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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 175

Réunion du mercredi 7 juin 2006 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Communications de MM. René André, sur l'instrument de préadhésion et la stratégie d'élargissement (E 2724), et Thierry Mariani, sur l'instrument de voisinage et de partenariat et la politique de voisinage (E 2725)

M. René André, rapporteur, a indiqué que la proposition de règlement créant un instrument d'aide de préadhésion était l'une des composantes de la réforme des instruments de l'action extérieure de l'Union européenne en vue de les regrouper en six dispositifs : aide humanitaire, stabilité, aide macrofinancière, aide de préadhésion, aide de voisinage et de partenariat, coopération au développement et coopération économique. Les débats qui ont eu lieu entre le Conseil et le Parlement européen devraient aboutir à l'adoption de la réforme sous présidence autrichienne et permettre son entrée en vigueur au 1er janvier 2007 dans le cadre des perspectives financières 2007-2013. Le rapporteur a proposé d'approuver la création de l'instrument d'aide de préadhésion au point 1 de la proposition de conclusions qu'il a soumise à la Délégation.

Le rapporteur a ensuite expliqué que cet examen était surtout l'occasion d'engager la réflexion sur les conditions de l'élargissement futur de l'Union européenne, avant le Conseil européen des 15 et 16 juin, à la lumière de la place centrale qu'a prise l'élargissement dans le débat sur l'avenir de l'Europe et des préoccupations de l'opinion publique.

L'élargissement s'est d'abord trouvé au centre des enjeux au moment de l'élaboration du traité constitutionnel, afin de répondre à une double ambition.

La première était d'établir le plus juste équilibre entre le nombre d'Etats membres et la taille de leur population dans les mécanismes de décision à la majorité qualifiée, de manière à éviter le blocage d'un ensemble démocratique de 450 millions d'habitants. La fragmentation de l'Ex-yougoslavie qui continue avec l'indépendance du Monténégro et pourrait se poursuivre avec le Kosovo et peut-être même avec une séparation de la République serbe d'avec la Bosnie-Herzégovine conduit à s'interroger sur leur poids respectif dans la future Union élargie.

La deuxième s'efforçait de développer une union politique à côté de l'union économique et monétaire, qu'il est difficilement envisageable de réaliser à vingt-cinq.

L'élargissement s'est également trouvé au centre des débats de ratification du traité constitutionnel, en particulier sur deux autres thèmes : la question des frontières de l'Union européenne et l'avenir incertain du modèle social européen.

Le rapporteur a proposé à la Délégation, au point 2 des conclusions, de considérer que l'Union devait confirmer à l'ensemble des pays des Balkans occidentaux la perspective européenne qu'elle leur a promise à Thessalonique mais à la condition que chacun respecte complètement les critères d'adhésion généraux et spécifiques à cette région.

Cette nouvelle exigence s'est d'ailleurs peut-être exercée pour la première fois non pas pour l'adhésion à l'Union mais pour l'adhésion à l'euro. La candidature de la Lituanie à l'euro a été rejetée avec une extrême sévérité parce qu'elle a dépassé de 0,2 point le seuil requis en matière d'inflation (2,7 % au lieu de 2,5 % entre avril 2005 et mars 2006), alors qu'elle remplissait les quatre autres critères. C'est un signal politique qui pourrait s'adresser à tout candidat à l'adhésion à un système communautaire européen : être presque parfait ne suffit plus, il faut répondre parfaitement aux conditions.

A cet égard, les autres pays des Balkans occidentaux bénéficient d'une perspective d'élargissement, offerte par les Conseils européens de Feira en juin 2000 et de Thessalonique en juin 2003. Ces pays devront s'engager dans un long processus de réformes avant l'adhésion mais il faudra veiller à ne pas les décourager.

Cependant, avant d'accueillir tous ces pays qui ont vocation à entrer dans l'Union européenne, celle-ci devra réformer ses institutions et définir sa capacité d'assimilation de nouveaux Etats membres. Le rapporteur a proposé à la Délégation d'adopter sur ce thème, dans ses conclusions, les quatre points suivants :

- la Délégation estime que la réforme des institutions de l'Union européenne est une condition préalable à tout nouvel élargissement après l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, sous réserve d'un examen ultérieur du cas de la Croatie ;

- elle demande que le critère énoncé par le Conseil européen de Copenhague en 1993 relatif à « la capacité de l'Union à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne » soit précisé pour s'appliquer désormais à tout nouvel élargissement ;

- elle définit ce critère comme la capacité d'organiser la convergence, la cohérence, la cohésion et la confiance des anciens membres avec un nouvel Etat dont l'adhésion accroît l'hétérogénéité de l'Union, afin que celle-ci fonctionne efficacement, préserve ses valeurs et ses acquis et progresse vers l'intégration des politiques ;

- elle rappelle que la liberté d'expression, la laïcité et l'existence de médias libres et indépendants sont des valeurs auxquelles la société démocratique européenne est indéfectiblement attachée et souligne que tout pays candidat doit s'engager à respecter et à promouvoir les libertés de l'Union et non à demander leur limitation.

Le rapporteur a considéré que l'adhésion de la Bulgarie, de la Roumanie et, dans quelques années, de la Croatie, étaient déjà acquises.

Pour les autres pays des Balkans occidentaux, il est compréhensible que l'Union ai interrompu la négociation d'un accord de stabilisation et d'association avec la Serbie et décidé de ne la reprendre qu'après l'arrestation de Mladic. Elle devrait cependant faire attention à ne pas décourager les démocrates serbes et à ne pas laisser ce pays retomber dans ses errements en raison d'un sentiment de rejet largement répandu dans la population.

L'indépendance du Monténégro, approuvée à 55,4 % lors du référendum du 21 mai 2006, risque d'entraîner des répercussions sur les négociations engagées depuis février 2006 entre les autorités serbes et kosovares sur le statut définitif du Kosovo, ainsi que sur la stabilité de toute la région. Les Serbes vont devoir accepter une solution se situant entre l'autonomie substantielle et l'indépendance du Kosovo.

Le rapporteur a déclaré exprimer une opinion personnelle, mais la République serbe de Bosnie-et-Herzégovine risque de ne pas accepter longtemps de faire partie de la Bosnie-Herzégovine après l'indépendance du Monténégro et du Kosovo. Avec la Serbie, l'Union européenne doit manier l'espérance et la fermeté, mais ne doit pas lui couper tout espoir.

Le Président Pierre Lequiller a insisté sur l'importance du point n° 3 des conclusions présentées par le rapporteur : si l'Europe s'élargit sans cesse, elle n'aura plus les moyens de fonctionner, de décider. A vingt-cinq, à vingt-sept, demain peut-être à trente, il est évident qu'une réforme des institutions est nécessaire, et que cette réforme doit être préalable à tout élargissement au-delà de la Bulgarie et de la Roumanie. C'est d'ailleurs ce qui est prévu par le traité de Nice, concernant la composition de la Commission. Il est important aussi d'insister sur le nouveau concept qui est celui de la « capacité d'absorption » ou « d'assimilation ».

M. René André, rapporteur, a souligné que, s'agissant du point n° 3 des conclusions, on en arrive à préconiser, comme l'avait fait le Président Valéry Giscard d'Estaing, que l'approfondissement précède l'élargissement. On ne peut que constater, pour le regretter, que c'est la conception britannique qui l'a emporté ces dernières années. Il faut que l'Europe devienne une véritable force politique face aux géants qui existent ou qui apparaissent au niveau mondial. Certes, devenir une telle force ne devra pas se faire sans respecter le rôle des Etats, voire des régions. En tout état de cause, une telle évolution passe par une réforme des institutions, notamment pour convaincre les citoyens européens.

M. Jacques Myard a reconnu que le rapport présenté par M. René André pose une question fondamentale. Nous avons changé de monde. Le problème, c'est que les positions du rapporteur s'inscrivent encore dans un modèle qui est la logique de l'intégration. Ce modèle est dépassé. La question est désormais : qui veut faire quoi sur tel ou tel sujet ? L' « A.D.N », le « logiciel » des traités, surtout depuis l'Acte unique, est que l'on a voulu tout harmoniser, tout intégrer. Ainsi est-on passé d'une Communauté volontaire à une Communauté intégrée dans laquelle tous ont l'obligation de s'aligner. Mais ce fût une grave erreur, et ça l'est encore plus dans une Europe à vingt-cinq, à vingt-sept... C'est un échec assuré. Aussi faut-il augmenter considérablement la flexibilité, pour prendre en compte le fait que tous n'avanceront pas à la même vitesse. L'Europe constitue un enjeu de solidarité régionale, pas un enjeu mondial. En-dehors de l'objectif de paix, les différents Etats européens n'ont pas les mêmes intérêts. C'est pourquoi la méthode doit changer.

Enfin, s'agissant de l'indépendance du Monténégro, il faut s'attendre à des effets dramatiques de ce phénomène de dislocation des Etats. Ce processus pourrait bien encourager ceux qui sont prêts à redessiner la carte de l'Europe pour y inscrire la Catalogne, un district Strasbourg-Kehl... C'est une vision extrêmement dangereuse. On ne peut pas à la fois poursuivre l'intégration et encourager les régionalismes et les « roitelets » locaux. M. Jacques Myard a conclu en indiquant qu'il ne pouvait donc pas adhérer aux conclusions qui préconisent une intégration accrue pour élargir l'Union.

M. René André, rapporteur, a observé que ses positions et celles de M. Jacques Myard n'étaient en réalité pas si éloignées. Certes, il est clair qu'une union politique n'est pas réalisable à vingt-cinq, ni a fortiori à vingt-sept ou à trente. Mais il s'est dit persuadé que les Etats membres de l'Union ont au moins quelques valeurs communes et que, tout en respectant les particularités de chacun, ils doivent les faire partager à tous les Européens. Elles ne sont pas encore partagées par tous en Europe, et notre intérêt est de les faire partager. Quant à l'objectif de paix, il ne doit pas être dévalorisé car il demeure essentiel.

M. René André s'est dit certain que l'on peut avoir une Europe à géométrie variable, une « Europe à la carte », avec une sorte de « noyau dur » de pays qui décideront de travailler ensemble et que d'autres pourront ensuite rejoindre.

Il serait tout à fait inexact de considérer que l'Union européenne porte la responsabilité du problème du Kosovo. C'est un problème qui dépasse l'Union et qui est dû en grande partie aux Etats-Unis d'Amérique.

S'agissant du désir de « casser » les Etats-nations pour faire une « Europe des régions », il faut souligner que certains pays le souhaitent (l'Espagne, la Belgique, le Royaume-Uni), mais que d'autres comme la France ne le veulent pas. Mais pourquoi ne pas envisager la coexistence de plusieurs organisations, des organisations de type national et des organisations de type régional ?

Enfin, M. René André a souligné que l'Europe doit présenter un front uni au plan mondial. Dans la guerre économique en cours, face aux Etats-Unis, à la Chine, au Brésil, à l'Inde, il ne faut surtout pas que les Etats européens soient divisés. C'est pour cela qu'une réforme des institutions est indispensable.

Le Président Pierre Lequiller a souligné qu'il s'agit d'un débat récurrent, et que sur un certain nombre de points il apparaît qu'un réel consensus existe entre les membres de la Délégation : il faut que l'Europe s'organise selon des modalités différentes selon les problèmes à résoudre.

Il a cité le Président de la Commission, M. José Manuel Barroso, rencontré la veille à Bruxelles. Celui-ci, faisant référence à la démarche du président tchèque, M. Vaclav Klaus auprès du Président russe, M. Vladimir Poutine afin que la Russie ne prive pas l'Europe de son approvisionnement énergétique, a fait observer : « quel poids pèse dans ce genre de situation la demande d'un Président isolé ? Il est impératif de parler d'une seule voix ».

M. Jacques Myard a observé que cela se fait naturellement quand les Etats membres ont des intérêts communs, mais que c'est loin d'être le cas quand ils ont des intérêts divergents.

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M. Thierry Mariani, rapporteur, a indiqué que l'examen de la proposition de règlement créant un instrument européen de voisinage et de partenariat était surtout l'occasion de présenter la nouvelle politique de voisinage de l'Union européenne, ses orientations, ses instruments et les défis de sa mise en œuvre dans un contexte de crises et de fortes attentes chez les voisins de l'Est comme du Sud, et d'engager la réflexion sur la définition des frontières de l'Union européenne, avant le Conseil européen des 15 et 16 juin.

La politique de voisinage poursuit trois orientations. Elle repose d'abord sur une approche unifiée des relations de l'Union européenne avec un ensemble de 16 pays : 9 pays du Sud : Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Israël, Autorité palestinienne, Jordanie, Syrie et Liban ; 5 pays de l'Est : Ukraine, Moldavie, Georgie, Arménie, Azerbaïdjan ; 2 pays ont vocation à participer lorsqu'ils auront normalisé leurs relations avec l'Union : Biélorussie et Libye.

La liste a évolué depuis sa fixation par le Conseil « Affaires générales » en juin 2003. Le Conseil européen de juin 2004 a exclu la Russie de son champ à la demande de ce pays, pour développer un partenariat stratégique spécifique dans le cadre des « quatre espaces communs » définis lors du sommet de Saint-Pétersbourg en mai 2003. En revanche, le même Conseil européen a décidé d'inclure l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie dans la politique européenne de voisinage.

Elle propose ensuite à ces pays une stratégie d'intégration économique et de coopération politique sans perspective d'adhésion, afin de surmonter quatre défis : démocratique, économique, énergétique et migratoire. Pour répondre à ces quatre défis, l'Union européenne propose à ses voisins une offre économique et une offre en matière de sécurité, avec un développement de la coopération transfrontalière.

Enfin, la politique de voisinage tire les leçons de la lenteur du processus de réforme aussi bien à l'Est qu'au Sud et introduit une méthode de différenciation par pays pour dynamiser l'approche régionale.

La politique de voisinage met en œuvre trois instruments. Elle s'appuie d'abord sur le cadre contractuel existant : les accords d'association avec les partenaires euro-méditerranéens et les accords de partenariat et de coopération avec les pays issus de l'ex-Union soviétique.

Elle crée des plans d'action. D'une durée de trois à cinq ans, ils fixent des priorités pour les deux parties en fonction des spécificités de chaque pays voisin et font l'objet d'une évaluation régulière. Sept plans d'action ont été adoptés avec Israël, la Jordanie, la Moldavie, le Maroc, l'Autorité palestinienne, la Tunisie et l'Ukraine. Cinq autres sont en négociation avec l'Arménie, l'Azerbaïdjan, l'Egypte, la Géorgie et le Liban.

Enfin, elle fusionne les instruments financiers Meda et Tacis dans un instrument unique. Le débat le plus difficile sur l'IEVP a concerné la répartition géographique indicative des crédits par région entre l'Est et le Sud. Le Conseil est parvenu à un compromis apportant la garantie essentielle sur le respect de l'équilibre actuel que demandaient la France et les membres du sud de l'Union : la répartition pluriannuelle entre pays et régions prendra pour base le niveau d'assistance prévu dans les perspectives financières actuelles, soit deux tiers pour le Sud et un tiers pour l'Est.

Au total, seule la mise en œuvre de la politique de voisinage permettra de lever un certain nombre d'incertitudes. Une différenciation par pays poussée à l'extrême pourrait contrarier l'intégration régionale entre les partenaires méditerranéens qui est l'un des principaux objectifs du processus de Barcelone. Enfin, l'absence de perspective d'adhésion pour les voisins pose la question de savoir s'ils se contenteront des contreparties offertes par la politique de voisinage et si l'Union européenne peut transformer ses voisins tout en les tenant à distance.

La politique de voisinage devra relever les défis d'une mise en œuvre dans un contexte de crises et de fortes attentes à l'Est comme au Sud.

En premier lieu, les voisins de l'Est sont partagés entre les politiques de voisinage de la Russie et de l'Union européenne. La Russie rétablit en effet progressivement un rapport de puissance avec son étranger proche sur les plans économique, militaire et énergétique.

La Russie a signé le 19 septembre 2003 avec la Biélorussie, le Kazakhstan et l'Ukraine un accord pour la formation d'un Espace économique commun (EEC). Il prévoit la mise en place progressive d'une zone de libre-échange puis d'une union douanière. L'Ukraine et les autres voisins de l'Est devront décider de la cohérence des diverses politiques commerciales qu'ils sont en train de négocier aux niveaux multilatéral, dans le cadre de leur adhésion à l'OMC, et régional, avec la création d'un Espace commun avec la Russie et d'une zone de libre-échange avec l'Union européenne.

Ensuite, la Russie a maintenu une présence militaire en Transnistrie, après sa séparation de la Moldavie en 1992, et en Géorgie et a adopté une position très ambiguë à l'égard des séparatismes et des conflits gelés dans la région depuis une décennie.

Enfin, la crise du gaz russo-ukrainienne a été le point d'orgue de la volonté de la société russe Gazprom de mettre fin aux tarifs préférentiels du gaz consentis aux voisins de la Russie et de prendre le contrôle des voies d'approvisionnement du gaz vers l'Europe. Cette crise a également fait prendre conscience à l'Union européenne de sa dépendance énergétique, au moment où la parenthèse de la Mer du Nord prend fin et où les entreprises de deux des principaux producteurs mondiaux de gaz, la Russie et l'Algérie, se rapprochent. Le Conseil européen de mars 2006 ne s'est pas encore accordé sur une politique commune de l'énergie, mais il a approuvé le développement d'une politique extérieure commune de l'énergie.

En dehors de la Biélorussie qui est le seul pays de la région à tourner le dos à l'Union européenne, l'aspiration des autres pays de la région à la démocratie et à l'Europe a commencé à devenir crédible avec les révolutions démocratiques et les élections des Présidents Saakachvili en Géorgie, en janvier 2004, et Ioutchenko en Ukraine, en décembre 2004. Ces révolutions démocratiques sont l'expression d'un choix de toute la société mais elles traduisent aussi la volonté d'une majorité au sein des populations d'appartenir à la communauté eurotlantique. Le souhait d'adhérer à l'Union européenne accompagne celui d'adhérer à l'OTAN. Les Etats-Unis ont soutenu activement le mouvement de démocratisation à travers de puissantes ONG et ne cachent pas leur volonté d'attirer ces pays dans la sphère d'influence euroatlantique en considération de leur importance géopolitique.

L'intérêt de l'Union européenne pourrait être de constituer une zone d'équilibre dans laquelle l'Union européenne et la Russie entretiendraient des relations avec ces pays dans le respect mutuel des préoccupations des deux partenaires. L'Union ne réalisera en effet pleinement l'objectif de prospérité et de sécurité de sa politique de voisinage qu'avec le règlement des conflits gelés dont la Russie détient en partie les clés.

En second lieu, les voisins arabes du Sud sont partagés entre une volonté de modernisation et la montée de l'islamisme fondamentaliste.

La relance du processus de Barcelone est difficile dans un contexte marqué par quatre crises : une instabilité régionale croissante ; la concurrence de la Chine et de l'Inde sur le textile et la hausse des prix du pétrole et du gaz qui a accru l'écart entre les pays pétroliers et les autres ; la montée de l'islamisme politique radical lors des élections récentes ; enfin, la crise des caricatures de Mahomet.

Des ambiguïtés doivent être dissipées. Les voisins du Sud se prononcent pour la réforme mais à leur rythme et selon leur voie. L'expérience montre que la plupart des gouvernements laïcs autoritaires n'ont pas renoncé à gouverner en s'appuyant sur des forces de sécurité dont la puissance s'est encore renforcée avec la lutte contre le terrorisme. Ces gouvernements sont en effet soumis à une demande contradictoire des Etats-Unis et, dans une moindre mesure, de l'Union européenne, qui tantôt les pressent de démocratiser rapidement, tantôt leur demandent d'accorder la priorité à la lutte contre le terrorisme. Cette contradiction a pu constituer une aubaine pour certains gouvernements peu pressés de réformer, mais l'Union européenne devra, à cet égard, hiérarchiser ses propres objectifs dans ses relations de voisinage.

Le Conseil européen des 15 et 16 juin devrait être amené à débattre de l'avenir de l'Union européenne et, éventuellement, de ses frontières. Une définition des frontières dès maintenant serait prématurée. Il paraît en effet difficile de délimiter des frontières sans avoir choisi au préalable le projet de l'Union qui les détermine.

L'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie et les nouvelles possibilités d'élargissement à l'Est posent désormais la question de la définition des frontières de l'Union européenne. Or, faute de pouvoir se figurer le projet européen, l'opinion publique désorientée se raccroche à l'Europe géographique et ne comprend pas les décisions prises au coup par coup à l'égard de sa périphérie, sans vision d'ensemble.

En réalité, le temps est peut-être venu de reconnaître que l'Union européenne ne peut pas définir ses frontières avant de définir son projet, qu'il y a deux projets de l'Union et que les deux projets n'ont pas nécessairement les mêmes frontières.

Mais faute d'avoir fait ce choix, l'Union européenne a pour l'instant donné une réponse ambiguë à ses voisins et risque de se trouver face à une contradiction insoluble. En effet, d'une part elle a fourni un début de réponse positive à la Turquie en lui reconnaissant le statut de pays candidat et en ouvrant les négociations d'adhésion. Mais d'autre part, elle a fourni un début de réponse négative à l'Ukraine, à la Moldavie et aux trois Etats du Caucase en les classant dans la nouvelle politique de voisinage comme des voisins n'ayant pas vocation à adhérer à l'Union européenne.

Cependant, la Commissaire aux relations extérieures chargée de la politique de voisinage, Mme Benita Ferrero-Waldner, a expliqué que la politique de voisinage n'était pas censée déterminer la qualité de candidat qui relève d'un autre processus de décision.

Il semblerait en effet incohérent de dire définitivement non maintenant à l'Ukraine si l'Union européenne devait dire oui dans dix ans à la Turquie. Mais il serait difficile de repousser de dix ans la définition des frontières de l'Union européenne et de laisser sans réponse une demande de l'opinion publique européenne.

La création d'un Espace économique multilatéral européen avec le voisinage donnerait le temps à l'Union de choisir son projet et de définir ses frontières. La politique de voisinage offre en effet une perspective ambitieuse puisqu'elle pourrait déboucher sur un réseau d'accords européens de voisinage susceptibles de constituer, ou d'accompagner, la relation multilatérale étroite mentionnée dans la résolution du Parlement européen du 16 mars 2006 sur le document de stratégie pour l'élargissement 2005 de la Commission.

L'Union européenne est devant le choix soit de la différenciation des deux projets, soit de leur réconciliation.

Dans le cadre d'une différenciation assumée, un grand ensemble régional à la mesure des autres ensembles régionaux du XXIe siècle pourrait se constituer progressivement autour de trois cercles clairement articulés entre eux : le cercle des amis rassemblant dans un grand espace économique et de sécurité paneuropéen et euro-méditerranéen l'Union et ses voisins sur le mode de la coopération la plus étroite ; le cercle de la famille étendue, fondé sur l'Union européenne actuelle du grand marché européen et des politiques communes, combinant intégration économique et coopération politique ; le cercle de la famille proche, regroupant ceux des membres de l'Union européenne qui voudraient réaliser l'Union économique et monétaire et l'union politique sur le mode de l'intégration la plus approfondie, sans nécessairement créer un super Etat fédéral.

Cependant, des évolutions sont peut-être en train de rapprocher les deux projets de l'Union et d'élever les ambitions des membres les plus modestes. D'une part, la volonté d'adhésion de la Turquie et des voisins de l'Est confronte désormais l'Union européenne à des enjeux stratégiques et géopolitiques qui ne sont plus ceux d'une simple organisation de marché mais ceux d'une puissance en formation. D'autre part les bouleversements dans le secteur de l'énergie ont amené les tenants de l'Europe marché à approuver l'adoption par le Conseil européen d'une politique extérieure commune de l'énergie. La réconciliation des deux projets de l'Union européenne a peut-être enfin commencé.

Estimant que l'on ne pouvait maintenant que mesurer les contradictions dans lesquelles est enfermée l'Union européenne, M. Jacques Myard s'est déclaré convaincu que la question se dénouerait à terme avec la mise en place d'un Conseil de sécurité européen, à l'échelle du continent. Il n'est en effet pas possible d'ignorer, sur le plan géostratégique et énergétique, ni la Russie, ni la Turquie, pas plus que la situation en Ukraine. L'avenir se chargera donc d'écrire les compléments à l'actuel texte du rapport, compléments qu'il n'est pas encore possible d'anticiper avec précision. L'OSCE ne représente de ce point de vue qu'une avancée encore embryonnaire.

S'agissant des crédits européens de la politique de voisinage, les modalités de leur emploi doivent faire l'objet d'une grande attention, car ils doivent servir les intérêts européens et non contribuer, à l'occasion de l'attribution d'appels d'offres sur des projets, par exemple, au développement de l'influence d'organisations anglo-saxonnes. A l'occasion des « révolutions de couleur » dans les pays d'Europe orientale ou du Caucase, certaines ONG américaines dont les membres ont pu avoir des liens avec de grandes agences fédérales ont ainsi cherché à accroître leur influence sous le couvert de la démocratisation. Il faut se garder d'un certain aventurisme politique américain qui pourrait prendre corps avec la complaisance voire la connivence de certains de nos partenaires, lesquels risqueraient par conséquent, comme la Pologne, d'être considérés comme de véritables têtes de pont en Europe.

M. René André a préalablement indiqué faire siennes, sur de nombreux points, les observations de M. Jacques Myard, estimant par ailleurs que l'Union européenne avait fait une erreur de vouloir inclure sur le même pied des Etats aussi différents que la Russie et la Moldavie ou la Libye dans sa politique de voisinage. La Russie souhaite une discussion directe avec l'Union européenne et pourrait en outre considérer comme insultant de méconnaître le chemin qu'elle a parcouru depuis la crise économique et financière de 1998. Grâce aux recettes pétrolières, elle est une très grande puissance. Ce que l'on appelle les révolutions démocratiques s'est effectivement accompagné d'un renforcement de l'influence d'ONG américaines. Le refus des pays membres de l'Union de suivre la proposition polonaise d'une OTAN de l'énergie a, par ailleurs, et heureusement, évité de mettre notre politique énergétique sous une certaine influence américaine. Il faut donc rester vigilant.

S'agissant du point n° 9 de la proposition de conclusions (« Considère qu'il serait incohérent de dire définitivement non maintenant à une perspective d'adhésion pour l'Ukraine si l'Union européenne devait dire oui dans dix ans à l'adhésion de la Turquie et qu'il serait prématuré de délimiter ses frontières avant qu'elle ait défini son projet »), M. René André a souhaité que ce point sur les perspectives d'adhésion et les adhésions futures distingue bien le cas de l'Ukraine de celui de la Turquie. Ceux-ci sont complètement différents. Kiev est notamment considérée comme la mère de toutes les villes russes et l'Ukraine a d'une manière générale une très forte proportion de sa population qui est russophone. Le texte écrit du rapport rappelle d'ailleurs fort à propos que l'on ne pourra traiter le cas de l'Ukraine sans tenir compte des préoccupations mutuelles de l'Union européenne et de la Russie.

En conclusion, M. René André a estimé que celui-ci serait d'un grand intérêt pour les membres de la mission d'information « énergie et géopolitique ».

M. Jérôme Lambert a estimé que le sujet méritait une réflexion approfondie, sachant qu'il faut insister sur la nécessité pour l'Union européenne d'adopter des institutions plus efficaces avant de procéder, dans le futur, à des élargissements.

Le Président Pierre Lequiller a relevé la qualité des analyses du rapporteur, notamment sur l'énergie avant d'indiquer qu'il partageait le point de vue de M. René André sur le dispositif de la proposition de conclusions s'agissant de l'Ukraine et de la Turquie. Une telle mention ne doit pas figurer dans les conclusions, même si l'on partage, comme c'est son cas, le contenu de la communication sur ce point. En effet, le problème de l'Ukraine se pose également pour la Moldavie et la Biélorussie, entre autres.

En réponse, le rapporteur a indiqué que l'influence des ONG précédemment mentionnées avait également pu être perçue à Minsk, et qu'il fallait par ailleurs accorder une grande attention au rôle et à la composition des équipes de l'OSCE chargées des missions d'observation des élections, car l'équilibre entre les anglo-saxons et les autres ne semble pas aller de soi.

Sur un autre plan, la Russie bénéficie effectivement de ressources pétrolières qui lui permettent de financer sa modernisation.

Après modification, à l'initiative du rapporteur, de son dispositif de manière à supprimer toute mention de la question des adhésions de la Turquie et de l'Ukraine, la Délégation a approuvé la proposition de conclusions suivante :

« La Délégation,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Conseil établissant un instrument d'aide de préadhésion (COM (04) 627 final du 29 septembre 2004 - document E 2724),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant dispositions générales concernant la création d'un instrument européen de voisinage et de partenariat (COM (04) 628 final du 29 septembre 2004 - document E 2725),

Vu le document de stratégie pour l'élargissement 2005 de la Commission du 9 novembre 2005 (COM (05) 561 final),

Vu la communication de la Commission du 27 janvier 2006 intitulée « les Balkans occidentaux sur la voie de l'Union européenne : renforcer la stabilité et la prospérité » (COM (05) 27 final),

Vu la résolution du Parlement européen du 16 mars 2006 sur le document de stratégie pour l'élargissement 2005 de la Commission, notamment ses points 5, 6 et 10,

Sur les conditions de l'élargissement futur de l'Union européenne :

1. Approuve la création de l'instrument d'aide de préadhésion pour remplacer plusieurs programmes existants et rationaliser l'assistance financière à compter du 1er janvier 2007 ;

2. Considère que l'Union doit confirmer à l'ensemble des pays des Balkans occidentaux la perspective européenne qu'elle leur a promise à Thessalonique mais à la condition que chacun respecte complètement les critères d'adhésion généraux et spécifiques à cette région ;

3. Estime que la réforme des institutions de l'Union européenne est une condition préalable à tout nouvel élargissement après l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, sous réserve d'un examen ultérieur du cas de la Croatie ;

4. Demande que le critère énoncé par le Conseil européen de Copenhague en 1993 relatif à « la capacité de l'Union à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne » soit précisé pour s'appliquer désormais à tout nouvel élargissement ;

5. Définit ce critère comme la capacité d'organiser la convergence, la cohérence, la cohésion et la confiance des anciens membres avec un nouvel Etat dont l'adhésion accroît l'hétérogénéité de l'Union, afin que celle-ci fonctionne efficacement, préserve ses valeurs et ses acquis et progresse vers l'intégration des politiques ;

6. Rappelle que la liberté d'expression, la laïcité et l'existence de médias libres et indépendants sont des valeurs auxquelles la société démocratique européenne est indéfectiblement attachée et souligne que tout pays candidat doit s'engager à respecter et à promouvoir les libertés de l'Union et non à demander leur limitation ;

Sur la politique européenne de voisinage et la définition des frontières de l'Union européenne :

7. Approuve la création de l'instrument européen de voisinage et de partenariat à compter du 1er janvier 2007, à condition qu'il renforce le partenariat euro-méditerranéen et maintienne la répartition actuelle des crédits entre les voisins du Sud et ceux de l'Est ;

8. Demande que l'Union européenne définisse un modèle de relations privilégiées avec son voisinage, susceptible de constituer le point d'arrivée ultime du rapprochement des voisins sans perspective d'adhésion, mais aussi la dernière étape obligatoire avant l'adhésion pour les pays bénéficiant actuellement d'une perspective d'adhésion. »

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Point A

Aucune observation n'ayant été formulée, la Délégation a approuvé les textes suivants :

¬ Commerce extérieur

- proposition de règlement du Conseil relatif au glucose et au lactose (version codifiée) (document E 3131) ;

- proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1255/96 portant suspension temporaire des droits autonomes du tarif douanier commun sur certains produits industriels, agricoles et de la pêche (document E 3149).

¬ Espace de liberté, de sécurité et de justice

- communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen établissant pour 2007-2013 un programme-cadre « Droits fondamentaux et justice ». Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil établissant pour 2007-2013 le programme spécifique « Combattre la violence (Daphné), prévenir la consommation de drogue et informer le public » dans le cadre du programme général « Droits fondamentaux et justice ». Proposition de décision du Conseil établissant pour 2007-2013 le programme spécifique « Droits fondamentaux et citoyenneté » dans le cadre du programme général « Droits fondamentaux et justice ». Proposition de décision du Conseil établissant pour 2007-2013 le programme spécifique « Justice pénale » dans le cadre du programme général « Droits fondamentaux et justice ». Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil établissant pour la période 2007-2013 le programme spécifique « Justice civile » dans le cadre du programme général « Droits fondamentaux et justice » (document E 2875) ;

- communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen établissant un programme-cadre « Sécurité et protection des libertés » pour la période 2007-2013 - Proposition de décision du Conseil établissant le programme spécifique « Prévention, préparation et gestion des conséquences en matière de terrorisme » pour la période 2007-2013 - programme général « Sécurité et protection des libertés » - Proposition de décision du Conseil établissant le programme spécifique « Prévenir et combattre la criminalité » pour la période 2007-2013 - programme général « Sécurité et protection des libertés » (document E 2950).

¬ PESC et relations extérieures

- action commune du Conseil modifiant et prorogeant l'action commune 2005/190/PESC relative à la mission intégrée « Etat de droit » de l'Union européenne pour l'Iraq, EUJUST LEX (document E 3150).

¬ Politique sociale

- proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'amélioration de la portabilité des droits à pension complémentaire (document E 2992).

Point B

Aucune observation n'ayant été formulée, la Délégation a approuvé les textes suivants :

¬ Commerce extérieur

- proposition de décision du Conseil portant acceptation, au nom de la Communauté européenne, du protocole portant amendement de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), fait à Genève le 6 décembre 2005 (document E 3147).

¬ Environnement

- proposition de directive du Conseil relative à la surveillance et au contrôle des transferts de déchets radioactifs et de combustible nucléaire usé (document E 3062).

¬ Espace de liberté, de sécurité et de justice

- projet de budget 2007 pour Europol (document E 3126).

¬ Questions budgétaires

proposition de décision du Conseil conformément à l'article 122, paragraphe 2, du traité pour l'adoption par la Slovénie de la monnaie unique au 1er janvier 2007 (document E 3160).

¬ Transports

- proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au financement pluriannuel de l'Agence européenne pour la sécurité maritime dans le domaine de la lutte contre la pollution causée par les navires et modifiant le règlement (CE) n° 1406/2002 (document E 2901).

Par ailleurs, la Délégation a pris acte de l'approbation, selon la procédure d'examen en urgence, du texte suivant :

- projet d'action commune du Conseil modifiant et prorogeant l'action commune 2005/643/PESC concernant la mission de surveillance de l'Union européenne à Aceh (Indonésie) (mission de surveillance à Aceh - MSA) (document E 3155).

Enfin, la Délégation a pris acte de l'accord tacite de l'Assemblée nationale, en vertu d'une procédure mise en œuvre en 2000, dont a fait l'objet le texte suivant :

- proposition de décision du Conseil portant modification de la décision 2005/231/CE autorisant la Suède à appliquer un taux d'imposition réduit sur l'électricité consommée par certains ménages et entreprises du secteur des services, conformément à l'article 19 de la directive 2003/96/CE (document E 3148).