ASSEMBLÉE NATIONALE

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COMMUNICATION

de M. René André,

Député

à la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne,

sur les relations entre l'Union européenne et la Russie

- la question de Kaliningrad -

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Octobre 2002

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La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. Pierre Goldberg, François Guillaume, secrétaires ; MM. Alfred Almont, Bernard Bosson, Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, François Grosdidier, Michel Herbillon, Patrick Hoguet, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, M. René-Paul Victoria.

SOMMAIRE

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      Pages

INTRODUCTION 5

I. LA QUESTION DE KALININGRAD 7

A. La nouvelle approche russe 7

B. La position de l'Union européenne 8

C. Comment réconcilier les deux points de vue ? 12

1) La nécessité d'une décision équilibrée à court terme 12

2) La définition indispensable d'une politique globale à long terme 13

II. L'AVENIR DES RELATIONS ENTRE L'UNION EUROPEENNE ET LA RUSSIE 15

A. La prise en compte du nouveau contexte international 15

1) Ce nouveau contexte découle principalement des événements du 11 septembre 2001 et de leurs suites 15

2) Les relations entre la Russie et l'Union européenne en sont forcément marquées 16

B. La Russie et l'élargissement 18

1) Les craintes qu'il conviendra de dissiper 18

2) Les facteurs d'optimisme qu'il faudra concrétiser 19

CONCLUSION 21

TRAVAUX DE LA DELEGATION 23

ANNEXES 25

Annexe 1 : Liste des participants au séminaire des 12 et 13 octobre 2002 à Moscou 27

Annexe 2 :  Liste des autres personnalités rencontrées à Moscou 31

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Les 12 et 13 octobre derniers, plusieurs parlementaires et experts russes se sont réunis à Moscou avec des parlementaires et des experts de plusieurs pays européens, afin de débattre de l'avenir des relations entre l'Union européenne et la Russie, dans une perspective de moyen et long termes.

Cette réunion, organisée par le Comité international pour « la Russie dans une Europe unie » était présidée par M. Vladimir Ryjkov, député, ancien vice-président de la Douma d'Etat.

Ces débats, auxquels participaient pour la partie russe plusieurs anciens ministres, et pour les pays membres de l'Union européenne plusieurs ambassadeurs, ont certes porté sur la situation de Kaliningrad, du fait de son actualité. Mais ils ont aussi permis de s'interroger sur la nature des liens entre l'Union européenne et la Russie, dans la double perspective de la situation découlant des événements du 11 septembre 2001, et de la préparation active de l'élargissement de l'Union européenne.

Ces échanges de vue, d'un ton nouveau, faisant référence à la pensée de Robert Schuman et de Jean Monnet, ont permis de replacer dans une perspective plus longue les propos tenus à votre rapporteur par le vice-ministre des affaires étrangères chargé de Kaliningrad et par le vice-ministre des affaires étrangères chargé des questions européennes.

I. LA QUESTION DE KALININGRAD

La prochaine adhésion de la Pologne et de la Lituanie à l'Union européenne pose la question de la circulation des personnes et des marchandises entre Kaliningrad et ses voisins, mais aussi entre celle-ci et le territoire central de la Russie.

Kaliningrad - l'ancienne Koenigsberg, devenue soviétique en 1945 et siège de la flotte russe de la mer Baltique - devient en effet une enclave russe dans le territoire de l'Union européenne.

Si aucune mesure particulière n'est envisagée, les règles de l'espace Schengen s'appliqueront alors aux voyageurs russes qui en proviennent ou qui s'y rendent. Ceux-ci devront être munis de visas permettant d'entrer dans cet espace et d'y circuler librement, alors que les citoyens russes pouvaient jusqu'à présent traverser la Lituanie sans visa.

La Russie rejette cette évolution annoncée, au nom de sa continuité territoriale, et du droit de ses citoyens à se déplacer librement d'un point à l'autre du territoire national, principes soutenus par la France lors de la visite du Président de la République à Moscou en juillet 2002.

Au cours de l'été, tant la Russie que l'Union européenne ont présenté de nouvelles propositions afin de trouver une solution mutuellement acceptable à cette situation très particulière.

    A. La nouvelle approche russe

La position russe sur Kaliningrad a beaucoup évolué à partir de juin 2002, date à laquelle M. Rogozine, Président de la commission des affaires étrangères de la Douma d'Etat, a été nommé Représentant spécial du Président de la Fédération pour cette question.

La Russie demandait jusqu'alors la création de corridors à travers la Lituanie pour permettre aux ressortissants russes de Kaliningrad de se rendre sans entrave dans la mère patrie, comme à l'ensemble des citoyens russes de se rendre librement à Kaliningrad.

Cette demande rappelant trop des solutions retenues pendant la guerre froide, M. Rogozine présenta à l'Union européenne et à ses Etats membres une position différente lors de plusieurs déplacements effectués en septembre 2002.

La nouvelle approche de la Russie tient depuis lors en trois points :

-  les voyageurs par train ou autocars de ligne, utilisant des itinéraires précis, via la Lituanie, ne doivent pas être soumis à l'obligation de visa. Une liste de passagers serait par contre soumise aux autorités lituaniennes qui pourraient procéder à des contrôles spéciaux ;

- les citoyens russes transitant par la Pologne à partir ou à destination de Kaliningrad devront être munis d'un visa ;

- il en sera de même pour les personnes se déplaçant en voiture ;

La Russie souhaite par ailleurs qu'à terme les visas soient supprimés avec l'Union européenne.

Ces positions ont été confirmées à votre Rapporteur par deux vice-ministres russes des affaires étrangères ainsi que par les parlementaires qu'il a rencontrés.

    B. La position de l'Union européenne

Celle-ci a donné lieu à de multiples documents et de nombreuses prises de position.

La Commission a ainsi présenté une communication au Conseil le 17 janvier 2001, où elle relève qu'il faudra modifier les règles et les pratiques en vigueur entre la Russie, l'Union européenne et les nouveaux Etats membres, du fait de l'adoption de l'acquis communautaire par la Pologne et la Lituanie. Ce document, qui a pour objet de provoquer une discussion sur ces sujets, suggère que le transit sans visa ne sera plus possible et que les habitants de Kaliningrad ne pourront voyager vers l'Union que s'ils sont munis d'un passeport valable, alors qu'aujourd'hui ils peuvent circuler grâce à leurs documents internes d'identité.

Puis la situation a mûri, les Etats membres réagissant de manière différente : les pays nordiques avec réserve ; les pays méditerranéens, avec davantage de compréhension des principes avancés par la Russie. Les Pays Bas ont quant à eux proposé d'amender l'accord de Schengen afin d'y inclure une clause spécifiquement et exclusivement dédiée à la situation de Kaliningrad.

Le Président de la République française a tenu des propos particulièrement forts lors de sa rencontre avec le Président de la Fédération de Russie, en juillet 2002. M. Jacques Chirac a ainsi déclaré qu'il n'était pas acceptable d'imposer aux Russes un système de visa « pour aller d'un endroit chez eux à un autre endroit, chez eux » et qu'il fallait trouver une solution à ce problème de nature technique.

C'est dans ce contexte que la Commission a présenté une nouvelle communication le 18 septembre 2002.

Dans cette communication, postérieure à la nouvelle position de la Russie, la Commission propose :

- de délivrer aux citoyens russes devant voyager fréquemment au départ ou à destination de Kaliningrad un « document facilitant le transit » (FTD). Ce document pourrait permettre aux russes ne disposant pas de passeport international de voyager, en un temps limité, par rail ou par route, en présentant par ailleurs un document de voyage interne délivré pour une courte période transitoire (au maximum jusqu'à la fin de 2004) ;

- d'évaluer les possibilités de faire circuler des trains directs à grande vitesse entre Kaliningrad et le reste de la Russie, via la Lituanie, ce qui permettrait d'exempter leurs voyageurs de toute obligation de visa et d'éviter que, comme actuellement, certains passagers ne sautent du train ;

- d'engager des discussions sur l'objectif à long terme d'exemption de visa pour les voyages entre l'Union européenne et la Russie, ce qui permettrait d'aborder les mesures que la Russie met en place pour renforcer l'état de droit, intensifier la lutte contre la criminalité organisée, garantir la sécurité aux frontières ainsi que la sûreté et la validité des documents de voyage. L'Union européenne souhaite par ailleurs que la Russie approuve rapidement la conclusion d'accords de réadmission avec elle-même et les pays candidats ;

- d'appliquer intégralement les conventions internationales relatives à la simplification du transit de marchandises.

La Russie a réagi vivement à ce texte, en indiquant que le document de transit simplifié s'apparentait de fait à un visa, et qu'il ne saurait en être question pour les transports par train. Le Président Poutine déclarait par ailleurs qu'il ne se rendrait pas au prochain Sommet Union européenne-Russie si cette question n'était pas réglée de manière satisfaisante.

Le Conseil « Affaires générales » s'est saisi de la question de Kaliningrad, le 30 septembre 2002 puis le 22 octobre 2002.

Le 30 septembre, le Conseil en a longuement débattu, la France, l'Italie, l'Espagne et la Grèce étant les plus ouverts. Les Etats membres ont cependant soutenu l'approche proposée par la Commission, consistant à aboutir à un accord qui ne porte préjudice ni à l'intégrité du système Schengen de frontières communes avec l'Union européenne, ni aux intérêts de la Pologne et de la Lituanie ; à envisager un système de visa permanent entre la Russie continentale et Kaliningrad ; ainsi qu'à étudier la faisabilité du train à grande vitesse.

Il propose comme base de discussion que la décision souhaitée par la Russie sur un train sans visa entre Kaliningrad et la Russie continentale ne soit prise qu'après l'élargissement, et rappelle qu'il veut signer avec la Russie un accord de réadmission des immigrés en situation irrégulière. Le Conseil déclare enfin que « l'Union européenne est disposée à consentir un effort particulier pour répondre aux préoccupations que la Russie a exprimées en ce qui concerne le transit futur des personnes entre l'oblast de Kaliningrad et le reste de la Russie. A cette fin, l'Union européenne appliquera le régime de Schengen avec souplesse ».

Le 22 octobre, le Conseil est parvenu à un accord qui doit être présenté lors du Sommet Union européenne - Russie du 11 novembre. Cet accord dispose que la Lituanie sera dans le premier groupe de pays candidats à participer pleinement à Schengen, et que la décision de mettre en place des trains directs sans visas ne sera prise qu'après son adhésion (cette disposition devant figurer dans le traité d'adhésion de la Lituanie) ; la décision de mener , en 2003, une étude de faisabilité sur la mise en place de ces trains doit par ailleurs être prise par l'Union européenne avec l'accord de ce pays.

Il est également prévu que la Lituanie mettra en place des contrôles nationaux à ses frontières à partir du 1er janvier 2003, et que le document facilitant le transit devra être disponible dès le 1er juillet 2003 pour les transits directs entre Kaliningrad et le reste de la Russie. Les passeports internes russes pourront être utilisés avec ce document jusqu'au 31 décembre 2004 pour les transits par trains.

Cet accord était repris par le Conseil européen de Bruxelles des 24 et 25 octobre 2002, qui, « prenant acte de l'objectif qui consiste à poursuivre le développement du partenariat stratégique entre l'Union européenne et la Russie, convient de consentir un effort particulier pour répondre aux intérêts de toutes les parties concernées pour ce qui est du transit des personnes entre la région de Kaliningrad et les autres parties de la Russie ».

Il souligne par ailleurs qu'il est nécessaire que toutes les parties respectent pleinement le droit souverain de tout Etat de protéger la sécurité de ses citoyens en contrôlant ses frontières ainsi que la circulation des marchandises vers, sur et à travers son territoire, et que tout Etat est en droit d'instaurer un régime de visas, y compris pour le transit. Il reconnaît enfin qu'au sein de la Fédération de Russie, la situation de la région de Kaliningrad est unique.

Les positions de la Russie et de l'Union européenne sont donc maintenant précisées.

    C. Comment réconcilier les deux points de vue ?

Un accord est nécessaire rapidement. Mais il devra déboucher sur une réflexion sur les relations qu'il faudra promouvoir dans l'avenir entre Kaliningrad et l'Union européenne.

1) La nécessité d'une décision équilibrée à court terme

Une approche équilibrée et réaliste est nécessaire pour tenir compte des multiples contraintes de ce dossier complexe, où le respect de considérations politiques est aussi important que la recherche de solutions techniques satisfaisant les deux parties.

Il faut en effet concilier trois impératifs :

- le respect de la dignité de la Russie, et de son souci légitime de préserver une « continuité territoriale » ;

- le respect de « l'acquis Schengen », qui fixe pour l'ensemble des pays membres de cet Accord les règles permettant d'assurer la libre circulation des personnes à l'intérieur de « l'espace Schengen » ;

- le respect de la souveraineté de la Lituanie, Etat bientôt membre de l'Union européenne et qui ne doit pas être pénalisée par rapport aux autres candidats lors de son accession à l'Accord de Schengen.

Il faut par ailleurs se laisser la possibilité de mettre en place des solutions évolutives d'ici la fin de la décennie, sur la base de l'expérience acquise en matière de libre circulation, mais aussi de réadmission des personnes ayant circulé de manière illégale.

L'Accord de Schengen n'exclut ni souplesse, ni flexibilité dans son application. Il ne traite du reste pas spécifiquement du franchissement du territoire de l'espace qu'il instaure en cas de transit entre différentes régions d'un pays tiers.

Un accord entre l'Union européenne et la Russie est proche. Il est nécessaire, car il importe avant tout que Kaliningrad ne devienne une pomme de discorde alors que ce peut être le lieu privilégié d'expérimentation de nouvelles relations entre l'Union européenne et la Russie.

2) La définition indispensable d'une politique globale à long terme

Il ne peut en effet être question de limiter la question de Kaliningrad au seul problème des modalités concrètes de déplacement de ses habitants de nationalité russe.

Il faut au contraire réfléchir au développement harmonieux des relations entre Kaliningrad et ses voisins - et en premier lieu la Lituanie et la Pologne - qui dépend largement du développement de Kaliningrad elle-même.

Des solutions concrètes devront être trouvées pour faciliter le développement des investissements étrangers à Kaliningrad, et pour y contribuer au renforcement de l'état de droit et d'une économie de marché régulée. Des expériences pourraient y être menées pour évaluer la portée de nouvelles mesures incitatives ou réglementaires.

Le cadre de la Dimension nordique de l'Union européenne pourrait être utilisé pour promouvoir une coopération plus importante entre Kaliningrad et ses plus proches voisins, qu'ils soient polonais, baltes ou nordiques.

De nombreux problèmes devront être affrontés, avec courage et détermination. Ainsi, une lutte commune contre la corruption et le blanchiment d'argent et les trafics de tout genre devra être mise en place. Mais il conviendra de ne pas oublier que les responsabilités dans ces domaines sont largement partagées, et que les transferts illégaux de capitaux seraient moins importants si les paradis fiscaux étaient davantage contrôlés.

Un effort particulier sera nécessaire pour faciliter la réhabilitation socio-économique d'une région dont l'économie doit être restructurée et reconvertie. C'est sans doute la condition pour résoudre les problèmes inévitables qui découleront des différences de salaires et de pouvoir d'achat entre Kaliningrad et ses voisins.

Il serait particulièrement utile de tenir compte de l'expérience de la Finlande en matière de contrôle de la circulation des biens et des personnes, afin de dépassionner le débat sur l'immigration clandestine et les trafics en tout genre, et de trouver des solutions pragmatiques à des problèmes concrets.

Kaliningrad pourrait ainsi devenir un laboratoire des futures relations qui pourraient exister entre l'Union européenne et la Russie, non seulement en matière économique et commerciale, mais également dans le domaine de la circulation des personnes, des échanges culturels et de la protection de l'environnement.

Ainsi que le souligne la Commission dans sa communication au Conseil du 18 septembre 2002, l'Union européenne est prête à mettre en place une coopération renforcée avec la région de Kaliningrad, couvrant les défis communs à relever dans les domaines de la criminalité organisée, de la gestion des frontières, de l'environnement et de la santé humaine, et plus globalement du développement économique. Tant le programme Tacis que la Banque européenne d'investissement pourraient contribuer à de tels projets.

II. L'AVENIR DES RELATIONS ENTRE L'UNION EUROPEENNE ET LA RUSSIE

Des perspectives nouvelles apparaissent, tant du fait de l'évolution de la situation internationale depuis le 11 septembre, que du prochain élargissement de l'Union européenne.

    A. La prise en compte du nouveau contexte international

1) Ce nouveau contexte découle principalement des événements du 11 septembre 2001 et de leurs suites

La solidarité immédiate et entière manifestée par la Russie envers les Etats Unis a modifié profondément le contexte des relations Est-Ouest, et plus précisément celui des relations américano-russes.

La chute du mur de Berlin, puis l'implosion de l'Union soviétique avaient certes sonné le glas de l'après-guerre et mis fin de manière définitive à la guerre froide. Mais la coopération Est-Ouest restait marquée d'une certaine méfiance, et ne répondait pas aux attentes suscitées par l'avènement d'une Russie nouvelle. En témoignait clairement la manière fort réservée dont était perçu en Russie le projet américain de déploiement d'un bouclier spatial.

L'ouverture de l'espace aérien russe aux avions américains et occidentaux, le soutien apporté par la Russie à l'utilisation de bases aériennes dans plusieurs Etats de la CEI par les forces aéroportées américaines ou européennes se rendant en Afghanistan, la participation russe à des opérations de nature humanitaire dans ce pays, ont profondément modifié le climat des relations entre la Russie et les Etats-Unis.

La course aux armements entre l'Est et l'Ouest, la méfiance qui caractérisait les relations entre l'OTAN et la Russie malgré la mise en place d'un partenariat stratégique, ont cédé la place à une coopération poussée dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, à laquelle participent policiers, magistrats, mais aussi services de renseignement.

2) Les relations entre la Russie et l'Union européenne en sont forcément marquées

Dans ce nouveau contexte, la Russie se retrouve face aux interrogations qui l'ont marquée parfois depuis plusieurs décennies, parfois depuis plusieurs siècles.

Il importe de bien les mesurer, car elles touchent à l'identité même de la Russie et à la perception qu'ont les Russes d'eux-mêmes et de leur pays.

Trois types d'interrogations ont ainsi marqué les débats du séminaire qui se déroulait à Moscou début octobre :

- la Russie est-elle vraiment une puissance européenne, ou au contraire une puissance eurasiatique dont les intérêts sont par définition différents de ceux de l'Europe ?

- la Russie ne doit-elle pas davantage coopérer avec les Etats Unis, dont les dimensions géographiques, la population , mais aussi les comportements de grande puissance sont proches des caractéristiques de la Russie ?

- le développement de la Chine ne modifie-t-il pas les intérêts de la Russie ?

Une nouvelle question, tout aussi importante, tient à l'évolution récente de l'économie internationale : La mondialisation ne modifie-t-elle pas les relations traditionnelles qu'entretenait l'Europe avec la Russie, en donnant à tous les problèmes une dimension planétaire, appelant des réponses non pas régionales, mais globales ? De manière plus précise, la prochaine adhésion de la Russie à l'OMC n'est-elle pas suffisante pour régler toutes les questions relatives aux échanges extérieurs de la Russie ?

Les réponses à ces questions ont bien entendu été diverses. Pour certains, la Russie peut très bien se passer de l'Europe, et doit davantage s'intégrer dans le nouvel ordre économique mondial, tout en diversifiant ses partenaires. Les plus extrêmes évoquent même l'incapacité de l'Union européenne à prendre en main son destin et sa sécurité, ce qui doit, selon eux, conduire la Russie à traiter des questions relatives à la défense de manière quasi exclusive avec les Etats Unis.

Pour d'autres, au contraire, la Russie doit définir une politique équilibrée, ce qui suppose de contribuer à la mise en place d'un monde multipolaire où son identité et ses intérêts puissent être respectés. Ses relations avec l'Europe sont alors importantes, sans bien sûr être exclusives. Tant l'histoire que la géographie, tant les liens commerciaux que les relations culturelles entre l'Union européenne et la Russie rendent nécessaire un partenariat privilégié.

Si telle était la conviction de la grande majorité des participants à ce séminaire, l'existence d'un débat sur ces thèmes, largement méconnus à l'Ouest de l'Europe, incite à mener une réflexion approfondie sur la dynamique souhaitable des relations entre l'Union européenne et la Russie.

Dans quelle perspective ces relations s'inscrivent-elles ? A quelles ambitions doivent-elles répondre ? Quelles conséquences doivent en découler en matière de programmes concrets de coopération ?

Or ce débat n'existe pas vraiment. L'Union européenne semble se préoccuper surtout de son élargissement et de ses conséquences, et se concentrer sur les questions - certes essentielles - soulevées dans le cadre de la Convention sur l'avenir de l'Europe. La Russie quant à elle réfléchit aux réformes qu'il lui faut mettre en place pour renforcer l'état de droit et les structures de l'économie de marché, et se penche davantage sur la recherche d'un positionnement optimal au sein du quadrilatère Russie-Etats Unis-Union européenne-Asie.

Il faudra pourtant répondre à ces questions fondamentales. Le cadre permettant d'aborder de telles questions existe, puisqu'il est défini depuis près de dix ans par l'Accord de Coopération et de Partenariat entre la Russie et l'Union européenne, et qu'il a été précisé lors de l'élaboration des Stratégies Communes régissant leurs relations. Mais il faudra lui donner vie et davantage de substance.

Ces questions seront bien entendu débattues dans le cadre de l'Union élargie.

    B. La Russie et l'élargissement

Une première constatation s'impose : la Russie ne conteste pas l'élargissement de l'Union européenne, ses réserves ne concernant que l'élargissement de l'OTAN.

Elle est par contre soucieuse d'évaluer ses conséquences, tant positives que négatives, les facteurs d'optimisme l'emportant largement.

Une deuxième constatation est tout aussi importante. La Russie n'envisage pas, dans un futur proche, de demander son adhésion à l'Union européenne. Elle souhaite par contre rechercher des formules d'association particulières permettant des coopérations beaucoup plus développées qu'actuellement.

1) Les craintes qu'il conviendra de dissiper

Le rapport présenté lors du séminaire de Moscou dresse une liste de ces craintes :

Des déséquilibres croissants risquent d'apparaître entre les pays d'Europe centrale, balte et orientale qui adhéreront à l'Union européenne et la Russie.

Les flux commerciaux traditionnels entre la Russie et les pays candidats risquent d'être affectés, les marchandises russes ayant plus de mal à pénétrer sur le marché unique européen que sur des marchés pour l'instant ouverts et différents.

Les droits de douane seront modifiés, notamment pour le gaz naturel qui y sera soumis, ce qui n'est pas le cas actuellement dans l'ensemble des pays candidats.

Les exportations russes d'acier mais aussi de produits agricoles, risquent de diminuer.

Globalement, l'élargissement entraînera une nouvelle situation, ce qui posera problème aux secteurs les moins adaptables.

Ces craintes sont cependant relativisées par l'auteur du rapport introductif, Mme Arbatova, qui estime que la Russie tirera profit de l'élargissement de l'Union européenne, du fait de l'unité des règles régissant le marché unique européen.

L'optimisme l'emporte donc sur le pessimisme.

2) Les facteurs d'optimisme qu'il faudra concrétiser

Cet optimisme tient davantage à l'évolution de la Russie et de ses relations avec l'Union européenne et l'OMC, qu'aux perspectives immédiates offertes par l'élargissement.

Il repose en effet sur l'amélioration progressive du fonctionnement de l'économie de marché en Russie, et sur la mise en place de réformes structurelles essentielles, concernant tant la fiscalité, que le droit de propriété et l'organisation du système judiciaire.

Il tient à l'importance de l'Union européenne dans les échanges extérieurs de la Russie (40 % du commerce extérieur russe actuellement, 50 % après l'élargissement).

Il repose également sur l'existence d'intérêts communs, notamment dans le secteur de l'énergie, où se met en place un dialogue énergétique reposant sur deux volets : la fourniture d'énergie (l'Union européenne importe actuellement 20 % de son pétrole et 45 % de son gaz de Russie) ; le développement des investissements européens dans le secteur pétrolier et gazier en Russie, afin d'améliorer les capacités d'extraction et de transport.

Les progrès attendus dans de nombreux domaines (télécommunications, banques, assurances) devraient par ailleurs être facilités par l'accélération des négociations d'adhésion de la Russie à l'OMC. La Russie s'étant vu reconnaître le statut d'économie de marché tant par l'Union européenne que par les Etats Unis, les conflits continus sur les droits antidumping devraient diminuer d'intensité pour les produits sidérurgiques et les engrais.

De nouvelles perspectives sont enfin ouvertes par le souhait du Président Poutine d'édifier entre la Russie et l'Union européenne un espace économique européen commun, grâce à la libéralisation des échanges mais aussi à une harmonisation des législations économiques et commerciales. Le débat est ouvert, comme il le sera sur la proposition russe de supprimer à terme les visas entre l'Union européenne et la Russie.

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* *

CONCLUSION

La question de Kaliningrad a donné une actualité particulière à la recherche de nouvelles relations entre l'Union européenne et la Russie. C'était nécessaire, étant donné le faible dynamisme de leurs échanges commerciaux et l'insuffisance des investissements européens en Russie depuis la crise financière de 1998.

Cette question réglée, une réflexion nouvelle devra être engagée pour dépasser les incompréhensions ou les difficultés qui pourraient naître de l'élargissement de l'Union européenne et pour mettre en place des formules novatrices d'association et de partenariat entre l'Union européenne et la Russie.

{texte de la conclusion...}

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie le mercredi 6 novembre 2002 pour entendre la communication de M. René André sur les relations entre l'Union européenne et la Russie.

Après l'exposé du rapporteur, M. Daniel Garrigue a demandé si la Russie concevait ses relations diplomatiques avec l'Europe comme des relations avec l'Union européenne elle-même ou plutôt avec certains de ses Etats membres, comme l'Allemagne.

Le rapporteur a estimé que si la Russie avait des rapports privilégiés avec l'Allemagne, l'Union européenne était considérée par la Russie comme un interlocuteur à part entière.

ANNEXES

Annexe 1 :
Liste des participants au séminaire
des 12 et 13 octobre 2002 à Moscou

    I. Participants russes

- M. Aleksei Arbatov, vice-président de la commission de la défense de la Douma d'Etat, membre de Iabloko ;

- Mme Arbatova, directeur des programmes de recherche du Mouvement « La Russie dans l'Europe unie » ;

- M. N.P.Chmelev, directeur de l'Institut de l'Europe ;

- M. Serguei Generalov, vice-président de la commission « Politique économique et Commerce » de la Douma d'Etat, membre de l'Union des Forces de Droite ;

- M. Goutnik, chercheur à l'IMEMO ;

- M. Andreï Illarionov, conseiller du Président de la Fédération ;

- M. Serguei Karaganov, président du Conseil de politique extérieure et de défense ;

- Mme Irina Khakamada, vice-présidente de la Douma d'Etat, membre de l'Union des Forces de Droite ;

- M. Vladimir Koptev-Dvornikov, président du Club européen de la Douma d'Etat ;

- M. Constantin Kosatchev, vice-président du groupe parlementaire « Patrie-Toute la Russie » ;

- M. Alexandre Livchits, ancien ministre des finances, directeur général adjoint du groupe « L'aluminium russe » ;

- M. Ilia Lomakin-Roumiantsev, membre du Conseil de la Fédération, président de la Fondation pour la recherche complexe et appliquée ;

- Mme Lena Nemirovskaïa, directeur de l'Ecole de Sciences Politiques de Moscou ;

- M. Boris Nemtsov, leader de l'Union des Forces de Droite ;

- M. Nikitine, président de l'assemblée législative de Kaliningrad ;

- M. Viatcheslav Nikonov ;

- M. Vladimir Ryjkov, député indépendant, membre de la commission des affaires fédérales et de la politique régionale de la Douma d'Etat ;

- M. Aleksei Salmine, président du Centre russe de politique publique ;

- M. Mikhaïl Zadornov, ancien ministre des finances, vice-président de la commission du budget et des taxes de la Douma d'Etat.

II. Participants d'autres nationalités

    A. Membres du Comité international du Mouvement « La Russie dans l'Europe unie »

    Pour la France :

- M. René André, vice-président de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne ;

- M. Dominique Moïsi, directeur-adjoint de l'IFRI.

Pour le Royaume Uni :

    - M. Charles Grant, directeur du Centre pour la réforme européenne ;

    - M. Peter Mandelson, député ;

    - M. Robert Skidelsky, membre de la Chambre des Lords ;

- Mme Shirley Williams, leader du groupe libéral démocrate de la Chambre des Lords.

    Pour la Finlande :

- M. Esko Aho, président de la Grande Commission du Parlement de Finlande.

l Pour la Suède :

- M. Urban Ahlin, président de la commission des affaires étrangères du Parlement.

    B. Autres participants

- MM. les ambassadeurs de Finlande, de Suède, du Danemark, de Lituanie, d'Angleterre, et de l'Union européenne auprès de la Fédération de Russie ;

- MM. les ministres-conseillers des ambassades de France et d'Allemagne auprès de la Fédération de Russie.

Annexe-1Annexe 2 : 
Liste des autres personnalités rencontrées
à Moscou

M. Blanchemaison, ambassadeur de France, et ses collaborateurs ;

M. Mechkov, vice-ministre des affaires étrangères ;

M. Mezentsev, président du groupe d'amitié Russie-France du Conseil de la Fédération ;

M. Razov, vice-ministre des affaires étrangères ;

M. Sloutsky, président du groupe d'amitié Russie-France de la Douma d'Etat ;

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