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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 180

Réunion du mercredi 13 septembre 2006 à 15 heures

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Examen du rapport d'information de M. François Guillaume, sur la participation des salariés dans l'Union européenne

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que le rapport mettait en application l'une des récentes révisions du règlement de l'Assemblée nationale, qui vise à donner préalablement à chaque grand projet de loi un éclairage comparatif et européen, sur le droit communautaire et les règles applicables dans les principaux pays.

M. François Guillaume, rapporteur, a d'abord indiqué que la France est dans une situation différente de celle des autres pays, car elle dispose à la fois de dispositifs de participation financière, avec l'intéressement, la participation aux résultats de l'entreprise, l'actionnariat salarié et les instruments d'épargne salariale diversifiée, et de mécanismes de représentation des salariés, dans certaines entreprises, notamment celles qui ont été privatisées, au conseil d'administration ou au conseil de surveillance des sociétés. C'est le résultat d'une histoire fortement marquée, mais pas seulement, par l'influence du Général de Gaulle, avec l'association capital-travail. L'objectif a été de renouveler le dialogue social dans le cadre d'un partenariat renforcé. Plusieurs grandes étapes sont intervenues depuis l'instauration en 1959 de l'intéressement. Le dernier des instruments, le Plan d'épargne pour la retraite collectif, le Perco, fait le lien avec l'épargne retraite. Au fur et à mesure de l'évolution des différents dispositifs, des possibilités de diversification des actifs de la participation sont intervenues. La sécurité financière et la philosophie de la participation, suivant laquelle les capitaux restent à la disposition de l'entreprise pour permettre son développement, ont donné lieu à des arbitrages.

Parmi les pays qui ont des dispositifs de participation financière, lesquels ont des effets positifs sur la productivité, il faut citer le Royaume-Uni, où plusieurs instruments permettent aux salariés d'acquérir des actions de leur entreprise dans des conditions fiscales, et de cotisations sociales, préférentielles, et avec une période d'indisponibilité pendant laquelle les droits des salariés y sont gérés par un trust, ainsi que les Etas-Unis.

Les philosophies y sont cependant différentes. Il s'agit pour l'essentiel de récompenser et de fidéliser les salariés au Royaume-Uni. Aux Etats-Unis, l'objectif est de compléter par des mécanismes de capitalisation la faiblesse des prestations servies par le système public de retraite par répartition de la social security. Les régimes de retraite multiemployeurs, à gestion paritaire, sont de plus très peu nombreux. En outre, pour les dirigeants et les salariés les mieux rémunérés, il s'agit de diminuer l'impôt. Un élément intéressant pour les Etats-Unis concerne les stock options. Lorsque leur diffusion est large, elles bénéficient d'un régime fiscal favorable. La rémunération des chefs d'entreprise repose sur de nombreux instruments et le problème de la justification des niveaux actuels s'y pose comme dans les autres pays.

S'agissant des dispositifs de participation aux instances de décision des sociétés, dont le principe n'est pas bien perçu dans les pays anglo-saxons, l'Allemagne est un cas d'école, avec la présence, au-delà de cinq salariés, d'un comité d'entreprise aux compétences étendues, notamment en matière sociale, et la représentation, sur une base paritaire, des salariés au sein des conseils de surveillance des plus grandes sociétés. En revanche, les dispositifs de participation financière sont moins développés qu'ailleurs, notamment en raison de la faiblesse du nombre de sociétés par actions. Cette représentation des salariés n'est plus jugée aussi pertinente par le patronat, mais la Chancelière, Mme Angela Merkel, a indiqué que seul un toilettage de la loi était envisagé. Pour la France, une difficulté a récemment été mise à jour. Les modalités de la fusion entre Alcatel et Lucent ont prévu la suppression des administrateurs représentant les salariés d'Alcatel, et leur transformation en censeur, sans droit de vote, dans la nouvelle structure.

La distinction entre les représentants des salariés actionnaires et des salariés en tant qu'apporteurs en industrie, conduit à deux modalités de cette représentation. Lorsque celle-ci intervient par l'intermédiaire de représentants des branches syndicales, et non par des salariés de l'entreprise, l'exemple allemand montre que des conflits d'intérêt avec les stratégies syndicales d'ensemble peuvent apparaître. Les syndicats sont partagés sur cette question.

Sur le plan communautaire et européen, l'absence de règles communes fait que les entreprises implantées dans plusieurs Etats membres, qui ont chacun leurs règles spécifiques, ne peuvent établir un plan pour l'ensemble de leurs salariés. Les obstacles ont été identifiés par un groupe de travail à haut niveau présidé par M. Jean-Baptiste de Foucauld, inspecteur général des finances. Il faut donc que l'Union aille au-delà de ce qu'elle a jusque-là entrepris, et qui repose sur des rapport d'experts dits PEPPER, des recommandations indicatives ou des éléments de faible portée répartis dans différentes directives portant sur le droit des sociétés ou le droit social.

Le rapporteur a ensuite indiqué qu'au-delà de ce double constat d'une grande diversité des situations et d'une certaine absence de l'Europe sur un sujet pourtant essentiel, il avait été conduit à envisager, à titre personnel, plusieurs pistes de réflexion.

S'agissant de la France, certaines sont très techniques.

La première viserait à maintenir la faculté d'ouvrir dans le cadre de la participation de nouveaux comptes courants bloqués, formule notamment appréciée par un syndicat. La deuxième tendrait, pour les coopératives, à la mise en œuvre effective d'un dispositif de distribution différée d'une fraction du résultat destinée aux réserves facultatives impartageables.

Une troisième mesure viserait à renforcer le dialogue social par une réunion annuelle entre une délégation du comité d'entreprise et une délégation du conseil d'administration.

Une série de mesures permettrait par ailleurs de conforter la participation des salariés aux conseils d'administration et de surveillance des entreprises. Les salariés seraient incités à se grouper en association, pour présenter des candidats à ces fonctions. La question d'un vote double pour les actions des salariés doit par ailleurs être étudiée. En complément, la faculté serait ouverte d'abandonner, sur une base facultative, le principe de la gestion paritaire pour les fonds communs de placement d'entreprise. Ceux-ci seraient alors gérés par les seuls représentants des salariés. Par ailleurs, indépendamment de l'actionnariat salarié, la présence de représentants des salariés en tant qu'apporteurs en industrie, au sein des conseils de surveillance ou d'administration, serait prévue.

S'agissant des petites entreprises, la participation financière pourrait être favorisée, d'une part, par l'instauration d'un dividende du travail, pour les plus petites d'entre elles, ainsi que pour les sociétés non cotées, par un dispositif inspiré du principe anglais des phantom shares, mécanisme de reconnaissance d'un droit patrimonial sur une fraction du capital, qui permet au salarié de bénéficier d'une participation financière.

Sur le plan européen, où il s'agit de combler un vide, il convient de soutenir les initiatives communautaires qui permettraient aux entreprises de développer des plans européens de participation, ou de prévoir des mécanismes de reconnaissance mutuelle entre Etats, pour rendre plus homogène le fonctionnement des plans de participation actuels. De même, il convient de donner une valeur juridique aux résultats des négociations collectives transnationales et, si le projet se réalisait, il faudrait veiller à la dimension sociale de la future société privée européenne.

Le dernier groupe de propositions concerne les stock options, domaine où la France peut prévoir quelques mesures, notamment l'interdiction, pour les dirigeants ou mandataires sociaux, de lever les options pendant l'exercice de leurs fonctions, ou, à défaut, de le faire, selon un calendrier fixé ne varietur par l'assemblée générale, l'interdiction de procéder sans délai à la vente des actions acquises lors de la levée d'une option, un délai minimal devant être fixé. Pourraient également être prévus la gestion des options par un mandataire extérieur, qui ferait un rapport, la réintégration des stock options dans le droit commun en réservant le régime fiscal le plus favorable aux seuls plans qui en prévoiraient une large diffusion, ainsi que le rééquilibrage entre l'intérêt des stock options et des distributions d'actions gratuites, en demandant aux dirigeants d'opter pour l'un ou l'autre de ces dispositifs lors de leur entrée en fonction.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Le Président Pierre Lequiller a souligné l'intérêt du rapport, qui apporte des éléments d'information sur les dispositifs en vigueur au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Etats-Unis et fait ressortir l'absence de législation européenne. S'agissant des propositions personnelles du rapporteur, il a fait valoir qu'elles figureront à part dans le rapport, l'objet de ce dernier étant principalement d'éclairer l'Assemblée nationale sur la législation européenne et dans les Etats membres en vue du débat qui se tiendra en séance publique.

M. Michel Delebarre a jugé préoccupant que, dans le cas des groupes européens, la législation applicable soit celle du pays dans lequel ils ont leur siège. Il a estimé que pourrait être imaginé un système de représentation des salariés et de négociation à l'échelle européenne valable pour les salariés de ces groupes. En outre, il a souhaité que le rapport fasse état de l'avis du Comité économique et social européen sur la question.

Le rapporteur a considéré, comme M. Michel Delebarre, que les groupes européens posaient effectivement un problème, que ce soit pour la participation financière ou la participation non financière, car c'est la législation du siège du groupe qui s'applique, ce qui crée des disparités entre salariés, en l'absence d'harmonisation des législations. A cet égard, les régimes actuels sont divers puisqu'en Grande-Bretagne, l'accent est mis sur la participation financière à la différence de l'Allemagne, tandis que le système français repose sur une combinaison des deux systèmes de participation.

Le Président Pierre Lequiller a considéré que les difficultés invoquées résultaient de l'absence d'harmonisation, notamment fiscale au sein de l'Union européenne.

M. Daniel Garrigue a tout d'abord fait remarquer que durant les années 60 et 70, au cours desquelles la participation s'était développée, les entreprises se déployaient principalement dans un cadre national, alors qu'aujourd'hui leurs activités revêtent une dimension de plus en plus transnationale. A ses yeux, une telle évolution commande de réfléchir à l'élaboration de mécanismes et de solutions communes à l'échelle européenne, à défaut desquels le développement de la participation risquerait d'être entravé.

Il a ensuite souligné la nécessité de trancher le débat des années 90 sur l'alternative entre le développement de la participation et celui des fonds de pension et de choisir entre ces deux systèmes.

S'agissant de la cogestion, M. Daniel Garrigue a fait remarquer que l'idée gaulliste de l'association entre le capital et le travail en était proche. Rappelant que l'amendement Vallon avait eu précisément pour objet de promouvoir une telle association, il a relevé qu'une certaine cogestion était parfois assez avancée aussi au niveau de la branche, en France, et qu'en Allemagne elle se déploie à la fois au niveau de la branche et des entreprises.

En ce qui concerne les stock options, il a souligné la nécessité d'une réglementation et il a souhaité savoir si des Etats membres avaient déjà mis en place un cadre juridique en la matière.

Le rapporteur a apporté les réponses suivantes :

- accomplir des progrès dans le domaine de la participation financière et celui de la participation non financière exige uniquement d'apporter des aménagements à la législation française actuelle, et d'éviter d'être en contradiction avec les règles en vigueur dans les autres Etats membres. Sinon apparaîtraient des blocages auxquels se heurteraient les entreprises multinationales ;

- les fonds de pension sont assez ouverts et ne sont pas réservés aux salariés d'une même entreprise ;

- il importe d'instaurer un équilibre dans l'affectation des avoirs des salariés et d'éviter, comme c'est le cas dans le système américain, de rechercher une diversification excessive des dépôts des salariés issus de la participation, ce qui risquerait de réduire toute justification de la légitimité d'une participation non financière ;

- les accords sont en tout état de cause plus rapides en ce qui concerne la participation financière, laquelle pose moins de problèmes politiques et philosophiques que la participation non financière qui concerne la détention du pouvoir dans l'entreprise ;

- il y a également des polémiques sur les stock options dans les autres pays. Il faut effectivement encadrer le régime des stock options du fait des abus constatés. Il serait souhaitable d'accroître le caractère attractif de la participation financière grâce à la distribution d'actions gratuites. Dans le cas où le choix serait libre pour les dirigeants entre les stock options et ces dernières, nombre d'entre eux demanderont à en bénéficier, car cela les prémunira également contre le reproche de délit d'initiés, en cas de cession.

M. Jérôme Lambert a indiqué que le rapport abordait en fait la question de fond du fonctionnement du système capitaliste. Le problème majeur est celui de la répartition de la richesse entre les revenus du travail et ceux du capital. Le rapport de force actuel, au niveau mondial, défavorable au travail, ne permet pas de trouver un équilibre.

On ne règlera pas le problème avec une amélioration des règles sur la participation des salariés. Dans ce domaine comme dans d'autres, il faut d'abord procéder à une harmonisation européenne, les entreprises utilisant les différences entre les législations fiscales et sociales.

M. Gérard Voisin a félicité le rapporteur de l'importance de son travail et a regretté que le graphique comparant la participation financière dans les divers pays de l'Union à quinze ne permettait d'apprécier cette participation qu'en termes de proportions et non pas de masses financières réparties.

M. Robert Lecou a mis l'accent sur la situation française, paradoxale, associant un fort taux de participation financière et un très faible niveau de syndicalisation.

Le rapporteur a d'abord rappelé que la Délégation ne se réunissait pas aujourd'hui pour discuter de la remise en cause du système libéral et se contentait d'explorer des pistes pour l'amélioration de la participation. Il a précisé que certains chiffres figurant dans d'autres parties du rapport apportaient des compléments d'information sur la participation financière, tout en soulignant que les comparaisons rigoureuses étaient toujours difficiles. Il a ajouté que le faible niveau de syndicalisation n'empêchait pas les syndicats français d'exiger de se voir reconnaître le droit à l'exclusivité pour représenter les salariés dans les conseils d'administration.

Le Président Pierre Lequiller a confirmé qu'il serait intéressant de préciser le niveau des masses financières concernées dans le rapport. Il a également demandé que les taux de syndicalisation soient mentionnés. Il a enfin incité les membres de la Délégation, quelle que soit leur appartenance politique, à utiliser et à citer le présent rapport lors de la discussion du projet de loi en séance publique, afin de contribuer à l'européanisation du débat national.

La Délégation a ensuite autorisé la publication du rapport d'information.

II. Nomination d'un rapporteur d'information

Sur proposition du Président Pierre Lequiller, la Délégation a nommé M. Alfred Almont rapporteur d'information sur la réforme du volet interne de l'organisation commune des marchés dans le secteur de la banane.