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N° 3200

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 juin 2006

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur le livre vert sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante
(COM [2005] 672 final / E 3047),

ET PRÉSENTÉ

par M. Marc LAFFINEUR,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. François Guillaume, Jean-Claude Lefort, secrétaires ; MM. Alfred Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe-Armand Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

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Pages

RESUME DU RAPPORT 7

REPORT SUMMARY 11

INTRODUCTION 15

I. LE SOUS-DEVELOPPEMENT DES ACTIONS JUDICIAIRES PRIVÉES EN MATIÈRE DE PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES : UN CONSTAT LARGEMENT PARTAGE, MAIS DONT LA PORTÉE FAIT L'OBJET DE CONTROVERSES 19

A. La rareté des actions judiciaires privées : un constat largement approuvé 19

1) L'existence d'obstacles procéduraux et culturels 19

a) Les obstacles procéduraux 19

b) La diffusion limitée de la culture de la concurrence 22

2) La pratique des transactions 24

B. L'approche controversée de la Commission 26

1) Un diagnostic partiel 27

2) Un postulat partial 29

a) L'affirmation du sous-développement des actions privées méconnaît la valeur des procédures existant dans les Etats membres 29

b) Les effets du règlement n° 1/2003 du 16 décembre 2002 ne sont pas suffisamment pris en compte 31

II. LE DEBAT SUR LES OPTIONS PRÉSENTÉES PAR LA COMMISSION 35

A. Le débat sur la légitimité de l'action de la Commission 35

1) L'expression de réserves dans les Etats membres au nom des principes de subsidiarité et de proportionnalité 35

a) Des doutes quant à la conformité du Livre vert au principe de subsidiarité 35

b) Des doutes quant au respect du principe de proportionnalité 37

2) Un débat qui n'a pas lieu d'être selon la Commission 38

B. La crainte de l'introduction en Europe de dérives analogues à celles du système américain 39

1) Une opposition unanime à certains bouleversements du droit processuel des Etats membres 40

a) La procédure américaine de la discovery : un régime de communication des preuves jugé dangereux et inutile 40

b) Le doublement des dommages : un mode de réparation écarté du fait de ses excès 42

2) Les divergences contrastées sur la question de l'opportunité de mettre en place des recours collectifs 44

a) Une hostilité majoritaire à l'encontre de la procédure américaine des class actions 45

(1) La législation des Etats membres offrirait déjà une protection efficace des intérêts des consommateurs 45

(2) La procédure américaine de class actions : un facteur de judiciarisation de l'économie 47

b) L'intérêt croissant suscité par le système québecois de recours collectif 49

III. LA NÉCESSITÉ D'UNE REFLEXION CIRCONSTANCIEE SUR LA REFORME DU REGIME DES RECOURS CONTRE LES PRATIQUES CONCURRENTIELLES 53

A. La lutte contre les pratiques anticoncurrentielles : un objectif consensuel 53

B. La poursuite de cet objectif impose de respecter certains équilibres 54

1) Prévenir l'opposition entre action publique et action privée tout en veillant à leur optimisation respective 54

a) La complémentarité nécessaire entre action publique et action privée 55

(1) L'action publique ne peut tout contrôler 55

(2) L'action publique peut faciliter les actions privées 56

b) L'optimisation souhaitable de l'action publique et de l'action privée 57

(1) Renforcer les liens entre autorités de concurrence et juridictions 57

(2) La modification indispensable des comportements des acteurs du procès en vue de promouvoir une réelle culture de la concurrence 58

2) Prévenir la judiciarisation de l'économie 59

a) Refuser tout risque d'instrumentalisation du droit de la concurrence 59

b) Examiner avec prudence l'opportunité de s'inspirer du système québecois de recours collectif 60

CONCLUSION 63

TRAVAUX DE LA DELEGATION 65

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION 67

ANNEXES 69

Annexe 1 : Liste des personnalités entendues par le rapporteur 71

Annexe 2 : Bilan de la class action aux Etats-Unis 75

Annexe 3 : Réforme procédurale des actions de groupe (class actions) 79

RESUME DU RAPPORT


La Commission européenne a présenté en décembre 2005 un Livre vert qui ouvre un débat sur les conditions dans lesquelles les recours en dommages et intérêts contre les pratiques anticoncurrentielles - ententes et abus de position dominante - pourraient être améliorés.

La Commission européenne constate, en effet, un « sous-développement » des actions privées en Europe, où les systèmes reposent à 90 % sur les actions publiques des autorités de concurrence, à la différence des Etats-Unis où, à l'inverse, ce sont les actions privées qui prédominent.

Le présent rapport comprend trois parties :

- La Première partie expose les raisons pour lesquelles le constat de la Commission européenne sur le sous-développement des actions privées est contesté. Il existe, certes, une sous-utilisation des procédures dans les Etats membres, imputable, en particulier, aux difficultés rencontrées par les victimes des pratiques anticoncurrentielles à produire les preuves nécessaires à l'appui de leurs prétentions. En outre, en France en particulier, la culture de la concurrence est insuffisamment répandue.

Pour autant, l'approche de la Commission est controversée : d'une part, il lui est reproché de ne pas voir que la lutte contre les pratiques anti-concurrentielles ne se limite pas aux seules actions en dommages et intérêts. D'autre part, l'idée de sous-développement méconnaît le fait que bien que sous-utilisées, les procédures existant dans les Etats membres ne sont pas dépourvues de toute valeur.

- Dans une Deuxième partie, le rapporteur procède à l'examen des options présentées par la Commission.

Les critiques dont elles font l'objet ont d'abord trait à leur non-conformité aux principes de subsidiarité et de proportionnalité. Si la France émet sur ce point des réserves nuancées, en revanche, au Royaume-Uni et en Allemagne, les autorités font valoir que les règles de responsabilité civile du droit processuel sont du ressort des Etats membres.

La Commission rejette ces réserves, en faisant valoir qu'elle est fondée à garantir le fonctionnement efficace du marché intérieur et qu'elle viserait plutôt à encourager des évolutions au niveau des Etats membres.

Malgré les dénégations de la Commission, le rapporteur souligne la crainte persistante d'une américanisation du droit processuel des Etats membres. Elle est ainsi illustrée par l'opposition unanime, d'une part, à l'introduction d'un régime de communication des preuves, qui serait inspiré de la discovery et, d'autre part, à un système de réparation fondé sur les doubles dommages.

S'agissant de l'opportunité d'introduire un système de recours collectif en vue de garantir les droits des consommateurs, il existe là encore une hostilité majoritaire à l'encontre de la procédure américaine de la class action, regardée davantage comme un facteur de judiciarisation de la vie économique que comme un instrument de protection des consommateurs.

En revanche, parce que jugé plus étroitement encadré et équilibré que la procédure américaine, le système québécois suscite un intérêt croissant en France.

Dans une Troisième partie, le rapport plaide pour une réflexion circonstanciée sur la réforme des recours en réparation contre les pratiques anticoncurrentielles. Il importe qu'une telle réforme prévienne l'opposition entre action publique et action privée, ainsi que le risque d'une judiciarisation de l'économie à travers l'instrumentalisation du droit de la concurrence.

REPORT SUMMARY

In December 2005 the European Commission presented a Green Paper which opens a debate on the conditions in which damages actions for breach of the EC antitrust rules could be improved.

The European Commission indeed finds an `underdevelopment' of private enforcement in Europe, where the systems are based 90% on public enforcement by the competition authorities, unlike the United States where, by contrast, private enforcement predominates.

This report comprises three parts:

- The first part presents the reasons why the finding by the European Commission of underdevelopment of private enforcement is disputed. Admittedly procedures are underused in the Member States, which can be ascribed in particular to the difficulties encountered by the victims of anticompetitive practices to produce the necessary evidence supporting their claims. Also, in France in particular, competition culture is insufficiently widespread.

Yet the Commission's approach is controversial. First, it is accused of not seeing that the fight against anticompetitive practices is not limited to damages actions alone. Second, the underdevelopment concept misjudges the fact that, although underused, the procedures existing in the Member States do have some value.

- In the second part, the rapporteur examines the options presented by the Commission.

The criticisms they receive firstly concern their noncompliance with the subsidiarity and proportionality principles. While France expresses qualified reservations regarding this point, in the United Kingdom and Germany, on the contrary, the authorities emphasise that the civil liability rules of procedural law come under the jurisdiction of the Member States.

The Commission rejects these reservations, by asserting that it is justified in ensuring effective operation of the internal market and that it aims rather at encouraging change at the level of the Member States.

Despite the Commission's denials, the rapporteur emphasises the persistent fear of an Americanisation of the Member States' procedural law. This is illustrated for instance by the unanimous opposition, on the one hand, to the introduction of a communication of evidence regime inspired by the discovery process and, on the other hand, to a compensation system based on double damages.

Referring to the opportunity of introducing a class action system in order to ensure consumer rights, here again there is a majoritarian hostility against this American procedure as it is regarded more as a factor of the judicialisation of economic life rather than an instrument protecting consumers.

On the other hand, because it is deemed more closely framed and balanced than the American procedure, the Quebec system is attracting increasing interest in France.
In the third part, the report makes the case for in-depth analysis of the reform of actions for compensation against anticompetitive practices. Such a reform should avoid opposing public and private enforcement. It should also avert the risk of a judicialisation of the economy through the instrumentalisation of competition law.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

A l'heure où l'Union européenne est confrontée au double défi de l'achèvement du marché intérieur et de la mondialisation, garantir le fonctionnement efficace des mécanismes destinés à dissuader les pratiques anticoncurrentielles constitue un impératif majeur. Le contentieux opposant la Commission à Microsoft - ce dernier étant accusé de détenir une position dominante - en illustre toute l'importance.

Le présent Livre vert, dont nous sommes saisis, s'inscrit dans le cadre de ces préoccupations. Constatant un « sous-développement » en Europe des actions en dommages et intérêts contre les pratiques anticoncurrentielles - ententes et abus de position dominante - la Commission propose différentes options, qui pourraient être de nature, selon elle, à doter les Etats membres de systèmes plus dissuasifs. Il s'agirait de mettre sur pied des actions civiles qui viendraient non pas se substituer à l'action des autorités publiques de concurrence, mais la compléter et renforcer les sanctions existantes, en allouant des dommages et intérêts aux victimes des pratiques anticoncurrentielles. Pour la Commission, un tel objectif mettrait en application les principes dégagés par la Cour de Justice dans l'arrêt Courage/Crahen du 20 septembre 2001, par lequel elle a déclaré que pour que les droits conférés par le traité soient effectivement sauvegardés, les particuliers qui ont subi un dommage du fait d'une infraction aux articles 81 à 82 (ententes et abus de position dominante) ont le droit de réclamer des dommages et intérêts.

Le rapporteur ne peut qu'être sensible à la démarche engagée par la Commission. En tant que maire, il a, en effet, déjà eu l'occasion de constater combien les ententes pouvaient produire des effets d'autant plus dommageables qu'il était difficile d'en établir l'existence. Mais, au-delà, comme les autorités françaises(1), il estime également que les victimes des pratiques concurrentielles sont souvent de très bonnes vigies du fonctionnement du marché.

Pour autant, cette dernière considération est loin de suffire à créer un accord autour des objectifs poursuivis par le Livre vert. Bien au contraire, certaines de ses options - en particulier celle concernant l'opportunité de mettre en place des procédures spéciales pour l'introduction d'actions collectives - suscitent un vif débat. D'un côté, les associations de consommateurs y sont très favorables, tout en soulignant leur préférence pour le système québécois, plus apte à empêcher les dérives inhérentes au système américain des class actions, en particulier le fait qu'elles soient une source de profits pour les seuls avocats.

De l'autre, les avocats rencontrés par le rapporteur ainsi que les représentants du Medef voient dans cette option présentée par la Commission, un des principaux éléments, qui illustrent selon eux le souhait de la Commission d'américaniser les systèmes juridiques de l'Europe, et ce, malgré les dénégations de Mme Neelie Kroes, commissaire en charge de la concurrence.

Le rapporteur a constaté que cette crainte d'une importation des dérives du système américain était également partagée par d'autres Etats membres.

En effet, comme la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni, pour ne citer que ces deux Etats membres, estiment disposer déjà de mécanismes pour atteindre les objectifs proposés par le Livre vert, dont l'efficacité a été accrue par les réformes intervenues au cours de ces dernières années dans ces Etats.

A l'évidence, ces réactions contrastées, tout comme les entretiens que le rapporteur a pu avoir lors de ses déplacements aux Etats-Unis et au Canada, illustrent la difficulté de parvenir à un point d'équilibre, qui puisse satisfaire les aspirations respectives des victimes de pratiques anticoncurrentielles et celles des entreprises. Il est légitime que les victimes de pratiques anticoncurrentielles puissent bénéficier d'une réparation intégrale.

Mais il est également important d'éviter que les entreprises ne soient confrontées à un environnement où leur existence même et leur compétitivité risqueraient d'être ruinées par une judiciarisation accrue des litiges, laquelle viendrait s'ajouter à d'autres contraintes déjà très lourdes, telles que celles qui leur imposent de respecter le principe de précaution.

C'est ce souci d'équilibre, qui amènera le rapporteur à plaider en faveur d'une réflexion circonstanciée dans le cas où une réforme serait entreprise.

Mais avant d'en exposer les orientations, il s'interrogera, dans un premier temps, sur les raisons pour lesquelles le constat par la Commission d'un « sous-développement » des actions privées est à la fois largement partagé mais également controversé.

Puis, dans un second temps, il évoquera le vif débat suscité, non seulement en France mais aussi dans d'autres Etats, par les options du Livre vert.

*

* *

I. LE SOUS-DEVELOPPEMENT DES ACTIONS JUDICIAIRES PRIVÉES EN MATIÈRE DE PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES : UN CONSTAT LARGEMENT PARTAGE, MAIS DONT LA PORTÉE FAIT L'OBJET DE CONTROVERSES

A. La rareté des actions judiciaires privées : un constat largement approuvé

Cette rareté est une caractéristique de l'Europe, dont les systèmes reposent à 90 % sur l'action publique, à la différence des Etats-Unis où ce sont les actions privées qui prédominent, même si, dans ce dernier cas, il apparaît nécessaire d'apporter certains correctifs(2).

Des obstacles procéduraux et culturels, d'une part, et, d'autre part, le recours aux transactions expliquent ce rôle très limité des actions judiciaires privées.

1) L'existence d'obstacles procéduraux et culturels

a) Les obstacles procéduraux

Ces obstacles se retrouvent à toutes les étapes de la procédure.

¬ S'agissant du déclenchement de celle-ci, le plaignant se heurte à la question de l'intérêt pour agir.

En droit français, le problème n'est pas trop sensible pour les victimes dites directes - à savoir les concurrents ou les entreprises liées à un titre ou à un autre à l'entreprise auteur d'une pratique anticoncurrentielle.

La difficulté ne semble concerner que les victimes dites indirectes, à savoir les consommateurs. Par exemple, dans le cas d'une fixation concertée du prix par un cartel, il leur faudra prouver, conformément aux règles de la responsabilité civile, que cette pratique leur a causé un préjudice, direct, actuel et certain.

¬ Quant au déroulement de la procédure, la question-clé est celle de la preuve. Dans une action civile, la charge de la preuve pèse naturellement sur le demandeur. Les règles sont certes habituelles, puisque, comme dans un procès en responsabilité civile, il incombera à la partie demanderesse d'établir deux catégories de preuves :

- d'une part, la preuve de la faute, laquelle devra faire apparaître l'existence d'un comportement, mais également démontrer son caractère anticoncurrentiel ;

- d'autre part, la preuve d'un préjudice.

Enfin, le lien de causalité entre la faute et le préjudice devra également être établi.

Appliquées aux pratiques anticoncurrentielles, ces exigences revêtent toutefois une tout autre ampleur, au point que selon une boutade répandue, seuls les membres d'un cartel sont en mesure d'apporter la preuve de son existence !

En effet, l'application de telles dispositions peut faire naître des obstacles infranchissables, de nature à empêcher le déroulement normal de nombreux procès :

« ... en pratique, les juges ne disposent dans une grande majorité des cas, par exemple, dans des affaires de concurrence déloyale, d'aucun élément, j'insiste, dans une majorité des cas, d'une absence complète de preuves, les parties comptant même parfois sur le tribunal pour les aider en vertu de leur pouvoir souverain d'appréciation »(3).

Il en résulte que les juges du fond peuvent se trouver confrontés à d'importantes difficultés pour évaluer le montant des réparations accordées, puisque c'est à partir et uniquement sur la base des éléments de preuve produits par les parties et dans les limites de leurs demandes que les juges procèdent à une telle évaluation. Au demeurant, celle-ci constitue en elle-même une opération délicate. Il incombe aux tribunaux, entre autres, d'identifier le préjudice à indemniser, ce qui implique de dissocier le préjudice réparable, consécutif au fait générateur de responsabilité, de celui qui résulte du jeu normal de la concurrence ou de celui qui découlerait de l'éventuelle mauvaise santé financière de la victime.

Pour l'ensemble de ces raisons, les plaignants préfèrent préalablement saisir le Conseil de la concurrence des pratiques anticoncurrentielles, au lieu d'intenter directement une action en dommages et intérêts devant les tribunaux. La saisine du Conseil leur permet de bénéficier de ses pouvoirs d'enquête et de coopération avec ses homologues européens, puis de faire usage de la décision obtenue pour demander des dommages et intérêts devant les tribunaux. A la différence de l'Allemagne et du Royaume-Uni, les tribunaux français ne sont toutefois pas liés par les décisions du Conseil de la concurrence.

Le rapporteur a pu observer, lors de son déplacement au Canada, l'existence d'obstacles analogues à l'introduction d'actions en dommages et intérêts. Dans ce pays, les pratiques anticoncurrentielles, telles que les complots(4), le truquage des offres et les cas graves de pratiques commerciales trompeuses, constituent des infractions criminelles.

Or, c'est seulement lorsque des personnes sont lésées par une de ces infractions criminelles, qu'elles peuvent intenter une action individuelle ou collective en dommages et intérêts, à la suite d'une décision finale d'une Cour, d'un plaidoyer de culpabilité ou de leur propre chef.

Dans la plupart des cas, l'action en dommages et intérêts est consécutive à celle du Bureau de la concurrence.

Ce dernier peut saisir le Procureur général, lorsqu'il a des raisons de croire qu'une infraction criminelle, en matière de droit de la concurrence, a été commise.

Cependant, le fardeau de la preuve est fixé à un niveau tellement élevé, qu'il est particulièrement difficile d'intenter des poursuites avec succès. Ainsi, dans le cas d'un complot, est-il nécessaire de prouver l'intention d'avoir un comportement ayant pour effet de réduire la concurrence et d'en apporter les preuves au-delà du doute raisonnable. De telles exigences imposent le recours à des analyses extrêmement approfondies. C'est pourquoi, sur une cinquantaine de dossiers faisant chaque année l'objet d'enquêtes, le Bureau de la concurrence n'en transmet qu'un nombre infime
- entre 4 et 10 - au Procureur général, celui-ci étant le seul à pouvoir décider s'il y a lieu de saisir une juridiction criminelle.

b) La diffusion limitée de la culture de la concurrence

Ce facteur d'ordre culturel explique l'écart important que l'on peut constater entre l'affirmation répandue - en France notamment - selon laquelle notre pays est doté de mécanismes efficaces et leur sous-utilisation.

Cette situation paradoxale tient à la frilosité de bon nombre des acteurs concernés.

¬ S'agissant des juges, l'article L.462.3 du code de commerce, tel que modifié par l'ordonnance du 4 novembre 2004, les autorise à saisir le Conseil de la concurrence d'une demande d'avis pour l'application du droit national comme pour l'application du droit communautaire de la concurrence, sans préjudice des demandes d'avis qui peuvent être adressées directement à la Commission sur le fondement de l'article 15 du règlement 1/2003. Or, entre 2002 et 2005, un seul avis a été rendu par le Conseil de la concurrence sur ce fondement.

De même, la DGCCRF est-elle trop peu sollicitée par les juges, ou par les plaignants. Ainsi, en 2004, le ministère de l'économie n'est-il intervenu que dans trois affaires seulement, alors que depuis 1986 le ministre chargé de l'économie - ainsi que le Procureur de la République et le Président du Conseil de la concurrence - dispose d'un droit d'action devant la juridiction civile ou commerciale au nom de la défense de l'ordre public économique. Ce pouvoir d'action a été renforcé par la loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques qui prévoit la possibilité de demander au juge, outre la cessation des pratiques illicites, la nullité des contrats, le reversement des sommes indûment perçues et le prononcé d'une amende civile qui peut atteindre 2 millions d'euros.

¬ Quant aux plaignants, ils ne tiennent pas la DGCCRF informée des litiges civils qu'ils engagent pour des pratiques ayant déjà fait l'objet d'investigations de la DGCCRF, ce qui ne rend pas possible l'intervention de cette dernière.

Cette frilosité des uns et des autres est d'autant plus regrettable que certaines mœurs judiciaires - dont on a pu dresser un tableau sévère(5) - comportent des effets pervers. Pour ne citer que quelques exemples, notre culture de l'égalité nous empêcherait d'accepter la responsabilité particulière de l'entreprise dominante. De fait, les juridictions ont beaucoup de mal à admettre qu'une pratique normale pour une entreprise non dominante puisse devenir une pratique anticoncurrentielle pour une entreprise dominante.

En second lieu, du fait des tabous qui, dans la culture française, continuent d'entourer les questions touchant à l'argent, les victimes et leurs avocats ne parviennent toujours pas à se départir d'une explication purement conceptuelle du préjudice, alors qu'il leur faudrait entrer dans le détail de la démonstration du préjudice.

De même, les juridictions considèrent-elles toujours qu'en retenant l'essentiel ou l'intégralité de la demande de la victime, elles courent le risque de provoquer l'enrichissement sans cause, alors que, comme on l'a souligné fort justement :

« La crainte d'un bénéfice indu au profit de l'auteur des pratiques anticoncurrentielles doit bien évidemment l'emporter sur le risque de surindemnisation de la victime »(6).

Cette frilosité des acteurs n'est pas propre à la France. Ainsi, certains interlocuteurs canadiens du rapporteur ont-ils regretté le manque de dynamisme du Bureau de la concurrence, dont le rôle est pourtant fondamental dans la poursuite des infractions criminelles. Cette situation est d'abord imputable aux moyens limités en personnels, le Bureau de la concurrence comptant près de 400 employés, dont plus de 200 agents sont répartis à travers le Canada.

Mais, par ailleurs, une certaine propension à l'autolimitation doit être prise en compte, puisque le Bureau de la concurrence n'aurait pas estimé nécessaire de procéder à des enquêtes, dans des cas pourtant importants.

Quoi qu'il en soit, on a fait observer au rapporteur qu'aucune mesure n'avait été prise à l'encontre de Microsoft, tandis que, depuis 1985, seulement cinq cas d'abus de position dominante ont été jugés.

Au Canada, comme dans d'autres pays, le règlement négocié des conflits peut être jugé préférable aux procès.

2) La pratique des transactions

¬ En France, la transaction est l'une des innovations importantes de la loi du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques (loi NRE), pour compléter l'arsenal du Conseil de la concurrence dans sa lutte contre les pratiques anticoncurrentielles. Cette procédure, codifiée à l'article L.464-2-III

du code de commerce(7), permet, si les entreprises font preuve de bonne volonté, de statuer selon une procédure allégée et de réduire le plafond des sanctions.

Plus souple, plus rapide, cette procédure est, aux yeux du ministère de l'économie, à l'avantage de toutes les parties. Aux entreprises mises en cause, elle permet de bénéficier de sanctions allégées. A la collectivité publique, elle apporte des garanties de sécurité juridique grâce aux engagements de non-récidive pris par les entreprises.

Bien que récente, elle a déjà fait l'objet de sept décisions de jurisprudence qui ont permis d'en préciser les modalités d'application pratique.

C'est ainsi que la méthode de réduction en pourcentage de la sanction encourue a été fixée dès la première décision du Conseil de la concurrence en matière de transaction (Port autonome de Marseille du 20 février 2003). Le Conseil évalue d'abord le montant de la sanction normalement encourue, puis lui applique un taux de réduction « compte tenu des propositions faites par le rapporteur général ». Au cas d'espèce, il a retenu un taux de réduction de 50 % alors que le rapporteur général proposait entre 30 et 50 %.

Cependant, le Conseil reste souverain dans la détermination de la sanction et n'est nullement lié par les propositions de réduction du rapporteur général. Celui-ci peut certes s'engager, vis-à-vis des entreprises ayant accepté la transaction, à proposer une réduction d'amende au Conseil. Mais cet engagement ne crée pas un droit à réduction dans la fourchette en pourcentage proposée par le rapporteur général, comme l'a confirmé la Cour d'appel de Paris dans son arrêt « calculatrices à usage scolaire » du 21 septembre 2004.

Si aux yeux du ministère de l'économie, la pratique des transactions « contribue à une application plus efficace du droit de la concurrence »(8), les jugements sont plus nuancés - et même parfois critiques - de la part des magistrats et des avocats.

En ce qui concerne les magistrats, ils y voient l'une des causes probables de la rareté des actions en dommages et intérêts fondées sur la décision du Conseil de la concurrence, même confirmée par un arrêt de la Cour d'appel revêtu de l'autorité de chose jugée(9).

Pour ce qui est des avocats, ils critiquent l'opacité des transactions, lesquelles se déroulent, selon certains d'entre eux(10), dans les cabinets d'avocats, plutôt que devant les tribunaux de commerce dans le cadre d'une action civile. Or, une telle pratique diminuera d'autant plus la fonction dissuasive de l'action civile, que la transaction est déconnectée de la valeur réelle du préjudice.

¬ Aux Etats-Unis, la pratique des transactions est très fréquente, puisque, d'après les informations qui ont été communiquées au rapporteur, 80 % des litiges en font l'objet.

Ce taux très élevé s'explique essentiellement par le souhait des parties d'éviter les frais - élevés - d'un procès.

A la différence de la pratique française - critiquée, comme on l'a relevé précédemment, pour son opacité - la pratique américaine apparaît plus transparente, les arrangements étant homologués par le juge.

B. L'approche controversée de la Commission

Deux sortes de reproches sont adressées à la Commission : d'un côté, sa démarche est jugée partielle, parce que focalisée sur les actions en dommages et intérêts, alors qu'il existe d'autres moyens pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles.

De l'autre, le postulat reposant sur le « sous-développement » des actions privées est jugé partial.

1) Un diagnostic partiel

On peut s'étonner que le Livre vert ne se soit pas penché sur les autres voies susceptibles de prévenir et de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles.

Il en est ainsi d'abord des actions en cessation. Bien avant que la loi NRE du 15 mai 2001 n'en accroisse le champ d'application, les actions en cessation jouent depuis longtemps déjà un rôle important en Allemagne et aux Etats-Unis.

En Allemagne, depuis la loi de 1909 contre la concurrence déloyale, dite UWG (Gesetz gegen unlauteren Wettbewerb), le droit de la concurrence déloyale repose principalement sur l'action en cessation. Celle-ci s'exerce le plus souvent en référé. En outre, elle est très largement ouverte. Il suffit, en effet, de rapporter la preuve d'une menace de violation ou d'une violation du droit de la concurrence déloyale pouvant se répéter. Par ailleurs, les tribunaux peuvent être saisis non seulement par les concurrents, mais aussi par les associations professionnelles, les associations de consommateurs et les chambres de l'industrie et du commerce ou de l'artisanat.

Cette action en cessation semble suffire pour permettre une application effective du droit de la concurrence déloyale. Ainsi la loi de 1909 n'a-t-elle pas prévu d'amende civile et le texte n'a jamais été modifié en ce sens.

Aux Etats-Unis, la Federal Trade Commission peut ordonner aux parties de mettre fin à leurs actes répréhensibles par des « cease and desist orders ».

Les victimes peuvent également saisir le juge de droit commun d'une action en cessation.

En France, l'article L.442-6-III du code de commerce introduit par la loi du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques, a ouvert la possibilité de demander, outre la cessation des pratiques, la nullité des clauses ou des contrats illicites, la répétition de l'indu et la réparation des préjudices subis.

Il est ainsi prévu que le juge des référés puisse ordonner la cessation des agissements en cause ou ordonner toute autre mesure provisoire, sans qu'il soit nécessaire de saisir le juge au fond.

On relèvera avec intérêt que, dans le souci d'une approche globale de l'effet dissuasif des mécanismes de prévention et de sanction des pratiques anticoncurrentielles, les autorités britanniques, dans leur réponse au Livre vert, n'évoquent pas seulement les actions en cessation que peuvent introduire les personnes privées.

Elles précisent que :

« L'effet dissuasif peut également être obtenu par des amendes, l'emprisonnement et la déclaration d'incapacité des chefs d'entreprises ».

A cet égard, la loi NRE du 15 mai 2001 a renforcé les sanctions pécuniaires susceptibles d'être prononcées par le Conseil de la concurrence. Le nouveau régime est plus sévère que celui qui était antérieurement applicable par :

- le taux : il est passé de 5 à 10 % ;

- l'assiette : c'est le chiffre d'affaires mondial et non plus français qui est pris en considération ;

- la possibilité désormais reconnue de choisir, pour calculer l'amende, l'un des derniers exercices.

En outre, le Conseil de la concurrence a reçu le pouvoir d'infliger des astreintes aux entreprises pour les contraindre au respect de ses injonctions ou des engagements auxquels il a subordonné ses décisions. Ce pouvoir lui a été dévolu pour adapter la législation du code de commerce au règlement 1/2003 d'application des articles 81 et 82 du traité.

Certaines sanctions prononcées par la Federal Trade Commission fournissent d'autres exemples de mécanismes dissuasifs. Il en est ainsi du disgorgement, qui est une sanction pécuniaire prononcée à l'encontre d'une entreprise convaincue d'enrichissement sans cause, afin de l'empêcher d'en tirer profit.

De même, la restitution a-t-elle pour objet de replacer les victimes d'une pratique anticoncurrentielle dans la situation où elles se seraient retrouvées précédemment, si le droit de la concurrence n'avait pas été violé, la FTC demandant alors, à cet effet, à l'entreprise incriminée de rembourser les sommes trop perçues.

Ces deux sanctions peuvent compléter d'autres mécanismes : action en dommages et intérêts ou amendes civiles.

La FTC n'y recourt toutefois que de façon très mesurée, en cas de violation flagrante des règles du droit de la concurrence.

2) Un postulat partial

Que ce soit en France ou dans d'autres Etats membres, l'invocation du sous-développement des actions privées est récusée. Non seulement, un tel postulat paraît reposer sur la méconnaissance de la valeur des procédures existant déjà dans les Etats membres. Mais, en outre, il ne prend pas suffisamment en compte les effets du règlement 1/2003.

a) L'affirmation du sous-développement des actions privées méconnaît la valeur des procédures existant dans les Etats membres

¬ Pour le Medef, le fait que les actions privées soient sous-utilisées n'ôte rien à la valeur des procédures de notre droit processuel.

C'est pourquoi, les autorités françaises, dans leur réponse au Livre vert, et certains avocats ne manquent pas de souligner que le droit français offre déjà un certain nombre de moyens aux victimes de pratiques anticoncurrentielles, qu'il s'agisse d'entreprises ou de particuliers, pour apporter la preuve de leurs prétentions. L'article 10 du nouveau code de procédure civile (NCPC) précise ainsi que « Le juge a le pouvoir d'ordonner toutes les mesures d'instruction légalement admissibles. » En outre, l'article 11 énonce que « Les parties sont tenues d'apporter leur concours aux mesures d'instruction, sauf au juge à tirer toute conséquence d'une abstention ou d'un refus ».

Enfin, sur la base de l'article 145 du NCPC, une partie, notamment en cas de déperdition des preuves, peut, par requête unilatérale, solliciter d'un juge d'être autorisée à établir des mesures de constat ou de prélèvement de copies détenues par un tiers.

Au total, rien ne justifierait une réforme de l'ampleur proposée par le Livre vert(11).

Les prises de position dans les autres Etats membres sont, dans leur esprit, très proches de celles qui existent en France.

¬ Ainsi, dans leur réponse au Livre vert, les autorités britanniques, après avoir souligné que le Royaume-Uni, comme d'autres Etats membres, avait pris des mesures destinées à faciliter les actions privées, soulignent-elles que :

« Nous convenons que le requérant, dans une affaire de droit de la concurrence, peut rencontrer des difficultés en matière de preuves. Toutefois, le Royaume-Uni estime que les Etats membres ont les moyens de résoudre ce problème dans le cadre de leurs propres dispositions. ................... Depuis que le droit du Royaume-Uni a déjà pris en considération la plupart des problèmes soulevés dans la question A(12), de façon très large, il semble qu'il ne soit plus nécessaire de procéder à des modifications du droit actuellement en vigueur. »

¬ Quant à la position de la Bundesverband der Deutschen Industrie (l'association fédérale de l'industrie allemande, c'est-à-dire la confédération des employeurs), elle n'est éloignée ni de celle des autorités britanniques, ni de celle des autorités françaises et du Medef :

« Le droit de la réparation des dommages des Etats membres n'est pas totalement « sous-développé », comme l'indique le rapport Ashurst(13). De nombreuses réglementations, comme par exemple la preuve du lien de causalité et le risque de devoir supporter les dépens lorsqu'on perd un procès, correspondent davantage aux règles fondamentales de notre système juridique et aux exigences précises, qui doivent être imposées à l'appui d'une demande, afin d'éviter, par exemple, « d'aller à la pêche » aux documents(14), comme c'est le cas dans le modèle américain. »

Ces observations de la BDI sont rejointes par le Bundesrat, dont la résolution du 7 avril 2006 rappelle que :

« Le législateur fédéral a, par la septième loi modificatrice de la loi contre les pratiques restrictives de concurrence (GWB) du 15 juillet 2005, dans ses articles 33 à 34-a, encore considérablement amélioré les conditions permettant une garantie effective de la réparation et la récupération des gains. »

b) Les effets du règlement n° 1/2003 du 16 décembre 2002 ne sont pas suffisamment pris en compte

Le règlement n° 1/2003 a prévu la création du réseau de coopération des autorités de concurrence (ECN), d'ores et déjà très actif, et du réseau des juridictions nationales, organisé par les communications de la Commission 2004/C 101/04.

Par ailleurs, les articles 15 et 16-1 du règlement fixent des règles de coordination du réseau des juridictions à travers divers mécanismes de convergence, afin d'assurer une application uniforme du droit communautaire.

L'article 15 du règlement 1/2003 prévoit dans les procédures d'application des articles 81 et 82 du traité - c'est-à-dire les pratiques anticoncurrentielles résultant des ententes et abus de position dominante - que les juridictions des Etats membres peuvent demander à la Commission de leur communiquer des informations en sa possession ou un avis au sujet des questions relatives à l'application des règles communautaires et concurrence. Ces dispositions ont été insérées dans les droits nationaux des Etats membres, notamment en France, dans l'article L 470-6 du code de commerce.

Or, en se limitant principalement aux situations relevant d'un seul Etat membre et en n'examinant pas le cas d'affaires de concurrence impliquant des investigations dans d'autres Etats membres, le Livre vert a perdu de vue une des difficultés majeures que peut poser l'application de l'article 15 du règlement 1/2003.

En effet, le juge national peut s'adresser à la Commission, ainsi qu'aux autorités de concurrence dont il relève. Mais il ne peut pas saisir directement les autorités de concurrence des autres Etats membres. Il ne peut pas non plus utiliser, à cet effet, le canal de l'autorité de concurrence de l'Etat membre dont il relève, ni celui de la Commission. En d'autres termes, le juge judiciaire n'est pas membre du réseau des autorités de concurrence (ECN) institué par le règlement 1/2003 et n'a pas à vocation à en bénéficier.

Il en résulte que dans des affaires de concurrence intra-communautaire impliquant des investigations dans d'autres Etats membres, le juge national devra recourir, comme auparavant, à la coopération judiciaire traditionnelle lorsqu'il décidera d'ordonner des mesures d'enquête comme le prévoient, en France, les dispositions du nouveau code de procédure civile (articles 143 et 144). Il est clair que les inconvénients pratiques auxquels le juge national risque ainsi de se trouver confronté dans des affaires généralement complexes et requérant une certaine maîtrise des questions économiques, a pour effet de limiter les avancées que le règlement 1/2003 avait pourtant pour objet d'introduire.

De même, y a-t-il lieu de craindre que, du fait de la démarche générale de la Commission consistant à privilégier les actions civiles privées, cette dernière ne néglige l'apport du réseau ECN. Car, ainsi que le rappellent les autorités françaises dans leur réponse au Livre vert, l'activité de ce réseau des autorités nationales de concurrence montre que l'action de ces dernières permet une véritable régulation ex-post de nombreux marchés.

De surcroît, l'efficacité du réseau ECN est encore accrue par le développement dans de nombreux Etats membres de nouveaux instruments, tels que les programmes de clémence qui contribuent à mieux mettre à jour des pratiques anticoncurrentielles secrètes.

Inspirés d'une pratique américaine, les programmes de clémence ont été mis en place par la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. Ils ont pour objet d'inciter les entreprises parties à des accords anticoncurrentiels à se repentir en les dénonçant par l'apport d'éléments de preuves ou par l'identification des auteurs. En contrepartie, elles peuvent se voir exonérées de tout ou partie des sanctions pécuniaires encourues.

Ces objectifs et ces moyens sont spécifiques à l'action des autorités publiques et ne peuvent être atteints ni mis en œuvre par le juge judiciaire.

II. LE DEBAT SUR LES OPTIONS PRÉSENTÉES PAR LA COMMISSION

Ce débat revêt deux aspects :

- il porte d'abord sur la légitimité d'une action de la Commission dans le domaine couvert par le Livre vert ;

- il a ensuite trait au double risque d'une américanisation du droit processuel des Etats membres et de l'introduction des dérives corrélatives.

A. Le débat sur la légitimité de l'action de la Commission

D'un côté, dans plusieurs Etats membres - dont la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni - des réserves ont été exprimées quant à la conformité du Livre vert aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

De l'autre, la Commission récuse ce débat sur la légitimité de son action, estimant notamment qu'à ce stade il ne s'agit pas de propositions législatives.

1) L'expression de réserves dans les Etats membres au nom des principes de subsidiarité et de proportionnalité

a) Des doutes quant à la conformité du Livre vert au principe de subsidiarité

Dans leur réponse au Livre vert, les autorités françaises ont émis une réserve générale sur le Livre vert, dont, selon elles, la Commission ne précise pas quelles pourraient être la ou les bases juridiques pertinentes.

A cet égard, elles relèvent que la plupart des options explorées par la Commission concernent directement les règles de la procédure civile, qui sont du domaine de la DG Justice, Libertés, Sécurité et dont l'harmonisation relève du troisième pilier du traité sur l'Union européenne.

Cela étant, le rapporteur a pu constater lors de ses entretiens, que les autorités françaises étaient parfaitement conscientes que la Commission n'en était qu'au stade des options et non des propositions législatives, ce qui impose de nuancer les critiques. En outre, elles conviennent que, dans une matière touchant aux articles 81 et 82 du traité, la Commission est fondée à procéder à une consultation auprès des Etats membres et des parties intéressées.

En revanche, les réactions en Allemagne paraissent plus vives. Ainsi, la BDI (confédération du patronat allemand) déclare-t-elle :

« L'action de la Commission dans les domaines abordés dans le Livre vert viole le principe de subsidiarité. La plupart des Etats membres disposent dans ces matières d'une réglementation qui leur est propre et qui est suffisante. L'approche de la Commission est beaucoup trop large. Cela vaut en particulier pour les règles processuelles, qui existent dans les Etats membres. Les différences qui apparaissent entre ces règles, ne doivent pas être considérées comme non souhaitables. Au contraire, elles sont une composante résultant de considérations rationnelles et des traditions juridiques des Etats membres. Ces différences méritent le respect et ne sauraient être harmonisées, sans que de profondes conséquences n'en résultent pour le système de la procédure civile des Etats membres. »

La résolution du Bundesrat du 7 avril 2006 développe des arguments analogues à ceux de la BDI :

« Les mesures contenues dans le Livre vert soumises ici à la discussion, concernent les domaines du droit civil et de la procédure civile, qui sont réglés selon des modalités très différentes par les Etats membres. Lors de l'élaboration de tout instrument au plan communautaire, il faudrait absolument veiller à ce que, pour des raisons tirées de la subsidiarité et tout particulièrement du principe de proportionnalité, il subsiste, lorsque viendra la transposition, une marge d'action suffisante au profit des législateurs nationaux, afin de pouvoir en garantir la compatibilité avec le droit national. »

Enfin, pour leur part, les autorités britanniques considèrent que :

« En vue de sauvegarder la cohérence des droits nationaux et celle du droit national de la concurrence en général, il existe de puissants arguments plaidant en faveur d'une action au niveau des Etats plutôt qu'à celui de la Communauté, en particulier lorsque ces arguments touchent à des domaines du droit substantiel, tels que la réparation des dommages et la responsabilité ou le droit processuel relatif à la divulgation des preuves documentaires, aux dépens et à l'accès aux preuves. Dans chaque système, existent différents poids et contrepoids, en vue d'assurer un équilibre entre plaignants et défendeurs. »

b) Des doutes quant au respect du principe de proportionnalité

Ces doutes naissent de cette crainte d'une américanisation du droit processuel des Etats membres et sur laquelle le rapporteur se penchera plus loin.

Exprimant une telle crainte, l'Association française des études sur la concurrence (AFEC) estime dans sa contribution au Livre vert que :

« Pour éviter une atteinte disproportionnée aux droits des Etats au regard de l'étroitesse de la question traitée et du bénéfice attendu, l'AFEC suggère à la Commission européenne de s'en tenir à la définition d'objectifs à atteindre en laissant à chaque Etat le choix des moyens à mettre en œuvre en harmonie avec son propre droit ».

Se plaçant sur un terrain différent, les autorités autrichiennes n'en contestent pas moins également le non-respect du principe de proportionnalité :

« ... la preuve n'est pas apportée que les différences existant entre les législations des Etats membres empêchent le fonctionnement harmonieux du marché commun. Quoi qu'il en soit, le renvoi général à l'idée de « sous-développement » en comparaison du rôle joué par les personnes privées dans l'application du droit aux Etats-Unis ne permet pas d'apporter cette preuve. »

Au total, que ce soit notamment pour l'AFEC ou les autorités autrichiennes, si la Commission devait élaborer des propositions législatives, elle ne pourrait y procéder que sur la base de l'article 65 du traité instituant la Communauté européenne. Cette disposition habilite la Commission à proposer au Conseil des mesures relevant de la coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontalière.

2) Un débat qui n'a pas lieu d'être selon la Commission

Lors du déplacement du rapporteur à Bruxelles, M. Olivier Guersent, directeur-adjoint de la commissaire en charge de la concurrence, lui a déclaré que la jurisprudence(15) autorisait la Commission à proposer un instrument législatif dans le domaine du troisième pilier, si les dispositions proposées étaient nécessaires à l'effectivité du droit du premier pilier. En l'occurrence, l'effectivité du droit de la concurrence - instituée par les articles 81 et suivants du traité - pourrait justifier que la DG Concurrence propose des dispositions en matière de droit judiciaire.

Pour M. Lowe, directeur général de la DG Concurrence, la critique touchant à la légitimité de la Commission et de la DG Concurrence à agir peut être, pour ces différentes raisons, clairement rejetée.

Cela étant, M. Lowe a indiqué que la Commission était consciente que dans ces matières sensibles, « elle ne passerait pas en force » et qu'elle viserait plutôt à encourager des évolutions au niveau des Etats membres qu'à proposer une nouvelle initiative législative. En outre, il a tenu à souligner, d'une part, que la DG Concurrence n'agissait pas isolément au sein de la Commission et que le Livre vert avait recueilli l'accord de principe de la DG JLS et de la DG Consommation. D'autre part, la moitié des Etats membres se serait prononcée en faveur d'un instrument communautaire.

Récusant le reproche selon lequel la Commission souhaiterait « importer » le modèle américain, M. Olivier Guersent a souligné qu'entre le sous-développement des actions civiles en Europe et son hyper-développement aux Etats-Unis, il y aurait un équilibre à trouver. C'est la raison pour laquelle la Commission a proposé des options destinées à améliorer les procédures et non pas la simple duplication du modèle américain.

Au surplus, M. Olivier Guersent a fait valoir qu'en l'absence d'évolution du droit communautaire, les consommateurs et les entreprises victimes de cartels mèneraient leurs actions civiles aux Etats-Unis et donc dans le cadre d'un système, dont précisément personne ne souhaite la généralisation. Il a donc estimé que la meilleure défense contre une « américanisation » serait ainsi de faciliter les actions civiles en Europe, dans un cadre qui reste à définir et pour lequel la Commission n'a d'autre objectif à ce stade que de proposer des pistes.

B. La crainte de l'introduction en Europe de dérives analogues à celles du système américain

Malgré les dénégations de la Commission, la crainte d'une américanisation du droit processuel des Etats membres demeure forte. En témoigne l'opposition unanime à l'introduction d'un régime de communication des preuves qui serait inspiré de la discovery, ainsi qu'à un système de réparation fondé sur les doubles dommages, options présentées par le Livre vert.

En revanche, on relève des divergences contrastées sur l'opportunité de mettre en place un système de recours collectif.

1) Une opposition unanime à certains bouleversements du droit processuel des Etats membres

a) La procédure américaine de la discovery : un régime de communication des preuves jugé dangereux et inutile

La procédure de la discovery permet notamment(16) au demandeur d'obtenir du défendeur communication de tous les documents en possession de ce dernier, qu'il juge nécessaires à l'appui de son recours. En effet, aux termes de la Federal Rule 34 (Règle 34 de la procédure civile fédérale), il n'existe pas, en principe, de limite réglementaire du nombre de documents dont la communication peut être demandée. Toutefois, dans la pratique, la demande de ces documents fait l'objet d'une liste adressée au défendeur, qui dispose d'un certain délai pour y répondre.

Le défendeur peut refuser de communiquer des documents, s'il parvient à démontrer au juge que déférer à la requête du demandeur lui imposerait une charge indue.

A l'inverse, le plaignant peut demander au juge d'émettre une injonction exigeant du défendeur récalcitrant la communication du (ou des) document(s) souhaité(s).

A cet égard, l'American Bar Association (l'Association américaine du Barreau) fait observer que l'approche au cas par cas employée dans le système américain s'efforce d'assurer aux parties et au juge la flexibilité nécessaire à la détermination d'un juste équilibre entre le besoin pour une partie d'obtenir l'information et la charge imposée à l'autre partie(17).

Pour autant, cette procédure fait l'objet de nombreuses critiques. A l'évidence, elle peut porter très gravement préjudice au défendeur, au motif que le demandeur peut obtenir du défendeur les documents concernant son entreprise, qu'il a transmis aux autorités et peut-être même ses dépositions écrites.

On voit donc bien que, grâce à la procédure de la discovery, les plaignants peuvent accéder aux secrets d'affaires, malgré les précautions qui ont pu être instituées(18) et ainsi contourner le refus opposé par les autorités de concurrence aux demandes de communication de documents, à l'exception de ceux qui sont produits à l'occasion d'un procès ou d'autres procédures judiciaires.

En second lieu, il est clair que la procédure de la discovery impose à la partie adverse une charge, qui s'accroît de façon exponentielle du fait de l'explosion du courrier électronique. En effet, plusieurs tribunaux fédéraux et tribunaux des Etats ont édicté des règles, au cours des dernières années, imposant une large communication.

De fait, comme le rappelle l'American Bar Association, il n'est pas exceptionnel que, dans des affaires de pratiques anticoncurrentielles, des parties communiquent des millions de documents et recourent à des douzaines d'avocats en vue de contrôler ces pièces.

Il en résulte que cette « pêche aux documents » est extrêmement onéreuse, puisque, dans un procès moyen, son coût peut s'élever à 500 000 dollars (environ 400 000 euros), soit la moitié des frais du procès, et, dans les plus importantes affaires, atteindre plusieurs millions de dollars.

Si, du fait de ces diverses dérives, la procédure de la discovery est critiquable, l'American Bar Association estime néanmoins que celle-ci permet aux parties d'éviter les surprises en cours de procès, aboutit à des résultats fondés sur une meilleure information et accroît la possibilité pour le jugement de parvenir à une décision juste.

Quoi qu'il en soit, le rapporteur relève qu'aucun de ses interlocuteurs n'a demandé qu'une procédure analogue en tout ou partie à la discovery soit introduite. Le droit français, notamment, comme on l'a déjà rappelé précédemment, permet au juge d'ordonner d'office toutes les mesures d'instruction légalement admises et, à ce titre, enjoindre à l'une des parties, voire à un tiers, la production de tous les documents détenus qui peuvent constituer des éléments de preuve.

Il est toutefois vrai que, à la différence du juge américain, le juge français ne peut prononcer aucune sanction pénale en cas de refus de communication d'un document par un tiers. Ce dernier peut d'ailleurs, dans certains cas, invoquer des motifs légitimes - tels que le secret professionnel - pour s'opposer à la communication.

b) Le doublement des dommages : un mode de réparation écarté du fait de ses excès

Au titre du chapitre relatif aux dommages et intérêts, le Livre vert propose une option dont l'objet est de doubler ces derniers dans le cas d'ententes horizontales, c'est-à-dire des cartels constitués par des concurrents sur le marché d'un même produit, pour fixer les prix, répartir les marchés et/ou restreindre l'accès d'autres concurrents.

Une telle option est critiquée à plusieurs titres. Elle est étrangère au système français, qui repose sur le principe de la réparation intégrale du préjudice, aux termes duquel seul le préjudice subi par la victime, mais l'entier préjudice doit être indemnisé par l'auteur des pratiques.

En second lieu, si les dommages et intérêts punitifs présentent l'avantage d'encourager les victimes à saisir les tribunaux, ils n'en présentent pas moins certains inconvénients, en particulier celui de créer une certaine confusion entre la mission du juge - qui est de réparer - et celle de l'autorité de concurrence, qui est de sanctionner. En outre, existent les risques d'enrichissement injustifié de la victime et de détournement de contentieux.

Enfin, il n'y aurait aucune raison - selon les avocats ou les groupements professionnels - de s'orienter vers le doublement des dommages, d'autant que les pratiques anticoncurrentielles sont déjà suffisamment réprimées.

Non seulement, afin de renforcer leur caractère dissuasif, le plafond des sanctions pécuniaires à été porté de 5 à 10 % du chiffre d'affaires mondial, mais, en outre, le Conseil de la concurrence n'a pas hésité, le 1er décembre 2005, à condamner, pour ententes, trois opérateurs de téléphone mobile à des amendes record de 534 millions d'euros. Quant à la Commission européenne, ses décisions récentes concernant l'abus de position dominante de Microsoft, ou les ententes constituées par des entreprises du secteur de la chimie, illustrent également son souci de réprimer sévèrement les pratiques anticoncurrentielles, puisque, dans les premier et second cas, les amendes prononcées ont atteint respectivement 497 millions d'euros en 2004 et 388 millions en avril 2006.

Certes, on n'a pas manqué de souligner que, malgré tout, ces sanctions demeuraient inférieures à celles prononcées aux Etats-Unis - 1,5 milliard de dollars à l'encontre de Microsoft et 980 millions de dollars à l'encontre du cartel des vitamines.

Mais ces amendes doivent être resituées dans un contexte culturel et juridique particulier, confronté à de nombreuses dérives, dont celles encouragées précisément par la procédure des dommages triples. Celle-ci a été instituée par la Section 4(a) du Clayton Act de 1914. Aux termes de cette disposition,

« Toute personne qui aura subi un préjudice dans son entreprise ou de ses biens, en raison de tout acte interdit par les lois antitrusts, pourra intenter une action en justice et réclamer le triplement de dommages, dont il se prévaut. »

Cette définition très large de l'intérêt à agir est source de dérives multiples. Certes, l'American Bar Association fait remarquer que les tribunaux veillent à empêcher que les concurrents n'introduisent des recours contre le défendeur qui ne soient reliés aux problèmes légitimes de concurrence.

Toutefois, l'Association convient également que ce mécanisme incite d'autant plus à des actions infondées, que le plaignant n'a pas à prouver l'existence d'un dommage avec une absolue précision. En outre, il peut s'autoriser une marge raisonnable dans la fixation du montant des dommages, puisque, en principe, les tribunaux n'ont pas le pouvoir discrétionnaire de limiter la réparation à des dommages simples, indépendamment de la nature de la violation(19).

Quels que soient les excès qu'il peut entraîner, le régime des dommages triples a pour objet de dissuader la commission de violations des lois antitrusts et d'empêcher que l'auteur de telles pratiques n'échappe à leur responsabilité.

Pourtant, l'American Bar Association fait remarquer qu'en dépit précisément d'un arsenal de moyens jugés dissuasifs, les pratiques anticoncurrentielles n'en continuent pas moins. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles certains des membres de l'Association auraient même jugé nécessaire d'instaurer le quadruplement des dommages, au motif que le système actuel ne serait pas suffisamment dissuasif !

Quoi qu'il en soit, tout comme la discovery, le système des triples dommages est trop intimement lié à la culture de judiciarisation de l'économie caractérisant les Etats-Unis, pour pouvoir servir de source d'inspiration à une éventuelle réforme en Europe ou même au Canada. Dans ce pays, où le juge, comme c'est le cas en France, n'accorde que des dommages simples, plusieurs interlocuteurs du rapporteur lui ont déclaré que le Canada était fermement d'avis d'éviter l'approche américaine dans laquelle le droit de la concurrence est instrumentalisé en vue notamment d'obtenir des dommages et intérêts élevés.

Ce souci de se différencier des Etats-Unis apparaît d'ailleurs également à travers le système québécois des recours collectifs, qui exerce aujourd'hui un attrait croissant en France.

2) Les divergences contrastées sur la question de l'opportunité de mettre en place des recours collectifs

Cette question est posée par le Livre vert, dans la perspective de la protection des intérêts des consommateurs.

Or, cette question revêt d'autant plus d'importance en France que, d'une part, le Président de la République s'était prononcé, lors de ses vœux aux forces vives de la Nation en janvier 2005, en faveur d'une modification de la législation pour permettre à des groupes de consommateurs et à leurs associations d'intenter des actions collectives contre les pratiques abusives observées sur certains marchés. Un groupe de travail a été mis en place à cette fin et a remis son rapport le 16 décembre 2005.

D'autre part, M. Guy Canivet, Premier président de la Cour de cassation, s'est prononcé dans un entretien avec La Tribune, le 16 mai 2006, en faveur de la mise en place d'un système de recours collectif inspiré du système québécois.

Enfin, notre collègue Luc Chatel et les sénateurs, Mme Nicole Bricq et M. Richard Yung, ont déposé des propositions de loi visant à instituer un recours collectif, ce qui ne manquera pas d'enrichir le débat. Celui-ci fait apparaître une hostilité largement répandue à l'encontre de la procédure américaine des class actions. En revanche, le système québécois s'impose comme une source d'inspiration pour une réforme éventuelle.

a) Une hostilité majoritaire à l'encontre de la procédure américaine des class actions

Cette hostilité repose sur deux considérations : d'un côté, le droit positif offrirait déjà aux consommateurs des procédures leur permettant d'assurer la protection de leurs intérêts. De l'autre, la procédure américaine de class actions est davantage un facteur de judiciarisation de l'économie qu'un instrument de protection des intérêts des consommateurs.

(1) La législation des Etats membres offrirait déjà une protection efficace des intérêts des consommateurs

Les droits des Etats membres mettent déjà des recours collectifs à la disposition des associations de consommateurs. Ainsi, en droit français, celles qui sont agréées disposent d'actions spécifiques visant à obtenir réparation de préjudices collectifs ou individuels ou à faire cesser des agissements illicites :

- action des associations devant les tribunaux pour les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs (article L 421-1 du code de la consommation) ;

- action devant la juridiction civile ou la juridiction répressive pour faire cesser ou interdire tout agissement illicite ou obtenir la suppression d'une clause illicite ou abusive dans tout contrat ou type de contrat (article L 422-1 du code de la consommation) ;

- action « en représentation conjointe » pour obtenir au nom de plusieurs consommateurs, personnes physiques, identifiés, la réparation de préjudices individuels, causés par le fait d'un même professionnel (article L 422-1 du code de la consommation).

Pour la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, ces mécanismes sont parfaitement adaptés et protecteurs des justiciables, car ils s'opposent à l'instauration d'un système d'opt out, c'est-à-dire un recours formé au nom d'un groupe indéfini de personnes, sans mandat de justice.

Quant à l'AFEC (Association française d'études de la concurrence), si elle constate que les actions des consommateurs en réparation de préjudices causés par les pratiques anticoncurrentielles sont pratiquement inexistantes, elle affirme toutefois que des risques importants d'abus et de déstabilisation des entreprises et du marché existent, si l'on facilite inconsidérément les « class actions ». C'est pourquoi « l'AFEC souhaite que l'on commence par utiliser les mécanismes existants et que l'on n'avance sur la voie de la réforme qu'avec la plus extrême prudence et dans le respect des principes fondamentaux, qui traversent le droit de chaque Etat »(20).

Dans son esprit, la réaction des autorités britanniques n'est pas très éloignée de ces préoccupations. Ainsi rappellent-elles que les associations agréées par le ministre du commerce et de l'industrie peuvent intenter une action en dommages et intérêts devant le Competition Appeal Tribunal, le tribunal spécialisé dans les affaires de concurrence.

En outre, la législation qui a été introduite en 1998 précise les modalités selon lesquelles les dommages et intérêts sont répartis. Ceux-ci doivent être versés aux victimes concernées. Toutefois, avec l'accord de l'association agréée et celui des victimes, le tribunal peut les verser à l'association agréée.

Jusqu'à présent, seule une association a été agréée. Elle n'a introduit aucune action.

C'est pourquoi, pour les autorités britanniques, il serait prématuré d'élaborer une législation au plan communautaire, laquelle pourrait entraîner des changements dans le droit du Royaume-Uni, alors même que ce dernier a été modifié récemment.

(2) La procédure américaine de class actions : un facteur de judiciarisation de l'économie

Une « class action » est un instrument de la procédure civile américaine, qui permet à une ou plusieurs personnes, d'engager des poursuites civiles au nom de l'ensemble du groupe si certaines conditions sont définies. En particulier, il faut que les questions de droit ou de fait communes à tous les membres du groupe soient trop nombreuses pour qu'une jonction des instances soit possible(21).

Bien qu'elle soit apparemment encadrée, le rapporteur constate que dans cette procédure les excès l'emportent très nettement sur les avantages.

La procédure de la class action présent trois avantages. Elle incite des individus, dont le préjudice est trop modeste pour qu'ils supportent les frais de justice, de se regrouper. Elle favorise ainsi l'accès à la justice.

En second lieu, en ayant pour effet de regrouper plusieurs recours dans un seul procès, la class action permet d'éviter l'encombrement des prétoires et de réaliser des économies d'échelle sur les coûts de procédure.

Enfin, elle exerce des effets dissuasifs sur les défendeurs potentiels, en faisant planer une menace de procès, du fait de leurs pratiques anticoncurrentielles. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle 80 % des class actions se concluent par voie de transaction.

Pour autant, ce sont principalement sur les excès qu'encourage cette procédure que plusieurs de ses interlocuteurs ont appelé l'attention du rapporteur.

Tout d'abord, selon la Chamber of Commerce, les tribunaux ont des difficultés, faute de prendre le temps nécessaire à cet effet, à statuer sur la certification des demandes de class actions, ce qui, à ses yeux, est de nature à susciter les procédures abusives.

Or, les plaignants en sont les premières victimes. En effet, le système américain repose sur le régime de l'opt out, c'est-à-dire que toutes les personnes entrant dans la définition du groupe - sauf à s'en exclure expressément - font partie de ce dernier et sont liées par les décisions qui seront prises sur les requêtes, ce que certains plaignants ignorent même. Il en résulte, comme le souligne l'American Bar Association, que les victimes font beaucoup confiance à leurs avocats, alors qu'elles ne le connaissent même pas !

Précisément, les avocats sont accusés d'être très largement responsables des dérives résultant de l'instrumentalisation des class actions. Car, ils n'hésitent pas à susciter l'introduction d'une class action en démarchant les victimes(22). Ils y sont d'autant plus incités, qu'ils peuvent invoquer auprès de ces dernières la perspective d'une réparation substantielle, puisque le régime des dommages et intérêts punitifs - destinés à punir le défendeur pour sa conduite et s'ajoutant aux dommages et intérêts compensatoires - s'appliquent aux class actions.

A cet égard, il est reproché aux avocats des plaignants d'utiliser les class actions pour s'enrichir. C'est ainsi qu'un rapport officiel suggère que sur un dollar versé par les défendeurs, seuls 46 cents seraient perçus par les plaignants.

Certes, les honoraires des avocats de class actions doivent être approuvés par le juge, qui tient un rôle de garde-fou. Certes encore, les avocats soulignent également que le pourcentage qu'ils prélèvent - soit 40 % du montant des dommages et intérêts - est la récompense du risque financier qu'ils prennent dans la procédure, en faisant l'avance des frais de justice.

Cependant, des abus existent à l'évidence, au point que la réforme intervenue en février 2005 - par la Class Action Fairness Act (loi sur la loyauté des class actions) - a eu pour objet de prévoir une déclaration des droits du consommateur. Ainsi, le calcul des honoraires des avocats en cas de « coupon settlement » - règlements amiables aux termes desquels les plaignants reçoivent des bons de réduction et les avocats de l'argent comptant - est-il encadré. Rien n'est, en revanche, prévu pour les « non coupon settlements ».

En outre, les conditions dans lesquelles un tribunal fédéral peut approuver un accord amiable sont précisées.

Outre les plaignants, les entreprises sont les autres grandes victimes des procédures abusives, comme l'illustrent certaines faillites - par exemple, celles auxquelles les entreprises du secteur de l'amiante ont été acculées. Les entreprises peuvent ainsi être contraintes de débourser des montants considérables, par le jeu des dommages et intérêts punitifs précédemment évoqués.

Pour l'ensemble de ces raisons, la Chamber of Commerce a émis la crainte que l'Europe ne soit, elle aussi, confrontée aux mêmes difficultés que les Etats-Unis, compte tenu du souhait de la Commission d'importer certains éléments du système américain, sans que toutefois elle ait veillé à rééquilibrer le dispositif.

Si le système américain fait l'effet d'un repoussoir, en revanche, celui du Québec suscite un intérêt croissant en France, notamment.

b) L'intérêt croissant suscité par le système québecois de recours collectif

Au Canada, les règles générales régissant le droit de la concurrence relèvent d'une loi fédérale. Le droit processuel est du ressort de la compétence des Provinces, le Québec étant - avec l'Ontario et la Colombie britannique - l'une de celles à s'être dotée d'une législation sur les recours collectifs entrée en vigueur en 1979.

Incontestablement, l'intérêt suscité en France par la législation québécoise tient à son caractère équilibré, lequel ne l'empêche toutefois pas d'être confronté à divers problèmes.

Il convient de relever d'emblée que ce sont les différentes parties qui reconnaissent cette vertu d'équilibre au système de recours collectif, d'où le soutien dont il bénéficie.

Cet équilibre tient d'abord à l'encadrement étroit dont les recours collectifs sont l'objet. En effet, le dépôt d'un recours collectif - qui, à la différence de la France, n'est pas réservé aux seules associations puisque, notamment, une personne physique peut procéder à ce dépôt - doit nécessairement avoir été autorisé au préalable par la Cour Supérieure. Sans juger le fond, cette dernière vérifie que le recours satisfait bien aux conditions de recevabilité requises(23).

Ce filtrage est destiné à assurer le bon équilibre entre la protection des sociétés et l'introduction de recours justifiés.

En second lieu, toute entente ou négociation à l'amiable doit être approuvée in fine par le juge.

Enfin, la culture judiciaire propre au Canada contribue également de façon non négligeable à cet équilibre. Car, à la différence des juges américains, les juges canadiens sont réticents à accorder des dommages et intérêts démesurés.

Les seconds appliquent la règle des dommages simples, non pas sur la base d'une disposition législative expresse, mais d'une philosophie judiciaire différente de celle des Etats-Unis(24).

Pour leur part, les avocats canadiens travaillent selon des règles qui ne sont pas tout à fait identiques à celles de leurs confrères américains. D'une part, le code de déontologie leur interdit de démarcher des plaignants. D'autre part, si comme aux Etats-Unis s'applique aussi le système des contingency fees, en vertu duquel l'avocat perçoit un pourcentage du montant des dommages et intérêts, ce pourcentage atteint en moyenne 20 % (contre 40 % aux Etats-Unis). De plus, la convention d'honoraires est soumise à l'approbation du juge.

De façon générale, le recours collectif est considéré au Québec comme une voie d'accès pour rétablir un équilibre. Sur le plan politique, il peut être considéré comme une véritable « soupape » permettant aux citoyens de s'adresser à un forum judiciaire pour faire valoir leurs droits. C'est d'ailleurs au nom de cette vision, que les citoyens peuvent bénéficier du soutien du Fonds d'aide au recours collectif. Créé en 1978, ce fonds a une capacité d'action totale de 3 millions de dollars canadiens (2,13 millions d'euros) et peut investir en moyenne 150 à 250 000 dollars canadiens (107 à 177 000 euros) pour chaque recours collectif, tout en conservant un large pouvoir discrétionnaire sur la quotité de l'aide.

Si ces différents mécanismes peuvent prémunir le système québécois contre les dérives encouragées par les class actions américaines, il n'en est pas moins confronté à certains problèmes.

Il en est ainsi du système retenu de l'opt out, qui, comme aux Etats-Unis, inclut automatiquement le consommateur lésé dans le recours, sauf s'il s'en exclut expressément. Peuvent se poser des difficultés quant à la représentativité du représentant du groupe, en ce que ses liens avec la victime peuvent être très lâches, voire inexistants.

En outre, tout en étant éloigné des excès du système américain, le nombre des recours collectifs déposés chaque année tend à s'accroître très fortement, passant de 20 à 30 jusqu'en 2000 à près de 70 en 2005.

Aujourd'hui, près de 250 recours collectifs sont en cours de traitement. Les principales cibles des recours collectifs - dont le champ d'application n'est pas limité au seul droit de la concurrence - ont été, au cours de ces dernières années, les banques et institutions financières ainsi que les organismes publics et le gouvernement québécois.

Or, on peut se demander si le fait que l'égalité entre les parties ne soit pas pleinement assurée, n'est pas de nature à favoriser, à l'avenir, cette tendance à la hausse des recours collectifs.

En effet, des modifications intervenues en 2003 ont notamment eu pour effet de retirer à la partie poursuivie le droit d'interroger le requérant et de vérifier le sérieux de ses prétentions !

A cet égard, précisément en vue de garantir une meilleure protection des droits de la défense, la Cour Supérieure du Québec a rendu le 17 janvier 2006 une importante décision, par laquelle elle a refusé qu'une requérante puisse déposer une requête aux fins d'exercer un recours collectif, sur la base d'un article de presse publié en février 2003. Ce dernier avait rapporté que certains fabricants de médicaments génériques auraient versé des rabais « illégaux » et autres bénéfices à des pharmaciens du Québec et d'autres provinces. Estimant que « le tribunal ne peut se fonder sur de pures spéculations pour conclure à une apparence sérieuse du droit » et constatant que « l'information nécessaire fait cruellement défaut », le tribunal a conclu que « ... à lui seul, cet article de journal n'est pas suffisant pour convaincre un tribunal de l'existence d'une apparence de droit ».

Au demeurant, on notera que les nouvelles dispositions sont d'autant plus susceptibles d'accroître l'inégalité entre les parties qu'elles s'ajoutent à celles qui prévoyaient déjà que, dans le cas où l'autorisation d'exercer un recours collectif serait accordée au demandeur, la partie poursuivie ne disposera d'aucun droit d'appel. En revanche, le demandeur peut exercer ce même droit d'interjeter appel, si l'autorisation lui est refusée.

Une autre inégalité réside dans le fait qu'un requérant membre d'un recours collectif peut bénéficier du Fonds d'aide aux recours collectifs, alors que la personne poursuivie n'y est pas éligible.

III. LA NÉCESSITÉ D'UNE REFLEXION CIRCONSTANCIEE SUR LA REFORME DU REGIME DES RECOURS CONTRE LES PRATIQUES CONCURRENTIELLES

A l'évidence, les développements précédents montrent que la vivacité des débats sur les options du Livre vert tient à l'importance des enjeux en présence.

S'agissant d'abord des enjeux économiques, la difficulté consiste à éviter que la lutte nécessaire contre les pratiques anticoncurrentielles ne débouche sur une judiciarisation de l'économie dont les victimes seraient les entreprises et les consommateurs.

Il y a, en second lieu, un enjeu politique, que les réponses des autorités françaises, britanniques et allemandes ont mis en exergue : tout projet éventuel de réforme ne peut faire abstraction du cadre posé par le droit national, dont certains principes - comme ceux régissant la responsabilité civile en France - remontent au XIXème siècle.

Ces différents enjeux permettent de prendre la mesure des difficultés d'une réforme. Car si les acteurs s'accordent sur la nécessité de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles, la poursuite d'un tel objectif impose de respecter certains équilibres, sur lesquels un consensus fait toutefois défaut.

A. La lutte contre les pratiques anticoncurrentielles : un objectif consensuel

La nécessité de cette lutte - qu'il s'agisse de la prévention, de la sanction ou de la réparation - rappelle qu'il n'est pas d'économie de marché sans régulation, dont, précisément, la garantie du respect du droit de la concurrence est une composante essentielle. Il est clair qu'en l'absence d'une telle garantie, le fonctionnement optimal du marché et le bien-être des consommateurs risqueraient d'être fortement hypothéqués.

A cet égard, le rapporteur se félicite que les représentants du Medef et de la Chambre de Commerce de Paris qu'il a rencontrés, admettent sans réserve le bien-fondé de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et déclarent que les entreprises ne souhaitent bénéficier d'aucune faveur.

Il y a d'autant plus lieu de s'en réjouir que, à la différence des Etats-Unis, les pratiques anticoncurrentielles concernent, en Europe, non seulement les ententes mais également les abus de position dominante. En revanche, aux Etats-Unis, ces derniers ne sont pas prohibés. Dès lors qu'une entreprise a acquis une position dominante sans avoir enfreint la législation antitrust, elle ne saurait faire l'objet de sanctions. Ainsi, existe-t-il des industries dominées par une ou deux entreprises, sans que personne n'ait introduit de plainte contre elles.

B. La poursuite de cet objectif impose de respecter certains équilibres

Il s'agit de prévenir :

- d'une part, l'opposition entre action publique et action privée tout en veillant à leur optimisation respective ;

- d'autre part, le risque d'une judiciarisation de l'économie, à travers l'instrumentalisation du droit de la concurrence.

1) Prévenir l'opposition entre action publique et action privée tout en veillant à leur optimisation respective

Ainsi que le rapporteur l'a relevé, l'un des principaux reproches adressés au Livre vert est, en privilégiant l'action en dommages et intérêts, de risquer d'opposer l'action privée à l'action publique, alors qu'elles s'avèrent complémentaires.

Il s'agit d'éviter que, à l'exemple du système américain, l'action privée ne se substitue à l'action publique et, corrélativement, comme le soulignent à juste titre les autorités françaises, ne compromettent notamment la mise en œuvre des programmes de clémence.

a) La complémentarité nécessaire entre action publique et action privée

(1) L'action publique ne peut tout contrôler

M. Guillaume Cerutti, directeur général de la DGCCRF confirme l'existence de ces limites de l'action publique :

« Les autorités de concurrence ne peuvent pas couvrir l'ensemble du champ économique affecté par les pratiques anticoncurrentielles »(25).

Il en résulte que, comme M. Cerutti l'a précisé, la DGCCRF cible son action sur des marchés prioritaires identifiés en amont(26).

Il en résulte aussi que cette lacune de l'action publique peut être comblée par l'action privée de deux façons :

- soit l'action privée saisit les autorités de concurrence d'une pratique anticoncurrentielle. C'est ainsi que la saisine du Conseil de la concurrence par une association de consommateurs a été à l'origine de la condamnation le 1er décembre 2005 pour entente de trois opérateurs de téléphones mobiles ;

- soit l'action privée est engagée directement devant les tribunaux. Ce second mode d'action est moins fréquent que le premier, pour des motifs liés notamment aux difficultés d'accès aux preuves. Or, des affaires existent, dans lesquelles les victimes d'abus de position dominante peuvent avoir un intérêt à saisir directement le juge pour obtenir réparation du préjudice causé (par exemple, en France, l'affaire Mors/Labinal, Cour d'appel de Paris, 30 septembre 1998).

D'autre part, on a pu faire remarquer que la réparation des préjudices, quand elle est facilitée et devient une démarche usuelle de la part de l'entreprise victime peut en elle-même avoir une efficacité préventive et dissuasive sur les comportements des opérateurs fautifs(27). Une entreprise qui envisage une pratique de concertation ou d'abus, prend en compte le risque d'une sanction administrative mais mesure aussi son risque civil.

C'est là un des enjeux de la modification souhaitable des acteurs des actions privées que l'on examinera plus loin.

(2) L'action publique peut faciliter les actions privées

Si l'exercice préalable de l'action publique n'est pas susceptible de régler tous les problèmes de preuves - en particulier celui du préjudice - il n'est toutefois pas exclu qu'il puisse contribuer à alléger la charge de la preuve du demandeur, pour ce qui est de la preuve de la faute résultant de la pratique anticoncurrentielle.

Ce peut être ainsi le cas dans les systèmes britannique ou allemand, dans lesquels le juge est lié par la décision de l'autorité de concurrence, et même par celle des autorités de concurrence des autres Etats membres en ce qui concerne l'Allemagne.

Outre l'établissement de la preuve de la faute, la décision de l'autorité de concurrence peut également fournir des éléments permettant de faciliter le calcul.

En France, à la différence de l'Allemagne et du Royaume-Uni, le juge n'est pas lié par la décision de l'autorité de concurrence. Mais plusieurs interlocuteurs du rapporteur lui ont fait observer que, dans les faits, cette décision constituait un élément de preuve important qui permet généralement d'emporter la conviction du juge.

b) L'optimisation souhaitable de l'action publique et de l'action privée

(1) Renforcer les liens entre autorités de concurrence et juridictions

Ce renforcement appelle à la fois des mesures législatives et une modification des pratiques.

S'agissant des mesures de nature législative, la première pourrait consister à conférer l'autorité de chose décidée aux décisions du Conseil de la concurrence, c'est-à-dire qu'elles lieraient les tribunaux, à l'exemple, comme on l'a vu précédemment, de ce qui existe déjà au Royaume-Uni et en Allemagne.

Certains juristes s'y opposent, estimant qu'une telle mesure contreviendrait au droit à un tribunal impartial et indépendant consacré par la Convention européenne des droits de l'homme. Pour autant, aucune jurisprudence n'a jusqu'à présent statué dans ce sens.

Quoi qu'il en soit, de fortes considérations plaident en faveur d'un alignement sur les législations britannique et allemande. On peut craindre, en effet, que le maintien de réglementations disparates n'empêche un traitement harmonisé des pratiques anticoncurrentielles ayant des effets dans plusieurs Etats membres. Dans un tel cas, l'AFEC (Association française des études de concurrence) propose que la décision de l'autorité de concurrence chargée de la procédure de répartition des affaires, suffise à permettre au plaignant d'obtenir réparation du préjudice subi sur l'ensemble du territoire affecté par les pratiques anticoncurrentielles.

Il est toutefois vrai que peut se poser la question des décisions couvertes par cette autorité de la chose décidée des décisions du Conseil de la concurrence.

Ainsi, Mme Laurence Idot, professeure à l'Université de Paris I - Panthéon Sorbonne souligne-t-elle que :

« A supposer que l'on ne reconnaisse cette autorité de la chose décidée qu'aux décisions devenues définitives, ce qui semble exclure également les décisions adoptant des mesures conservatoires, même dans le cas de décisions d'interdiction, il faudra encore prendre parti sur l'incidence d'une révélation opérée dans le cadre d'un programme de clémence »(28).

Une seconde disposition législative à envisager devrait concerner la possibilité d'intégrer également les juridictions dans le réseau des autorités de concurrence (ECN) des Etats membres, créé par le règlement 1/2003 du 16 décembre 2002.

Une telle mesure éliminerait les inconvénients pratiques que le rapporteur a soulignés dans la première partie. En outre, elle contribuerait également à faciliter l'examen des cas de pratiques anticoncurrentielles ayant des effets sur le territoire de plusieurs Etats membres.

Sans attendre l'adoption de ces mesures, il serait très utile que les tribunaux recourent plus fréquemment aux possibilités de saisine du Conseil de la concurrence et de la Commission qui leur ont été ouvertes. Incontestablement ces avis peuvent apporter une aide très précieuse aux tribunaux dans le règlement des litiges.

C'est notamment de cette façon que les tribunaux pourront concourir à une plus forte pénétration du droit de la concurrence dans la vie économique de notre pays. A cet égard, doit les y encourager fortement la création de tribunaux spécialisés pour l'application du droit national de la concurrence par un décret du 30 décembre 2005.

(2) La modification indispensable des comportements des acteurs du procès en vue de promouvoir une réelle culture de la concurrence

Marquant son accord avec les observations qui ont pu être formulées notamment par plusieurs intervenants du colloque qui s'est tenu à la Cour de cassation le 17 octobre 2005(29), le rapporteur estime que sur la question cruciale de l'accès aux preuves, il s'agit moins de procéder à une réforme d'envergure que de souhaiter une modification des comportements et des mœurs judiciaires.

Il est en effet absolument nécessaire que juges et avocats portent remède à la « sous-exploitation » des différents mécanismes mis en place par notre droit processuel.

Quant aux plaignants, on ne peut qu'approuver le souhait émis par M. Guillaume Cerutti, directeur général de la DGCCRF, selon lequel :

« il serait indéniablement utile que le consommateur se sente plus directement concerné par l'application du droit de la concurrence et qu'il ait la possibilité d'entrer lui-même dans le prétoire pour demander réparation du préjudice subi .»(30.

2) Prévenir la judiciarisation de l'économie

Cet objectif, inspiré par le souci du rapporteur d'empêcher que la France - notamment - ne soit confrontée à des dérives semblables à celles dont on lui a fait part aux Etats-Unis, revêt deux aspects :

- le refus de tout risque d'instrumentalisation du droit de la concurrence ;

- la nécessité d'examiner avec prudence l'opportunité de s'inspirer du système québécois de recours collectif.

a) Refuser tout risque d'instrumentalisation du droit de la concurrence

Cette position, qui devrait permettre de sauvegarder les intérêts des victimes, tient compte de deux exigences. La première, rappelée fort opportunément par les autorités françaises dans leur réponse au Livre vert vise à préserver les principes fondamentaux du régime de responsabilité délictuelle ainsi que les principes fondamentaux de la procédure civile. Car, il n'apparaît pas opportun d'envisager des dispositifs dérogatoires, au droit commun, particulièrement lorsqu'il n'est pas démontré que le régime de droit commun constitue un obstacle effectif au développement d'actions civiles en réparation de dommages causés par des pratiques anticoncurrentielles.

Ici encore, il appartient aux juges et aux avocats de modifier leurs pratiques et de donner pleinement effet à des principes, tels que la réparation intégrale du préjudice.

Sur ce point, les remarques formulées par M. Guy Canivet, Premier président de la Cour de cassation, ne peuvent qu'être approuvées :

« Si on aboutissait déjà, dans le système français, à une approche plus précise du principe de réparation intégrale, un grand progrès aurait été fait. Le gros défaut de notre système d'indemnisation du dommage est son approximation, le juge n'exerçant pas suffisamment de contrôle sur la réalité du préjudice. Des progrès sont à faire en sérieux, en méthode et en professionnalisme, notamment par rapport aux systèmes étrangers »(31).

En second lieu, il est clair qu'il convient d'écarter, sans aucune hésitation, le système américain des class actions, lequel fait l'objet de très sévères critiques de la part des Américains eux-mêmes, que l'American Bar Association résume parfaitement dans ce propos :

« Du point de vue du défendeur, un inconvénient important des class actions réside dans le fait que la procédure est contrôlée par les avocats dont l'objectif est de maximiser les dommages et intérêts au nom de l'ensemble des membres et leurs honoraires »(32).

b) Examiner avec prudence l'opportunité de s'inspirer du système québecois de recours collectif

Le rapporteur est très conscient du soutien croissant dont bénéficie une telle proposition. M. Guy Canivet, Premier président de la Cour de cassation, s'est ainsi prononcé expressément en sa faveur dans son entretien avec La Tribune, le 16 mai 2006 :

« Je suis favorable au dispositif québécois, dans lequel le juge autorise ou non, dans une première phase, l'introduction d'une action collective en fonction du sérieux de celle-ci ».

De même, à l'Assemblée nationale, notre collègue Luc Chatel a-t-il déposé une proposition de loi, qui, davantage que celle déposée au Sénat, par Mme Nicole Bricq et M. Richard Yung, entend s'inspirer nettement du système québécois.

Pour autant, le rapporteur estime nécessaire, tout comme le Premier président de la Cour de cassation, de laisser davantage de temps à la réflexion. Ce dernier convient d'ailleurs lui-même que :

« Nous avons vécu des siècles sans action collective, nous pourrons nous en passer encore un certain temps, si les chances de succès de l'opération passent par une préparation importante »(33).

On notera, à cet égard, que le Gouvernement n'a pas encore tranché sur les trois voies possibles envisagées par le rapport du groupe de travail remis le 16 décembre 2005 :

- une réforme des actions collectives existantes, notamment de l'action en représentation conjointe qui permet à une association de consommateurs agréée d'agir en réparation pour le compte de consommateurs lui ayant donné mandat à cette fin ;

- la création d'une action en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse. Cette procédure permettrait à des consommateurs d'obtenir la réparation de leurs préjudices en se joignant à une instance engagée aux fins de voir un professionnel déclaré responsable de dommages subis par plusieurs consommateurs ;

- l'introduction en droit français d'une action de groupe reposant sur un mécanisme d'appartenance présumé des consommateurs au groupe inspiré des systèmes des Etats-Unis et du Québec.

CONCLUSION

Incontestablement le présent Livre vert ouvre un débat d'importance. Il contraint les Etats membres à réexaminer les conditions de fonctionnement de leurs institutions chargées de veiller au respect de l'application des règles de concurrence et de réfléchir à l'opportunité de les adapter, si nécessaire.

Mais, au-delà, il offre l'occasion aux Etats membres de marquer leur attachement à l'une des particularités de leur modèle économique et social, à savoir l'équilibre entre l'action publique et l'action privée dans la régulation de l'ordre public économique.

C'est cette exigence politique que le rapporteur a estimé nécessaire de devoir rappeler dans la proposition de conclusions ci-après.

{texte de la conclusion...}

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie le mercredi 28 juin 2006, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information.

L'exposé du rapporteur a été suivi d'un débat.

M. François Guillaume a considéré que la Commission proposait aux Etats membres de s'engager dans une voie extrêmement dangereuse. Jusqu'à présent, elle sanctionnait les distorsions de concurrence en fixant des amendes à payer à l'Europe et aux victimes de cette déficience et l'entreprise sanctionnée pouvait intenter un recours devant la Cour de Justice des Communautés européennes. Désormais, les particuliers victimes de cette prétendue distorsion disposeraient d'un droit supplémentaire à ester en justice à titre privé et bénéficieraient d'un renforcement de leurs possibilités de recours et d'un accroissement du montant de leurs indemnités. Il faut se rappeler qu'après la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine, la Commission avait infligé une amende aux organisations agricoles pour entente illicite sur les prix de la viande bovine, alors qu'elle n'était pas intervenue pour enrayer la chute des cours et que la filière avait dû se résoudre à agir pour fixer un prix minimum. Où va-t-on si l'on ouvre des recours à chaque consommateur au moindre désaccord sur le prix ?

La législation française, favorable aux interprofessions, définit quand on peut agir, détermine les disciplines en matière de prix et de qualité et oblige tout le monde à les appliquer. Or, cela fait trente ans que la Commission ne se prononce pas sur le sujet et qu'elle ne reconnaît ni ne conteste ce mode d'organisation professionnelle.

Par ailleurs, la Cour de Justice aura dans la plupart des cas une appréciation totalement juridique et non commerciale des distorsions de concurrence et appliquera les règles de manière mécanique.

Les propositions de conclusions du rapporteur ne sont presque pas assez fermes par rapport aux dangers d'une telle dérive.

M. Jérôme Lambert a déclaré apporter son soutien aux organisations agricoles face aux problèmes actuels et a considéré que, sur la question soulevée par la proposition de la Commission, chaque Etat membre avait son propre système juridique et n'avait pas à se laisser imposer par la Commission une évolution qui ne lui conviendrait pas.

Le rapporteur a indiqué que la Commission avait surtout souhaité provoquer un débat entre Etats membres sur ce sujet. Si sa proposition ne recueille pas l'unanimité, elle est consciente qu'il n'y aura pas d'évolution.

Il y a en France un débat pour faire évoluer notre législation vers une meilleure protection des particuliers. Tout le monde a en tête les pratiques d'opérateurs téléphoniques qui lèsent les consommateurs en toute impunité, parce que ceux-ci ne vont pas intenter des procès pour des sommes limitées individuellement, mais représentant des millions d'euros pour les entreprises.

La commissaire européenne, Mme Neelie Kroes, a cependant peut-être l'intention cachée de marquer ce sujet de son empreinte, alors qu'elle reconnaît qu'il relève plutôt de la direction Justice Libertés Sécurité, dépendant d'un autre commissaire.

La Délégation a ensuite approuvé les conclusions présentées par le rapporteur dont le texte figure ci-après :

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION

La Délégation,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le Livre vert sur
les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et abus de position dominante (COM [2005] 672 final / E 3047),

1. Approuve l'objectif du Livre vert d'ouvrir un débat sur les conditions dans lesquelles les victimes des pratiques anticoncurrentielles résultant des ententes et des abus de position dominante peuvent bénéficier d'une meilleure réparation ;

2. Constate, en effet, que ces victimes se heurtent à d'importantes difficultés, en particulier celles concernant l'accès aux preuves qu'il leur incombe de produire à l'appui de leurs prétentions, ce qui est de nature à les dissuader d'introduire des actions en justice ;

3. Récuse toutefois qu'une telle situation reflète, comme le suggère le Livre vert, un état de « sous-développement » des procédures et appelle des réformes qui, par leur ampleur, risqueraient de bouleverser le régime de responsabilité civile, ainsi que le droit processuel des Etats membres, en particulier en y introduisant des procédures inspirées du droit américain ;

4. Estime que la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles impose de respecter certains équilibres et, à cet effet, de prévenir, d'une part, l'opposition entre action publique et action privée tout en veillant à leur optimisation respective et, d'autre part, le risque d'une judiciarisation de l'économie ;
5. Souhaite, en conséquence :

a) le renforcement des liens entre autorités de concurrence et juridictions, en particulier par la reconnaissance de l'autorité de chose décidée aux décisions du Conseil de la concurrence et la possibilité d'intégrer également les juridictions dans le réseau des autorités de concurrence (ECN) des Etats membres, créé par le règlement 1/2003 du 16 décembre 2002 ;

b) la modification du comportement des acteurs du procès - juge, avocat, plaignant -, en vue de promouvoir une réelle culture de la concurrence ;

c) le maintien des principes fondamentaux du régime de responsabilité délictuelle et des principes fondamentaux de la procédure civile, lorsqu'il n'est pas démontré qu'ils constituent un obstacle effectif au développement des actions en réparation causées par des pratiques anticoncurrentielles dues aux entités ou aux abus de position dominante ;

d) l'examen avec prudence de l'opportunité de s'inspirer du système québécois de recours collectif.

ANNEXES

Annexe 1 :
Liste des personnalités entendues par le rapporteur

Le rapporteur tient à renouveler ses plus vifs remerciements à toutes les personnalités qui ont bien voulu accepter de le rencontrer ainsi qu'à la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, et aux missions économiques de Montréal et d'Ottawa, dont le concours lui a été précieux.

I. A PARIS

1) Départements ministériels

∙ SGAE

- Mme Catherine Laffont, adjointe au chef du secteur « marché intérieur ».

∙ Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

- M. Francis Amand, sous-directeur, direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ;

∙ Ministère de la justice

- Mme Carola Arrighi de Casanova, sous-directrice du droit économique, direction des affaires civiles et du sceau ;

- Mme Isabelle Reghi, chef du bureau du droit processuel ;

- M. Alexandre David, bureau du droit processuel ;

- Mme Alexandra Baranger, bureau du droit commercial ;

- M. Ronan Guerlot, bureau du droit commercial.

2) Personnalités qualifiées

∙ Conseil de la concurrence

- M. Thierry Dahan, rapporteur général.

∙ Institut national de la consommation

- M. Eric Briat, directeur général.

∙ Autres personnalités

- Me Hugues Calvet, avocat, Cabinet Bredin Prat ;

- Me Didier Théophile, avocat, Cabinet Darrois Villey Maillot Brochier ;

- Me Antoine Winckler, avocat, Cabinet Clary Gottlieb Steem & Hamilton ;

- M. Daniel Fasquelle, professeur à la Faculté de droit de l'Université du Littoral (Boulogne-sur-Mer).

3) Organismes socio-professionnels

∙ MEDEF

- Mme Joëlle Simon, directrice des affaires juridiques ;

- Mme Karine Grossetête, chargée des relations avec le Parlement.

∙ Chambre de commerce et d'industrie de Paris

- M. Gérald Barbier, membre élu, directeur de la société de distribution de matériels électriques (SDME) ;

- Mme Emmanuelle Garault, coordinatrice aux affaires européennes ;

- Mme Anne Outin-Adam, directeur des développements juridiques ;

- Mme Céline Delacroix, juriste à la DGAEPI.

∙ Association de consommateurs

- Association de Consommation, logement et cadre de vie (CLCV)

- Mme Reine-Claude Mader, présidente ;

- Mme Sandrine Perrois, conseiller juridique.

- UFC Que Choisir

- Mme Charlotte Dekeyser, juriste ;

- M. Julien Dourgnon, directeur des études.

II. EN BELGIQUE

- M. Olivier Guersent, directeur adjoint de cabinet de la commissaire en charge de la concurrence ;

- M. Philip Lowe, directeur général de la concurrence, Commission européenne ;

- M. Paul-Bertrand Barets, conseiller financier à la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, chargé du secteur de la concurrence.

III. AUX ETATS-UNIS

1) Personnalités françaises

- Son Exc. M. Jean-David Levitte, ambassadeur de France aux Etats-Unis ;

- Mme Marianne Faessel-Kahn, chef du secteur des Affaires juridiques.

2) Personnalités américaines

- Mme Lynda Marshall, Cabinet Hogan & Hartson ;

- M. Randolph Tritell, directeur, International Antitrust Division, Bureau de la concurrence, Federal Trade Commission (FTC) ;

- M. John Parisi, conseiller pour les affaires européennes, International Antitrust Division, Bureau de la concurrence, Federal Trade Commission (FTC) ;

- M. Mozelle Thompson, ancien commissaire de la Federal Trade Commission (FTC) ;

- M. Edward Hand, chef de la section du commerce extérieur à la Division Antitrust du Ministère de la Justice ;

- M. Johathan W. Cuneo, Cabinet Cuneo Gilbert & LaDuca ;

- M. Robin Conrad, vice-président, National Chamber Litigation Center, Chambre de Commerce ;

- M. Gary Litman, vice-président, en charge des affaires européennes et eurasiennes, Chambre de Commerce ;

- M. Scevole de Cazotte, directeur, en charge de la politique commerciale européenne, Chambre de Commerce ;

- Mme Linda Kelly, vice-président, en charge de la politique et de la recherche, Chambre de Commerce, Institute of Legal Reform ;

- M. Brian Wolfman, directeur, en charge des contentieux, Public Citizen.

IV. AU CANADA

1) Personnalités françaises

- Son Exc. M. Daniel Jouanneau, Ambassadeur de France au Canada ;

- M. François Alabrune, consul général de France à Québec ;

- M. Jean-Baptiste Lesecq, chef de la Mission économique ;

- M. Marc Bouteiller, chef de la Mission économique ;

- M. Patrick Erbs, adjoint au chef de la mission économique de Montréal.

2) Personnalités canadiennes

∙ A Ottawa

- Mme Josée Villeneuve, sous-commissaire adjointe du Bureau de la concurrence ;

- M. Jean-Pierre Bornais, assistant du sous-commissaire, affaires civiles ;

- M. Richard Bilodeau, agent principal du droit de la concurrence, affaires criminelles ;

- Mme Leslie Milton, cabinet d'avocat Johnston et Buchan ;

- M. Michael Jenkin, directeur général du Bureau de la consommation au ministère de l'industrie.

∙ A Montréal

- M. François Alabrune, consul général de France à Québec ;

- M. Michel Arnold, directeur général de l'association Option Consommateurs ;

- M. Jacques Saint-Amand, avocat consultant de l'association Option Consommateurs ;

- M. Jean Bernier, président du Fonds d'aide aux recours collectifs ;

- Me Guy Masson, Cabinet Stikeman Elliott ;

- Me Stephen W. Hamilton, Cabinet Stikeman Elliott.

Annexe-1

Annexe 2 :
Bilan de la class action aux Etats-Unis

Cette note a été établie par la Mission économique de Washington

L'instauration en France d'une procédure permettant aux associations de consommateurs d'intenter des actions collectives devant les tribunaux, à l'image de la class action américaine a été proposée par le Président de la République. Dans cette perspective, et afin d'alimenter le débat, il a été jugé utile de procéder à un bilan de la class action aux Etats-Unis.

La procédure de class action américaine, dont le déroulement est brièvement rappelé, présente des avantages, mais fait également l'objet de critiques expliquant les projets actuels de réforme du système.

1. La procédure de class action

Une «class action» ou action de groupe est un instrument de procédure civile américaine qui permet à une ou plusieurs personnes membres d'un groupe d'engager des poursuites civiles au nom de l'ensemble du groupe si certaines conditions sont remplies. Tous les plaignants ne sont donc pas individuellement identifiés.

Une class action peut être intentée devant les tribunaux étatiques ou les tribunaux fédéraux (les tribunaux étatiques ont la préférence des plaignants et les tribunaux fédéraux celle des défendeurs). Dans le premier cas, les règles étatiques de procédure civile, propres à chaque Etat, s'appliquent et dans le second cas, la Règle 23 des règles fédérales de procédure civile. Les commentaires suivants sont basés sur l'analyse de cette règle.

Au 30 septembre 2003, 4977 class actions étaient en cours devant les tribunaux fédéraux contre 4835 un an plus tôt (rapport annuel 2003 Judicial Business of the United States, chiffres pour les tribunaux fédéraux). Les domaines d'application de la class action sont nombreux : par exemple, droit de la consommation, droit du travail, droit de la concurrence, droit de la responsabilité civile, droit boursier, droits de l'homme. Son champ d'application est donc général.

Une class action suit la chronologie suivante : (i) bien-fondé de l'affaire («merits of the case») ; (ii) certification du groupe («class certification») ; et (iii) détermination des dommages intérêts. En pratique cependant, il est fréquent dans 80 à 90 % des cas qu'une class action se règle par voie d'accord amiable ou «settlement».

(i) Une class action débute comme toute procédure par une assignation («filing of complaint»), assignation qui est signifiée au défendeur («service of complaint»). Ce dernier a 30 jours pour y répondre et peut demander un délai supplémentaire.

Le défendeur demandera systématiquement le rejet de l'action («dismiss of complaint») au motif, par exemple, que le ou les représentants du groupe n'ont subi aucun préjudice et qu'ils n'ont par conséquent pas d'intérêt à agir («standing»). S'il n'obtient pas le rejet, le défendeur pourra demander un jugement qui lui donne gain de cause sans la tenue d'un procès («summary judgement»). Si le défendeur échoue à ce stade, et à défaut de règlement amiable, vient l'étape essentielle de la certification du groupe demandée par la partie plaignante.

(ii) Pour être certifiée, une class action doit satisfaire les quatre conditions préalables suivantes (Rule 23(a) Prerequisites to a class action) : les personnes qui constituent le groupe sont si nombreuses qu'une jonction des actions n'est pas faisable («numerosity») ; il existe des questions de fait ou de droit communes à l'ensemble du groupe («commonality») ; les demandes faites par les représentants du groupe sont typiques des demandes du reste du groupe («typicality») ; le ou les représentants du groupe protègeront les intérêts du groupe de manière loyale et adéquate («adequacy of representation»), il n'y a donc pas de mandat obligatoire.

Une class action doit en outre satisfaire aux conditions spécifiques à chaque catégorie de class action (Rule 23(b) Class actions maintainable). Il existe trois catégories de class actions. La plus utilisée est celle qui permet au groupe de demander des dommages intérêts. Elle requiert que deux conditions soient remplies : les questions de droit ou de fait communes aux membres du groupe doivent l'emporter sur les questions individuelles de chaque membre du groupe («predominance») et la class action doit être la meilleure méthode disponible pour trancher le litige en toute équité et efficacité (« superiority »).

La certification du groupe (Rule 23 (c)) fait en pratique l'objet de nombreux échanges de conclusions et les preuves recueillies par les parties (procédure de «discovery») sont présentées lors d'une audience à l'issue de laquelle le tribunal rend sa décision de certification («order»). Si la certification est refusée, seules la ou les parties demanderesses peuvent poursuivre le procès et non l'ensemble du groupe. Si la certification est accordée, dans le cas d'une demande de dommages intérêts, tous les membres du groupe qui peuvent être identifiés par des moyens raisonnables doivent être notifiés de la décision de certification («notice») et doivent avoir la possibilité de s'exclure de la procédure («opt-out»). Tel n'est pas le cas pour les autres catégories de class actions.

Le défendeur va typiquement s'opposer à la certification du groupe. Si celle-ci est néanmoins accordée, il a la faculté d'interjeter appel dans les 10 jours de la décision du tribunal. En outre, un règlement amiable peut toujours intervenir, même après la décision de certification. Le tribunal approuvera le règlement amiable s'il est équitable, raisonnable et adéquat.

(iii) A défaut de règlement amiable, le procès aura lieu. C'est alors au jury que revient la charge de déterminer le montant des dommages intérêts à allouer aux plaignants. Si le comportement du défendeur est particulièrement répréhensible, le jury pourra décider d'accorder des dommages intérêts punitifs («punitive damages»).

L'avocat des plaignants, qui fait l'avance des frais de la procédure, est rémunéré au pourcentage, entre 20 et 40 % de la somme allouée au groupe (principe des «contingency fees»).

2. Avantages

La procédure de class action présente plusieurs avantages. Outil au service d'une certaine équité sociale, la class action permet à des individus dont le préjudice est trop modeste pour qu'ils supportent seuls les frais d'une procédure judiciaire de se regrouper. La class action favorise ainsi l'accès à la justice.

De par la consolidation des affaires, la class action est en outre un instrument de justice efficace (pas d'encombrement des prétoires) et qui permet de réaliser des économies d'échelle sur les coûts de procédure.

Enfin, le système de class action est très dissuasif en ce qu'il oblige les défendeurs potentiels à anticiper autant que possible tout comportement répréhensible qui pourrait donner lieu à poursuites. En cas de condamnation, le défendeur devra corriger les erreurs avérées.

3. Critiques

La procédure de class action n'est cependant pas exempte de toute critique. La principale critique émane des milieux d'affaires qui estiment que la class action constitue un outil de chantage et conduit les entreprises à débourser des montants considérables poussant parfois ces entreprises à la faillite (cas typique des entreprise du secteur de l'amiante). Une explication à ces montants élevés est l'octroi de dommages intérêts punitifs. Ceux-ci s'ajoutent aux dommages intérêts compensatoires et visent à punir le défendeur pour sa conduite. Ils ne peuvent être alloués que lorsque la conduite du défendeur répond à certains critères (par exemple «recklessness»). Les dommages intérêts punitifs ne sont pas spécifiques aux class actions et peuvent également être alloués pour des actions individuelles. Le défendeur a la faculté de saisir le juge s'il estime que le montant des dommages intérêts punitifs décidé par le jury est excessif («remittitur»).

Le coût total du contentieux de la responsabilité extra contractuelle («tort system») est estimé dans un rapport de Towers Perrin - Tillinghast, cabinet de consulting pour l'industrie de l'assurance aux Etats-Unis (dont les chiffres sont critiqués par la coalition pro consommateurs Americans for Insurance Reform), à 246 milliards de dollars en 2004 contre 233 milliards de dollars en 2003. Le rapport (US Tort Costs : 2004 Update) suggère que sur un dollar reçu seuls 46 cents seraient perçus par le plaignant.

Une des critiques faite au «tort system» en général et à la class action en particulier est que l'argent versé par les défendeurs sert davantage à enrichir les avocats des plaignants qu'à compenser les plaignants eux-mêmes. La Federal Trade Commission, agence fédérale en charge de la protection du consommateur, a lancé le Class Action Fairness Project pour tenter de mettre fin aux abus des «coupon settlements», règlements amiables aux termes desquels les plaignants reçoivent des bons de réduction et les avocats des plaignants de l'argent comptant.

S'agissant de la critique faite aux avocats des plaignants, il convient de noter que leurs honoraires dans une procédure de class action doivent être approuvés par le juge qui tient un rôle de garde fou. Tel n'est pas le cas dans une action individuelle où l'avocat fixe sa rémunération par contrat avec son client (généralement de l'ordre de 40%). En outre, le montant total des honoraires doit être mis en rapport avec le montant total de la réparation allouée et non avec le montant alloué à chaque membre du groupe car l'avocat représente l'ensemble du groupe. Les avocats soulignent également que le pourcentage qu'ils prélèvent est la récompense de leur prise de risque financier dans la procédure.

Annexe 3 :
Réforme procédurale des actions de groupe (class actions)

Cette note a été établie par la Mission économique de Washington

Voté le 10 février par le Sénat et le 17 février par la Chambre des Représentants, le Class Action Fairness Act of 2005 (Public Law No: 109-2) a été signé par le Président Bush le 18 février. La nouvelle loi - fédérale - modifie les règles - fédérales - de procédure (Titre 28 «Judiciary and Judicial Procedure» du United States Code), sans toucher aux règles de fond (maintien du droit d'action ; pas de plafonnement des dommages intérêts ; etc.). Au coeur du nouveau dispositif, elle confère aux tribunaux fédéraux une compétence de principe pour juger de certaines class actions. Cette mesure vise à mettre un terme à la pratique controversée du « forum shopping ». La loi s'attaque également aux «coupon settlements», c'est-à-dire aux règlements amiables aux termes desquels les plaignants reçoivent des bons de réduction et les avocats des plaignants de l'argent comptant.

Après l'échec de plusieurs tentatives de réforme en 2003 et 2004, le Congrès a finalement adopté une version de compromis du Class Action Fairness Act qui a été signé par le Président Bush le 18 février. Immédiatement entrée en vigueur, la loi s'appliquera aux class actions intentées dès le jour de son entrée en vigueur. Seules ses dispositions essentielles (sections 3 et 4 de la loi) sont ici examinées.

1. La section 4 de la loi est le coeur du nouveau dispositif. Elle prévoit que les tribunaux fédéraux sont compétents («original jurisdiction») pour juger des class actions dont le montant du litige dépasse 5 millions de dollars et qui impliquent des résidents de plusieurs Etats fédérés d'une part et des résidents d'un seul Etat et d'un Etat étranger d'autre part. La loi permet ainsi à un défendeur de transférer («removal») devant un tribunal fédéral une class action initialement intentée devant un tribunal étatique lorsque la class action remplit ces conditions. Le but de cette disposition est de remédier aux abus du «forum shopping», pratique qui consiste pour les avocats des demandeurs à poursuivre les défendeurs devant des tribunaux étatiques («magnet jurisdictions») réputés favorables aux demandeurs et sans lien direct avec l'affaire.

La section 4 prévoit néanmoins deux exceptions à la compétence de principe des tribunaux fédéraux :

- Le tribunal fédéral saisi peut refuser de juger une class action pour laquelle plus du tiers des membres du groupe et les principaux défendeurs sont des résidents de l'Etat dans lequel la class action a été initialement intentée. La loi énumère six critères à prendre en compte par le tribunal : (i) les demandes présentent un intérêt national ou interétatique ; (ii) les demandes sont régies par le droit de l'Etat dans lequel la class action a été initialement intentée ou par le droit d'autres Etats ; (iii) l'affaire a été plaidée de manière à éviter la compétence des tribunaux fédéraux ; (iv) l'action a été portée devant une juridiction sans lien avec les membres du groupe, les défendeurs ou le préjudice allégué ; (v) le nombre de résidents de l'Etat dans lequel la class action a été initialement intentée est bien plus important que le nombre de résidents d'un autre Etat ; et, (vi) durant les trois années précédentes, une ou plusieurs class actions ont été intentées sur le même fondement ou un fondement similaire par les mêmes personnes.

- Le tribunal fédéral doit refuser de juger une class action pour laquelle (i) plus des deux-tiers des membres du groupe sont résidents de l'Etat dans lequel la class action a été initialement intentée, (ii) au moins un défendeur, dont la conduite constitue le principal fondement de l'action, est résident de cet Etat, (iii) les principaux dommages se sont produits dans cet Etat et, durant les trois années précédentes, aucune class action n'a été intentée sur le même fondement ou un fondement similaire contre aucun des défendeurs par les mêmes personnes ou d'autres, ou deux-tiers ou plus des membres du groupe ainsi que les principaux défendeurs sont des résidents de l'Etat dans lequel la class action a été initialement intentée.

La section 4 précise en outre que ne sont pas couvertes les class actions dont les défendeurs principaux sont des Etats ou des représentants d'Etat, les class actions regroupant moins de 100 personnes et les class actions en droit boursier.

Enfin, il est à noter que la section 4 traite les «mass actions» comme les class actions, c'est-à-dire qu'un tribunal fédéral peut connaître d'une mass action si 100 personnes ou plus (qui sont toutes identifiées à la différence des class actions) sont impliquées et si le montant des demandes jointes dépasse 5 millions de dollars. De même que pour les class actions, la loi prévoit cependant des exceptions.

2. La section 3 de la loi crée une déclaration des droits du consommateur pour les class actions (Consumer Class Action Bill of Rights) qui vise à corriger certains abus.

Tout d'abord, le calcul des honoraires des avocats en cas de «coupon settlements», règlements amiables aux termes desquels les plaignants reçoivent des bons de réduction et les avocats de l'argent comptant, est encadré. Rien n'est prévu en revanche pour les «non coupon settlements».

En outre, il est interdit à un tribunal fédéral d'approuver (i) une proposition de règlement amiable sans que l'accord ait été jugé équitable, raisonnable et adéquat ; (ii) une proposition de règlement amiable qui prévoit un paiement à l'avocat du groupe dont il résulterait une perte nette pour les membres du groupe sans qu'il ait été jugé que la perte est compensée de manière substantielle par des avantages en nature ; ou (iii) une proposition de règlement amiable qui prévoit d'attribuer des sommes plus importantes à certains membres du groupe uniquement parce qu'ils sont géographiquement plus proches du tribunal que d'autres.

Dans une certaine mesure, il ne s'agit pour ces dispositions que d'une codification des règles fédérales de procédure civile («Rule 23» sur les class actions) et des bonnes pratiques de juges fédéraux.

Enfin, et c'est une nouveauté, le défendeur doit notifier aux autorités publiques fédérales et étatiques compétentes («Attorney General» ou organisme de régulation si le défendeur est une banque ou une compagnie d'assurance) la proposition de règlement amiable dans les 10 jours de son enregistrement auprès du tribunal, faute de quoi la transaction est inopposable aux demandeurs.

L'approbation finale de la transaction ne peut intervenir avant un délai de 90 jours après notification.

La US Chamber of Commerce, et notamment son Institute for Legal Reform qui milite depuis longtemps pour une réforme des class actions, s'est félicitée de l'adoption de cette loi. A l'opposé des milieux d'affaires, le mouvement de protection des consommateurs Public Citizen, fondé en 1971 par Ralph Nader, s'est montré très critique au motif que la loi allait empêcher des millions de consommateurs d'accéder aux tribunaux, d'une part parce que les tribunaux fédéraux sont encombrés et d'autre part parce qu'ils acceptent rarement de certifier des class actions fondées sur des lois étatiques.

Au-delà de ces prises de position, il est difficile de prédire quel sera l'impact de cette nouvelle loi.

Il est clair en tout cas qu'elle n'élimine pas le recours aux class actions et que les sociétés qui en sont la cible devront réfléchir à la meilleure stratégie à adopter en cas de procès.

1 () Réponse des autorités françaises au Livre vert.

2 () Les représentants de la Federal Trade Commission - l'homologue américain du Conseil de la concurrence - ont fait remarquer au rapporteur que l'action entreprise contre Microsoft a généré 175 poursuites privées.

3 () Intervention de Mme Béatrice Charlier-Bonati, lors de la journée de réflexion, organisée par la Cour de cassation le 17 octobre 2005 sur : « La réparation du préjudice causé par une pratique anticoncurrentielle en France et à l'étranger : bilan et perspectives ».

4 () Les complots sont des infractions criminelles commises par les entreprises concurrentes convenant : des prix qu'elles exigeront de leurs clients ; de ne pas se faire concurrence auprès de certains clients ; de ne pas se faire concurrence sur un produit ou un marché géographique donné ; de prévenir ou de gêner l'entrée d'entreprises sur un marché.

5 () Mme Frédérique Dupuis-Toubol, Action civile en matière de pratiques anticoncurrentielles : éléments de problématique. Intervention lors du colloque précité de la Cour de cassation, 17 octobre 2005.

6 () Mme Frédérique Dupuis-Toubol, intervention précitée au colloque de la Cour de cassation du 17 octobre 2005.

7 () L'article L.464-2-III du code de commerce dispose que : « Lorsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés et s'engage à modifier ses comportements pour l'avenir, le rapporteur général peut proposer au Conseil de la concurrence, qui entend les parties et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I en tenant compte de l'absence de contestation. Dans ce cas, le montant maximum de la sanction encourue est réduit de moitié ».

8 () La pratique transactionnelle du Conseil de la concurrence, site Internet de la DGCCRF.

9 () Intervention de Mme Jacqueline Riffault-Silk, lors de la table ronde « Le point de vue des magistrats », colloque précité de la Cour de cassation du 17 octobre 2005.

10 () Maître Olivier Fréjet, L'action au civil en matière de pratiques anticoncurrentielles en France : Eléments de problématique, intervention au colloque de la Cour de cassation du 17 octobre 2005.

11 () « Il me semble que la réforme n'est pas la priorité et que l'on peut, au contraire, craindre que la réflexion sur de telles réformes ne soit l'effet d'un leurre et ne serve ainsi de prétexte pour reporter de session législative en session législative un mouvement que le cadre légal n'interdit pas » Mme Frédéric Dupuis-Toubol, Actions civiles en matière de pratiques anticoncurrentielles ; éléments de problématique, intervention au colloque de la Cour de cassation du 17 octobre 2005.

12 () La question A porte sur l'opportunité d'une modification des règles d'accès à la preuve dans le procès en dommages et intérêts intentés en application des articles 81 et 82 du traité - c'est-à-dire en cas de pratiques anticoncurrentielles issues des ententes et des abus de position dominante - et dans l'affirmative, quelle forme doit revêtir la protection de la preuve.

13 () Le rapport Ashurst est l'étude sur laquelle la Commission s'est appuyée pour élaborer le Livre vert.

14 () C'est le système de la discovery qui est ici visé. Il sera examiné plus loin.

15 () Il s'agit de l'arrêt de la Cour de justice du 13 septembre 2005 - Commission des Communautés européennes/Conseil de l'Union européenne. Par cet arrêt, la Cour a jugé qu'en principe, la législation pénale tout comme les règles de la procédure pénale ne relevaient pas de la compétence de la Communauté. Cela, par contre, n'empêche pas le législateur communautaire, lorsque l'application de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives par les autorités nationales compétentes constitue une mesure indispensable pour lutter contre les atteintes graves à l'environnement, de prendre des mesures en relation avec le droit pénal des Etats membres et qu'il estime nécessaires pour garantir la pleine effectivité des normes qu'il édicte en matière de protection de l'environnement.

16 () Elle peut être mise en œuvre - outre par la demande de communication de documents - de deux autres façons : une procédure d'interrogatoires, auxquels le défendeur répond par écrit et la déposition orale de témoins.

17 () American Bar Association, contribution au Livre vert, avril 2006, p. 11.

18 () Dans le cadre des négociations, par lesquelles le défendeur admet sa culpabilité (plea negociations) et accepte d'offrir des preuves, la procédure est menée oralement plutôt que par écrit. En outre, les notes qu'ont pu prendre le procureur et les enquêteurs ne sont pas communiquées aux plaignants.

19 () Dans certains cas, le Congrès est toutefois parvenu à détripler les dommages.

20 () Réponse de l'AFEC au Livre vert.

21 () Le rapporteur renverra aux annexes 2 et 3 qui exposent dans le détail le régime procédural de la class action et la réforme intervenue en février 2005.

22 () Tout récemment des avocats d'un grand cabinet de New York, célèbre pour les class actions intentées dans le domaine boursier, ont été accusés par un jury d'avoir payé plus de 11 millions de dollars à leurs clients, afin que ceux-ci constituent une class action !

23 () Aux termes de l'article 1003 du code de procédure civile, ces conditions sont au nombre de quatre :

- les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou annexes ;

- les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées ;

- la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l'application des articles 59 (interdiction de plaider par procureur) ou 67 (possibilité de jonction des recours ayant le même fondement juridique) ;

- le membre auquel le tribunal entend attribuer le statut de représentant est en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres.

24 () Ainsi, le juge peut-il décider que les dommages et intérêts seront versés non pas aux membres du groupe mais à des associations caritatives. Ce sera le cas lorsque, par exemple, du fait de la modicité de la somme que pourrait percevoir chaque membre, il serait plus onéreux de procéder à une telle répartition que de verser le montant des dommages à l'institution caritative.

25 () Intervention en colloque de la Cour de cassation du 17 octobre 2005, Réparation de préjudice causé par une pratique anticoncurrentielle en France et à l'étranger.

26 () M. Cerutti indique que la DGCCRF produit annuellement 140 à 160 rapports d'enquête, dont une quinzaine font l'objet d'une saisine du Conseil de la concurrence : « Cela pose donc la question des suites qui peuvent être réservées aux autres rapports. », Intervention au colloque précité de la Cour de cassation.

27 () Intervention de M. Guillaume Cerutti au colloque de la Cour de cassation du 17 octobre 2005.

28 () Mme Laurence Idot, Rapport de synthèse du colloque précité de la Cour de cassation, 17 octobre 2005.

29 () Colloque sur la réparation du préjudice causé par une pratique anticoncurrentielle en France et à l'étranger.

30 () M. Guillaume Cerutti, Intervention au colloque de la Cour de cassation du 17 octobre 2005.

31 () La Tribune, 16 mai 2006.

32 () Contribution de l'American Bar Association au Livre vert, avril 2006.

33 () Entretien présenté avec La Tribune, 16 mai 2006.

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