Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 2685

_______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 novembre 2005

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur la proposition de décision du Conseil relative

à la conclusion de l'accord entre la Communauté européenne
et les Etats-Unis sur le commerce du vin
(COM [2005] 547 final/ E 3002),

ET PRÉSENTÉ

par M. Philippe-Armand MARTIN,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. François Guillaume, Jean-Claude Lefort, secrétaires ; MM. Alfred Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe-Armand Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

_____

Pages

INTRODUCTION 5

I. UN ACCORD NEGOCIE DANS UN CONTEXTE INEGALITAIRE, LES ETATS-UNIS S'ETANT APPUYES SUR DES « ARGUMENTS » MANQUANT A L'EUROPE 7

A. Des divergences d'approche, qui expliquent la nature des concessions accordées par la Commission européenne 7

1) Des pratiques œnologiques admises de facto 7

2) Une protection des indications géographiques éloignée de celle assurée en Europe 8

B. Des négociations « bouclées » dans l'urgence par l'Europe, sous le feu de trois menaces 11

1) Des intérêts commerciaux menacés par la procédure de certification adoptée à dessein par le Congrès 11

2) Des menaces juridiques de court et de moyen terme 14

II. UN ACCORD DESEQUILIBRE QUI FRAGILISE, POUR LA SUITE DES NEGOCIATIONS, NOTRE POSITION 19

A. Des déséquilibres portant sur quatre points 19

1) Les pratiques œnologiques : une contradiction regrettable entre le volet externe et interne de l'OCM 19

2) Les semi-génériques : une victoire en trompe-l'œil 22

3) Les mentions traditionnelles : un recul par rapport aux accords bilatéraux 26

4) L'étiquetage : la conception américaine reconnue 27

B. Un mauvais précédent pour la suite des négociations bilatérales et multilatérales 29

1) Le second volet des négociations : le risque d'une spirale négative 29

2) Un accord en porte-à-faux par rapport aux ambitions multilatérales de l'Europe 31

CONCLUSION : LA NECESSITE DE POSER DES CONDITIONS 35

TRAVAUX DE LA DELEGATION 37

PROPOSITION DE RESOLUTION 41

ANNEXES 45

Annexe 1 : Personnes entendues par le rapporteur 47

Annexe 2 : Part de marché des quantités exportées des principaux pays producteurs de vin en 2004 49

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La Délégation est saisie d'une proposition de décision controversée, déposée, en application de l'article 88-4 de la Constitution, à l'Assemblée nationale le 14 novembre 2005, qui a pour objet de permettre la conclusion d'un accord entre la Communauté européenne et les Etats-Unis sur le commerce du vin.

Cet accord, qui doit être approuvé par le Conseil « Agriculture » des 19 et 20 décembre prochains, est le fruit de vingt années de négociations.

Il ne fait que clore, toutefois, une première phase, déjà longue et difficile, de discussions : en effet, il prévoit d'ouvrir, trois mois après son entrée en vigueur, une seconde phase, centrée, cette fois-ci, sur la protection des indications géographiques européennes et la cessation d'utilisation des semi-génériques.

Il tend à « pacifier » les relations transatlantiques sur un dossier complexe, susceptible d'alimenter des contentieux à l'OMC et au sujet duquel l'Europe était dans la situation du « demandeur », c'est-à-dire en position de faiblesse.

Paraphé par la Commission le 14 septembre dernier, ce compromis est soutenu par le gouvernement français. Il ne se heurte, au sein du Conseil des ministres de l'Union européenne, à aucune minorité de blocage, tant la menace du « bâton » américain a été et est toujours, comme nous le verrons plus loin, réelle.

S'il comporte des avancées indéniables et permet d'éviter, en outre, que nos exportations soient bloquées à l'entrée du territoire des Etats-Unis, l'accord soumis à l'examen de la Délégation comporte, sur le plan de la défense du modèle viticole européen, plusieurs volets contestables.

*

* *

Deux conceptions, s'agissant des pratiques œnologiques et de la protection des appellations, se sont ainsi opposées au cours de la négociation, dans un rapport de forces tournant, pour des raisons juridiques et commerciales, à l'avantage des Etats-Unis.

Le négociateur communautaire est parvenu, dans ces conditions, à un compromis, qui certes évite une « guerre du vin », mais repose sur des concessions déséquilibrées. En conséquence, la position de l'Europe est, à ce stade, fragile, tant en ce qui concerne la deuxième phase des négociations avec les Etats-Unis que dans les discussions engagées à l'OMC en vue de renforcer la protection des indications géographiques de vins et spiritueux.

I. UN ACCORD NEGOCIE DANS UN CONTEXTE INEGALITAIRE, LES ETATS-UNIS S'ETANT APPUYES SUR DES « ARGUMENTS » MANQUANT A L'EUROPE

A. Des divergences d'approche, qui expliquent la nature des concessions accordées par la Commission européenne

1) Des pratiques œnologiques admises de facto

Depuis plus de vingt ans, l'Europe admet l'importation, sur son territoire, de vins américains produits selon des pratiques qui ne sont pas reconnues par la législation communautaire.

Les premières dérogations furent accordées en 1984, par un échange de lettres, valable pour 5 ans. Depuis lors, elles ont été systématiquement renouvelées, par période de deux ans. Elles portent sur 53 pratiques. En vertu du règlement (CE) n° 1037/2001, modifié par le règlement (CE) n° 2324/2003, quatre d'entre elles sont admises sans limitation de temps, sept sont admises jusqu'au 31 décembre 2005, trente sont considérées comme identiques à celles admises dans la Communauté européenne et douze sont considérées comme étant comparables aux pratiques européennes.

Ces pratiques reflètent une « culture du vin » qui, aujourd'hui, est étrangère à notre conception, selon laquelle la fermentation constitue l'essentiel du travail de vinification et de révélation du goût du vin. Les plus connues sont l'ajout d'eau (jusqu'à 7 %, avec une tolérance de 1,5 %), de sucre, d'arômes de fruits aromatisés, de copeaux, voire de résines échangeuses d'ions.

Comme l'ont souligné les professionnels et les représentants du ministère de l'agriculture et de la pêche rencontrés par le rapporteur, la réglementation américaine permet, par ces ajouts, la fabrication, au sein d'exploitations peu comparables avec celles de type familial, assises sur des terroirs spécifiques, caractéristiques de l'Europe, d'un produit « industrialisé », apte à satisfaire les exigences, moins « éduquées », du consommateur américain ou mondial.

2) Une protection des indications géographiques éloignée de celle assurée en Europe

Le droit américain assure, en premier lieu, une forme de protection des indications géographiques fondamentalement éloignée de celle reconnue en Europe.

Aux Etats-Unis, la protection de ces indications repose sur le droit privé des marques, qui diffère, par sa nature, de notre système d'enregistrement des dénominations.

Il existe, toutefois, dans ce pays, une possibilité d'enregistrer des « appellations of origin », qui peuvent être le nom d'une région géographique viticole, d'un comté ou même d'un Etat. Mais, pour ce faire, la condition posée aux Etats-Unis est moins rigoureuse qu'en Europe : chez notre partenaire, 75 % des raisins utilisés dans la production de vin doivent être issus de la zone, contre une proportion de 85 % dans l'Union européenne.

En second lieu, on peut noter trois grandes différences de « philosophie » entre les dénominations américaines et européennes.

D'abord, en Europe, les indications géographiques établissent un lien structurel, qui n'est pas reconnu par les Etats-Unis, entre trois éléments clefs : un terroir, un savoir-faire et la réputation d'un produit.

Ensuite, en Europe, ces indications, et plus encore les appellations d'origine, n'appartiennent pas à celui qui en fait usage : il s'agit d'une propriété collective, indisponible et incessible, détenue, dans une zone définie, par l'ensemble des producteurs, à la différence des marques, lesquelles constituent une propriété personnelle. La conséquence en est qu'en France, notamment, selon une jurisprudence constante de la Cour de Cassation (arrêt Fort Médoc du 9 novembre 1981), la marque qui reproduit une appellation d'origine est « nulle de nullité absolue ».

Enfin, en France, les vins « AOC » sont produits en respectant des conditions, définies par la réglementation, d'aire de production, de cépages, de rendement et de vieillissement, bref autant de critères stricts, qui n'existent pas aux Etats-Unis. Ainsi, le vide juridique existant dans ce dernier pays, s'agissant des procédés de production, est tel qu'un producteur peut appeler Chablis ou Champagne un produit « bas de gamme ». Il en résulte, pour les vins européens réputés, un préjudice d'image incalculable.

Le résultat le plus dommageable, pour la réputation et le revenu de nos viticulteurs, de cette différence d'approche est l'usurpation, par les producteurs américains, d'appellations européennes. Pour le seul Champagne, le préjudice causé par cette pratique est, selon le comité interprofessionnel de ce vin, d'environ un million de dollars par an.

En effet, 17 de nos indications géographiques de vins sont considérées, par ce pays, comme des semi-génériques, qui sont tombés dans le domaine public(1). Si ces semi-génériques ont conservé leur signification géographique, ils désignent aussi, dans la conception américaine, un type de produit : par conséquent, ils peuvent être utilisés par des producteurs autres que ceux de la zone de production d'origine.

Il est vrai que l'utilisation de ces désignations, pour certaines d'entre elles, est ancienne, et au moins avérée depuis la seconde moitié du XIXème siècle : par exemple, un menu de la Wells Fargo de 1843 fait mention d'un vin appelé « Champagne ». D'ailleurs, la seule période d'exception dans cette longue histoire d'usage a été celle de la prohibition. Depuis lors, le Code of Federal Regulations a conféré à ces pratiques une valeur réglementaire.

Dans la conception américaine, les semi-génériques ont donc deux significations : ils désignent non seulement l'usage « européen », leur véritable usage, qui conserve son caractère initial, mais aussi un usage « dérivé », qui résulte, lui, d'une pratique admise par le droit, la « successful piratery », laquelle légalise en quelque sorte les usurpations pratiquées depuis de longues périodes. Ces deux sens peuvent « coexister », car le consommateur peut les identifier, sans risque de se tromper sur l'origine du produit ainsi désigné. Par ailleurs, par rapport aux génériques, constitués par des termes dont l'indication est « identique au terme usuel employé dans le langage courant comme un nom courant » (article 24§6 de l'Accord ADPIC), les semi-génériques aux Etats-Unis se distinguent par l'utilisation d'une mention délocalisante, obligatoire pour empêcher toute tromperie du consommateur.

Cet usage est en outre conforté par le juge américain, qui l'a, de fait, inscrit dans la Common Law, au nom du principe selon lequel l'utilisation d'un nom lui confère son statut juridique particulier. D'ailleurs, dans le cas présent, les tribunaux américains, pour qui l'usage fait toujours « loi », peuvent attribuer à une dénomination, non enregistrée en tant que marque, le statut de « marque de certification de Common Law ».

De plus, ces usurpations faisaient l'objet, au niveau de l'Etat fédéral, d'une reconnaissance « uniquement » réglementaire, jusqu'à ce qu'un sénateur de New York, Joe D'Amato, voulant marquer l'agacement du Congrès devant la lenteur des négociations de l'accord viticole, fasse adopter, en 1997, un amendement portant son nom, qui codifie, dans la loi fédérale, les textes applicables.

En dernier lieu, les Etats-Unis poursuivent une stratégie d'isolement de l'Union européenne, en nouant des « alliances » avec des pays ne partageant pas ou partageant peu notre conception de la viticulture.

Ils ont créé à cet effet, en 1998, avec l'Afrique du Sud, l'Argentine, l'Australie, le Canada, le Chili et la Nouvelle-Zélande, un groupe informel, le World Wine Trade Group. Puis, ils ont quitté, en 2001, en raison de différends portant sur les méthodes de production viticole, l'Organisation internationale de la vigne et du vin, dont la principale mission, consiste à harmoniser, par des recommandations, les pratiques œnologiques de ses 39 membres(2).

L'analyse du contexte des négociations conduit donc à un premier constat, l'opposition « frontale » des conceptions viticoles des partenaires, auquel il convient d'ajouter un deuxième constat, encore plus inquiétant : l'Europe a finalisé les discussions au moment où le rapport de forces lui était le plus défavorable.

B. Des négociations « bouclées » dans l'urgence par l'Europe, sous le feu de trois menaces

1) Des intérêts commerciaux menacés par la procédure de certification adoptée à dessein par le Congrès

Premièrement, l'Europe a souhaité préserver des intérêts commerciaux offensifs aux Etats-Unis, comme l'illustre le tableau ci-dessous.

 

Le marché des Etats-Unis, en 2004, représente...

...pour l'Union européenne

· le premier client, en valeur

· 1,8 milliard d'euros d'exportations de vins

· 40 % du total de ses exportations de vins

· un solde positif de 1,42 milliard d'euros

· 71 % de son excédent vin total et 1/3 de son excèdent agroalimentaire

...et pour la France

· 1,6 milliard d'euros d'exportations de vins et spiritueux (dont 812 millions d'euros d'exportations pour les vins)

· son premier marché « pays tiers » en volume et en valeur

· son deuxième marché en valeur, derrière le Royaume-Uni

· 14 % de son excèdent vin total et 10 % du total de son excédent agroalimentaire

Source : Eurostat et Douanes françaises.

Le tableau ci-après retrace l'évolution récente des exportations européennes de vins, en milliers d'euros, vers les Etats-Unis.

Année

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

UE 15

735 462

882 740

1 142 716

1 265 704

1 610 809

1 731 084

1 714 603

1 934 067

1 955 507

1 842 909

France

435 394

500 614

673 762

738 473

916 259

951 858

852 833

936 170

955 706

823 867

Source : Eurostat.

On constate donc, pour les exportations de vins des Quinze et de la France, une augmentation, sur la période 1995-2004, de respectivement 251 % et 189 %.

En outre, il convient de rappeler que les Etats-Unis sont un marché à forte croissance, avec une augmentation de la consommation de 6 % par an, qui devrait en faire, en 2008, le principal pays de consommation de vin au monde.

Pour autant, la situation de nos vins sur ce marché est, depuis plusieurs années, particulièrement difficile. En 10 ans, nos parts de marché ont continuellement chuté, passant de 26 % en 1994 à 14 % en 2004, alors que l'Australie progressait de 5 % à 31 %. Ainsi, la France a été le deuxième fournisseur de vins importés aux Etats-Unis, derrière l'Italie, jusqu'en 2002, année du décrochage où l'Australie est passée devant la France en tant que numéro 2, avant que ce pays d'Océanie ne finisse, en 2004, ex-æquo avec notre voisin transalpin.

Ce déclin français est, d'ailleurs, partagé : alors qu'en 1994, la France et l'Italie occupaient 70 % du marché des vins importés aux Etats-Unis, en 2004, ces deux pays ne représentaient plus que 45 % d'un marché qui a pratiquement triplé sur la période.

Or, en l'absence d'accord avec les Etats-Unis, notre position sur le marché américain, qui est déjà fragile, aurait pu subir un véritable choc.

En effet, ce pays a introduit, avec l'adoption, en décembre 2004, d'une loi fédérale, le Miscellaneous Trade Bill of 2004, des contraintes nouvelles pour les vins importés.

Promu par le lobby viticole américain, l'article numéroté 2002, intitulé « Modification to cellar treatment of natural wine » de cette loi dispose qu'à partir du 1er novembre 2005, les vins naturels, titrant entre 0,5 % et 24 % d'alcool, importés sur le territoire américain, produits après le 31 décembre 2004 et provenant de pays n'ayant pas ratifié un accord bilatéral sur les pratiques œnologiques avec les Etats-Unis, devront faire l'objet d'une certification délivrée par le gouvernement du pays d'origine, attestant que le vin a été produit en conformité avec les pratiques américaines et étayée par des résultats d'analyse officielle.

Les éléments d'analyse requis portent sur le titre alcoométrique réel (par volume), le taux de sulfites et l'acidité volatile du produit. Ses résultats doivent être directement apposés sur le certificat délivré par les instances gouvernementales ou publiques compétentes.

En pratique, cela signifie, en premier lieu, que le gouvernement français doit préparer et faire parvenir au TTB ou « Bureau fédéral des alcools » du Trésor américain une liste des interprofessions et des organismes français susceptibles de délivrer le certificat, ainsi qu'une liste des laboratoires français agréés.

En second lieu, pour l'ensemble des vins visés par la législation fédérale, l'importateur de ces produits est tenu de transmettre à ce Bureau un original ou une copie du certificat, au plus tard au moment du dédouanement.

Toutefois, l'importateur n'a pas besoin d'un certificat pour chaque réception du même vin, y compris pour les millésimes à venir du produit.

Ainsi, faute d'accord bilatéral avec les Etats-Unis, la mesure décrite aurait eu pour effet immédiat de bloquer, à des fins de contrôle et d'analyse, notamment dans le port de New York où transitent 70 % de nos exportations de vins, les caisses du millésime 2005 destinées à la vente sur le marché américain.

A terme, on peut penser que les négociants, les commerces de détail et les grandes surfaces, qui n'auraient plus été approvisionnés en vins européens, se seraient tournés, pour remplir leurs étals, vers les productions du Nouveau Monde.

La Commission a donc transmis le 21 octobre dernier, au Conseil, un échange de lettres entre les Etats-Unis et la Communauté, faisant partie de l'accord viticole global, et qui prévoit l'exemption de la procédure de certification, à compter de l'adoption de cet arrangement intérimaire. Celui-ci a été approuvé en point A du Conseil du 14 novembre 2005, donc sans débat.

La Délégation n'a pas été saisie de ce texte, en raison de l'avis négatif rendu par le Conseil d'Etat sur sa nature législative.

Observons ici que la Commission est allée vite pour éviter que la nouvelle procédure ne s'applique aux exportations de beaujolais nouveau, dont la vente débutait le 17 novembre. Notons, par ailleurs, que les vins australiens, argentins, canadiens et néo-zélandais, sont dispensés de la certification, puisqu'ils bénéficient d'un accord conclu à cet effet avec les Etats-Unis en 2001, dit « accord d'Adélaïde ».

Le caractère particulièrement retors de la diplomatie américaine, qui a manié, sans complexe, la carotte et le bâton, doit être dénoncé.

En effet, il est clair que l'article de loi en question n'a été « soufflé » au législateur américain et voté par celui-ci que pour exercer une plus grande pression sur le négociateur communautaire : ce dernier a donc conclu les discussions sous la menace d'un véritable couperet.

2) Des menaces juridiques de court et de moyen terme

Sur le plan des menaces juridiques, le court terme doit être distingué du moyen terme.

S'agissant du court terme, si les Etats-Unis n'avaient pas obtenu, par un accord bilatéral, la reconnaissance de leurs pratiques œnologiques, ils auraient déposé une plainte devant l'OMC et auraient, à coup sûr, gagné ce différend.

Car comment l'Europe aurait-elle pu plaider, avec succès, sa cause devant le juge multilatéral, en défendant, dans le même temps, d'une part, sa réglementation, qui interdit les pratiques œnologiques américaines et, d'autre part, ses dérogations, qui permettent chaque année aux vins américains conçus selon ces mêmes pratiques d'entrer sur le marché communautaire ?

Cette contradiction aurait été immanquablement soulevée, puis condamnée au titre des articles 5§8 et 2§9 de, respectivement, l'Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires et l'Accord sur les obstacles techniques au commerce, selon lesquels les mesures techniques susceptibles d'entraver le commerce doivent être justifiées par des considérations de santé ou de sécurité publiques.

De même, elle aurait été jugée contraire à l'article 20 du GATT, selon lequel un procédé ne peut être interdit que s'il présente un danger en matière de santé publique.

De plus, il convient de rappeler qu'en cas de non-respect, par l'Europe, du jugement de l'OMC, les Etats-Unis auraient été en droit, comme le prévoient les règles de l'Organisation, d'imposer des sanctions sous la forme de surtaxes douanières, sur un secteur d'exportations de près de 2 milliards d'euros.

S'agissant de la menace juridique de moyen terme, il existe, au Congrès, tout comme dans certains lobbies américains, des courants voulant « détricoter », grâce au recours à l'Organe de règlement des différends de l'OMC, un par un, les éléments juridiques et techniques encadrant la production viticole européenne, à savoir les indications géographiques, l'étiquetage ou les pratiques œnologiques.

En effet, pour ne prendre que le cas des indications géographiques, les Etats-Unis, non seulement ne partagent pas la philosophie européenne concernant cet aspect des droits de propriété intellectuelle, mais encore considèrent que la législation communautaire applicable constitue, en fait, une restriction déguisée au commerce.

Ce sentiment les a conduits, ainsi que l'Australie, à déposer, en août 2003, une plainte devant l'Organe de règlement des différends de l'OMC pour obtenir la condamnation du règlement (CE) n° 2081/92 du 14 juillet 1992 relatif à la protection des indications géographiques. Le rapport du « panel » de jugement adopté en mars 2005 a défendu, à la satisfaction de l'Europe, la possibilité que puissent coexister, pour un produit portant le même nom, une indication géographique et une marque antérieure.

Malgré les apparences, ce verdict n'est qu'une demi-victoire, dans la mesure où il continue d'autoriser l'usurpation d'appellations européennes mondialement réputées, comme le « Parmesan » par exemple, par les producteurs américains, sous le couvert de marques déposées auprès des autorités fédérales.

¬ Ce résultat n'a rien d'étonnant, dans la mesure où les règles de l'OMC relatives à la protection des indications géographiques de vins ne « départagent » pas la conception européenne et la conception qui a cours aux Etats-Unis.

La notion d'indication géographique est protégée par l'Accord ADPIC ou Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de l'OMC. Ainsi, les membres de l'OMC doivent fournir les moyens juridiques permettant d'empêcher l'existence de toute désignation ou de toute présentation d'un bien qui pourrait tromper le public quant à son origine géographique et de prévenir toute utilisation constituant un acte de concurrence déloyale.

L'Accord définit de la manière suivante les indications géographiques : « des indications qui servent à identifier un produit comme étant originaire du territoire d'un Membre, ou d'une région ou localité de ce territoire, dans les cas où une qualité, réputation ou autre caractéristique déterminée du produit peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique ».

Cette définition est proche de celle de l'appellation, ce qui constitue un élément positif pour la défense de notre modèle viticole.

Toutefois, chaque pays reste libre de protéger ses indications géographiques selon la méthode qu'il juge la plus appropriée, droit des marques à l'américaine ou registre à l'européenne. De ce fait, les appellations ne bénéficient, au regard des règles multilatérales, d'aucune présomption de supériorité par rapport aux marques.

S'agissant des vins et spiritueux, les membres de l'OMC ont convenu d'assurer une « protection additionnelle », c'est-à-dire un niveau de protection plus élevé, pour les indications géographiques relatives à ces produits : en vertu de l'article 23 de l'Accord, ils sont tenus d'empêcher l'utilisation de ces indications pour les vins qui ne proviennent pas du lieu indiqué, même si une utilisation abusive ne risque pas d'induire le consommateur en erreur. Le deuxième paragraphe de cet article indique que l'enregistrement d'une marque pour des vins ou des spiritueux qui contient une indication géographique identifiant des vins ou des spiritueux doit être « refusé ou invalidé », soit d'office si la législation du membre le permet, soit à la requête d'une partie intéressée, en ce qui concerne « les vins ou spiritueux qui n'ont pas cette origine ».

Cependant, l'Accord ADPIC comporte deux exceptions, qui réduisent, dans un sens favorable aux intérêts américains, la portée de cette protection « additionnelle ».

Premièrement, l'Accord prévoit une exception lorsqu'une indication est devenue un nom commun ou générique. Toutefois, le privilège ainsi accordé ne vaut que sur le territoire du membre où il est fait usage d'un terme générique, non sur les marchés à l'exportation.

Deuxièmement, aux termes de l'article 24§4, un membre de l'OMC ne peut exiger d'un autre membre qu'il empêche « un usage continu et similaire d'une indication géographique d'un autre membre identifiant des vins et spiritueux », à condition que l'indication soit utilisée au moins dix ans avant la signature de l'Accord ADPIC, le 10 avril 1994, ou de bonne foi pendant une période, plus courte, précédant cette date.

Cette disposition, dite « clause du grand-père », a donc conféré aux Etats-Unis, à la fin du Cycle d'Uruguay, le droit de continuer à utiliser les appellations européennes protégées, comme le Champagne ou le Chablis.

Grâce à un accord multilatéral, ce pays a assuré l'impunité juridique à ses usurpations.

¬ Par ailleurs, la protection des indications offerte par l'Accord ADPIC, tel que transposé dans la législation américaine, reste, encore aujourd'hui, incertaine aux Etats-Unis.

Comme le fait remarquer, à la fin de chaque année, la Commission dans son rapport sur les obstacles entravant l'accès au marché américain, les dispositions de la loi fédérale mettant en œuvre celles de l'Accord ADPIC n'apportent pas de réelles garanties juridiques aux producteurs européens. Selon le dernier rapport annuel disponible, celui de 2004, l'amendement adopté à la loi sur les marques, soit la nouvelle sous-section 2(a) du Lanham Act, à des fins d'application des articles 23 et 24 de l'Accord ADPIC, doit permettre le refus ou l'annulation d'une marque comprenant une indication géographique qui, lorsqu'elle est utilisée sur ou en liaison avec un vin, identifie un lieu autre que celui de l'origine du produit.

Telle est la règle, mais, de fait, elle est rendue inopérante pour deux raisons :

- il n'existe aucune définition de ce qu'est une indication géographique dans le Lanham Act ;

- il n'existe, aux Etats-Unis, aucune procédure spécifique permettant au détenteur d'une indication géographique européenne de la faire reconnaître, sur le territoire de ce pays, comme étant une indication géographique, sur le fondement du Lanham Act.

II. UN ACCORD DESEQUILIBRE QUI FRAGILISE, POUR LA SUITE DES NEGOCIATIONS, NOTRE POSITION

Au préalable, il convient de rappeler que, selon le ministère de l'agriculture, l'accord, bien qu'imparfait, a un double mérite : il « gèle » la situation existante et évite que l'Europe ne se voit imposée, de l'extérieur, c'est-à-dire par une procédure contentieuse à l'OMC, un bouleversement de ses pratiques œnologiques et de son régime juridique d'indications géographiques.

Cette analyse est légitime si l'on se place du point de vue du négociateur, qui doit tenir compte des contraintes internationales et des intérêts commerciaux.

En revanche, elle devient contestable dès lors que l'on se place d'un point de vue plus général, celui de la défense, sur le plan multilatéral, du modèle viticole européen. Sous cet angle, le tableau devient beaucoup plus sombre.

A. Des déséquilibres portant sur quatre points

1) Les pratiques œnologiques : une contradiction regrettable entre le volet externe et interne de l'OCM

En ce qui concerne les pratiques œnologiques, l'accord prévoit une reconnaissance en deux temps.

De manière immédiate, les pratiques américaines déjà admises, à titre dérogatoire, sont définitivement acceptées. Sur cet aspect, le service juridique de la Commission considère aujourd'hui que les dérogations accordées ont de facto un caractère définitif.

Quant aux nouvelles pratiques œnologiques, 24 d'entre elles ont été intégrées, en mai 2005, à la réglementation américaine. Elles ne seront admises qu'une fois le statut des semi-génériques modifié, ce qui devrait intervenir dans un délai de trois ans (auquel peut s'ajouter un délai supplémentaire de deux ans, soit la durée prévue pour la seconde phase des négociations).

Ces nouvelles pratiques ont toutes été reconnues comme étant non conformes à la réglementation communautaire par l'Institut national des appellations d'origine et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du ministère de l'économie et des finances, dont les avis ont été sollicités par le Gouvernement.

Selon l'analyse de l'INAO, qui porte sur cinq points particuliers, les produits, de type enzymes d'hydrolyse dans l'amidon, relevant plutôt de la brasserie, les produits désinfectants ou procédés d'élimination de sulfite, les procédés permettant l'élimination de molécules de type résine échangeuse d'ions, les additifs aux effets aromatisants, comme le maltol, et les produits permettant la maîtrise de la teneur en alcool par la destruction des sucres dans les moûts, aucun de ces procédés ou substance n'est susceptible de porter atteinte à la santé humaine.

Toutefois, certaines pratiques, telles l'utilisation d'arômes, sont, à l'évidence, susceptibles de modifier artificiellement les caractéristiques sensorielles du produit fini.

Pourra-t-on, dès lors, encore désigner comme étant du vin un produit élaboré selon de telles pratiques ?

S'agissant des modalités de reconnaissance des pratiques œnologiques, les Etats-Unis se sont ralliés à la proposition européenne d'une reconnaissance des pratiques en vigueur sur la base de listes positives, tandis que les nouvelles devront donner lieu à consultation avant leur mise en œuvre.

Ce volet de l'accord amène le constat suivant : l'Europe reconnaît l'existant et doit accepter de lier la question des nouvelles pratiques au changement du statut juridique des semi-génériques.

C'est là un véritable marchandage, qui a pour conséquence de préparer l'introduction, en Europe, de produits remettant en cause la conception et la réglementation européennes de la viticulture.

Mais il y a pire : une faute logique, que traduit l'absence d'articulation entre ce que l'Europe autorise sur le plan de ses échanges et ce qu'elle ne permet pas encore sur le plan du marché intérieur.

En effet, l'Europe s'apprête à faire coexister une OCM très réglementée avec des vins importés de type nouveau, sans s'être, au préalable, interrogée sur les adaptations à apporter aux dispositions encadrant ses procédés de production.

Or c'est précisément à ce moment que s'ouvre, dans l'Union, le débat sur l'évolution des pratiques œnologiques, avec une Commission qui, aujourd'hui, réfléchit, au niveau de ses services, à la future architecture de l'OCM vitivinicole, un projet de réforme étant annoncé pour l'automne 2006. Un groupe de travail a d'ores et déjà été mis en place au sein de la direction générale chargée de l'agriculture de la Commission, qui vient de commencer les consultations avec les ministères et les interprofessions des Etats membres.

Ce débat sur les prochaines règles de l'Europe du vin, l'Espagne étant l'Etat membre le plus intéressé par une modification en profondeur des pratiques œnologiques, est souhaitable, dans la mesure où son résultat conditionnera le maintien d'une OCM forte.

Nos propres producteurs, conscients des évolutions affectant les attentes du consommateur et des contraintes issues d'un marché mondial perturbé par l'arrivée en force des vins du « Nouveau Monde », s'interrogent sur l'opportunité d'adapter la réglementation sur les pratiques œnologiques. En effet, par souci de réalisme et afin d'introduire, de façon maîtrisée, davantage de souplesse dans le régime actuel, la reconnaissance de certaines des pratiques nouvelles pour les vins de cépage, tout en maintenant le cadre actuel pour les vins sous AOC, pourrait être envisagée.

Dans ce contexte, il est clair que l'Europe ne devrait pas s'apprêter à conclure un accord avec les Etats-Unis, tant que cette réflexion sur l'avenir de l'OCM et la réforme qui en résultera, ne seront pas achevées.

De même, la conclusion de l'accord ne devrait pas intervenir tant que les Etats-Unis n'auront pas réintégré l'Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) : ce retour rétablira les conditions d'un dialogue équilibré sur l'évolution des pratiques œnologiques, qui est indispensable à l'élaboration, sur le plan international, d'une définition contraignante du vin.

En résumé, le principal reproche de fond qui puisse être adressé à l'accord bilatéral est qu'il sera conclu deux ans trop tôt, au pire moment pour nos viticulteurs : ceux-ci devront subir la concurrence de vins de type nouveau, sans pouvoir bénéficier de perspectives claires quant au futur cadre juridique qui réglementera leur activité.

2) Les semi-génériques : une victoire en trompe-l'œil

En ce qui concerne les semi-génériques, l'administration américaine s'engage à changer le statut législatif des 17 appellations actuellement usurpées, pour leur conférer un statut réglementaire.

Cet engagement a pour but, selon les termes de l'article 6§1 de l'accord, de « restreindre l'utilisation de ces termes sur les étiquettes aux seuls vins originaires de la Communauté ».

Comme cela a déjà été dit, l'accord établit un lien entre la reconnaissance des nouvelles pratiques œnologiques américaines et la modification de l'amendement D'Amato : l'Europe n'admettra ces nouvelles pratiques que si le gouvernement américain lui notifie le changement du dispositif législatif, dans un délai maximal de 5 ans.

Autrement dit, elle dispose d'un moyen de pression sur les Etats-Unis, ce qui en soi constitue une première dans l'historique de ces négociations.

Autre avantage apporté par cette concession sous condition : l'Europe préserve sa liberté d'accepter ou non des pratiques œnologiques nouvelles, une faculté précieuse, qu'elle n'aurait jamais pu conserver après un contentieux à l'OMC.

Pour autant, l'Europe ne peut crier victoire sur ce volet de l'accord, qui est au cœur du compromis négocié avec les Etats-Unis, et ce pour trois raisons.

En premier lieu, il convient de souligner que l'administration américaine a pour seul mandat de s'efforcer d'obtenir une modification du statut juridique des semi-génériques.

A ce stade, en effet, il n'existe, de la part des Etats-Unis, qu'une promesse, qui ne pourra être mise en œuvre qu'avec la bonne volonté du Congrès.

Or, on le sait, celui-ci est loin de partager les conceptions européennes, en particulier celles concernant l'agriculture. Les auditions du rapporteur ont révélé que le Wine Institute de Californie, très influent auprès des parlementaires américains, est le seul lobby susceptible d'être écouté par le Congrès. Sans l'aval de cet organisme, la révision de l'Amendement D'Amato est, donc, hors de portée. Si celui-ci se montre, aujourd'hui, très satisfait de l'accord paraphé par la Commission, ce qui est plutôt positif pour la suite, cela ne grave pas pour autant dans le marbre la disparition prochaine des usurpations des semi-génériques.

En deuxième lieu, il convient également de relativiser la portée de la disposition selon laquelle les Etats-Unis s'engagent à ne pas développer de nouvelles marques commerciales contenant des semi-génériques.

La mise en œuvre effective de cette assurance dépendra in fine de l'attitude des producteurs américains, que l'administration devra convaincre. A cet égard, le Président de la société Gallo, le « poids lourd » des producteurs californiens, a déclaré à deux ministres français, alors en visite aux Etats-Unis, MM. Hervé Gaymard et François Loos, qu'à terme son groupe n'aura plus d'intérêt de continuer à vendre un produit étiqueté « Champagne ». Toutefois, cette politique « d'apaisement » de la part des producteurs ne suffit pas à compenser l'absence d'engagements juridiques précis.

Enfin, le compromis sur les semi-génériques ne vaut que pour le futur.

Une clause d'antériorité prévoit que les usurpations actuelles d'appellations européennes ne sont pas concernées, dès lors qu'un COLA, Certification of Label Approval, a été délivré avant l'accord bilatéral.

Cette « clause du grand-père », figurant à l'article 6§2, est le véritable « point noir » de l'accord.

Vraisemblablement demandée au négociateur américain par les deux grandes sociétés américaines « usurpatrices », Constellation Brands et Korbel, celle-ci étant le vendeur numéro un des vins mousseux aux Etats-Unis, cette clause assure ainsi le maintien de marques commerciales comprenant un terme semi-générique déjà enregistrées aux Etats-Unis, l'une des plus connues d'entre elles étant, par exemple, la marque « Korbel-California Champagne ».

A cet égard, l'accord n'apporte rien par rapport à l'Accord ADPIC de l'OMC, qui a consacré, sur le plan multilatéral, les régimes juridiques autorisant les usurpations.

En revanche, en signant cet accord, l'Union européenne reconnaît ainsi une pratique, l'usurpation, qu'elle a toujours combattue.

Comme le souligne un avis juridique du Comité interprofessionnel du vin de Champagne, qui a été transmis au ministère de l'agriculture, l'accord présente trois faiblesses majeures au regard de la défense de nos appellations :

- il consacre la reconnaissance, par la Communauté, des usurpations existantes d'appellations européennes alors qu'elle a pour politique de protéger celles-ci ;

- il implique l'abandon de toute contestation judiciaire, aux Etats-Unis, de ces appellations. Les Champenois ne « pourront plus entreprendre aucune action judiciaire fondée sur la distinctivité de leurs appellations puisque les usurpations sont désormais légitimées par l'acceptation de l'Union européenne ». En se liant ainsi les mains, l'Europe se prive d'une arme qui, dans les mains des producteurs américains, a déjà permis de condamner des usurpations pratiquées dans leur pays. Ainsi, la Cour suprême de l'Etat de Californie a invalidé la clause d'antériorité accordée par l'administration à la marque Napa Ridge, dont les produits sont distillés à partir de raisins ne provenant pas de la Napa Valley. Dans cette affaire, le juge a considéré que l'utilisation de ce terme a pour conséquence de tromper le consommateur sur l'origine du vin ;

- il ne prévoit aucune perspective d'amélioration future de la protection des appellations.

Plus inquiétante encore est l'analyse qui peut être faite de la portée de l'article 6§1 de l'accord, relatif au changement de statut des semi-génériques.

Car, en effet, si l'administration s'engage à obtenir du Congrès cette modification, une autre disposition de cet accord prévoit que ces termes semi-génériques ne seront pas automatiquement considérés comme des indications géographiques européennes. Ainsi, l'article 12, paragraphe 4, de l'accord dispose que les termes semi-génériques, tels que listés à l'annexe II de l'accord, ne « sont pas considérés, bien qu'ils puissent l'être dans l'avenir, comme étant des indications géographiques communautaires, au titre de la législation américaine ».

Mais que vaut cette vague promesse d'évolution « dans l'avenir » ?

Ce qui est sûr, en revanche, c'est qu'avec cet accord, les semi-génériques vont tomber dans un no man's land juridique, puisqu'ils ne deviendront ni une indication géographique, ni même un droit de propriété intellectuelle.

De ce fait, on pourrait considérer que l'exception d'usage prévue par l'accord n'est pas conforme avec les engagements multilatéraux souscrits par les deux parties à l'OMC. En effet, d'une part, l'article 23§1 de l'Accord ADPIC dispose que les « Membres conviennent d'engager des négociations en vue d'accroître la protection particulière des indications géographiques » de vins et spiritueux. D'autre part, l'article 24, paragraphe 3, du même accord indique qu'à l'occasion de ces négociations, un membre ne peut diminuer « la protection des indications géographiques qui existait dans ce Membre immédiatement avant la date d'entrée en vigueur de l'Accord sur l'OMC ». Or, l'accord bilatéral pérennise les usurpations d'appellations européennes : il diminue, par conséquent, la protection dont elles bénéficiaient ou pouvaient bénéficier, ce qui rend son article 6 incompatible avec l'Accord ADPIC.

Autre faiblesse, l'accord ne comporte pas de dispositions interdisant l'exportation des vins américains usurpant les appellations européennes vers les pays où ces appellations ne sont pas protégées. Sur ce point, s'il est vrai que la délivrance d'un COLA ne vaut que pour le marché américain, et non à l'exportation, il reste que, dans l'accord, l'administration américaine ne s'est pas engagée sur ce point. En lieu et place d'un tel engagement, une déclaration annexée à l'accord stipule que les organisations de producteurs Wine America et Wine Institute promettent d'appliquer à leurs exportations les règles relatives à l'utilisation des semi-génériques.

3) Les mentions traditionnelles : un recul par rapport aux accords bilatéraux

L'accord comprend d'autres dispositions relatives aux dénominations, plus précisément sur les noms d'origine et les mentions traditionnelles qui ne sont pas toutes satisfaisantes.

D'abord, les parties à l'accord reconnaissent que certains termes peuvent être utilisés comme des noms d'origine pour désigner uniquement des vins de cette origine.

Un satisfecit peut être donné sur ce point au négociateur communautaire, puisque les noms d'origine en question couvrent, pour l'Europe, les indications géographiques. Ainsi, c'est la première fois que les Etats-Unis reconnaissent, par le biais d'une liste annexée à un accord, les indications géographiques européennes.

Toutefois, cette avancée, à l'instar d'autres dispositions de l'accord, doit être relativisée, puisque la protection de ces « noms d'origine » est assurée par les règles d'étiquetage américaines et non au titre de la propriété intellectuelle. Cette protection - seulement partielle - de nos indications est en-deçà ce que prévoit l'Accord ADPIC lui-même, en particulier son article 22 : celui-ci reconnaît les indications géographiques comme un droit de propriété intellectuelle autonome, devant être protégé en tant que tel, au même titre que les marques.

Ensuite, s'agissant des mentions traditionnelles, l'accord prévoit que les Etats-Unis pourront, par le biais d'une dérogation valable trois ans, renouvelable une fois, utiliser des mentions européennes. Quatorze mentions sont visées, la seule condition posée étant que le terme doit être approuvé dans le cadre d'un COLA(3).

L'accord est en recul par rapport aux accords « vin » existants conclus par la Communauté européenne ou en cours de négociations où l'utilisation des mentions traditionnelles par les pays tiers est beaucoup plus restrictive(4).

Une faculté aussi large donnée à l'utilisation des mentions traditionnelles constitue une brèche importante pour les règles d'étiquetage en vigueur dans l'Union européenne.

4) L'étiquetage : la conception américaine reconnue

Quatrièmement, les Etats-Unis ont fait reconnaître leur conception de l'étiquetage, lequel est encadré par l'article 8 de l'accord et un protocole spécifique annexé.

En conséquence, pour les vins en provenance de ce pays, l'étiquette indiquera un nom d'origine si au moins 75 % du vin concerné est produit à partir de raisins récoltés dans l'endroit nommé.

Toutefois, le protocole consacré à l'étiquetage comporte aussi des avancées pour l'Europe : il entérine la réservation de l'étiquetage du millésime et du cépage pour les vins à indication géographique et dispose que les vins communautaires pourront porter des informations additionnelles, prévues par les règlements (CE) n° 1493/1999 et 753/2002, à condition toutefois de respecter les règles en vigueur aux Etats-Unis.


Dispositions encadrant l'étiquetage
dans l'accord Etats-Unis/CE

Dispositions de l'accord :

Les dispositions en vigueur dans chaque Partie continuent de s'appliquer.

Par ailleurs, aux termes de l'article 8 : « Chaque partie s'assure que les étiquettes des vins vendus sur son territoire ne contiennent aucune information fausse ou trompeuse, en particulier en ce qui concerne les caractéristiques, la composition ou l'origine.
Chacune des parties veille à ce que, sous réserve du paragraphe 1, des indications facultatives ou des mentions supplémentaires puissent être ajoutées sur l'étiquette conformément au protocole relatif à l'étiquetage du vin.
Aucune des parties n'exige que les procédés, traitements et techniques utilisés pour la vinification soient précisés sur l'étiquette.
Les Etats-Unis autorisent l'utilisation des noms figurant à l'annexe II
(les 17 semi-génériques) pour désigner des classements ou des types de vin originaires de la Communauté ».

Dispositions du protocole spécifique sur l'étiquetage
 :


Pour les vins produits aux Etats-Unis, les détails optionnels qui peuvent apparaître sur l'étiquette sont :

- le millésime,
- une ou plusieurs variétés de cépages (seuil : 75 %),
- le lieu de mise en bouteille,
- les récompenses ou médailles,
- le nom du vignoble (seuil : 75 %)
- un des termes suivants : château, classic, clos, cream, crusted/crusting, fine, late bottled, vintage, noble, ruby, superior, sur lie, tawny, vintage et vintage character. La Communauté européenne doit accepter sur son territoire des vins produits aux Etats-Unis et portant un de ces termes sur l'étiquette si, au moment de l'exportation, l'utilisation du terme a été approuvée pour l'étiquetage aux Etats-Unis par un COLA.

Ce protocole doit être maintenu pour une durée de 3 ans après l'entrée en vigueur de l'accord, qui pourra être étendue par des périodes additionnelles de deux ans.

B. Un mauvais précédent pour la suite des négociations bilatérales et multilatérales

Le jugement selon lequel cet accord est peu satisfaisant est unanimement partagé en France, même si le ministère de l'agriculture, comme la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux, considèrent que celui-ci doit être défendu.

D'après eux, cet accord est le « moins mauvais possible », compte tenu du rapport de forces existant et du fait, qu'en l'absence de compromis, l'industrie viticole américaine perdrait vite patience, avec les risques de contentieux à l'OMC que cela impliquerait.

Cette attitude se veut responsable, mais on peut penser qu'il appartient au Parlement de souligner les dangers d'un « blanc-seing » donné à un accord négocié dans de telles conditions et comportant de tels résultats.

En effet, en validant les pratiques œnologiques américaines et les usurpations d'appellations européennes, cet accord engage l'avenir de notre viticulture. C'est pourquoi la Délégation doit marquer, dès maintenant, ses « lignes rouges ».

Cette prise de position est d'autant plus nécessaire que les résultats actuels auront un impact, à ce stade, défavorable, sur la seconde phase des négociations avec les Etats-Unis, ainsi que sur celles engagées à l'OMC, visant renforcer la protection des indications géographiques.

1) Le second volet des négociations : le risque d'une spirale négative

En ce qui concerne le second volet des négociations, l'article 10 de l'accord prévoit l'ouverture, 90 jours après son entrée en vigueur, de discussions.

Selon une déclaration commune « concernant les dialogues à venir » annexée à l'accord, ceux-ci porteront sur les indications géographiques, dans le but, pour les parties, « de mieux comprendre leurs politiques respectives sur la question ».

L'accord prévoit, en outre, un « dialogue » sur les noms d'origine, les semi-génériques et les mentions traditionnelles.

Enfin, d'autres sujets pourront être également abordés, comme l'étiquetage, ce qui pourrait inclure le pourcentage requis pour indiquer l'origine du produit, les pratiques œnologiques et la certification.

L'ensemble de ces discussions devront aboutir, au plus tard, deux ans après leur démarrage.

En théorie, cette clause de rendez-vous offre à l'Europe la possibilité de réviser les éléments les plus contestables de l'accord.

Cependant, cette deuxième chance donnée au négociateur communautaire peut n'être qu'un leurre.

En effet, celui-ci a si mal engagé la partie que nous sommes en droit de douter de sa capacité réelle à « rattraper » la situation, s'il ne pose pas dès maintenant, sous l'impulsion du Conseil, quelques conditions essentielles.

Il faut insister sur le fait que la Commission a négocié un compromis qui n'apporte rien par rapport aux maigres garanties de l'Accord ADPIC, alors même que la « doctrine » européenne en matière d'accords viticoles consiste à conclure des accords dits « ADPIC plus », c'est-à-dire qui confèrent à nos appellations une protection juridique plus élevée que celle prévue par les règles de l'OMC.

Ainsi en est-il des accords conclus avec l'Australie, le Chili et le Canada, lesquels prévoient le retrait, en une ou deux phases, des usurpations d'appellations. Le Canada s'est engagé à abandonner au 1er janvier 2013 les appellations usurpées. L'Australie, quant à elle, a signé un accord posant le principe du retrait de ces appellations et obligeant les utilisateurs actuels à réserver les termes en question pour le seul marché domestique. Sans que cet accord initial ait fixé de date butoir pour la récupération, par l'Europe, de ces appellations, ces deux éléments ont d'ores et déjà incité les producteurs australiens à arrêter d'utiliser celles-ci.

Il serait particulièrement dommageable, pour la cohérence de notre « politique viticole extérieure », que l'accord euro-américain ne devienne un précédent, surtout au regard des négociations en cours avec la Russie et l'Ukraine, deux pays dans lesquels se posent de graves problèmes d'usurpations.

2) Un accord en porte-à-faux par rapport aux ambitions multilatérales de l'Europe

En ce qui concerne l'échelon multilatéral des négociations, les défenseurs de l'accord font valoir que sa conclusion peut être annonciatrice d'un changement, favorable à l'Union, de la position des Etats-Unis vis-à-vis des négociations de l'OMC relatives à la protection des indications géographiques.

Il convient, à ce titre, de rappeler que ce pays a toujours été hostile aux propositions européennes concernant le statut juridique du « registre multilatéral de notification et d'enregistrement des indications géographiques pour les vins », dont la création est prévue par l'article 23§4 de l'Accord ADPIC. Le mandat des négociations relatives à ce registre a été confirmé, en novembre 2001, par la Conférence ministérielle de l'OMC de Doha, qui a décidé lancer de l'actuel cycle de négociations commerciales multilatérales.

Depuis lors, l'Union européenne, en opposition aux pays producteurs du « Nouveau Monde », l'Australie, le Canada, le Chili, les Etats-Unis et l'Océanie, défend l'établissement d'un registre juridiquement contraignant.

Elle propose, à cet effet, que les membres de l'OMC souhaitant participer à ce système notifient d'abord à cette organisation leurs indications identifiant les produits comme provenant de leur territoire. Puis, une période de 18 mois serait ouverte aux membres, pour leur permettre de consulter cette liste et de contester, le cas échéant, l'enregistrement d'une indication notifiée. Enfin, au terme de cette période, une indication enregistrée créerait une présomption irréfragable d'éligibilité à la protection prévue par l'Accord ADPIC. Cela aurait deux conséquences juridiques, d'une importance capitale pour nos appellations : d'une part, une indication ainsi enregistrée ne pourrait plus être revendiquée comme étant un nom générique ; d'autre part, l'enregistrement libérerait le propriétaire de l'indication géographique de la charge de la preuve, qui dès lors incomberait à la partie qui revendique cette indication.

Ce registre est donc indispensable : il constituera une assurance de protection uniforme de nos appellations dans chaque pays et apportera, par ailleurs, un appui dans les conflits de marques.

Parallèlement aux négociations portant sur le registre multilatéral, la Commission européenne a communiqué à l'OMC, après son approbation, en août 2003, par les Etats membres, une liste de 41 indications géographiques, tous produits agricoles confondus, dont elle souhaite récupérer l'usage exclusif. La liste comprend 22 appellations de vins et spiritueux(5).

Le négociateur communautaire a toujours rappelé aux membres de l'OMC que ces deux sujets étaient au cœur de ses préoccupations concernant le volet agricole du cycle de Doha. En aucun cas, selon les termes mêmes du mandat de négociations donné à la Commission par le Conseil des ministres, les partenaires de l'Union peuvent espérer conclure un accord sur l'ensemble des sujets en négociation l'OMC, sans que celui-ci ne prévoit un renforcement adéquat de la protection de nos indications géographiques.

Il faut insister sur le caractère prioritaire que revêt ce sujet de négociation à l'OMC : l'Europe ne peut accepter d'ouvrir davantage son marché, notamment dans le domaine agricole, que si, en contrepartie, les autres membres mettent fin à des pratiques, telles que les usurpations d'appellations, qui créent des conditions de concurrence déloyales pour nos producteurs.

C'est pourquoi il est extrêmement regrettable qu'à l'occasion d'un accord avec les Etats-Unis, la Commission ait de facto renoncé à certains aspects fondamentaux de son mandat de négociation à l'OMC.

Cette dernière adopte, sur le plan bilatéral et multilatéral, des positions qui se contredisent.

Enfin, une des conséquences les plus négatives de l'accord pourrait être que le régime préférentiel que celui-ci accorde aux Etats-Unis doive être étendu à d'autres membres de l'OMC, en raison de la clause de la nation la plus favorisée. Résultant de l'article 1er de l'Accord général sur les tarifs et le commerce, le GATT, cette clause est la pierre angulaire du droit commercial international et signifie que les membres de l'OMC acceptent de s'octroyer mutuellement tout avantage commercial supplémentaire qu'ils viendraient à accorder à d'autres pays tiers.

Plusieurs professionnels rencontrés par le rapporteur ont souligné ce danger : si ce principe devait s'appliquer, une analyse que la Commission conteste, toute concession spéciale accordée aux Etats-Unis sur le plan du commerce du vin devrait être également accordée aux autres membres de l'OMC. Cela aurait pour conséquence de remettre en cause les concessions que l'Europe a obtenues dans le cadre des accords viticoles « ADPIC plus », en particulier celles concernant la récupération des appellations usurpées.

CONCLUSION : LA NECESSITE DE POSER DES CONDITIONS

L'Europe ne peut faire le choix de la résignation. Elle n'a pas encore tout pas perdu, à condition qu'elle défende, avec détermination, son modèle viticole, vis-à-vis des Etats-Unis, comme de l'OMC.

Dans cette perspective, la Délégation doit envoyer au Conseil et à la Commission un signal fort et clair, qui pose, sans ambiguïté, quelques conditions, au moment où s'achève la première phase des négociations viticoles avec les Etats-Unis.

Tel est l'objet de la proposition de résolution qu'elle a adoptée.

*

* *

{texte de la conclusion...}

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie le mardi 22 novembre 2005, sous la présidence de M. Christian Philip, Vice-président, pour examiner le présent rapport d'information.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. François Guillaume s'est déclaré « catastrophé » par les explications sur le contenu du projet d'accord. Il a estimé que les méthodes de négociation utilisées par les Etats-Unis étaient toujours identiques et a cité à cet égard l'exemple de l'accord sur les oléagineux. Il est aujourd'hui peu probable que les Etats-Unis reviennent sur les concessions qu'ils ont obtenues en faisant jouer la pression des circonstances, et notamment l'éventualité d'un blocage des exportations de Beaujolais nouveau destinées au marché américain. Pour ces raisons, M. François Guillaume a manifesté son soutien à la proposition de résolution mais a exprimé la crainte que celle-ci ne soit en fait qu'un vœu pieux.

Selon la Commission, les sacrifices consentis par l'Union européenne devraient se révéler payants. C'est pourtant l'inverse qui se produit : non seulement les Etats-Unis ne font aucune concession, mais ils en demandent encore plus à l'Union. De même, les concessions faites dans le domaine agricole n'ont pas de contreparties dans le domaine des services ou de la propriété intellectuelle, qui est elle-même menacée.

M. François Guillaume s'est ensuite interrogé sur la cohésion dans l'Union européenne et sur les réactions face au projet d'accord des Etats membres qui ont des intérêts proches de ceux de la France, comme l'Italie, l'Espagne, la Hongrie et l'Allemagne. Il a demandé au rapporteur des précisions sur l'autorité de l'Organisation internationale de la vigne et du vin dans la négociation de l'accord et dans la définition des pratiques œnologiques, cette organisation devant selon lui établir un corpus de règles à respecter, pris en compte dans les négociations vitivinicoles dans le cadre de l'OMC. En effet, les disparités qui règnent sur ces pratiques au niveau mondial, par exemple les seuils maxima de production pour le classement des vins, appliqués en Europe, mais pas chez les nouveaux producteurs, comme l'Afrique du Sud, ne permettent pas des conditions de concurrence équitable.

Le rapporteur a indiqué que, depuis vingt ans, le contexte des négociations dans le domaine vitivinicole était particulièrement difficile. La position des producteurs européens s'est en effet affaiblie du fait de la concurrence des nouveaux producteurs. Les Etats-Unis passent des accords avec eux. Ils ont quitté l'Organisation internationale de la vigne et du vin en raison de leurs divergences avec l'Union européenne et préfèrent conclure de tels accords bilatéraux, ce qui est un facteur d'affaiblissement de la position de l'Union européenne.

Le rapporteur a précisé que les députés européens qu'il avait rencontrés dans le cadre de la préparation du rapport partageaient ses inquiétudes tandis que le Conseil était très conscient des enjeux économiques liés à cet accord, les exportations de vin de l'Union européenne vers les Etats-Unis représentant 1,8 milliard d'euros en 2004. Il a estimé que la l'exigence par les Etats-Unis de certifications très contraignantes pèserait lourdement sur les exportations en provenance de France et profiterait aux nouveaux producteurs mais qu'il convenait également de montrer son mécontentement face à l'accord.

M. Robert Lecou a interrogé le rapporteur sur les parts de marché des différents pays producteurs de vin et sur la possibilité de faire jouer la « préférence communautaire ». Il a cité l'exemple de la région Languedoc-Roussillon, qui a opéré une véritable révolution des cultures et qui produit des vins de grande qualité.

Le rapporteur a répondu que l'Union européenne disposait au plan mondial de la part de marché la plus importante, de l'ordre de 70 %, mais que celle-ci était en recul par rapport à celle des nouveaux pays producteurs.

M. Jean-Claude Lefort s'est déclaré très préoccupé par les conséquences des concessions accordées par les Européens et a demandé au rapporteur si toutes les pistes avaient bien été explorées.

Le rapporteur lui a répondu que l'accord avec les Etats-Unis avait d'ores et déjà été paraphé. Il a rappelé qu'il s'agissait d'une négociation en deux phases qui vient de se traduire, dans un premier temps, par la reconnaissance des pratiques œnologiques américaines et l'acceptation officielle de l'usurpation des nos appellations. Cela est grave et place la France dans une situation difficile à l'approche de la nouvelle négociation sur l'OCM vin. Il aurait été préférable d'attendre cette renégociation avant de conclure l'accord avec les Etats-Unis. En tout état de cause, les concessions faites devront être compensées au cours de la prochaine étape.

Le Président Christian Philip a rejoint l'analyse du rapporteur. Considérant qu'un refus de ratification par le Conseil exposerait l'Union européenne à d'importantes représailles commerciales, il a souhaité que les Européens fassent preuve d'une plus grande fermeté lors de la seconde phase des négociations.

M. François Guillaume a alors stigmatisé le chantage constamment exercé par les Etats-Unis dans les négociations commerciales. Les Européens utilisent un sabre de bois et finiront toujours par s'incliner s'ils n'adoptent pas les mêmes méthodes.

M. Pierre Forgues a partagé les conclusions du rapporteur tout en se déclarant sceptique sur l'avenir du secteur. Il a en effet regretté que l'Europe capitule toujours face aux Etats-Unis qui, eux, n'hésitent pas à poser des digues pour empêcher les produits européens de pénétrer leur marché. Nous risquons d'être condamnés à boire du vin industriel avec des arômes artificiels. Alors que nos producteurs font des efforts constants depuis vingt ans pour produire un vin de qualité, ils risquent bien de n'avoir d'autre choix que de copier les pratiques américaines pour préserver la rentabilité de leurs exploitations. Cela est très dangereux et met en péril notre savoir faire et la qualité du vin français. Il en a alors appelé à la vigilance des consommateurs qui pâtiront de cette baisse de la qualité et devront payer de plus en plus cher pour boire du bon vin.

M. Guy Lengagne a suggéré d'aller au-delà des procédures habituelles en interpellant directement le Gouvernement sur la position de la Délégation. Une motion, adoptée à l'unanimité par les membres de la Délégation, pourrait ainsi être adressée aux ministres concernés pour affirmer que la France refuse ce qui se passe actuellement.

M. François Guillaume a déploré les conséquences de l'accord qui va concerner une multitude de petites appellations qui n'ont pas une renommée suffisante pour que le consommateur soit en mesure de faire la différence. Ne subsisteront alors que les très grands crus, connus des plus fins consommateurs.

Le rapporteur a souhaité que l'on puisse établir une différenciation claire entre d'une part les pratiques œnologiques industrielles et d'autre part la reconnaissance des méthodes utilisées dans nos terroirs. A défaut, l'exception française risque bien de disparaître ; or il faut maintenir nos AOC, nos vins de terroirs et obtenir gain de cause lors de la renégociation de l'OCM. Force est néanmoins de constater que, contrairement à la précédente négociation intervenue en 1998, le secteur viticole traverse actuellement une grave crise qui explique les concessions accordées dans le cadre de la négociation sur le commerce avec les Etats-Unis.

En conclusion du débat, le Président Christian Philip a indiqué que la Délégation pour l'Union européenne allait attirer l'attention du ministre de l'agriculture et de la ministre déléguée au commerce extérieur et demandera au Gouvernement d'être pleinement informée des résultats du prochain Conseil de décembre.

A la suite de ce débat, la Délégation a adopté la proposition de résolution dont le texte figure ci-après.

PROPOSITION DE RESOLUTION

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de décision du Conseil relative à la conclusion de l'accord entre la Communauté européenne et les Etats-Unis sur le commerce du vin (COM [2005]547 final/n° E 3002 ),

Considérant le contexte inégalitaire dans lequel, jusqu'ici, ont été menées les négociations relatives à la conclusion d'un accord sur le commerce du vin avec les Etats-Unis ;

Considérant que l'accord dont l'adoption est proposée au Conseil marque un recul par rapport à d'autres accords bilatéraux conclus par l'Union européenne, lesquels prévoient le retrait des appellations européennes protégées usurpées par les producteurs de pays tiers ;

Considérant que le cadre juridique du commerce du vin entre l'Union européenne et les Etats-Unis ne doit, en aucune manière, affaiblir la position de la Communauté européenne, tant en ce qui concerne les négociations visant à établir, au sein de l'Organisation mondiale du commerce, un registre des indications géographiques de vins et spiritueux juridiquement contraignant, que celles en cours avec des pays tiers ;

1. Condamne l'adoption, par les Etats-Unis, à des fins de pression dans la négociation, d'une procédure nouvelle de certification des vins importés, laquelle ne vise, dans les faits, que l'Union européenne, dès lors contrainte d'accepter, par anticipation, les concessions accordées par la Commission européenne ;

2. Conteste le caractère déséquilibré de l'accord, dont la négociation n'aurait dû être terminée qu'après la réforme prévue de l'organisation commune du marché vitivinicole, en permettant ainsi à la filière d'adapter ses méthodes de production ;

3. Demande, si le Conseil ne peut effectivement procéder à un tel report, que celui-ci précise, par une déclaration annexée à l'accord, que les dispositions de ce dernier ne reconnaissent pas aux producteurs américains, par une « clause du grand-père », le droit de continuer à utiliser, sous le couvert des marques existantes aux Etats-Unis, des appellations européennes protégées ;

4. Demande que la seconde phase de négociations, prévue par l'accord, ne s'achève au plus tard que dans le délai de deux ans indiqué et, en tout état de cause, qu'après :

- la révision de la réglementation communautaire vitivinicole,
- le retour des Etats-Unis au sein de l'Organisation internationale de la vigne et du vin ;

- l'obtention d'un engagement contraignant et précis obligeant les Etats-Unis à retirer, sur le marché interne et à l'exportation, à l'issue d'une période égale à celle fixée par les autres accords bilatéraux et sans versement d'indemnités, les appellations d'origine et les mentions traditionnelles européennes ;

- la création, au sein de l'Organisation mondiale du commerce, d'un registre de notification et d'enregistrement des indications géographiques de vins et spiritueux juridiquement contraignant, grâce auquel une indication enregistrée ne pourrait plus être revendiquée comme étant un nom générique au sens de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de 1994 ;

5. Défend le principe de la négociation, en parallèle et au niveau de l'Organisation internationale de la vigne et du vin, d'une définition contraignante du vin, qui encadre sur le plan multilatéral les pratiques œnologiques ;

6. Demande qu'une partie des crédits de l'enveloppe du budget européen affectée à la promotion des produits agricoles finance la défense, sur le marché des Etats-Unis, de la notoriété des vins européens dont les appellations sont actuellement usurpées par les producteurs de ce pays ;

7. Soutient la mise en place d'un organisme de concertation permanent associant les directions générales compétentes de la Commission européenne, les organisations européennes de producteurs, les instituts nationaux de protection des appellations et les représentants des Etats membres, qui serait consulté avant la finalisation de tout accord viticole.

ANNEXES

Annexe 1 :
Personnes entendues par le rapporteur

I. A BRUXELLES

Parlement européen

- Mmes Astrid LULLING et Christa KLASS, députées ;

- M. Joseph DAUL, président de la commission de l'agriculture et du développement rural.

Représentation permanente de la France auprès de institutions de l'Union européenne

- M. Jean-Louis BOURNIGAL, délégué pour les affaires agricoles ;

- M. Jean-Christophe LEGRIS, délégué-adjoint pour les affaires agricoles.

II. A PARIS

Ministère de l'agriculture et de la pêche

- M. Christian LIGEARD, chef du service des relations internationales ;

- M. Philippe DUCLAUD, chef du bureau des relations extérieures de l'Union européenne ;

- M. Michel LEVÊQUE, chef du bureau du vin, du cidre et des spiritueux à base de pommes.

Fédération des exportateurs de vins et spiritueux de France

- M. Louis-Régis AFFRE, délégué général ;

- M. Renaud GAILLARD, délégué général adjoint.

Confédération des coopératives vinicoles de France

- M. Denis VERDIER, président.

Confédération nationale des producteurs de vins et d'eaux-de-vie à appellation d'origine contrôlée

- M. Pascal BOBILLIER-MONNOT, directeur ;

- M. Eric TESSON, chargé des affaires juridiques.

Comité national des interprofessions de vins à appellation d'origine contrôlée

- M. Jérôme AGOSTINI.

COPA/COGECA

- M. Jean-Louis PITON, président du groupe vin.

Comité européen des entreprises vins

- Mme Marion WOLFERS, secrétaire générale.

Comité interprofessionnel du vin de Champagne

- M. Patrick LE BRUN, co-président ;

- M. Jean-Luc BARBIER, directeur général ;

- M. Nicolas OZAMAN, directeur.

Mouvement des vignerons indépendants de France

- M. Xavier de VOLONTAT, président ;

- M. Eric ROSAZ, directeur.

Annexe 2 :
Part de marché des quantités exportées des principaux
pays producteurs de vin en 2004

Source : Global Trade Atlas.Annexe-1

1 ()Angelica, Burgundy, Claret, Chablis, Champagne, Chianti, Malaga, Marsala, Madeira, Moselle, Port, Rhine, Sauternes, Haut-Sauternes, Sherry et Tokay.

2 () Afrique du Sud, Algérie, Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chili, Chypre, Croatie, Espagne, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Israël, Italie, Luxembourg, ARYM-Macédoine, Malte, Maroc, Mexique, Moldavie, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pérou, Portugal, République tchèque, Roumanie, Russie, Serbie-Monténégro, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse, Turquie, Uruguay.

3 () Château, classic, clos, cream, ruby, noble, superior, sur lie, tawny, crusted/crusting, late bottled vintage, vintage et vintage character.

4 () Par exemple, l'article 7§5 de l'accord conclu en 1994 avec l'Australie prévoit le traitement de cette question par un comité mixte, lequel est chargé d'adopter des recommandations sur « les périodes transitoires appropriées pour l'abandon progressif », par ce pays, de l'emploi de certaines mentions traditionnelles européennes.

5 () Beaujolais ; Bordeaux ; Bourgogne ; Chablis ; Champagne ; Chianti ; Cognac ; Grappa di Barolo del Piemonte, di Lombardia, del Trentino, del Friuli, del Veneto dell'Alto Adige, Graves, Liebfrau(en)milch, Malaga, Marsala, Madeire, Médoc, Moselle, Ouzo, Porto, Rhin, Rioja, Saint-Emilion, Sauternes et Jerez.

© Assemblée nationale