le changement climatique ou la nécessité de réduire les gaz à effet de serre. S'agissant de ce dernier point, il a souligné l'importance d'un enjeu actuel et planétaire sur lequel scientifiques, chefs d'entreprise et Etats marquaient leur accord. Il a déclaré qu'il s'agissait d'un vrai défi car l'accumulation constatée de gaz à effet de serre interdit tout report des décisions, sous peine de rendre plus difficiles les solutions à mettre en œuvre.

Dans cet enjeu planétaire concernant les générations actuelles et futures, il a estimé que la France et l'Union européenne avaient un rôle important à jouer. Si les Etats-Unis n'ont pas signé le protocole de Kyoto, en revanche, les pays émergents l'ont signé tout en n'étant pas favorables à l'application de mesures contraignantes. En outre, malgré les progrès constatés lors de la conférence de Montréal, demeure le problème posé par la position de l'Administration Bush, laquelle n'est d'ailleurs pas celle de tous les Etats fédérés, dont certains respectent les dispositions du protocole de Kyoto. Dans ce contexte, M. Robert Lecou a plaidé en faveur d'une action diplomatique de la France et de l'Union européenne auprès des Etats émergents. Citant le cas de la Chine, il a fait observer que cette dernière était consciente de la gravité des problèmes causés par le changement climatique - en particulier la désertification croissante à laquelle elle est exposée - tout en refusant d'être la victime d'une situation créée par d'autres puissances qui ont connu la croissance économique avant elle.

A l'échelon national, il a jugé nécessaire d'entreprendre une action pédagogique pour faire évoluer les mentalités, car si tout le monde est d'accord pour procéder à des économies d'énergie, il apparaît, en revanche, que la France n'a pas été jusqu'au bout de la « chasse au gaspi » mise en place au lendemain du premier choc pétrolier. Il convient donc de mener une réflexion sur les comportements, par exemple, en exploitant les énergies renouvelables. A cet égard, il a fait remarquer que la ville de Fribourg disposait d'autant de panneaux solaires que la France entière. Les autres solutions préconisées par le rapport
- nouvelles technologies ou encore captation du CO2 -doivent également être exploitées. Mais M. Robert Lecou a également insisté sur la nécessité de procéder à des choix politiques qui, selon lui, risquent d'être difficiles, notamment la mise en place de mesures fiscales incitatives et dissuasives. En tout état de cause, plus le temps passe, plus il est urgent d'agir, compte tenu de la gravité de la situation à laquelle la France et l'Union européenne sont confrontées.

En conclusion, il serait judicieux de lier les travaux de la mission sur l'effet de serre avec ceux de la Délégation, afin de susciter un large débat. A cet égard, M. Tony Blair a accepté d'organiser un débat public sur le changement climatique et l'énergie nucléaire, à l'issue duquel un Livre blanc sur le changement climatique pourrait être publié au mois de juin.

M. Daniel Garrigue a considéré que le problème de l'énergie est un enjeu européen « par excellence ». On ne peut laisser coexister 25 politiques nationales de l'énergie ; pour que l'Europe existe, elle doit se construire aussi par une politique de l'énergie.

Les choix énergétiques sont un problème économique, un problème d'environnement, mais surtout, un problème politique. A cet égard, pour avancer, l'Europe de l'énergie à bâtir doit concentrer ses efforts sur deux terrains d'actions majeurs.

Premièrement, certains de nos partenaires restant attachés aux énergies renouvelables, nous devrons faire des concessions indispensables pour développer celles-ci. Deuxièmement, l'Europe doit davantage s'engager sur la voie du nucléaire. Certains partenaires de la France soutiennent depuis longtemps cette option, comme la Finlande ou, dans les nouveaux Etats membres, la Slovaquie ainsi que la Bulgarie. Par ailleurs, le débat sur l'option nucléaire a été rouvert en Angleterre ainsi qu'en Suède. Ce dernier ne peut être considéré comme clos en Allemagne puisque la situation politique impose à la Chancelière une certaine prudence.

Compte tenu de ce contexte, la France ne doit pas laisser croire que le débat sur le nucléaire se limite à un dialogue « Paris-Bruxelles » mais, au contraire, porter la question auprès de l'ensemble de ses partenaires. Notre pays doit conforter les alliances qui existent déjà avec les Etats membres favorables au nucléaire et tout faire pour convaincre les autres. Il serait souhaitable, à ce sujet, que la Délégation prenne des initiatives auprès des autres parlements nationaux de l'Union pour aborder, au niveau communautaire, ce dossier.

Le Président Pierre Lequiller a précisé qu'au cours de la réunion commune de la Délégation et de la commission des affaires européennes de l'Assemblée de la République du Portugal, qui s'est tenue à Lisbonne le mardi 31 janvier 2006, la question énergétique avait été évoquée.

M. Pierre Forgues a salué le travail du rapporteur, présenté avec passion et morale. Il a estimé que dans ce domaine tout porte à penser qu'aujourd'hui, la logique économique l'emporte sur la logique morale. Cette situation de fait nous éloigne des propositions intéressantes contenues dans le rapport.

Les choix actuels traduisent simplement le fait que certaines sources d'énergie, bien que très polluantes, restent moins chères. Il a jugé que les économies ne doivent pas se concentrer seulement sur la consommation domestique et les transports, en regrettant que le rapport n'évoque pas comme troisième facteur majeur l'industrie. A titre d'illustration, il a cité le cas d'une usine implantée dans sa circonscription, laquelle produit 50 000 tonnes d'aluminium par an et consomme, dans une seule année, plus d'énergie que la ville de Toulouse toute entière. Les politiques ne doivent pas ignorer cette réalité : malgré toutes les options nucléaires possibles, des industries ne pourront avoir d'autres choix que de quitter l'Europe pour s'approvisionner, dans des pays tiers, en sources polluantes mais peu coûteuses.

M. Pierre Forgues s'est étonné de l'échéance optimiste indiquée par le rapporteur pour l'achèvement de la liaison de fret ferroviaire Luxembourg-Perpignan. L'année 2007 constitue, à ses yeux, une date assez irréaliste, compte tenu de l'expérience vécue avec la longue bataille du TGV devant desservir le Sud de la Méditerranée. L'achèvement des projets transfrontaliers tant ferroviaires qu'autoroutiers est indispensable, ne serait-ce que pour éviter l'encombrement des Pyrénées, qui voient passer 18 000 camions.

En ce qui concerne le bâtiment, M. Pierre Forgues a mis en avant l'exemple d'un aéroport récemment restauré et dont les dépenses de chauffage ont quasiment été multipliées par dix après les travaux, ce qui illustre la faible prise en compte des préoccupations énergétiques.

Il a indiqué que les agriculteurs soutenaient le développement des biocarburants, même s'il est évident que cette source d'énergie ne saurait résoudre tous les problèmes. Les vrais responsables des blocages actuels sont les grandes entreprises, qui disposent de la maîtrise d'ouvrage des usines dans lesquelles du bioéthanol pourrait être produit. Elles ne veulent pas consentir aux investissements nécessaires pour démarrer une production à grande échelle de bioéthanol en raison des coûts que cela représenterait. Les responsables se heurtent donc à un problème de filière.

En conclusion, M. Pierre Forgues a estimé qu'il convient de ne pas exagérer la menace qui pèserait sur le stock de ressources énergétiques. L'Europe dispose des moyens pour faire face aux crises susceptibles de se poser à long terme, à condition de se doter de la volonté politique indispensable pour transcender les problèmes économiques évoqués.

M. Jacques Myard a déclaré, en premier lieu, que le débat sur l'énergie est aujourd'hui nécessaire. Il a cependant ajouté, en second lieu, que les politiques doivent être prudents et donc attendre avant de fixer dans les législations, nationales ou européennes, des objectifs quantifiés. Le piège dans lequel il ne faut pas tomber est la traduction, dans le droit, de choix idéologiques, qui traduisent des effets de mode. Or aujourd'hui, l'Europe paie déjà les conséquences de choix opérés en fonction d'approches idéologiques. Il faut dire « oui » aux économies d'énergie mais « non » aux programmes idéologiques. L'attitude inverse aboutit, par exemple, à la situation créée aujourd'hui par la directive 2001/77/CE relative à la promotion de l'électricité produite à partir de sources d'énergie renouvelable avec son objectif quantifié de 21 % de l'électricité produite à partir d'énergie verte. Cet objectif s'est révélé être une « ânerie monumentale ».

Les objectifs politiques non quantifiés sont préférables. L'Europe doit procéder par la concertation et par des instruments non contraignants, de type résolutions. Il a d'ailleurs observé que le rapporteur lui-même avait jugé que les 21 sources alternatives d'énergies renouvelables identifiées par le Parlement européen sont sujettes à caution, en raison de leur nature évolutive. L'Europe ne peut s'engager dans des sables mouvants. Si l'on prend l'exemple des panneaux solaires, on observe que leur construction et leur destruction consomment plus d'énergie qu'ils ne peuvent en produire.

En conclusion, M. Jacques Myard a énuméré les trois directions dans lesquelles les Etats membres peuvent avancer, sans se fixer pour autant un cadre juridique : les économies d'énergie, le développement du nucléaire et la recherche. Il a enfin contesté la rédaction du point 5 des conclusions du rapporteur relatif au traité constitutionnel, ce dernier faisant référence à un texte juridiquement « mort ». Puis il a proposé l'ajout d'un point 15 tendant à recommander, dans le but de favoriser les économies d'énergie, le port de chandails des Pyrénées. Il a déclaré qu'il s'abstiendrait sur les conclusions proposées.

M. François Guillaume a indiqué qu'il considère lui aussi comme important qu'un débat soit mené au niveau européen, tout en s'interrogeant sur la pertinence du recours à des règlements communautaires pour répartir l'utilisation de l'énergie et choisir entre les différents moyens envisageables. S'agissant du débat sur le nucléaire, il est beaucoup plus idéologique que technique. La France a pris une avance certaine dans ce domaine, et ne se trouve donc pas du tout au même point que ses partenaires. S'il y a bien diverses utilisations possibles pour l'électricité d'origine nucléaire, elles n'existent toutes effectivement que pour un nombre restreint d'Etats, dont la France. Dans de nombreux autres pays, l'opinion publique est largement montée contre le nucléaire du fait de l'action des mouvements écologistes.

S'agissant des biocarburants, il faut harmoniser les positions exprimées par l'Assemblée nationale dans ses rapports successifs. Il semble que le rapport présenté par M. André Schneider manifeste une certaine réserve sur la question. Certes, il est exact que les pétroliers sont réticents, surtout vis-à-vis de l'éthanol. La « diéselisation » est liée au fait que les véhicules diesel consomment moins et coûtent moins cher. Mais elle implique de développer le diester car celui-ci est un additif au gazole. Par ailleurs, s'agissant de l'essence, il faudrait indiquer que l'ETBE (éthyl tertio butyl éther) coûte probablement plus cher que l'incorporation directe de l'éthanol puisque l'ETBE est une combinaison d'éthanol et de méthanol. Pour le diester, il est également possible de procéder par combinaison, en substituant de l'éthanol au méthanol. De manière générale, lorsque l'on envisage d'incorporer un biocarburant dans un carburant classique, le problème est celui du volume d'incorporation autorisé. Quant aux prix, il faut souligner que les biocarburants sont des produits relativement nouveaux. Ceci explique leur coût plus élevé, qui a vocation à diminuer au fur et à mesure du développement des techniques et des outils, selon une évolution analogue à celle qu'a connue l'informatique. Une certaine défiscalisation pourrait encourager ce développement et ainsi l'augmentation de la rentabilité des produits. Enfin, s'agissant du lien avec les questions de production agricole, M. François Guillaume a fait remarquer qu'au Brésil, la préférence est progressivement donnée à l'éthanol par rapport au sucre, et que l'on observe en conséquence une augmentation du prix du sucre au niveau mondial.

M. André Schneider, rapporteur, a répondu à la question de M. Pierre Forgues sur l'ouverture prochaine d'une « autoroute ferroviaire » reliant Luxembourg et Perpignan, en se référant à l'annonce faite par le Premier ministre, M. Dominique de Villepin, le 14 novembre 2005, selon laquelle « Réseaux Ferrés de France réalisera les aménagements nécessaires des infrastructures existantes en 2006, pour permettre une ouverture de la ligne en janvier 2007 ».

Il a ensuite réaffirmé que les responsables politiques vont avoir un rôle prééminent. Tout comme les pays producteurs d'énergie prennent des décisions de nature politique lorsqu'ils font varier leurs exportations, les vingt-cinq Etats de l'Union européenne vont devoir parler d'une seule voix en cette matière.

Enfin, il s'est défendu d'avoir exprimé des réticences concernant les biocarburants. Les problèmes rencontrés par les agriculteurs sont des problèmes de filières, de productivité, d'évolutions trop rapides. Aujourd'hui la tendance est à privilégier les solutions de type « biomasse » mais il est risqué de s'engager complètement dans une seule filière. Les responsables politiques doivent se faire une idée du problème pour procéder à des choix dans un avenir proche. L'objet du rapport présenté à la Délégation était nécessairement limité aux éléments du Livre vert sur l'efficacité énergétique, mais les auditions préparatoires ont révélé que les problématiques liées sont très nombreuses. Il serait souhaitable que les membres de la Délégation rencontrent leurs collègues des autres Parlements nationaux de l'Union pour évoquer ce sujet.

Le Président Pierre Lequiller a souligné que l'énergie est l'un des enjeux importants pour les mois à venir. La Délégation devra donc aborder de nouveau ce sujet, sur la base du mémorandum déposé par la France, et de l'audition prochaine de M. Jean-Louis Beffa devant la Délégation, l'objectif étant de définir ce que pourrait être une politique européenne de l'énergie, et d'élaborer notamment des propositions sur ce qui doit être fait en cas de crise. Que se passerait-il par exemple en cas de rupture d'approvisionnement du gaz provenant de Russie ? La France est certes beaucoup moins dépendante de l'approvisionnement russe que la Pologne, mais l'hypothèse doit être examinée.

La Délégation a ensuite adopté les conclusions suivantes :

« La Délégation,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le Livre vert sur l'efficacité énergétique ou « Comment consommer mieux avec moins » (COM[2005] 265 final/n° E 2914),

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'efficacité énergétique dans les utilisations finales et aux services énergétiques (COM[2003] 739 final/n° E 2478),

Vu la communication de la Commission : Vaincre le changement climatique planétaire (COM[2005] 35 final/ n° E 2834),

I. - Sur la nécessité de développer les actions dans le domaine de l'efficacité énergétique

1. soutient la démarche de la Commission européenne tendant à l'élaboration d'un nouveau plan d'action en matière d'efficacité énergétique, afin de poursuivre et développer les actions mises en œuvre dans le cadre de l'actuel « plan d'action visant à renforcer l'efficacité énergétique dans la Communauté européenne » (COM[2000] 247 final) ;

2. confirme que les actions dans le domaine de l'efficacité énergétique s'imposent, non seulement en raison de l'épuisement prévisible et du renchérissement corrélatif des hydrocarbures, mais aussi du fait des risques climatiques liés aux émissions de gaz à effet de serre ; dès lors les actions entreprises doivent satisfaire simultanément à ces deux exigences ;

3. s'étonne, par voie de conséquence, que le Livre vert ne fasse quasiment pas mention de l'énergie nucléaire, en particulier dans ses développements consacrés à la production d'électricité, alors même que cette énergie n'émet pas de gaz à effet de serre et demeure la solution la plus crédible, en l'état des connaissances scientifiques et technologiques, pour alimenter en électricité les grandes agglomérations, et que son caractère « incontournable » a été reconnu dans le récent bilan, dressé par la Commission, d'un précédent Livre vert sur la politique énergétique de l'Union européenne ;

4. juge indispensable de promouvoir l'efficacité énergétique au niveau international, notamment par l'intégration d'une dimension de « promotion de l'utilisation rationnelle de l'énergie » dans tous les partenariats de coopération économique de l'Union européenne, afin que les efforts consentis à l'échelon communautaire ne soient pas réduits à néant par les comportements énergétiques de nos partenaires des pays industrialisés et des pays en développement.

II. - Sur la répartition des compétences entre l'Union européenne et les Etats membres

5. constate les réticences des Etats membres à la mise en place d'une politique commune de l'énergie, mais observe que le projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe prévoyait de faire de l'énergie un domaine de compétence partagée et que le Conseil européen informel d'Hampton Court du 27 octobre 2005 a réaffirmé la nécessité d'actions en commun dans ce domaine ;

6. engage la Commission européenne à veiller de façon accrue à l'application des normes communautaires en vigueur relatives à l'énergie, ce qui implique non seulement de suivre le respect des délais de transposition, mais aussi de contrôler l'effectivité des dispositifs nationaux adoptés, en particulier en matière d'ouverture du marché intérieur de l'électricité et du gaz ;

7. propose d'accentuer les efforts consacrés à la recherche énergétique au niveau communautaire, notamment par une augmentation des crédits destinés à ce secteur dans le cadre du septième programme-cadre de recherche et développement (PCRD) et du programme-cadre de recherche Euratom, afin de favoriser les ruptures technologiques attendues en ce qui concerne la capture et la séquestration du dioxyde de carbone, le stockage temporaire de l'électricité, l'hydrogène et la fusion nucléaire ;

8. suggère que des objectifs contraignants puissent être imposés au niveau communautaire, en tenant compte de la diversité des situations nationales et en faisant preuve de réalisme, si les résultats constatés à l'échéance de l'actuel plan d'action visant à renforcer l'efficacité énergétique sont trop éloignés des objectifs indicatifs fixés par diverses dispositions de ce plan d'action ;

9. rappelle que les objectifs mentionnés dans la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique française sont généralement plus ambitieux que ceux établis au niveau communautaire.

III. - Sur la pertinence des actions à mener

10. juge particulièrement opportune la volonté de la Commission de privilégier une relance des actions en faveur des économies d'énergie, d'autant qu'un relâchement des efforts entrepris est constaté ces dernières années, et estime nécessaire de concentrer les actions sur les deux secteurs pour lesquels les potentialités d'économies sont les plus élevées, à savoir les transports et le bâtiment ;

11. propose de généraliser le dispositif du marché des certificats d'économies d'énergie à l'ensemble des Etats membres, si le bilan des expériences engagées par la France et l'Italie s'avère positif ;

12. souligne que la réussite des politiques d'économie d'énergie impose la formation de professionnels qualifiés en nombre suffisant et que ces politiques ne peuvent obtenir de résultats durables sans un renforcement des actions éducatives, auprès des jeunes en priorité ;

13. insiste sur la nécessaire exemplarité du secteur public, tant au niveau national que local ;

14. note qu'il existe un foisonnement de solutions énergétiques alternatives à l'utilisation des hydrocarbures et que les pouvoirs publics doivent jouer sur leur complémentarité pour utiliser chaque énergie dans son usage le plus approprié. Ils doivent aussi veiller à faire prévaloir l'intérêt général sur les intérêts particuliers, à évaluer les coûts globaux de chaque énergie et à distinguer les solutions à court terme des réponses plus durables. »