Version PDF

DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 188

Réunion du mardi 14 novembre 2006 à 16 h 30

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Audition de M. Henri Proglio, Président-directeur général du Groupe Veolia Environnement, sur l'Europe des résultats

Le Président Pierre Lequiller a d'abord remercié M. Henri Proglio d'avoir accepté d'être auditionné par la Délégation. Il s'agit d'ailleurs d'une seconde audition puisqu'il y a quelques années, il avait déjà répondu à une précédente invitation.

Depuis plusieurs mois, la Délégation accueille des personnalités du monde des entreprises et des partenaires sociaux car l'Europe est en crise et le défi que nous devons relever actuellement est de permettre à nos concitoyens de percevoir la valeur ajoutée de l'Europe dans leur vie quotidienne. Nous avons ainsi entendu Mme Anne Lauvergeon, Présidente d'Areva, et MM. Jean-Louis Beffa, Président de Saint-Gobain, Jean-Martin Folz, ancien Président du Groupe PSA Peugeot-Citroën et Marcel Grignard, secrétaire national de la CFDT.

Dans ce cadre, il serait intéressant de préciser comment une entreprise comme Veolia Environnement, de taille mondiale, met en œuvre la dimension européenne de son activité. Dans le domaine de l'environnement, les normes européennes sont parmi les plus protectrices au monde et on observe une prise de conscience croissante des citoyens. Comment votre entreprise se situe-t-elle par rapport à cette demande et cette nécessité ? En matière de recherche et développement, l'effort, pour que l'Europe devienne l'économie la plus compétitive au monde, conformément à la stratégie de Lisbonne, doit non seulement être d'origine publique mais dépend surtout des entreprises privées. Pouvez-vous nous indiquer la part que Veolia Environnement consacre à la recherche et développement dans son budget annuel ? Enfin, nous arrivons au terme du processus législatif sur la directive de libéralisation des services. Le compromis auquel l'Europe a abouti vous satisfait-il et en quoi une libéralisation des services vous paraît-elle indispensable ?

M. Henri Proglio, Président-directeur général du Groupe Veolia Environnement s'est dit très sensible à l'honneur qui lui est fait de venir parler de son expérience européenne, et des enjeux qui s'y attachent. C'est surtout une marque d'intérêt pour le travail des 200.000 collaborateurs de Veolia Environnement en Europe, qui représentent les deux tiers des effectifs mondiaux du groupe. Ce dernier se consacre à l'environnement qui regroupe des activités d'eau potable et d'assainissement, de gestion des déchets, d'énergie et de transports publics. Ces activités couvrent presque tous les pays de l'Union européenne, à l'exception de Malte.

Numéro un mondial des services à l'environnement, le groupe réalise plus de 80 % de son chiffre d'affaires en Europe. L'un des traits les plus marquants de l'histoire de l'entreprise, au cours de ces dix dernières années, a sans doute été ce développement européen, dans un contexte de profonde transformation industrielle de nos métiers. Il a été frappant d'observer, lors du référendum sur le projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe, le sentiment d'une distance croissante entre les institutions européennes, d'une part, et les attentes essentielles de nos concitoyens, de l'autre. Au premier rang de ces attentes figure le souci de léguer à nos enfants un monde où les grands équilibres auront été préservés grâce à une gestion raisonnable de notre environnement. Notre conviction est que l'Europe est un espace politique privilégié, naturel, pour bâtir et mettre en œuvre ces politiques dont chacun perçoit qu'elles ne peuvent pas se limiter aux cadres nationaux, et dont on voit bien également qu'elles ne peuvent être mondialisées que par le biais de négociations dans lesquelles l'Europe en tant que telle doit peser de tout son poids.

L'Europe se dote progressivement, depuis plusieurs années, de la législation la plus ambitieuse au monde en matière d'environnement. Elle a ainsi joué un rôle moteur dans la négociation du Protocole de Kyoto, puis dans la mise en œuvre effective de ses principes. Elle s'est fixée, par la directive-cadre de 2000 sur l'eau, un objectif de rétablissement du bon état écologique des ressources, qui impliquera une révolution progressive de ses services d'eau et d'assainissement, mais aussi l'évolution d'autres politiques, agricoles notamment, dans les dix ans qui viennent. Elle met au point en ce moment même une nouvelle législation relative aux déchets. En matière de transports publics, enfin, l'Europe devra renforcer ses infrastructures, tout en se souciant davantage de l'efficacité de ses services, et de la réduction de leurs émissions, mais ce chantier n'est qu'amorcé.

Mais, la question essentielle que nous devons nous poser, est de savoir si nous nous sommes vraiment donné les moyens qui permettront d'atteindre ces objectifs. Pour y parvenir, il nous faudra relever au moins trois grands défis.

Le premier défi est celui de la connaissance et de l'innovation. Il n'est pas un seul domaine concerné par les politiques de l'environnement qui ne fasse l'objet d'innovations quasi-quotidiennes. Un exemple peut être choisi dans le domaine de l'eau, qui n'est pourtant pas celui où le contenu technologique est le plus clairement perçu. L'Europe s'est fixé, dans sa directive-cadre de 2000, un objectif de bon état écologique des ressources en 2015. C'est une obligation de résultat d'un type entièrement nouveau par sa nature, puisqu'on choisit de se rendre responsable, collectivement, de l'ensemble du milieu, qui est aujourd'hui fort dégradé. S'il est possible et nécessaire d'agir dès à présent, il faudra, pour décliner l'ambition européenne en objectifs concrets, et aller au bout de ce projet, acquérir beaucoup de connaissances qui nous font défaut aujourd'hui. Pour y contribuer, Veolia Environnement a créé à Berlin, en 1999, un centre de recherches unique au monde en matière de gestion de la ressource et de connaissance du cycle de l'eau dans le milieu naturel. De façon plus générale, le groupe consacre environ 120 millions d'euros par an à la recherche.

Le second défi que devront relever les Européens est économique et industriel. Pour réaliser les investissements nécessaires, l'Europe devra à la fois attirer des financements privés et obtenir une efficacité de gestion des services publics concernés qui soit celle des secteurs industriels les plus performants. A cet égard, on est parfois étonné, et un peu inquiet, de la vision à la fois réductrice et pessimiste des choses qui est véhiculée par certains débats sur les services publics en Europe. Il serait très dangereux de prôner l'immobilisme comme s'il suffisait, dans ce domaine, de prolonger un acquis, alors que nous sommes conviés à une mutation technologique qui n'a d'équivalent dans aucun autre domaine du service public. Les enjeux économiques sont colossaux. Pour les seuls investissements spécifiques à la mise en œuvre du Protocole de Kyoto, on parle de 8 à 10 milliards d'euros par an pour les quinze prochaines années. S'agissant de la directive-cadre de 2000 sur l'eau, selon nos estimations qui rejoignent celles de la Commission, c'est 300 à 400 milliards d'euros qui seront nécessaires pour mettre à niveau l'ensemble de nos infrastructures d'eau et d'assainissement. Les logiques industrielles qui structurent ce secteur doivent conduire la puissance publique à réfléchir sur les conditions de son intervention. Elle ne pourra, à l'évidence, faire l'essentiel du travail par elle-même. Nous avons inventé, en France, de façon pragmatique, la gestion déléguée des services publics, qui permet de combiner l'efficacité entrepreneuriale et un contrôle public sur la stratégie, les objectifs et les résultats de la gestion de ces services. Ce modèle de la délégation a formidablement prospéré en Europe au cours des dix dernières années et s'est acclimaté à d'autres traditions. Comme souvent pourtant, la France n'a pas pris conscience de sa réussite. Certains débats actuels sont si déconnectés des faits, si oublieux des défis industriels que nous avons à relever que l'on peut se demander si nous n'allons pas, une nouvelle fois, perdre l'avantage pionnier que nous nous étions acquis. Il faut en tout cas, pour que s'instaurent peu à peu les modes de gestion qui nous permettent de progresser, que l'Union européenne, à travers les différents textes qu'elle prépare, donne une base claire à ces partenariats, tout en étant très attentive à l'extraordinaire richesse d'expérience qui s'est développée dans nos pays.

Pour que ces modèles de partenariat se développent pleinement, il nous faudra relever un troisième défi, celui de la transparence. L'environnement suscite aujourd'hui une anxiété collective assez forte. Elle mêle les connaissances sérieuses que les citoyens acquièrent dans ce domaine, grâce à l'écho croissant que ces sujets trouvent dans le débat public et les médias, et des représentations erronées. Elle mêle donc le rationnel et l'irrationnel. Or, on ne pourra fonder des choix collectifs raisonnables que sur une information sérieuse et pédagogique des citoyens. A et égard, des progrès considérables ont déjà été réalisés en quelques années. D'abord, par l'information en temps réel sur ce qui, dans nos pratiques d'exploitation, est de nature à affecter directement la santé publique. Ensuite, par le développement de la traçabilité, qui va de pair avec une plus grande responsabilité, comme le prévoit la directive européenne sur la responsabilité environnementale. Enfin, il faut noter l'amélioration de la transparence sur les modes de gestion et les résultats.

M. Henri Proglio a ensuite souhaité présenter l'expérience de Veolia Environnement dans certains pays de l'Union européenne. C'est au Royaume-Uni, avec l'acquisition de trois sociétés d'eau, desservant trois millions et demi d'habitants autour de Londres, que le développement européen du groupe a véritablement commencé, il y a quinze ans. Ces sociétés d'eau sont toujours détenues par le groupe, qui se veut un acteur industriel de long terme dans un paysage anglais pourtant marqué par la prédominance du capitalisme financier et une certaine instabilité dans l'actionnariat de ces sociétés. Dans ce pays, la garantie de l'intérêt public est assurée par un régulateur très puissant, qui a accès à l'ensemble des données relatives aux sociétés, et qui fixe tous les cinq ans des prix qui intègrent les objectifs de gains de productivité importants pour les sociétés et leur assigne des performances en progression constante. Nous préférons, pour notre part, les modèles qui privilégient la relation contractuelle avec des collectivités, comme le modèle à la française des délégations de service public, qui paraissent garantir un meilleur contrôle démocratique. Mais nous avons énormément appris dans ce système qui a suscité d'importants gains de productivité, et permis l'investissement de plus de 50 milliards d'euros dans les services d'eau et d'assainissement anglais depuis quinze ans. Le groupe a également connu des expériences plus difficiles, comme celle de la privatisation ferroviaire. Il a exploité deux réseaux importants du sud de l'Angleterre, sur des licences qu'il n'a finalement pas renouvelées. La grosse contradiction de cette expérience a résidé dans l'absence d'investissements de la partie publique sur les infrastructures, qui sont restées de son ressort. C'est tout de même grâce à l'expérience anglaise, acquise à une échelle qui nous était inaccessible en France, que Veolia Environnement est devenu aujourd'hui un leader de ces modes de transport en Australie ou aux Etats-Unis.

L'entreprise a aussi développé une activité très importante en Allemagne où nous employons 15.000 salariés et consolidons aujourd'hui plus d'un milliard sept cents millions d'euros de chiffre d'affaires. Dans le secteur de l'eau et de l'assainissement, plus de cinq cents villes, dont Berlin, nous ont déjà confié la gestion à long terme de leurs services, selon des schémas originaux, qui greffent le plus souvent sur des structures d'économie mixte une véritable responsabilité de l'opérateur privé.

Il convient d'évoquer également les pays d'Europe centrale et orientale, et notamment ceux qui viennent d'entrer dans l'Union européenne. Dans bien des domaines, leurs services d'eau et d'assainissement, leurs réseaux de chaleur, et l'ensemble de leurs services publics dans l'environnement n'ont rien à envier à ceux de certains anciens Etats membres. Nous y employons 32.000 salariés. En République tchèque, par exemple, nous desservons près de 40 % de la population en eau et en assainissement et exerçons nos quatre métiers à une échelle plus importante qu'en France.

Comme vous le savez, l'Union européenne accorde, tant aux Etats membres du sud et de l'est de l'Union qu'aux pays candidats à l'adhésion, des subventions destinées à leur permettre de rattraper leur retard, notamment en matière d'épuration, de transports publics et de gestion des déchets. Cette politique est nécessaire, pour accélérer une mise à niveau qui profite à l'ensemble de l'Union. Mais beaucoup des services localement chargés de la gestion de ces infrastructures sont très improductifs, et il est nécessaire de conduire conjointement la modernisation coûteuse des infrastructures et celle de la gestion. Or, si la doctrine officielle de la Commission est favorable au partenariat public-privé, sa pratique, et notamment son action locale dans les régions récipiendaires, est tout autre. Les entraves de tous ordres qui sont mises à ces partenariats quand ils touchent une ville bénéficiaire de subventions ont amené chez les décideurs publics de ces pays une réticence compréhensible. Ils ont fini par se convaincre que non seulement il n'était pas nécessaire d'accroître l'efficacité de ces services pour bénéficier de subventions européennes, mais qu'il était préférable, pour les percevoir rapidement et sans heurt, de laisser les choses en l'état. Cette situation, si elle se confirme, pénalisera à la fois les entreprises européennes de l'environnement et les usagers de ces pays, qui ne bénéficieront que partiellement des économies que ces subventions représentent, dont une partie est gaspillée.

M. Henri Proglio a ensuite souhaité insister sur deux aspects centraux du développement européen de Veolia Environnement, qui sont la politique sociale et les services aux industriels.

La politique sociale du groupe est claire. Elle se fonde sur le fait qu'il s'engage pour des durées souvent très longues auprès de ses clients, même quand il s'implante dans un nouveau pays. Elle se fonde aussi sur un défi : nous avons repris au cours de ces dernières années dans les pays européens plus de soixante-dix mille salariés, le plus souvent dans le cadre d'activités de services publics. Ces opérations suscitent légitimement beaucoup de questions de nature sociale, et notre groupe se doit d'avoir dans ce domaine des principes clairs et une pratique exemplaire. Si on nous demande souvent d'intégrer à notre effort de productivité une réduction des sureffectifs parfois importants des services que nous reprenons, nous n'avons pas procédé pour ce faire à un seul licenciement économique. Nous procédons par la négociation collective à une réorganisation graduelle des services, à une réduction de la sous-traitance inutile et à un remplacement partiel des départs en retraite. Enfin, nous avons été la première entreprise française à créer un comité de groupe européen, regroupant des représentants du personnel de tous les pays où nous sommes actifs. Cette instance de concertation, à laquelle participent aussi des représentants les fédérations syndicales européennes, est désormais au cœur de notre dialogue social.

Dans le domaine du service aux industriels, il importe de souligner que les plus grands noms de l'industrie européenne nous ont fait confiance pour assurer la mise en conformité de leurs sites avec les normes environnementales, en leur garantissant une obligation de résultat et une optimisation de la gestion de leur énergie, de leur cycle de l'eau ou de leurs déchets toxiques. Ces activités sont une composante à part entière d'un service public du développement durable, qui se met progressivement en place. Essentiellement parce que toute l'évolution de la gestion environnementale depuis trente ans nous a fait prendre conscience de la nécessité de traiter les problèmes à la source. C'est cette évolution que couronne et prolonge la directive européenne de 1996, sur la prévention et le contrôle intégrés des pollutions. Notre rôle d'opérateur est donc de combiner la conception et la gestion de ces infrastructures de service municipal, avec des services spécialisés à destination de tous ceux dont l'activité a un impact particulier sur l'environnement, auxquels nous devons proposer des solutions adaptées et efficaces.

En conclusion, il est important que ces enjeux soient compris par ceux qui sont au cœur de la décision publique, et de la production de normes sans lesquelles ces métiers n'existeraient pas. L'élaboration en Europe de normes ambitieuses, protectrices de la santé humaine et des milieux naturels ne pénalise pas notre compétitivité, mais au contraire la renforce, en donnant naissance à un secteur innovant, promis à un avenir mondial sur un marché naissant où les précurseurs joueront les premiers rôles.

Le Président Pierre Lequiller a remercié M. Henri Proglio pour sa présentation, estimant particulièrement intéressant de connaître sa position sur les normes européennes en matière d'environnement et des éléments sur la présence du groupe Veolia dans les différents pays de l'Union européenne ainsi que sur les aspects sociaux.

M. Jacques Myard a salué en tant qu'élu local la qualité des services fournis par le groupe Veolia, tout en soulevant deux questions.

Les industriels comme le groupe Veolia n'ont-ils pas tendance à vouloir démultiplier les normes au niveau européen, afin de profiter des retombées industrielles correspondant à l'application de ces normes ? M. Jacques Myard a exprimé ses doutes sur la pertinence d'un certain nombre de normes existantes, qu'il s'agisse des textes régissant les tuyaux en plomb ou des textes relatifs au traitement des eaux usées et des eaux pluviales.

D'autre part, l'extrême diversité des activités du groupe Veolia a conduit M. Jacques Myard à s'interroger sur la possibilité d'avoir une véritable politique industrielle dans de telles conditions. Relevant que le groupe Veolia semble pourtant le faire avec succès, il a demandé à M. Henri Proglio si, dans un contexte où le modèle dominant est celui du « tout concurrence », en particulier avec l'exemple de la Grande-Bretagne, il y a encore une place pour une politique industrielle, que ce soit au niveau européen ou au niveau national.

M. François Guillaume a également soulevé la question de l'excès de normes, préjudiciable aux entreprises étant donné le coût conséquent lié à leur respect, et leur définition qui manque parfois de rigueur scientifique, par exemple en matière de réglementation sur les nitrates présents dans l'eau pour laquelle le degré de nocivité semble insuffisamment démontré.

Soulignant les préoccupations des élus ruraux, M. François Guillaume a fait observer que, pour des raisons financières, beaucoup de communes rurales ont été dans l'incapacité de se plier à l'obligation d'assainissement liée aux règles européennes, à l'échéance prévue en 2005. Il y a un double problème :

- le problème des stations d'épuration, car les normes édictées l'ont été dans la perspective de leur application à des villes ; ce sont donc des systèmes onéreux et qui ne sont pas forcément justifiés. Comment peut-on adapter ces systèmes aux moyens des petites communes ? Existe-t-il des techniques peu coûteuses pour l'assainissement des communes rurales ?

- le problème des boues des stations d'épuration : la première destination de ces boues est incontestablement l'agriculture, mais bien des entreprises agro-alimentaires refusent d'utiliser des matières premières produites par des agriculteurs qui ont utilisé ces boues. Qu'en faire dans ces conditions, sachant que les forestiers les refusent aussi, pour des raisons d'« image de marque » et que l'incinération soulève des problèmes de pollution non négligeables ?

M. François Guillaume a enfin interrogé M. Henri Proglio sur les techniques utilisées par le groupe Veolia en matière de déchets, car cela pose également des problèmes pour les communes rurales. En effet il n'est par exemple pas simple d'obtenir la localisation d'une déchetterie importante. Des techniques permettent-elles d'apporter à la population des garanties sur la sûreté, les odeurs, etc ?

M. Axel Poniatowski a indiqué que sa circonscription héberge le centre de formation du groupe Veolia au bord de l'Oise, et qu'on y trouve également la plus grande plage fluviale de France. Or, si au début du XXème siècle on se baignait dans l'Oise, cela n'est pas possible aujourd'hui étant donné l'état de la rivière. L'eau est de plus en plus chère. Le prix au mètre cube est presque inabordable dans les zones urbaines, tandis qu'il demeure relativement faible dans les zones rurales où il n'est pas nécessaire de traiter l'eau. Les communes se trouvent obligées en permanence de refaire leurs systèmes d'assainissement, ce qui implique en plus d'aménager à chaque fois toute la voirie, trottoirs, éclairage public, etc, le tout pour un coût budgétaire considérable. Les sommes correspondantes sont très lourdes pour les communes. De plus, aujourd'hui l'obligation de séparer les eaux pluviales des eaux usées double encore ce coût, alors qu'on pourrait envisager de recueillir ensemble les unes et les autres en installant simplement un excellent système d'assainissement au bout. N'y a-t-il pas moyen de faire des économies ? Toute une série d'obligations pèsent sur les élus, qui n'en comprennent pas la justification et qui soulignent les gaspillages qu'elles impliquent.

M. Christian Philip a souhaité évoquer le domaine des transports, dans lequel le groupe Veolia est également présent, en Europe mais aussi aux Etats-Unis. Dans le domaine des transports urbains par exemple, cette présence s'est nettement développée depuis peu de temps. Une comparaison entre l'Europe et les Etats-Unis débouche-t-elle sur des souhaits d'évolution concernant l'Europe ?

Sur le prix de l'eau, M. Guy Lengagne a indiqué que vient d'être inaugurée dans sa région une station dotée d'un système innovant de boues sèches, qualifiée de station la plus moderne d'Europe. Mais ceci entraîne une augmentation du prix de l'eau, pour pouvoir amortir son coût. Les associations de consommateurs contestent la hausse continue du prix de l'eau. Va-t-elle finir par s'arrêter ?

Enfin, s'agissant des nitrates, M. Guy Lengagne a souhaité savoir s'il existe des techniques permettant d'assainir les rivières indépendamment de l'assainissement des villes.

En réponse aux intervenants, M. Henri Proglio a apporté les précisions suivantes :

- il faut tuer l'idée reçue selon laquelle les opérateurs poussent à la multiplication des normes, environnementales ou autres. Ce sont les décideurs et les élus qui adoptent les normes ; les opérateurs les subissent, mais en aucun cas ne les édictent. Par exemple, ceux-ci se sont battus contre la norme relative au plomb, laquelle constitue un gaspillage inutile, mais sans succès. Les entreprises comme Veolia n'ont pas vocation à renchérir le coût des services qu'elles facturent ; dans le même temps, les sociétés démocratiques accordant une grande attention au principe de précaution, il est difficile de convaincre les décideurs de l'inutilité des normes qu'ils élaborent. Par ailleurs, le risque encouru par la non application d'une norme protectrice pour les citoyens serait jugé inacceptable ; par conséquent, les entreprises n'ont pas d'autre choix que de respecter ce qui a été décidé, parfois sans leur avis, même si elles souhaitent ardemment faire part de leur expertise  ;

- le slogan selon lequel il faut faire payer les agriculteurs pour les pollutions « industrielles » qu'ils provoquent est absurde et doit être combattu. Une autre approche doit s'imposer : celle de l'innovation, comme en témoigne la création par le groupe, dès 1974, de la première plateforme de traitement des déchets. S'il faut continuer à traiter les déchets, il est vrai aussi que les citoyens et les élus tendent à préconiser leur dilution, alors même qu'il est nécessaire de les concentrer pour pouvoir les traiter ;

- le combat entre le monde rural et le monde urbain est un faux combat. En effet, la planète compte 6 milliards d'habitants et en comptera 8 milliards dans 15 ans. 50 % d'entre eux vivent aujourd'hui dans des villes, ce chiffre devant atteindre 70 % en 2020. A cette date, les Etats-Unis ressembleront à l'Australie : il n'y aura presque pas d'agglomération au centre du pays et 90 % de la population vivra sur la côte Est, dans la Sun Belt, sur la côté Ouest et près de la région des Grands Lacs. Ce grand déplacement de population se fait sans tenir compte des ressources naturelles existantes : s'il y a de l'eau près des Grands Lacs, en revanche, il n'y en a pas en Californie et ailleurs. On estime ainsi qu'aujourd'hui 25 % de la population mondiale vit à moins de 20 kilomètres des côtes, ce qui, dans l'avenir, et au regard de 400 000 morts provoqués par le tsunami, rendra le problème des raz-de-marée encore plus aigu. L'essentiel de la population mondiale sera donc urbaine, ce qui, évidemment, changera, dans des proportions inimaginables, la dimension de la problématique de l'accès des populations à l'eau. Le problème du traitement des eaux va donc revêtir une importance fondamentale dans les années à venir ;

- le problème des déchets va lui aussi acquérir une toute autre dimension avec l'urbanisation de la population mondiale. Ce qui était possible au départ, la construction d'usines d'incinération en ville, n'est plus concevable de nos jours. Cette tendance lourde va poser des problèmes techniques considérables en matière de récupération des énergies et, avec les autres facteurs cités, conduira à marginaliser les problématiques rurales ;

- la capacité à faire face aux problèmes posés par ces bouleversements existe, mais elle n'est pas encore totalement effective. Ainsi, le groupe peut aujourd'hui construire des usines sans nuisance. D'autre part, les progrès effectués en matière de limitation des odeurs sont importants. Toutes ces avancées reposent sur les capacités techniques et donc sur la politique forte de recherche et de développement menée par l'entreprise. Il y a lieu de relever, à titre d'exemple, le travail effectué sur le traitement des boues, avec des progrès notables pour les filtres et les traitements non chimiques, ce derniers étant rendus possibles par l'utilisation de membranes ;

- l'eau est aujourd'hui le produit alimentaire le plus contrôlé au monde, avec 70 paramètres de contrôle utilisés. La situation est telle qu'en France, l'eau vendue par le système de distribution est meilleure que l'eau vendue en bouteille ;

- il est vrai que le prix de l'eau a beaucoup augmenté, mais ce fut le cas sur une certaine période. Depuis lors, ces dernières années, on constate que ce prix augmente moins vite que l'inflation. Il n'est pas crédible de présenter ce sujet comme une préoccupation majeure, surtout lorsque l'on compare la facture de l'eau avec celle de la téléphonie mobile ou du carburant. En réalité, personne ne connaît le prix réel de l'eau et souvent on oublie que l'on raisonne dans ce secteur par m3, ce qui représente un volume de 1 000 litres d'eau. D'autre part, la politique du groupe n'est pas de couper l'eau en cas d'impayés, s'il s'agit de ménages modestes. On notera que Paris dispose d'un double réseau : celui de l'eau brute, coulant le long des trottoirs, qui n'est pas traitée et ne peut même pas être utilisée pour l'arrosage , et celui de l'eau potable. Celle-ci est produite par une société d'économie mixte, Veolia n'assurant de son côté que la distribution et sur la seule rive droite. Le démantèlement du réseau d'eau brute est à l'ordre du jour de la municipalité depuis 20 ans, sans qu'une décision n'ait été prise, car cette opération coûterait bien plus cher que le maintien en l'état du système. Le problème du coût est en fait lié à celui de la taille critique à atteindre pour contenir le prix marginal de l'eau. La prise en compte de cette donnée ne conduira pas pour autant à effectuer, par un étroit souci d'économies, des choix périlleux, qui seraient contestés par la population ;

- la France peut être fière de la qualité et de l'efficacité de la gestion de son système d'approvisionnement en eau. Ce dernier fait en effet honneur à notre pays, surtout si on le compare avec celui d'autres partenaires, d'Europe ou d'ailleurs : les fuites sur le réseau atteignent les 50 % aux Etats-Unis et les 60 % dans la ville de Bucarest, par exemple. Ces pays connaissent un déficit préoccupant de service public, des problèmes dont les Français sont heureusement épargnés. Il est donc bon de rendre hommage au schéma contractuel français de délégation de service public, qui suscite l'admiration de nombreux pays développés, les Etats-Unis comme la plupart des pays européens. L'ingénierie contractuelle à la française permet d'organiser la compétition entre les opérateurs, tout en constituant une garantie de qualité pour le service public. La grande expérience de Veolia dans ce domaine lui a permis de dégager très vite d'importants bénéfices aux Etats-Unis lorsque le groupe a été choisi comme opérateur de certains transports ferroviaires, par exemple pour la desserte de l'agglomération de Boston. Cet exemple, parmi d'autres, prouve qu'il faut mettre fin à cet exercice si français de l'autoflagellation ;

- s'agissant de la recherche de ressources en eau complémentaire, le désalement de l'eau de mer a fait des progrès importants. Son prix a baissé de 50 % en 10 ans, même s'il reste encore supérieur à celui de l'eau douce. Deux techniques sont disponibles dans ce domaine : celle des membranes de séparation et la technique thermique. La ville de Londres a le projet de créer une usine de désalement pour son alimentation en eau ;

- la principale valeur ajoutée des entreprises de service réside dans la conception et la gestion des opérations. Les process sont adaptés aux techniques disponibles. S'agissant du traitement de l'eau, le savoir-faire des opérateurs a tendance à être transféré en amont, au stade des pré-traitements ;

- beaucoup de progrès ont été réalisés en matière de qualité des eaux, contrairement aux idées reçues. Ainsi, à l'heure actuelle, ce n'est plus un suicide de se baigner dans la Seine. Le niveau des normes s'est élevé et l'expertise scientifique s'est renforcée, ce qui a pour conséquence que l'on se préoccupe à présent de sujets qui passaient inaperçus auparavant, comme, par exemple, la légionellose. L'attention accrue des responsables à ce type de problème sanitaire est également liée au risque de responsabilité pénale. C'est en particulier vrai dans le domaine de l'eau : il est très rare qu'un responsable élu ou industriel prenne le risque d'engager sa responsabilité en ne prenant pas en compte les risques sanitaires liés à la qualité de l'eau.