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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 194

Réunion du mardi 9 janvier 2007 à 16 h 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Audition de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur l'Europe de la culture

Le Président Pierre Lequiller, après avoir remercié le ministre d'avoir accepté d'être auditionné par la Délégation, a souligné l'importance particulière de l'Europe de la culture. Il a cité à cet égard la phrase attribuée à Jean Monnet : « Si c'était à refaire, j'aurais commencé par la culture ». Il a ensuite observé que lorsqu'il participait à des réunions avec des jeunes, le thème de la paix n'était plus suffisamment mobilisateur car celle-ci était considérée comme un acquis, et qu'il convenait donc de promouvoir la dimension culturelle de l'Europe.

Il a indiqué qu'il co-présidait avec Mme Monika Griefahn un groupe de travail franco-allemand sur la diversité culturelle, qui accomplissait un travail important, et dont les conclusions seraient transmises au ministre.

Il a ensuite interrogé le ministre sur le rôle que peut jouer la culture dans la relance du projet européen et sur la présence de la dimension culturelle dans la déclaration de Berlin qui sera adoptée à l'occasion du 50e anniversaire du Traité de Rome. Il a évoqué la mise en œuvre de deux projets culturels européens très concrets, la bibliothèque numérique européenne et le label européen du patrimoine ainsi que la décision du président de la Commission européenne de suspendre le projet de recommandation sur la rémunération au titre de la copie privée. Il a interrogé le ministre sur la volonté de la Commission de redéfinir les critères de territorialisation des aides publiques au cinéma et à l'audiovisuel, et enfin sur l'influence qu'aura la convention de l'UNESCO sur la diversité culturelle sur la politique culturelle européenne et sur les initiatives françaises dans ce domaine.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, s'est déclaré très heureux d'être présent devant la Délégation pour exposer les avancées concrètes en faveur de l'Europe de la culture. Il a souligné qu'il était un militant très résolu de la dimension culturelle de l'Europe.

Il a observé que l'ambition de construire l'Europe de la culture pouvait sembler paradoxale, tant la réalité de l'Europe a été culturelle bien avant d'être économique ou politique. L'Europe a d'abord été celle des écrivains, des philosophes, des auteurs, des penseurs, des acteurs, des artistes bien avant d'être celle du charbon et de l'acier, du marché commun, de la monnaie unique.

Et pourtant, comme le « non » au projet de Constitution européenne l'a fortement rappelé, le projet qui porte l'idée européenne depuis un demi-siècle souffre sans doute d'un défaut d'attention à cet héritage. Si l'Europe a souvent conquis les raisons, a parfois été l'espoir des gouvernements, elle doit encore gagner le cœur des Français.

Le ministre a partagé l'opinion exprimée par le Président Pierre Lequiller, selon laquelle la paix n'apparaît plus comme un motif suffisant, même si l'actualité internationale doit conduire à rester vigilant, les racines de la violence, de la barbarie et des atteintes à la personne humaine étant toujours vivaces.

Il a indiqué qu'il partageait la conviction, exprimée par Milan Kundera, selon laquelle « l'ambition européenne est avant tout une ambition culturelle », ainsi que cette définition de l'identité de l'Europe : « le maximum de diversité dans le minimum d'espace ».

La protection de la diversité est une des motivations politiques principales de l'Europe, particulièrement nécessaire à l'heure de la mondialisation. L'unité et la diversité sont depuis l'origine les deux fondements de la construction européenne, et ces fondements sont d'abord culturels.

C'est par la culture que les citoyens européens donneront une âme à l'Europe, c'est par elle qu'ils cultiveront la conscience partagée d'appartenir à une même communauté de destin.

Il s'agit bien de permettre à chacun de comprendre de façon intime que la solidarité politique repose sur des racines culturelles communes. Nous ne sommes heureusement plus à l'époque où l'enjeu central de la construction européenne était d'assurer une paix durable sur notre continent. Nous ne sommes plus à l'époque extraordinaire de l'unification économique et monétaire : ce sont des acquis aujourd'hui, qui ont été magnifiquement réalisés et qu'il convient de faire vivre. Nous sommes à une époque où nous devons donner à 500 millions d'Européens et 27 Etats membres des raisons de penser qu'ils sont plus proches les uns des autres que de n'importe quelle autre communauté humaine et que ces raisons ne reposent pas seulement sur l'intérêt bien compris, mais surtout sur une volonté partagée de vivre ensemble, sur un véritable esprit de famille européen.

Il convient d'encourager cet esprit, et c'est tout le sens des trois « piliers » de l'Europe de la culture : en premier lieu l'identité - le patrimoine -, en deuxième lieu la diversité culturelle, en troisième lieu les échanges, la circulation des œuvres et des artistes.

Premier pilier, première réalisation concrète : le Label européen du patrimoine, qui est l'une des propositions concrètes issues des Rencontres pour l'Europe de la Culture qui se sont tenues à Paris les 2 et 3 mai 2005, et ont réuni pendant 48 heures à la Comédie Française 800 artistes des 25 Etats membres. Le Président du Conseil européen de l'époque, M. Jean-Claude Juncker et le Président de la Commission, M. José Manuel Barroso, se sont exprimés lors de ces rencontres exclusivement sur l'Europe de la culture, avec une passion exceptionnelle.

Le label européen du patrimoine est un projet initié par la France, qui a obtenu en un temps record la participation de l'ensemble des Etats membres. Il vise à mettre en lumière les hauts lieux de mémoire et de création, les sites et les monuments emblématiques de l'identité européenne, qu'ils évoquent notre passé commun ou qu'ils représentent l'avenir, afin que le public le plus large ressente et s'approprie cet esprit européen, cette identité culturelle qui lie nos destinées depuis des siècles.

Cette visibilité européenne est essentielle pour l'attractivité des territoires et vis-à-vis des touristes et des visiteurs de tous les pays. L'attribution de ce label sera la contrepartie d'efforts consentis par les opérateurs ou les propriétaires de ces lieux en matière d'accueil des publics et d'animation.

Ce projet a été exposé lors des rencontres de Grenade du 28 avril 2006. Les réunions qui se sont tenues à Paris le 10 juillet 2006, puis à Athènes le 6 octobre 2006, ont permis de dégager un consensus sur les règles de procédure et sur le formulaire de demande d'inscription des sites.

La France souhaite ardemment le succès de cette initiative qui permettra de créer un lien direct, concret, visible, entre l'action de l'Union européenne et les citoyens européens. La prochaine réunion se tiendra en Espagne le 25 janvier prochain. Elle devra permettre de préciser les critères de sélection des sites, mais surtout d'arrêter les questions techniques, matérielles et logistiques liées au lancement de cette initiative. Une consultation a d'ores et déjà été lancée par le ministère de la culture et de la communication - qui est prêt à assumer le secrétariat de ce projet -, afin de créer le logo type permettant d'identifier et de signaler les sites labellisés au public.

Le 25 mars prochain, sera célébré le cinquantième anniversaire du Traité de Rome. Il est souhaitable que cette commémoration soit l'occasion pour les Etats membres de lancer officiellement le projet et d'apposer les premières plaques sur les sites labellisés. Le ministre a annoncé les trois premiers sites français qu'il a proposé d'inscrire sur la liste du patrimoine européen, et qui illustrent à ses yeux les différentes lectures de ce nouveau label : l'Abbaye de Cluny, la Cour d'honneur du Palais des Papes, à Avignon, et la maison de Robert Schuman. La Grèce et l'Italie proposent également des sites d'exception, l'Acropole et le Capitole, qui témoignent brillamment de leur foi en l'avenir de ce classement, et de leur fierté d'y figurer.

L'objectif est de parvenir à une grande diversité de sites, qu'il s'agisse de lieux de mémoire et d'histoire, comme les plages du débarquement ou des lieux de déportation, ou bien de lieux de culture vivante, comme des cafés littéraires et artistiques, des salles de spectacle, des résidences d'artistes. En outre, il serait souhaitable de créer des réseaux de lieux labellisés, facilitant la circulation des œuvres.

Ainsi l'anniversaire du Traité de Rome offrira l'occasion de lancer un projet mobilisateur pour les Européens, et de renforcer le sentiment d'appartenance à notre espace commun, à notre culture commune. Soulignant que l'accès à la culture passe par la télévision et singulièrement par la télévision publique, le ministre a indiqué qu'à l'occasion de cet anniversaire, il allait proposer à ses homologues une mobilisation des télévisions publiques européennes. Il a souhaité que par exemple au moment des journées du patrimoine, qui ont une dimension européenne, ait lieu un grand événement télévisuel sur l'ensemble des télévisions publiques européennes, une « nuit de la culture européenne », mettant en avant la diversité culturelle et le spectacle vivant.

Cinquante ans après la signature du Traité de Rome, il s'agit d'une nouvelle étape de la construction européenne, une étape majeure dont il appartient à notre génération d'inventer les formes et de réaliser les solidarités concrètes. Et cette étape est culturelle.

Le développement de la contribution française au projet de Bibliothèque numérique européenne (BNUE), s'inscrit également dans le cadre de ce renforcement de la politique en faveur du patrimoine. A compter de 2007, ce projet se verra doté, pour sa composante française, de 10 millions d'euros par an. La Bibliothèque nationale de France (BnF) a été chargée de développer une maquette fonctionnelle, qui illustrera les propositions françaises pour la BNUE. Le ministère souhaite que le portail d'accueil soit mis en œuvre par un certain nombre d'Etats membres qui travaillent avec la France sur ce sujet.

Le référendum sur le traité constitutionnel de 2005 a montré combien les Français ont le sentiment de voir leur identité diluée dans la mondialisation. Pour aller de l'avant, pour s'ouvrir à l'autre, au-delà des différences de tout ordre, il faut que les peuples européens se sentent rassurés également dans leurs racines nationales et comprennent que l'Europe peut aussi les aider à conserver leur identité face aux risques de l'uniformisation du monde. L'Europe est une force.

Il y a donc un lien direct entre cette nouvelle étape de la construction européenne et la victoire remportée grâce à la détermination de la France et à la mobilisation de l'Europe, avec l'adoption, en moins de deux ans, à la quasi-unanimité de la communauté internationale, de la Convention sur la diversité culturelle.

La France, sous l'impulsion du Président de la République, s'est fortement mobilisée pour défendre le projet de convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Le ministre a souligné qu'il en avait fait l'une des priorités de son action et qu'il se réjouissait de ce succès, qui est l'aboutissement d'un travail discret vis-à-vis des médias.

L'opposition de dernière minute des Etats-Unis n'a pas fait obstacle à l'adoption de la convention par la quasi-unanimité des membres présents à l'UNESCO le 20 octobre 2005. Il s'agit d'un grand succès pour la France et le Canada, à l'origine du projet. L'accord unanime intervenu en Conseil des ministres de la culture en novembre 2004 a permis à l'Europe de parler d'une seule voix pendant le déroulement de l'ensemble de la négociation et a joué un rôle décisif dans la dynamique qui a conduit à son adoption. Le fait que l'ambassadeur britannique se soit exprimé à l'UNESCO juste après l'adoption de la convention au nom des 25 Etats membres de l'Union est un très beau symbole.

Dans la conjoncture internationale actuelle, la question de la diversité culturelle est d'ordre politique et stratégique.

Le ministre a indiqué qu'il s'était rendu à Bruxelles, le 18 décembre dernier, accompagné de deux grands artistes, une Française, un Européen, pour assister à la remise des instruments de ratification de la Communauté européenne et de douze Etats membres
- auxquels s'ajoutent la Roumanie et la Bulgarie, soit un majorité de 14 Etats membres au 1er janvier 2007 - au directeur général de l'UNESCO. Cette cérémonie, qui s'est déroulée en présence du Président de la Commission européenne, marque une étape essentielle, que l'on peut qualifier d'historique, du point de vue du rôle de la culture dans les relations internationales : l'affirmation en droit international du droit des Etats et de la Communauté européenne à soutenir les politiques culturelles face aux règles nécessaires du libre-échange.

La ratification de la convention constitue une avancée considérable, qui fait passer la France, dans le domaine de la politique culturelle, du statut de « mouton noir » à celui d'éclaireur. Le fait que les bien culturels ne soient plus considérés comme des biens ordinaires a d'ores et déjà permis l'obtention de nombreux résultats.

La Commission européenne a reconnu au printemps 2005 la compatibilité de la redevance audiovisuelle et des modalités de financement de l'audiovisuel public avec le droit communautaire de la concurrence, apportant ainsi à ce dispositif essentiel une sécurité juridique solide et pérenne. Dès juin 2005, la Commission a également validé le dispositif de création et de financement du projet de chaîne française d'information internationale - devenue depuis France 24 -, et dont le lancement a eu lieu le mois dernier.

Plus récemment, fin 2006, la Commission a validé dans leur principe deux dispositifs essentiels au basculement de la télévision vers le numérique : le fonds d'accompagnement au numérique et le fonds social prévu par le projet de loi sur la modernisation de la diffusion audiovisuelle et la télévision du futur, que l'Assemblée examinera en séance publique à la fin du mois, qui doit permettre d'aider les foyers les plus défavorisés à s'équiper en moyens de réception de la télévision numérique.

Concernant ces différents dossiers complexes et souvent conflictuels, le ministre a indiqué qu'il avait fait le choix d'une transparence totale vis-à-vis de la Commission, et d'une présence systématique auprès des différents commissaires. Il a estimé que le fait que M. José Manuel Barroso préside la Commission était une grande chance, car il avait conscience que la culture est une priorité politique.

Par ailleurs, le collège des commissaires européens a reconnu officiellement le 22 mars 2006 que les régimes français d'aide au cinéma constituaient certes des aides d'Etat, mais étaient compatibles avec le développement culturel et n'introduisaient pas de distorsion de concurrence excessive entre Etats membres. L'ensemble des aides au cinéma et à l'audiovisuel ont ainsi été validées : le compte de soutien au cinéma et à l'audiovisuel, les crédits d'impôts, les sociétés pour le financement du cinéma et de l'audiovisuel (Soficas), les aides de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), les obligations d'investissement des chaînes de télévision dans la production. Cette décision a mis un terme à l'insécurité juridique qui entourait ce système.

La Commission a également approuvé le régime d'aide français pour la promotion de la production musicale, qui consiste en un crédit d'impôt octroyé aux producteurs de la musique. Ce régime qui prévoit l'octroi d'aides jusqu'à concurrence de 10 millions d'euros par an, couvre partiellement les coûts de production et de promotion de nouveaux talents et de musique instrumentale. Le régime garantit en outre que l'aide est limitée au minimum et destinée essentiellement aux petites et moyennes entreprises. Ce système permet de faire vivre les producteurs indépendants et la diversité.

Dans la perspective de la présidence française de 2008, le ministère travaille à faciliter l'accès aux financements communautaires, par la création, tout d'abord, d'une garantie bancaire apportée par l'IFCIC ; par la simplification, ensuite, des règles de gestion et d'évaluation des micro-projets, avec l'alignement du programme Culture sur le programme Citoyenneté ; enfin, par la déconcentration des crédits à des opérateurs capables d'agir en réseau, à l'image du Festival d'Avignon dans le domaine du théâtre.

En ce qui concerne la presse écrite, le Gouvernement a défendu et continuera de défendre le principe du taux de TVA réduit pour la presse en ligne. Cela exige aussi de définir précisément ce qu'est un service de presse en ligne et de faire reconnaître cette définition, qui doit faire référence au caractère principalement textuel des contenus éditoriaux des services de presse en ligne, afin de se distinguer des sites d'information audiovisuels et des banques d'images d'actualité.

Toujours au chapitre de la diversité culturelle, la procédure d'infraction concernant la question de la loi relative à l'emploi de la langue française et de l'étiquetage des produits textiles a pu être finalement classée par la Commission. Ce classement a permis de préserver la loi, qui assure la protection du français.

La France a également obtenu que la culture soit prise en compte dans le règlement relatif au fonds européen de développement régional (FEDER). Le ministre a précisé qu'il avait connu une grande inquiétude à ce sujet car de nombreux projets sont financés par le FEDER en France et l'arrêt des subventions aurait créé de réelles difficultés budgétaires. Le ministère de la culture et de la communication s'est efforcé de montrer que le tourisme culturel, les industries culturelles, la numérisation du patrimoine et des bibliothèques, le développement des pratiques et de l'éducation artistique et culturelle sont autant de facteurs de compétitivité qui créent des emplois, participent à la cohésion sociale et contribuent au développement durable des régions européennes.

Alors qu'aucun programme n'est dédié aux industries culturelles non audiovisuelles, la France a aussi réussi à faire intégrer la mention de ces industries dans les objectifs du programme Culture 2007-2013. En effet, l'article 3 prévoit une mention des industries culturelles non audiovisuelles : « L'objectif général du programme est de contribuer à la mise en valeur d'un espace culturel partagé par les Européens et basé sur un héritage culturel commun par le développement de la coopération culturelle entre les créateurs, les acteurs culturels et les institutions culturelles des pays participant au programme, en vue de favoriser l'émergence d'une citoyenneté européenne. Le programme est ouvert à la participation des industries culturelles non audiovisuelles, en particulier des petites entreprises culturelles, dans la mesure où ces industries exercent des activités culturelles sans but lucratif. »

Le troisième pilier de l'Europe de la culture, c'est la circulation, la découverte et la connaissance des artistes, des œuvres et des idées. L'Europe est un formidable creuset de cultures, d'expressions, de représentations, de talents. Cette circulation est facilitée, démultipliée, à l'ère numérique, et c'est une grande chance pour la valorisation de la diversité culturelle.

Le Conseil des ministres de la culture du 13 novembre 2006 a adopté une approche générale sur la révision de la directive « Télévision sans frontières ». Le ministre s'est félicité que les propositions d'amendements formulées par la France aient été reprises. Elles permettent de consolider la proposition de la Commission européenne, s'agissant de la contribution des services dits « non linéaires » (comme la vidéo à la demande) à la promotion de la diversité culturelle, en précisant les modalités de mise en œuvre de cet objectif fondamental (par exemple, par l'investissement dans les œuvres européennes ou la valorisation des œuvres européennes dans les catalogues des services de vidéo à la demande). Ces dispositions permettront de traduire concrètement les engagements internationaux que la France a pris, de même que l'ensemble de ses partenaires européens, lors de l'adoption à l'UNESCO de la Convention relative à la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles.

L'un des enjeux essentiels des politiques culturelles en général est la circulation des œuvres. Cela est particulièrement vrai s'agissant des films : près de 85 % des films diffusés en salles dans le monde aujourd'hui sont produits par les grands studios américains. Ces mêmes films représentent 71 % de parts de marché au sein de l'Union européenne. Lorsque l'on sait que, par ailleurs, la part de marchés des cinémas nationaux sur leur propre territoire (cinéma français en France, allemand en Allemagne...) a tendance à progresser, on mesure la difficulté croissante de circulation à laquelle sont confrontées les œuvres européennes.

C'est pourquoi la renégociation du programme européen MEDIA a été un enjeu fondamental. Créé en 1992 - à l'initiative de la France - ce programme est en effet le seul instrument de soutien communautaire au secteur audiovisuel et cinématographique.

MEDIA+ étant arrivé à son terme fin 2006, la France s'était fixée deux objectifs principaux, lors de la négociation de la nouvelle génération de programme.

D'une part, outre les instruments de soutien traditionnels, il paraissait indispensable de moderniser le programme, pour prendre en compte les évolutions technologiques, en particulier le numérique et ses conséquences sur la distribution des films européens. La France a donc soutenu vivement les propositions de la Commission européenne en ce sens. De même, c'est à l'initiative de la France, et prenant appui sur le modèle de l'IFCIC français, qu'un système d'accès facilité des entreprises du secteur audiovisuel au crédit bancaire a été prévu dans ce nouveau programme.

D'autre part, il était absolument nécessaire que les moyens financiers disponibles pour ce programme soient accrus significativement, entre autres pour permettre le financement de ces nouvelles mesures. MEDIA+ avait disposé d'un budget total de 510 millions d'euros sur 5 ans. Compte tenu de l'agenda financier global de l'Union européenne sur la période 2007-2013 et de ses contraintes, la France a réussi, avec l'appui du Parlement européen et de la Commission - et malgré la réticence de certains de nos partenaires - à obtenir un budget de 755 millions d'euros sur cette période. Cette somme reste certes très limitée au regard des enjeux considérables et de l'élargissement de l'Union et des stratégies qu'il conviendrait de mener vis-à-vis des Etats-Unis et de l'Asie, mais elle représente le meilleur compromis au regard des contraintes qui s'imposaient.

Mais les formidables perspectives qu'offrent les nouvelles technologies pour faciliter la circulation des œuvres et des idées, et pour permettre à tous les Européens d'y accéder, ne doivent pas nous faire occulter la menace sérieuse qui pèse aujourd'hui, sur le respect des droits des artistes et des créateurs.

La loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, adoptée par le Parlement en juin 2006, garantit le respect du droit des créateurs, la liberté des internautes et la copie privée, en transposant la directive européenne sur le droit d'auteur et les droits voisins.

Les enjeux de ce texte sont essentiels. Ils sont européens, bien sûr, internationaux, puisqu'il s'agit d'assurer la place de la France dans la société de l'information ; ils sont juridiques, économiques, culturels, sociaux et donc, politiques, au sens le plus large de ce terme.

Grâce à la mobilisation du ministère de la culture et de la communication et des professionnels, grâce à l'intervention du Premier ministre auprès du Président Barroso, la Commission a abandonné, le 11 décembre 2006, son projet de recommandation qui aurait pu remettre en cause la compensation équitable pour la copie privée.

L'Europe de la culture, qui est bien sûr une Europe de l'esprit, mais avant tout une Europe des projets concrets, avance à grand pas. En hommage à la mémoire des négociateurs du Traité de Rome, le ministre a indiqué qu'il souhaitait et appelait tous les artistes, tous les hommes et femmes de culture, tous les parlementaires, à soutenir cette idée, que la déclaration de Berlin, qui sera adoptée par le Conseil européen à l'occasion du cinquantième anniversaire du Traité de Rome, affirme haut et fort la volonté de donner au projet politique européen une véritable ambition culturelle.

Il ne s'agit évidemment pas de suivre la voie de l'intégration communautaire, comme pour l'agriculture ou la monnaie. La subsidiarité et la coopération ouverte doivent être les maîtres mots de l'action culturelle européenne. Des coopérations, appuyées par la Commission européenne, autour des projets concrets précédemment exposés sont souhaitables. C'est la France, avec André Malraux, qui a lancé à l'UNESCO l'idée du patrimoine mondial de l'humanité. C'est la France aujourd'hui qui doit faire réussir l'idée d'une liste commune du patrimoine européen. Une Europe des projets culturels est capable de parachever dans les esprits et les cœurs l'unité de l'Europe. C'est grâce à la culture que pourra être fédérée l'énergie des Européens, pour que rayonnent dans le monde nos valeurs de paix, de démocratie et d'universalité.

Le Président Pierre Lequiller a souligné qu'il rappelait régulièrement l'importance de l'Europe de la culture auprès des parlementaires des autres pays de l'Union, ainsi qu'au président de la Commission, notamment lors des récentes rencontres interparlementaires organisées au Parlement européen. Il a jugé que le budget consacré par l'Europe à la culture restait très insuffisant et qu'une augmentation sensible de celui-ci contribuerait très utilement à l'édification de la citoyenneté européenne.

M. Daniel Garrigue s'est dit convaincu de l'importance de la dimension culturelle pour la construction européenne. Il a estimé que la bataille pour la diversité culturelle rejoignait celle menée en faveur de l'exception culturelle et a salué les combats livrés par le ministre dans ce domaine.

S'agissant des « labels européens du patrimoine », dont il a considéré qu'ils concernaient les lieux où « souffle l'esprit », il a souhaité qu'ils ne soient pas trop tournés vers le passé, mais qu'ils intègrent une dimension créative, plus contemporaine. Soulignant que le domaine de la création artistique s'apparentait à celui de la recherche, il a évoqué l'idée d'un programme communautaire de soutien à la création artistique. Par ailleurs, il a abordé la question de la ratification du protocole de Londres sur les brevets, exprimant le souhait que malgré l'argument de la défense de la langue française, le ministère de la culture puisse avoir à ce sujet une position plus ouverte que d'autres départements ministériels. Enfin, il a jugé que l'élargissement avait été présenté et abordé d'une façon trop frileuse et que cette attitude représentait un échec majeur, comparable à celui que constituait le vote négatif au référendum de mai 2005. Il a notamment souligné que les restrictions limitant - dans les traités d'adhésion - la libre circulation des travailleurs des pays nouveaux adhérents vers la France décourageaient les jeunes de ces pays d'apprendre le français.

M. Michel Herbillon a jugé très intéressant l'exposé du ministre et a souhaité que cette première expérience d'un débat, dans le cadre de la Délégation, sur la dimension culturelle de l'Europe puisse être ultérieurement renouvelée. La difficile situation que connaît actuellement l'Europe doit être transformée en opportunité, en engageant des projets concrets dans le domaine culturel. L'initiative des « labels européens du patrimoine », excellente, doit intégrer le patrimoine du XXe siècle. Quelle est l'articulation de ces labels avec le label « patrimoine mondial de l'UNESCO » ? Y aura-t-il au moins un lieu labellisé pour chaque pays de l'Union ? Il ne faut pas hésiter à être créatif et inventif en ce qui concerne l'attribution des futurs labels.

M. Michel Herbillon a par ailleurs souligné le déclin de l'apprentissage de la langue française dans beaucoup de pays de l'Union. Il faut se mobiliser pour que l'enseignement de deux langues étrangères devienne obligatoire dans tous les pays de l'Union, ce qui conduira à un développement de l'apprentissage du français. Ainsi, quand l'Espagne a rendu obligatoire une seconde langue étrangère, l'enseignement du français a été multiplié par cinq. Par ailleurs, il faut agir pour défendre l'usage du français dans le cadre des institutions européennes, où notre langue - bien que langue de travail - est en perte de vitesse. Les fonctionnaires français ne devraient pas s'exprimer en anglais.

M. Guy Lengagne a dit souscrire aux déclarations du ministre et des membres de la Délégation. Il a estimé que la défense du patrimoine n'intéressait que peu les jeunes et que ceux-ci étaient très tournés vers les productions audiovisuelles américaines. Il s'est dit favorable à une aide à la production cinématographique européenne. Par ailleurs, il a estimé que la part de la science dans la politique culturelle était insuffisante, comme c'était également le cas dans le domaine de l'éducation. Si l'on veut que les jeunes européens s'intéressent à la culture française, il faut leur montrer que notre pays est à la pointe de la recherche scientifique dans de nombreux secteurs.

Le Président Pierre Lequiller a considéré que l'idée de créer une nuit de la culture européenne était excellente et avait valeur de symbole. Il a souhaité savoir s'il était prévu un volet européen dans les programmes de France 24. Il a par ailleurs interrogé le ministre sur la redéfinition des critères de territorialisation des aides publiques au cinéma et à l'audiovisuel, évoquée par la Commission, et les risques qu'elle pourrait faire courir aux industries cinématographiques françaises. Il a enfin fait référence à l'idée d'une extension de la formule des « classes cinéma », existante en Allemagne, aux autres pays de l'Union.

Le ministre a apporté les réponses suivantes :

- les lieux de création bénéficiant du label sont des lieux historiques par excellence comme, par exemple, la Cour des Papes à Avignon. Il convient de mettre les lieux de création, tels que les salles de spectacles, en réseau, à l'échelle de l'Europe, ce qui ne peut que favoriser des expériences enrichissantes ;

- cette notion de label européen du patrimoine n'enferme pas la création dans le passé. Il s'agit d'un même concept décliné dans différents Etats membres. Cette expérience n'en est qu'à ses débuts et doit permettre à environ un millier de lieux en France d'être labellisés - 30 000 ou 40 000 lieux pour l'ensemble de l'Union -, afin d'élaborer un « guide du routard » de la culture européenne. La procédure d'octroi de ce label sera souple, puisque chaque pays devra faire des propositions qui, ensuite, seront harmonisées, afin qu'un accord puisse être dégagé ;

- la dimension européenne de la création est importante comme le montre le projet d'aménagement d'un centre d'arts plastiques à Boulogne-Billancourt qui sera créé conjointement par l'Etat, le département des Hauts-de-Seine et d'autres entités ;

- il importe que la création intègre également une dimension scientifique, comme le montre la Cité des Sciences et de l'Industrie. Dans cette perspective, la rénovation du Grand Palais se fondera sur une synergie qui tiendra compte de la diversité des aspects de la culture ;

- par rapport à l'UNESCO, certaines craintes ont pu apparaître du fait de l'objet assigné aux lieux labellisés. Ces derniers seront des supports d'activités culturelles multiples qui auront vocation à s'ouvrir à toutes les formes de création. Il n'y aura donc pas de chevauchement avec les objectifs poursuivis par l'UNESCO, à travers les sites inscrits au patrimoine mondial ;

- les jeunes manifesteront un intérêt accru pour le patrimoine, dès lors que les lieux de création leur apparaîtront ouverts.

M. Michel Herbillon s'est demandé si, compte tenu des réponses formulées par le ministre concernant la nécessité de favoriser la mise en réseau des lieux de création, il ne serait pas judicieux de modifier la dénomination du label, en ajoutant la mention de la création à la notion de patrimoine.

M. Daniel Garrigue a proposé l'institution d'un label européen des lieux de création.

Le ministre, tout en déclarant que les lieux choisis initialement l'avaient été compte tenu de leur rôle historique, a convenu de la nécessité de conférer rapidement le label à des lieux de création emblématiques de l'art et de l'architecture.

M. Guy Lengagne, soulignant que la construction européenne doit favoriser le rapprochement des Etats membres autour de leurs racines culturelles communes et permettre à l'Union européenne de faire face à la prédominance de la culture américaine et à l'ascension de la Chine, a jugé nécessaire dans le même temps d'instituer des outils qui mettent en valeur la création européenne au plan mondial.

Le ministre a reconnu que les problèmes soulevés par les membres de la Délégation résultaient de la double logique inhérente à la question de la création culturelle. Il s'agit d'abord de mettre en valeur la finalité du patrimoine. A cet objectif initial, il convient d'ajouter une conception beaucoup plus révolutionnaire qui devrait déboucher sur l'ouverture des lieux de création y compris aux technologies les plus sophistiquées, lesquelles peuvent contribuer à mieux les valoriser et à les rénover.

Puis il a apporté les autres réponses suivantes :

- la ratification du protocole de Londres sur les brevets constitue un moindre mal. On peut se réjouir que, d'après ce texte, les brevets européens rédigés à l'origine en langue française n'auront plus à être traduits dans les autres pays, ce qui préserve le statut de la langue française. On peut se demander toutefois si cela n'incitera pas les entreprises à déposer les brevets en anglais, ce qui fait apparaître la difficulté de concilier les impératifs économiques avec le respect de la pratique de la langue française ;

- l'idéal de l'esprit européen serait que chacun puisse parler sa langue et comprendre celle des autres. Dans cette perspective, la pratique du bilinguisme devrait constituer la règle, ce qui contribuerait au rayonnement des langues minoritaires ;

- l'Europe doit se doter d'une politique de traduction audacieuse en raison de l'importance qui s'y attache. A cette fin, on pourrait concevoir que les librairies labellisées puissent bénéficier du soutien financier de l'Europe en fonction des œuvres traduites et ce en vue de favoriser la circulation des œuvres ;

- il est nécessaire d'élaborer, face au dynamisme du cinéma américain sur le marché européen, une stratégie qui permette de soutenir les œuvres cinématographiques européennes, afin que celles-ci puissent atteindre une masse critique. Par exemple, lors de la sortie d'un film américain, il serait judicieux que, dans le même temps, un film européen puisse être doté des moyens nécessaires à son rayonnement international. A ce sujet, on peut se réjouir que la politique de diffusion actuelle commence à porter ses fruits, puisqu'en 2006, le nombre de spectateurs dans le monde ayant vu des films français a été supérieur à celui du public français. Dans le même esprit, il apparaîtrait opportun de développer la vidéo à la demande et la diffusion par Internet, afin que la création cinématographique puisse être dotée d'atouts supplémentaires ;

France 24 n'est pas un projet européen mais a plutôt pour objectif d'exprimer une tonalité française sur l'actualité internationale. En revanche, Arte pourrait permettre au-delà du cadre franco-allemand de réunir plusieurs autres Etats membres comme le montrent certains projets avec l'Italie et la Belgique ;

- la révision annoncée des critères de territorialisation des aides au cinéma ne suscite pas l'inquiétude du ministère, mais celui-ci restera tout de même vigilant. Il est peu probable que la Commission se déjuge après que les mesures permettant de sécuriser le soutien à la création audiovisuelle aient été adoptées. Les assurances obtenues sont importantes, afin que la France puisse continuer sa politique de relocalisation des tournages, conserver, dans ce but, le crédit d'impôt en faveur de la création cinématographique et envisager la mise en place d'un crédit d'impôt pour les jeux vidéo. Cette dernière mesure permettra de lutter contre l'expatriation des créateurs de ces jeux. Dans cette perspective, des discussions sont en cours avec la Commission pour qu'elle reconnaisse la part artistique de la conception des jeux vidéo ;

- il est capital de développer l'enseignement des langues vivantes dans les collèges et lycées européens : c'est à ce niveau là qu'on prépare les esprits à la diversité ;

- il faut mettre à profit tous les contacts parlementaires à venir pour sensibiliser l'Allemagne sur l'importance de la création du label européen du patrimoine. Par ailleurs, il faut convaincre ce grand partenaire de la nécessité de souligner, dans la future déclaration de Berlin, l'importance de la contribution de la culture à la construction européenne.

Le Président Pierre Lequiller a remercié le ministre pour ces précisions et a indiqué que la Délégation insisterait auprès de ses homologues pour une meilleure reconnaissance de la place de la culture dans le projet européen.