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N° 1210

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 novembre 2003

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur les négociations à l'Organisation mondiale
du commerce
,

ET PRÉSENTÉ

par M. Marc LAFFINEUR,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Relations internationales.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. François Guillaume, Jean-Claude Lefort, secrétaires ; MM. Alfred Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 9

PREMIERE PARTIE : LES CAUSES DE L'ECHEC 21

I. L'ATTITUDE DES ACTEURS 21

A. Les « Suds » : un rôle déterminant dont les motivations sont complexes 21

1) Le refus de vivre un « Marrakech bis » 22

a) Les déceptions économiques 22

b) Les déceptions juridiques 27

2) Les « Suds » présents à Cancún 34

a) Le G20+: une coalition hétéroclite née du rejet de "l'entente" euro-américaine 34

b) Le G90: un acteur révélateur de l'enjeu central du cycle 37

B. L'Union européenne : une position difficile tiraillée entre l'ambition et le pragmatisme 39

1) Une volonté solitaire de concilier libéralisation et régulation 39

2) De nombreux gages de bonne volonté avant Cancún 39

a) Des gestes concrets en faveur des pays pauvres 39

b) Un négociateur agricole prêt à compromettre ses intérêts 41

C. Les Etats-Unis : une approche classique et déterminée de la négociation 47

1) Une exigence forte d'ouverture des marchés mais parfois contredite par les faits 47

2) Des intérêts défensifs assumés 49

a) Une agriculture rendue artificiellement compétitive 49

b) Une industrie protégée par la chasse aux pratiques commerciales jugées déloyales 51

II. L'ORDRE DU JOUR 53

A. L'abcès agricole 54

1) Un domaine sensible mêlant enjeux de civilisation et intérêts mercantiles 54

2) Des propositions restant déséquilibrées 56

3) Le cas emblématique du coton 62

B. Une méfiance logique mais regrettable à l'égard des « sujets de Singapour » 64

1) Quatre négociations pour mieux encadrer la mondialisation... 64

2) ...Nourrissant un sentiment de trop plein chez les pays en développement 70

C. Une occasion manquée pour baisser les tarifs industriels 72

1) Un objectif demeurant prioritaire 72

2) Une formule de réduction difficile à trouver 75

3) Le cas du textile/habillement 78

DEUXIEME PARTIE : LES RAISONS D'ESPERER 81

I. L'IMPOSSIBLE MISE A L'ECART DE L'OMC 83

A. Une organisation perfectible mais irremplaçable 83

1) Un caractère démocratique incontestable 83

2) Des disciplines pour tous les membres 84

a) Des règles de base restant indispensables 84

b) Des négociations acquises depuis Doha pour améliorer certaines disciplines 85

(1) L'antidumping 85

(2) Les subventions 87

3) Une mécanique de négociation à réformer 90

a) Une OMC plus efficace 91

b) Une OMC plus ouverte 92

B. Un système de règlement des différends devenu incontournable 92

1) Un organisme au bilan « jurisprudentiel » globalement satisfaisant 93

a) Un garant de l'égalité des membres 93

b) Une prise en compte des problématiques non commerciales limitée par les règles actuelles 94

2) Des procédures à améliorer 96

a) Un problème certain d'exécution des décisions 96

b) Une position européenne axée sur le renforcement de l'efficacité de procédures 97

c) Une volonté de reprise en mains du côté des Etats-Unis 98

C. Des solutions alternatives irréalistes 100

1) Le bilatéralisme et le régionalisme 100

2) Le recours systématique au contentieux 102

D. Pour une politique commerciale européenne résolument multilatérale et davantage intégrée 102

1) Confirmer l'engagement européen en faveur du multilatéralisme 102

2) Renforcer l'efficacité de la politique commerciale et de la politique étrangère commune 103

II. LE COURT TERME : S'ENGAGER EN FAVEUR D'UNE « DISCRIMINATION POSITIVE » AU SERVICE DES PAYS DU SUD ET D'UNE LIBERALISATION MAITRISEE DES ECHANGES 105

A. Négocier un système d'obligations adapté aux besoins des pays en développement 106

1) La problématique générale 106

2) Différencier davantage les pays du Sud pour affiner les dérogations et les périodes de transition 108

3) Ne privilégier la solution « plurilatérale » que pour les sujets de Singapour 110

4) Renforcer l'assistance technique 110

B. Adopter une grande initiative pour l'Afrique 112

C. Préserver un acquis important : l'accès des pays pauvres aux médicaments brevetés 113

D. Négocier une libéralisation maîtrisée des échanges 116

1) L'agriculture : reconnaître sa spécificité et assurer un commerce équilibré 116

a) Promouvoir l'exception agricole 116

b) Garantir des échanges loyaux et équitables 118

(1) Des disciplines égalisant l'échange 118

(2) Une protection renforcée des indications géographiques 119

2) Les tarifs industriels : concilier ambition et asymétries 122

3) Les services : en faire des outils de croissance 124

a) Une négociation suscitant des craintes injustifiées 125

(1) Un accord protecteur 125

(2) D'autres règles en cours d'élaboration 127

b) Un niveau d'offre décevant 129

(1) Des partenaires souvent en retrait 129

(2) Une offre européenne ambitieuse 130

(3) Le cas du mode 4 132

c) La défense de l'exception culturelle 134

4) Promouvoir une intégration régionale ouverte entre les pays du Sud 135

III. LE MOYEN TERME : ORGANISER LA COHERENCE ENTRE LES REGLES ET LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES 137

A. Garantir l'articulation entre les différentes normes internationales 137

1) Une obligation politique 137

2) Ce que le mandat de Doha prévoit 138

a) Une approche timide des normes sociales 138

b) De réelles ambitions pour l'environnement 140

(1) Des positions tranchées 140

(2) L'enjeu de la biodiversité 142

3) Les pistes d'avenir pour promouvoir la cohérence des normes 143

B. Assurer la complémentarité entre l'OMC et les institutions financières internationales 144

CONCLUSION 147

TRAVAUX DE LA DELEGATION 149

1. Audition de M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, sur les négociations en cours à l'Organisation mondiale du commerce, le 17 juin 2003 149

2. Audition de M. Pascal Lamy, commissaire européen chargé du commerce, sur les travaux de la Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce à Cancún, le 8 octobre 2003 161

3. Réunion de la Délégation du 13 novembre 2003 175

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION 179

ANNEXES 183

Annexe 1 : Liste des personnes entendues par le rapporteur 185

Annexe 2 : Liste des pays membres et des observateurs de l'OMC 189

Annexe 3 : Table des sigles les plus fréquemment utilisés 191

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La cinquième Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), réunie à Cancún du 10 au 14 septembre 2003, devait faire le bilan à mi-parcours du neuvième cycle de négociations commerciales multilatérales lancé à Doha en novembre 2001, préciser les objectifs ou « modalités » de certaines de ces négociations et en ouvrir de nouvelles.

Elle s'est soldée par un échec, le deuxième pour l'OMC, après celui de Seattle en décembre 1999, où les membres de l'Organisation n'étaient pas parvenus à se mettre d'accord sur l'ordre du jour des négociations.

Certes, Cancún n'est qu'une étape dans ces négociations, ainsi que l'ont souligné au rapporteur ses interlocuteurs, rencontrés au siège de l'OMC, à Genève, l'été dernier.

Ce discours était significatif : il sous-entendait que les attentes concernant les résultats de la Conférence devaient être revues à la baisse, en raison de l'état d'esprit de la plupart des négociateurs, déjà peu enclins au compromis avant le sommet.

Il a été suivi, après l'échec de la Conférence ministérielle, de déclarations annonçant que le cycle ouvert à Doha ne respecterait pas l'échéance initialement fixée pour l'achèvement des négociations, c'est-à-dire le 1er janvier 2005. Il faut donc s'attendre, après une phase de léthargie inévitable, à de longues négociations, pouvant aller jusqu'en 2006, selon les propos tenus par des responsables du Secrétariat de l'OMC. Cette durée est encore relativement courte, si on la compare au précédent cycle, dit d'Uruguay, le dernier organisé sous les auspices du GATT, qui a été ouvert en septembre 1986 et s'est conclu en avril 1994, par la signature des accords de Marrakech, dont l'Acte final a créé l'OMC.

*

* *

A Cancún, les négociateurs devaient s'atteler à une tâche immense, qui s'est révélée irréalisable : donner une nouvelle impulsion politique à des négociations complexes, multiples, difficiles, car portant sur des sujets sensibles, voire parfois des enjeux de société, et dont les échéances intermédiaires n'ont pas été respectées. Sur ce dernier point, l'OMC a accompli, avant la Conférence, un parcours « sans faute », en manquant chacune des échéances prévues : celle du 31 décembre 2002 pour l'accès au médicament et le traitement spécial et différencié en faveur des pays en développement ; celle du 31 mars 2003 sur les modalités de la négociation agricole (la définition des objectifs de réduction des droits de douane et des aides) et, enfin, celle du 31 mai 2003 sur les modalités de la négociation pour les tarifs industriels et la révision du mécanisme de règlement des différends.

Les enjeux du cycle actuel ne sont pas comparables avec ceux des exercices classiques et limités des négociations du GATT, qui visaient à réduire les droits de douane sur les produits industriels. Les discussions couvertes par le principe de l'engagement unique, « rien n'est réglé tant que tout n'est pas agréé », portent sur vingt-deux sujets. Elles concernent des enjeux de marché, incluant les produits industriels, mais aussi les produits agricoles, les services et la libéralisation des biens environnementaux. Elles traitent aussi de problèmes spécifiques pour le développement avec : la négociation sur l'accès au médicament, les questions de « mise en œuvre » des accords de Marrakech, notamment les accords relatifs à l'antidumping, aux subventions et à la propriété intellectuelle, ainsi que l'extension de la protection des indications géographiques à des produits autres que les vins et les spiritueux et le lien entre l'accord sur la protection de la propriété intellectuelle et la Convention sur la biodiversité, et enfin les travaux sur le traitement spécial et différencié en faveur des pays en développement. Le programme de travail adopté à Doha prévoit également la renégociation, en vue de les améliorer, de certaines règles des accords sur l'antidumping et sur les subventions, des règles encadrant les accords régionaux de libre-échange et du Mémorandum sur la procédure de règlement des différends, ainsi que la négociation d'un système multilatéral de notification et d'enregistrement des indications géographiques. Enfin, la Conférence de Doha a ouvert un nouveau champ de négociation sur le commerce et l'environnement, qui porte sur les liens entre les règles de l'OMC et les accords multilatéraux sur l'environnement, et prévu une pré-négociation, en vue d'une décision de lancement des négociations au sommet de Cancún, sur les nouveaux sujets (dits « de Singapour ») : le commerce et l'investissement, le commerce et la politique de concurrence, la transparence des marchés publics et la facilitation des échanges.

Ce copieux « menu », voulu par l'Europe, qui défend l'idée d'un cycle large de négociations incluant des sujets dits « de régulation », a incité certains membres à établir des liens négatifs entre les différents chapitres de la négociation, malgré le principe de l'engagement unique. Aussi, cette tactique a empêché l'élaboration de compromis, freiné les discussions et les a faites se « cristalliser » sur quelques dossiers sensibles, comme l'agriculture, ou emblématiques, comme le coton.

Ces négociations se déroulent, en outre, entre tous les membres de l'OMC, soit actuellement 148 pays dont les quatre cinquièmes sont des pays en développement, 60 d'entre eux ayant accédé à l'Organisation depuis la conclusion des accords de Marrakech. Il s'agit là aussi d'une rupture majeure par rapport aux cycles antérieurs, qui ont été voulus, contrôlés et dirigés par les Etats-Unis et l'Europe, emmenant derrière eux un nombre limité d'acteurs. Le GATT était un « club », même si les discussions pouvaient être âpres ; l'OMC est une organisation démocratique fonctionnant selon le principe du consensus, où chaque voix compte, et réunissant des pays très divers, dont les intérêts fondamentaux, par définition, ne convergent pas nécessairement. A côté des « grands » pays développés, l'OMC comprend des pays en développement dits émergents, très compétitifs sur certains produits, mais défendant aussi des intérêts protectionnistes, le Brésil, l'Inde ou la Malaisie par exemple, ainsi que des pays qui sont parmi les plus pauvres de la planète ou « pays les moins avancés ». La disparité des acteurs est telle que ceux-ci, pour peser davantage dans la négociation, ont consacré, avant Cancún et pendant la Conférence, beaucoup de temps à bâtir et consolider des alliances, sans toutefois parvenir à effacer les divisions, et peu d'énergie à négocier effectivement pour tenter de dégager, petit à petit, des compromis : à Genève, la négociation s'est effectivement engagée en août dernier, à Cancún le quatrième jour de la Conférence.

Outre le fait que le processus de négociation est devenu de moins en moins maîtrisable, celui-ci souffre depuis son lancement d'un manque d'engagement de la part des pays en développement : le cycle actuel, baptisé « Programme de Doha pour le développement », est un mal aimé, qui ne parvient pas à convaincre les pays du Sud de sa nécessité. Il apparaît de plus en plus comme étant un effet « collatéral » du 11 septembre, exprimant une solidarité conjoncturelle de la communauté internationale, et non comme reflétant la volonté de tous les pays d'ouvrir les marchés de façon ordonnée. Ce désamour de Doha s'est manifesté dès le lendemain du lancement des négociations, lorsque les membres ont commencé à se diviser sur l'interprétation de certains passages de la Déclaration ministérielle, ce qui a remis en cause le sens des engagements pris à Doha et les ambitions à atteindre.

Pour autant, l'échec de Cancún n'était pas programmé. En effet, la Conférence s'est tenue après deux réformes importantes, qui étaient autant de gestes clairs et forts en faveur des pays en développement.

Le 26 juin 2003, l'Europe a adopté, au Conseil des ministres de Luxembourg, une réforme fondamentale de la politique agricole commune (PAC), qui lui a permis de reprendre l'offensive dans la négociation agricole. Elle est, en effet, souvent accusée d'empêcher par ses subventions aux exportations et ses aides directes, le développement agricole des pays du Sud. Ce discours très répandu masque les intérêts bien compris des pays ayant une politique agressive de conquête des marchés agricoles. Il « oublie » de rappeler que l'Europe est le premier importateur mondial de produits agricoles, qu'elle verse à ses agriculteurs des aides aux revenus liées à une politique de maîtrise de l'offre et qu'elle plafonne ses dépenses dans ce domaine. En décidant au Conseil de Luxembourg de découpler une grande partie de ses aides de la production, l'Europe a pu conserver les éléments essentiels de son modèle agricole, tout en rendant ses soutiens plus favorables aux intérêts des pays pauvres. Elle était donc prête à donner beaucoup à Cancún, à condition que ses exigences concernant la reconnaissance de la spécificité de l'activité agricole soient prises en compte et que les instruments de politique agricole de ses partenaires soient soumis à des disciplines commerciales équitables.

Par ailleurs, le 31 août 2003, les membres de l'OMC ont adopté une déclaration précisant les conditions dans lesquelles les pays pauvres peuvent importer, dérogeant ainsi aux disciplines commerciales relatives à la protection de la propriété intellectuelle, des médicaments brevetés, afin de leur permettre de lutter contre les pandémies. Cette question emblématique pour les pays du Sud était à l'ordre du jour depuis Doha et aurait dû trouver une solution avant le 31 décembre 2002, qui n'est finalement intervenue qu'après des négociations difficiles entre l'administration américaine et les laboratoires pharmaceutiques.

Cependant, ces avancées n'ont pas permis d'enclencher la mécanique de la négociation à Cancún.

Le rapporteur le regrette profondément, pour quatre raisons.

Premier motif de déception : la communauté internationale a raté son rendez-vous avec de plus fortes perspectives de croissance et d'emploi, pour le Nord comme pour le Sud. Selon une étude conjointe du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale publiée en septembre 2002, l'élimination des obstacles au commerce mondial des marchandises, tant dans les pays développés que dans les pays en développement, pourrait entraîner des gains de bien-être allant de 250 à 620 milliards de dollars, dont un tiers à la moitié reviendraient aux pays en développement. Pour la France, le ministre délégué au commerce extérieur, M. François Loos, lors d'une audition devant la Délégation pour l'Union européenne, a souligné que chaque milliard d'euros d'exportations supplémentaires génère 15 000 nouveaux emplois dans notre pays(1).

Deuxième motif de déception : l'échec de Cancún fragilise une jeune organisation internationale dont la création a été demandée par l'Europe et dont la mission de régulation correspond à la vision française d'une « mondialisation humanisée », c'est-à-dire organisée par les Etats et mise au service des hommes.

Troisième motif de déception : l'Europe a également fait preuve d'une grande détermination et de beaucoup d'esprit de conciliation pour tenter de rapprocher les positions des uns et des autres, sans résultat. Elle a également fait preuve, ce dont le rapporteur se félicite, d'une réelle unité tout au long des négociations de Cancún, aussi bien au niveau de la Commission européenne, représentée par le Commissaire européen en charge du commerce extérieur, M. Pascal Lamy et le Commissaire européen en charge de l'agriculture, M. Franz Fischler, qu'à celui des Etats membres.

Enfin, l'échec de Cancún a fait suite à un rapprochement significatif entre les Etats-Unis et l'Europe - intervenu durant l'été - sur la question sensible des objectifs de la négociation agricole, qui est nécessaire - mais désormais insuffisant - dans toute négociation multilatérale pour parvenir à un accord. Il risque par contrecoup de « refroidir » l'engagement des Etats-Unis en faveur du multilatéralisme, furieux de constater que des pays comme le Brésil ont tout simplement refusé d'examiner sérieusement les textes sur l'agriculture proposés à Cancún. Les Etats-Unis ont d'ailleurs annoncé, par la voix de leur ministre du commerce extérieur ou United States Trade Representative (USTR), M. Robert Zoellick, qu'ils n'attendront pas que « l'OMC se réveille » pour ouvrir les marchés, en négociant des accords commerciaux bilatéraux et régionaux avec les pays ayant fait preuve d'un sens des responsabilités à Cancún(2).

Ce dernier point souligne l'importance d'un fait politique nouveau, apparu avant la Conférence : la constitution du G21, une alliance de 21 pays en développement, comprenant notamment l'Afrique du Sud, le Brésil, la Chine et l'Inde, et qui demandait la suppression immédiate de toutes les subventions agricoles à l'exportation dans les pays développés(3).

Son promoteur principal, le Brésil, souhaite faire de cette coalition un acteur pérenne et incontournable des négociations. Le rapporteur considère cependant que le G21 est d'abord et avant tout une riposte à « l'entente » euro-américaine : l'unité de ce groupe, associant des pays aux intérêts commerciaux et agricoles très divers, n'a pu être maintenue qu'au prix du refus systématique de tout accord à Cancún.

La rhétorique de l'opposition entre pays en développement et pays développés a d'ailleurs mobilisé une grande partie de l'énergie des participants, au point que l'on a cru que Cancún a échoué en raison d'une nouvelle crise Nord-Sud.

Le rapporteur ne partage pas cette analyse, car ni les pays développés ni les pays en développement ne formaient des blocs cohérents avant ou pendant la conférence.

Le Sud était représenté à Cancún par deux grands acteurs : le G21, d'une part, et le G90, d'autre part, ce dernier groupe rassemblant les pays les moins avancés, les membres de l'Union africaine et les pays des Caraïbes. Ce dernier groupe appuyait l'initiative de quatre pays africains (Bénin, Burkina, Mali et Tchad), visant à supprimer les aides des pays développés à leurs producteurs de coton, et demandait que les pays pauvres puissent continuer à bénéficier des préférences commerciales accordées par les pays développés, et déroger ainsi aux règles communes de l'OMC. Sur ce point, le Brésil et la Thaïlande, deux membres du G21, s'opposent clairement aux intérêts des pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), en attaquant, depuis juillet 2003, devant l'Organe de règlement des différends de l'OMC l'organisation commune du marché du sucre, qui permet aux producteurs de l'île Maurice ou d'Ethiopie d'écouler sur le marché européen, sans payer de droit de douane et à un prix égal au prix d'intervention communautaire, du sucre de canne.

A l'inverse, l'Inde, le Brésil et la Chine, qui défendent le principe de l'indication de l'origine des ressources génétiques, bénéficient du soutien de l'Europe, qui s'oppose aux Etats-Unis sur ce sujet.

Quant à l'entente euro-américaine, elle n'englobe pas tous les domaines de la négociation, loin s'en faut : si l'Union européenne et les Etats-Unis partagent les mêmes objectifs concernant la réduction des tarifs industriels, ils sont en désaccord sur le dossier du coton, la protection des indications géographiques ou la place de l'environnement dans les règles de l'OMC.

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* *

Au total, les lignes possibles de rapprochement entre les quatre grands acteurs de Cancún, les Etats-Unis, l'Europe, le G21 et le G90, ne sont pas parvenues à se rencontrer. Ainsi que l'a souligné le Commissaire européen en charge du commerce extérieur, M. Pascal Lamy, lors de son audition devant la Délégation pour l'Union européenne, le 8 octobre dernier, la balance mesurant le point d'équilibre à atteindre entre les intérêts offensifs et défensifs de chacun de ces quatre acteurs, s'est mise à pencher dans un sens négatif au moment où :

-  il est apparu aux Etats-Unis que l'initiative concernant le coton pouvait avoir des répercussions internes négatives lors du démarrage de la campagne présidentielle ;

- pour le G21 et principalement le Brésil, la victoire politique et médiatique que constituait un échec à Cancún est apparue comme étant plus importante que la conclusion d'un accord sur les modalités agricoles, qui était pratiquement à portée de main selon M. Pascal Lamy ;

- les pays africains ont ressenti le texte proposé sur le coton comme une provocation, car ce dernier se contentait de prévoir une aide à la diversification de la production, sans mentionner d'engagements en faveur de l'élimination des subventions des pays développés. Ils ont alors rejeté le compromis proposé par l'Europe prévoyant d'ouvrir les négociations sur seulement deux des quatre sujets de Singapour (la transparence dans les marchés publics et la facilitation des échanges), tandis que la Corée refusait de les dissocier ;

- l'Europe a compris que sa flexibilité ne parvenait pas à créer une dynamique positive de négociation.

Après que le président de la Conférence, M. Luis Ernesto Derbez, eut constaté, au cours de la journée du 14 septembre, que les membres camperaient sur leurs positions, il a décidé de mettre fin aux discussions. Une courte communication ministérielle a été adoptée, décidant de réunir le 15 décembre au plus tard, le Conseil général de l'OMC au niveau des hauts fonctionnaires des capitales « pour faire le bilan des travaux à Genève et prendre les mesures nécessaires à la conclusion des négociations dans les délais prévus par la déclaration de Doha ».

Cette réunion devrait permettre d'évaluer la faisabilité d'une relance rapide du cycle et de la disponibilité des négociateurs à y contribuer. Sur ce point, les échéances électorales américaines et le renouvellement de la Commission européenne en novembre 2004 ne peuvent inciter à l'optimisme.

De plus, le Commissaire européen en charge du commerce extérieur a proposé au Parlement européen et au Conseil des ministres de l'Union de procéder à une évaluation de la pertinence des grands axes de la politique commerciale de l'Union, avant de reprendre le travail à l'OMC. Ce réexamen s'articulera autour de quatre grands thèmes :

- le maintien ou non de l'approche communautaire de la négociation qui, fondée sur les valeurs du projet européen, combine libéralisation des échanges et construction de règles destinées à assurer l'effectivité et l'équité du processus d'ouverture des marchés ;

- le maintien ou non de la priorité que l'Europe accorde aux négociations multilatérales, compte tenu des choix qui seront opérés par nos partenaires en faveur du multilateral, du bilatéral ou du régional ;

- les réformes à opérer pour consacrer davantage la dimension du développement à l'OMC, notamment en différenciant de manière plus fine les pays du Sud et en déterminant s'il convient de créer des règles particulières pour ces pays ;

- la réforme des procédures de négociation à l'OMC, qui n'ont pas fait preuve jusqu'ici de leur efficacité.

Cette réflexion est nécessaire. Le rapporteur estime qu'elle doit déboucher sur la réaffirmation politique de l'engagement européen en faveur du multilatéralisme et de la solidarité avec les pays en développement : l'OMC doit rester l'un des outils privilégiés de l'Europe pour créer les conditions d'une convergence durable entre le Nord et le Sud.

*

* *

Pour l'OMC, le défi à venir est celui de la relance des négociations. Il faut pour cela rétablir la confiance entre les différents acteurs, ce qui implique de reconnaître que les mêmes règles ne peuvent également s'appliquer à tous.

Certes, l'OMC reconnaît déjà des différences entre les pays développés et ceux en développement, et distingue parmi ces derniers les pays les moins avancés. Mais ces distinctions doivent être affinées, de même que doit être définitivement reconnu le fait que les pays en développement possèdent une responsabilité commune mais différenciée dans la mise en œuvre des obligations multilatérales.

Tant qu'il n'y aura pas d'accord sur ces principes fondamentaux, les pays du G90, qui forment la majorité des membres de l'OMC, hésiteront à participer activement au redémarrage des négociations.

Aussi, les pays en développés doivent-ils soutenir des initiatives en faveur du développement des pays vulnérables. Les pays émergents doivent eux aussi participer à cette stratégie de solidarité : si ces pays ne peuvent pas être considérés comme étant à égalité avec les pays développés, ils doivent néanmoins accepter de faire plus d'efforts envers leurs partenaires les plus pauvres.

La « nouvelle OMC » est difficile à concevoir et à mettre en place. Elle implique, en effet, de créer plusieurs niveaux d'obligations, voire de faire du « sur mesure ». Ce défi est à l'image du monde complexe que la communauté internationale doit mieux organiser, afin d'assurer sa sécurité et sa prospérité.

D'autre part, ces obligations doivent, à leur tour, être modulées en fonction du secteur auxquelles elles s'appliquent : une OMC au service du développement durable ne peut traiter à l'identique les biens industriels, les biens culturels et les produits agricoles.

Cette voie est la seule issue possible pour l'OMC : elle permettra de rassurer les citoyens du Nord comme du Sud sur le fait que le prochain cycle sera plus créateur que destructeur de richesse et de stabilité.

Dans cette perspective, l'Union européenne, qui su construire une politique de coopération exemplaire avec le plus vaste ensemble de pays en développement du monde, le groupe des 77 pays ACP, doit convaincre ses partenaires que le cycle du développement doit avoir pour ambition de transformer la mondialisation d'un état de fait en état de droit. Si elle y parvient, elle pourra compter à son actif une grande réussite de politique étrangère, qui comptera, plus tard, dans l'histoire de l'Europe-puissance.

Ainsi, après avoir analysé les causes de l'échec de Cancún, le rapporteur présentera les raisons d'espérer.

PREMIERE PARTIE :
LES CAUSES DE L'ECHEC

I. L'ATTITUDE DES ACTEURS

Une fois lancé, le cycle de négociations s'est rapidement enlisé, car chaque acteur tardait à dévoiler son jeu tout en demandant aux autres de commencer la partie.

Puis, à quelques jours de Cancún et pendant la Conférence, de nombreux membres de l'OMC ont privilégié une attitude déclamatoire, consistant à répéter des positions bien connues, sans avancer de propositions concrètes.

Ce sommet a fait apparaître quatre grands acteurs, qui ont reflété l'émergence d'un monde multipolaire : deux acteurs du Sud, le G20+ et le G90, et deux acteurs du Nord, l'Union européenne et les Etats-Unis.

A. Les « Suds » : un rôle déterminant dont les motivations sont complexes

Pour la deuxième fois, les pays en développement ont contribué à faire échouer une Conférence ministérielle de l'OMC.

A Seattle, leur opposition au lancement d'un nouveau cycle a été déterminante, et s'est ajoutée à l'absence de consensus entre les Etats-Unis, l'Europe et le Japon sur le contenu de l'ordre du jour des négociations.

A Cancún, ils ont dénoncé le contenu des négociations ouvertes, baptisé « Programme de Doha pour le développement », au motif, qu'il n'avait, d'après eux, de développement que le nom, et ne reflétait que les intérêts sectoriels des pays développés.

Ainsi, à deux reprises, la même cause a produit les mêmes effets : depuis la conclusion des accords du cycle d'Uruguay, les pays en développement éprouvent la plus grande réticence à se lancer activement dans un nouvel exercice multilatéral, car ils estiment que les promesses du précédent cycle concernant leur croissance et leur insertion dans le commerce international n'ont pas été tenues et - qu'en conséquence - ils ne peuvent croire à celles du « Programme de Doha ».

1) Le refus de vivre un « Marrakech bis »

a) Les déceptions économiques

La première déception des pays en développement est de nature économique : ni la croissance ni les gains de parts de marché n'ont été, selon eux, au rendez-vous depuis la conclusion du précédent cycle.

¬ Aujourd'hui encore, il n'existe pas de bilan global et officiel des gains économiques de la libéralisation des échanges intervenue dans le cadre des accords de Marrakech.

Cependant, quelques conclusions peuvent être tirées de la participation accrue des pays en développement au commerce international.

En préalable, le rapporteur tient à souligner que le libre-échange n'est pas une fin en soi, mais un outil au service de la création de richesses.

La croissance du commerce extérieur joue, en effet, depuis trente ans, un rôle de locomotive pour l'économie, étant toujours supérieure à celle de la production : alors que celle-ci a été multipliée par dix, les échanges mondiaux ont été multipliés par vingt et les investissements directs à l'étranger par cent. En France, les échanges expliquent en moyenne 10 % de la croissance annuelle, les marchés étrangers achetant environ 28 % de la richesse produite dans notre pays.

Cette contribution positive du commerce international à la croissance se constate aussi pour les pays en développement.

Un rapport d'Oxfam d'avril 2002 indique que le revenu par tête généré, dans ces pays, par les exportations (soit 322 dollars) est trente fois supérieur à celui tiré de l'aide au développement (soit 10 dollars). Selon ce rapport, si l'Afrique, l'Asie de l'Est, l'Asie du Sud et l'Amérique Latine parvenaient à augmenter leurs parts respectives dans les exportations mondiales de 1 %, cela permettrait de sortir de la pauvreté environ 128 millions de personnes.

Les pays en développement les plus libéraux en matière de commerce international sont aussi ceux qui ont connu la plus forte croissance. Une étude de deux chercheurs de la Banque mondiale, David Dollar et Art Kraay, de juin 2002, a identifié un groupe de « commerçants globaux », dont l'évolution du PIB a été fortement stimulée par leur participation accrue au commerce international. Il est constitué par le tiers de pays en développement, sur un total de 79 pays, ayant augmenté la part du commerce dans leur produit intérieur brut de 16 % en 1975-1979 à 33 % en 1995-1997. Leur taux de croissance est passé de 2,9 % par an durant les années 1970, à 3,5 % durant les années 1980 et 5 % durant les années 1990, tandis que les autres pays en développement ont vu leur taux de croissance diminuer (de 3,3 % par an au cours des années 1970, à 0,8 % par an au cours des années 1980), puis remonter à seulement 1,4 % par an au cours des années 1990(4).

L'examen de la géographie des gains de l'échange indique qu'au total, la mondialisation n'a été vraiment « heureuse » que pour une seule région en développement : l'Asie orientale. Entre 1990 et 1999, elle a augmenté sa part du marché mondial de 4 %, pour atteindre un peu moins de 10 % du total. A l'inverse, la part du marché mondial détenue par l'Afrique subsaharienne a reculé d'un quart, pour ne représenter seulement que 1,3 % du commerce mondial à la fin de la décennie précédente. L'Asie du Sud et l'Amérique Latine n'ont augmenté, respectivement, leurs parts de marché que de 0,8 % à 1 % et que de 1 % à 5 %.

Pour les pays du Sud marginalisés sur le plan du commerce international en raison de leurs problèmes d'offre, l'étau du sous-développement semble se resserrer inexorablement. Ils sont les victimes d'une dépendance trop forte de leur économie à l'égard de l'exportation de quelques produits primaires, de leur enclavement parfois, de leur manque d'infrastructures essentielles et d'un déficit de démocratie ou de gouvernance, qui ne leur permettent pas de s'insérer de manière heureuse dans l'économie mondiale. Ainsi, le rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) sur les pays les moins avancés (PMA) pour l'année 2002 indique que la part des exportations mondiales détenue par les pays en question(5) était, en 2000, de 0,5 %, leurs exportations totales équivalant, en valeur, à la moitié de celles de l'Autriche.

Ces handicaps se combinent pour dissuader les opérateurs économiques d'investir dans des pays bénéficiant pourtant de ressources abondantes et d'une main-d'œuvre bon marché : ainsi, en Afrique, le montant de l'investissement direct étranger par habitant est, selon la Banque mondiale, d'environ 124 dollars, contre 3 200 dollars aux Etats-Unis.

Aussi, les pays vulnérables ne peuvent-ils tirer que des gains limités d'une plus grande libéralisation des échanges. Une étude de la Banque mondiale indique que la suppression de tous les pics tarifaires (droits de douane supérieurs à 15 %) appliqués par les pays de la Quad (Canada, Etats-Unis, Japon et Union européenne) conduirait à une progression substantielle des exportations des produits frappés par ces droits en provenance des pays en développement non-PMA (+20 % sur le marché européen par exemple), qui serait en revanche limitée pour les exportations provenant des PMA (+0,9 % seulement).

¬ Au sentiment d'injustice résultant de la marginalisation de certains pays du Sud, s'ajoutent les frustrations nées du cycle d'Uruguay, qui, selon les pays en développement, a laissé en place un « univers tarifaire » hostile à leurs exportations.

_ Les droits de douane appliqués aux produits fabriqués par les pays en développement restent relativement élevés par rapport à ceux qui frappent les produits des pays développés. Le rapport de la Banque mondiale de 2003 sur les perspectives économiques globales indique qu'en moyenne, les droits perçus par les pays à hauts revenus (soit ceux ayant un revenu par habitant supérieur à 9 076 dollars, comme les membres de l'OCDE) sur les importations provenant des pays en développement sont quatre fois supérieurs à ceux perçus sur les importations des pays développés (3,4 % contre 0,8 %)

_ En outre, les exportations pour lesquelles les pays du Sud disposent d'avantages comparatifs évidents, les produits agricoles et les produits manufacturés à forte intensité de main d'œuvre comme le textile, sont précisément celles qui se heurtent aux plus fortes barrières tarifaires et non tarifaires au sein des pays développés. Selon une étude de la Banque mondiale et du FMI publiée en 2002, la protection à laquelle se heurtent les exportateurs des pays en développement dans l'agriculture est, dans les pays développés, quatre à sept fois plus élevée que dans le secteur des produits manufacturés. La protection est également importante pour le textile et le vêtement, secteurs où les pays en développement assurent respectivement 50 % et 70 % des exportations mondiales. Alors que dans les pays à hauts revenus, 90 % de leurs importations de produits manufacturés acquittent des droits de douane inférieurs à 10 %, seule la moitié de leurs importations de textiles et de vêtements bénéficient de tels droits. Ces importations sont en outre soumises au respect de quotas institués par les pays développés, qui ne disparaîtront, conformément à l'Accord sur les textiles et le vêtement de 1994, qu'au 1er janvier 2005. Selon une étude de l'OMC d'août 2003, 80 % des quotas, soit environ 209 des quotas maintenus par le Canada, 701 par les Etats-Unis et 167 par l'Union européenne, doivent encore être éliminés d'ici la fin 2004.

_ De plus, les droits de douane auxquels sont confrontées les exportations des pays en développement sont non seulement élevés, mais aussi progressifs, c'est-à-dire qu'ils augmentent en fonction de la valeur ajoutée des produits, ce qui, selon les experts, n'encourage pas ces pays à diversifier leur production. Par exemple, cette progressivité est importante aux Etats-Unis, qui, selon une étude du secrétariat de l'OMC, appliquent des droits de douane moyens de 0,8 %, sur les produits primaires, mais beaucoup plus élevés, soit 4,1 %, sur les produits semi-manufacturés et les produits manufacturés.

_ A cela s'ajoute le fait que, depuis la conclusion du cycle d'Uruguay, les procédures antidumping sont de plus en plus fréquemment utilisées contre les pays en développement, moins selon ces pays pour répondre à une situation objective de dumping que pour protéger des industries ne pouvant être compétitives sur le plan du coût de la main-d'œuvre(6). Ainsi, les pays développés appliquent des droits antidumping environ sept fois supérieurs à leurs droits de douane moyens et ont ouvert, de janvier 1995 à juin 2002, 494 procédures antidumping contre les pays en développement.

_  Les effets de la réduction des droits de douane ont été limités par ailleurs par les nombreuses barrières non tarifaires utilisées par les pays développés, c'est-à-dire par les règles qu'ils imposent aux produits importés en matière de respect de l'origine des marchandises et des normes sanitaires, phytosanitaires et environnementales. Les pays en développement, et en particulier les plus pauvres d'entre eux, éprouvent parfois des difficultés à assurer la conformité de leurs produits avec ces exigences, car ces dernières peuvent impliquer des coûts importants. Ils peuvent dès lors être empêchés d'exporter des produits compétitifs, qui ne peuvent respecter les prescriptions non tarifaires. Il est difficile de quantifier les effets de cet aspect de la protection des marchés des pays développés, mais la CNUCED indique que si 99 % des importations de l'Europe en provenance des pays les moins avancés pouvaient entrer sur le marché communautaire avec un accès préférentiel en 1999, seulement 34 % d'entre elles en bénéficiaient effectivement.

_ Cependant, si les gains de parts de marché des pays en développement ont été limités, cela n'est pas dû seulement aux politiques tarifaires des pays développés : en effet, les plus fortes barrières se situent à l'entrée des marchés du Sud.

- On rappellera d'abord que la plupart des pays d'Afrique ou d'Asie n'ont pas consolidé leurs tarifs à l'OMC, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas pris d'engagements concernant les droits qu'ils appliquent, pouvant ainsi les modifier à tout moment. Selon une étude de l'OMC, sur un total de quarante et un pays africains, quatorze d'entre eux ont consolidé moins de 10 % de leurs lignes tarifaires pour les produits industriels. En Asie, un tiers des vingt-et-un pays étudiés ont consolidé moins de la moitié de leurs lignes tarifaires et seulement neuf pays ont consolidé plus de 90 % de leurs lignes. Deux grands pays exportateurs comme l'Inde et la Malaisie n'ont consolidé, respectivement, que 61,6 % et 61,8 % de leurs lignes tarifaires.

- Le droit moyen appliqué par les pays en développement sur les produits industriels est plus important que celui appliqué par les pays développés : 30 % pour le Brésil et 34,8 % pour le Mexique, contre 3,9 % pour les Etats-Unis et 4,1 % pour l'Europe.

- Par ailleurs, la protection à laquelle se heurtent, dans les pays en développement, les exportateurs des pays du Sud reste dans l'agriculture, selon la Banque mondiale et le FMI, deux à trois plus élevée que celle existant pour les produits industriels.

- Enfin, les utilisateurs les plus assidus des procédures antidumping contre les pays en développement ont été, depuis 1995, d'autres pays en développement, qui ont engagé 649 procédures de ce type entre janvier 1995 et juin 2002.

b) Les déceptions juridiques

Aux déceptions économiques, s'ajoutent celles de nature juridique.

Elles sont de deux ordres.

D'abord, être membre de l'OMC impose de se mettre en conformité avec un ensemble complexe d'accords, dont certains encadrent les règles sanitaires et phytosanitaires, ainsi que les droits de propriété intellectuelle, ce qui implique un effort réglementaire particulièrement lourd et coûteux pour les pays les plus pauvres. Un rapport de la CNUCED de 1996 a fourni quelques estimations des coûts administratifs de l'application, par certains membres, de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) : 718 000 dollars pour la mise aux normes et 837 000 dollars pour les coûts fixes annuels s'agissant du Chili, 800 000 dollars pour les coûts fixes s'agissant de l'Egypte, 250 000 dollars pour la mise aux normes et 1,1 million de dollars par an pour les frais de justice, d'équipement et de contrôle s'agissant du Bangladesh.

Ensuite, les pays du Sud considèrent que les règles de l'OMC ne prennent pas vraiment en compte leurs besoins en matière de développement.

Pourtant, la reconnaissance d'un « traitement spécial et différencié » systématique en faveur des pays en développement a été la contrepartie demandée par ces derniers aux efforts à fournir pour mettre en œuvre les accords de l'OMC : en effet, ce principe, traduit dans plusieurs dispositions des accords de Marrakech, devait permettre de tempérer, en reconnaissant la situation particulière des pays les moins favorisés, la rigueur des règles s'imposant, en vertu de l'engagement unique, à tous les membres de l'OMC.

Mais le traitement spécial et différencié consacré à Marrakech ne revêt la même force que celui reconnu au cours des cycles précédents. Ce principe reposait alors sur trois grandes règles : l'accès préférentiel aux marchés des pays développés, la non-réciprocité, permettant aux pays en développement de bénéficier des accords multilatéraux (notamment la baisse des droits) sans être tenus d'offrir des concessions identiques et la flexibilité dans l'application des engagements aux fins de protéger les industries naissantes et d'éviter les déséquilibres de la balance des paiements. Avec la généralisation des politiques d'ajustement structurel préconisées par le FMI et la Banque mondiale au cours des années 1980, qui reposent sur la libéralisation des échanges, le traitement spécial et différencié s'est altéré, ce qui a conduit les pays en développement à accorder de plus fortes concessions aux pays développés lors du cycle d'Uruguay et à accepter « en bloc » l'ensemble des accords négociés. Le traitement spécial et différencié est « devenu alors un ensemble de mesures ad hoc attachés aux différents accords, sans référence conceptuelle claire, et parfois sans réel contenu »(7).

Il résulte de cette évolution que si les accords de Marrakech contiennent environ 155 dispositions relatives à ce principe, nombre d'entre elles ne sont que très partiellement appliquées et ne peuvent donc, selon le jugement porté par notre collègue M. Jean-Claude Lefort, servir d'instrument efficace au développement des pays du Sud(8).

En effet, le caractère obligatoire de ces dispositions dépend, en grande partie, de leur objet et du degré de leur précision, comme le montre les exemples suivants, classés, selon les objectifs traditionnellement assignés au traitement spécial et différencié, en cinq catégories :

¬ L'amélioration de l'accès au marché pour les produits des pays en développement

_ Le préambule de l'Accord sur l'agriculture prévoit qu'en matière d'accès au marché, les engagements des pays développés tiendront pleinement compte des besoins des pays en développement. A ce titre, la réduction tarifaire sur les produits tropicaux s'est élevée en moyenne à 43 %, soit plus que pour les autres produits.

_ La clause d'habilitation, figurant dans la partie IV de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (le GATT), permet, par exception à la clause de la nation la plus favorisée, de donner un traitement préférentiel aux pays en développement. Les systèmes de préférence généralisés (SPG) des pays développés, qui prévoient d'appliquer des droits réduits aux importations des pays du Sud, sont mis en œuvre en application de la clause d'habilitation. Cependant, l'efficacité des SPG est limitée par les problèmes d'offre des pays en développement, ainsi que par la complexité des prescriptions à respecter pour pouvoir en bénéficier. Un rapport de la Banque mondiale de 2003 indique que les importations, en valeur, des pays de la Quad provenant des pays bénéficiaires des SPG s'élevaient, en 2001, à 588 milliards de dollars, dont 184 milliards étaient éligibles aux différents SPG et 71 milliards seulement (soit 39 % du total) avaient reçu un traitement préférentiel.

¬ La sauvegarde ou la promotion des intérêts des pays en développement

Les dispositions relevant de cette catégorie, dont la mise en œuvre relève exclusivement de la responsabilité des pays développés, sont qualifiées de « clauses de meilleurs efforts », qui en règle générale sont juridiquement non contraignantes.

_ L'accord antidumping prévoit que des solutions constructives doivent être explorées avant l'application des mesures antidumping susceptibles d'affecter les intérêts essentiels des pays en développement. Aucune des législations antidumping notifiées à l'OMC ne reflète cette disposition.

_ Les intérêts particuliers des exportateurs-producteurs de coton devraient être reflétés dans la mise en œuvre de l'Accord sur les textiles et le vêtement (article 1.4). Aucune mesure spécifique n'a été prise à ce titre.

¬ Les moindres niveaux d'engagements de la part des pays en développement

L'accord sur l'agriculture exempte les pays les moins avancés de tout engagement de réduction (article 15).

_ L'accord sur les subventions lève l'interdiction de subventions à l'export pour les pays les moins avancés et les pays dont le revenu par habitant est inférieur à 1 000 dollars par habitant.

¬ L'octroi de périodes de transition :

A la différence des exemptions d'obligations accordées aux pays en développement, ces dispositions prévoient que tous les membres de l'OMC doivent in fine appliquer les disciplines des accords. Ainsi, nombre d'accords de l'OMC prévoient des périodes de transition pour leur mise en œuvre par les pays en développement. Pour ces derniers, le délai a expiré à la fin de 1999, mais il peut être parfois prorogé après analyse au cas par cas (cas de l'accord sur les investissements liés au commerce). Les PMA bénéficient de périodes généralement plus longues (2002 pour les investissements liés au commerce, 2005 pour la propriété intellectuelle), mais pas toujours (fin 1999 par exemple pour l'accord sur l'évaluation en douane).

¬ L'assistance technique

De nombreux accords prévoient qu'une assistance technique doit être fournie aux pays en développement, afin de leur permettre de mieux connaître leurs droits et obligations, de participer plus activement aux négociations et d'appliquer les dispositions prévues.

*

* *

Pour remédier aux carences du traitement spécial et différencié, les pays en développement ont souhaité, dès la préparation de la Conférence de Seattle, que l'ordre du jour du nouveau cycle prévoit :

- une mise en œuvre effective des dispositions existantes ;

- l'établissement de directives pour que le traitement spécial et différencié soit réellement pris en compte dans toutes les négociations (agriculture, industrie, services, etc.).

C'est ainsi qu'aux termes du mandat de négociation adopté à Doha, les membres de l'OMC se sont engagés à réexaminer les dispositions existantes « en vue de les renforcer et de les rendre plus précises, plus effectives et opérationnelles » et à inclure le principe du traitement spécial et différencié dans chaque chapitre des négociations.

Sur le premier point, les pays en développement ont présenté 88 propositions, parfois « maximalistes ». Parmi ces dernières, il convient de citer une communication de septembre 2001 émanant de douze pays, qui demande l'élaboration d'un accord-cadre sur le traitement spécial et différencié, comportant notamment les éléments suivants : le caractère obligatoire et juridiquement contraignant des dispositions concernées par le recours à l'Organe de règlement des différends de l'OMC, la non-automaticité de l'application du principe de l'engagement unique aux pays en développement et l'absence d'interdiction des politiques industrielles dans les pays en développement « en l'absence d'une évaluation quant au point de savoir si (elles ont) une incidence négative démontrable sur le commerce »(9).

Le groupe africain et les PMA ont été les principaux demandeurs, défendant une approche ambitieuse, mais parfois utopique du traitement spécial et différencié. Quelques-unes de leurs propositions aboutiraient à les exempter définitivement de la quasi-totalité des disciplines de l'OMC.

Les membres du groupe dit des « like-minded » (Inde, Pakistan, Malaisie, Egypte et Indonésie, etc.) ont été des demandeurs subsidiaires, ayant une gestion tactique du sujet pour obtenir soit une décision favorable à des demandes jugées exorbitantes par les pays développés (par exemple l'exclusion des mesures relatives à la balance des paiements des règles de l'OMC) soit pour trouver une justification au rejet des « sujets de Singapour ».

Quant aux autres pays en développement, notamment ceux d'Amérique latine, ils redoutaient que les discussions sur le sujet n'ouvrent un débat sur la différenciation.

Face aux revendications des pays du Sud, l'attitude des pays développés a consisté à dissocier les demandes réalistes concernant des dispositions précises, devant être examinées au cas par cas, de celles qui visent, de fait, à réécrire les accords et rompre ainsi les équilibres issus du cycle d'Uruguay.

C'est pourquoi l'Union européenne a préconisé, avant Cancún, d'évaluer la pertinence des propositions concernant le traitement spécial et différencié, sur la base des critères suivants :

- Ces propositions contribueraient-elles au développement économique des pays du Sud et à leur meilleure intégration dans le système commercial multilatéral au lieu de créer des exceptions permanentes au sein de l'OMC ?

- Les dispositions concernant le traitement spécial et différencié devraient-elles être conçues comme des étapes préalables à l'intégration des pays en développement à un système commun de droits ou d'obligations ou comme un système parallèle de règles ?

- Enfin, le maintien du bénéfice de ces dispositions devrait faire l'objet d'une évaluation régulière, pays par pays.

En outre, les pays développés ont été réticents à accorder des concessions unilatérales et substantielles en matière de traitement spécial et différencié en raison de l'hétérogénéité des situations économiques du groupe des pays en développement n'étant pas des pays moins avancés(10). En effet, cette catégorie de membres, associant le Sénégal à Singapour, comme le Maroc à la Chine, comprend tout pays se proclamant comme étant en développement, qui doit être dès lors considéré comme tel à l'OMC et bénéficier du traitement spécial et différencié. Les pays développés veulent donc ouvrir des négociations sur la différenciation, ce qui est considéré comme un casus belli par les pays émergents. D'autre part, pour les pays développés, la réflexion sur le traitement spécial et différencié doit aussi aborder la question de l'hétérogénéité sectorielle de la compétitivité des pays en développement : un pays peut être compétitif sur le plan mondial dans un secteur donné, tout en ayant un faible PIB par habitant (cas du Pakistan pour le textile par exemple). Mais là encore, les tentatives des pays développés pour ouvrir le débat sur cette question se heurtent à un véritable « front du refus ».

Aussi, en raison de la vivacité des débats sur le traitement spécial et différencié, les partenaires n'ont-ils pu se mettre d'accord, avant Cancún, que sur un ensemble de 24 mesures, figurant dans le projet de déclaration ministérielle rendu public le 24 août 2003.

2) Les « Suds » présents à Cancún

a) Le G20+: une coalition hétéroclite née du rejet de "l'entente" euro-américaine

Le G21, rebaptisé G20+ après quelques défections et ralliements, est né au lendemain du rapprochement intervenu durant l'été entre les Etats-Unis et la Commission européenne sur les objectifs des négociations agricoles.

Cette initiative conjointe sur l'agriculture a été présentée le 13 août 2003 à Genève, puis ses grandes lignes ont été reprises dans les projets de déclaration ministérielle élaborés avant et pendant Cancún(11).

Sa signification était importante : les deux grands acteurs ayant adopté des politiques agricoles fortes se mettaient enfin d'accord sur le cadre général des négociations.

Pour cela, chaque partenaire a dû faire des concessions importantes. D'une part, les Etats-Unis se dissociaient des pays ultra-libéraux du groupe de Cairns pour cesser d'attaquer la PAC, de réclamer la suppression de toutes les subventions aux exportations européennes et reconnaître la légitimité de certaines aides ; d'autre part, l'Union européenne obtenait des Etats-Unis qu'ils acceptent de soumettre une partie des aides de leur loi agricole adoptée en mai 2002 aux disciplines de l'OMC et suppriment une partie de leurs crédits à l'exportation et réduisent les autres(12).

Pour autant, cet accord ne concernait pas tous les aspects de la négociation agricole, dont certains sont jugés fondamentaux par l'Europe : bien que soulevées, les questions liées aux indications géographiques, aux préoccupations non commerciales et à l'aide alimentaire n'ont pas abouti à un consensus. D'autre part, il ne contenait aucun engagement concernant l'institution de disciplines spécifiques sur les aides américaines les plus perturbatrices, les marketing loans.

Toutefois, s'il était critiquable sur certains aspects essentiels, cet accord n'en constituait pas moins une réelle avancée pour les négociations agricoles, qui faisaient du surplace depuis le début du cycle.

Il était d'ailleurs réclamé par les autres négociateurs, conscients que les discussions ne pourraient pas progresser tant que les Etats-Unis et l'Union européenne n'auraient pas « bougé ».

Mais, au bout du compte, cet accord tant attendu va pousser les pays du futur G21 à nouer une alliance pour demander la suppression de toutes les subventions à l'exportation des produits agricoles.

Le G21 est donc la réaction épidermique des pays en développement émergents à ce qui été perçu comme une renaissance du « duopole » Europe/Etats-Unis voulant imposer, comme au temps du GATT, leurs desiderata aux autres acteurs.

La naissance de ce groupe constitue un blâme adressé aux « deux grands », coupables d'avoir commis un double renoncement à l'égard du Sud : du côté de l'Europe, elle abandonnait son attitude critique et offensive à l'égard de la dernière loi agricole américaine pour parvenir à un accord avec les Etats-Unis, dont le prix était la « sanctuarisation » à l'OMC de la politique agricole de ces derniers ; du côté des Etats-Unis, ils abandonnaient leurs thèses traditionnelles sur l'élimination complète et rapide des subventions européennes aux exportations, qui les plaçaient aux côtés des pays émergents, afin d'élaborer, avec l'Union européenne, un diktat agricole aux pays en développement.

La volonté des membres du G21 de s'affirmer comme des acteurs écoutés sur la scène internationale après la crise irakienne et celle du président du Brésil, M. Luis Inacio Lula da Silva, de remporter à Cancún, pour des raisons internes, une « victoire » collective du Sud contre les pays développés, ont également poussé à la création de cette nouvelle alliance. La Chine, quant à elle, a rejoint ce groupe, car ce dernier soutient sa demande visant à exempter les nouveaux adhérents de tout nouvel engagement négocié à l'OMC.

Or, cette alliance est une alliance contre nature, qui associe des pays aux intérêts agricoles fondamentalement divergents, comme l'Inde et le Brésil.

L'Inde se soucie avant tout d'assurer sa sécurité alimentaire, et donc de protéger son agriculture vivrière : ainsi que l'a fait observer au rapporteur son représentant à l'OMC, M. K.M. Chandasekhar, 65 % de sa population, soit 650 millions de personnes, dépendent de ce secteur, dans lequel 60 % des exploitations ont une taille inférieure à 0,5 hectare.

Quant au Brésil, c'est la puissance agricole de demain, qui pourrait disposer des moyens de nourrir la planète. Grâce à une très forte augmentation des rendements, il est devenu, pour de nombreuses productions, le pays le plus compétitif de la planète. Il possède notamment le plus grand cheptel commercial du monde, ainsi qu'une réserve de 90 millions d'hectares de terres pour la mise en culture, un potentiel représentant la totalité des superficies céréalières aux Etats-Unis.

D'autres membres du G21, également membres du groupe de Cairns, possèdent aussi des agricultures très compétitives, comme l'Argentine, le Chili, les Philippines et la Thaïlande.

De fait, le discours « anti-subventions » de ces pays reflète de puissants intérêts commerciaux, car ce sont eux, avec les Etats-Unis et les pays de l'Océanie (Australie et Nouvelle-Zélande), qui ont le plus profité de la baisse des restitutions aux exportations de l'Europe. Ainsi, pour la viande bovine, entre 1995 et 2000, les parts de marché de l'Europe ont reculé de 19,1 % à 10,8 %, tandis que celles de l'Argentine et du Brésil ont augmenté, respectivement, de 4,6 % à 10,9 % et de 3,5 % à 7,1 %.

En outre, la croissance mondiale des exportations agricoles a profité aux pays émergents, mais pas au reste du Sud. En effet, les autres pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique centrale ont vu leur part de marché reculer de plus de 6 % en dix ans. En prenant l'exemple de deux pays, la Côte d'Ivoire et le Brésil, on constate qu'alors que les produits agricoles représentent près de 60 % des exportations du premier, celui-ci a perdu 0,10 % de ses parts de marché entre 1995 et 2000, un chiffre égal à celui des gains de part de marchés obtenus par le second.

C'est la raison pour laquelle, au-delà de l'affichage politique, le G21 n'a pas fait preuve d'une réelle solidarité envers les besoins des pays les plus vulnérables. Si tel avait été le cas, ses membres auraient dû soutenir le principe d'une différenciation renforcée des disciplines commerciales en faveur des pays d'Afrique et de tous ceux souhaitant assurer leur autosuffisance alimentaire. Mais il n'en a rien été : la proposition commune euro-américaine du 13 août dernier prévoyant qu'en matière de traitement spécial et différencié pour l'agriculture, les règles et disciplines devront être ajustées pour tenir compte de la situation des pays exportateurs nets « significatifs » n'a pas vraiment suscité l'enthousiasme des économies émergentes.

b) Le G90: un acteur révélateur de l'enjeu central du cycle

La Conférence de Cancún a pris fin lorsque le Groupe africain, en réaction à la pusillanimité du texte proposé sur le coton, a refusé d'ouvrir des négociations sur les sujets de Singapour.

Il faut saisir la portée de ce geste, car là se trouve la clef de l'échec de Cancún.

En effet, ce groupe fait partie du G90, l'acteur emblématique de cette Conférence, dont l'unité résulte d'une double crainte.

Or, tant que celle-ci ne sera pas apaisée, le rapporteur estime qu'il ne pourra y avoir de reprise durable des négociations.

En premier lieu, le G90 craint de devoir « payer une deuxième fois » à l'OMC, après les promesses non tenues du précédent cycle. Il ne veut pas souscrire à de nouvelles obligations, car celles en vigueur n'ont pas servi de levier à son développement.

En second lieu, ce groupe est constitué de pays attachés au maintien de leurs préférences commerciales, marquant ainsi une profonde défiance contre le libre-échange qui ne peut, selon eux, que tourner à leur désavantage : pour ces pays, il ne peut y avoir de réelle égalité entre des acteurs inégaux.

Tel est le cas des 77 pays ACP, dont 99 % de leurs produits originaires entrent dans la Communauté en franchise de droits et sans quota. Ce régime commercial reste, aux termes de la Convention de Cotonou et suite à une dérogation accordée par l'OMC à Doha, applicable jusqu'au 31 décembre 2007. Sur les 77 Etats ACP parties à l'accord de Cotonou, 40 sont des PMA, 49 sont des pays en développement importateurs nets de produits alimentaires selon la définition de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et 42 ont un revenu inférieur à 1 000 dollars de PNB/habitant. Tous ces pays peuvent exporter vers l'Union européenne leurs produits, notamment le sucre, les bananes, le riz ou la viande bovine, au prix du marché communautaire, qui est supérieur à celui du marché mondial, ce qui contribue à leur développement. Les pays ACP peuvent ainsi exporter 1,6 million de tonnes de sucre à 524 euros/tonne, alors que les cours mondiaux sont généralement inférieurs à 200 euros/tonne, une différence qui permet à ces pays de tirer un bénéfice supérieur à 500 millions d'euros.

Les Etats-Unis accordent eux aussi des préférences commerciales aux pays en développement, par le biais de quatre types de régimes, qui ont permis à 82 % des importations depuis l'Afrique subsaharienne d'entrer en 2001 à droit zéro(13).

Or, ces préférences ont été réduites progressivement par les cycles successifs de négociations commerciales multilatérales. Par exemple, pour les pays ACP, l'érosion des préférences résultant des accords de Marrakech est estimée à 30 %.

C'est pourquoi ces pays souhaitent que les avantages qui leur sont actuellement accordés ne soient pas laminés par les négociations en cours, une demande qui va à l'encontre des intérêts des pays émergents, comme cela a déjà été souligné avec l'exemple du Brésil, qui conteste devant l'Organe de règlement des différends de l'OMC les arrangements spéciaux accordés par l'Union européenne au sucre provenant des pays ACP.

Voici donc l'un des problèmes fondamentaux auquel se heurte le cycle de Doha : les demandes des pays les plus vulnérables impliqueront, au final, un partage du fardeau entre pays développés et pays émergents, ce qui demandera, au-delà des discours obligés sur l'unité du Sud, un réel effort de solidarité de la part des grands pays en développement.

B. L'Union européenne : une position difficile tiraillée entre l'ambition et le pragmatisme

1) Une volonté solitaire de concilier libéralisation et régulation

L'Union européenne est le seul grand acteur de la négociation défendant activement le principe d'un cycle large.

Pour l'Europe, le cycle ne peut se limiter à négocier, même si cet objectif reste primordial, une libéralisation des échanges et des investissements, qui permette de répondre aux besoins de ses exportateurs et des pays en développement.

Il doit aussi définir de nouvelles règles multilatérales, clarifier les règles existantes, ainsi que l'articulation de ces dernières avec celles d'autres instances internationales, comme l'Organisation internationale du travail, ou celles des accords multilatéraux sur l'environnement.

Cette « doctrine européenne », qui se nourrit de la réussite de la construction de l'Union, repose sur la conviction que l'ouverture des marchés et la mise en œuvre de règles partagées sont la clef du développement durable. A l'inverse, sans régulation, le libre jeu de l'échange nourrit les inégalités, et le sentiment d'injustice. Il ne peut donc y avoir de mondialisation maîtrisée sans une OMC rendue plus forte.

2) De nombreux gages de bonne volonté avant Cancún

a) Des gestes concrets en faveur des pays pauvres

Avant Doha, l'Union européenne, qui était déjà le premier importateur mondial de produits en provenance des PMA (près de 37 % de leurs exportations totales), a adopté en faveur de ces pays, le 5 mars 2001, l'initiative « Tous sauf les armes » (TSA).

Accordant un accès à droit zéro et sans quotas sur le marché communautaire à tous les produits (sauf les armes) en provenance des 49 pays les moins avancés, avec une période transitoire pour les bananes (2006), le sucre et le riz (2009), cette initiative a donné l'exemple à Doha : en effet, les autres membres de l'OMC se sont engagés, à cette occasion, en faveur de « l'objectif d'un accès en franchise de droits et sans contingent pour les produits originaires des PMA ».

Selon une étude de la CNUCED, cette initiative européenne se traduit par des gains de bien-être pour les PMA évalués, en valeur absolue, à près de 400 millions de dollars. En termes de flux commerciaux, les PMA voient leurs exportations nettement augmenter. Bien que l'initiative TSA détourne, en faveur des PMA, une partie du commerce qui existait entre d'autres pays en développement et l'Union européenne, la création de commerce induite par cette initiative, résultant d'une meilleure affectation des ressources, l'emporte sur cet effet pervers (385 millions de dollars liés à des échanges supplémentaires contre 18,5 millions correspondant à un détournement de flux).

D'autre part, en ce qui concerne la question de l'accès aux médicaments, l'Union européenne a envoyé, avant Cancún, un signal fort aux pays pauvres, en adoptant, le 26 mai 2003, un règlement permettant aux entreprises pharmaceutiques d'exporter leurs médicaments contre le SIDA, la tuberculose et la malaria avec une décote de 75 % par rapport au prix moyen pratiqué dans l'OCDE vers les 49 PMA et les 23 pays à faibles revenus identifiés par le Comité d'aide au développement de l'OCDE. Si de leur côté, les Etats-Unis ont adopté, au début de l'année, un plan SIDA ambitieux de 15 milliards de dollars pour venir en aide aux pays pauvres, les montants de cette enveloppe doivent être votés chaque année par le Congrès et cette initiative opère uniquement envers 14 pays, sans prendre en compte les autres épidémies comme la tuberculose et la malaria.

b) Un négociateur agricole prêt à compromettre ses intérêts

Dans le domaine agricole, l'Europe doit affronter, avec l'appui timide du Japon et de la Corée, une formidable coalition, qui rassemble parfois la quasi-totalité des autres membres de l'OMC et exige la disparition de la PAC au motif qu'elle seule permettrait de stimuler la croissance des pays en développement et de réduire l'insécurité alimentaire dans le monde.

Pourtant, la bonne volonté de l'Europe dans ce domaine de négociation s'est traduite à tous les niveaux, au risque de fragiliser sa position.

¬ Un espace largement ouvert aux échanges agricoles

Le rapporteur rappellera quelques éléments factuels déjà largement exposés par deux collègues(14). L'Union européenne est le premier importateur de produits agricoles au monde, soit 60 milliards de dollars en 2001. Elle absorbe environ 85 % des exportations de produits agricoles en provenance d'Afrique et 45 % de celles en provenance d'Amérique latine. Ses importations agricoles en provenance des pays du Sud sont une fois et demie supérieures à celles des Etats-Unis, deux fois supérieures à celles du Japon et dix fois supérieures à celles du Canada.

¬ Une proposition de négociation officielle ambitieuse

Le mandat de Doha prévoit pour l'agriculture, « sans préjuger du résultat des négociations », des améliorations substantielles de l'accès au marché, des réductions substantielles du soutien interne ayant des effets de distorsion des échanges et des réductions de toutes les formes de subventions à l'exportation, en vue de leur retrait progressif. Ces négociations doivent aussi prendre en compte « les considérations autres que d'ordre commercial ».

La proposition européenne de négociation, transmise le 27 janvier 2003 à l'OMC, est ambitieuse sur les trois volets du mandat de Doha :

l'accès au marché : réduction globale de 36 % en moyenne des droits de douane et diminution minimale de 15 % par ligne tarifaire. A la demande de la France, la Commission s'est engagée, dans une déclaration, à faire preuve d'une vigilance particulière sur l'ouverture du marché communautaire pour les produits soumis à une forte concurrence internationale sur ce marché ;

les subventions aux exportations : diminution de 45 % en moyenne, sous réserve que toutes les formes de subventions à l'exportation, en particulier américaines, soient traitées de manière identique, et retrait progressif des restitutions dans certains secteurs sous la même condition de réciprocité. A la demande de la France, la Commission a retiré de sa proposition la référence à l'élimination des restitutions pour des produits clefs comme le blé, l'huile d'olive et le tabac ;

les soutiens internes : abaissement de 55 % en 6 ans des subventions des aides de la « boîte orange »(15).

Cette proposition prévoit par ailleurs des avancées concrètes pour les pays en développement, comme l'institution d'un accès en franchise de droits pour 50 % des importations des pays développés en provenance des pays du Sud et la création d'une boîte de sécurité alimentaire, comportant une clause de sauvegarde spécifique(16) et autorisant le versement d'aides à des produits « clefs » contribuant à la diversification de la production et à la sécurité alimentaire.

¬ Une réforme de la PAC ayant permis de reprendre l'initiative

L'accord de Luxembourg du 26 juin 2003, qui marque le début d'une nouvelle ère pour la PAC, suscite de nombreuses interrogations chez les agriculteurs.

Alors que cette réforme n'était prévue par aucun texte, la Commission européenne a décidé, en juillet 2002, de proposer un bouleversement complet des instruments de la politique agricole commune, au motif que cette nouvelle orientation permettrait, en tournant le dos au biais productiviste des aides « couplées », de réconcilier les citoyens européens avec leurs agriculteurs.

Mais ce changement de cap était dicté aussi par des considérations externes : la Commission souhaitait défendre à Cancún une PAC plus « vertueuse » à l'égard des pays en développement et lui donnant davantage de marges de manœuvre pour les négociations.

Sur le plan de la tactique de négociation, l'initiative de la Commission obligeait l'Europe à faire le premier pas dans un contexte multilatéral défavorable : confortés dans leur opinion selon laquelle la PAC, en raison de sa nature profondément nuisible, devait être modifiée, ses partenaires lui demandaient de mettre en œuvre, et sans tarder, la réforme, alors qu'ils n'avaient pas dévoilé les concessions commerciales qu'ils étaient susceptibles d'accorder, et que, de leur côté, les Etats-Unis avaient adopté une loi augmentant massivement les aides à leurs agriculteurs.

La pression exercée sur les pays européens afin qu'ils réforment la PAC selon le schéma proposé par la Commission était donc importante. Elle aurait pu conduire l'Europe à sacrifier les éléments fondamentaux de son modèle agricole, mais au bout du compte, ceux-ci ont pu être sauvegardés, grâce à la position très ferme de la France.

En effet, les négociations au sein du Conseil des ministres de l'Union ont permis à la France d'obtenir des résultats qui répondent à ses attentes essentielles, avec la suppression des baisses des prix initialement proposées par la Commission européenne, à l'exception du beurre, la prorogation des quotas laitiers jusqu'en 2014-2015 et la préservation des instruments de régulation des marchés et de maintien de l'agriculture sur l'ensemble des territoires.

Sur ce dernier point, la France a pu conserver un niveau de couplage des aides, à l'opposé de la vision défendue par la Commission. Les Etats membres ont en effet le choix entre un découplage total ou plusieurs systèmes de découplage partiel des aides, la date de mise en œuvre du nouveau régime étant fixée au 1er janvier 2005, voire au 1er janvier 2007.

L'option du découplage partiel permet de garder une prime couplée au maximum de 25 % pour les céréales, une prime entièrement couplée pour la vache allaitante et 40 % de la prime à l'abattage couplée (ou le droit de conserver la prime à l'abattage entièrement couplée ou 75 % de la prime spéciale bovin mâle) et une prime ovine couplée à 50 %.

Lors de son entretien avec le rapporteur, le Président du groupe de négociation sur l'agriculture à l'OMC, M. Stuart Harbinson, a souligné l'importance des efforts accomplis par l'Europe, puis souhaité que d'autres membres ne minimisent pas l'importance de ce geste et fassent preuve du même esprit de coopération pour parvenir à un accord à Cancún.

Ainsi, d'une position défensive, l'Europe pouvait passer à l'offensive. En effet, malgré ses propositions généreuses de janvier 2003, l'Europe était accusée de freiner les négociations, en ne voulant pas faire preuve de « bonne volonté » par une nouvelle réforme de la PAC, après celle décidée à Berlin en mars 1999. Avec l'accord de Luxembourg, la donne a changé, car l'Europe est désormais en mesure d'exercer une pression sur les autres grands partenaires, en particulier les Etats-Unis, afin qu'ils entrent concrètement dans la négociation.

L'audace de l'Europe comporte toutefois un risque : celui de devoir payer deux fois à l'OMC, si les autres membres considèrent que le crédit supplémentaire de négociation dégagé par la réforme de Luxembourg n'est qu'un début de concession, et non le « taquet » des concessions européennes.

C'est la raison pour laquelle, à la demande la France, le Conseil et la Commission ont pris l'engagement que la réforme de la PAC décidée à Luxembourg ne sera pas remise en cause dans le cadre des négociations multilatérales.

Malgré cela, la Commission a pris une initiative, qui risque de fragiliser la position de négociation de l'Europe.

¬ Un crédit de négociation quasiment consommé

_ En ce qui concerne l'accès au marché, la réforme de Luxembourg, en prévoyant d'abaisser de 25 % le prix du beurre en quatre ans et de 15 % celui de la poudre écrémée, permettra de baisser la protection tarifaire des produits laitiers. Cette flexibilité s'ajoutera à celle créée par la réforme de Berlin, qui a permis de baisser les prix de la viande bovine et des céréales de respectivement 15 % et 20 %. Mais au total, dans le domaine tarifaire, les marges de manœuvre sont limitées, un constat qui a été rapidement établi par les principaux négociateurs agricoles.

Or, c'est sur ce volet de la négociation que les pays émergents exerceront le maximum de pression, en raison de la compétitivité de leurs produits.

_ Les marges de manœuvre sont en revanche importantes pour la réduction du soutien interne.

A l'heure actuelle, le plafond de la Mesure Globale de Soutien (MGS) de la Communauté à l'OMC est de 67 milliards d'euros (contre 19 milliards pour les Etats-Unis).

Ce plafond est largement respecté par l'Europe : en 1999, la Commission a notifié un montant de soutien pour la boîte orange de 47 milliards d'euros seulement et a dépensé environ 20 milliards d'euros pour les soutiens classés en boîte bleue. La MGS devrait encore baisser à 37 milliards d'euros en 2008, après la mise en œuvre complète des réformes décidées à Berlin.

Avec la réforme de Luxembourg, la marge de manœuvre de l'Europe sera encore plus importante, car, le découplage, même partiel, des aides directes va permettre de classer la plupart d'entre elles dans la boîte verte, qui est totalement exempte d'obligations de réduction, et donc diminuer fortement les soutiens classés en boîte orange et boîte bleue. Selon une étude du Food and Agricultural Policy Research Institute réalisée par l'Université de l'Iowa et l'Université du Missouri à la demande de Charles W. Stenholm, un représentant du Texas, si les Etats membres choisissent tous des systèmes de découplage partiel, les dépenses annuelles de la boîte bleue tomberont à 7 milliards d'euros à partir de 2007. Ces dépenses s'élèveront à 0,7 milliard d'euros si les Etats membres choisissent l'option de découplage maximum. Les dépenses boîte orange diminuent, quel que soit le scénario, à 32 milliards d'euros, un montant inférieur à 52 % du plafond actuel fixé par l'OMC.

La Commission a décidé d'utiliser ces marges de manœuvre pour parvenir à l'accord avec les Etats-Unis du 13 août dernier : en effet, la proposition conjointe euro-américaine prévoit de plafonner la boîte bleue à 5 % de la valeur de la production agricole, une limitation que le découplage partiel opéré par la réforme de Luxembourg permet de respecter. L'étude précitée indique qu'après la réforme de Luxembourg, le montant projeté de soutien classé dans la boîte bleue est inférieur au plafond de 5 % proposé : la valeur de la production agricole notifiée en 1999 à l'OMC étant de 233 milliards d'euros, le soutien en boîte bleu d'un montant de 7 milliards d'euros obtenu grâce au découplage partiel, ne représenterait qu'environ 3 % de la valeur de la production.

Cette proposition a été reprise dans les textes discutés à Cancún. Elle va donc rester sur la « table des négociations » ou les tiroirs de cette table, car la mécanique multilatérale rend difficile tout retour en arrière. Il sera dès lors difficile à la Commission de proposer moins que précédemment, ce qui, en cas de durcissement des exigences de nos partenaires, risque de l'amener à demander une nouvelle réforme de la PAC pour boucler les négociations agricoles. Qu'en sera-t-il alors de l'engagement pris à Luxembourg de défendre la nouvelle PAC ?

Au total, la Commission a fait un pari dangereux : elle a accepté le principe d'un plafonnement de la boîte bleue, une proposition défendue depuis longtemps par les Etats-Unis, pour obtenir de ces derniers des contreparties, qui sont significatives, notamment sur les crédits aux exportations, mais qui risquent d'être oubliées à l'approche des échéances électorales et le changement éventuel d'administration. La Commission a peut-être estimé qu'en échange de l'effort européen, elle obtiendrait, tacitement, des Etats-Unis leur promesse de ne pas se joindre aux pays émergents et d'Océanie pour arracher des concessions sur l'accès au marché communautaire, le volet de la négociation où l'Europe reste la plus fragile. Le calcul n'est pas mauvais en soi, mais comme il n'a pas été payant à Cancún, on ne peut affirmer, dans l'optique d'un cycle long, que cette alliance partielle entre les Etats-Unis et l'Europe tiendra encore d'ici deux ans ou trois ans...

C. Les Etats-Unis : une approche classique et déterminée de la négociation

Depuis Doha et jusqu'à Cancún, les Etats-Unis ont revendiqué une position en pointe dans le cycle, avec trois priorités : l'agriculture, les tarifs industriels et les services.

Le Trade Act, signé par le Président George W. Bush le 6 août 2002, ancrait le retour de l'Amérique sur la scène commerciale multilatérale, après qu'elle ait joué, aux côtés de l'Union européenne, un rôle décisif dans le lancement du cycle. Cette loi comprend en effet la Trade Promotion Authority, qui confère à l'administration le pouvoir de négocier des accords commerciaux dans le cadre de directives fixées par le Congrès sans que ce dernier ne puisse amender l'accord, une autorisation refusée en 1997 et 1998.

Cependant, le consensus américain en faveur de la libéralisation demeure fragile : le Trade Act n'est passé qu'à une voix de majorité, et les considérations de politique intérieure, qui ont conduit à l'adoption des mesures de sauvegarde sur l'acier en mars 2002, restent prédominantes, surtout en période électorale.

1) Une exigence forte d'ouverture des marchés mais parfois contredite par les faits

¬ Sur l'agriculture, les Etats-Unis ont adopté en juillet 2002 une position offensive sur les trois piliers de la négociation agricole : suppression des subventions à l'exportation, réduction drastique des droits de douane avec un plafond maximum fixé à 25 % et limitation des aides de la boîte bleue et de la boîte orange à 5 % de la valeur de la production agricole. Cette proposition est déséquilibrée, car elle conduit les autres membres à fournir des efforts beaucoup plus importants que les Etats-Unis, sans que ces derniers ne donnent de contreparties sur leur aide alimentaire utilisée à des fins commerciales ou leurs crédits à l'exportation.

Les Etats-Unis se disent prêts à diminuer leur soutien interne, même après l'adoption de la loi agricole de mai 2002, à condition d'atteindre l'objectif central de leur politique commerciale dans ce secteur : l'accès aux marchés, et singulièrement à ceux des pays en développement. Ils assument pleinement leur vocation exportatrice, qui se traduit par le fait qu'un hectare sur trois produit pour l'exportation et que celle-ci génère le quart du revenu agricole et près de 800 000 emplois directs et indirects (chaque milliard de dollars d'exportations supplémentaires génère 15 000 emplois). A cela s'ajoute le fait que leur productivité agricole doit croître de 20 % en dix ans, alors que la demande américaine ne doit croître que de 0,8 % par an.

¬ Au sujet des produits non agricoles, la proposition des Etats-Unis, également ambitieuse, visait la suppression de tous les droits de douane sur les biens de consommation et industriels d'ici 2015, et celle des droits inférieurs à 5 % d'ici 2010.

Elle a été jugée irréaliste par les négociateurs, car elle ne prend pas en compte la situation des pays en développement (dont les ressources fiscales sont aléatoires et le niveau de protection tarifaire de départ plus élevé), ni celle des secteurs directement menacés aux Etats-Unis, tels que le textile, qui ont critiqué cette initiative.

Outre le fait qu'elle n'a jamais été reprise dans le cadre des négociations visant à créer la Zone de libre-échange des Amériques d'ici 2005 ni dans celui des discussions bilatérales, il convient de s'interroger sur le degré réel de son ambition, s'agissant d'un texte qui attend 2015 pour supprimer les droits sur les textiles et les chaussures, qui représentent plus de la moitié de 20 milliards de droits de douane perçus chaque année par les Etats-Unis, et pénalise jusqu'en 2015 les exportations des pays en développement.

En 1988 déjà, les Etats-Unis avaient annoncé une proposition de double zéro, consistant à supprimer toutes les subventions et tous les droits de douane. L'initiative pour un « monde sans tarifs » est donc ni neuve, ni crédible.

¬ Au sujet des services, qui représentent aux Etats-Unis 64 % du PIB, 80 % des emplois et le premier poste à l'exportation, l'offre américaine du 31 mars 2003 consolide les libéralisations unilatérales intervenues, tant au niveau fédéral que des Etats fédérés, depuis l'entrée en vigueur de l'Accord général sur le commerce des services de l'OMC. L'assurance, la banque, les services financiers, les télécommunications et services d'information, les courriers « express », les services environnementaux et les services énergétiques font ainsi l'objet d'offres d'ouverture. En revanche, la proposition ne couvre pas les « monopoles publics de service » (services postaux, distribution d'eau), les programmes fédéraux et locaux d'assistance aux citoyens et aux entreprises américaines (aide aux PME, financement export), l'école publique élémentaire et secondaire, les compétences des agences de régulation fédérales et locales, et enfin les transports maritimes, un sujet défensif très sensible aux Etats-Unis.

2) Des intérêts défensifs assumés

a) Une agriculture rendue artificiellement compétitive

Bien que la PAC fasse figure de grande accusée dans les négociations à l'OMC, la politique agricole américaine crée des effets de distorsions sur les échanges qui ne sont pas négligeables, car elle tend à protéger les producteurs des évolutions du marché mondial, tout en garantissant leur compétitivité.

Depuis le New Deal, les Etats-Unis ont adopté des politiques agricoles fortes, dont les instruments ont changé, mais pour ne cesser de gagner en ampleur et en efficacité. La tendance s'est accentuée depuis 1996, année de l'adoption du Fair Act, loi reposant sur un découplage important des soutiens, mais, qui avec le versement des aides d'urgence, a conduit le montant moyen des soutiens à atteindre 21 000 dollars par producteur en 2001, contre 16 000 dollars pour les agriculteurs européens. La nouvelle loi agricole de mai 2002, le FSRI Act, fixe une enveloppe de 180 milliards de dollars pour les dix prochaines années, soit une augmentation de près de 80 % par rapport aux dispositions du Fair Act. Elle recentre en outre les soutiens à l'agriculture sur les aides couplées à la production, qui représentent désormais 72 % du total des soutiens. Au total, selon le dernier rapport de l'OCDE sur les perspectives agricoles, les paiements directs (paiements directs au titre des cultures et paiements contracycliques) devraient en principe progresser de 62 % en moyenne sur la période 2002-2008 par rapport au niveau fixé dans la loi agricole précédente. Cet organisme estime, en conclusion de son analyse sur la nouvelle loi, que celle-ci « accroît le soutien, étend le nombre des produits couverts, accentue le lien entre paiements et paramètres de production, et assure aux agriculteurs un filet de sécurité, et l'ensemble de ces mesures, comparées à la loi précédente, pourrait se traduire par une diminution du risque lié au prix encouru par les agriculteurs, une augmentation de la production et une baisse des prix mondiaux ».

Au cœur de ce dispositif de soutiens, se trouve le marketing loan ou prêt à la commercialisation, qui a un impact direct sur la production et donc sur la capacité d'exportation des Etats-Unis. Représentant une dépense de 8,2 milliards de dollars en 2001, cette aide assure un prix garanti aux producteurs américains, quel que soit le prix du marché. Elle les incite donc à continuer de produire davantage et à exporter une partie de leur récolte, tout en étant protégés des cours qu'ils contribuent à déprécier. En maintenant ainsi artificiellement les prix à des niveaux bas, les productions américaines restent toujours compétitives, tant sur le marché intérieur qu'à l'exportation. Ce type de soutien s'apparente donc à une véritable subvention à l'exportation. Or, la nouvelle loi agricole augmente pour la majorité des produits les taux de prêts, qui sont supérieurs à ceux de 2001 sur l'ensemble de la période, à l'exception du riz (dont le taux est inchangé) et du soja (dont le taux est réduit).

Les Etats-Unis utilisent en outre d'autres instruments pour rester compétitifs sur les marchés mondiaux. D'une part, l'aide alimentaire sert d'instrument de gestion des marchés, car elle permet de se débarrasser des excédents de production lorsque les prix sont bas. Ainsi, 99 % de l'aide américaine est fournie sous la forme de produits agricoles américains et seulement 55 % de cette aide va vers les pays les moins avancés. D'autre part, les crédits américains à l'exportation, qui comportent des garanties supérieures à un an permettant de réduire le coût du financement du prêt et donc de réduire indirectement le prix des produits, représentent à eux seuls 90 % du total mondial de ce type de soutien et ont atteint, selon l'OCDE, 3,4 milliards de dollars en 2002, soit l'équivalent du montant des restitutions communautaires.

b) Une industrie protégée par la chasse aux pratiques commerciales jugées déloyales

Autant les Etats-Unis disposent de toute une gamme d'instruments juridiques leur permettant de défendre leurs intérêts industriels, autant ils cherchent à obtenir de l'OMC un encadrement plus strict des pratiques de leurs partenaires qu'ils jugent déloyales.

Leurs instruments de défense commerciale sont nombreux, souvent anciens et parfois incompatibles avec les règles de l'OMC, sans même parler des mesures prises en leur application :

- l'Antidumping Act de 1916 permet d'appliquer de lourdes sanctions (dédommagement au triple, amendes et peines d'emprisonnement) dès lors que les pratiques incriminées sont menées avec l'intention d'éliminer ou de léser une branche de production aux Etats-Unis. Cette loi a été jugée incompatible avec le GATT et l'accord antidumping de Marrakech par l'Organe de règlement des différends de l'OMC en septembre 2000. Plus de trois ans après sa condamnation, cette loi n'a toujours pas été abrogée ;

- le Continued Dumping and Subsidy Offset Act adopté en 2000, aussi connu sous le nom d'« amendement Byrd », qui prévoit le reversement aux entreprises américaines victimes du dumping des droits compensateurs perçus par les douanes, a été jugé illégal par l'OMC en septembre 2002. Il n'a pas été encore abrogé ;

- le régime de la clause de sauvegarde prévu par l'article XIX du GATT, qui permet d'imposer des mesures de sauvegarde visant à protéger une branche de l'industrie lorsqu'un produit est importé en quantité accrue et à des conditions telles qu'il porte ou menace de porter un préjudice grave à cette industrie, est régi aux Etats-Unis par le Trade Act de 1974. Cette loi a servi de fondement à la surtaxe américaine, de 8 à 30 % suivant les produits, imposé le 5 mars 2002 aux importations d'acier en provenance d'Europe. Suite à une plainte commune déposée par la Communauté européenne, le Brésil, la Corée, le Japon, la Norvège, la Nouvelle-Zélande et la Suisse, l'Organe de règlement des différends de l'OMC a estimé, en juillet 2003, que chacune des mesures de sauvegarde américaines était contraire aux règles multilatérales, une décision confirmée le 10 novembre 2003 par l'Organe d'appel. L'Europe se prépare, sur le fondement de cette décision, à imposer des sanctions à hauteur de 2,2 milliards d'euros à l'encontre des Etats-Unis, en l'absence de mise en conformité.

En parallèle à ces condamnations, les Etats-Unis ont adopté à l'OMC une position de négociation « dure » sur les améliorations à apporter à l'accord anti-subventions. Rendue publique le 19 mars 2003, leur proposition prévoit d'élargir la liste des subventions prohibées, pour inclure celles destinées à couvrir les pertes des entreprises et les remises gouvernementales de dette, et de durcir les disciplines sur les prêts et investissements gouvernementaux dans des sociétés privées. Ils sont également très actifs à l'OCDE où se sont ouvertes, en décembre 2002, suite au conflit commercial sur l'acier, des négociations sur l'abolition des subventions dans le secteur sidérurgique, dont les résultats pourraient, d'après l'administration américaine, guider les travaux à l'OMC.

II. L'ORDRE DU JOUR

L'ordre du jour de Cancún était large, à l'image d'un cycle souhaitant concilier libéralisation et régulation, un équilibre voulu par l'Europe et endossé à Doha par les autres membres de l'OMC.

Mais le consensus ayant abouti au résultat « miraculeux » de Doha a rapidement disparu, pour laisser l'Europe défendre seule, avant Cancún, toutes les ambitions du cycle.

A cet égard, le Conseil des ministres de l'Union européenne a adopté, le 21 juillet 2003, des conclusions demandant que la Conférence ministérielle établisse les modalités des négociations pour les produits agricoles et non agricoles, ainsi qu'un calendrier précis pour les négociations sur les services, parvienne à une décision sur l'accès aux médicaments et obtienne de réels progrès concernant le traitement spécial et différencié, la mise en œuvre des accords et l'élimination des droits et des quotas appliqués par les pays développés aux exportations des pays les moins avancés.

Ces conclusions soulignaient aussi que la Conférence devait ouvrir les négociations sur les quatre sujets de Singapour, faire aboutir les discussions sur l'institution d'un registre protégeant les indications des vins et des spiritueux et faire progresser les négociations relatives à l'extension de la protection des indications géographiques aux autres produits et, enfin, adopter un mandat pour la poursuite des négociations concernant l'Organe de règlement des différends.

Bref, pour l'Europe, il s'agissait, selon les propos du Commissaire européen en charge du commerce extérieur, de parvenir à un accord sur « 50 % à peu près de la négociation sur l'ensemble des sujets ».

Il n'en a rien été, la crise de confiance, déjà évoquée, entre les membres de l'OMC étant trop forte et s'étant cristallisée sur un sujet de négociation particulier, l'agriculture.

A. L'abcès agricole

Doha a été baptisé « cycle du développement », mais il serait plus exact de le qualifier de cycle du développement et de l'agriculture, tant celle-ci est devenue l'enjeu central des aspirations contradictoires des pays du Sud, et au-delà, de l'ensemble des grands acteurs de la négociation.

L'agriculture est en effet le domaine de négociation où l'opposition Nord-Sud paraît la plus forte et, dans le même temps, la plus artificielle, et où les tensions entre libéralisme, protectionnisme et volonté de régulation sont les plus vives.

1) Un domaine sensible mêlant enjeux de civilisation et intérêts mercantiles

Trois visions de l'agriculture, représentant chacune des problématiques distinctes, s'affrontent à l'OMC.

La vision européenne refuse de soumettre entièrement l'agriculture à la loi des avantages comparatifs, car elle considère que ce secteur n'est pas un secteur économique comme un autre. L'agriculture contribue à l'aménagement du territoire sur un continent où la terre est rare et où la majorité des exploitations se situent dans des zones difficiles, ainsi qu'à la sécurité alimentaire, tant quantitative que qualitative, des hommes. Elle est, pour les Européens, un instrument de souveraineté et un facteur essentiel de cohésion sociale et territoriale.

L'Europe a construit une politique agricole sur la base de ces prémisses, qui est souvent critiquée dans le monde pour ses effets néfastes sur le commerce international et les producteurs des pays en développement. Pourtant, son budget agricole, bien que devant assurer l'intégration de dix nouveaux Etats membres avec une importante superficie agricole, est plafonné (au montant du plafond décidé à Berlin en 1999, augmenté de 1 % par an jusqu'en 2013), et ses aides sont liées à des obligations de maîtrise de la production. D'autre part, depuis 1992, la valeur des restitutions communautaires a été divisée par trois ; elles ne représentent plus que 10 % de la valeur des exportations agricoles et agro-alimentaires et ne concurrencent que 6 % de la production agricole des pays en développement.

A l'opposé de l'Europe, se trouvent les pays « ultra-libéraux » du groupe de Cairns et du G20+, qui bénéficient d'avantages naturels considérables, les rendant très compétitifs sur les marchés mondiaux. Ils réservent toute leur foudre contre la PAC, mais oublient de signaler que lorsque l'Europe diminuait sa production de blé de 5 millions de tonnes entre 1995 et 2000, un seul d'entre eux, l'Australie, a augmenté d'un même volume ses exportations.

Ces pays se veulent exemplaires sur le plan des politiques agricoles, et à cet effet mettent en avant leur faible volume d'aides aux producteurs. Ainsi, selon l'OCDE, sur la période 1999-2001, le taux d'aide en pourcentage des recettes des producteurs est de 1 % en Nouvelle-Zélande, 5 % en Australie et 18 % au Canada. Cependant, les agriculteurs de ces pays sont soutenus par des moyens qui ne sont pas toujours facilement quantifiables ou ne relèvent pas d'aides agricoles proprement dites. Par exemple, le monopole dont bénéficie la Commission canadienne du blé sur le marché intérieur et à l'exportation lui permet de pratiquer des prix de dumping sur certaines destinations, sans être soumis à des engagements de réduction à l'OMC. Les entreprises commerciales d'Etat de l'Australie, du Canada et de la Nouvelle-Zélande, détiennent ainsi 40 % des exportations mondiales de blé et 30 % de celles des produits laitiers. Le Brésil, dont les exportations de sucre sont passées de 1,6 million de tonnes au début des années 1990 à plus de 12 millions de tonnes en 2002, a bénéficié pour cela de l'appui d'un plan d'investissement de plus de 4 milliards de dollars dans l'industrie de l'alcool.

A mi-chemin entre l'Europe et les ultra-libéraux, se situent les Etats-Unis, un négociateur traditionnellement allié au Groupe de Cairns, mais pratiquant, comme l'Union européenne, une politique agricole forte.

Reste le groupe des pays en développement, en ne comptant pas ceux qui sont membres du G20+, dont le discours ressemble parfois à celui des ultra-libéraux. Dans les pays à faibles revenus, selon la définition donnée par la Banque mondiale (pays au PIB par habitant inférieur à 735 dollars), l'agriculture reste le premier secteur d'activité, employant 65 % des actifs et produisant 25 % de la richesse nationale. Du fait de l'importance de cette activité et de la grande pauvreté existant dans leurs villes et leurs campagnes, ces pays vivent une contradiction, qu'ils refusent pour l'instant de lever, car ceci impliquerait un choix douloureux : ils souhaitent protéger leur agriculture vivrière, afin d'assurer leur autosuffisance alimentaire et le développement de leurs zones rurales, mais espèrent aussi pouvoir continuer d'importer à bas prix les produits nécessaires à l'alimentation des ménages urbains. C'est pourquoi, le groupe des pays ACP n'a pas soutenu à Cancún la demande du G21, concernant l'élimination immédiate des subventions aux exportations, car cette mesure, selon son secrétaire général M. Jean-Robert Goulongana, « pénaliserait les ACP qui profitent de ces subventions ».

Ce groupe tient donc un discours très complexe sur les négociations agricoles : il se range aux côtés des pays exportateurs pour demander l'abolition des subventions et obtenir ainsi des conditions de concurrence plus égales, sans distinguer les aides faussant les échanges des autres, tout en demandant le maintien de conditions d'approvisionnement favorables, ainsi que celui des préférences commerciales accordées par les pays développés.

Toute négociation agricole qui se veut équilibrée doit tenir compte de la situation particulière de ces pays, qui sont aussi les plus nombreux à l'OMC.

2) Des propositions restant déséquilibrées

Les propositions discutées à Cancún, inspirées pour l'essentiel de l'initiative conjointe euro-américaine, et qui vont, selon les sujets, plus loin ou moins loin que les propositions faites en février et mars 2003 par le Président du groupe de négociation sur l'agriculture, M. Stuart Harbinson, sont déséquilibrées, car elles ne reconnaissent pas l'intégralité des problématiques agricoles évoquées précédemment.

¬ L'accès au marché : le choix d'une formule complexe

_ Le projet Harbinson prévoyait d'appliquer aux produits agricoles une formule de réduction des droits, dite formule suisse, appliquée aux biens industriels, qui de fait banalisait l'agriculture à l'OMC. En outre, cette formule remettait en cause la préférence communautaire, qui permet de protéger les productions européennes des importations à bas prix et des fluctuations des cours mondiaux.

_ Le texte discuté à Cancún le 13 septembre 2003 prévoit d'utiliser une formule hybride, mélange de la formule du cycle d'Uruguay, privilégiée par l'Europe, et s'appliquant à x % des lignes tarifaires, et de la formule suisse, préconisée par les Etats-Unis, appliquée à y % des lignes tarifaires, les lignes tarifaires restantes étant amenées à zéro.

Pour les lignes tarifaires de la première catégorie, il est prévu, en outre, la création, l'augmentation ou la consolidation des contingents d'importation, actuellement fixés à 5 % de la consommation intérieure de la période 1986-1988.

La négociation sur la clause de sauvegarde spéciale est laissée ouverte, alors que le projet Harbinson prévoyait sa suppression.

Pour les pays en développement, le texte prévoit deux modalités, à choisir : soit un système de réduction de type Marrakech avec des taux de réduction moyens et minimaux de trois niveaux (faibles, moyens et plus élevés pour trois tranches de lignes tarifaires), soit un système de réduction combinant la formule de Marrakech pour une partie des lignes tarifaires, le reste étant soumis à une réduction selon la formule suisse. Dans ces deux cas, les produits bénéficiant du plus faible taux de réduction devront se voir ouvrir des contingents d'importation à l'exception de certains produits que les pays en développement pourront désigner comme « spéciaux », c'est-à-dire sensibles. Comme dans le texte euro-américain, le projet de modalités discuté à Cancún permet aux pays en développement d'appliquer une clause de sauvegarde spéciale.

Ce document traduit un souci louable de concilier les différentes logiques de réduction des droits préconisées par les membres.

Il reste que pour l'Europe, la marge de manœuvre permise par la formule proposée est étroite, si l'on tient compte de sa structure tarifaire pour les produits agricoles, avec 20 % de droits de douane nuls, 35 % de droits inférieurs à 30 % et 45 % de droits bénéficiant de protections élevées (cas pour les viandes, les produits laitiers, les céréales, les fruits et légumes et le vin par exemple) : elle devra donc avoir pour objectif de négocier un taux de ligne tarifaire bénéficiant de la formule de Marrakech le plus proche possible de ces 45 %. De plus, le document prévoit que la réduction tarifaire moyenne simple qui résultera pour tous les produits agricoles, ne sera pas inférieure à x %, ce qui limite d'autant la marge de manœuvre globale de l'Europe, dans un contexte de possible perturbation du marché communautaire sous l'effet de l'accroissement des contingents d'importation et du retrait des subventions aux exportations.

En outre, si la proposition vise à équilibrer les efforts des uns et des autres, elle reste néanmoins bancale, en ne contenant aucun élément sur la différenciation des pays en développement, notamment entre ceux qui sont exportateurs nets et ceux dont la balance commerciale agricole est déficitaire.

¬ Les soutiens internes : une logique dangereuse de révision des « boîtes »

Dans sa proposition de négociation de janvier 2003, la Communauté européenne demande de poursuivre la réduction du soutien couplé à la production et aux prix en utilisant les trois boîtes.

Mais, de fait, cette position a évolué, suite à la réforme de la PAC et aux initiatives prises par la Commission pour relancer les négociations agricoles avec l'appui des Etats-Unis.

Aussi, le projet de modalité pour l'agriculture prévoit-il de modifier substantiellement l'architecture des trois boîtes.

Pour les pays développés, le texte prévoit une réduction du plafond de la boîte orange selon une fourchette de pourcentage à définir, ainsi qu'une réduction de la clause de minimis, les Etats-Unis ayant utilisé cette disposition pour retirer de leurs engagements de réduction des montants significatifs de soutien(17).

La proposition prévoit par ailleurs la transformation de la boîte bleue, en supprimant le critère de la limitation de la production actuellement attaché aux aides qui y sont classés, et son plafonnement à 5 % de la valeur de la production, puis la réduction ultérieure de ce plafond(18).

Cette évolution est positive en ce qu'elle permet d'inclure dans la nouvelle boîte bleue les aides contracycliques américaines. En outre, elle est techniquement gérable pour l'Europe, grâce au découplage introduit par la réforme de juin 2003.

Toutefois, l'abandon de la référence à la maîtrise de la production semble annoncer que l'Europe renonce à défendre l'un des principes directeurs de sa position de négociation, selon lequel les aides associées à un contrôle de l'offre ont un caractère moins perturbateur que les soutiens de la boîte orange. Un tel changement d'attitude, qui donnerait raison au discours porté les pays ultra libéraux et selon lequel la boîte bleue et la boîte orange auraient des effets identiques de distorsion des échanges, n'est pas admissible.

Enfin, le projet de modalités de Cancún prévoit de renégocier les critères d'admissibilité des aides à la boîte verte, une proposition qui est également inacceptable : après avoir organisé le laminage de la boîte bleue, le texte des modalités tend à placer les aides entièrement découplées sous la surveillance de l'OMC. Si cette évolution devait être acceptée, elle accréditerait l'idée selon laquelle toute aide à l'agriculture est mauvaise en soi, ce que ne prévoient ni l'Accord sur l'agriculture ni le mandat de Doha.

¬ Les subventions à l'exportation : des progrès réels mais insuffisants pour soumettre leurs différentes formes à un traitement équitable

Le projet de modalités, s'appuyant sur le texte euro-américain, prévoit, à une date à fixer, pour les subventions directes aux exportations (système européen), ainsi que pour l'élément subventionné des crédits aux exportations (système américain), leur élimination progressive pour les produits présentant un intérêt pour les pays en développement, et leur diminution, en vue de leur retrait progressif, pour les autres produits.

Le traitement parallèle des subventions à l'exportation et des crédits à l'export constitue une avancée, mais la France estime que le principe de la fixation d'une date pour la suppression des restitutions communautaires est, en l'état de la négociation, totalement inacceptable.

En outre, le texte fait preuve d'une timidité assez regrettable sur les autres formes de soutien à l'exportation. La proposition de négociation de l'Union européenne de janvier 2003 prévoit l'institution de disciplines sur les subventions croisées, les différenciations de prix et les autres pratiques déloyales des sociétés commerciales d'Etat. Elle demande notamment qu'aucune exportation ne puisse avoir lieu à un prix inférieur au prix payé par la société aux producteurs d'un produit particulier. Le texte de Cancún ne contient qu'un seul élément d'encadrement des sociétés commerciales d'Etat, mais il est positif : les dispositions précitées concernant le retrait progressif des crédits à l'exportation et des subventions à l'exportation s'appliqueront, de manière égale, à toutes les formes de subventions à l'exportation liées à des sociétés commerciales d'Etat ou fournies par ces sociétés. En ce qui concerne l'aide alimentaire, le texte se contente d'appeler à la poursuite des négociations.

Enfin, ni la proposition conjointe euro-américaine, ni le texte de Cancún n'instaurent de parallélisme entre la baisse des restitutions communautaires et celle des marketing loans américains, ce qui accentue le caractère déséquilibré des efforts demandés à l'Union européenne. La proposition européenne de négociation de janvier 2003 prévoit pourtant, à la demande de la France, la négociation de disciplines sur les aides variant avec les prix du marché et bénéficiant aux produits dont une proportion substantielle est exportée, une mesure qui vise les paiements compensateurs de marketing loans.

¬ Le traitement spécial et différencié : l'oubli des besoins spécifiques des pays vulnérables

Le texte de Cancún contient deux engagements pour le cas précis des PMA : d'une part, le libre accès de leurs produits doit être garanti ; d'autre part, ces pays seront exemptés de tout effort de réduction.

Mais, alors que l'initiative conjointe européenne proposait que les règles relatives au traitement spécial et différencié en matière agricole soient ajustées à la situation des pays exportateurs nets, le projet de modalités de Cancún n'établit aucune distinction entre les pays importateurs nets de produits alimentaires et les pays exportateurs nets, sans laquelle il ne peut y avoir de traitement réellement équitable des pays du Sud.

¬ Les préoccupations non commerciales : les laissées pour compte de la négociation

Conformément à l'article 20 de l'Accord sur l'agriculture, la Déclaration ministérielle de Doha indique que les considérations autres que d'ordre commercial font partie intégrante des négociations agricoles.

Or, depuis le lancement du cycle, ce volet des négociations, qui est indispensable à la reconnaissance de la spécificité de l'activité agricole, tend à être mis de côté, faute de consensus entre les membres. Ainsi, la proposition de M. Stuart Harbinson prévoyait une approche en deux temps, qui dissociait la discussion sur les préoccupations non commerciales du reste de la négociation. Cet aspect de la négociation n'a pas fait l'objet non plus d'un rapprochement entre l'Europe et les Etats-Unis dans le cadre de leur initiative conjointe du 13 août 2003. Le projet de déclaration ministérielle distribué à Cancún, quant à lui, se contente d'appeler à la poursuite des travaux sur les questions « présentant un intérêt mais non réglées ».

Cette dissociation entre les sujets qui seraient « nobles », car liés aux objectifs de libéralisation des échanges, et les autres, renvoyés à de plus tardives discussions, est inacceptable. En réduisant les produits agricoles à n'être que de simples marchandises, elle méconnaît l'un des enjeux fondamentaux du cycle de Doha, qui consiste à reconnaître des exceptions à la règle générale du libre-échange, lorsqu'elles se justifient pour des raisons d'intérêt général.

Les volets commerciaux et non commerciaux des négociations agricoles doivent progresser de manière parallèle : outre qu'ils sont complémentaires, leur commune évolution garantit la conclusion d'un « bon » accord, qui permette à chaque pays de conduire des politiques agricoles contribuant à son développement durable et non à l'accroissement de ses parts de marché.

C'est pourquoi le rapporteur estime qu'un combat pour « l'exception agricole » doit être mené à l'OMC, comme le demande la résolution adoptée par l'Assemblée nationale le 2 avril 2003 sur les négociations agricoles à l'OMC(19).

Il soutient, dans ce but, les propositions de l'Union européenne sur les considérations autres que d'ordre non commercial de la négociation, comme celles demandant :

- que l'Accord sur l'agriculture autorise les mesures visant à soutenir la diversification des exploitations, la promotion de l'environnement, la prévention de catastrophes naturelles et l'aménagement du territoire ;

- d'exempter des engagements de réduction les coûts induits par la mise en conformité des pratiques agricoles avec les normes relatives au bien-être animal ;

- de clarifier les conditions d'application du principe de précaution, selon lequel le doute scientifique concernant l'innocuité d'un produit doit bénéficier au consommateur.

3) Le cas emblématique du coton

Le coton est devenu la production symbole des tensions et des contradictions ayant marqué les négociations agricoles.

En effet ce dossier, à la suite d'une proposition présentée par les pays d'Afrique de l'Ouest, a été placé au cœur des discussions de Cancún.

Cette proposition résulte d'une situation injuste, dans laquelle des producteurs compétitifs sont ruinés par la concurrence déloyale d'un pays développé. En 2001, le coton représentait 5 % à 10 % du PNB du Bénin, du Burkina, du Mali et du Tchad et 30 % à 40 % de leurs recettes d'exportation. Le coût de production est, dans ces pays, d'environ 0,5 dollar la livre de coton, mais ces derniers ne sont pas en mesure de profiter de leur avantage comparatif : en effet, le coton d'Afrique de l'Ouest est concurrencé par celui produit aux Etats-Unis, qui est vendu, malgré un coût de production de 0,7 dollar, à 0,4 dollar la livre de coton, grâce aux subventions versées aux producteurs américains. Ainsi, le Mali, qui compte trois millions de producteurs de coton, a réalisé l'an dernier une production équivalente seulement à 50 % de son potentiel. L'ONG Oxfam estime que ce pays a perdu environ 43 millions de dollars de recettes, soit 1,2 % de son PIB, en raison des subventions américaines, qui ont été versées à 15 000 producteurs et ont atteint un montant de 3,9 milliards de dollars pendant la campagne 2000/2001. Malgré une chute de prix mondiaux supérieure à 50 % depuis 1995, la part de marché détenue par les producteurs américains a augmenté de 16 % au début des années 1990 à plus de 20 % à la fin des années 1990. Cet avantage indu a incité le Brésil à déposer, le 27 septembre 2002, une plainte à l'OMC contre les subventions américaines aux producteurs de coton.

Face au problème particulier posé par les soutiens américains, les pays d'Afrique ont choisi, cependant, de s'attaquer à toutes les aides des pays développés, alors que l'Europe ne verse aucune subvention à l'exportation pour le coton et n'assure que 2 % de la production mondiale du secteur, ce qui limite fortement l'impact de sa politique cotonnière sur le commerce international.

Le 30 avril 2003, le Burkina Faso, au nom des pays d'Afrique de l'Ouest, déposait à l'OMC une initiative, demandant que la Conférence de Cancún établisse un mécanisme de réduction progressive du soutien des pays développés à la production et à l'exportation de coton, en vue de son élimination complète. L'institution d'un mécanisme de compensation financière des pertes de revenu provoquées par les subventions des pays développés était également revendiquée.

Cette démarche doit être saluée, car elle va enfin provoquer un débat salutaire à l'OMC sur la nature réelle des négociations agricoles. En effet, l'initiative coton démontre que le débat sur le sort à réserver aux subventions agricoles ne relève pas de la théorie ou de l'idéologie : il s'agit bien d'un débat politique où les membres de l'OMC doivent décider, soit de se conformer au mandat de Doha et donc s'attacher à supprimer les effets de distorsion des politiques agricoles, soit d'aller au-delà, afin d'interdire toute politique agricole et satisfaire ainsi les incantations ultra libérales, un objectif inacceptable. Aussi, est-il temps que les négociateurs, reconnaissent clairement quels doivent être les buts finaux de la négociation agricole.

C'est là le grand mérite de l'initiative coton et c'est pourquoi le rapporteur se réjouit que l'Europe ait soutenu cette proposition à Cancún.

Mais, malgré le renfort européen et celui de nombreux pays en développement, les pays africains n'ont pas obtenu gain de cause à Cancún. Les Etats-Unis, pour des raisons de politique intérieure, ont en effet refusé de faire un geste et, avec l'appui du directeur général de l'OMC, défendu une proposition visant à favoriser les programmes de diversification des économies africaines, qui a été évidemment ressentie comme une provocation. Les pays africains ont alors refusé d'ouvrir les négociations sur les sujets de Singapour, ce qui a provoqué, comme on le sait, l'échec de la Conférence.

B. Une méfiance logique mais regrettable à l'égard des « sujets de Singapour »

1) Quatre négociations pour mieux encadrer la mondialisation...

La Déclaration ministérielle de Doha a entériné le principe de négociations dans quatre nouveaux domaines : l'investissement, la concurrence, la facilitation des échanges et la transparence dans les marchés publics. Les ministres, dans ce texte, « reconnaissent les arguments en faveur d'un cadre multilatéral dans chacun de ces dossiers ».

Il s'agissait d'un succès pour l'Union européenne, qui a consacré plusieurs années d'efforts et de pédagogie auprès de ses partenaires.

Toutefois, à la demande des pays en développement les plus réservés comme l'Inde, la Déclaration a conditionné l'ouverture des négociations à un accord par « consensus explicite » des membres de l'OMC sur les modalités de ces négociations.

La négociation de ces sujets est nécessaire, car elle dotera l'OMC de nouveaux instruments de régulation de la mondialisation. En outre, ces domaines conditionnent l'accès effectif des entreprises aux marchés des pays tiers. En effet, au fur et à mesure, que les cycles successifs du GATT ont abouti à une diminution des tarifs, ainsi qu'à une élimination progressive de certains obstacles non tarifaires, les réglementations et les pratiques internes, ainsi que les procédures douanières revêtent une importance croissante dans le décloisonnement de marchés mondialisés.

¬ L'investissement

Deux arguments plaident en faveur de la négociation d'un accord multilatéral sur l'investissement.

D'une part, l'investissement et le commerce sont indissociables. En effet, l'investissement direct étranger est l'un des principaux vecteurs des échanges, étant à l'origine d'au moins un tiers des flux du commerce mondial. Aussi, un cadre commun ne peut que multiplier les opportunités d'investissement et assurer une meilleure allocation et utilisation des ressources à l'échelle mondiale.

D'autre part, celui-ci permettra de créer plus de cohérence et de transparence pour les entreprises qui, à l'heure actuelle, doivent affronter un maquis de plus de 1 700 accords bilatéraux sur le sujet, très différents les uns des autres dans leur portée et leur nature juridique. Ni les sociétés multinationales ni les petites et moyennes entreprises sont encouragées dans leurs démarches d'investissement à l'étranger par les manques, les redondances et incohérences des accords existants. Un cadre stable est donc indispensable au développement d'entreprises dont les processus de production et de distribution impliquent souvent plus de deux pays à la fois.

C'est la seule manière d'offrir aux entreprises européennes la sécurité juridique qui leur fait défaut dans nombre de pays en développement, ainsi que des conditions de concurrence équitables par rapport aux entreprises américaines, qui bénéficient des dispositions plus favorables (dans la mesure où elles couvrent à la fois l'accès au marché et la protection des investissements) des accords bilatéraux conclus par les Etats-Unis avec plus de 120 pays en développement.

L'Union européenne a toujours été favorable à la négociation d'un accord multilatéral à l'OMC, selon des conditions comparables à celles de l'Accord général sur le commerce des services (AGCS), qui garantissent une libéralisation progressive et l'établissement d'engagements par « listes positives » et laissent ainsi aux gouvernements une totale liberté en ce qui concerne le choix des secteurs « ouverts » aux investissements étrangers.

Les objectifs retenus à Doha pour les négociations sur l'investissement sont ceux que proposait l'Union européenne. Les priorités retenues portent ainsi sur la portée et la définition d'un accord, la transparence, la non-discrimination, les modalités pour les engagements sur l'accès et le règlement des différends.

L'Union européenne estime que la définition des modalités de l'investissement direct étranger à retenir par l'accord devrait s'appuyer sur les éléments suivants :

- les entreprises faisant l'objet d'un investissement direct comme étant les entreprises, branches ou filiales dans lesquelles un investisseur direct détient 10 % ou plus des actions ordinaires ou des droits de vote ;

- les transactions de capital liées à l'investissement direct comme étant la transaction initiale entre l'investisseur direct et l'entreprise et toutes les transactions subséquentes entre ces parties et entre les filiales ;

- les investisseurs directs étrangers, comme étant toutes les personnes et les entreprises qui procèdent à un investissement direct. Les investissements de portefeuille ne sont pas inclus dans cette définition.

Par ailleurs, un accord dans ce domaine devrait garantir le principe du traitement national (chaque membre devrait accorder aux investisseurs d'un autre membre un traitement non moins favorable que le traitement qu'il accorde à ses investisseurs nationaux), de la non-discrimination (chaque membre devrait accorder aux investisseurs d'un autre membre un traitement non moins favorable que le traitement qu'il accorde aux investisseurs de tout autre membre ou d'un non-membre de l'OMC), de la transparence des règles (chaque membre devrait s'engager à publier l'intégralité des textes normatifs applicables aux investisseurs et rendre publiques les politiques et pratiques ne figurant pas dans les textes) et la protection des investissements, c'est-à-dire l'interdiction de réaliser des expropriations sans compensation et liberté de transfert de paiements.

¬ La concurrence

Aucun cadre multilatéral n'a été encore adopté pour appliquer le droit de la concurrence aux pratiques anticoncurrentielles des entreprises, qui peuvent avoir des répercussions importantes sur l'accès au marché. De plus, il n'existe d'accords de coopération bilatéraux en matière de concurrence qu'entre pays industrialisés, comme c'est le cas entre les Etats-Unis et l'Union européenne.

Certaines pratiques, comme les ententes illicites, coûtent des milliards d'euros aux consommateurs du monde entier, en maintenant à un niveau artificiellement élevé le prix de leurs produits et de leurs services. Ainsi, le cartel de la vitamine, actif de 1980 à 1990, et dont faisaient partie les entreprises Hoffman-LaRoche, BASF et Rhône-Poulenc, a peut-être coûté aux seuls Etats-Unis, selon certaines estimations, 500 millions de dollars en termes de surfacturation des soins. Les amendes infligées à cette entente par les autorités américaines ont atteint plus d'un milliard de dollars.

Les priorités de la négociation retenues par le mandat de Doha portent sur les principes fondamentaux tels que la transparence, la non-discrimination et l'équité, ainsi que les ententes injustifiables, la coopération volontaire et le renforcement des institutions et des capacités.

Sur cette base, l'Union européenne estime que cet accord pourrait prévoir les éléments suivants : un cadre législatif national fondé sur le principe de la non-discrimination, la transparence des lois, réglementations et lignes directrices d'application générale, des garanties de traitement équitable dans le cadre des enquêtes (protection des informations confidentielles par exemple) et le contrôle juridique des décisions administratives. Elle souhaite également que cet accord instaure un cadre souple de coopération internationale, comprenant notamment un bureau de centralisation des informations sur l'évolution du droit national, des consultations et des échanges de vues sur la politique de la concurrence et l'institution d'un comité de la politique de la concurrence à l'OMC servant d'enceinte aux débats sur cette question.

¬ La facilitation des échanges

L'expédition de marchandises au-delà des frontières se heurte à de multiples tracasseries administratives. Selon la CNUCED, pour une transaction douanière, en moyenne, 20 à 30 intervenants différents peuvent être impliqués dans les procédures, qui génèrent par ailleurs 40 documents et 200 éléments de données (dont 30 se répètent au moins 30 fois).

Le coût de ces procédures peut, selon certaines études, représenter jusqu'à 4 ou 5 % du coût total de la transaction, un coût équivalent au tarif moyen appliqué sur les produits manufacturés par les pays développés. La réduction de moitié de des ces coûts induirait un gain de l'ordre de 325 milliards de dollars.

En outre, depuis le 11 septembre 2001, les mesures de sécurité prises pour renforcer les inspections aux frontières et l'examen des cargaisons ont accru les temps de transport et poussé les coûts à la hausse. La Banque mondiale estime que chaque augmentation de 1 % des coûts occasionnée par les programmes de renforcement de la sécurité réduit le revenu mondial de 75 milliards de dollars par an.

Le mandat de Doha prévoit :

- d'accroître la transparence de la réglementation (article X du GATT) en élargissant le champ des réglementations devant être publiées et rendues accessibles, en établissant des points d'information et en exigeant d'introduire la possibilité de faire appel des décisions ;

- de simplifier les procédures d'importation, d'exportation et de dédouanement (article VIII du GATT) en élaborant des engagements clairs en ce qui concerne les taxes et les redevances qui peuvent être demandées, la documentation et les formalités écrites et les procédures d'importation et d'exportation ;

- d'assurer une réelle mise en œuvre de la liberté de transit en réduisant les possibilités de discrimination, en adaptant les exigences aux frontières à ce qui réellement nécessaire à la procédure de transit et en encourageant la création de systèmes de transit régionaux dans les régions défavorisées du monde.

¬ La transparence dans les marchés publics

A l'issue du Tokyo Round, un accord relatif aux marchés publics est entré en vigueur le 1er janvier 1981. Il vise à ouvrir certains marchés publics à la concurrence internationale au moyen de règles et d'obligations générales et établit des listes d'entités nationales dans chaque membre dont les marchés publics sont soumis à l'accord.

Un nouvel accord a été conclu dans le cadre du cycle d'Uruguay et est entré en vigueur le 1er janvier 1996. Il a étendu le champ d'application de l'accord initial aux travaux et services et non plus seulement aux fournitures de biens. Dans le cas des marchés de biens et de services passés par le gouvernement central, le seuil fixé par l'accord pour son application est de 130 000 droits de tirage spéciaux (DTS), soit environ 178 000 dollars en 1997(20). Pour les marchés passés par les entités des gouvernements sous-centraux, le seuil varie, mais il est généralement de l'ordre de 200 000 DTS ; il se situe en général pour les services d'utilité publique autour de 400 000 DTS et, pour les marchés de construction, autour de 5 000 000 DTS.

Cet accord est limité dans sa portée en raison de son caractère plurilatéral, ce qui signifie que seuls les membres de l'OMC l'ayant signé, soit 28 actuellement (dont le Canada, la Communauté européenne, le Japon et les Etats-Unis) l'appliquent.

Selon la Communauté européenne, les négociations dans ce domaine doivent :

- assurer la transparence, c'est-à-dire prévoir que toutes les informations concernant les règles, les pratiques et les politiques de marchés publics soient rendues accessibles aux parties intéressées ;

- aboutir à l'élaboration d'un accord multilatéral, s'appliquant à tous les membres de l'OMC, reposant sur des principes généraux et non des prescriptions, afin de ternir compte de la diversité des situations.

2) ...Nourrissant un sentiment de trop plein chez les pays en développement

L'Europe pouvait estimer que le plus dur, c'est-à-dire un consensus sur le principe de l'ouverture de négociations concernant les sujets de Singapour, avait été obtenu à Doha : ainsi, les pays les plus radicaux, comme l'Inde ou le Kenya, n'avaient pu entraîner, à cette occasion, leurs alliés traditionnels, Malaisie et Pakistan, d'une part, groupe africain, d'autre part, pour obtenir le retrait de ces questions de l'ordre du jour du cycle.

Dans cette perspective, Cancún n'aurait dû être qu'une formalité, d'autant que des pays en développement influents, comme le Brésil, l'Afrique du Sud ou l'Egypte, ont marqué à Doha un intérêt pour les sujets dits de régulation, sous réserve d'obtenir des garanties en termes de traitement spécial et différencié et d'assistance technique.

Or, il n'en a rien été : certes, l'affaire du coton a poussé les pays africains à rejeter ces négociations, mais ce refus n'a fait que se greffer sur une méfiance généralisée et persistante à l'égard des sujets dits de Singapour.

La plupart des pays membres en développement ont conservé une certaine réticence, voire une hostilité pour certains, à l'égard de la négociation d'un accord multilatéral sur l'investissement. Leur position peut toutefois encore évoluer, bien que ce soit de manière très progressive. Ainsi, dans un entretien accordé au rapporteur, l'ambassadeur de l'Inde à l'OMC, M.K.M. Chandasekhar, a estimé qu'avant d'adopter une position définitive sur le sujet, il conviendrait, en raison de sa nature particulière, de l'aborder dans le cadre de réunions entre les ministres des finances et des banquiers centraux des membres.

Il reste que la nécessité d'un accord multilatéral ne convainc pas encore ces pays, car ils craignent qu'un tel cadre ne limite leur stratégie de développement ou ne comporte aucune valeur ajoutée par rapport aux accords bilatéraux conclus avec les partenaires commerciaux les plus importants.

En ce qui concerne la concurrence, l'opposition de nombreux pays sans législation sur le sujet et tolérant des ententes qui nuisent aux intérêts des entreprises étrangères (comme Hong Kong ou Singapour) est virulente. A cela, s'ajoute la crainte de nombreux pays en développement, notamment ceux d'Afrique, de se voir imposer, comme avec l'ADPIC, de lourdes obligations, difficiles à mettre en œuvre et impliquant l'élaboration d'un nouveau droit.

Les pays du Sud sont également très réservés à l'égard de la transparence dans les marchés publics, car ils estiment que ces marchés restent le dernier moyen licite de favoriser les entreprises nationales sur leur marché intérieur.

Outre la méfiance des pays du Sud à l'égard des sujets de Singapour, l'Europe doit compter avec un autre facteur d'inertie : la position des Etats-Unis, traditionnellement en retrait sur l'investissement et la concurrence.

Ainsi, ce pays considère qu'il sera particulièrement difficile d'avoir un accord à l'OMC sur l'investissement, cette question n'étant pas assez « mûre » pour faire l'objet d'un consensus. Il préfère l'aborder dans le cadre des accords de libre-échange bilatéraux, comme ceux récemment ratifiés avec le Chili et Singapour. Les Etats-Unis sont également peu enthousiastes pour lancer des négociations multilatérales sur la concurrence, tant par souci de ne pas rendre plus difficile le cycle qu'en raison de la grande indépendance de leurs autorités fédérales qu'ils souhaitent préserver. Ils sont plus actifs en revanche sur la facilitation du commerce, et proposent de concentrer les discussions sur l'article VIII du GATT et de n'accorder des exemptions ou des périodes de transition en faveur des pays en développement que sur une base pays par pays. S'agissant de la transparence des marchés publics, ils ont fait une proposition qui vise autant les biens que les services, mais ne souhaitent pas aboutir à des disciplines trop contraignantes, ayant à cœur de conserver le Buy American Act de 1930 (dont les dispositions interdisent à certains organismes du secteur public d'acheter des biens et des services fournis par des opérateurs étrangers).

C. Une occasion manquée pour baisser les tarifs industriels

La réduction des droits de douane sur les produits non agricoles est restée, du GATT à l'OMC, un objectif traditionnel et important des négociations multilatérales, les produits industriels représentant encore 70 % du commerce mondial.

Pour l'industrie française, les enjeux de ce volet du cycle de Doha sont de deux ordres : d'une part, ses exportations, qui ont doublé au cours des années 1990, continuent de se heurter à des obstacles tarifaires et non tarifaires trop nombreux ; d'autre part, certains de ses secteurs sensibles doivent être encore protégés.

1) Un objectif demeurant prioritaire

Les négociations antérieures ont permis de réduire de manière substantielle les droits de douane : la réduction moyenne obtenue a été de 7 % lors du Dillon Round (1960-1961) qui a couvert des flux commerciaux d'une valeur de 4,9 milliards de dollars, de 35 % pour le Kennedy Round (1962-1967), de 34 % pour le Tokyo Round (1973-1979) et de 39 % pour l'Uruguay Round, qui a concerné des flux commerciaux d'une valeur de 1 122 milliards de dollars.

Cependant, beaucoup de travail reste à faire pour assurer à l'industrie européenne un meilleur accès aux marchés sur lesquels elle a des intérêts offensifs. Le ministre délégué du commerce extérieur, M. François Loos, a indiqué qu'une réduction de 35 % des barrières tarifaires et non tarifaires sur les produits industriels permettrait d'augmenter de 70 % les exportations totales de l'Union européenne. Celles-ci gagneraient, par exemple, plus de 28 milliards de dollars sur le marché des Etats-Unis, et plus de 6 milliards de dollars sur le marché du Brésil.

Le mandat de négociations adopté à Doha dispose que les « négociations viseront réduire ou éliminer les droits de douane, y compris à réduire ou à éliminer les crêtes tarifaires, les droits élevés et la progressivité des droits ainsi que les obstacles non tarifaires, en particulier pour les produits qui présentent un intérêt pour les pays en développement ».

Afin d'ouvrir les marchés des pays tiers, les négociations doivent s'attaquer aux pics tarifaires, ainsi qu'au taux moyen des droits de douane des pays émergents, qui sont très supérieurs à ceux appliqués par les pays développés.

S'agissant des pics tarifaires, ceux-ci peuvent atteindre des « records » dans les pays émergents. Ainsi, dans l'automobile, ils sont de 135 % en Egypte, 80 % en Thaïlande et 50 % en Malaisie.

Par ailleurs, si en moyenne pondérée, les droits des pays industrialisés s'élèvent à 1,7 % (aux Etats-Unis, le taux moyen est de 3,5 % ; il est de 3,6 % dans l'Union européenne), le paysage tarifaire est tout autre dans les pays émergents, alors qu'ils constituent, pour les industries européennes et françaises, autant de marchés dynamiques à l'exportation, étant stimulés par les nouvelles habitudes de consommation d'une classe moyenne nombreuse et disposant d'un pouvoir d'achat en augmentation. Ainsi, les droits s'élèvent, en moyenne, à 27 % au Brésil, à 32 % en Inde et à 36 % en Indonésie.

D'autre part, même s'ils sont relativement bas en moyenne, les niveaux de protection douanière de l'Amérique du Nord ne sont pas négligeables : dans l'industrie, l'ALENA, qui regroupe le Canada, les Etats-Unis et le Mexique, applique des taux de protection supérieurs à 5 % pour six secteurs industriels sur neuf (11 % pour le textile et l'habillement par exemple) contre deux au-delà de ce seuil pour l'Union européenne.

Aussi, les négociations doivent-elles avoir, selon le MEDEF, pour objectif, en ce qui concerne les aspects tarifaires :

- d'éliminer les pics, c'est-à-dire les droits supérieurs à 15 %, qui rendent pratiquement impossibles l'exportation d'un produit ;

- de consolider à de meilleurs niveaux les tarifs, aucun taux de consolidation ne devant être inférieur à 90 %, car les membres de l'OMC n'ayant pas consolidé leurs droits peuvent relever à tout moment leurs taux effectifs. Ainsi, la Thaïlande n'a, par exemple, consolidé que la moitié des lignes tarifaires qu'elle applique aux importations d'équipements pour les transports.

Nos intérêts offensifs conduisent les entreprises à plaider une faveur d'une formule « harmonisante » de réduction des tarifs, afin de limiter les phénomènes de dispersion des droits, complétée par une approche sectorielle. Cette dernière peut permettre d'aller plus loin, vers des droits « zéro » par exemple, pour les produits pharmaceutiques où les industries européennes sont particulièrement compétitives.

Par ailleurs, ces négociations doivent déboucher sur une réduction des obstacles non tarifaires, qui dans certains cas peuvent annuler les effets économiques positifs d'une baisse des droits de douane. Ces obstacles comprennent l'ensemble des mesures à l'exportation (quotas, taxes, monopoles, prohibitions), qui peuvent retenir dans un pays la matière dont a besoin une industrie pour fabriquer ses produits (cas du cuir pour la chaussure), ainsi que les obstacles de caractère technique, qui tendent à proliférer. Le MEDEF observe que sur ce dernier point, le Code des barrières techniques au commerce de l'OMC n'est pas assez complet pour appréhender les nombreuses entraves frappant les importations de marchandises.

Enfin, l'Europe doit maintenir la protection douanière nécessaire dans les secteurs sensibles, qui sont peu nombreux. Seules une douzaine d'industries résistent difficilement à la concurrence des pays à bas salaire : le textile, la chaussure (dans laquelle des sociétés françaises ont perdu un tiers de leurs emplois en dix ans), la maroquinerie, la coutellerie, l'horlogerie, la céramique, l'électroménager et les métaux non ferreux.

2) Une formule de réduction difficile à trouver

Le choix de la formule de réduction des droits est l'élément central de ces négociations.

Plusieurs membres estiment que la formule suisse, qui prévoit une réduction supérieure pour les droits les plus élevés et une réduction inférieure pour les droits moins élevés, constitue une bonne base, ou s'en sont inspirés dans leurs propositions.

Le rapporteur présentera ici les deux propositions les plus marquantes.

¬ Une proposition européenne visant à comprimer les droits

La proposition de l'Union européenne vise à obtenir la compression de la structure tarifaire, ce qui permet de diminuer plus fortement les tarifs les plus élevés et aboutit à une fourchette de droits plus étroite. Les droits sont divisés en quatre « bandes » : de 0 à 2 % (suppression), puis de 1,6 à 7,5 % (pour comprimer les droits compris entre 2 à 15 %), de 7,5 à 15 % (pour comprimer les droits compris entre 15 et 50 %) et une tranche à 15 %.

L'application de la formule européenne permet de plafonner tous les pics tarifaires à 15 %, tout en préservant nos intérêts défensifs.

Elle comporte en outre de nombreux éléments pour le traitement spécial et différencié : élimination unilatérale des droits des pays développés sur tous les produits provenant des PMA ; élimination des droits les plus bas, dès qu'ils sont inférieurs à un plancher spécifique, qui reste à négocier ; mise en œuvre progressive des engagements.

Enfin, elle prévoit, s'agissant des obstacles non tarifaires, un examen au cas par cas et la suppression des restrictions et des droits à l'exportation.

¬ Une proposition OMC bien accueillie mais devant être travaillée

Le 16 mai 2003, le Président du groupe de négociation sur les tarifs industriels, M. Pierre-Louis Girard, a présenté une formule, accueillie par la plupart des membres comme étant une bonne base de départ.

Cette formule serait appliquée ligne par ligne, assurant ainsi une couverture par produits aussi complète que possible, et entraînerait une réduction d'autant plus forte que les droits initiaux sont élevés et des résultats différenciés en fonction du niveau moyen de départ.

Lors de son entretien avec le rapporteur, M. Pierre-Louis Girard a indiqué que tous les volets de sa proposition visent à répondre aux demandes des pays en développement. Outre le choix de la formule, cette approche en faveur des pays du Sud est confortée par d'autres aspects du texte : une proposition pour l'élimination sectorielle des droits sur les exportations présentant un intérêt particulier pour les pays en développement et les PMA (les textiles, les vêtements, les chaussures, le matériel électrique et électronique, les poissons, les cuirs, les peaux, les pièces et composantes des véhicules à moteur, les pierres gemmes et les métaux précieux sont visés) ; de plus longues périodes de mise en œuvre pour les réductions tarifaires et la possibilité de garder jusqu'à 5 % des lignes tarifaires non consolidées pour autant qu'elles ne dépassent pas 5 % de la valeur totale des importations d'un membre ; l'exemption des PMA des engagements de réductions à condition qu'ils accroissent substantiellement leur taux de consolidation et l'octroi de ces dispositions aux nouveaux membres de l'OMC s'ils sont en développement.

Cette proposition répond à l'objectif central du mandat de Doha, mais tend aussi, comme l'a reconnu son auteur, à favoriser, en différenciant les résultats selon le niveau moyen de départ des droits, les membres appliquant des droits élevés, en particulier les pays émergents.

Or, ce sont ces pays qui intéressent nos exportateurs : le commissaire européen Pascal Lamy a estimé, dans un entretien avec le rapporteur, qu'un pays comme l'Inde, serait en partie exonéré des efforts de réduction. Sur ce point, le Président Girard fait observer que cette prime donnée aux pays en développement ayant des droits élevés a une contrepartie, qui n'est pas négligeable, à savoir l'obligation de consolider au minimum 95 % de leurs lignes tarifaires. Ceci représenterait un progrès indéniable, surtout pour des pays à fort potentiel de marché qui n'ont consolidé que 50 ou 60 % de leurs droits.

En outre, la proposition de M. Girard suscite deux autres difficultés : elle remet en cause la protection dont bénéficient les secteurs fragiles, tout en restant très générale quant aux objectifs à atteindre en matière de réduction des barrières non tarifaires, à l'inverse de la proposition européenne.

A Cancún, le « facilitateur » des négociations sur les modalités de réduction des tarifs industriels, M. Henry Tang Ying-yen, le secrétaire aux finances de Hong Kong, n'a pu que constater les divergences persistantes des membres sur le sujet. Aucun consensus n'est apparu sur le caractère linéaire ou non de la formule à retenir, ainsi que sur le caractère obligatoire ou volontaire des initiatives sectorielles.

En outre, la plupart des pays en développement restent fortement opposés à toute harmonisation de leurs tarifs, c'est-à-dire à une diminution plus importante de leurs droits élevés afin de réduire la différence entre ces droits et ceux qui sont moins élevés. Ils ont soutenu à Cancún que le traitement spécial et différencié prévu par le mandat de Doha les autorise à consentir à de moindres efforts de réduction, à appliquer un coefficient de réduction différent de celui des pays développés et à choisir de rejoindre ou non une initiative sectorielle.

Il ne faut pas voir dans cette attitude un simple refus des pays du Sud d'ouvrir leurs marchés aux exportations des pays développés. En effet, la négociation sur les produits industriels comporte désormais une dimension Sud/Sud, qui ajoute encore à sa complexité, à cause la montée en puissance de la Chine : cette dernière fait si peur aux pays émergents, qu'elle les incite à défendre leurs protections tarifaires.

3) Le cas du textile/habillement

Le secteur du textile habillement occupe une place prépondérante dans les échanges internationaux. Il a généré des flux commerciaux d'environ 350 milliards d'euros en 2002, soit près de 6 % du total des exportations mondiales.

La libéralisation du secteur est encadrée par l'Accord sur les textiles et le vêtement de 1994, qui a prévu de supprimer le 1er janvier 1995 les quotas d'importation sur 16 % du volume des importations effectuées en 1990, puis sur 17 % le 1er janvier 1998, 18 % le 1er janvier 2002 et enfin le volume restant, soit 49 %, le 1er janvier 2005. Elle a profité essentiellement à la Chine, devenue le premier producteur mondial du secteur, le premier exportateur mondial de vêtements et le deuxième exportateur mondial de textile. L'ensemble Chine/Taiwan/Hong Kong assure 100 milliards de dollars d'exportations de textile et de vêtements sur un total mondial de 350 milliards.

Il s'agit aussi d'un secteur d'avenir pour l'Europe, grâce à la première place qu'elle a conservée dans la mode et qui fait d'elle le premier exportateur mondial de textile et le deuxième d'habillement. En outre, ce secteur emploie dans l'Union européenne directement 2 millions de personnes (198 170 en France), et bientôt 2,5 millions après l'élargissement, avec un chiffre d'affaires d'environ 200 milliards d'euros.

En janvier 2005, l'Union européenne appliquera dans le secteur les tarifs les plus bas du monde. Son taux de protection moyen est déjà très bas, puisqu'en 2000, il était de 10,9 %, avec un taux maximum de 12,8 %, aucun pic tarifaire n'étant appliqué.

Mais si l'Europe a ouvert son marché aux importations en provenance des autres membres, ses exportations à destination des pays en développement sont freinées par leur structure tarifaire, qui est très défavorable : ainsi, l'Europe ne peut compenser par des gains de parts de marché les emplois qu'elle perd en raison du faible coût de la main d'œuvre de ces pays. Le taux moyen de protection de la Chine, de la Thaïlande, de la Malaisie, du Brésil de l'Argentine, du Mexique, de l'Inde et de l'Indonésie est estimé à 19,2 % ; il est plus de 50 % supérieur à celui des pays développés. Pour l'habillement, quatre pays présentent une protection supérieure à 30 % : la Chine (30,9 %), la Thaïlande (31 %), le Mexique (30,1 %), et surtout l'Inde (près de 40 %).

C'est la raison pour laquelle l'Europe doit obtenir une ouverture effective des marchés, qui passe par une baisse généralisée des droits de douane jusqu'à un maximum de 15 %. Dans le même temps, cet objectif doit être épaulé ainsi que l'ont souligné les représentants de l'Union des industries textiles au rapporteur, par une initiative régionale ambitieuse, la création d'une zone pan-euroméditerranéenne préférentielle pour le textile habillement. Associant l'Union élargie, la Turquie et les pays du Maghreb et reposant sur des règles d'origine harmonisées et décloisonnées, cette zone couvrira un marché intérieur élargi à 700 millions de consommateurs, stimulera les gains industriels en favorisant l'intégration des divers stades de la production et entraînera des gains logistiques, en accroissant la réactivité de l'offre européenne aux délais plus courts imposés par la distribution.

DEUXIEME PARTIE :
LES RAISONS D'ESPERER

Depuis l'échec de Cancún, les capitales ne cessent de multiplier les déclarations en faveur d'une reprise des négociations : elles émanent du G20+, réuni à Buenos Aires, du Conseil européen de Bruxelles, de l'APEC(21) (Asia Pacific Economic Forum), qui regroupe 21 pays situés sur les deux rives du Pacifique, dont l'Australie, le Canada, la Chine, les Etats-Unis et le Japon, des ministres des finances du G20(22), qui associe les pays en développement aux membres du G8, mais aussi de l'Assemblée parlementaire paritaire de l'Union européenne et des pays ACP.

Ces appels sont la traduction d'un besoin profond de multilatéralisme, qui contredit l'analyse sommaire de l'échec de Cancún faite par les « antimondialistes ».

En effet, ce que d'aucuns ont qualifié de victoire contre la mondialisation, n'est qu'une victoire à la Pyrrhus, qui n'apportera aucun avantage aux participants les plus pauvres du système commercial multilatéral.

Car comment pourrait-on envisager d'apporter une solution au dossier du coton en dehors de l'OMC ? Comment peut-on espérer obtenir le retrait des subventions à l'agriculture les plus nocives aux pays en développement en dehors de l'OMC ? Bref, comment peut-on espérer rendre l'échange international plus équitable en dehors de l'OMC ?

La « solution OMC » garde donc toute sa pertinence pour contribuer au développement du Sud et offrir de nouvelles opportunités pour l'emploi et la croissance dans le monde.

Une fois cette évidence réaffirmée, le rapporteur souhaite présenter dans cette partie ses réflexions sur les voies et les moyens d'une relance du cycle, puis esquisser quelques propositions pour que ce cycle contribue à une meilleure gouvernance mondiale.

III. L'IMPOSSIBLE MISE A L'ECART DE L'OMC

L'OMC a été victime à Cancún d'une crise de jeunesse, doublée d'une crise de croissance.

Cet échec a été salutaire, en ce qu'il a apporté un démenti à l'affirmation selon laquelle cette organisation sert les intérêts exclusifs des pays développés.

Fondée sur la règle de droit, cette organisation tend à assurer l'égalité de ses membres, ainsi que leur sécurité juridique, par le biais de principes communs et de l'existence d'un tribunal unique en son genre, l'Organe de règlement des différends (ORD).

Elle reste irremplaçable : l'OMC est une maison commune, qui doit être préservée.

Le rapporteur souhaite néanmoins la consolider en présentant quelques propositions d'amélioration de la mécanique de négociation et la doter de fenêtres, afin de l'ouvrir davantage à nos citoyens.

A. Une organisation perfectible mais irremplaçable

1) Un caractère démocratique incontestable

L'OMC n'est pas la Banque mondiale ni le FMI, où les pays développés contrôlent les décisions puisque les quotes-parts financières déterminent les droits de vote de chaque Etat au sein des instances de direction.

Si les Etats disposent d'une force inégale dans le commerce international, comme dans le domaine économique et financier, la participation des Etats à l'OMC, à l'inverse de celle prévalant dans les institutions de Bretton Woods, est fondée sur le respect de la souveraineté de chacun d'entre eux. L'OMC prend en effet ses décisions par consensus, c'est-à-dire à l'unanimité de ses membres.

Le principe du consensus fait aussi que l'OMC ne produit pas par elle-même du droit, en dehors les accords négociés de manière contractuelle entre les parties et ratifiés, afin de pouvoir entrer en vigueur, suivant les procédures nationales.

Enfin, les Etats sont représentés dans tous les organes dirigeants de l'OMC : la Conférence ministérielle, qui fixe les grandes orientations, le Conseil général, composé des hauts fonctionnaires représentant les Etats et qui assure la gestion courante et les conseils et comités spécialisés, qui rapportent au Conseil général. Ce sont aussi les Etats qui peuvent seuls accéder à l'ORD, les entreprises ne pouvant engager une procédure contentieuse à l'OMC.

2) Des disciplines pour tous les membres

a) Des règles de base restant indispensables

Le principe directeur des disciplines de l'OMC est l'égalité des participants : les membres ne peuvent opérer de discrimination dans le traitement et les règles qu'ils appliquent aux opérations commerciales internationales.

Il s'incarne dans la clause de la nation la plus favorisée (NPF), qui garantit que ce qui est accordé à l'un est accordé à tous, sans discrimination. L'efficacité de cette dernière est assurée par son caractère général, qui couvre non seulement les droits de douane, mais aussi toute mesure adoptée pour réglementer les échanges, et son inconditionnalité, son application ne pouvant faire l'objet de négociations.

Cette clause connaît toutefois trois exceptions, qui se justifient par leur objet : les accords d'intégration économique régionale qui réservent des avantages commerciaux aux seuls membres, les préférences commerciales accordées aux pays en développement et les exceptions nationales en matière de services, les offres d'ouverture du marché pouvant être assorties de réserves visant à protéger certains régimes nationaux dérogatoires à la clause NPF.

D'autre part, les accords de l'OMC reposent sur une exigence de bonne foi, qui se décline dans quatre règles fondamentales : la consolidation ou fermeté des engagements pris (ils ne sont révocables par un membre que si celui-ci offre une compensation équivalente acceptée par les autres parties), la protection par les tarifs sauf exceptions sectorielles prévues par les accords, la transparence concernant les informations réglementaires et administratives affectant les échanges et l'interdiction des entraves non nécessaires au commerce.

b) Des négociations acquises depuis Doha pour améliorer certaines disciplines

A Doha, les membres ont décidé de lancer un processus de réexamen et de révision des disciplines régissant les instruments de défense commerciale, qui figurent parmi les règles de l'OMC les plus utiles et les plus sensibles.

Aux termes de la Déclaration ministérielle, l'objectif est de « clarifier et améliorer les disciplines prévues par les Accords sur la mise en œuvre de l'article VI du GATT(23) et sur les subventions et les mesures compensatoires, tout en préservant les concepts et les principes fondamentaux ainsi que l'efficacité de ces accords et leurs instruments et objectifs, en tenant compte des besoins des participants en développement et les moins avancés ».

La négociation porte aussi sur les disciplines et les procédures qui s'appliquent aux accords commerciaux régionaux.

Cet exercice de clarification des règles a été rendu nécessaire par l'application que les membres en ont faite : celle-ci a révélé des lacunes et des abus, qui doivent être remédiés.

(1) L'antidumping

L'ouverture de négociations sur l'antidumping était très demandée par les pays en développement et certains pays développés, qui s'estiment être les victimes d'un véritable harcèlement en la matière.

Le dernier rapport annuel de l'OMC (2003) indique que globalement, depuis 1995, les quatre membres ayant eu le plus souvent recours à des mesures antidumping sont les Etats-Unis (257), l'Inde (248), la Communauté européenne (247) et l'Argentine (166), tandis que les pays ou les territoires douaniers les plus touchés sont la Chine (261), la Corée (139), les Etats-Unis (103) et Taiwan (96).

¬ Un groupe des « amis de l'antidumping » a été constitué par le Brésil, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, Hong Kong, Israël, le Japon, la Corée, la Norvège, Taiwan, Singapour, la Suisse et la Thaïlande. Soutenus par la Turquie, la Chine et l'Inde, ces pays défendent la nécessité d'une meilleure évaluation du dommage subi et la prise en compte des jugements de l'Organe d'appel du système de règlement des différends sur l'incompatibilité de certaines mesures antidumping avec l'accord. Cette dernière demande a été notamment motivée par la condamnation de l'Union européenne pour ses méthodes de calcul du dumping dans le cas de l'importation du linge de lit indien, qui l'a conduite à suspendre, en mai 2002, ses mesures antidumping à l'encontre de l'Inde, du Pakistan et de l'Egypte. Ce groupe souhaite en outre réviser les conditions à remplir pour l'ouverture d'une enquête et aborder la question de l'abus des recours aux mesures antidumping.

¬ Les mesures antidumping étant de plus en plus utilisées et attaquées devant l'ORD, ce qui conduit ce dernier à préciser certaines dispositions de l'accord, avec le risque qu'il adopte une démarche « prétorienne », l'Union européenne a également des intérêts substantiels dans cette négociation. Elle a présenté, en mars 2003, une proposition visant à instituer un mécanisme de traitement rapide des demandes d'ouverture d'enquêtes injustifiées, avec trois pistes : la création de groupes spéciaux chargés de l'examen accéléré de l'ouverture d'enquêtes, le recours à un arbitrage contraignant ou la création d'un organe consultatif permanent.

¬ La proposition de mars 2003 des Etats-Unis sur l'antidumping demande à inclure dans les négociations le cas particulier des produits agricoles cycliques, saisonniers et périssables, ou encore le problème des « pratiques persistantes de dumping ». Sur ce sujet, les Etats-Unis sont sur la défensive, car ils souhaitent que les négociations ne débouchent pas sur un affaiblissement de leur législation antidumping. Le Congrès en particulier est un défenseur farouche des instruments antidumping : l'amendement Dayton-Craig au Trade Act, lui aurait ainsi donné un droit de veto sur les dispositions relatives à l'antidumping contenues dans un accord négocié par l'Exécutif. Cette proposition a été finalement retirée pour être remplacée par une disposition du Trade Act créant une procédure spécifique par laquelle le Congrès pourra faire connaître son point de vue sur les dispositions d'un tel accord. Toujours à la demande du Congrès, le General Accouting Office, l'équivalent de la Cour des comptes, a publié, en juin 2003, une évaluation de l'impact des jugements de l'OMC sur l'efficacité des instruments de défense commerciale américains. Celle-ci n'a pas été, selon ce rapport, amoindrie, même si les Etats-Unis ont été placés en situation d'accusé dans 30 affaires sur les 64 ayant concerné ce sujet entre 1995 et 2002. Toutefois, les agences fédérales américaines estiment que l'article 17.6(ii) de l'accord n'est pas appliqué de manière satisfaisante. Ce dernier impose aux panels de l'OMC de valider les décisions prises par les agences nationales compétentes pour déterminer l'existence d'un dumping dès lors qu'elles sont compatibles avec l'une des interprétations de l'accord dégagées par les panels.

(2) Les subventions

¬ L'accord sur les subventions

Les pays développés cherchent, d'une manière générale, à renforcer le contenu de cet accord, un objectif que ne partagent pas les pays du Sud(24).

Ainsi, les Etats-Unis proposent l'extension de la catégorie des subventions prohibées et un plus strict encadrement des prises de participation et des investissements publics, ce qui a poussé les pays du Sud, mais aussi le Japon, à émettre des réserves. Ils demandent aussi l'ouverture d'un débat sur le traitement spécial et différencié dans l'accord, afin qu'il soit limité au strict nécessaire, et estiment que ses dispositions n'ont pas été conçues pour être appliquées indéfiniment. Cette demande a été également critiquée par les pays en développement, notamment l'Inde et l'Egypte.

De son côté, l'Union européenne propose de renforcer les disciplines pour les subventions autres que celles qui sont directement interdites. Elle demande la clarification de la notion de « subventions déguisées », qui soutiennent de fait l'activité commerciale d'une industrie, l'extension des disciplines aux entités effectivement contrôlées par l'Etat et agissant sur une base non commerciale et l'articulation de l'accord anti-subvention avec celui de l'OCDE sur les crédits publics à l'exportation, ainsi que l'amélioration de l'exhaustivité et de la qualité des notifications de subventions à l'OMC.

¬ Les subventions aux pêcheries

Les discussions sur les subventions aux pêcheries opposent deux groupes.

D'une part, les « amis des poissons » (Australie, Chili, Equateur, Islande, Nouvelle Zélande, Norvège, Pérou et Philippines et Etats-Unis) considèrent que l'impact des subventions aux pêcheries sur la conservation des stocks halieutiques justifie un traitement spécifique de ce secteur. A leurs yeux, un travail d'identification et de classement des subventions au regard de leur impact défavorable sur l'environnement est nécessaire. Les Etats-Unis proposent, quant à eux, d'étendre la catégorie des subventions prohibées aux subventions aux pêcheries qui promeuvent la surcapacité ou la surexploitation des ressources ou entraînent des effets perturbateurs directs sur le marché.

Un groupe opposé à cette approche, constitué de la Corée, du Japon et de l'Union européenne, conteste l'argumentation des « amis des poissons » tant sur l'impact environnemental des subventions aux pêcheries que sur le caractère spécifique de ce secteur au regard des règles de l'accord sur les subventions. La position communautaire, fondée sur la réforme de la politique commune de la pêche de décembre 2002, propose un classement des subventions en fonction de leur impact sur la capacité de pêche, les subventions - sociales notamment - accompagnant les efforts de réduction de la capacité de la pêche étant à classer dans la catégorie des subventions non actionnables.

¬ Deux secteurs sensibles volontairement exclus

La construction aéronautique

Les négociateurs des accords de Marrakech, constatant le désaccord persistant entre l'Union européenne et les Etats-Unis, avaient renvoyé à la fin de l'année 1994 la conclusion d'un accord spécifique sur les subventions à l'aéronautique civile. Puis, les autorités américaines s'étant opposées à la conclusion d'un tel accord, le secteur aéronautique n'a été finalement soumis qu'à l'accord général sur les subventions, auquel les négociateurs ont rajouté des notes de bas de page établissant des dérogations spécifiques pour la construction d'avions. Ainsi, le seuil de déclenchement de la présomption de préjudice (5 % de subventionnement) ne s'applique pas à l'aéronautique et le non-remboursement d'une avance ne constitue pas un abandon de créance créant une présomption de préjudice.

Sur un plan exclusivement bilatéral, les Etats-Unis et l'Union européenne ont conclu, en 1992, un accord sur le sujet, qui plafonne les subventions indirectes (comme les contrats américains de recherche et développement) à 3 % du chiffre d'affaires de l'avionneur et autorise l'Europe à accorder des prêts à Airbus pour concevoir son nouvel appareil plafonnés à 33 % des coûts totaux de développement. L'application de cet accord suscite parfois des tensions entre les deux parties, les dernières ayant eu lieu en avril 2001 lorsque les Etats-Unis ont souhaité obtenir garanties concernant le financement du projet du Superjumbo d'Airbus, l'A380.

En 1999, l'Europe a renoncé à faire inscrire le principe d'une négociation sur les subventions à l'aéronautique à l'OMC, estimant que les Etats-Unis n'accepteraient jamais une transparence de leur système d'aides.

La construction navale

La construction navale est le deuxième grand secteur industriel échappant de fait aux disciplines de l'OMC, en raison de leur faible capacité à appréhender les pratiques de subventions déguisées. Les tentatives de mise en œuvre d'accords sectoriels ont par ailleurs échoué. Ainsi, en décembre 1994, les principaux Etats constructeurs, la Corée, le Japon, les Etats-Unis et l'Union européenne, qui concentrent 80 % des industries, ont signé un « Accord sur le respect des conditions normales de concurrence », qui n'est jamais entré en vigueur, faute d'avoir été ratifié par les Etats-Unis. D'autre part, le 22 juin 2000, la Corée et l'Union européenne ont signé un accord sur la construction navale, que la Corée a finalement refusé d'appliquer. L'Europe a décidé, en octobre 2002, de déposer une plainte à l'OMC contre la Corée, après que les constructeurs européens aient fait part de pratiques de subventions de « restructuration » (sous la forme de remises de dette notamment) accordées par des entreprises possédées ou contrôlées par l'Etat coréen. Elle a également décidé de soutenir les négociations de l'OCDE, ouvertes en septembre 2002, relatives à la conclusion d'un accord visant à normaliser les conditions de concurrence dans le secteur de la construction navale.

3) Une mécanique de négociation à réformer

Qualifiée à deux reprises, après les échecs de Seattle et de Cancún, d'« organisation médiévale » par le Commissaire européen en charge du commerce extérieur, l'OMC doit réformer ses méthodes de travail, afin d'éviter la paralysie.

De son côté, l'USTR, M. Robert Zoellick, a également émis le souhait, quelques heures après la clôture de la Conférence de Cancún, que l'OMC se réforme pour qu'elle ne se transforme pas en Assemblée générale de l'ONU.

Il ne faut pas essayer de tout refaire, car les principes qui fondent l'OMC doivent être préservés : le caractère intergouvernemental de l'organisation, le consensus, la libre négociation et acceptation de normes contractuelles et l'existence de mécanismes destinés à assurer le respect des engagements.

D'autre part, toute tentative destinée à changer les règles de l'OMC à l'unanimité est vouée à l'échec.

C'est pourquoi il convient de proposer des mesures opérationnelles, afin de rendre l'OMC plus efficace et plus ouverte.

a) Une OMC plus efficace

¬ Le mécanisme de négociation doit concilier efficacité, transparence et participation des membres.

La conduite de négociations au sein de groupes restreints demeurera une nécessité pour la vie de l'organisation, mais il doit être clair qu'ils ne peuvent en aucun cas se substituer aux organes compétents de l'OMC dans le processus de décision.

En outre, la participation des membres de l'OMC aux consultations informelles doit impérativement refléter les différents niveaux de développement représentés à l'OMC. Le directeur général de l'OMC doit conserver la capacité de convoquer des réunions restreintes et, le cas échéant, ajuster la participation en fonction du sujet traité ou de la circonstance.

Par ailleurs, la Commission européenne a proposé d'instituer un groupe consultatif, formel ou informel, représentatif des membres de l'OMC, conseillant le directeur général et pouvant formuler, quand cela est nécessaire, des recommandations au Conseil général. L'objectif est de créer un nouvel organe intermédiaire, qui assurerait une représentation régionale équilibrée, afin de garantir une participation adéquate des PMA et des ACP.

Le Commissaire européen Pascal Lamy a évoqué devant la Délégation pour l'Union européenne d'autres pistes concernant les structures, qui consistent à se pencher la périodicité des réunions, l'attribution d'un minimum de droit d'initiative au directeur général de l'OMC dans l'adoption des ordres du jour, le réexamen de la rotation annuelle des présidences de groupes de négociation et la constitution d'un « collectif de présidents ».

¬ La mise en place d'une procédure de décision simplifiée doit être aussi étudiée. Afin de ne pas remettre en cause le principe du consensus, cette procédure ne devra s'appliquer qu'aux sujets qui n'affectent ni les droits ni les obligations des membres de l'OMC. Le directeur général pourrait être chargé d'identifier les différentes catégories de décision prises par les membres, afin d'examiner la faisabilité et la portée d'une telle réforme.

b) Une OMC plus ouverte

Les négociations de l'OMC étant devenues un sujet de préoccupation majeur pour les citoyens, leurs représentants doivent être davantage associés aux négociations multilatérales.

Depuis Seattle, une rencontre des parlementaires faisant partie des délégations officielles des membres est organisée lors de chaque Conférence ministérielle, mais cette réunion n'est pas officiellement adossée à la Conférence. Il convient d'attribuer à cette assemblée temporaire, qui a pris l'initiative d'adopter à chaque sommet de l'OMC une déclaration, un rôle plus formel.

Dans l'intervalle séparant les conférences ministérielles, il serait souhaitable de mettre en place un réseau international parlementaire de suivi des négociations de l'OMC, exerçant une double fonction d'information et de contrôle. L'Union interparlementaire pourrait exercer cette activité.

L'OMC doit aussi répondre aux attentes de la société civile, en choisissant des modalités diverses d'association de ces dernières, comme la création d'un statut spécial d'observateur pour les ONG auprès du Conseil général ou d'un comité consultatif de la société civile auprès de l'Organisation pouvant formuler des avis au directeur général, voire au Conseil général.

B. Un système de règlement des différends devenu incontournable

Le système de règlement des différends représente un autre grand acquis du cycle d'Uruguay, pour l'Union européenne comme pour ses partenaires, parce qu'il vise à interdire l'unilatéralisme comme mode de résolution des conflits commerciaux.

Ainsi, en cas de désaccord entre les membres de l'OMC sur la portée de leurs engagements, chacun d'entre eux peut recourir à un arbitre indépendant et crédible, dont les procédures doivent être toutefois améliorées pour gagner en efficacité.

1) Un organisme au bilan « jurisprudentiel » globalement satisfaisant

a) Un garant de l'égalité des membres

Au total, l'ORD avait été saisi de 302 affaires au 31 octobre 2003.

Le bilan quantitatif des panels gagnés et perdus souligne avec force que ce mécanisme n'est pas un instrument au service exclusif de quelques-uns : il fonctionne au bénéfice de tous les membres, comme l'indiquent les tableaux ci-après.

Plaintes déposées par

 

Plaintes déposées contre

UE

USA

PVD

 

UE

USA

PVD

62

76

102

 

47

81

103

Rapports adoptés

 

Rapports adoptés

UE

USA

PVD

 

UE

USA

PVD

23

20

28

 

8

26

25

Affaires gagnées par

 

Affaires gagnées par

UE

USA

PVD

 

UE

USA

PVD

21

17

25

 

3

5

1

% d'affaires gagnées par rapport au nombre de plaintes déposées par

 

% d'affaires gagnées par rapport au nombre de plaintes déposées contre

UE

USA

PVD

 

UE

USA

PVD

33 %

22 %

26 %

 

6,5 %

6 %

1 %

Source : DREE.

Les pays en développement font un usage croissant du mécanisme de règlement des différends, et avec succès : c'est bien le signe que l'ORD est un arbitre accessible à tous les membres.

Ils souhaitent néanmoins voir leurs besoins spécifiques davantage reconnus dans la procédure contentieuse, et proposent, à cet effet, d'être autorisés à retirer des concessions en cas de non mise en conformité par un pays développé de sa politique commerciale avec les recommandations de l'ORD et de rendre obligatoire l'examen par les panels de la prise en compte de leurs intérêts particuliers.

Tel est le sens des demandes formulées par le groupe des « like-minded countries » animé par l'Inde et qui comprend Cuba, la Malaisie, le Pakistan, le Honduras, la Jamaïque, le Sri Lanka, la Tanzanie et le Zimbabwe.

Le groupe africain et le groupe des PMA ont formulé des propositions similaires, mais plus radicales, visant notamment à introduire des mesures de rétorsion collectives en cas de maintien après la condamnation d'une mesure préjudiciable à un pays en développement, obliger les rapports des panels à comporter une partie indiquant la façon dont il a été tenu compte des dispositions relatives au traitement spécial et différencié et interdire la suspension de concessions à l'égard des PMA. Le groupe des PMA demande également qu'en cas de différend entre un pays développé et un pays en développement, il soit fait obligation au panel de comprendre au moins un membre originaire d'un pays en développement et deux si le pays en développement en fait la demande et qu'en cas de différend impliquant un pays en développement et un PMA, la même règle soit appliquée s'agissant de membres originaires de PMA.

b) Une prise en compte des problématiques non commerciales limitée par les règles actuelles

L'ORD a été amené, à plusieurs reprises, à se prononcer sur la compatibilité de mesures commerciales prises sur le fondement d'objectifs autres que ceux de la libéralisation des échanges avec les règles de l'OMC. C'est ainsi que la réglementation communautaire interdisant la production et l'importation de viande aux hormones dans la Communauté a été jugée, en août 1997, non conforme aux dispositions de l'Accord sur les normes sanitaires et phytosanitaires (SPS).

Cette décision, qui est devenue pour les « antimondialistes » emblématique d'une OMC soumise à une logique exclusivement




marchande, ne doit pas faire oublier que l'ORD reconnaît la légalité de certains principes essentiels pour nos citoyens :

- dans le conflit « tortues crevettes », l'Inde, la Malaisie, le Pakistan et la Thaïlande, ont attaqué la réglementation des Etats-Unis imposant aux pêcheurs l'utilisation de dispositifs empêchant la pêche simultanée de tortues marines protégées et de crevettes. L'ORD a estimé en 1998 que les tortues sont une ressource naturelle épuisable, dont la conservation est un objectif consacré par le GATT. Il a donc reconnu la pertinence des objectifs poursuivis par les Etats-Unis, tout en considérant que les mesures américaines étaient discriminatoires, car ne tenant pas compte des mesures équivalentes prises par les pays exportateurs ;

- selon le rapport rendu par l'Organe d'appel de l'ORD dans l'affaire du « bœuf aux hormones » en janvier 1998, le principe de précaution est effectivement pris en compte par l'accord SPS, mais il n'a pas été incorporé dans l'accord comme un motif pouvant justifier des mesures incompatibles avec les obligations des membres énoncées dans les dispositions dudit accord. L'Europe a donc été condamnée pour avoir pris une mesure d'interdiction en l'absence d'éléments scientifiques suffisants. Selon la Commission européenne, l'entrée en vigueur, le 15 octobre 2003, d'une nouvelle directive interdisant l'administration de six hormones de croissance au bétail, fondée sur une évaluation scientifique plus complète, doit permettre d'obtenir à l'OMC la levée des sanctions américaines ;

- en mars 2001, l'Organe d'appel a donné raison à la Communauté européenne concernant l'interdiction de l'importation d'amiante, en estimant que les membres de l'OMC ont le droit « d'établir leur propre niveau de protection sanitaire, lequel peut être plus élevé que celui qu'impliquent les normes, directives et recommandations existantes ».

Il n'est donc pas exact de dire que l'ORD ignore des objectifs publics aussi essentiels que la protection de l'environnement et de la santé humaine. En revanche, cet organisme ne prend ces objectifs en compte que dans la mesure où les accords de l'OMC l'autorisent à le faire. Dans le cas du GATT, l'article XX précise que rien dans l'accord, sous réserve que les mesures en question ne constituent un moyen de discrimination entre les pays où les mêmes conditions existent ou une restriction déguisée au commerce international, n'interdit aux parties d'appliquer des mesures nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux (paragraphe b) ou se rapportant à la conservation des ressources naturelles épuisables (paragraphe g).

Aussi, la reconnaissance des préoccupations non commerciales n'est-elle que partielle, mais cela tient au droit même de l'OMC, qu'il convient de modifier, afin d'assurer une plus grande cohérence entre les normes commerciales et les autres.

2) Des procédures à améliorer

a) Un problème certain d'exécution des décisions

L'affaire des Foreign Sales Corportation ou FSC est révélatrice d'une tendance de plus en plus marquée du contentieux de l'OMC à se déplacer des questions de fond vers des questions d'exécution.

Les Etats-Unis ont été condamnés en 1999 dans cette affaire, au motif que les sociétés d'exportation régies par le système des FSC institué en 1984 contrevenaient aux dispositions de l'accord sur les subventions. Le régime des FSC a été abrogé en novembre 2000 par l'ETI Act, mais cette loi n'a pas modifié, selon la Commission européenne, la substance du dispositif déclaré incompatible par l'OMC. A nouveau saisi, l'ORD a soutenu en août 2001, puis en appel en janvier 2002, la position de l'Europe, qui a été autorisée à appliquer des sanctions pour un montant de 4 milliards de dollars, l'« amende » la plus importante de l'histoire de l'OMC. L'Europe n'a pas encore appliqué de mesures de rétorsion, car elle attend l'adoption d'un texte abrogeant les dispositions fiscales en cause, actuellement examiné par le Congrès, mais elle est prête, puisque la Commission a proposé, le 5 novembre 2003, d'instaurer graduellement des droits supplémentaires à l'importation (5 % le 1er mars prochain, puis 17 % un an après) sur une série de produits en provenance des Etats-Unis.

Ainsi, dès lors que les parties à une affaire divergent sur l'interprétation de la décision adoptée par l'ORD ou que la partie plaignante conteste la mise en conformité de la réglementation par la partie défenderesse, l'ORD apparaît comme un arbitre désarmé, susceptible de perdre sa crédibilité et son autorité.

Il faut donc le doter des moyens de son efficacité.

Dans cette perspective, un rapport de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris d'avril 2003 présenté par M. Jean-Yves Durance recommande de donner une force exécutoire aux décisions de l'ORD, qui pour l'instant ne revêtent qu'une force obligatoire, puisque le Mémorandum d'accord sur le règlement des différends précise que les parties sont appelées à faire part de leurs intentions pour la mise en œuvre des recommandations. Il propose en outre de pourvoir l'ORD d'une procédure de référé, qui serait notamment très utile pour les affaires antidumping où a été constaté un recours croissant à la procédure d'appel pour retarder le processus de règlement des différends(25). Enfin, le rapport préconise la création d'une procédure préventive, permettant de saisir l'ORD d'une demande d'examen de menaces commerciales subies par un Etat.

b) Une position européenne axée sur le renforcement de l'efficacité de procédures

L'Union européenne a transmis les propositions de réforme de l'ORD les plus ambitieuses, qui prévoient :

- l'institution d'un corps de « panélistes » permanents (entre 15 et 24 personnes), afin d'assurer la professionnalisation des membres de groupes spéciaux ;

- l'augmentation du nombre de membres de l'Organe d'appel et l'extension de leur mandat à six ans non renouvelable (actuellement quatre renouvelable) ;

- la clarification de l'articulation entre les procédures de vérification de la conformité d'une mesure avec les accords OMC (article 21.5 du Memorandum) et celles conduisant à la suspension de concessions (article 22) ;

- la création d'un mécanisme de renvoi devant le panel en cas de faits insuffisants pour que l'Organe d'appel puisse se prononcer ;

- la facilitation du recours aux compensations commerciales, en cas de condamnation, par rapport aux suspensions de concessions, potentiellement coûteuses pour les pays en développement et remettant en cause la prévisibilité des relations commerciales multilatérales ;

- l'interdiction expresse de la modification des suspensions selon la méthode américaine du « carrousel », qui permet une rotation des sanctions par type de produits.

c) Une volonté de reprise en mains du côté des Etats-Unis

La position des Etats-Unis à l'égard de la réforme de l'ORD revêt un double aspect.

D'une part, ils souhaitent renforcer la transparence des procédures et ont soumis dans ce but une première série de propositions centrées sur la publicité des débats, la publication des communications et des rapports au moment de leur transmission aux parties et la reconnaissance du droit pour les panels et l'Organe d'appel d'accepter des communications pendant la procédure (amicus curiae). Ces aspects suscitant l'hostilité des pays en développement, ils n'ont pas été repris par la proposition du Président du groupe de négociation sur l'ORD.

D'autre part, craignant que les recommandations des panels n'aboutissent à créer une « jurisprudence » entravant l'utilisation de leurs instruments de défense commerciale, les Etats-Unis souhaitent limiter les risques de dérive de l'ORD vers un « gouvernement des juges ».

A cet égard, l'affaire de la « section 301 » a été vécue par ce pays comme un tournant. Les Etats-Unis n'ont pu sauver cette disposition de la loi fédérale sur le commerce extérieur de 1974 qu'en renonçant à son usage, comme l'a reconnu une décision rendue le 22 décembre 1999 par l'ORD. Cette disposition permet aux Etats-Unis de prendre des sanctions contre un Etat qui méconnaîtrait leurs droits, violerait un accord ou restreindrait leur commerce, alors que les accords de l'OMC attribuent à cette dernière l'exclusivité du pouvoir d'adopter des sanctions en cas de violation des accords. L'Europe ayant sollicité la condamnation des Etats-Unis, l'ORD n'a pas conclu à la contrariété de la section 301 avec les règles de l'OMC, au motif que cet article n'est plus effectif : le groupe spécial a, en effet, fait état des engagements de l'administration américaine et validés par le Congrès américain selon lesquels un tel pouvoir ne sera plus utilisé sans que l'ORD ait apprécié au préalable le comportement reproché(26).

Ainsi, à cette occasion, l'ORD a placé l'une des pièces maîtresses de la législation commerciale américaine sous sa surveillance.

Depuis lors, les Etats-Unis souhaitent éviter de renouveler cette expérience avec leurs autres lois relatives à la défense commerciale, notamment celles concernant l'antidumping et les mesures compensatoires à l'égard de subventions. C'est la raison pour laquelle ils ont présenté avec le Chili une proposition destinée à « améliorer la flexibilité et le contrôle des membres sur le processus de règlement des différends ». Elle prévoit notamment de :

- permettre aux parties, après l'examen du rapport intérimaire du panel, de supprimer d'un commun accord les conclusions du document qui ne sont pas nécessaires ou utiles à la résolution du différend ;

- autoriser l'ORD à ne pas adopter certaines parties du rapport du panel ;

- accorder aux parties le droit de suspendre d'un commun accord les procédures engagées devant les panels et l'organe d'appel, afin de donner plus de temps à la résolution diplomatique du différend.

Cette proposition vise, selon ses propres termes, à éviter que la jurisprudence des panels et de l'organe d'appel ne soit amenée à aller au-delà de la lettre même des règles et à interpréter ces dernières, en comblant les lacunes ou les silences, d'une manière non envisagée par les négociateurs des accords. Elle a été perçue par de nombreux membres de l'OMC comme risquant d'affaiblir l'indépendance de l'ORD.

C. Des solutions alternatives irréalistes

Le dernier argument plaidant en faveur de l'OMC est que les solutions alternatives au multilatéralisme ne sont ni crédibles ni durables.

1) Le bilatéralisme et le régionalisme

Au 31 décembre 2002, 259 accords commerciaux régionaux avaient été notifiés à l'OMC, 176 d'entre eux étant entrés en vigueur.

Ces chiffres conduisent certains commentateurs à penser que le constat du décès du multilatéralisme devra bientôt être dressé, car la négociation d'accords de libre-échange régionaux et bilatéraux, qui a pris son élan depuis les années 1980, ne pourra que s'accélérer avec l'échec de Cancún.

Ainsi, quasiment un mois après la Conférence, le 7 octobre 2003, les dix pays d'Asie du Sud-Est ont décidé de constituer un marché commun à l'horizon 2020.

De son côté, le ministre sud-africain du commerce et de l'industrie, M. Alec Erwin, a déclaré que l'Afrique du Sud, le Brésil, la Chine et l'Inde discutaient de l'opportunité de conclure entre eux des accords commerciaux.

Plus grave encore selon ces commentateurs, les Etats-Unis ont annoncé, toujours au lendemain de Cancún, qu'ils activeraient leur politique de négociation d'accords de libre-échange régionaux et bilatéraux, ce qui a été perçu comme un changement fondamental de leur stratégie commerciale.

Celle-ci est centrée sur la notion de « libéralisation compétitive », qui consiste à mener de front des négociations à tous les niveaux, bilatéral, régional et multilatéral.

Il y a derrière cette stratégie ambitieuse une volonté de rattrapage de l'Union européenne, qui est l'ensemble commercial du monde lié par le grand nombre d'accords de libre-échange (plus de trente). A ce jour, les Etats-Unis ne sont partie qu'à un accord commercial régional (l'ALENA, comprenant le Canada et le Mexique) et à deux accords bilatéraux, avec Israël et la Jordanie. Le 1er août 2003, le Congrès a ratifié les accords de libre-échange avec le Chili et Singapour et l'USTR mène actuellement des négociations commerciales couvrant 39 pays, les 31 de la Zone de libre-échange des Amériques, les 5 de l'Union douanière d'Afrique australe, le Maroc, l'Australie et Bahreïn, avec un objectif de conclusion des négociations d'ici 2004 au plus tard.

La politique américaine de libéralisation « tous azimuts » peut-elle se focaliser, après l'échec de Cancún, sur les seuls niveaux du bilatéral et du régional ?

Le rapporteur ne le croit pas, car de nombreux pays en développement n'accepteront pas de négocier sur un plan purement bilatéral ou régional avec les Etats-Unis.

Il suffit de prendre l'exemple du Brésil, qui cherche maintenant à relancer le cycle, et est conscient qu'en matière agricole il obtiendra bien plus à l'OMC que dans le cadre la seule Zone de libre-échange des Amériques.

En effet, le caractère égalitaire de l'OMC garantit un résultat des négociations équilibré, ce qui n'est pas nécessairement le cas des exercices plus restreints où priment les rapports de force propres à la diplomatie commerciale.

En outre, si le bilatéralisme et le régionalisme peuvent être des précurseurs et des compléments utiles du multilatéralisme, seule l'OMC est en mesure de conférer à des concessions et à des disciplines une portée universelle et contraignante, et donc d'encadrer les échanges commerciaux à l'échelle de la planète.

2) Le recours systématique au contentieux

Une autre solution irréaliste consisterait à ne plus négocier à l'OMC et laisser peu à peu l'ORD dire seul le droit dans cette organisation.

Dans ces conditions, le spectre du « gouvernement des juges » prendrait corps, ce qui créerait de telles tensions entre les membres qu'elles aboutiraient à faire imploser l'OMC : en effet, aucun membre ne peut accepter qu'un droit formulé par des experts se substitue au droit contractuel des accords commerciaux.

Aussi, la politique doit-elle reprendre tous ses droits à l'OMC.

D. Pour une politique commerciale européenne résolument multilatérale et davantage intégrée

1) Confirmer l'engagement européen en faveur du multilatéralisme

Le multitéralisme doit rester au centre de la stratégie commerciale européenne : telle est la conviction du rapporteur, qui se félicite que le Conseil européen de Bruxelles d'octobre 2003 ait adopté, sur le sujet, des conclusions soulignant qu'« en matière de politique commerciale, l'Union européenne reste attachée à l'approche multilatérale. Aussi, l'Union européenne devrait-elle continuer d'envisager favorablement une reprise rapide des négociations dans le cadre de l'Agenda de Doha pour le développement ».

Vouloir organiser la mondialisation sans l'OMC reviendrait à diviser le monde en trois pôles, centrés sur l'Asie, l'Europe et l'Amérique, dont les frictions pourraient avoir de redoutables conséquences commerciales et économiques.

En outre, cette polarisation du système commercial ne pourrait que marginaliser davantage les pays les moins avancés, alors qu'ils se sentent déjà exclus de l'économie globale, ou les obliger à s'aligner sur un ensemble particulier, créant ainsi une relation de dépendance qui ne peut être viable sur le long terme.

Le repli sur soi ou sur des ensembles régionaux n'est pas une solution : dans le monde ouvert de la mondialisation, il est de notre devoir de travailler à une plus grande solidarité entre les peuples, dont l'OMC doit être l'un des outils.

2) Renforcer l'efficacité de la politique commerciale et de la politique étrangère commune

Le rapporteur se réjouit que le projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe, adopté par la Convention les 13 juin et 10 juillet 2003, et actuellement discuté dans le cadre de la Conférence intergouvernementale, ait généralisé le vote à la majorité qualifiée en matière de politique commerciale, sous réserve de deux exceptions.

La première concerne l'« exception culturelle » et a été introduite à la demande des conventionnels français. Elle prévoit que le Conseil statue à l'unanimité pour les accords concernant les services culturels et audiovisuels lorsque ces accords risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Europe.

En outre, le projet maintient le vote à l'unanimité du Conseil pour la négociation et la conclusion d'accords sur le commerce des services impliquant des déplacements de personnes et les aspects de propriété intellectuelle lorsque ceux-ci comprennent des dispositions pour lesquelles l'unanimité est requise pour l'adoption de règles internes.

La politique commerciale commune relève désormais de l'Union pour l'ensemble des domaines, alors que dans le cadre du traité de Nice, non seulement les services culturels et audiovisuels, mais aussi les services d'éducation et de santé restent des domaines de compétence partagée entre l'Union et les Etats membres et impliquent des décisions à l'unanimité soumises à la ratification par les Etats membres.

Cette évolution constitue à la fois une garantie d'efficacité de la politique commerciale, car elle permet d'éviter des blocages injustifiés, et une garantie d'équilibre, car la majorité qualifiée incite à prendre les décisions de manière consensuelle, ce qui contraindra la Commission européenne à ne pas aller contre la volonté de plus d'un Etat membre.

L'élargissement aurait compromis la capacité à agir de l'Europe à l'OMC : le maintien de l'unanimité ne pouvait permettre à une Union de 25 Etats membres de conclure de manière efficace des accords à l'unanimité dès lors qu'il était facile à des pays tiers de la diviser.

Par ailleurs, le projet constitutionnel prévoit une avancée majeure en matière de politique extérieure, qui donnera enfin une « voix » diplomatique à l'Europe unie : la création d'un poste de ministre des affaires étrangères de l'Union.

Ce dernier réunit les fonctions de Haut Représentant de la politique étrangère et de sécurité commune et de Commissaire européen chargé des relations extérieures. Il disposera de pouvoirs étendus vis-à-vis du Conseil des Affaires étrangères, autre innovation du projet de Constitution, puisqu'il en présidera les réunions tout en bénéficiant du droit d'initiative. Au sein de la Commission, dont il sera le vice-président, il sera non seulement chargé de la PESC, mais aussi de la coordination des autres aspects de l'action extérieure de l'Union, c'est-à-dire la politique commerciale et la coopération au développement.

Le ministre des affaires étrangères de l'Union pourra donc défendre le message de l'Europe en matière de gouvernance de la mondialisation. La stratégie commerciale communautaire aura donc d'autant plus de force qu'elle s'inscrira dans une démarche et une action globales.

IV. LE COURT TERME : S'ENGAGER EN FAVEUR D'UNE « DISCRIMINATION POSITIVE » AU SERVICE DES PAYS DU SUD ET D'UNE LIBERALISATION MAITRISEE DES ECHANGES

Quels doivent être les moyens d'une relance des négociations ?

L'ordre du jour adopté à Doha ne doit pas être modifié, car il est le fruit de compromis, dont les délicats équilibres reflètent les intérêts des uns et des autres, et l'accord fondamental des membres d'ouvrir, sur cette base, un nouveau cycle.

Mais celui-ci doit tenir compte de deux contraintes, dont le respect conditionnera, aux yeux des participants, et notamment ceux en développement, la légitimité du cycle.

D'une part, la négociation doit, dans le cadre de l'objectif global de développement assigné au programme de travail de Doha, promouvoir la notion de responsabilité commune mais différenciée des membres en développement pour la mise en œuvre des engagements existants et à venir. L'égalité doit rester au cœur des principes du multilatéralisme, mais celui-ci doit donner plus de place à l'équité.

Le but n'est pas d'exempter de manière permanente les pays en développement des disciplines de l'OMC, mais d'affiner les obligations qui pèsent sur eux en fonction de leurs besoins, pour donner aux pays pauvres le temps et les moyens de participer de manière équitable à l'échange international. C'est pourquoi il convient aussi de traiter de manière plus différenciée les pays du Sud, afin de distinguer ceux qui sont vulnérables des pays émergents.

D'autre part, les négociations ne doivent pas remettre en cause les objectifs publics fondamentaux des membres, qu'ils soient développés ou en développement, notamment en ce qui concerne la santé publique et la souveraineté alimentaire. Certains secteurs doivent être « sanctuarisés » à l'OMC, car ils touchent à l'équilibre ou à l'identité même des sociétés.

Cela implique pour l'Europe de mener une véritable bataille de communication auprès de ceux qui n'acceptent pas cette vision des négociations.

Ce combat sera difficile, mais peut être remporté, car les positions en présence ne sont pas monolithiques. Il n'existe pas en effet de camp uniformément « ultralibéral » pour tous les domaines de négociation, qui s'affronterait avec un autre camp, plus soucieux de marquer des limites justifiées à l'ouverture des marchés : si les Etats-Unis exercent une pression considérable sur le marché audiovisuel mondial, qui vise à remettre en cause l'exception culturelle, ils ont aussi, dans un autre domaine sensible, fait le choix de défendre une politique agricole forte à l'OMC.

A. Négocier un système d'obligations adapté aux besoins des pays en développement

La question de la place des pays en développement dans le système commercial multilatéral est au cœur de l'ordre du jour du cycle. Après l'échec de Cancún, sa résolution est devenue le préalable obligé à toute relance des négociations.

1) La problématique générale

Quelles solutions peuvent être avancées dans ce domaine ?

Beaucoup croient à la nécessité d'instituer un système « à deux vitesses » où les seuls pays développés seraient soumis à l'ensemble des disciplines multilatérales, les pays en développement en étant partiellement ou totalement exemptés, de manière définitive.

Le Commissaire européen en charge du commerce extérieur, M. Pascal Lamy, a ainsi indiqué au rapporteur, qu'en matière de protection tarifaire, deux vitesses sont déjà appliquées pour les pays développés, d'une part, et les pays en développement d'autre part. Ce système pourrait être complété par une distinction générale entre ce qui, à l'OMC, relève de l'ouverture des marchés, d'une part, et ce qui relève des règles, d'autre part, comme l'accord sur la propriété intellectuelle. Dans cette partie « règles » de l'OMC, le principe du plurilatéralisme serait appliqué : les règles ne s'imposeraient pas à tous les membres, mais uniquement à ceux qui y souscriraient, la possibilité étant laissée aux membres qui ne le font pas tout de suite de rejoindre plus tard les membres de ce « noyau dur ». C'est déjà le cas, par exemple, de l'Accord sur les marchés publics.

Si elle crée un système souple et ouvert, cette solution présente un double inconvénient.

D'une part, elle remet en cause le principe d'un cadre commun protecteur pour les PMA et les pays à faibles revenus, qui sont les membres de l'OMC les moins aptes à adopter des politiques ayant des effets de distorsion sur les échanges et qui ont le plus à perdre des politiques discrétionnaires des pays développés.

D'autre part, elle remet en cause le principe de l'engagement unique. L'option du plurilatéralisme pour les accords de Marrakech crée moins un système à deux vitesses, dont le but ultime est l'intégration de tous les membres dans la « maison commune », qu'une OMC à la carte, qui remettrait en cause la loi contractuelle fondant les accords de Marrakech.

Il convient donc de mettre en place un système de discrimination positive reposant sur le respect des règles multilatérales, mais offrant aussi aux pays en développement suffisamment de souplesse pour mettre en œuvre les engagements contractés. Il pourrait être assorti de dérogations permanentes aux règles, mais uniquement lorsque ces exceptions se justifient au regard de la situation d'un pays vulnérable.

Un tel système n'est toutefois envisageable qu'à la condition d'accorder de telles dérogations aux pays qui en ont plus besoin. Autrement dit, pour lui donner une véritable pertinence, tous les pays en développement ne doivent pas en bénéficier, ce qui doit conduire à l'introduction d'une plus grande différenciation entre les pays du Sud.

2) Différencier davantage les pays du Sud pour affiner les dérogations et les périodes de transition

¬ Différencier davantage les pays en développement

La différenciation est un sujet tabou à l'OMC.

Pourtant, les alliances apparues à Cancún ne peuvent que nous inciter à penser qu'elle existe déjà dans les faits et les têtes : les pays du G21 n'ont pas les mêmes revendications que celles du G90.

L'OMC distingue actuellement trois catégories de membres : les pays développés, les pays en développement, qui s'autoproclament comme tels, ce qui aboutit à associer des pays aussi peu comparables que Taiwan, le Maroc ou le Nigeria, et les PMA. Cette dernière catégorie a été établie en 1971 par l'ONU et regroupe actuellement 49 pays, classés en fonction d'un critère de revenu (PNB par habitant inférieur à 765 dollars), d'un critère de qualité de vie (espérance de vie, consommation calorique, scolarisation pour le primaire et le secondaire) et d'un indice de diversification économique.

De toute évidence, ce classement est trop « grossier » pour être satisfaisant.

C'est pourquoi les pays en développement doivent accepter le principe d'une plus grande différenciation, qui d'ailleurs existe déjà dans d'autres organisations internationales :

- la Banque mondiale distingue ainsi les pays à faible revenu (moins de 735 dollars par habitant), les pays à revenu intermédiaire, tranche inférieure (entre 736 et 2 395 dollars, comme l'Egypte, la Namibie, la Chine), les pays à revenu intermédiaire, tranche supérieure (entre 2 936 et 9 075 dollars, comme l'Afrique du Sud, le Brésil, la Malaise, le Chili) et les pays à revenu élevé ;

- dans le domaine agricole, la FAO reconnaît la notion de pays à faible revenu et à déficit vivrier, soit 82 pays qui ont droit aux prêts concessionnels de l'Association internationale pour le développement de la Banque mondiale (pays dont le revenu par habitant est inférieur à 875 dollars) et connaissent une situation nette du commerce des produits alimentaires déficitaire depuis trois ans.

¬ Une discrimination positive encadrée et temporaire

Les accords de Marrakech suscitant le plus de difficultés pour les pays pauvres sont ceux qui affectent leur réglementation interne.

A partir de ce constat, plusieurs propositions ont été émises par la Banque mondiale dans son rapport sur les perspectives économiques globales 2003 pour adapter les règles de l'OMC à la situation particulière de chaque pays en développement. Elles prévoient notamment les options suivantes :

- adopter une règle générale aux termes de laquelle les économies pauvres ou les petites économies seraient exemptées des accords dont la mise en œuvre et les gains potentiels qui y sont liés impliquent d'importants moyens. Un tel mécanisme devrait reposer sur un critère de revenu agréé par les membres de l'OMC et être assorti d'une procédure d'appel pour les pays souhaitant en bénéficier ;

- adopter une approche par accord, qui instituerait un système d'audit sur la mise en œuvre, afin d'identifier les règles suscitant des difficultés particulières et de déterminer des périodes de transition adaptées. La disponibilité de l'assistance technique et l'existence d'un plan d'action pour la mise en œuvre de ces règles serviraient de critères pour la définition des périodes de mise en œuvre ;

- adopter une approche par pays, combinant l'audit sur la mise en œuvre et l'établissement d'un mécanisme de surveillance. Cette approche reconnaîtrait la nécessité d'ajuster les périodes de transition sur la base d'une évaluation conduite par les organisations internationales compétentes (Banque mondiale, CNUCED, Programme des Nations unies pour le développement), à charge pour l'OMC de statuer sur la durée de la période de mise en œuvre et les demandes d'assistance technique.

3) Ne privilégier la solution « plurilatérale » que pour les sujets de Singapour

La solution plurilatérale paraît en revanche la plus adaptée pour les sujets de Singapour.

Autant cette solution semble dangereuse lorsqu'elle est retenue pour les accords déjà négociés, autant elle est justifiée pour convaincre les membres de l'OMC les plus réticents de négocier de nouvelles règles. Il serait d'ailleurs préférable de ne la retenir que pour les domaines suscitant le plus de méfiance, l'investissement et la concurrence.

Un accord politique sur l'application du plurilatéralisme aux négociations sur l'investissement et la concurrence présenterait deux avantages indéniables.

En premier lieu, l'Europe ne serait pas tenue de diluer davantage ses ambitions concernant le contenu des accords à négocier dans ces deux domaines, puisque les membres réticents auraient toute la liberté de souscrire ou de ne pas souscrire aux résultats obtenus à la fin du cycle.

En second lieu, cette approche permet de répondre aux préoccupations des pays en développement qui estiment qu'ils ne sont pas en mesure de gérer des négociations techniquement difficiles. Ils pourraient toutefois participer à ces négociations et décider à la fin de celles-ci de rejoindre ou non les autres membres, en s'appuyant sur leur propre évaluation des mérites des accords et de leur capacité à les « digérer ».

4) Renforcer l'assistance technique

A Doha, les membres ont pris des engagements sans précédent en matière d'assistance technique : aux termes de la Déclaration ministérielle, « la fourniture de l'assistance technique par l'OMC sera conçue pour aider les pays en développement, les pays les moins avancés à s'ajuster aux règles et disciplines de l'OMC concernant tant leurs obligations que leurs droits...L'assistance technique doit bénéficier d'un financement sûr et prévisible et qui soit en progression significative. »

Sur la base de ces engagements, a été mis en place le Doha Trust Fund, ou Fonds fiduciaire de Doha, alimenté par des contributions volontaires des membres développés et qui devait permettre de financer un programme de coopération technique pour 2003 de 24 millions de francs suisses. En 2002, les engagements ont atteint 21,5 millions de francs suisses, soit près du double des montants reçus en 2002. En décembre 2002, l'Union européenne y avait contribué pour près de 10 millions d'euros et la France pour 1 million d'euros.

Le montant de l'aide programmée est considéré par les pays en développement comme un test de la volonté des pays développés à tenir les promesses du cycle : c'est pourquoi la nécessité pour les pays donateurs de respecter leur part d'engagement constitue une priorité absolue de la relance des négociations.

En outre, l'efficacité de l'assistance technique doit être renforcée, le niveau de mise en œuvre du programme restant inférieur aux prévisions. Dans ce but, il convient de privilégier les actions de long terme, en réduisant les trop nombreux programmes de court terme. Les activités doivent être par ailleurs davantage ciblées et faire l'objet d'une réévaluation ; elles doivent être aussi assorties d'indicateurs de succès, afin d'affiner la pertinence des projets. Les compétences des fonctionnaires du siège de l'OMC doivent être rendues plus disponibles dans les régions en retard de développement, en permettant leur détachement, à l'instar des autres organisations internationales. L'implication des universités locales, la formation des formateurs et enfin l'articulation des activités de l'OMC avec celles des autres organisations, comme la CNUCED, doivent devenir des priorités. Ce dernier point implique de veiller à la complémentarité entre l'assistance technique de l'OMC et celle assurée par les deux programmes de coopération associant plusieurs organisations internationales : d'une part, le cadre intégré pour l'assistance technique liée au commerce en faveur des PMA (OMC, CNUCED, Banque mondiale, FMI, PNUD, Chambre de commerce international) et, d'autre part, le programme intégré d'assistance technique pour certains pays africains (CNUCED, Chambre de commerce international et OMC).

B. Adopter une grande initiative pour l'Afrique

La relance des négociations implique de restaurer la confiance des pays africains dans l'OMC, qui ont été ulcérés par le sort réservé au dossier du coton.

Il convient, dans cette perspective, de trouver une solution rapide à ce problème, qui s'inspire de la proposition des pays d'Afrique de l'Ouest et des initiatives de l'Union européenne. Cette dernière a déjà mis en place une politique assurant l'importation sans restrictions et sans droits de douane de tous les produits originaires des PMA, qui inclut le coton et tous les produits transformés de la chaîne cotonnière. La Commission européenne a par ailleurs proposé de supprimer les subventions aux exportations accordées aux produits présentant un intérêt pour les pays en développement, une suggestion qui selon elle devrait concerner en premier lieu le coton. Enfin, dans une communication de septembre 2003, elle a prévu d'étendre le principe du découplage des aides au secteur du coton, ce qui supprimerait tout risque d'incitation à la surproduction pouvant exister encore dans le système actuel de soutien.

De son côté, la France, le 24 octobre 2003, par la voix du Président de la République en déplacement au Mali, a proposé une action volontariste en faveur du secteur cotonnier en Afrique comprenant quatre volets :

- un programme régional d'amélioration de la compétitivité des filières cotonnières ;

- la définition par l'Union européenne d'une nouvelle approche de sa politique cotonnière qui ne crée pas de distorsions aux prix ;

- le soutien actif de l'Union européenne aux revendications africaines dans les négociations du cycle de Doha ;

- demander à l'Europe et à l'ensemble de la communauté internationale de mettre en place des mécanismes améliorés pour compenser les pertes de revenu des PMA, en s'appuyant notamment sur la Convention de Cotonou.

Par ailleurs, les trois propositions du Président de la République concernant l'Afrique et le commerce, exprimées à l'occasion du sommet France-Afrique, doivent être défendues à l'OMC.

Ces dernières ont déjà été adoptées à l'unanimité par le Conseil européen, avant d'être soumises au sommet du G8 d'Evian de juin 2003. Elles prévoient :

- de faire converger les différents régimes préférentiels accordés aux pays africains vers un système unique, qui soit calqué sur le plus offrant d'entre eux ;

- d'instituer un moratoire sur les subventions à l'exportation et les crédits à l'exportation sur l'Afrique durant le temps des négociations et de délier entièrement l'aide alimentaire ;

- de créer un groupe d'experts chargés de réfléchir aux mécanismes susceptibles d'assurer une protection des pays africains face aux fluctuations des cours des matières premières, la moitié des pays en développement dépendant des produits de base se trouvant dans l'Afrique subsaharienne.

Les pays du G8 ont accepté le principe de discussions sur la dernière proposition et ont adopté à cet effet une déclaration saluant les « efforts déployés actuellement par le groupe de la Banque mondiale pour examiner les bénéfices potentiels que pourraient avoir des mécanismes de marché effectifs pour atténuer l'impact sur ces pays des chocs affectant les marchés des produits de base et ceux liés aux conditions météorologiques ».

C. Préserver un acquis important : l'accès des pays pauvres aux médicaments brevetés

Pour la deuxième fois, les membres de l'OMC ont conclu un accord historique sur la question de l'accès des pays en développement aux médicaments brevetés, qui prévoit par ailleurs une exception, justifiée et limitée, aux disciplines multilatérales.

C'est là le signe incontestable que les membres de l'OMC peuvent avoir la volonté politique de faire primer un droit aussi essentiel que le droit à la santé sur les accords de Marrakech.

L'ADPIC a institué une durée de protection des brevets de vingt ans, qui met de facto les médicaments permettant de lutter contre les pandémies hors de la portée des pays en développement. En effet, ces derniers ne peuvent acquérir les médicaments brevetés, en raison de leurs coûts élevés, et de plus hésitaient, avant le compromis obtenu à Doha, à recourir aux flexibilités offertes par l'ADPIC, leurs conditions d'utilisation étant restrictives. Ainsi, ces dernières limitaient la portée du mécanisme des licences obligatoires prévu par l'ADPIC, et qui désignent les autorisations accordées par les Etats aux producteurs locaux pour que ceux-ci produisent un bien breveté, comme un médicament, afin de faire face à de situations d'urgence, notamment sanitaire.

A la demande des pays en développement et avec l'appui de l'Union européenne, la Conférence de Doha a adopté un premier accord sur cette question, sous la forme d'une « Déclaration sur l'ADPIC et la santé publique » affirmant que l'ADPIC n'empêche pas les membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique. Elle clarifie à cet effet les flexibilités inscrites dans l'accord, en confirmant le droit des pays touchés par des crises sanitaires à invoquer l'urgence pour permettre la fabrication de médicaments sans l'autorisation du détenteur du brevet. Elle accorde en outre 10 années supplémentaires aux PMA pour mettre en application les dispositions de l'ADPIC, période qui expire désormais au 1er janvier 2016.

Cette Déclaration demandait par ailleurs au Conseil des ADPIC de faire des propositions au Conseil général de l'Organisation avant la fin 2002, afin de régler le problème des pays ne pouvant produire eux-mêmes les médicaments.

Il s'agissait en fait d'autoriser ces pays à faire fabriquer des génériques par un partenaire commercial et à les importer sans rémunérer les brevets.

L'Union européenne a proposé, dans ce but, le 18 juin 2002, d'amender l'article 31(f) de l'ADPIC, qui interdit l'exportation de produits fabriqués sous licence obligatoire, mais sans succès, l'élaboration d'une solution juridique pérenne au problème posé ne faisant pas l'objet, à ce stade, d'un consensus des membres.

Le 16 décembre 2002, un compromis prévoyant une modification ultérieure de l'article 31(f) et autorisant l'exportation vers « les pays qui en ont le plus besoin » et au cas par cas des génériques concernant « les maladies aux proportions d'épidémies » a été accepté par tous les membres de l'OMC, à l'exception des Etats-Unis. Ces derniers, qui concentrent 85 % de la recherche et du développement au niveau mondial pour les produits pharmaceutiques, étaient partisans d'une liste restrictive de maladies, à l'inverse de pays producteurs de génériques, comme l'Inde, l'Afrique du Sud ou le Brésil. L'Europe a alors proposé en janvier 2003 d'établir une liste de maladies, comprenant les pandémies, sida, tuberculose, malaria et une vingtaine d'autres grandes épidémies, tout maintenant la possibilité de traiter d'autres problèmes de santé publique, en permettant pour cela aux membres de l'OMC de solliciter l'expertise de l'OMS.

Considérée comme un dossier clef par les pays en développement et devant être résolu impérativement avant la Conférence de Cancún pour espérer un succès de celle-ci, cette question a fait l'objet d'un accord sous forme de déclaration le 30 août 2003. Repris dans le projet de déclaration ministérielle présenté le 31 août, il prévoit que le pays exportateur et le pays importateur de médicaments devront accorder des licences obligatoires pour des quantités précises et en informer l'OMC. Les pays importateurs devront établir que leurs capacités de production sont insuffisantes et prendre, dans la limite de leurs moyens, toutes les mesures raisonnables pour éviter le détournement ou la réexportation des médicaments sous licence, qui devront être identifiés par un logo spécifique. Un membre de l'OMC pourra à notifier à tout moment à cette organisation qu'il utilisera ce système, par exemple uniquement dans des situations d'urgence nationale. D'ici fin 2003, un amendement à l'accord ADPIC se substituant à cette déclaration devra être élaboré en vue d'une adoption dans un délai de 6 mois.

Cet accord est une victoire pour l'OMC et pour l'Agenda de Doha pour le développement  : non seulement la voix de l'Afrique dans son combat contre les fléaux sanitaires a résonné plus fort depuis que l'accès aux médicaments figure à l'ordre du jour du cycle, mais une solution juridique à ce problème n'aurait jamais pu être élaborée en dehors de cette instance, qui a ainsi démontré toute son utilité.

L'accord sur les médicaments légitime tous nos espoirs concernant la reprise des négociations, dès lors que celles-ci parviendront à trouver le juste équilibre entre les intérêts économiques et l'intérêt général mondial.

D. Négocier une libéralisation maîtrisée des échanges

1) L'agriculture : reconnaître sa spécificité et assurer un commerce équilibré

La « clause de paix », négociée à la fin du cycle d'Uruguay et qui protège les mesures nationales de soutien à l'agriculture de plaintes devant l'ORD, expire le 31 décembre 2003.

Cette échéance constitue une épée de Damoclès pour les négociateurs, qui doit les inciter à trouver un accord sur les principes fondamentaux de la négociation, avant que n'explosent des contentieux sur les aides agricoles, qui seraient fortement préjudiciables à la sérénité des relations commerciales multilatérales.

Selon le rapporteur, deux principes doivent guider les négociateurs.

a) Promouvoir l'exception agricole

La relance des négociations implique de résoudre les problématiques agricoles évoquées précédemment.

Pour des raisons politiques, économiques et sociales évidentes, aucun pays ne peut accepter de sacrifier son agriculture sur l'autel d'un libre-échangisme mal compris.

A partir de ce constat, il faut, pour mener une bonne négociation, distinguer les différentes attentes des pays concernant leur agriculture et l'insertion de celle-ci dans l'échange international, car elles varient en fonction de leur niveau de développement.

En effet, seule une vision globale des besoins des uns et des autres peut permettre de lever l'hypothèque agricole qui plane sur le cycle depuis son lancement.

Pour les pays les plus pauvres, leur objectif premier est de maintenir leurs communautés rurales et de protéger leur production agricole, tout en assurant la sécurité alimentaire des populations urbaines. Dès lors, comme l'a noté le Président de la République devant le Congrès mondial des jeunes agriculteurs, le 13 juin 2003, « l'approche purement commerciale de l'OMC est une approche insuffisante pour engager une réelle dynamique de développement agricole dont...les pays les plus pauvres en ont le plus grand besoin ».

Pour les pays intermédiaires, comme l'Inde, leur développement justifie une meilleure insertion dans l'échange international, par le moyen d'ouvertures asymétriques mais réciproques. Ainsi, l'Inde a d'abord assuré la protection tarifaire de sa production intérieure pour développer celle-ci, ce qui lui permis de devenir le premier producteur mondial de riz et de lait.

Pour les pays développés, leur souci est de préserver les équilibres entre les territoires et de garantir la sécurité des approvisionnements en produits sains, de qualité et protégés d'usurpations déloyales.

Ces attentes paraissent difficiles à concilier, mais elles peuvent l'être si une exception agricole est reconnue à l'OMC, qui permette à chaque pays de conduire des politiques agricoles au nom de la sécurité des approvisionnements, du respect des attentes des consommateurs et des préoccupations non commerciales, telles que l'aménagement du territoire et la qualité des produits. La résolution déposée par notre collègue François Guillaume et adoptée par l'Assemblée nationale le 2 avril 2003 estime ainsi que « l'OMC a pour seul rôle de réguler les effets des politiques agricoles sur le commerce international sans poser une interdiction de principe de ces dernières » et juge nécessaire une révision de l'Accord sur l'agriculture de Marrakech « afin d'instituer, au sein des règles commerciales multilatérales, une exception agricole fondée sur le caractère spécifique de cette activité et l'impérieuse nécessité d'assurer à tout pays sa sécurité alimentaire ».

Cette exception agricole justifie dès lors l'adoption de trois mesures :

le maintien du système des trois boîtes, dont la philosophie ne consiste pas à supprimer toutes les aides, mais à établir une distinction justifiée entre celles-ci selon que leurs effets de distorsion des échanges sont importants (boîte orange), modérés (boîte bleue) ou nuls (boîte verte) ;

la prorogation de la clause de paix, qui en est le corollaire indispensable ;

la création d'une boîte de sécurité alimentaire pour les pays en développement, telle que proposée par l'Union européenne ;

la reconnaissance des préoccupations non commerciales comme élément constitutif de l'exception agricole, afin d'encadrer la négociation agricole, qui serait ainsi juridiquement tenue de ne pas traiter les produits agricoles comme de simples marchandises.

b) Garantir des échanges loyaux et équitables

(1) Des disciplines égalisant l'échange

Afin d'assurer un commerce agricole équilibré entre tous les membres de l'OMC, les négociateurs doivent s'attacher à égaliser le jeu de l'échange entre eux.

Dans ce but, il convient, s'agissant du retrait des subventions aux exportations, d'instaurer un strict parallélisme entre les crédits à l'exportation, les restitutions communautaires, un principe acquis depuis la proposition euro-américaine d'août 2003, et les marketing loans, qui doivent être traités pour ce qu'ils sont, à savoir un soutien interne fonctionnant commune une aide à l'exportation.

Les négociateurs doivent aussi encadrer plus strictement l'aide alimentaire, dans le sens proposé par la Communauté européenne : cette aide ne doit être fournie que sous la forme de dons en nature à des groupes vulnérables ciblés ou à des pays affectés par des crises humanitaires et de préférence sur la base de produits achetés sur les marchés locaux ou régionaux.

Par ailleurs, les préférences commerciales pour les pays les plus pauvres doivent être mieux reconnues à l'OMC, qui ne prévoit, à ce sujet, que des dispositifs insuffisants. C'est pourquoi, les pays développés et les pays émergents, à l'exemple de l'Union européenne, doivent accorder des concessions unilatérales reposant sur un accès sans quotas ni droits de douane aux PMA. En même temps, les préférences, comme celles de l'Europe à l'égard des pays ACP, doivent bénéficier d'une véritable sécurité juridique à l'OMC, qui ne les tolère qu'au prix d'une dérogation accordée par tous les membres à la clause de la nation la plus favorisée.

Enfin, les pays émergents, comme le Brésil, l'Argentine ou la Thaïlande, et les pays vulnérables, comme les PMA et les pays à faible revenu et à déficit vivrier classés comme tels par la FAO, ne peuvent être traités de façon identique, notamment en ce qui concerne le bénéfice des mesures liées au traitement spécial et différencié. La boîte de sécurité alimentaire proposée par l'Europe perdrait de son sens si elle pouvait être utilisée par tous les pays en développement, sans distinction. La proposition euro-américaine visant à adapter le traitement spécial et différencié à la situation des pays en développement exportateurs nets doit être retenue par les négociateurs : la position des « grands émergents », qui se cachent derrière les pays d'Afrique pour obtenir des exemptions, tout en voulant ouvrir les marchés des autres à leurs produits compétitifs, n'est pas défendable si ces membres de l'OMC veulent respecter leurs engagements concernant le développement des pays pauvres.

(2) Une protection renforcée des indications géographiques

Le respect de conditions de concurrence loyales entre producteurs et la bonne information des consommateurs exigent une protection adéquate des indications géographiques, qui désignent des lieux utilisés pour identifier l'origine, la qualité ou la réputation des produits.

Ces indications, au nombre de 4 800 pour les produits européens, confèrent à ces derniers une valeur ajoutée, qui représente un enjeu économique considérable. Pour la France, la valeur des indications est chiffrée à 19 milliards d'euros, dont 16 milliards d'euros pour les 466 indications de vins et spiritueux et 3 milliards d'euros pour les 127 indications d'autres produits. De même, les 420 indications géographiques de l'Italie génèrent 12 milliards d'euros de recettes, les 123 de l'Espagne 3,5 milliards d'euros.

Cette valeur ajoutée est particulièrement importante pour les productions qui sont exportées : 85 % des vins français exportés et 80 % des spiritueux exportés par l'Union européenne portent une indication géographique.

Or, ces indications ne sont pas toujours reconnues par les membres de l'OMC. C'est le cas lorsque les exportations européennes sont bloquées au motif qu'elles sont en concurrence sur les mêmes marchés avec des produits portant un nom similaire, mais ne répondant pas aux mêmes critères de qualité. Ainsi, l'Union européenne ne peut vendre son véritable jambon de Parme au Canada parce que la marque « jambon de Parme » est réservée dans ce pays à un produit local. Les pertes subies par les producteurs italiens sont estimées à 3,5 millions d'euros par an.

L'Europe a donc demandé et obtenu à Doha que des négociations soient ouvertes à l'OMC, afin de renforcer la protection des indications géographiques.

L'ADPIC ne fournit, en effet, qu'un niveau standard de protection pour tous les produits, qui figure à l'article 22. Cette disposition prévoit simplement que les indications géographiques doivent être protégées, afin de ne pas induire le public en erreur et d'empêcher la concurrence déloyale. Pour les vins et les spiritueux, l'article 23 de l'accord prévoit un niveau de protection plus élevé, ces indications devant être protégées, même si une utilisation abusive ne risque pas d'induire le public en erreur. En outre, l'accord prévoit des exceptions à la protection des indications géographiques, lorsque celles-ci sont devenues des noms communs (ou des « génériques ») et lorsqu'un terme a déjà été enregistré comme marque de fabrique ou de commerce (cas du jambon de Parme).

¬ Les vins et spiritueux

La Conférence de Doha a décidé d'achever d'ici la cinquième Conférence ministérielle les négociations visant à établir un système multilatéral de notification et d'enregistrement des indications géographiques de vins et de spiritueux, prévues par l'article 23.4 de l'ADPIC.

Cette échéance n'a, bien entendu, pas été respectée.

Les discussions sur les indications géographiques pâtissent non seulement des blocages constatés dans la négociation agricole en général, mais aussi de l'opposition entre deux écoles de pensée :

¬ L'Union européenne, avec les futurs Etats membres, la Suisse, le Sri Lanka, Maurice et le Nigeria, soutient la création d'un registre multilatéral juridiquement contraignant : les indications notifiées et n'ayant pas fait l'objet d'une opposition ne pourront se voir refuser par les autorités compétentes des membres de l'OMC la protection prévue par l'ADPIC. Ce registre permettra ainsi de prévenir toute usurpation nouvelle, les anciennes bénéficiant de clauses d'exception en vertu de l'article 24 de l'accord.

¬ Les pays producteurs de vins du « nouveau monde » (Afrique du Sud, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chili, Etats-Unis, Nouvelle-Zélande) préconisent en revanche l'établissement d'une base de données informative, dépourvue de toute valeur juridique, car ils souhaitent défendre leur système de marques et parfois les intérêts commerciaux attachés aux usurpations.

¬ Les autres produits

La Déclaration ministérielle de Doha prévoit des négociations sur l'extension à d'autres produits du niveau de protection plus élevé actuellement accordé aux vins et aux spiritueux.

L'Europe fait partie des partisans de l'extension au nombre desquels figurent aussi la Chine, l'Inde, le Kenya, le Pakistan, la Thaïlande et la Turquie. Des pays comme l'Inde, le Pakistan ou le Kenya s'inquiètent en effet des pratiques de multinationales qui font breveter et commercialiser du riz « Basmati », du thé « de Ceylan » ou du riz « Jasmin » et perdre des recettes importantes aux pays originairement producteurs : ainsi, 10 milliards de kilogrammes de thé « Darjeeling » sont produits en Inde, mais 30 milliards de kilogrammes sont vendus dans le monde sous le même nom.

Par ailleurs, l'Europe demande aussi aux membres de l'OMC de supprimer les marques existantes sur un nombre restreint d'indications géographiques qui ont une valeur économique et commerciale significative et, si nécessaire, de protéger les indications communautaires qui étaient utilisées précédemment ou sont devenues des noms génériques. Dans cette perspective, elle a adopté le 28 août 2003, une liste réduite de 41 indications géographiques protégées, dont elle souhaite récupérer l'usage exclusif à l'OMC(27).

2) Les tarifs industriels : concilier ambition et asymétries

Le 13 août 2003, les Etats-Unis et l'Union européenne, rejoints par le Canada, ont présenté à l'OMC une proposition commune sur l'accès aux marchés pour les produits non agricoles.

L'approche proposée est ambitieuse, car elle permet d'aboutir à une libéralisation des échanges pour tous les produits et tous les membres, y compris dans le cadre des échanges entre pays du Sud. Mais elle est équitable aussi, puisqu'elle comporte la flexibilité nécessaire aux pays en développement, en tenant compte de leurs différences de situation.

Ce document propose l'application d'une formule unique, simple et ambitieuse (de type suisse) à chaque ligne tarifaire, qui soit affectée d'un coefficient de réduction unique.

Cette formule doit toutefois inclure des éléments en faveur du traitement spécial et différencié, notamment :

l'établissement d'un système de « crédits » en faveur des pays en développement, devant tenir compte de leurs différences objectives en termes de situation économique ;

- une réciprocité moins que totale des engagements des pays en développement, qui serait obtenue par une diminution du coefficient de réduction de la formule de x % sur la base du système de crédits. Ces crédits pourraient être attribués, par exemple, aux pays ayant un taux de consolidation supérieur à 95 %, ce qui réduirait l'effort global de réduction de y %, ainsi qu'à ceux qui diminueraient la marge entre les taux appliqués et les taux consolidés ;

- une réduction moins forte que celle résultant de l'application de la formule pour un nombre limité de lignes tarifaires, mais qui ne doit pas concerner un seul secteur, tout en respectant une baisse minimale ;

- le niveau auquel les droits non consolidés seront consolidés ;

- une mise en œuvre plus longue des engagements de réduction ;

- un taux de consolidation ne couvrant pas la totalité des lignes tarifaires pour les PMA ;

- la Banque mondiale et les FMI sont invités à élaborer ou à renforcer les programmes destinés à répondre aux besoins d'ajustement des membres de l'OMC affectés par l'érosion de leurs préférences.

L'application de la formule serait complétée par des négociations sur certains secteurs, en particulier lorsque cela se justifie pour des raisons liées au développement (par exemple, des réductions plus fortes pourraient avoir lieu pour les droits appliqués dans le secteur du textile) ou pour des raisons environnementales (par exemple, l'élimination des droits appliqués sur les produits environnementaux).

Ce document doit être examiné par les membres de l'OMC et venir enrichir la proposition Girard, car il a le mérite de chercher à atteindre tous les objectifs du mandat de Doha et de prévoir des asymétries justifiées entre pays développés et pays en développement.

3) Les services : en faire des outils de croissance

Le cycle de Doha devrait être aussi le cycle des services : tous les pays ont intérêt à libéraliser davantage le commerce dans ce secteur, qui n'a que partiellement suivi le mouvement de la mondialisation.

De 1985 à 2002, le commerce mondial des services a crû de 228 %, mais le poids des services dans les échanges de biens et de services n'a augmenté, durant la même période, que de 16 % à 20 % : en 2002, la valeur des échanges de biens était de 6 000 milliards de dollars, contre 1 500 milliards seulement pour les échanges de services. En 2000, le taux d'exportation des services marchands était de 4 %, contre 36 % pour les marchandises.

En raison de la nature peu échangeable des services et de la multiplicité des barrières réglementaires sur les marchés, l'internationalisation des échanges dans ce secteur demeure faible, alors qu'il est le plus dynamique de l'économie.

Ainsi, en Europe, les services représentent plus de 60 % du PIB de la Communauté. Celle-ci est le premier exportateur et importateur de services au monde, la France conservant le rang de troisième exportateur mondial (derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni) avec une part de marché de 5,5 %.

Pour les pays en développement, les négociations sur un secteur qui représente environ 50 % de leur PIB offrent une réelle opportunité pour augmenter leurs exportations, et par conséquent, leur croissance et leur capital humain. Ainsi, l'Inde est souvent citée comme étant l'un des exemples les plus remarquables de pays en développement ayant augmenté ses exportations de services : ses ventes à l'étranger de produits informatiques sont passées de 22 millions de dollars en 1992-1993 à 1,75 milliard de dollars en 1997-1998, soit une augmentation annuelle d'environ 50 %. Selon la Banque mondiale, une réduction d'un tiers des obstacles au commerce des services dans tous les pays permettrait aux pays en développement de gagner entre 1,6 point de PIB supplémentaire (cas de l'Inde) et 4,2 points de PIB supplémentaires (cas de la Thaïlande).

Les gains que peuvent tirer les économies des négociations à l'OMC sont donc considérables, mais celles-ci suscitent chez les citoyens des craintes injustifiées.

a) Une négociation suscitant des craintes injustifiées

Les négociations sur les services, qui appartenaient, comme l'agriculture, à l'agenda incorporé, c'est-à-dire aux secteurs devant faire l'objet de négociations successives cinq ans au plus tard après la date d'entrée en vigueur de l'accord sur l'OMC, sont engagées depuis l'année 2000 et visent à revoir, dans le sens d'une libéralisation progressive, les listes d'engagements spécifiques annexées à l'Accord général sur le commerce des services (AGCS).

(1) Un accord protecteur

L'AGCS a une nature particulière, peu comprise, ce qui suscite des malentendus et des craintes excessives.

D'abord, afin de couvrir toutes les activités du secteur, il distingue quatre formes d'échange international de services, appelées « modes de fourniture » : la prestation transfrontalière dite mode 1 (par exemple la transmission d'une consultation d'avocat par fax), la consommation à l'étranger dite mode 2 (le touriste se rendant dans un hôtel à l'étranger), l'établissement dit mode 3 où le fournisseur franchit juridiquement la frontière pour venir investir et s'implanter dans un pays, comme une compagnie aérienne ouvrant un bureau à l'étranger, et le mouvement temporaire de personnes physiques, dit mode, 4 par lequel le fournisseur de service passe physiquement la frontière (la réalisation d'un audit ou l'envoi d'agents sur un chantier de construction).

Ensuite, cet accord est, en raison des nombreuses flexibilités qu'il prévoit, le plus protecteur de tous ceux de l'OMC en ce qui concerne la capacité des Etats à réglementer les activités économiques sur leur territoire.

Les négociations qu'il encadre portent en effet sur les échanges de services et non sur la manière dont ils sont réglementés : elles n'ont ainsi aucune incidence sur les décisions de privatisation des membres.

En outre, chaque pays est libre de déterminer les secteurs qu'il entend ouvrir à la concurrence internationale : les offres sont établies selon le mécanisme des listes « positives », qui ne soumet aux engagements que les secteurs et les sous-secteurs volontairement offerts. C'est ainsi, par exemple, que le transport maritime n'a pas été ouvert par les Etats-Unis durant le cycle d'Uruguay, non plus que le secteur audiovisuel par l'Union européenne.

De plus, cet accord ne comporte aucune obligation de réciprocité des engagements.

Ces deux dernières flexibilités font que l'AGCS, contrairement aux discours de certaines ONG, ne libéralise rien par lui-même. Les membres sont également en droit de maintenir des limitations à l'accès au marché offert et au traitement national (absence de discrimination entre les étrangers et les nationaux), en mentionnant expressément et précisément ces limitations dans leur offre.

D'autre part, l'AGCS ne couvre pas les services qui ne sont fournis ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec d'autres fournisseurs, ce qui exclut les services publics du champ de la négociation. S'agissant des services publics tels que l'éducation, la santé, la culture, l'énergie, l'eau et les transports publics, l'AGCS permet à chaque membre de les organiser comme un monopole, d'ouvrir le marché des services à des fournisseurs concurrents mais de limiter l'accès aux entreprises nationales, d'ouvrir le marché aux fournisseurs étrangers comme nationaux, mais sans prendre aucun engagement au titre de l'accord ou de prendre des engagements au titre de l'AGCS couvrant les droits des entreprises étrangères de fournir des services en les faisant bénéficier ou non du même traitement que les fournisseurs nationaux.

Pour le cas particulier de l'Europe, à ces garanties juridiques protectrices, s'ajoutent les contraintes imposées par le mandat de négociation donné à la Commission européenne : l'Union européenne ne doit offrir et demander à ses partenaires que ce qu'elle a décidé de libéraliser dans le cadre du marché intérieur. Cependant, comme on le verra plus loin, cette limitation justifiée n'a pas empêché pas l'Europe d'adopter, en raison de son degré élevé de libéralisation interne, une attitude offensive dans les négociations.

(2) D'autres règles en cours d'élaboration

Les négociations sur les services comportent par ailleurs des discussions sur l'élaboration de règles « horizontales » concernant quatre sujets :

¬ Des discussions sont en cours en vue d'examiner l'opportunité de créer un mécanisme de sauvegardes d'urgence dans l'AGCS, afin de permettre aux membres de suspendre ou de revenir sur un engagement en cas d'afflux inopiné de services déstabilisant une branche nationale.

Pour certains, l'existence d'un tel mécanisme permettrait de rassurer les membres ayant offert peu de secteurs et faciliterait ainsi la souscription d'engagements.

D'une manière générale, les pays en développement sont demandeurs d'une telle disposition, tandis que les pays développés sont plutôt sur la défensive.

L'élaboration d'un tel mécanisme se heurte à de nombreuses difficultés tant pratiques que théoriques, concernant la portée, l'ampleur et la nature des mesures à prendre, ainsi que la définition du public visé par les mesures et la nécessité de préserver, dans le temps, les droits acquis des prestataires étrangers.

Pour sa part, le European Services Forum est défavorable à l'institution de telles sauvegardes, car elles seraient contre-productives et risqueraient de se transformer en arme à double tranchant : elles pourraient être utilisées davantage par les pays développés à l'encontre de fournisseurs provenant de pays du Sud que l'inverse. D'autre part, il est difficilement concevable que de telles mesures puissent être appliquées dans le cas du mode 2 (consommation à l'étranger) ou des modes 3 (l'établissement) ou 4 (mouvement temporaire de personnes physiques), sans créer de sérieuses difficultés politiques.

¬ En ce qui concerne l'établissement de disciplines sur les subventions dans l'AGCS, les pays développés sont opposés à l'élaboration de règles qui limiteraient leur capacité d'intervention sur le marché économique, tandis que les pays en développement souhaiteraient réduire les distorsions de concurrence résultant de l'aptitude inégale des membres à subventionner des entreprises.

Se posent en outre des interrogations sur le champ des subventions à couvrir, notamment sur le fait de savoir si les contributions financières ou les allégements fiscaux sont concernés.

Comme les autres membres développés de l'OMC, l'Union européenne est sur la défensive dans ces discussions, mais n'est pas en première ligne compte tenu de la rigueur et de la transparence des règles du marché intérieur.

¬ Les marchés publics sont en revanche un sujet offensif pour l'Europe, qui souhaite négocier des règles multilatérales simples fondées sur l'accès au marché, la transparence et la non-discrimination. Elle considère par ailleurs que le volet concernant l'accès au marché doit reprendre le principe des listes positives, permettant ainsi un engagement secteur par secteur. Les pays en développement se montrent à réservés à l'égard de l'établissement de procédures à respecter trop lourdes et trop coûteuses pour leurs économies. Ils sont par ailleurs opposés à l'idée de travailler en double par rapport au groupe négociant sur la transparence des marchés publics, l'un des sujets de Singapour.

¬ S'agissant de la réglementation intérieure, le champ de ce sujet de négociation n'est pas circonscrit : il peut ne couvrir que les normes et les licences comme aller très au-delà. Les membres doivent également décider si la négociation doit être totalement horizontale ou limitée aux seuls secteurs offerts. Enfin, celle-ci doit aborder des concepts délicats à définir, comme la proportionnalité et la nécessité des mesures.

b) Un niveau d'offre décevant

(1) Des partenaires souvent en retrait

A l'heure actuelle, le niveau des engagements des membres en matière de libéralisation du commerce des services est globalement faible et dépend fortement de leur degré de développement.

Trois groupes de pays peuvent être distingués : celui des PMA et des autres pays en développement, qui ont souscrit des engagements dans moins de 20 sous-secteurs, celui des pays émergents, qui ont souscrit des engagements concernant entre 20 et 60 sous-secteurs, et enfin celui des pays de l'OCDE, qui ont engagé plus de 60 voire 100 sous-secteurs.

Le champ des secteurs couverts est en outre peu étendu : les engagements concernent avant tout le tourisme (128), les services financiers et les télécommunications (99) et les services aux entreprises (103).

Depuis le lancement des négociations et jusqu'à Cancún, le niveau d'offre a été décevant, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. 27 offres seulement ont été déposées, 11 venant de pays développés, 13 de pays en développement et deux de pays en transition, la Pologne et la République tchèque. Au total, ces offres améliorent 362 engagements et proposent 271 nouveaux engagements.

L'analyse de ces offres reflète la très grande variété des intérêts offensifs et défensifs des membres. Ainsi, le Japon souhaite supprimer les exceptions à la clause de la nation la plus favorisée, tout en protégeant ses services postaux et environnementaux. Le Canada a déposé une offre très complète, sauf en matière de traitement des eaux. Les pays de l'Asie du Sud Est et les « dragons » sont actifs dans la négociation et très offensifs en ce qui concerne le mode 4, mais éprouvent quelques blocages en ce qui concerne les services financiers. La Chine souhaite limiter ses engagements nouveaux après les concessions qu'elle a faites pour accéder à l'OMC. Le Brésil a ses intérêts offensifs dans l'audiovisuel et la construction, mais est prudent pour le secteur des télécommunications et les services financiers. L'Afrique est, à ce stade, absente des négociations. Quant aux Etats-Unis, leur offre est, comme cela a déjà été souligné, peu engageante : rien sur la construction, offre limitée sur les services financiers, maintien des restrictions sur les utilisateurs industriels dans les services environnementaux, faiblesse sur les services professionnels, en particulier juridiques, pas d'offre sur les services postaux et pas d'offre nouvelle sur le mode 4.

(2) Une offre européenne ambitieuse

Avant de présenter l'offre de l'Union européenne, déposée le 29 avril 2003, les remarques suivantes peuvent être faites sur les demandes de libéralisation qu'elle a reçues avant Cancún :

32 des 38 demandes proviennent de pays en développement dont 12 de l'Amérique centrale et latine et 5 de l'Asie du Nord. La couverture géographique est plus faible pour l'Asie du Sud Est (3), l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient (3) et les pays d'Afrique subsaharienne (3) ;

- les secteurs les plus demandés (plus de 20 demandes) sont : les services professionnels, le tourisme, les services financiers, les services aux entreprises, la construction et les transports. La santé, les services sociaux, le postal-courrier, l'énergie et la distribution d'eau ont reçu moins de 10 demandes.

L'offre européenne, quant à elle, se caractérise par les éléments suivants :

aucun nouvel engagement n'est proposé dans les domaines de la santé, de l'éducation, de l'audiovisuel, du culturel et de la collecte, de l'épuration et du traitement de l'eau ;

- dans le domaine du transport aérien, sont proposés des engagements étendus pour l'assistance en escale, ainsi que l'extension du traitement national sur la gestion d'aéroports. Dans le domaine du transport maritime, l'offre de 1996, retirée à la suite de l'échec des négociations sur le secteur lors du cycle d'Uruguay, est réintroduite. Elle concerne le transport international, l'accès aux ports, les services auxiliaires ;

dans les services postaux, les services réservés au monopole (lettres de moins de 350 grammes) ne sont pas engagés. Les services ouverts à la concurrence mais avec obligation de service universel (colis, journaux) sont engagés, mais avec la possibilité d'exiger un système de licence et la compensation à un fonds de service universel. Les services ouverts à la concurrence et sans obligation de service universel (express) sont engagés sont restrictions ;

- dans les services financiers, l'offre consolide les mesures de libéralisation intervenues depuis 1997 (sur 88 restrictions subsistant en 1997, 36 sont éliminées) ;

- dans les télécommunications, le niveau des engagements préexistants est élevé. L'offre supprime la plupart des restrictions subsistant au niveau des Etats membres (par exemple, les restrictions sur l'investissement étranger au Portugal) ;

- dans les services professionnels, l'offre prévoit la suppression des limitations existantes, notamment les conditions de nationalité, pour les professions juridiques, comptables et les architectes et les ingénieurs ;

- pour les services aux entreprises, le niveau d'engagements est déjà élevé et désormais consolidé à un niveau agrégé. L'offre comporte des engagements sur les services d'emballages ;

- dans les services environnementaux et d'énergie, l'Europe offre des engagements dans tous les secteurs, hormis la distribution d'eau ;

- dans la construction, l'offre propose d'éliminer les restrictions subsistant en mode 3 et mode 4 pour les catégories « visiteurs en déplacement d'affaires et transferts intra-entreprises » ;

- dans la distribution et le tourisme, l'offre étend le principe du traitement national même en cas de test de nécessité économique (ouverture de nouveaux magasins dans le commerce de détail en Italie) et supprime des restrictions nationales (pour la France, par exemple, la condition de nationalité pour les cafés et les bars en mode 4). Elle prend en compte les limitations françaises à l'implantation de grandes surfaces.

(3) Le cas du mode 4

On rappellera que l'AGCS ne s'applique qu'aux mesures temporaires affectant les personnes physiques qui sont des fournisseurs de services et les personnes physiques employées par un fournisseur de services.

Le mouvement de personnes non lié à une prestation de services, comme l'accès au marché du travail, est exclu de l'accord. Les questions relatives à l'immigration, la citoyenneté et la résidence sont aussi exclues du champ de l'accord.

Les engagements actuels de l'Union européenne reprennent les catégories généralement engagées par d'autres membres : les transferts intra-entreprises de dirigeants et spécialistes, les visiteurs d'affaires (non-résidents venus négocier la fourniture d'un service ou préparer une présence commerciale) et les fournisseurs contractuels de services, une catégorie qui intéresse directement les pays en développement (pas de présence commerciale requise).

Le mode 4 représente en effet des enjeux importants pour les pays en développement, dont presque toutes les demandes de libéralisation des services contiennent des requêtes spécifiques sur le sujet.

Ce mode de prestation de services permet de soulager leur marché du travail (700 millions de personnes vont rejoindre le marché du travail dans les pays en développement au cours de prochaine décennie), de garantir le retour au pays d'une main d'œuvre qualifiée et de générer des revenus importants par le biais du rapatriement des devises.

Sur ce dernier point, le rapport sur les perspectives économiques globales de la Banque mondiale pour l'année 2003 indique qu'en 2001, les rapatriements de fonds des travailleurs établis à l'étranger ont rapporté aux pays en développement 72,3 milliards de dollars, soit 42 % de plus que le montant de l'aide publique au développement dans le monde. L'Inde est le pays le plus en pointe sur la question : elle forme chaque année 115 000 ingénieurs informaticiens et a bénéficié, selon l'OCDE, de rapatriements de fonds d'une valeur de 7,6 milliards de dollars en 1996, soit trois fois le flux net d'investissement direct entré dans le pays.

Constatant que le mode 4 représente moins de 2 % de la valeur totale du commerce des services, le rapport de la Banque mondiale préconise, l'adoption d'un « visa AGCS » dont le champ d'application concernerait toutes les catégories de prestataires de services couvertes par les modes 3 et 4 ou uniquement les transferts intra-entreprises et dont la durée serait inférieure à douze mois (les séjours de moins de trois mois ne nécessiterait pas de visas).

L'offre de l'Union européenne dans ce domaine propose des avancées significatives, qui tiennent compte des besoins des pays en développement tout faisant valoir ses intérêts offensifs. Elle :

- précise la durée de séjour pour les transferts intra-entreprises (3 ans) et les visiteurs d'affaires (90 jours) ;

étend les durées de séjour (de 3 mois à 6 mois) et de contrat (de 3 mois à 12 mois) des fournisseurs contractuels de services et crée en leur sein une catégorie nouvelle, les stagiaires diplômés (dont la durée maximale de séjour est de un an). Elle élargit par ailleurs la couverture sectorielle des fournisseurs contractuels de services (2 sous-secteurs pour les services comptables, 7 pour les services environnementaux, 2 pour le conseil en gestion, etc.) ;

- remplace les tests de nécessité économique, considérés comme opaques et discrétionnaires par nos partenaires, par des plafonds numériques pour onze Etats membres (dont la France), c'est-à-dire une restriction quantitative sur le nombre de personnes autorisées à entrer ;

- maintient des garde-fous, puisque l'offre ne s'applique qu'aux personnes hautement qualifiées (diplômes universitaires requis et trois années d'expérience professionnelle demandées, six années pour les indépendants).

On observera que si l'offre européenne concernant les fournisseurs contractuels de services était adoptée à l'issue du cycle, elle obligerait la France à modifier sa législation relative à l'entrée et au séjour des étrangers.

c) La défense de l'exception culturelle

Le mandat de négociations de la Commission européenne constitue une garantie de protection de la diversité culturelle, car il prévoit de préserver à l'OMC le développement des politiques en matière de maintien et de promotion de la diversité culturelle.

L'offre de l'Union européenne respecte ce mandat : elle ne prend aucun engagement nouveau en termes d'accès au marché communautaire et maintient les exceptions à la clause de la nation la plus favorisée, qui permettent à l'Union et à ses Etats membres de soutenir leurs mécanismes d'aide à la production cinématographique.

Par ailleurs, la France a obtenu une seconde garantie dans le cadre de ces négociations, en obtenant l'inscription de l'exception culturelle dans le projet de Constitution pour l'Union par le maintien de la règle de l'unanimité pour les accords commerciaux susceptibles d'affecter la diversité culturelle.

Mais si elles sont nécessaires, ces garanties restent insuffisantes au regard de la pression très forte exercée par les autres membres de l'OMC sur l'Europe pour qu'elle ouvre ce secteur à la concurrence étrangère. 16 pays au total ont fait cette demande, dont les Etats-Unis, le Japon et le Brésil. Plus de la moitié de ces demandes émanent de pays en développement, ce qui constitue un fait nouveau dans ces négociations.

C'est pourquoi La France, par la voix du Président de la République, demande que les services audiovisuels et culturels relèvent d'une logique multilatérale autre que l'OMC. En effet, la bataille de l'exception culturelle, qui est la garante de la liberté des peuples, doit être menée dans l'enceinte appropriée, c'est-à-dire l'Unesco.

Celle-ci a adopté le 2 novembre 2001 une Déclaration universelle sur la diversité culturelle, dont l'article 7 reconnaît « la spécificité des biens culturels qui, parce qu'ils sont porteurs d'identité, de valeurs et de sens, ne doivent pas être considérés comme des marchandises ou des biens de consommation comme les autres ». L'Unesco prévoit par ailleurs d'adopter d'ici à 2005 une convention internationale pour la diversité culturelle, un projet soutenu par la France et combattu par les Etats-Unis, revenus le 29 septembre 2003 dans cette organisation.

4) Promouvoir une intégration régionale ouverte entre les pays du Sud

Le renforcement des échanges entre les pays en développement contribuera à leur intégration dans le commerce mondial.

En élargissant la taille des marchés par la réduction des barrières tarifaires et non tarifaires, l'intégration économique régionale exercera un effet de levier sur le développement de l'offre et de l'investissement, ainsi que sur la capacité de négociation à l'OMC : le régionalisme est, pour les pays du Sud, la meilleure des préparations au multilatéralisme.

Mais l'intégration Sud/Sud peut être empêchée par des obstacles de nature politique et/ou par l'insuffisance des infrastructures essentielles, comme par le poids des recettes douanières dans le financement des budgets nationaux.

Cela est particulièrement vrai pour l'Afrique du Nord, le Proche-Orient et l'Afrique subsaharienne, où le commerce intra-zone ne représente que 6 % des exportations, contre 30 % pour l'Asie et 20 % pour l'Amérique.

C'est pourquoi les pays développés doivent encourager la constitution de marchés régionaux du Sud, qui organisent les échanges entre pays en développement, tout en restant ouverts au reste du monde.

Tel est l'objectif du volet économique et commercial de l'accord de Cotonou, qui a été signé le 23 juin 2000 entre l'Union européenne et les pays ACP. Cet accord conçoit l'intégration régionale comme un véritable outil de développement, décliné en trois temps successifs : aide à l'intégration Sud-Sud, mise en œuvre des accords de partenariat économique (APE) avec la Communauté européenne et, enfin, meilleure insertion dans l'économie mondiale. Les négociations des APE couvrent non seulement les questions tarifaires et non tarifaires relatives à l'accès au marché, mais aussi les services et les sujets de régulation, tels que l'investissement et les marchés publics. L'entrée en application des APE, dont la négociation a débuté le 27 septembre 2002, doit se faire le 1er janvier 2008 au plus tard, les préférences de Lomé pour les ACP étant maintenues jusque là, et ces derniers seront graduellement mis en œuvre pour aboutir à des zones de libre-échange au plus tard en 2020. Le 6 octobre 2003, la Commission a ouvert dans cette perspective des négociations avec la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest(28).

Il convient de saluer aussi le « Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique » (NEPAD), lancé en 2001 par l'Algérie, l'Egypte, l'Afrique du Sud, le Nigeria et le Sénégal, afin d'organiser le développement sur la base de cinq grandes régions (Afrique du Nord, Afrique de l'Ouest, Afrique centrale, Afrique de l'Est et Océan indien, Afrique australe). Cette initiative vise à créer des marchés plus attractifs pour les investissements et identifie une série de priorités sectorielles, associées à des plans d'action régionaux définis par les pays africains eux-mêmes, qui concernent les infrastructures, l'éducation, la santé, les technologies de l'information, l'agriculture et l'accès aux marchés des pays développés.

V. LE MOYEN TERME : ORGANISER LA COHERENCE ENTRE LES REGLES ET LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES

Après avoir examiné quelles doivent être les moyens d'une relance des négociations, le rapporteur souhaiterait défendre quelques priorités de moyen terme pour le cycle, afin que ce dernier crée les conditions d'une mondialisation mise au service des hommes.

A. Garantir l'articulation entre les différentes normes internationales

1) Une obligation politique

Jamais les négociations commerciales multilatérales n'ont autant attiré l'attention des citoyens.

Alors que les négociations du GATT n'intéressaient que les diplomates et les spécialistes, est révolu, celles de l'OMC suscitent le débat et la peur, car les citoyens ont pris conscience que cette organisation met parfois en jeu certains aspects de leur mode de vie.

En effet, l'OMC est la seule organisation internationale dotée d'un organe de règlement des différends, qui donne aux accords dont elle a la charge une portée contraignante. Ce grand progrès suscite des craintes, car le domaine de compétence de l'organisation étant vaste, elle est amenée à se saisir de questions dont les implications concernent directement nos citoyens et à y répondre quasi exclusivement sous l'angle commercial. Ces derniers ont donc le sentiment d'être soumis à un ordre ultra-libéral, exclusivement préoccupé de l'ouverture des marchés, qui ne tient pas compte des sujets qu'ils considèrent pourtant comme étant essentiels.

Or, ces sujets sont eux aussi encadrés et protégés par des normes et des décisions d'autres organisations internationales, mais qui, en l'état actuel du droit international, ne sont prises en compte que de manière limitée par l'OMC et ne bénéficient pas de l'appui d'un arbitre spécifique chargé d'en assurer le respect.

Ainsi, en raison de ce déséquilibre entre l'OMC et les autres organisations internationales, l'ORD, alors que ce n'est pas sa vocation, tend à arbitrer entre des préférences collectives, avec un biais contre les normes non commerciales.

Ce déséquilibre doit être remédié, afin de rassurer nos citoyens sur la capacité de leurs gouvernements à maîtriser la mondialisation : celle-ci n'est pas un phénomène imposé par l'OMC, mais un processus économique, qui peut être davantage encadré et soumis au respect de règles garantissant un développement durable.

2) Ce que le mandat de Doha prévoit

a) Une approche timide des normes sociales

Face au « dumping social » pratiqué dans certaines régions du monde, il faut veiller, au niveau multilatéral, au respect des règles minimum protégeant les droits de l'homme au travail.

Or, tout projet visant à engager un dialogue sur les normes fondamentales du travail à l'OMC, telles que définies par les conventions pertinentes de l'Organisation internationale du travail (OIT), suscite l'hostilité des pays en développement, qui voient derrière cette démarche une stratégie protectionniste, visant à les priver de l'avantage comparatif que leur procure une main d'œuvre bon marché.

Cette hostilité est devenue encore plus grande après que le précédent Président des Etats-Unis, M. Bill Clinton, ait évoqué, lors la Conférence de Seattle, la possibilité de recourir à des sanctions commerciales pour inciter au respect des conventions de l'OIT.

Depuis lors, les Etats-Unis restent très discrets sur la question. Ils semblent désormais plutôt miser sur les accords bilatéraux, comme ceux conclus avec la Jordanie, Singapour et le Chili, qui comprennent des obligations pour chaque signataire de respecter ses normes sociales et environnementales. Ces accords comportent en outre un mécanisme de recours en cas de non-respect en vue de gagner un avantage commercial.

De son côté, l'Europe a toujours défendu une approche pragmatique de la question, reposant sur la pédagogie et l'incitation. Dans ce but, elle a soutenu à Seattle la création d'un forum de dialogue permanent entre l'OMC et l'OIT, mais sans parvenir à obtenir de résultat.

La déclaration de Doha ne contient, sur la relation entre normes internationales du travail et les règles de l'OMC, qu'un rappel de la Déclaration ministérielle de Singapour de 1996 par laquelle les membres ont renouvelé leur « engagement d'observer les normes fondamentales internationalement reconnues » et rappelé que l'OIT « est l'organe compétent pour établir ces normes et s'en occuper ».

Le rapporteur pense que l'attitude des membres en développement de l'OMC sur la question est susceptible d'évoluer, comme le lui a indiqué un Représentant du Michigan, M. Sander Levin, rencontré à Washington : les pays du Sud refusent pour l'instant de discuter les normes fondamentales du travail, mais plus la concurrence entre eux pour attirer des entreprises étrangères deviendra vive (cas de l'industrie textile des Caraïbes, qui est déstabilisée par la concurrence asiatique et, en particulier, chinoise), plus ils seront tentés d'en discuter.

De plus, il doit être clair que ce dialogue nécessaire entre l'OMC et l'OIT ne concernerait pas les niveaux de salaire ou de protection sociale, mais uniquement les conventions les plus essentielles de l'OIT, c'est-à-dire celles qui assurent le respect des droits fondamentaux de l'homme au travail : l'interdiction du travail forcé, la liberté d'association et le droit à la négociation collective, l'élimination du travail obligatoire, l'abolition du travail des enfants et l'élimination de la discrimination en matière d'emploi et de profession.

Il faut donc faire le pari qu'un jour, à condition de faire preuve de pédagogie, les membres de l'OMC pourront établir un dialogue constructif sur les droits fondamentaux des travailleurs. A cet égard, le rapporteur soutient la stratégie de l'Union européenne en matière de promotion des normes fondamentales du travail adoptée par le Conseil du 21 juillet 2003. Elle vise à établir un dialogue plus efficace entre l'OMC et l'OIT, notamment en permettant à chacune des deux organisations d'assister aux sessions de l'autre portant sur des sujets d'intérêt mutuel, et ce de manière régulière, de réaliser des études communes et d'entreprendre des initiatives conjointes mettant en évidence les relations entre commerce et travail. Elle vise par ailleurs à soutenir les programmes efficaces et limités dans le temps visant à éliminer les formes les plus pénibles du travail des enfants grâce à la prévention et à l'insertion, ainsi qu'à appuyer l'action de l'OIT dans ce domaine.

b) De réelles ambitions pour l'environnement

(1) Des positions tranchées

La Déclaration de Doha a ouvert trois négociations sur l'environnement, afin de :

clarifier la relation entre les règles de l'OMC existantes et les obligations commerciales spécifiques énoncées dans les accords environnementaux multilatéraux (AEM), sans que ces négociations fassent préjudice aux droits dans l'OMC de tout membre qui n'est pas partie à un AEM. Cela signifie que les pays membres de l'OMC non signataires d'AEM ne seront pas liés par les résultats de cette clarification ;

- prévoir des échanges de renseignements réguliers entre les secrétariats des AEM et les comités de l'OMC pertinents, ainsi que les critères pour l'octroi du statut d'observateur à ces secrétariats ;

- réduire ou éliminer les obstacles visant les biens et services environnementaux.

Les discussions font apparaître des positions tranchées entre les membres.

¬ La relation entre les règles de l'OMC et les AEM

D'un côté, l'Union européenne défend une approche large du mandat de Doha, visant à tenir compte de la situation des Etats non-parties à des AEM et des décisions des Conférences des parties des AEM, ainsi que des accords régionaux sur l'environnement.

Le Japon défend pour sa part une position consistant à considérer comme conforme avec l'OMC les obligations commerciales prévues par les AEM et comme présumées conformes les mesures commerciales indiquées comme permettant de répondre à une obligation de résultat prévue dans l'AEM.

De l'autre, un groupe majoritaire, composé notamment des Etats-Unis, de l'Australie, du Brésil, de la Chine, de l'Inde et du Kenya, souhaite limiter l'impact de la négociation, en recherchant au préalable les obligations commerciales spécifiques au sein des AEM, afin de démontrer l'absence de contradictions entre ces accords et les règles de l'OMC.

¬ L'institutionnalisation des liens entre l'OMC et les secrétariats des AEM

Cette question semble moins sensible que la précédente, de nombreux membres approuvant l'institutionnalisation des échanges d'information entre l'OMC et les AEM, mais certains pays, tels le Brésil et l'Inde, y restent hostiles.

En ce qui concerne le statut d'observateur des AEM, l'Union européenne favorise une inclusion rapide des secrétariats dans les enceintes pertinentes de l'OMC. Le statut d'observateur a été accordé, sur une base, ad hoc à partir du 29 avril 2003, au Programme des Nations unies sur l'environnement (PNUE), ainsi qu'aux AEM.

¬ Un sujet de négociation possible : l'examen des prescriptions en matière d'écoétiquetage

L'Union européenne souhaite, dans le cadre des discussions ordinaires du Comité du commerce et de l'environnement de l'OMC, préciser les règles de l'éco-étiquetage, afin de prévenir les conflits avec les règles de l'OMC. Or, comme l'éco-étiquetage européen prend en compte non seulement les caractéristiques des produits mais aussi leurs procédés et méthodes de production, ceci suscite l'opposition des pays en développement et des Etats-Unis.

(2) L'enjeu de la biodiversité

Certains pays en développement ont adopté une position très en pointe sur la protection de la biodiversité dans le cadre des négociations visant à réviser l'ADPIC.

D'une part, les membres du Groupe africain estiment que les dispositions de l'ADPIC relatives à la brevetabilité du vivant enfreignent les principes fondamentaux sur lesquels repose le droit des brevets : les procédés et les substances qui existent dans la nature sont des découvertes, non des inventions, et sont donc non brevetables. Or, l'article 27.3(b) de l'ADPIC permet aux membres de l'OMC de ne pas breveter les animaux et les végétaux, mais les autorise, d'une part, à breveter les procédés essentiellement biologiques d'obtention des végétaux et les oblige, d'autre part, à breveter les micro-organismes et à protéger les variétés végétales, soit par des brevets soit par un système sui generis efficace.

D'autre part, de nombreux pays en développement, dont le Brésil souhaitent, à l'occasion de l'examen de la relation entre l'ADPIC et la Convention sur la biodiversité de 1992 engagé depuis la Conférence de Doha, obtenir à l'OMC la reconnaissance des principes posés par cette convention : la souveraineté des Etats sur leurs ressources génétiques, la préservation et le maintien des connaissances, des innovations et pratiques des communautés autochtones et locales et le partage équitable avec les pays d'origine des bénéfices tirés de l'exploitation de ses ressources génétiques.

Les Etats-Unis sont opposés à une modification de l'ADPIC, tandis que l'Union européenne défend une approche médiane. Dans une communication adressée à l'OMC en septembre 2002, elle estime que l'article 27.3(b) de l'ADPIC ne doit pas faire l'objet d'amendements, puisqu'il laisse aux Etats parties suffisamment de flexibilité pour qu'ils modulent la protection du vivant par les brevets en fonction de leurs intérêts, besoins et considérations éthiques. Elle considère par ailleurs que l'ADPIC et la Convention de 1992 sont compatibles et peuvent se renforcer mutuellement, et invite à cet effet les membres à discuter ce dernier point au Conseil des ADPIC de l'OMC. Elle propose néanmoins de contraindre les demandeurs de brevet qui ont exploité le produit d'une bio-prospection à révéler l'origine géographique des matières utilisées dans une invention et d'instituer un mécanisme permettant de conserver ces demandes. Elle préconise également d'accorder des dérogations spécifiques aux agriculteurs de subsistance ou aux petits agriculteurs des pays les moins avancés ou en développement leur permettant de réutiliser et d'échanger les semences, même si celles-ci sont couvertes par des droits de propriété intellectuelle. Enfin, l'Europe soutient le principe d'un modèle sui generis de protection légale des savoirs traditionnels, sur la base des travaux en cours du Comité intergouvernemental de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur la propriété intellectuelle, les ressources génétiques, les savoirs traditionnels et le folklore.

3) Les pistes d'avenir pour promouvoir la cohérence des normes

Les négociations analysées précédemment constituent un premier pas encourageant vers une meilleure cohérence entre les normes commerciales et les autres.

Mais elles s'inscrivent dans une démarche limitée, qui ne peut pas résoudre le problème de légitimité auquel est confronté l'OMC dans le débat sur la gouvernance mondiale.

L'OMC ne pouvant pas tout faire et tout ne devant pas passer par l'OMC, il faut promouvoir une réforme plus globale du système international, pour donner à cette organisation sa vraie place.

Cette réforme peut emprunter deux voies, qui sont complémentaires.

D'un côté, elle peut s'engager sur une voie institutionnelle, comme celle envisagée par le Président Edouard Balladur, lors du débat organisé en séance publique par l'Assemblée nationale, le 9 octobre 2003, sur les suites de Cancún. Selon cette perspective, les différentes organisations internationales, l'OMC, l'OIT, l'OMS, l'UNESCO et une Organisation mondiale de l'environnement à créer, doivent être rééquilibrées, en les dotant, par exemple, d'une juridiction comparable à celle de l'OMC. Afin d'éviter les conflits de normes, il reviendrait ensuite à un Conseil de sécurité de l'ONU élargi et rénové, pour être compétent en matière économique et sociale, de trancher les contradictions entre les règles édictées par ces différentes organisations.

De l'autre, elle peut s'engager sur une voie plus juridictionnelle, avancée par le Professeur Marie-Anne Frison-Roche, qui propose de construire entre les différentes organisations, des liens de procédures permanents permettant à celles-ci, dès qu'il y a un problème de partage entre les domaines, de requérir et de prendre en compte l'avis de l'institution spécialisée compétente.

B. Assurer la complémentarité entre l'OMC et les institutions financières internationales

L'OMC n'est pas la seule organisation internationale à traiter du commerce : le FMI et la Banque mondiale peuvent, par le biais des programmes d'ajustement structurel liés aux prêts et aux aides que ces institutions accordent, préconiser des mesures de libéralisation du commerce.

Il convient de veiller à la cohérence des engagements pris dans ces trois organisations, afin que les pays en développement ne soient amenés à souffrir de contradictions éventuelles ou obligés d'aller plus loin que ce qui est prévu par l'OMC pour satisfaire les exigences des institutions financières internationales. Ceci est particulièrement vrai pour les pays très pauvres et très endettés d'Afrique, qui sont engagés dans des initiatives visant à alléger leur dette.

Ce travail peut être entrepris dans le cadre du mandat de Doha, car les membres de l'OMC, sont convenus à l'occasion de la quatrième Conférence ministérielle, d'examiner la relation entre le commerce, la dette et les finances au sein d'un groupe de travail. Ce dernier est en effet chargé de faire des recommandations éventuelles sur les mesures qui pourraient être prises pour :

- améliorer la capacité du système commercial multilatéral de contribuer à une solution durable du problème de l'endettement extérieur des pays en développement et des PMA ;

- renforcer la cohérence des politiques commerciales et financières, en vue de préserver le système commercial multilatéral des effets de l'instabilité financière internationale.

CONCLUSION

Le cycle en cours doit se poursuivre.

Le monde a besoin d'une OMC forte, qui réduise les obstacles à l'échange pour stimuler la croissance et l'emploi, en travaillant pour tous ses membres, quelle que soit leur puissance économique.

Il a aussi besoin d'une OMC occupant une position équilibrée dans le système international et dont règles s'ouvrent aux préoccupations des citoyens.

La construction d'une base multilatérale stable et équitable doit rester la priorité de l'Europe et de ses partenaires en matière de politique commerciale.

Tous les membres de l'OMC doivent s'atteler à la tâche et consentir aux sacrifices nécessaires. Le développement ne doit pas être un slogan ; il doit nourrir un programme d'action concret pour avancer des solutions innovantes, qui permettent de relancer les négociations.

Les membres de l'Organisation commencent à être conscients qu'un grand effort de solidarité est indispensable. Car la rupture doit se faire d'abord dans les esprits, afin que les participants apportent les modifications nécessaires aux règles du jeu.

Ces avancées doivent consister à élaborer de nouveaux équilibres dans les négociations, qui peuvent se résumer ainsi : assurer un libre-échange équitable et ordonné, qui admette des exceptions lorsqu'elles se justifient pour des raisons d'intérêt général.

Le défi est immense ; il ne doit pas être relativisé. C'est à l'aune de l'objectif d'une mondialisation mise au service des hommes qu'il faudra juger plus tard les conséquences de l'échec de Cancún.{texte de la conclusion...}

TRAVAUX DE LA DELEGATION

1. Audition de M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, sur les négociations en cours à l'Organisation mondiale du commerce, le 17 juin 2003

Le Président Pierre Lequiller s'est réjoui de la tenue de cette audition, qui a lieu en présence des membres du groupe d'études sur l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et la régulation internationale présidé par M. Olivier Dassault.

Il a observé que l'OMC n'a respecté aucune des cinq échéances intermédiaires fixées par la Déclaration de Doha avant la tenue de la Conférence de Cancún : rien n'a pu être décidé dans les domaines des modalités d'accès au marché des produits agricoles et non agricoles, de l'accès des pays pauvres aux médicaments brevetés, du traitement spécial et différencié en faveur des pays en développement et de la réforme de l'Organe de règlement des différends.

Le Président Pierre Lequiller a demandé si, dans ces conditions, la Conférence de Cancún peut encore parvenir à donner une impulsion décisive aux négociations, afin que ces dernières puissent avancer de manière réellement équilibrée.

Il s'est par ailleurs demandé si l'Europe ne doit pas apprendre à mieux gérer la bataille de la communication à l'OMC pour ne pas paraître comme étant systématiquement sur la défensive et faire ressortir davantage la position faussement offensive des Etats-Unis sur certains sujets, notamment l'agriculture.

M. Olivier Dassault, président du groupe d'études sur l'OMC et la régulation internationale, a jugé qu'au stade actuel des négociations, aucun pays n'a vraiment « découvert » son jeu. Ainsi, les membres de l'OMC ont affiché leurs ambitions sans vouloir préciser le contenu concret des prochains accords.

M. Olivier Dassault a estimé que l'Organe de règlement des différends constitue le « noyau dur » de l'OMC. Il a souligné l'utilisation contrastée que font les Etats-Unis et l'Union européenne des décisions rendues par les panels. Ainsi, l'Union européenne se voit imposer, au titre de la condamnation par l'OMC de l'interdiction d'importer du bœuf aux hormones, une « pénalité » qui prend la forme d'une surtaxe appliquée par les Etats-Unis sur certains produits. La France supporte l'essentiel de cette pénalité, qui est évaluée à environ 77 millions de dollars.

Il est vrai que l'Union européenne a été autorisée par l'OMC à imposer des sanctions d'une valeur de quatre milliards de dollars aux Etats dont les subventions fiscales à l'exportation ou Foreign Sales Corporation (FSC) ont été jugées non conformes avec les accords de Marrakech. Mais la Commission européenne a décidé de manière unilatérale, et sans exiger de contrepartie, d'accorder un délai de deux ans aux Etats-Unis pour que ces derniers mettent en conformité leur législation avec les recommandations de l'Organe de règlement des différends.

Or, ce système illégal de subventions aux exportations a déjà fait l'objet d'une condamnation antérieure, qui a conduit les Etats-Unis à le toiletter sans en modifier les aspects contestables.

Le préjudice subi par l'Europe est ancien, mais cette dernière ne semble pas décidée à recourir aux sanctions autorisées par l'OMC.

En effet, M. Pascal Lamy, commissaire européen en charge du commerce, a indiqué au cours d'une audition organisée la semaine dernière que les pénalités obtenues par l'Europe ne sont pas destinées à être appliquées, mais visent uniquement à inciter les Etats-Unis à respecter leurs obligations multilatérales.

Ainsi, autant l'Europe temporise dans l'affaire des FSC, autant les Etats-Unis n'hésitent pas à appliquer des mesures de rétorsion dès lors qu'ils sont autorisés à le faire.

M. Olivier Dassault a donc souhaité savoir pourquoi l'Europe tarde à faire usage des droits qui lui sont reconnus par l'Organe de règlement des différends.

M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, a évoqué en premier lieu l'état d'avancement des négociations.

Il a d'abord constaté qu'aucun accord intermédiaire n'a été conclu en conformité avec le calendrier fixé par la Déclaration de Doha. Ce type de « dérapage » est classique dans les négociations multilatérales : à ce stade, les membres se contentent de marquer leur territoire et évitent de faire des offres détaillées, afin de ne pas payer deux fois, c'est-à-dire au début puis à la fin du cycle.

Cette technique de négociation est légitime et particulièrement pertinente dans le domaine agricole où le ministre de l'agriculture, M. Hervé Gaymard, a souligné qu'une réforme anticipée de la PAC ne doit pas aboutir à faire payer cette politique une deuxième fois après la Conférence de Cancún.

Pour autant, les négociations ne font pas du « surplace ».

Ainsi, en ce qui concerne l'accès des pays en développement aux médicaments brevetés, un accord a failli être conclu, comme prévu, en décembre 2002. Les deux pôles extrêmes de la négociation, l'Inde et le Brésil, d'une part, les Etats-Unis, d'autre part, ont évolué dans leurs positions, ce qui a créé les conditions d'un quasi accord. L'échec finalement survenu a conduit les Etats-Unis à annoncer un moratoire pour les plaintes pouvant être déposées contre les pays qui produiraient des médicaments sous licence obligatoire et les exporteraient vers les pays qui en ont besoin, en contradiction avec les règles de l'OMC. Puis, à l'occasion du Sommet du G8 réuni à Evian, les Etats-Unis ont fait part de leur volonté de trouver une solution à ce problème avant la Conférence de Cancún.

Par ailleurs, le ministre délégué a souligné que le second anniversaire du 11 septembre doit donner une impulsion aux négociations de Cancún. Le succès de Doha, qui a permis le lancement du nouveau cycle de négociations, est dû en partie à la prise de conscience globale de l'importance de ces négociations pour la paix et le soutien à la croissance mondiale. Ce facteur psychologique peut encore jouer à Cancún.

En outre, la relance des relations transatlantiques doit inciter à l'optimisme. L'entente entre les Etats-Unis et l'Union européenne s'est exprimée lors de la réunion de l'OCDE du mois d'avril où les deux négociateurs, M. Pascal Lamy et M. Robert Zoellick, ont élaboré conjointement un programme de préparation de Cancún. Ce signal était attendu, car il était urgent que les décideurs envoient un message de confiance aux acteurs économiques.

Le ministre délégué a indiqué que les négociations avancent sur certains points. C'est le cas de celles qui portent sur les droits de douane applicables aux produits industriels. Le texte du président du groupe de négociations, M. Girard, constitue, de l'avis de la majorité des membres de l'OMC, une bonne base de négociation, dont il ne faut qu'ajuster les paramètres. Cette avancée est importante car elle porte sur les échanges de produits qui représentent 70 % du commerce international des marchandises.

En ce qui concerne les indications géographiques, le dialogue a été relancé. Ce volet des négociations agricoles est très important pour l'Union : l'enjeu est bien de mondialiser le système européen des indications géographiques, qui a repris au niveau communautaire les appellations protégées françaises. Les pays en développement commencent à comprendre l'importance de l'enjeu : ils ne perçoivent plus les indications géographiques comme un instrument protectionniste, mais comme un mécanisme permettant d'apporter une plus-value à leurs productions locales, comme le riz basmati pour l'Inde.

Abordant le deuxième point de son exposé, le ministre a présenté les attentes de l'Europe concernant le cycle de Cancún.

Cancún constitue une étape importante des négociations, mais il ne faut pas dramatiser à l'excès ce rendez-vous, car personne ne peut affirmer si l'échéance de fin 2004 fixée pour le terme du cycle sera respectée.

Quoi qu'il en soit, les résultats de Cancún seront appréciés au regard de l'objectif du développement, qui a été placé au cœur du cycle de Doha.

En effet, le précédent cycle dit « d'Uruguay » a été un cycle de croissance des exportations des pays développés, qui n'a pas vraiment profité aux pays les moins riches. Les membres de l'OMC se sont donc engagé à Doha à faire du prochain cycle un outil pour la croissance et la prospérité des pays en développement.

C'est l'objet des propositions françaises concernant l'agriculture émises au sommet Afrique-France, endossées par l'Union européenne et transmises ensuite au G8. Ces dernières s'articulent autour de trois axes.

En premier lieu, les pays développés doivent aligner les préférences commerciales qu'ils accordent aux pays en développement sur les plus généreuses d'entre elles. On constate en effet à l'heure actuelle une grande disparité entre les régimes préférentiels, l'Union européenne accordant un accès à droit zéro et sans quota à tous les produits des pays les moins avancés, tandis que les Etats-Unis offrent pour cette catégorie de pays en développement un accès en franchise de droit pour les produits textiles fabriqués à partir de fibres américaines.

En deuxième lieu, la France propose d'élaborer un mécanisme de garantie de stabilité du cours des matières premières. Afin d'illustrer son propos, le ministre a cité l'exemple du coton. Le Burkina Faso vient de déposer au nom des pays d'Afrique de l'Ouest une plainte à l'OMC contre les subventions que les Etats-Unis versent à leurs producteurs de coton, rendus ainsi plus compétitifs sur le marché mondial au point d'étrangler leurs concurrents d'Afrique. Le coût de production de la livre de coton aux Etats-Unis est de 0,7 dollar, mais les subventions versées permettent de réduire ce dernier à 0,4 dollar, alors qu'il est de 0,5 dollar en Afrique. Cette concurrence déloyale a des effets désastreux sur les pays qui sont dépendants des recettes d'exportation tirées d'un seul ou de quelques produits agricoles. Ainsi, le Mali qui compte 3 millions de producteurs de coton a réalisé l'an dernier une production équivalente à seulement 50 % de son potentiel.

Les pays développés doivent corriger cette injustice, en réfléchissant aux modalités de mise en œuvre d'un mécanisme global de stabilisation des cours des matières premières. La Banque mondiale a commencé à travailler sur ce sujet techniquement complexe.

En dernier lieu, la France a proposé de suspendre tous les soutiens à l'exportation nocifs pour les pays en développement. Toutes les formes de soutien doivent être concernées, y compris les soutiens internes ayant des effets sur les exportations, comme les aides américaines à la production de coton, et l'aide alimentaire utilisée à des fins d'écoulement des excédents.

Ainsi, Doha doit être un cycle de développement. Mais il doit permettre aussi à l'Europe de servir ses intérêts.

Dans le domaine des produits industriels, il faut s'attaquer aux pics tarifaires auxquels se heurtent les exportations des entreprises européennes. Ces pics peuvent atteindre 50 % en Inde pour les importations de produits textiles.

L'Europe doit en parallèle mettre en avant le haut degré de libéralisation qu'elle a atteint dans le domaine de l'accès au marché. Le droit de douane moyen appliqué dans l'Union européenne est de 3,8 %, ce qui reflète l'importance des efforts déjà accomplis.

Le ministre délégué a indiqué qu'un milliard d'exportations représente 15 000 emplois en France. Les gains potentiels d'une libéralisation accrue des échanges sont parfois estimés à 100 milliards de dollars d'ici 2010. Par ailleurs, l'excédent commercial de la France est de 10 milliards d'euros, performance à comparer avec les 120 milliards d'euros dégagés par l'Allemagne. La France a tout à gagner d'une nouvelle baisse des droits de douane.

S'agissant de l'agriculture, le ministre a considéré que l'Europe doit combler un certain retard en matière de communication. Vue du reste du monde, la PAC apparaît comme une politique n'ayant pas évolué depuis la mise en place du marché commun. L'Europe est présentée comme étant une forteresse alors qu'elle est le premier importateur de produits agricoles en provenance des pays en développement : elle importe de ces pays 28 milliards d'euros contre 8 milliards pour les Etats-Unis. D'autre part, si elle a diminué sa production de blé de 5 millions de tonnes entre 1995 et 2000, l'Australie a augmenté d'un même volume ses exportations au cours de cette période. En outre, en matière de soutiens internes, le montant des aides par agriculteur en Europe est inférieur à celui constaté aux Etats-Unis, soit 16 000 dollars contre 21 000 dollars. Enfin, l'Europe a plafonné ses dépenses agricoles, un effort qui doit être valorisé.

Ces acquis de l'Europe doivent devenir des atouts dans les négociations à l'OMC et être exploités comme tels.

M. François Loos a rappelé que la négociation portait aussi sur les services et qu'en ce domaine, ce n'est pas l'existence des services publics qui est en cause, mais le niveau de libéralisation de l'ensemble des services. L'Union européenne doit encore notifier à l'OMC ses engagements à ce sujet, les derniers datant de 1993. Or, de même que les droits européens qui pèsent sur l'importation des produits industriels sont parmi les plus bas, le secteur des services européens est l'un des plus ouverts au monde, de sorte que la passation des prochains engagements consistera seulement à faire enregistrer par l'OMC la situation actuelle sur les services, sans autre effort à fournir.

Quant à la sanctuarisation des domaines de l'éducation et de la culture, le ministre a mis en garde ceux qui la tiendraient volontiers pour définitivement acquise : elle est au contraire soumise à des pressions quotidiennes qui prennent la forme de nombreux accords bilatéraux obtenus par les Américains dans le domaine de l'audiovisuel.

Il a fait part des efforts qu'il a déployés au cours de rencontres où il a pu s'entretenir avec ses homologues appartenant à des pays qui défendent des positions parfois très éloignées des positions européennes : Indiens, Chinois, Australiens... Les consultations entre Européens ne sont pas non plus inutiles pour éviter que le front commun qu'ils présentent ne soit qu'une attitude de façade. Une rencontre a eu lieu dernièrement dans le cadre de l'ASEM (Asia-Europea Meeting), où les pays asiatiques ont exprimé des préoccupations proches des nôtres. Ainsi, une réunion européenne est prévue le 6 juillet, suivie le lendemain d'une discussion dans le cadre du dialogue euro-méditerranéen, où les vingt-cinq Etats membres, actuels et futurs, s'entretiendront avec dix pays du bassin méditerranéen. De même, une réunion européo-asiatique doit se dérouler en Chine le 22 juillet, après consultation préalable entre Européens. D'autres rencontres suivront en Egypte et au Canada.

Sur le front intérieur, le ministre a estimé qu'il était nécessaire d'intensifier le dialogue avec les organisations non gouvernementales et la société civile d'une manière générale, indiquant que des rencontres s'étaient déjà déroulées au ministère des finances. Il a salué le travail considérable accompli par ces organisations, revenant sur l'exemple de l'étude réalisée par Oxfam sur la question du coton. Il a observé que ces travaux, même lorsqu'ils ne sont pas connus du grand public, nourrissent le débat entre spécialistes de manière déterminante.

M. François Loos a émis le vœu que le jeu des rétorsions réciproques et des procédures juridictionnelles à l'OMC n'altère pas le contenu des discussions en cours, rappelant que la part la plus importante du contentieux porté devant le panel de l'OMC ne fait qu'opposer entre eux des pays du Sud. Quant aux affaires qui mettent aux prises les Etats-Unis et l'Europe, elles ont déjà valu aux Etats-Unis d'obtenir le bénéfice de 117 millions d'euros de pénalités à imposer aux importations européennes, 77 de ces derniers pesant aujourd'hui sur des produits français. A l'inverse, la condamnation des Etats-Unis sur le sujet des FSC (Foreign Sales Corporation) a ouvert à l'Europe la possibilité de percevoir quatre milliards d'euros de taxes à l'importation sur les produits américains. Vu l'ampleur de la somme, le problème se pose de savoir comment ces pénalités pourraient être distribuées sur les importations américaines, le consommateur européen étant en dernier ressort celui qui doit en acquitter le montant. Aussi des consultations ont-elles été engagées dans les différents pays européens avec les professionnels concernés.

Pour l'avenir, le ministre a souhaité que ces considérations ne donnent pas des négociations en cours l'image d'un pugilat, regrettant à cet égard la procédure récemment engagée au sujet des OGM et qui tire son origine du fait que la Zambie a rejeté l'aide alimentaire américaine contenant des OGM, alors même que le pays se trouvait en situation de famine.

M. Jean-Michel Fourgous, membre du groupe d'études sur l'OMC et la régulation internationale, a souhaité savoir quels étaient les secteurs où l'effet d'entraînement des exportations sur l'emploi s'avérait le plus fort et, d'autre part, les conditions dans lesquelles le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie pourrait améliorer son action dans le domaine de l'exportation.

M. Marc Laffineur, rapporteur, a déclaré être étonné par la vitalité de la stratégie américaine à la veille de la réunion de Cancún. Dans le domaine agricole, il a constaté que l'Union européenne était mise en accusation pour les subventions qu'elle versait à l'agriculture à l'exportation, et donc soupçonnée d'empêcher, ainsi, le développement des pays du sud, alors que les Etats-Unis aident les exportations de façon massive de telle sorte qu'ils provoquent un effondrement de l'agriculture de ces pays, comme l'illustre l'exemple du coton évoqué par le ministre. M. Marc Laffineur a donc souhaité savoir comment l'Union européenne pourrait mettre en œuvre une communication plus offensive.

S'agissant des pays en développement, M. Marc Laffineur a considéré que l'Europe se devait de contribuer à redéfinir cette catégorie puisqu'aujourd'hui, par exemple, Singapour est regardé, comme le Bénin, comme un pays en développement.

En ce qui concerne les indications géographiques, M. Marc Laffineur n'a pas constaté de volonté américaine d'aboutir à un accord. Evoquant les droits de douane, il a jugé que la démarche américaine qui consisterait à vouloir les abaisser aura pour effet de réduire considérablement les recettes fiscales des pays du Sud, dont la majorité provient de ces droits de douane. Pour ce qui est des services, il s'est demandé si les offres européennes étaient à la hauteur des enjeux.

A propos de la réforme des procédures à l'OMC, il a souhaité que l'Union européenne puisse contribuer à leur amélioration. Quant aux OGM, il a estimé que les Etats-Unis s'en servaient comme moyen de négociation à l'égard de l'Union européenne.

M. Jacques Myard, déclarant que la quadrature du cercle dans laquelle s'inscrit l'économie globalisée posait le problème de la participation des pays en développement dans le cycle commercial de Doha, a exprimé la crainte que ces derniers ne soient davantage déstabilisés par le processus de l'ouverture de leur commerce, qu'il a jugé trop rapide. Cette question est d'autant plus cruciale qu'à l'inverse de l'Union européenne et des Etats-Unis, qui sont des partenaires égaux, les pays en développement se trouvent confrontés à une situation qui s'avère très fragile. M. Jacques Myard a considéré que, dans ce contexte, leur cas devrait non pas relever des négociations à l'OMC, mais d'une autre philosophie. Par ailleurs, il a fait observer qu'en 1914, avant la création du marché commun, la France était le premier partenaire commercial de l'Allemagne et réciproquement.

M. Jérôme Lambert a considéré que la création d'un grand marché mondial, présentait certes un intérêt économique, mais devait être réexaminée au regard de ses apports sur les plans social et humain. Les défaillances constatées en ces domaines appellent à une vigilance, dont la nécessité est partagée par tous les Français, pour qui une certaine idée de la politique implique que l'économie soit au service de l'homme.

Evoquant les droits de douane que l'Union européenne pourrait imposer aux Etats-Unis au titre du contentieux sur les FSC, M. Jérôme Lambert a observé qu'à l'inverse des Etats-Unis, l'Union européenne était réticente à mettre en œuvre une telle mesure de façon effective. Il s'est étonné qu'en ce domaine, l'Europe surestime les effets qui pourraient en résulter pour les consommateurs et les produits européens, car ces derniers ne seront pas automatiquement moins compétitifs que les produits américains. Il a souhaité dès lors savoir quelles mesures l'Union européenne comptait prendre pour agir dans un sens conforme à ses intérêts.

M. Olivier Dassault, Président du groupe d'études sur l'OMC et la régulation internationale, s'est déclaré étonné que la Commission ne demande pas, au sujet des FSC, l'annulation de la surtaxation par les Etats-Unis des produits français. Ne pourrait-on pas d'ailleurs imaginer un mécanisme de compensation entre les pénalités ? Il a souligné que des droits prohibitifs étaient appliqués par les Etats-Unis à certains produits pour protéger certaines de leurs productions. Cela a été le cas pour le jus d'orange de Floride, pour des raisons, semble-t-il, électorales.

Le ministre délégué a apporté les éléments de réponse suivants :

- le jus d'orange de Floride fait partie des produits menacés d'être taxés parmi la liste des sujets relevant des FSC ;

- s'agissant des OGM, il n'est pas du tout sûr que la politique conduite par les Etats-Unis soit gagnante pour eux ; elle peut en effet se révéler contre-productive. Il en de même en matière d'acier. La pertinence des positions respectives des Etats-Unis et de l'Union européenne est de fait souvent subtile à déceler ;

- dans le domaine agricole, les Etats-Unis ont utilisé tous les moyens pour protéger leur industrie et, plus largement, leur économie. Leur système de subventions agricoles, qui existe tant au niveau fédéral qu'à celui des Etats, est d'ailleurs fort étendu et complexe. La France plaide en faveur de son allègement ;

- l'Union européenne souhaite que les pays en développement bénéficient des nouvelles règles du commerce international. Cependant, ceux-ci en tirent inévitablement profit de manière inégale en raison de leurs différences de situation et, en particulier, de leur niveau de pauvreté et d'endettement. Il faut tenir compte de ces différences dans la politique des cours mondiaux et l'établissement des systèmes de préférences, en évitant que des exportations « sauvages » viennent annuler les efforts de ces pays. Cela suppose une action multilatérale d'ensemble de la communauté internationale. La plainte déposée par les pays africains sur le coton atteste cette prise de conscience ;

- savoir si le processus actuel est au service de l'homme ou du marché dépend de la définition que l'on donne du commerce - que l'on peut concevoir comme la satisfaction de besoins plus ou moins importants. C'est d'ailleurs cette approche qui a présidé à l'idée de créer un marché commun européen ;

- en matière sociale, l'Union plaide, comme la France, en faveur de l'intégration des droits sociaux dans les règles du commerce international : les travaux du Bureau international du travail (BIT) doivent être davantage pris en compte par l'OMC. Cependant, la plupart des pays en développement s'y opposent. Cela dit, leur attitude est amenée à évoluer : on peut par exemple penser que l'Inde sera sans doute conduite à changer de position face à l'accroissement du volume des exportations en provenance de Chine ;

- au sujet des créations d'emplois entraînées par l'augmentation des exportations, il convient de souligner le processus de spécialisation par pays qui s'est fait jour à la suite des grandes restructurations industrielles. La domination de Boeing et d'Airbus dans le domaine aéronautique le montre. La France a vocation à focaliser son effort sur la recherche-développement, afin de se spécialiser sur les emplois et les secteurs à forte valeur ajoutée. Au lieu d'essayer de relocaliser des industries délocalisées dans certains pays d'Europe de l'Est ou certains pays en développement, qui est une entreprise perdue d'avance, il est en effet préférable de se concentrer sur les domaines à forte production de savoir et de richesse ;

- il est remarquable d'observer que le volume des exportations françaises vers les Etats-Unis a été en 2002 de 26 milliards d'euros, alors que la production provenant d'entreprises françaises installées aux Etats-Unis a engendré 150 milliards d'euros - soit six fois plus - et employé 900 000 personnes. Cela montre bien combien l'internationalisation dépasse largement le cadre des échanges commerciaux et la part considérable de richesse résultant des investissements étrangers des pays par rapport à ces échanges ;

- les médicaments constituent une question majeure. La disproportion entre le nombre de malades et celui des personnes soignées est en effet très forte. Ainsi, en Afrique, sur 30 millions de personnes atteintes du SIDA, seulement 36 000 sont soignées ; le cas du Mali est particulièrement alarmant. Or, la seule façon d'accroître significativement le nombre de personnes soignées par la trithérapie est de baisser le prix de celle-ci. Cela impose de convaincre les firmes pharmaceutiques détentrices des brevets de le faire, comme l'ont fait certaines d'entre elles face à la pression exercée par des fabricants indiens de génériques. Entre les droits des brevets et de la propriété industrielle - qui doivent par ailleurs être respectés - et le droit des personnes atteintes de maladies mortelles à être soignées, le Gouvernement estime qu'il faut donner la priorité à ce dernier. Le développement des génériques permet notamment d'y parvenir. Face aux demandes de faire bénéficier de cette priorité d'autres maladies telles que le diabète ou l'obésité, les Etats-Unis ont manifesté des réticences. Cependant, ils ont indiqué au dernier sommet du G8 qu'ils entendaient trouver une solution satisfaisante à ce problème avant la réunion de Cancún et qu'ils étaient disposés à y consacrer 15 milliards de dollars. Reste à savoir si cette somme sera utilisée dans un cadre bilatéral ou bien multilatéral, comme le préconise le Gouvernement.

2. Audition de M. Pascal Lamy, commissaire européen chargé du commerce, sur les travaux de la Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce à Cancún, le 8 octobre 2003

Le Président Pierre Lequiller a remercié le commissaire européen d'avoir accepté de venir devant la Délégation après la Conférence de Cancún. Il a indiqué que l'Assemblée nationale débattrait demain, en séance publique, des suites à donner à ce sommet, soulignant ainsi l'importance de ces questions pour les parlementaires.

Il a estimé que l'échec de la Conférence de Cancún est une mauvaise nouvelle. C'est d'abord le cas pour l'OMC, la dernière-née des organisations internationales, qui connaît pour la deuxième fois, après Seattle, un échec. Ensuite, cet échec porte un coup sévère au multilatéralisme alors que les négociations commerciales étaient jusqu'ici le domaine privilégié de la coopération entre les nations, comme l'a montré l'accord obtenu en août dernier sur l'accès des pays pauvres aux médicaments génériques. Il envoie par ailleurs un signal négatif à l'économie mondiale, qui a pourtant besoin d'être stimulée. Enfin, cet échec marque la résurgence d'un clivage dommageable entre le Nord et les « Suds » au détriment de l'objectif premier du cycle de Doha, qui est le développement.

Le Président Pierre Lequiller a souhaité connaître l'opinion du commissaire européen sur le déroulement des négociations à Cancún et sur l'avenir de l'OMC, dont le constat de décès vient d'être établi dans un grand quotidien par un commentateur.

M. Pascal Lamy, commissaire européen chargé du commerce, a déclaré partager le jugement du Président Pierre Lequiller sur la Conférence de Cancún. Cet avis est aussi celui de l'ensemble du collège des commissaires et des Etats membres. Cancún constitue un échec, qui est grave et affecte tous les membres de l'OMC. Ces derniers sont en effet repartis les mains vides de la Conférence.

Le commissaire européen a d'abord rappelé l'objectif de la Conférence. Celle-ci devait déterminer si, depuis le lancement du cycle, en novembre 2001, la moitié du chemin, c'est-à-dire du programme de négociations, pouvait être parcourue. La moitié du chemin doit être comprise ici comme étant une moyenne, qui peut être de 40 % sur certains sujets ou de 60 % sur d'autres. Le commissaire européen a estimé qu'au total, à Cancún, seulement 30 % à 33 % du chemin a été parcouru.

Il a alors abordé les raisons de cet échec, en précisant qu'il avancerait des explications rationnelles et n'évoquerait pas les multiples théories du complot, qui ont fleuri au lendemain de la Conférence.

La Conférence de Cancún a échoué pour une raison simple, qui peut paraître une lapalissade : les négociateurs ne sont pas parvenus à rapprocher suffisamment leurs positions.

Chaque négociateur est venu à Cancún avec une balance très précise pour mesurer le juste équilibre à atteindre entre ses intérêts offensifs et défensifs. Or, à un moment donné, toutes ces balances ont penché dans le mauvais sens : celles des Etats-Unis et de l'Union européenne, deux acteurs du Nord, et celles du G21 et du G90, deux acteurs du Sud.

Les Etats-Unis ont certes toujours eu une attitude prudente à l'égard du programme de négociations, avec des intérêts offensifs - les services, l'industrie - et des intérêts défensifs - l'agriculture et l'antidumping. Cette approche qui restait globalement positive jusqu'à Cancún a été remise en question par l'affaire du coton.

L'initiative concernant le coton, visant à supprimer les aides des pays développés à leurs producteurs de coton, était notamment défendue par les pays africains et devait faire l'objet d'une négociation particulière. Lors de la Conférence, la cristallisation des débats sur cette proposition, endossée par tous les pays du Sud, a pesé de manière négative sur le plateau défensif de la balance des Etats-Unis et a fait basculer leur attitude.

Quant au G21, qui regroupe principalement la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud, il est l'enfant d'un « père politique » et d'une « mère agricole ».

La « mère agricole » est l'offensive que ces pays mènent contre tous les soutiens à l'agriculture accordés par les Etats-Unis et l'Union européenne, alors que les membres du G21 ne partagent pas les mêmes intérêts agricoles. Ainsi, le Brésil prône une libéralisation totale et définitive de ces échanges, une vision opposée à celle de l'Inde.

Le « père politique » du G21 est la guerre en Irak. Les pays constituant ce groupe ont souhaité affirmer leur poids politique sur la scène internationale, car ils ont estimé que leur voix n'a pas été entendue pendant la crise irakienne. Le G21 apparaît comme une réincarnation du mouvement des non-alignés, apparu lors de la lutte contre la dépendance politique des colonies. A Cancún, ce groupe aurait pu entrer dans la négociation, ayant notamment des intérêts semblables dans les domaines de l'industrie et des services, mais il a finalement considéré que le gain politique d'un échec de la conférence était plus important.

Le troisième acteur est le G90, qui regroupe les pays les moins avancés et d'Afrique. Son apparition est très significative : elle démontre clairement qu'il n'y a pas un Sud à l'OMC mais au moins deux « Suds ». Le G90 est donc une réponse au G21, mais aussi l'expression de l'alliance soutenant l'initiative sur le coton. Sur ce dernier point, le G90 a estimé qu'aucun geste n'a été fait à Cancún pour les pays pauvres producteurs de coton. Il a donc, par contrecoup, refusé le compromis du Mexique, pays présidant la Conférence, consistant à dissocier deux des quatre « sujets de Singapour » (concurrence, investissement, facilitation des échanges, transparence des marchés publics) sur lesquels des négociations devaient être ouvertes. Il a ainsi pris une position opposée à celle prise par la Corée qui voulait garder les quatre sujets de Singapour.

En ce qui concerne l'Union européenne, la balance de cet acteur est longtemps restée positive. A Cancún, elle a voulu servir de pont entre le Nord et le Sud, en essayant d'engager les Etats-Unis dans la réforme de leur politique agricole. L'Union européenne a adopté une démarche constructive. Elle a « bougé » à Cancún. Elle a ainsi accepté de renoncer à ouvrir les négociations sur deux des sujets de Singapour, l'investissement et la concurrence, pour retenir les deux autres. Pourtant, ce geste de bonne volonté a été jugé insuffisant, ce qui a conduit à mettre un terme à la Conférence.

Ainsi, l'Union européenne a beaucoup mis sur la table des négociations, sans que les autres bougent.

Au total, la volonté ou la capacité d'évoluer des grands acteurs était faible. Cette raison explique l'échec de Cancún.

Le commissaire européen a alors abordé les conséquences de l'échec de Cancún sur la politique commerciale de l'Union européenne.

Il a considéré que l'Union européenne devait avant tout prendre le temps de la réflexion. L'Europe a toujours estimé que la négociation à l'OMC était sa priorité, l'objectif n° 1 de sa stratégie d'ouverture des marchés. Il s'agit d'une position classique et logique : c'est à l'OMC que les rapports de force sont les plus équilibrés et que l'Europe peut peser de tout son poids.

Cependant, après le choc créé par l'échec de la Conférence, les mérites de cette approche doivent être vérifiés. Le commissaire européen a précisé que cet exercice ne consistait pas à changer de politique, mais à procéder à une évaluation.

La réflexion sera menée avec le Conseil des ministres et le Parlement européen, en y associant le Comité économique et social, les organisations syndicales et la société civile. Elle aura lieu aussi au sein du collège des commissaires.

Le commissaire européen a estimé que cette réflexion doit s'articuler autour de quatre questions essentielles.

En premier lieu, l'Union européenne doit déterminer si elle souhaite toujours défendre une vision des échanges combinant ouverture des marchés et construction de règles. Cette approche est le socle politique distinctif de la stratégie commerciale multilatérale de l'Europe.

La poursuite de l'ouverture des échanges recueillait jusqu'à présent un quasi-consensus, même s'il est évident que cette orientation ne doit pas aller à l'encontre d'autres intérêts tels que la préservation de l'environnement, la protection des consommateurs ou encore l'amélioration de l'état sanitaire. Il importe de vérifier si cet équilibre demeure notre objectif, même s'il existe de bonnes raisons de penser que la position du Conseil des ministres et du Parlement européen n'a pas changé sur ce point.

M. Pascal Lamy a considéré que si l'Union européenne confirmait son attachement au multilatéralisme, il conviendrait, dans un second temps de se demander si cette approche est suffisamment partagée par nos partenaires pour autoriser des négociations constructives. A titre d'exemple, on pourrait concevoir que les Etats-Unis jugent que l'établissement de règles multilatérales ne constitue pas une priorité pour la défense de leurs intérêts, ou bien que l'Inde estime qu'une réduction des protections tarifaires serait susceptible de lui être défavorable, compte tenu de la montée en puissance de la Chine dans les échanges internationaux. De même, certains Etats appartenant à la catégorie des pays les moins avancés, bénéficiant de préférences tarifaires pour l'accès au marché européen et au marché américain, pourraient penser que leur avantage comparatif serait réduit par les progrès susceptibles d'être enregistrés en cas de poursuite de l'approche multilatéraliste.

Une seconde série de questions a trait à la dimension à donner au développement au sein de l'OMC. Le développement est aujourd'hui une priorité, qui a été illustrée en particulier par la réussite des négociations concernant les règles de propriété intellectuelle sur les médicaments. L'Union européenne et les Etats-Unis peuvent encore faire des concessions en matière agricole ou dans le domaine du textile, mais il importe de s'interroger sur la dimension à donner à cette notion. On peut ainsi se demander si certains des pays actuellement considérés comme des pays en développement doivent être exonérés définitivement ou provisoirement des règles de discipline imposées aux autres Etats en matière agricole ou industrielle. En fait, cette question comporte un aspect « Sud-Sud » considérable, puisque, pour ne prendre que ces exemples, l'Inde et la Chine disposent de marchés potentiellement très importants.

Une dernière série de questions tient aux règles relatives à l'organisation des travaux au sein de l'OMC. Après la Conférence de Seattle, le caractère « médiéval » de cette organisation avait pu être évoqué, même si l'on était tenté d'employer plutôt le qualificatif de « jurassique », mais il serait plus exact de critiquer son aspect baroque. Il convient effectivement de regretter le caractère « mou » de cette organisation. Pour ne prendre que quelques exemples, on peut tout d'abord remarquer que le sommet de Cancún, qui s'est étalé sur une semaine, n'a permis des négociations effectives que durant une partie de nuit et une partie de matinée, le reste étant consacré à des contacts informels, à la désignation de facilitateurs, à la rencontre de ces intermédiaires... Ensuite, on peut trouver étrange que le président de la Conférence puisse y mettre fin sans procéder à la moindre consultation, même si on ne peut pas lui en tenir grief puisque cela relevait formellement de ses compétences. Enfin, la règle du consensus qui dans le cadre de l'OMC rend nécessaire, en fait, l'unanimité constitue un obstacle considérable dans des négociations regroupant 150 représentations, constituées chacune de sept ou huit membres. De telles circonstances empêchent l'élaboration de règles contraignantes et de qualité.

Pour conclure, M. Pascal Lamy a estimé que d'autres partenaires au sein de l'OMC avaient les mêmes interrogations. Quant à lui, il attend les résultats des consultations avec le Parlement européen, le Conseil des ministres et nos divers partenaires, avant de faire des propositions pour la poursuite des discussions. En tout état de cause, si nous devions reprendre l'initiative de ces négociations, il conviendrait de disposer de plus de garanties sur leur aboutissement.

Un débat s'est ensuite engagé.

M. Marc Laffineur, rapporteur, a évoqué le climat qu'il a observé lors de son déplacement à Cancún. L'accord conclu entre les Etats-Unis et l'Europe a été mal ressenti, de façon paradoxale car beaucoup y voyaient la condition nécessaire à la progression des négociations. Mais les pays en voie de développement ont eu le sentiment que les « grands » voulaient leur imposer leurs vues, ce qu'ils n'ont pas accepté.

M. Marc Laffineur a dit partager l'analyse de M. Pascal Lamy sur les disparités qui caractérisent le « groupe des 21 » qui n'avait comme facteur d'unité que leur stratégie d'opposition, masquant des intérêts diamétralement opposés entre le Brésil, l'Inde ou la Chine, par exemple. Si le Brésil a certainement réussi un « coup » politique, son impact sur l'économie du pays sera nettement plus incertain. Quant au Japon, il s'est senti trahi par les Européens, lesquels ont également été critiqués par les pays les moins avancés qui considèrent que les aides communautaires à l'exportation handicapent leur développement. Il est regrettable que le Canada n'ait pas été un véritable allié de l'Europe. M. Marc Laffineur a ainsi interrogé le commissaire sur les mesures que pourrait proposer l'Europe pour rétablir la confiance des pays africains dans l'OMC. Une fracture s'est creusée avec les pays les moins avancés qui se sont notamment senti insultés par l'accord qui leur a été proposé sur le commerce du coton. Ce dernier invitait notamment les pays africains à diversifier leur production. Par ailleurs, ne faudrait-il pas établir des distinctions selon les pays en développement, en ayant recours, par exemple, à des critères géographiques ?

A propos du volet agricole, il a rappelé l'expiration le 31 décembre 2003 de la clause de paix qui protège les soutiens agricoles des recours devant l'Organe de règlement des différends et souligné de ce fait la remise en cause possible de l'existence même des politiques agricoles. La proposition de négociation sur l'agriculture discutée à Cancún ne condamne-t-elle pas l'Europe à préparer d'ores et déjà une nouvelle réforme de la PAC ? Ce texte semble en effet engranger toutes les marges de manœuvre dégagées par l'accord de Luxembourg de juin dernier et prévoit une remise en cause des critères de la boîte verte dans laquelle l'Europe pourra transférer ses aides découplées. Ne faudrait-il pas, dès lors, cesser dans ces négociations, de jouer avec les trois boîtes de Marrakech pour atteindre un double objectif : celui de la loyauté des échanges et de la sécurité alimentaire des Etats ?

M. Marc Laffineur a également souligné les aspects positifs de la réunion de Cancún, mentionnant l'unité dont l'Europe a fait preuve par la voie de son commissaire, ainsi que l'accord sur les médicaments. Mais il a estimé nécessaire d'engager une réflexion sur la réforme des règles d'organisation au sein de l'OMC.

M. François Guillaume s'est demandé comment rebondir après l'échec de Cancún. La société civile a été fortement représentée lors de ce sommet, puisque près de 600 organisations non gouvernementales avaient fait le déplacement, et près d'une centaine d'entre elles ont pu accéder à la salle de la Conférence, ce qu'il a regretté étant donné le degré de pression qui caractérise le déroulement de telles négociations. Sur le fond des dossiers, les revendications des pays en développement et les questions agricoles sont imbriquées et révèlent des contradictions. En effet, les pays du Nord - les Etats-Unis et l'Union européenne, principalement - ont conclu un accord de dupes dans la mesure où les Américains partent de l'accord de l'Uruguay Round lorsque les Européens ont déjà réduit le niveau de leurs subventions agricoles avec la réforme de la PAC. Or il est illusoire de penser que le secteur agricole pourrait survivre sans subventions, les prix du marché étant inférieurs aux prix de revient. Les pays en développement contestent les subventions agricoles alors qu'elles leur permettent de bénéficier d'aides alimentaires à des prix particulièrement bas. Il est vrai, cependant, que cela provoque une baisse des prix du marché qui les touche particulièrement.

M. François Guillaume a ensuite évoqué la question des pays émergents, à travers l'exemple du Brésil où les aides distribuées favorisent le développement des haciendas au détriment des petites exploitations. C'est pourquoi, les négociations commerciales ne pourront être raisonnablement reprises qu'une fois levées ces contradictions.

Il s'est enfin élevé contre la distinction établie entre les aides directes et les aides distorsives, qui n'a pas de sens pour l'agriculteur qui les reçoit, à la nuance près que les aides directes représentent une incitation plus forte au développement de la production.

M. Jean-Marie Sermier a souligné l'amertume de l'agriculture européenne au lendemain de l'échec des négociations de Cancún. La réforme de la PAC a été imposée au monde agricole sans arguments réels, sous l'impulsion de la Commission, certains prétendant que la PAC affame les pays en développement. Il ne faut pas s'étonner dans ces conditions que les pays africains critiquent une politique que nous ne soutenons pas nous-mêmes. L'accord sur la réforme de la PAC a été conclu sous la pression politique de la crise irakienne, compte tenu de la nécessité de reconstituer l'unité européenne, alors que, sur le fond, une majorité des Etats membres aurait pu se prononcer contre la réforme. La Commission a expliqué qu'elle permettrait d'obtenir plus facilement un accord à l'OMC, et on s'aperçoit maintenant que cela n'a pas fonctionné.

Il a considéré que la difficulté à trouver un accord au sein d'une enceinte rassemblant près de 150 participants n'était pas une découverte en soi : la question du coton a cristallisé l'échec mais les données fondamentales de l'« ambiance » de la négociation étaient connues d'avance. La Commission a-t-elle mal apprécié les risques de cette négociation et engagé une réforme de la PAC sans perspectives réelles d'ouverture des marchés de nos concurrents ?

Il a enfin interrogé le commissaire sur les suites de la réforme de la PAC après l'échec de Cancún.

En réponse aux intervenants, M. Pascal Lamy a apporté les précisions suivantes :

- concernant l'accord agricole intervenu cet été entre l'Europe et les Etats-Unis, il est effectivement étonnant d'entendre les critiques qui se sont exprimées à propos de cet accord, alors même qu'il avait été précédemment réclamé « à grands cris » par nos partenaires commerciaux, y inclus les pays en développement.

Dans cette négociation de l'OMC, l'Union européenne est en accord avec les Etats-Unis sur certains sujets - comme les tarifs industriels - et pas sur d'autres - comme le coton, l'environnement, la santé, la biodiversité ou les indications d'origine des produits agricoles. Les alliances sont multiples et variables. Le Brésil n'est pas a priori heureux de l'échec de Cancún, étant plutôt favorable à une approche multilatérale des négociations commerciales ;

- en prenant l'initiative de la réforme de la PAC - dont les raisons étaient avant tout internes -, l'Union européenne s'est retrouvée en position plus forte pour que les Etats-Unis diminuent les soutiens qu'ils apportent à leur agriculture. Ainsi, pour le prix d'une réforme, on pouvait en avoir deux. La question difficile est de savoir si tout soutien à l'agriculture constitue un problème, ou si l'on peut distinguer entre les différents types de soutiens. Pour l'Union européenne - comme, par exemple, pour l'Inde ou les pays d'Afrique - on ne peut pas discuter à l'OMC de l'agriculture comme on discute du charbon ou des pneus. Des pays comme le Brésil ou la Nouvelle-Zélande ont une position contraire, comme officiellement les Etats-Unis, alors qu'en réalité, ils aident fortement leur agriculture. L'Union européenne doit avoir le droit de soutenir son agriculture compte tenu des contraintes économiques qui pèsent sur elle, du fait notamment des fonctions d'intérêt général qui sont les siennes et des réglementations qui lui sont imposées, en particulier du point de vue environnemental ou pour le bien être animal. Il faut par conséquent s'efforcer de distinguer les aides qui sont perturbatrices du commerce international de celles qui ne le sont pas. L'Europe est d'accord pour encadrer ou supprimer les aides qui favorisent les surproductions agricoles, mais pas celles qui compensent les handicaps de production et qui ne sont pas perturbatrices de l'échange.

Certains pays, le Brésil par exemple, sont contre toute forme d'aide. En revanche, les pays africains, alors qu'ils prennent position dans les discussions de l'OMC contre les aides agricoles, ont, sur le fond, une vision de l'agriculture qui rejoint la vision européenne et dépasse le seul champ économique et commercial ;

- la question des distinctions existant au sein des pays en développement est une question difficile et politiquement sensible du fait des conséquences d'un classement différencié sur le statut des pays, du point de vue des règles du commerce international. Cette question devra en tout état de cause être abordée. On voit bien d'ores et déjà que des groupes distincts - le G21 et le G90 - se sont constitués dans le cadre de l'OMC. On ne peut pas traiter de la même façon des pays qui sont exportateurs nets - comme le Brésil - et ceux qui sont importateurs nets ;

- la clause de paix, qui protège les subventions agricoles des recours contentieux à l'OMC, disparaîtra à la fin de l'année. Sa suppression risque de multiplier les différends commerciaux ;

- en matière agricole, le point de départ pour la réduction des soutiens est identique pour les Américains et les Européens : il s'agit des engagements pris dans le cadre de l'Uruguay round. La réforme de la PAC va permettre aux Européens d'accepter plus facilement une diminution substantielle des plafonds d'aides, alors que les Américains, qui ont accru leurs aides nationales, ont été mis en difficulté dans la négociation ;

- afin de rebondir en matière agricole, il faudra réussir à trouver une position centrale entre quatre points de vue, celui des Etats-Unis, celui de l'Europe, celui des pays en voie de développement exportateurs (comme le Brésil), et celui des pays en voie de développement importateurs (comme l'Inde). Les Etats-Unis et l'Europe ont des systèmes de soutien assez importants, bien que notre taux moyen de protection ne soit que de 10 %. Les Américains exportent des matières premières agricoles alors que les Européens exportent des produits agricoles à valeur ajoutée (agro-alimentaire, vin, fromage). Aujourd'hui, la balance des échanges agricoles entre l'Europe et les Etats-Unis est excédentaire ;

- la position européenne dans les négociations de l'OMC est de défendre la spécificité de l'agriculture, qui doit bénéficier de règles particulières. La réforme de la PAC n'a pas été conçue dans le but de la rendre compatible avec l'OMC. L'Europe a ses propres raisons de vouloir réformer la PAC. Elle fait un choix de société. La réforme est indispensable pour rendre l'agriculture soutenable à moyen et à long terme. Elle n'est pas achevée. Il restera à la poursuivre dans les secteurs du sucre, du coton, de l'huile d'olive et du tabac pour lesquels la Commission a d'ailleurs mis une proposition sur la table le 23 septembre dernier.

M. Jacques Myard a estimé que l'échec des négociations de l'OMC à Cancún n'était pas dû uniquement à leur mauvaise préparation. Il a jugé que la réforme de la PAC était justifiée par le désir de certains Etats, comme la Grande-Bretagne ou l'Allemagne, d'alléger la facture de la PAC. L'Europe a commis une erreur tactique à Cancún, en allant au devant des exigences de l'OMC. Les compétences de nombreuses institutions spécialisées de l'ONU ont été progressivement transférées à l'OMC. Cette organisation semble avoir pour vocation de résoudre tous les problèmes de la planète. L'Union européenne porte une responsabilité dans cette dérive. Il serait plus efficace de traiter les dossiers séparément plutôt que de les agglomérer. L'ouverture des échanges n'est pas contestable, mais elle ne doit pas être brutale. Le commerce mondial est en forte croissance et il n'est donc pas indispensable de précipiter les échéances.

M. Pierre Forgues, déclarant avoir apprécié les conclusions du commissaire européen selon lesquelles l'échec de la Conférence de Cancún devrait inciter les Etats à prendre le temps nécessaire de la réflexion, a toutefois estimé que l'objectif d'une organisation du commerce au plan mondial se heurtait à de sérieuses difficultés. Il a considéré que le principe de discussions rassemblant 150 Etats n'était qu'une fiction puisque, dans les faits, ces derniers sont regroupés. S'agissant des discussions sur l'agriculture, il a estimé qu'il était difficile de concilier libéralisation des échanges et souhait des Etats de soutenir leurs agriculteurs. Quant à la situation des pays en développement, il a déploré que les problèmes auxquels ils étaient confrontés du fait de la poursuite de libéralisation du commerce - extension de la pauvreté, effets pervers sur l'environnement, déstabilisation de leur agriculture - n'aient pas été réglés au sein de l'OMC. Il s'est enquis des objectifs qui pourraient être poursuivis dans le cadre d'une éventuelle relance des négociations, à défaut de laquelle l'OMC pourrait, selon lui, perdre sa raison d'être. Il a insisté, dans cette perspective, sur la nécessité pour l'Europe de prendre des initiatives en faveur des pays du Sud.

M. Nicolas Dupont-Aignan, abordant la réforme de la PAC, a déploré que la Commission ait usé d'un double langage en faisant valoir que cette réforme n'était pas intervenue dans le but de la rendre compatible avec les règles de l'OMC, alors que, l'Europe avait fait des concessions, lesquelles n'étaient pas compensées par des concessions parallèles des Etats-Unis. Il a en outre constaté que ces derniers avaient institué des barrières tarifaires dans d'autres secteurs, comme l'acier, et s'est étonné de la naïveté de l'Union européenne qui, non seulement, demeure silencieuse sur les avantages dont disposent les Etats-Unis grâce à l'arme du change, mais continue de s'interroger sur les conséquences à tirer d'une Conférence dont l'échec était pourtant prévisible. Tout en convenant que le libre-échange revêt des aspects positifs, il a néanmoins estimé qu'une conception intégriste du libre-échange provoquait des effets déstabilisateurs et accroissait les inégalités dans le monde. Il a souhaité savoir quelle était la position du commissaire européen sur l'idée d'organiser le commerce selon une base régionale et par secteur, afin d'éviter que ne s'instaure la loi de la jungle après l'échec de la Conférence de Cancún.

Le Président Pierre Lequiller, constatant qu'il était impossible de continuer à négocier selon le principe de l'unanimité, a souhaité savoir quelles pourraient être les pistes de réformes envisageables de l'OMC.

En réponse, M. Pascal Lamy a apporté les précisions suivantes :

- il est vrai que la réforme de la PAC est intervenue tardivement. Ce retard n'est pas toutefois imputable à la Commission, qui l'a proposée il y a 18 mois, mais au processus décisionnel de l'Union, au sein de laquelle ce sont le Conseil et le Parlement européen qui prennent les décisions ;

- il ne faut évidemment pas attirer tous les sujets à l'OMC, notamment pas ceux traités par l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) qui a d'ailleurs un mécanisme de sanction un peu moins automatique que celui de l'OMC. Ce n'est pas la force de l'OMC qui pose problème, mais la faiblesse de la gouvernance des autres institutions. Tout le monde plaide pour la création d'une organisation mondiale de l'environnement qui aurait un poids dans la gouvernance internationale, mais cette idée ne va pas au-delà des discours « de fin de banquet ». Il ne faut d'ailleurs pas négliger les bonnes initiatives qui sont lancées dans ces enceintes, comme par exemple celle sur la diversité culturelle à l'UNESCO ;

- le bilatéralisme n'est pas la solution à la maladie du multilatéralisme. Il peut en revanche en être le complément, une sorte d'« OMC plus » en matière commerciale. C'est dans cette optique que l'Union européenne défend le bilatéralisme qui doit trouver sa place en étant soumis à certaines conditions. L'Union européenne qui a tissé le réseau d'accords bilatéraux de très loin le plus développé au monde ne peut que lui être favorable ;

- il est inexact d'affirmer que tous les pays en développement seraient hostiles à l'ouverture des échanges en matière agricole. Des pays comme le Brésil sont pour parce qu'ils veulent profiter des avantages comparatifs considérables dont ils disposent. Ceux qui n'ont pas ces avantages sont contre. Dans une négociation commerciale, derrière l'affirmation des valeurs, ce sont des intérêts qui s'expriment ;

- pour avancer après l'échec de Cancún, il faut repartir des quatre questions que la Commission a posées au Parlement européen et au Conseil et, en fonction de leurs réponses, reprendre une initiative en reprofilant si nécessaire la position de négociation définie en 1999. L'Union européenne s'intéresse beaucoup aux pays du Sud, comme elle l'a montré en prenant des initiatives en leur faveur concernant les médicaments et un système spécial de « boite » de développement pour ne pas trop libéraliser leurs agricultures. Ces sujets sont peut-être moins visibles que d'autres, mais il ne faut pas oublier aussi que l'agriculture représente 10 % des échanges mondiaux et que, si elle est très importante politiquement et dans la représentation du fonctionnement des sociétés, l'essentiel des échanges internationaux est constitué par des biens industriels et des produits énergétiques ;

- les propos qui lui ont été prêtés ne sont pas les siens. Il a toujours dit aux agriculteurs qu'il fallait réformer la PAC pour des raisons propres à l'Union européenne et que la négociation à l'OMC était une occasion d'obtenir un levier à l'égard des Etats-Unis ;

- le contentieux sur l'acier suit une évolution dans laquelle chacun sait à quoi s'en tenir et qui sera marquée par une décision probablement favorable à l'Union européenne, obligeant les Etats-Unis à éliminer leurs dispositifs sous peine de sanctions ;

-  la question des taux de change relève de la compétence de la Banque centrale européenne ;

- il n'est pas un intégriste du libre-échange. L'approche régionale est non seulement possible, elle est même une composante permanente de la politique commerciale européenne quand l'Union négocie un accord commercial avec le Mercosur ou avec la Communauté andine ou qu'elle réfléchit à cette possibilité avec l'Association des nations d'Asie du Sud-Est (ANASE) ou avec des groupes de pays africains. Toutefois, elle ne conçoit pas plus cette approche régionale que le bilatéral comme un substitut au multilatéral, mais comme un complément. Il reste une préférence européenne pour le multilatéralisme qui est l'un de ses signes distinctifs ;

- les pistes de réforme de l'OMC doivent partir du constat qu'il sera difficile de changer à l'unanimité ses règles et qu'il ne faut pas essayer de tout refaire, mais plutôt de proposer des mesures opérationnelles plus facilement réalisables. Elles pourraient concerner les règles de procédure pour les conférences ministérielles, la périodicité des réunions, l'attribution d'un minimum de droit d'initiative au directeur général de l'OMC dans l'adoption des ordres du jour, le réexamen de la rotation annuelle des présidences de groupes, la constitution d'un collectif de présidents, un groupe de pilotage assistant le directeur général dans la conduite des conférences.

M. Pascal Lamy a remercié le Président Pierre Lequiller de son accueil.

3. Réunion de la Délégation du 13 novembre 2003

La Délégation s'est réunie le jeudi 13 novembre 2003, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information.

L'exposé du rapporteur a été suivi d'un débat.

M. Jacques Myard a estimé que le système des négociations commerciales multilatérales était profondément grippé mais que l'on n'en avait pas véritablement tiré les conclusions. Il a considéré que la démarche de l'OMC s'apparentait - toutes choses étant égales par ailleurs - à celle des 35 heures en France, une démarche globale et non différenciée ambitionnant de régler la diversité économique. L'échec de Cancún a montré qu'il n'était pas possible de faire face à la multiplicité du monde et à des situations géostratégiques à travers un cadre unique.

Il faut abandonner une approche utopique qui ne ferait qu'exacerber les inégalités. On ne peut, par exemple, pas régler la question de l'aide au développement à l'OMC. Il faut distinguer les problèmes et s'orienter vers un « multibilatéralisme ». Les autres organismes spécialisés des Nations unies, qui - comme, par exemple, l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) pour les brevets sur les médicaments - ont été victimes d'une sorte de « captation » par l'OMC, doivent retrouver davantage d'allant.

M. Jérôme Lambert s'est dit en accord avec cette approche. La mondialisation doit prendre en compte la multiplicité des situations. Il faut récuser une démarche qui tiendrait à mettre une « chape de plomb » sur les diversités économiques et culturelles. Il est néanmoins nécessaire de conclure des accords, mais on peut craindre que l'approche de l'OMC ne soit pas en mesure d'y parvenir.

M. Jean-Claude Lefort a jugé que l'on commettrait une grave erreur d'analyse si l'on considérait que l'échec de Cancún s'insérait dans une succession normale d'échecs et de succès des négociations commerciales multilatérales. Il ne faut pas banaliser ce qui s'est passé à Cancún. La conférence de Doha a constitué une exception, liée au contexte très particulier de l'« après 11 septembre ». On a cru que les portes étaient ouvertes pour traiter sur le fond des vingt-deux sujets prévus pour les quatre ans du nouveau cycle de négociation. En réalité, une situation de frustration s'est développée dès avant Seattle vis-à-vis de la logique même de l'OMC. L'effet positif de la libéralisation des échanges sur la croissance et l'emploi n'a pas été prouvé. Si la masse globale des richesses s'est accrue, le fossé entre les riches et les pauvres s'est aggravé, à part quelques exceptions notables. Le dogme même de l'OMC est par conséquent contestable. Ce ne sont pas les mouvements altermondialistes qui ont fait échouer les conférences de Seattle et de Cancún, c'est la protestation des pays du Sud vis-à-vis du traitement qui leur est réservé.

Il a par ailleurs estimé que l'accord sur l'agriculture conclu par l'Europe avec les Etats-Unis en plein mois d'août avait constitué une faute politique. Cet accord a irrité les pays du Sud et a donné l'impression que l'Europe s'associait au modèle libéral défendu par les Etats-Unis. Le fait que l'accord porte sur le secteur sensible qu'est l'agriculture - secteur qui fait vivre la moitié de la planète - a contribué à exacerber les réactions négatives. C'est le « ras-le-bol » politique qui a été le ciment des pays du Sud à Cancún, plus qu'une communauté réelle d'intérêts.

En ce qui concerne les sujets dits « de Singapour », M. Jean-Claude Lefort s'est dit défavorable à la réintroduction dans le programme des négociations du thème « commerce et investissement », dont il a considéré qu'elle n'était soutenue en France que par le MEDEF.

Il a considéré que le rôle de l'OMC devait être remis en question. On ne peut considérer le développement sous un angle exclusivement marchand. Par exemple, les enjeux de l'agriculture vont au-delà d'une approche qui ne serait qu'économique et commerciale. Si le libre-échange représentait un bien en soi, le Brésil aurait raison et le modèle social européen serait faux. On ne peut en réalité subventionner la mise en place, au niveau international, de jachères agricoles et assurer un traitement social différencié des conséquences d'une libéralisation des échanges. Il faut « dégraisser » l'OMC et la ramener à sa mission initiale, tout en revalorisant les autres organismes spécialisés de l'ONU.

M. Jean-Claude Lefort a enfin souligné que les politiques devaient être pleinement associés à ce débat. Il s'est ainsi dit favorable à la mise en place d'un « Observatoire de la mondialisation » annoncée par le Président Jacques Chirac, à condition que le Parlement se donne les moyens de suivre politiquement le sujet.

Après avoir salué les convergences de vues au sein de la Délégation, le rapporteur a estimé que tout le monde convenait qu'il était nécessaire de préserver, sous une forme ou sous une autre, une organisation du commerce mondial. Pour le reste, il est encore trop tôt pour se fixer une nouvelle ligne de conduite, mieux vaut écouter d'abord les messages qui nous parviennent des autres pays. Car l'échec de Cancún ne doit pas être minimisé : certes, les pays pauvres n'ont pas bénéficié de l'augmentation des échanges, puisqu'ils sont moins présents aujourd'hui sur les marchés mondiaux qu'ils ne l'étaient avant Marrakech, mais leurs pratiques politiques, la carence de leurs infrastructures et leur faible développement général expliquent en partie cet état de fait, ce que confirme a contrario la situation des pays émergents, qui ont pu tirer parti de manière appréciable de l'augmentation des échanges.

M. Jacques Myard a observé sur ce point que les échanges ne sauraient se nouer qu'entre pays de niveau culturel globalement équivalent.

Reprenant son propos, le rapporteur a souligné qu'il n'y avait pas de solution possible sans réglementation des échanges et qu'il fallait réfléchir à une organisation qui rende possible le développement de tous, qui est aussi l'intérêt bien entendu de chacun.

En pratique, les règles commerciales ne doivent pas pouvoir être opposables aux médicaments ou aux produits culturels, mais il est délicat de faire valoir la même exception en faveur de l'agriculture. Si les pays du Nord comme les pays pauvres sont fondés à revendiquer pour eux l'autosuffisance alimentaire, il n'en demeure pas moins qu'elle barre toute possibilité de développement aux pays émergents agricoles, qu'elle prive de débouchés.

A propos des médicaments, tout le monde est attaché à ce que tous les hommes puissent se soigner, particulièrement lorsqu'ils sont atteints de maladies graves. L'absence d'accord pouvait faire naître une indignation légitime chez ceux qui n'avaient pas pris conscience que des pays tels que l'Inde entendent tirer profit des nouvelles dispositions pour développer leurs propres productions à la place des pays pauvres qui en sont incapables. Car il est difficile de faire abstraction des enjeux financiers considérables que recouvre la question de la santé.

Dans le domaine du textile, la proposition de conclusions suggère une nouvelle baisse des droits de douane parce que l'industrie française souffre beaucoup des tarifs très élevés qui sont imposés à ses exportations par certains pays émergents, qui inondent nos marchés de confections à basse valeur ajoutée mais freinent les échanges de confections à haute valeur ajoutée, où réside précisément l'avantage comparatif de notre appareil productif.

A l'issue de ce débat, la Délégation a adopté, en les modifiant, les conclusions présentées par le rapporteur, dont le texte figure ci-après.

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION

La Délégation,

Convaincue de la nécessité de préserver un lieu de négociations commerciales multilatérales stable et équitable, qui repose sur le caractère contractuel des engagements et l'existence d'un système de règlement des différends impartial,

Constatant que les appels à une reprise des négociations au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ne cessent de se multiplier,

Considérant que ces négociations doivent avoir pour objectif final de favoriser les échanges de manière ordonnée et différenciée, afin de contribuer à la croissance et à l'emploi,

1.  Souhaite que toutes les conclusions soient tirées de l'échec de la Conférence ministérielle de l'OMC de Cancún, qui témoigne de la difficulté de faire converger sur vingt-deux sujets de négociation les intérêts de pays aux niveaux de développement variés;

2.  Demande que les négociations soient relancées sur la base de l'ordre du jour agréé par tous les membres de l'OMC à la Conférence de Doha en tenant compte de trois impératifs :

- la reconnaissance d'une responsabilité commune mais différenciée des pays en développement dans la mise en œuvre des accords de l'OMC, à condition qu'elle distingue les pays émergents de ceux faiblement insérés dans le commerce international ;


- l'adoption d'initiatives spécifiques en faveur, d'une part, des pays d'Afrique subsaharienne dont la production de coton est injustement concurrencée sur le marché mondial, et, d'autre part, des pays les moins avancés, dont les préférences commerciales doivent être mieux reconnues par l'OMC ;

- l'inopposabilité des disciplines commerciales aux politiques visant à répondre aux crises sanitaires, à soutenir, à des fins de sécurité alimentaire, d'aménagement du territoire et de développement rural, la production agricole, et créer des biens culturels ;

3.  Rappelle aux membres de l'OMC que le mandat de négociation de Doha repose sur un équilibre pour favoriser les échanges dans un cadre régulé afin de permettre le développement, ce qui implique  :

- une réduction des droits de douane sur les produits industriels, qui élimine les pics tarifaires, ouvre les marchés des pays émergents, en particulier dans le secteur textile, et module les engagements des pays en développement en fonction de leur situation ;

- une protection renforcée des indications géographiques, afin de garantir des conditions de concurrence loyales entre les producteurs et l'information des consommateurs ;

- l'ouverture des négociations prévues sur l'investissement, la concurrence, la transparence dans les marchés publics et la facilitation des échanges, en laissant aux membres de l'OMC la possibilité de souscrire aux nouveaux engagements ;

4.  Appelle à une réforme des procédures de négociation au sein de l'OMC, afin de les rendre plus efficaces et transparentes et d'assurer la participation effective des pays pauvres ;

5.  Invite les membres de l'OMC à réfléchir aux moyens juridiques permettant d'assurer la cohérence entre, d'une part, les règles commerciales et, d'autre part, les accords environnementaux multilatéraux et les conventions protégeant les droits fondamentaux de l'homme au travail ;

6.  Demande à l'Union européenne d'adopter une politique de communication forte sur les enjeux du cycle de Doha auprès de ses partenaires en développement, afin d'en faire des alliés dans son combat pour une mondialisation maîtrisée.

ANNEXES

Annexe 1 :
Annexe-1Liste des personnes entendues par le rapporteur

Le rapporteur tient à renouveler ses plus vifs remerciements aux personnalités qu'il a eu l'occasion de rencontrer.

***

I. A PARIS

- M. Pascal LAMY, commissaire européen en charge du commerce extérieur ;

- M. François LOOS, ministre délégué au commerce extérieur ;

- Mme Anne CAZALA, conseillère pour les questions communautaires et multilatérales auprès du ministre délégué au commerce extérieur ;

- M. Joël THIERY, conseiller parlementaire auprès du ministre délégué au commerce extérieur ;

- M. Hubert TESTARD, chef de service des affaires multilatérales à la Direction des relations économiques extérieures du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (DREE) ;

- Mme Laurence DUBOIS-DESTRIZAIS, sous-directeur des affaires multilatérales à la DREE ;

- M. Raphaël ALOMAR, chef du bureau de la politique agricole extérieure à la DREE ;

- M. Marc MAINDRAULT, directeur des relations commerciales et financières, directeur adjoint des relations internationales du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) ;

- Mme Catherine BOUCHEL-ROBLIN, directeur des affaires internationales du MEDEF ;

- M. Philippe JACOMET, vice-président de l'Union des industries textiles (UIT) ;

- M. Thierry NOBLOT, directeur général de l'UIT ;

- Mme Emmanuelle BUTAUD, directrice des affaires économiques et internationales de l'UIT ;

- M. Jean SALMON, vice-président de l'Association permanente des chambres d'agriculture (APCA) ;

- M. Guillaume BAUGIN, chargé des relations avec le Parlement de l'APCA ;

- M. Guillaume BRULÉ, conseiller de l'APCA.

II. A GENEVE

Délégation permamente de la France auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC)

- M. Philippe GROS, délégué permanent adjoint ;

- M. Erik LINQUIER, délégué permament adjoint ;

- M. Lucien MAZZEGA, conseiller ;

- M. Jean-Marc MIGNON, conseiller ;

- M. Cédric PENE, conseiller agricole.

Organisation mondiale du commerce (OMC)

- M. Bernard KESSEDJIAN, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l'ONU et des organisations internationales à Genève ;

- M. K. M. CHANDRASEKHAR, ambassadeur, représentant permanent de l'Inde ;

- M. Pierre-Louis GIRARD, ambassadeur, représentant permanent de Suisse, président du groupe de négociations sur les produits non agricoles ;

- M. Stuart HARBINSON, président du groupe des négociations agricoles ;

- M. Alejandro JARA, ambassadeur, représentant permanent du Chili ;

- M. Chenet SAINT-VIL, chargé d'affaires, représentation permanente d'Haïti ;

- M. Carlo TROJAN, ambassadeur, représentant permanent de la délégation permanente de la Commission européenne ;

- M. Roderick ABBOT, directeur-général-adjoint ;

- M. Frank WOLTER, directeur de la division de l'agriculture.

III. A WASHINGTON, Etats-Unis

· Ambassade de France

- M. Jean-David LEVITTE, ambassadeur de France ;

- M. Jean-François BOITTIN, ministre conseiller pour les affaires économiques et commerciales ;

- M. Etienne OUDOT de DAINVILLE, adjoint du ministre conseiller ;

- M. Christian BERGER, conseiller agricole.

· Délégation de la Commission européenne

- M. Gérard DEPAYRE, représentant permanent adjoint ;

- M. Petros SOURMELIS, responsable des affaires économiques et commerciales.

· Institutions et organisations américaines

- M. Sander LEVIN, représentant du Michigan, Chambre des représentants ;

- M. Charles W. STENHOLM, représentant du Texas, commission de l'agriculture, Chambre des représentants ;

- M. John AUDLEY, senior associate & director trade, environment and development project de la fondation Carnegie ;

- Mme Dorothy DWOSKIN, assistante de l'USTR pour l'OMC et les affaires multilatérales ;

- M. Stephen JACOBS, deputy assistant secretary for agreements compliance du département du commerce ;

- Mme Susanne LOTARSKI, deputy assistant secretary for Europe (pour l'Europe de l'Ouest) du département du commerce ;

- M. Bill O'CONNER Jr, majority staff director du Comité sur l'agriculture de la Chambre des représentants ;

- Mme Mary IRACE, vice-présidente « commerce et financements à l'exportation » du National Foreign Trade Counsel (NTFC) ;

- M. Scévole de CAZOTTE, senior director, European trade policy de la US Chamber of Commerce.

Annexe 2 :
Liste des pays membres et des observateurs de l'OMC

a) Liste des pays membres

Afrique du Sud, Albanie, Allemagne, Angola, Antigua-et-Barbuda, Argentine, Arménie, Australie, Autriche, Bahreïn, Bangladesh, Barbade, Belgique, Belize, Bénin, Bolivie, Botswana, Brésil, Brunei, Bulgarie, Burkina Faso, Burundi, Cambodge, Cameroun, Canada, Chili, Chine, Chypre, Colombie, Communauté européenne, Congo, Corée, Costa Rica, Côte d'Ivoire, Croatie, Cuba, Danemark, Djibouti, Dominique, Egypte, El Salvador, Emirats arabes unis, Equateur, Espagne, Estonie, Etats-Unis, Ex République yougoslave de Macédoine, Fidji, Finlande, France, Gabon, Gambie, Géorgie, Ghana, Grèce, Grenade, Guatemala, Guinée, Guinée-Bissau, Guyana, Haïti, Honduras, Hong Kong, Chine, Hongrie, Iles Salomon, Inde, Indonésie, Irlande, Islande, Israël, Italie, Jamaïque, Japon, Jordanie, Kenya, Koweït, Lesotho, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Macao, Madagascar, Malaisie, Malawi, Maldives, Mali, Malte, Maroc, Maurice, Mauritanie, Mexique, Moldavie, Mongolie, Mozambique, Myanmar*, Namibie, Népal, Nicaragua, Niger, Nigeria, Norvège, Nouvelle-Zélande, Oman, Ouganda, Pakistan, Panama, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Paraguay, Pays-Bas - pour le Royaume en Europe et pour les Antilles néerlandaises -, Pérou, Philippines, Pologne, Portugal, Qatar, République centrafricaine, République démocratique du Congo, République dominicaine, République kirghize, République slovaque, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Rwanda, St-Kitts-et-Nevis, St-Vincent et les Grenadines, Sainte-Lucie, Sénégal, Sierra Leone, Singapour, Slovénie, Sri Lanka, Suède, Suisse, Suriname, Swaziland, Taiwan, Tanzanie, Tchad, Thaïlande, Togo, Trinité-et-Tobago, Tunisie, Turquie, Uruguay, Venezuela, Zambie, Zimbabwe.

* Birmanie

b) Liste des observateurs

_ Gouvernements ayant le statut d'observateur :

Algérie, Andorre, Arabie saoudite, Azerbaïdjan, Bahamas, Biélorussie, Bhoutan, Bosnie-Herzégovine, Cap-Vert, Ethiopie, Fédération de Russie, Kazakhstan, Laos, Liban, Ouzbékistan, Saint-Siège, Samoa, Sao Tome et Principe, Seychelles, Soudan, Tadjikistan, Tonga, Ukraine, Vanuatu, Viêt-nam, Yémen, Yougoslavie.

A l'exception du Saint-Siège, les pays ayant le statut d'observateur doivent engager les négociations en vue de leur accession dans les cinq ans qui suivent l'obtention de ce statut.

Annexe 3 :
Table des sigles les plus fréquemment utilisés

ADPIC

Accord sur les droits de propriété intellectuelle (OMC)

AEM

Accord environnemental multilatéral

AGCS

Accord général sur le commerce des services

ALENA

Association de libre-échange de l'Amérique du Nord

CNUCED

Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement

FAO

Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture

FMI

Fonds monétaire international

GATT

Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (OMC)

OCDE

Organisation de coopération et de développement économiques

OIT

Organisation internationale du travail

OMS

Organisation mondiale de la santé

ORD

Organe de règlement des différends de l'OMC

OTC

Accord sur les obstacles techniques au commerce (OMC)

PMA

Pays les moins avancés

PNUD

Programme des Nations Unies pour le développement

QUAD

Quadrilatérale

SPG

Système de préférences généralisées

SPS

Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires

USTR

Département du commerce extérieur américain

ZLEA

Zone de libre-échange des Amériques

1 () Audition du 17 juin 2003.

2 () « America will not wait for the won't-do countries », Financial Times, 22 septembre 2003.

3 () Le G21 est devenu le G22 a Cancún et rassemblait l'Afrique du Sud, l'Argentine, la Bolivie, le Brésil, la Chine, la Colombie, le Costa Rica, Cuba, l'Egypte, l'Equateur, le Salvador, le Guatemala, l'Inde, le Mexique, l'Uruguay, le Pakistan, le Paraguay, le Pérou, les Philippines, la Thaïlande, l'Uruguay, et le Venezuela.

4 () Ce groupe comprend notamment les pays suivants : Argentine, Bangladesh, Brésil, Chine, Costa Rica, Inde, Malaisie, Mexique, Philippines et Thaïlande.

5 () Les PMA sont actuellement au nombre de 49 : Afghanistan, Angola, Bangladesh, Bénin, Bhoutan, Burkina Faso, Burundi, Cambodge, Cap-Vert, Comores, Djibouti, Erythrée, Ethiopie, Gambie, Guinée, Guinée équatoriale, Guinée-Bissau, Haïti, Iles Salomon, Kiribati, Lesotho, Liberia, Madagascar, Malawi, Maldives, Mali, Mauritanie, Mozambique, Myanmar, Népal, Niger, Ouganda, République centrafricaine, République démocratique du Congo, République démocratique populaire lao, République-Unie de Tanzanie, Rwanda, Samoa, Sao Tomé et Príncipe, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Tchad, Togo, Tuvalu, Vanuatu, Yémen et Zambie.

6 () Le dumping est défini par l'accord antidumping de l'OMC comme la vente sur un marché national d'un produit importé à un prix inférieur à sa valeur normale. Il justifie le recours à des contre-mesures, sous la forme d'une augmentation des droits de douane sur le produit concerné, dès lors qu'il cause ou menace de causer un dommage important à une branche de production d'un pays.

7 () Isabelle Bensidoum, Agnès Chevallier et Guillaume Gaulier, « Repenser l'ouverture du Sud », La lettre du CEPII, n° 205, octobre 2001.

8 () « L'OMC a-t-elle perdu le Sud ? », rapport d'information n° 2750 du 23 novembre 2000, pp. 43-47.

9 () Communication de : Cuba, Honduras, Inde, Indonésie, Kenya, Malaisie, Ouganda, Pakistan, République dominicaine, Sri Lanka, Tanzanie et Zimbabwe.

10 () Ce point sera développé dans la seconde partie du rapport.

11 () Le contenu de ces propositions est analysée plus loin.

12 () Créé en 1986, au moment du lancement du cycle d'Uruguay, le groupe de Cairns comprend des pays prônant la libéralisation complète des échanges agricoles : Afrique du Sud, Argentine, Australie, Bolivie, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Indonésie, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Paraguay, Philippines, Thaïlande et Uruguay.

13 () Etude d'avril 2002 de la mission économique et financière de l'Ambassade de France aux Etats-Unis.

14 () « Pour une OMC respectueuse de la diversité des modèles agricoles », rapport d'information n° 598 déposé par M. François Guillaume et « Une PAC forte pour l'Europe élargie », rapport d'information n° 889 déposé par M. Jean-Marie Sermier.

15 () L'Accord sur l'agriculture de Marrakech classe les aides au secteur dans trois boîtes : la boîte orange regroupe les aides couplées à la production (le soutien par les prix notamment) et constituant la Mesure Globale de Soutien (MGS), qui doivent être diminuées de 20 % sur 6 ans ; la boîte bleue regroupe les aides liées à des programmes de limitation de la production, soit les aides fondées sur une superficie ou des rendements fixes ou attribuées pour un nombre de têtes de bétail fixe, qui sont exemptées d'engagements de réduction et, enfin, la boîte verte comprend les aides totalement découplées de la production et bénéficie d'une exemption totale de réduction.

16 () La clause de sauvegarde spéciale instituée par l'Accord sur l'agriculture se déclenche soit en cas de dépassement du volume des importations par rapport à un certain seuil, soit de chute du prix des importations au-dessous d'un certain seuil. Seuls 39 membres de l'OMC disposent actuellement du droit d'utiliser ces sauvegardes.

17 () La clause de minimis permet d'exclure de la MGS le soutien dont le montant est inférieur à 5 % de la valeur du produit considéré ou de la production agricole totale. Les Etats-Unis ont utilisé cette disposition pour soustraire, en 1998, un montant de 4,7 milliards d'euros, équivalent à 46 % de leur MGS courante.

18 () Seraient classés dans cette boîte les versements fondés sur des rendements ou des superficies fixes, les versements effectués pour 85 % ou moins du niveau de base de la production ou ceux fondés sur un nombre de têtes de bétail fixe.

19 () Texte adopté n° 110, sur une proposition de résolution déposée par notre collègue M. François Guillaume.

20 () Le DTS est l'unité de compte officielle du FMI, qui consiste en un panier des principales monnaies du monde, chacune de ces monnaies se voyant attribuer un poids donné en fonction de son importance.

21 () L'APEC est un forum créé en 1989 à l'initiative de l'Australie et comprenant : Australie, Brunei, Canada, Chili, Chine, Corée du Sud, Etats-Unis, Hong Kong, Indonésie, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Pérou, Philippines, Russie, Singapour, Taiwan, Thaïlande et Vietnam.

22 () G20 : G8 + onze nations émergentes : Afrique du Sud, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Turquie et Mexique.

23 () Plus communément appelé accord antidumping.

24 () L'accord interdit les subventions à l'exportation. Il crée par ailleurs une catégorie de subventions dites « contestables », en raison de leurs effets défavorables, c'est-à-dire soit un « dommage causé à une branche de production nationale », une remise en cause d'avantages commerciaux consolidés ou encore un « préjudice grave » aux intérêts d'autres membres qui trouverait son origine dans une subvention non spécifique.

25 () Le rapport cite en exemple la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce international, qui dispose d'un règlement de référé pré-arbitral permettant l'adoption rapide de mesures provisoires et contraignantes.

26 () « Les nouvelles jurisprudences de l'OMC », Mme Marie-Anne Frison-Roche, Le Monde, 22 février 2000.

27 () Parmi ces dénominations, figurent le champagne, les vins de Bordeaux (Grave, Sauternes et Médoc), le Bourgogne, le Chablis, le Beaujolais, le Chianti, le Marsala, le roquefort, le reblochon, le gorgonzola ou le jambon de Parme.

28 () La Communauté économique des Etats de l'Afrique occidentale (CEDEAO) est un regroupement régional de quinze pays, créé en 1975. On y retrouve les huit pays membres de l'Union économique et monétaire ouest-africaine, ou UEMOA (Bénin, Burkina-Faso, Côte d'Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo) ainsi que le Cap-Vert, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Liberia, le Nigeria et la Sierra Leone.

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